Tax-shift : les plus bas revenus doublement pénalisés

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Tax-shift : les plus bas revenus doublement pénalisés
Parti du Travail de Belgique
28/6/2016
Boulevard M. Lemonnier 171 – 1000 Bruxelles - www.ptb.be
Tax-shift : les plus bas revenus
doublement pénalisés
Service d’études du PTB
Marco Van Hees
Le tax-shift pénalise l'ensemble du monde du travail, mais il est tout particulièrement dur
pour les plus bas revenus, qui sont doublement touchés. C'est ce qui ressort d'une réponse
du ministre des Finances à une question parlementaire du député Marco Van Hees (PTB) :
1. en matière d'impôt des personnes physiques, les relatives à l'impôt des personnes
physiques (IPP), un montant d'à peine 4 millions d'euros (soit 0,4 % du total) va
au 1er décile, c'est-à-dire aux 10 % les moins riches de la population, tandis que
975,6 millions d'euros (soit 22,2 % du total) vont au 10e décile, les 10 % les plus
riches (voir tableau) ;
2. en matière de taxes sur la consommation, les plus pauvres sont les plus touchés
par les hausses de taxes car, chez eux, la part de ces taxes par rapport au revenu
est plus élevées que dans d'autres catégories sociales.
Distribution par décile des mesures IPP du tax shift
Limite
Gain total
Déciles supérieure(€) millions d’€
1
5.190 €
4,0
2
12.176 €
83,4
3
14.714 €
119,9
4
18.003 €
263,9
5
21.861 €
392,8
6
26.273 €
513,4
7
31.778 €
507,0
8
40.983 €
649,2
9
57.776 €
889,2
10
975,8
Total
4.398,6
Gain total
millions d’€
(cumul)
4,0
87,4
207,3
471,2
864,0
1.377,4
1.884,4
2.533,6
3.422,8
4.398,6
Idem, en %
du total
0,10%
1,90%
2,70%
6,00%
8,90%
11,70%
11,50%
14,80%
20,20%
22,20%
100,00%
Idem, en %
du total
(cumul)
0,10%
2,00%
4,70%
10,70%
19,60%
31,30%
42,80%
57,60%
77,80%
100,00%
Si l'on divise la population en deux, la même tendance se constate : un peu moins de 20 %
du total, soit 864 millions d'euros, va aux 50 % les moins riches (déciles 1 à 5), tandis que
80 % du total, soit 3.534,6 millions, va aux 50 % les plus riches (déciles 6 à 10).
La réponse du ministre tend à minimiser ce constat en soulignant que si l'on envisage le gain
en proportion du revenu disponible, la situation des déciles inférieurs est (évidement) moins
défavorable : le gain varie entre 0,3 % et 3,6 % pour les cinq premiers déciles, il est situé
entre 2,9 % et 4,3 % pour les cinq derniers déciles. Cela n'enlève pourtant rien à cette
réalité : le gouvernement a constitué une enveloppe tax shift IPP de 4,3 milliards d'euros et il
en accorde 80 % aux 50 % les plus riches. Et chaque fois que l'on monte d'un décile, le
montant est plus important.
Le déséquilibre aux détriment des moins riches s’accroît encore si l'on prend en compte
l'autre face du tax shift : l'augmentation des taxes, en particulier celles sur la consommations
comme la TVA et les accises.
Malgré la demande explicite contenue dans la question parlementaire, la réponse du ministre
ne fournit aucune indication chiffrée quant à la ventilation par décile de cette facture fiscale,
son administration ne disposant pas de modèle permettant un tel calcul. Cependant, le
ministre admet que « toutes les études empiriques convergent vers une conclusion assez
robuste : la charge de la TVA est plus ou moins proportionnelle par rapport à la dépense de
consommation mais régressive par rapport au revenu, du fait que le taux d’épargne
augmente avec le revenu. »
En clair, les bas revenus sont touchés plus durement par les hausses de taxes sur la
consommation. De même, parmi les mesures du tax shift, les économies dans les services
publics et la sécurité sociale ont un impact plus important pour cette partie de la population.
Bref, outre les critiques fondamentales déjà formulées par le PTB à l'égard du tax shift – en
particulier les subsides contre-productifs aux employeurs et le glissement des impôts
progressifs vers des taxes non progressives – la réponse à la question parlementaire du PTB
démontre une inégalité tant dans la baisse des impôts sur les revenus que dans la hausse des
taxes sur la consommation.
________________________
Annexe : question du député Marco Van Hees
et réponse du ministre des Finances
Question parlementaire n° 760 du 25/01/2016, posée par monsieur Marco VAN HEES, Député, au
Ministre des Finances Monsieur Johan VAN OVERTVELDT
QUESTION
L'impact du tax shift sur la progressivité de l'impôt
À côté d'importants cadeaux accordés au monde patronal sous forme de subsides salariaux, le tax shift (loi du
26 décembre 2015 relative aux mesures concernant le renforcement de la création d'emplois et du pouvoir
d'achat) a opéré un glissement de recettes fiscales des impôts directs vers les impôts indirects.
La progressivité de l'impôt est l'un des principaux indicateurs de la justice fiscale. Or, ce glissement réduit le
rendement d'un impôt progressif (impôts des personnes physiques) pour augmenter le rendement de taxes qui
ne le sont pas (TVA et accises).
Par ailleurs, au sein des dispositions relatives à l'impôt des personnes physiques, certaines mesures qui
touchent partiellement les bas revenus profitent intégralement aux plus hauts revenus. De même que,
logiquement, les personnes non imposables ne bénéficient pas de la réforme.
Afin de pouvoir mesurer l'impact du tax shift, je vous demande de me fournir:
1. l'impact fiscal, par déciles de revenus, des mesures de l'impôt des personnes physiques contenues dans la
loi du 26 décembre 2015;
2. l'impact fiscal global, par déciles de revenus, des mesures du tax shift touchant à la fois les impôts directs et
indirects.
RÉPONSE
La question posée appelle d’abord quelques observations d’ordre général.
D’une part, le glissement opéré par le tax shift ne se fait pas seulement des impôts directs vers les impôts
indirects, et donc des revenus du travail vers la consommation, mais il se fait également, pour partie vers
les revenus du capital.
D’autre part, les mesures d’IPP, auxquelles il est fait plus directement référence dans la question, sont
ciblées sur les bas et moyens revenus. S’il est exact qu’elles profitent également aux hauts revenus, elles
génèrent pour les bas et moyens revenus un gain plus élevé en termes relatifs (en % de leur revenu avant
réforme). Dès lors que leur effet par tête est plafonné en euro, il est en effet plus important en termes
relatifs pour les bas et moyens revenus. Or, si l’on remet en question l’effet sur la progressivité de l’impôt,
c’est l’effet en termes relatifs qui est pertinent.
La fiscalité indirecte est certes moins progressive que l’impôt sur le revenu. Toutes les études empiriques
convergent vers une conclusion assez robuste : la charge de la TVA est plus ou moins proportionnelle par
rapport à la dépense de consommation mais régressive par rapport au revenu, du fait que le taux
d’épargne augmente avec le revenu. Il ne faut toutefois pas perdre de vue qu’une partie de l’épargne est
de la consommation différée, qui sera un jour soumise à la TVA. Ceci signifie que la régressivité de la TVA
est moindre dans une optique de moyen-long terme qu’à court terme.
Les résultats proviennent du modèle de micro-simulation SIRe. Il s’agit d’un modèle statique et il ne tient
donc pas compte des modifications de comportement ni des effets-retour macro-économiques, ni des effets
sur l’offre d’emploi à la suite des mesures. Les modèles du Bureau Fédéral du Plan et de la Banque
Nationale de Belgique démontrent que le tax shift ressortit des effets-retour par le biais de l’augmentation
substantielle de l’emploi mais ces effets ne sont en l’occurrence pas portés en compte.
Ces observations étant faites, les tableaux ci-après donnent l’impact par décile des mesures du tax shift en
ce qui concerne l’IPP. Ces résultats proviennent de simulations qui ont été faites sur les revenus de 2012 et
se réfèrent donc aux revenus de 2012. Nous formulons l’hypothèse que la distribution des revenus au
cours de la période d’application du tax shift est quasiment identique. Cette hypothèse a pour conséquence
que nous supposons que la projection sur la période d’application du tax shift ne devrait modifier que très
marginalement la distribution des effets et c’est bien la distribution des effets du tax shift qui est l’objet de la
question.
Le gain moyen et le gain total, exprimés en euros, progressent tous deux sur l’axe des déciles revenus.
Ceci tient au fait que les résultats sont exprimés par ménage et que, plus on monte sur l’axe des déciles de
revenus, plus il y a de couples où les deux conjoints bénéficient des mesures du tax shift. Il s’agit
également d’une conséquence logique du fait que les mesures du tax shift tendent à récompenser le travail
et que l’on retrouve principalement des actifs à mesure que l’on grimpe le long de l’échelle de revenus.
Ceci apparaît clairement dans le tableau 1 qui mentionne par décile le nombre de gagnants du tax shift
ainsi que le pourcentage de couples que le pourcentage d’actifs par décile 1. Le tableau présente également
la limite supérieure par décile qui est donnée sur la base du revenu du ménage total net imposable sur une
base annuelle pour les revenus de 2012. Il convient de conserver ces observations à l’esprit lorsque l’on
interprète les effets de répartition des mesures dans l’impôt des personnes physiques à la suite du tax shift
par décile.
Vous noterez en outre que la limite supérieure du premier décile s’élève à 5190 EUR sur base annuelle.
C’est largement inférieur au minimum exempté. Il est évident que ceux qui ne paient pas d’impôt aux
personnes physiques, n’en paieront pas non plus après le tax shift. Il s’agit notamment des étudiants qui
souhaitent gagner un peu d’argent et qui, à certaines conditions, ne paient pas d’impôt sur ce revenu limité.
Ceci explique le pourcentage élevé d’actifs (majoritairement des revenus issus du travail) et le faible
pourcentage de gagnants. Notez également que le revenu mensuel minimum en Belgique s’élevait à 1.443
EUR en 2012, soit 17.316 EUR sur une base annuelle. Celui-ci figure dans le quatrième décile et explique
en partie l’augmentation sensible du nombre de gagnants dans le quatrième décile par rapport au troisième
décile. Le tax shift a en effet pour premier objectif de récompenser davantage le travail. Les gagnants se
trouvent donc dans les déciles comptant de nombreux actifs.
Tableau 1
Distribution des couples et des actifs par décile
Deciles
Limite
supérieure (€)
% gagnants
isolés
% gagnants
couples
% couples
par décile
% actifs par
décile
1
5.190,00
22,12%
40,00%
3,3%
76,2%
1
Actifs = au moins 80% des revenus du ménage se compose de revenus provenant d’une activité
(par exemple de rémunérations) et moins de 20% se compose d’autres revenus.
2
12.176,00
45,36%
36,92%
3
14.714,00
41,24%
25,64%
4
18.003,00
93,09%
31,18%
5
21.861,00
97,85%
67,61%
6
26.273,00
99,44%
90,73%
7
31.778,00
99,58%
96,03%
8
40.983,00
99,79%
98,78%
9
57.776,00
99,88%
99,77%
10
100,00%
99,81%
Total
87,0%
85,65%
Source : Modèle de micro simulation SIRe – revenus de 2012
8,6%
10,3%
22,4%
31,3%
35,1%
44,7%
53,8%
73,1%
87,3%
34,6%
32,5%
18,6%
28,7%
43,9%
58,0%
57,1%
63,0%
73,0%
78,1%
52,9%
Compte tenu des observations susmentionnées, le Tableau 2 offre un aperçu de la distribution des effets des
mesures dans l’impôt des personnes physiques par décile. La simulation a été réalisée pour toutes les
mesures jointes dans l’impôt des personnes physiques (Tax Shift I et Tax shift II) en ce qui concerne les
modifications relatives aux frais professionnels forfaitaires, le bonus à l’emploi, la quotité exemptée et les
modifications de barème. Si le bénéfice est exprimé en pourcentage du revenu disponible, le bénéfice des
mesures du tax shift dans l’IPP atteint son pic aux environs du revenu médian. Dans le 6ème décile, le
bénéfice s’élève à 4,3% alors que dans le 10ème décile il atteint seulement 2,9%. Une très large majorité des
actifs dans cette simulation tire un bénéfice du tax shift. En outre, l’avantage pour les actifs est en outre élevé
avec un gain moyen de 1227,7 EUR qui est supérieur à celui de tous les ménages ensemble, à savoir 1077
EUR. Ceci reflète l’objectif de la réforme, à savoir la revalorisation des revenus nets issus du travail. Comme
déjà indiqué, les résultats du modèle sont exprimés pour les revenus de 2012 et il n’y a donc pas de projection
des résultats individuels pour 2016.
Tableau 2
Distribution par décile des mesures dans l’IPP
Déciles
Limite
supérieure
(€)
5.190,00
12.176,00
14.714,00
18.003,00
21.861,00
26.273,00
31.778,00
40.983,00
57.776,00
% gagnants
parmi les actifs
Gain moyen
1
25,8%
32
2
84,8%
400
3
91,7%
608
4
94,1%
727
5
96,6%
876
6
98,2%
983
7
98,4%
960
8
99,4%
1176
9
99,8%
1542
10
100,0%
1662
Total
87,0%
1077
Source : Modèle de micro simulation SIRe – revenus de 2012
Gain total,
millions d’€
4
83,4
119,9
263,9
392,8
513,4
507
649,2
889,2
975,8
4398,6
Gain en
pourcentage du
revenu disponible
0,3%
1,4%
1,4%
2,8%
3,6%
4,3%
3,6%
3,9%
4,3%
2,9%
3,3%
Le Tableau 3 compare la distribution des effets du tax shift avec la distribution du revenu imposable et de
l’impôt avant la réforme. Comme indiqué précédemment, la part du premier décile dans le total de l’impôt payé
est quasi nul. Il est à noter que le deuxième décile, qui paie 0,1% de l’impôt avant la réforme, bénéficie de
1,8% de la baisse de charges globale. En revanche, le 10 ème décile, qui paie 46,6% des impôts avant la
réforme, bénéficie seulement de 22,5% de la baisse des charges. D’un point de vue global, les mesures liées
au tax shift dans l’IPP augmentent la progressivité de l’impôt.
Tableau 3
Distribution par décile des effets du tax shift, du revenu disponible et de l’impôt
Gain
total Idem,
millions d’€
en % du total
1
4
0,1%
2
83,4
1,9%
3
119,9
2,7%
4
263,9
6,0%
5
392,8
8,9%
6
513,4
11,7%
7
507
11,5%
8
649,2
14,8%
9
889,2
20,2%
10
975,8
22,2%
Total
4398,6
100,0%
Source : Modèle de micro simulation SIRe – revenus de 2012
Déciles
Limite
supérieure(€)
5.190,00
12.176,00
14.714,00
18.003,00
21.861,00
26.273,00
31.778,00
40.983,00
57.776,00
Revenus en %
du total
0,7%
3,5%
4,7%
5,7%
6,9%
8,3%
10,0%
12,4%
16,7%
30,9%
100,0%
Impôt en % du
total
0,0%
0,1%
0,5%
2,0%
3,9%
6,5%
8,6%
12,6%
19,4%
46,6%
100,0%
Comme indiqué précédemment, le modèle SIRe est un modèle statistique. Il ne contient donc pas d’effets tels
que le retour éventuel sur le marché du travail de personnes inactives. Une simulation de cas standards
témoigne néanmoins, comme le fait l’OCDE dans sa publication annuel « taxing wages », d’une amélioration
nette de l’incitation financière pour les inactifs au profit d’un retour sur le marché du travail. Cette simulation
démontre en effet qu’il y a une forte baisse du taux d’imposition effectif moyen et une augmentation
substantielle du revenu disponible dans le bas de l’échelle salariale. Un isolé avec un salaire qui s’élève à 50%
du salaire moyen voit le taux d’imposition moyen baisser de 6,17 points de pourcentage. La baisse reste
sensible pour un isolé avec un salaire qui s’élève à 67% du salaire moyen et qui est proche du salaire médian.
Nous constatons que l’effet de baisse du taux moyen d’imposition au bas de la distribution est plus important.
C’est à ce niveau-là également que l’effet sur la décision de participation est le plus élevé et le tax shift
encouragera donc les inactifs à retourner vers le marché du travail.
Mon administration ne dispose pas d’un modèle qui permet d’évaluer l’impact distributif des mesures de
fiscalité indirecte.
Ministre des Finanes,
Johan VAN OVERTVELDT