Conseil d`État N° 354228 ECLI:FR:Code Inconnu:2013

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Conseil d`État N° 354228 ECLI:FR:Code Inconnu:2013
Conseil d’État
N° 354228
ECLI:FR:Code Inconnu:2013:354228.20131204
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
3ème / 8ème SSR
Mme Agnès Martinel, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP FABIANI, LUC-THALER, avocat(s)
lecture du mercredi 4 décembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 novembre 2011
et 22 février 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la
société civile Groupe Valois, dont le siège est 31 avenue Franklin Roosevelt à Paris
(75008) ; la société civile Groupe Valois demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 10PA02235 du 21 septembre 2011 par lequel la cour administrative
d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’elle a interjeté à l’encontre du jugement n° 0610563 du
4 février 2010 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la
décharge des suppléments d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet
impôt, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquels elle a été assujettie au titre de
l’exercice 1999 ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Martinel, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler,
avocat de la Société Civile Groupe Valois ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société
civile groupe Valois, qui exerce une activité de gestion financière, a comptabilisé, au titre
de l’exercice clos en 1999, une provision pour risque de 600 millions de francs en raison
de la naissance d’un litige l’opposant à une relation d’affaires ; qu’à l’issue d’une
vérification de sa comptabilité, l’administration fiscale a réintégré cette provision dans son
bénéfice imposable de l’année 1999 ; que la société civile Groupe Valois se pourvoit en
cassation contre l’arrêt en date du 21 septembre 2011 de la cour administrative d’appel de
Paris rejetant l’appel qu’elle a interjeté du jugement du 4 février 2010 par lequel le tribunal
administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions
supplémentaires auxquelles elle a été assujettie au titre de cette année en matière d’impôt
sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt ;
2. Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 39 du code général des impôts, applicable à
l’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : “ Le bénéfice net est établi
sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du
5 notamment (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou
charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à
condition qu’elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l’exercice (...). “
; qu’il résulte de ces dispositions qu’une entreprise peut valablement porter en provision et
déduire des bénéfices imposables d’un exercice le montant des charges qui ne seront
supportées qu’ultérieurement par elle, à la condition que ces charges soient nettement
précisées quant à leur nature et susceptibles d’être évaluées avec une approximation
suffisante, qu’elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées
à la date de la clôture et qu’elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute
nature déjà effectuées à cette date par l’entreprise ;
3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société
civile Groupe Valois a constitué la provision litigieuse lorsqu’elle a eu connaissance, le 1er
décembre 1999, de ce que l’une de ses relations d’affaires, à laquelle elle s’était engagée
à céder des actions par une convention conclue le 5 juillet 1993 et qui n’avait pas été
suivie d’effet, avait fait connaître son intention de recourir à la procédure d’arbitrage
prévue par les stipulations de cette convention ; que la cour administrative d’appel de
Paris a jugé que le recours à l’arbitrage par la partie bénéficiaire de la promesse de vente
aux fins d’obtenir l’indemnisation du préjudice qu’elle alléguait avoir subi en raison de la
cession à des tiers des titres qui avaient fait l’objet de la promesse de vente avait un
caractère manifestement infondé et dilatoire et que la provision litigieuse n’était donc pas
fondée dans son principe ; qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que le recours à
l’arbitrage conventionnel présentait, pour la société civile Groupe Valois, un risque
comparable à celui d’une action en justice et, d’autre part, qu’il n’appartient pas au juge de
l’impôt d’apprécier les chances de succès d’une telle action, la cour a commis une erreur
de droit ;
4. Considérant, toutefois, que le ministre demande au Conseil d’Etat de substituer au motif
erroné en droit retenu par la cour le motif tiré de ce que la lettre du 1er décembre 1999
n’avait été suivie, avant la clôture de l’exercice le 31 décembre 1999, d’aucun acte de
nature à engager véritablement la procédure d’arbitrage et qu’ainsi le risque contentieux
n’était qu’éventuel à cette date ; que ce motif, dont l’examen implique l’appréciation de
circonstances de fait, ne peut être substitué en cassation au motif retenu dans l’arrêt
attaqué ;
5. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Groupe Valois est fondée
à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ;
6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de
l’Etat la somme de 3000 euros à verser à la société Groupe Valois au titre des dispositions
de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE:
-------------Article 1er : L’arrêt du 21 septembre 2011 de la cour administrative d’appel de Paris est
annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Paris.
Article 3 : L’Etat versera à la société Groupe Valois une somme de 3 000 euros au titre
des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Groupe Valois et au ministre de
l’économie et des finances.
Abstrats : 19-04-02-01-04-04 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPÔTS SUR LES
REVENUS ET BÉNÉFICES. REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES
PARTICULIÈRES. BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. DÉTERMINATION
DU BÉNÉFICE NET. PROVISIONS. - PROVISIONS POUR RISQUE CONTENTIEUX - 1)
PRISE EN COMPTE PAR LE JUGE DE L’IMPÔT DES CHANCES DE SUCCÈS DE
L’ACTION CONTENTIEUSE - ABSENCE - 2) ASSIMILATION À DE TELLES
PROVISIONS DES PROVISIONS CONSTITUÉES POUR RISQUE LIÉ AU RECOURS À
L’ARBITRAGE - EXISTENCE - 3) APPRÉCIATION PAR LE JUGE DE L’EXISTENCE,
AVANT LA CLÔTURE DE L’EXERCICE, D’UNE INSTANCE CONTENTIEUSE EXISTENCE.
Résumé : 19-04-02-01-04-04 1) Il n’appartient pas au juge de l’impôt, pour apprécier la
déductibilité d’une provision constituée pour faire face à un risque contentieux, d’apprécier
les chances de succès de l’action contentieuse.... ,,2) Pour l’application de cette règle, le
risque qui s’attache, pour une société, au recours à l’arbitrage conventionnel s’apparente à
un risque contentieux.,,,3) Il appartient au juge de l’impôt d’apprécier, pour déterminer si le
risque contentieux était éventuel ou réel à la date de clôture de l’exercice, si était
intervenu, avant cette date, un acte de nature à engager véritablement la procédure
contentieuse ou d’arbitrage.