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Technique Depuis 2009, le 4ème programme de la « directive Nitrates » impose d’implanter une culture intermédiaire entre deux cultures principales, lors de la période hivernale, dans les zones dites « vulnérables ». Cette mesure vise à limiter les pertes en éléments fertilisants présents dans les sols, en particulier celles qui concernent l’azote. Les intercultures sont en fait pratiquées depuis plusieurs années par bon nombre d’agriculteurs. Divers couverts végétaux peuvent être choisis en fonction des caractéristiques de sol, de l’effet attendu sur la culture suivante, des possibilités de destruction… Mais depuis le début des années 2000, des chercheurs étudient plus particulièrement l’intérêt de certaines plantes afin de profiter de l’interculture pour assainir en même temps les sols : c’est le concept de la biodésinfection ou biofumigation. L’UNILET effectue des essais dans cette voie avec pour objectif de mettre au point des itinéraires de production intégrée. Une journée thématique sur la biofumigation s’est également tenue le 22 mars 2011 à Paris dans le cadre du Groupement d’Intérêt Scientifique « Picleg » (Protection intégrée des cultures légumières). L’occasion de faire le point sur le sujet… Comment ça marche ? Le principe de biodésinfection repose sur les propriétés « allélopathiques » de quelques espèces, c’est-à-dire la capacité de certains végétaux d’empêcher, par l’émission de substances toxiques, le développement d’autres espèces dans leur voisinage. Ces substances sont soit diffusées dans le sol au cours de la croissance des plantes via leurs organes souterrains, soit, et c’est le plus fréquent, libérées à la suite du broyage des végétaux et de leur enfouissement dans le sol. La toxicité de ces composés permet alors de lutter contre des pathogènes telluriques tels que les Pythium, Rhizoctonia… mais aussi contre des nématodes ou des adventices. 26 Unilet infos • Août 2011 • N°139 L’interculture est une période au cours de laquelle il est possible de mener divers travaux de prophylaxie. Le passage d’outils mécaniques est ainsi recommandé pour détruire certaines adventices ou larves de ravageurs. Plus récemment, des recherches visent à utiliser ce créneau laissé libre entre deux cultures pour désinfecter le sol. Explications. Les plantes les plus étudiées à cette fin sont les brassicacées, mais aussi certaines graminées (seigle, avoine, sorgho…), ou encore les alliacées (oignon, poireau). Chez les brassicacées (moutarde brune, radis fourrager…), le procédé de biofumigation utilise les molécules entrant dans le processus de défense naturelle des plantes. Il est obtenu par une réaction enzymatique déclenchée lors de la dégradation des cellules de la plante. Les glucosinolates (GSL), contenus à l’intérieur des cellules, se transforment alors en glucose, sulfate, et surtout dans le cas qui nous intéresse ici, en isothiocyanates (ITC) et thiocyanates, toxiques pour bon nombre d’organismes. Les GSL sont présents partout dans la plante mais sont surtout concentrés dans les parties aériennes. La teneur au sein du végétal varie en fonction de la variété et de l’état de la plante : la concentration semble augmenter jusqu’à la floraison, qui correspond au stade optimal de destruction de la culture. Les ITC sont libérés très rapidement après la destruction du végétal : la grande majorité dans les 24 heures qui suivent, d’où la nécessité d’enfouir immédiatement les débris végétaux, voire de mettre en place un bâchage. Philippe Lucas et Françoise Montfort, chercheurs à l’INRA, ont également observé qu’un broyage plus fin engendre une libération plus rapide des ITC. Céline Janvier du CTIFL1 indique quant à elle que l’humidité influe nettement sur la production d’ITC. Quels résultats ? L’effet de l’incorporation de la moutarde brune, Brassica juncae, a été mesuré par F. Montfort sur carotte contre Pythium violae et Rhizoctonia solani avec une inhibition des pathogènes pouvant atteindre 100 %. Vincent Michel de la station Agroscope de Changins, en Suisse, a également observé un effet significatif sur Alternaria, Fusarium, Phytophthora et même sur le mycélium de Sclerotinia. En revanche, aucun effet n’a été observé sur Aphanomyces, ni dans les essais suisses, ni dans ceux de l’UNILET. Les effets allélopathiques de l’avoine ont également été étudiés, tout d’abord sur Gaeumannomyces graminis, responsable du piétin échaudage, mais aussi sur Aphanomyces. Il a ainsi été observé que les exsudats d’avoine permettaient à la fois de diminuer la densité d’inoculum mais aussi la sévérité des attaques sur racines de pois (Shang et al, 2000). Des études japonaises ont également mis en Photo : CTIFL Biofumigation et plantes assainissantes : une piste à creuser Essai de biofumigation avec de la moutarde brune réalisé par le CTIFL, en comparaison avec de la solarisation (planche bâchée). L’efficacité de ces pratiques assainissantes est mesurée sur des cultures de mâche (planches sous tunnels). Unilet infos • Août 2011 • N°139 évidence des réductions d’inoculum de hernie du chou, Plasmodiophora brassicae (Murakami H et al, 2000), et le CIRAD2 de la Réunion a démontré l’effet des pailles d’avoine sur certaines adventices comme le bident pileux (Bidens pilosa) ou le plantain lancéolé (Plantago lanceolata). Enfin, la station d’expérimentation LCA3 et le CRITT Innophyt4 ont mesuré l’intérêt d’utiliser les écarts de tri de cultures d’oignon pour lutter contre les problèmes de fatigue de sol sur fraisiers. Des limites à mieux cerner Un certain nombre de limites sont d’ores et déjà apparues lors des essais de biofumigation. Tout d’abord, les résultats des différentes expérimentations avec des crucifères indiquent que l’efficacité dépend nettement de la teneur en GLS au sein des plantes, et donc de la variété employée, du stade de développement lors de la destruction du végétal… ces différents facteurs déterminant la concentration en ITC dans le sol. Mais l’efficacité dépend aussi du type de sol. Ainsi, Vincent Michel a observé, sur Verticilium dahliae, que les résultats étaient bons avec le seigle et décevants avec une moutarde sur sol sableux, tandis qu’ils étaient inverses sur sol limoneux. Par ailleurs, la culture de la plante assainissante n’est pas forcément évidente. Anne Terrentroy de la Chambre d’Agriculture des Bouches-du-Rhône témoigne de l’incidence du climat lors du semis, de la croissance du végétal et lors de sa destruction. La moutarde brune a notamment montré une nette sensibilité au gel après montaison. Etant donné qu’un volume minimum de biomasse est nécessaire, il s’est parfois avéré indispensable d’apporter des éléments fertilisants à l’interculture, ce qui entre en contradiction avec les objectifs des cultures intermédiaires pièges à nitrates. L’irrigation peut également être nécessaire compte tenu de l’implantation parfois estivale des intercultures. De même, la faible compétitivité de la moutarde brune en début de culture par rapport aux adventices a pu poser problème dans certains essais. Au final, dans la famille des crucifères, le radis fourrager semble présenter le meilleur compromis en termes de rusticité, de Interculture à base de moutarde brune et de radis fourrager en fin d’hiver, comparée à des couverts de moutarde brune ou d’avoine (parties gauches de la photo). Essai implanté par l’UNILET dans le but d’évaluer une éventuelle action sur les attaques du champignon Aphanomyces sur une culture de pois à suivre. facilité d’implantation et de matière fraîche produite. Mais dans tous les cas, il est impossible de savoir quelle quantité d’ITC a été produite et incorporée au sol, d’où une possible efficacité partielle. Outre ces contraintes culturales ou pédo-climatiques, la biofumigation présente intrinsèquement d’autres limites. Par exemple, les ITC dégagés après incorporation d’une crucifère ne sont pas sélectifs de la microflore du sol. Il peut en résulter des modifications au niveau des structures microbiennes dont l’effet doit être étudié à court et long terme, ainsi qu’en fonction de la fréquence de la pratique de biofumigation. Par ailleurs, il n’existe pas de catégorie spécifique concernant les inscriptions de variétés. Hormis quelques variétés ou mélanges connus, il est ainsi difficile de connaître la valeur assainissante de moutardes ou de radis se prévalant d’un effet biofumigant. Attention également à la qualité semencière de ces espèces souvent importées (multiplication des crucifères en Europe de l’est) qui peuvent transporter avec elles des graines d’adventices, voire des sclérotes de champignons. La famille des crucifères est pour le moment celle qui semble avoir été la plus étudiée. Cependant, l’introduction de crucifères dans une rotation culturale comportant déjà des légumes peut s’avérer préjudiciable car favorable au développement de champignons du sol comme Sclerotinia, Rhizoctonia, ou d’autres maladies, ravageurs et adventices problématiques sur les légumes (cf. article page 10). De nombreux travaux ont déjà été menés. Les résultats présentent un intérêt non négligeable mais aussi une certaine variabilité. A l’heure d’aujourd’hui, il est nécessaire d’acquérir de nouvelles références afin de déterminer les espèces végétales et même les variétés les plus intéressantes, les cibles susceptibles d’être visées en fonction des plantes employées, les conditions de mise en œuvre et les effets indésirables pouvant être observés. Mickaël LEGRAND 1 2 CTIFL : Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes CIRAD : Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement 3 4 LCA : Station régionale d’expérimentation légumière de la région Centre CRITT Innophyt : Centre Régional d’Innovation et de Transfert de Technologie 27