Les Chiens dè Navarre, bande de wouf

14 FEV 14
Quotidien
OJD : 119418
Surface approx. (cm²) : 1361
N° de page : 28-29
11 RUE BERANGER
75154 PARIS - 01 42 76 17 89
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Nous avons /es
machines, à l'affiche
du festival Chiens
de Navarre au Théâtre
du Rond-Point, à Paris.
PHOTO PHILIPPE LEBRUMAN
Les Chiens dè Navarre,
bande de wouf
ROND-POINT
4646029300507/GNK/OTO/1
Eléments de recherche : THEATRE DU ROND-POINT : à Paris 8ème, toutes citations
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THÉÀTRE
avec le regard de caricaturistes
Le collectif présente
au Rond-Point trois
spectacles, portraits
mordants et déjantés
d'une société dont ils
dépeignent les travers.
PMILIPPIQUES. Le public a vite adhère a leur
univers, s'y retrouvant lui même en pi
quant pas mal de fous rires La presse, elle
aussi, a relaye les aventures artistiques de
ces gens de theâtre qui avaient pris les
chemins de traverse Maîs on voit bien
aujourd'hui que la troupe vit un moment
charnière à observer le reveil (parfois un
peu tardif) des professionnels, et le bouche
a oreille assez énorme qui se développe, tout
paraît indiquer que, de phénomène cir
consent, les Chiens sont en train de bascu
ler vers quelque chose de bien plus conse
quent («a la Pommerai» ?), générant une
adhésion populaire de plus en plus massive
a laquelle se superposeront quèlques philip
piques jalouses du milieu théâtral
Soutenus par plusieurs structures, des Sub
sistances de Lyon au TAP de Poitiers, en
passant par le Theatre de Vanves ou la MAC
de Creteil, les Chiens de Navarre ont donc
le vent en poupe, malgre une situation fi
nanciere étrangement precaire (lire ci eon
tre) Point d'orgue de leur actualite, ils
campent un mois durant au theatre du
Rond Point, sous la forme d'un «festival»
comprenant deux de leurs œuvres phares,
Une raclette et Nous avons les machines, et,
le week end, une performance plus courte
(une quarantaine de minutes), Regarde le
lustre et articuîe C'est la fameuse Radette,
de saison, qui a lance la pétarade -juste re
tour des choses, puisqu'il s'agit la du spea
tacle ayant fait office de détonateur Créée
en 2008 grace a un financement prive, la
tablée continue de mitonner un festin cor
rosif, indocile, torve, qumteux, hilarant et,
pour tout dire, sévèrement barre, tout en
tenant le cap de sa cohérence factieuse
(autrement abouti, en ce sens, que le non
Par GILLES RENAULT
et MARIE-CHRISTINE VERNAY
es Chiens de Navarre sont LE car
ton du moment, eux qui, de
puis 2005, concoctent des pieces
pointant sans détour les travers de
la societe contemporaine Employant des
methodes pour l'écriture scenique que l'on
pourrait rapprocher de celles expenmen
tees puis mises au point par les dadaïstes et
les surréalistes, la troupe qui réunit une
dizaine de personnes autour de Jean Chris
tophe Meurisse, metteur en scene et «arbi
tre», comme il se définit lui même (hre
page a contre), a surpris par sa volonté de
se tenir hors du theâtre de texte Sans doute
pour plus de reactivite, de rapidité d'inter
vention dans les debats qui agitent le
monde et pas seulement celui de la cul
ture ou des intellectuels Partant d'une
page blanche comme les chorégraphes,
composant collectivement, maniant l'aléa
foire et l'improvisation, ils se sont imposes
par l'humour Ingénieux sur le plateau, bri
coleurs, utilisant le corps comme les mots,
ils dressent joyeusement des portraits de
nos contemporains, non pas pour s'en mo
quer avec la distance du jugement, maîs
L
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moins déjante Prélude a l'agonie de Sophie
Perez, presente voici peu au même endroit)
CAROTTE. ll serait vain de chercher a ra
conter cette Raclette de tous les exces, maîs
on peut juste dire que, dans son inventaire
a la pervers pas du tout pepere, elle etremt
un appel (façon ecole primaire) prétexte a
digression, un salut final intempestif (il
survient au hors d'oeuvre1), dudegueuks,
des clins d'œil a Dubillard ou Lassalle, une
carotte et un champignon géants en pelu
che, des bites et des foufounes en liberte
pas du tout surveillée, une plongee en ap
nee dans un saladier rempli de punch Plus
pas mal d'autres embardées dans ce theatre
qui veut ne surtout rien s'interdire, tout en
veillant a ne pas formuler n'importe quoi
pour autant, dans sa revendication d'un
«rire de survie» - comme on le dirait d'une
couverture- maniant l'absurde comme
une arme de destruction massive, qui
pourrait ponctuellement évoquer Rodrigo
Garcia, les Monty Python, voire la troupe
du Splendid d'antan
Toujours dans la même veine de l'écriture
automatique qui laisse la place au direct,
Regarde le lustre et articule est une moquerie
bien sentie de l'exercice d'improvisation
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Avec, chaque soir, un invite différent, dont
le comédien Pierre Maillet (que l'on a vu in
carner des personnages des plus comiques,
du fils de la Madone au boucher), l'exercice
de style devient en soi un spectacle avec des
entrées et des sorties rondement menées et
des élégants qui chassent Karl Marx Le tout
appuyé a la traditionnelle table de travail
avec, ici, lecture de pages blanches Nous
avons les machines est encore une agape,
cette fois cannibale, sur un rythme carna
valesque Du retour du loup en Alsace a la
fraternité dans le monde, les masques de
careme grimacent
Début avril (les 4 et 5), au festival Exit de
la MAC de Creteil, la meute reprendra aussi
un autre sommet Les danseurs ont apprécie
la qualite du parquet, leur premier objet ve
ritablement tout autant que faussement
chorégraphique Sur des tubes, le groupe
envoie tout valser, se balançant dans le Bo
lero de Ravel Bejart, adoptant les marches
somptueuses a la Pma Bausch et n'hésitant
pas a partouzer dans un ensemble qui avale
le corps de ballet Renversant •*•
FESTIVAL CHIENS DE NAVARRE
Theâtre du Rond Point 75OO8
Jusqu au 2 mars Rens OI 44 95 98 21
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DU SUCCÈS,
PAS D'ARGENT
Malgré son succès public, la compagnie
des Chiens de Navarre, qui tourne
beaucoup, a le plus grand mal à financer
ses créations Antoine Blesson, de
lassociation le Grand Gardon blanc, qui
accompagne la troupe en administration,
production et diffusion, explique
cette aberration «Compte tenu de
/'investissement de chacun des membres
du groupe, qui n'était payé que 72O euros
net par représentation, nous avons
décidé d'augmenter le cachet
à 2OO ou 250 euros, ce qui amoindrit
/es marges qui nous permettaient de
financer le prochain spectacle prévu en
février 2O75 // nous faudrait une douzaine
de coproducteurs et nous sommes lom du
compte, malgré nos fidèles partenaires
Nous avons réuni à peine plus d'un quart
du budget ll faut souligner que nous
ne sommes subventionnés que
ponctuellement et que nous avons dû
attendre décembre 2O73 pour obtenir
pour la première fois un avis favorable
de la Direction régionale des affaires
culturelles». M -C.V.
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Jean-Christophe Meurisse, fondateur et leader du groupe, en analyse la dynamique :
«Utiliser cette forme d'idiotie est
une manière d'exprimer nos colères»
ean-Christophe Meurisse, fondateur des Chiens de .Navarre et met
teur en scène, est content. Son film
fl est des nôtres, produit par Emmanuel
Chaumet, d'Ecce Films (qui produira
aussi son prochain long métrage), vient
d'être primé meilleur court métrage 2013 par le Syndicat français de la
critique (i). ll est tout aussi ravi que le
festival Chiens de Navarre, proposé au
Théâtre du Rond-Point, fasse le plein de
spectateurs et d'applaudissements.
Mais il ne cache pas son désappointement, puisque la compagnie vit essentiellement de l'argent des tournées et ne
parvient pas à boucler le budget pour
assurer une prochaine création.
Peut-on employer le mot de collectif
pour définir les Chiens de Navarre ?
Je n'ai rien contre et la presse l'utilise
souvent. Mais depuis neuf ans que nous
existons, je dirais plutôt une troupe,
une bande, dont je suis le metteur en
scène, le chef et l'arbitre quand on
s'engueule. On travaille de manière
collective, mais chacun des acteurs est
auteur, y compris pour la Société des
auteurs et compositeurs dramatiques.
Nous nous sommes rassemblés, il y a
J
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une affection, une amitié, une joie de
travailler ensemble. Je cherche l'unanimité secrète entre nous, même si chacun développe ses projets personnels.
La collectivité va-t-elle jusqu'au partage
à égalité?
L'utopie tient. Je n'ai pas à dire pour qui
je vote, j'essaie d'appliquer mes idées
politiques au quotidien. Chacun des
neuf membres de la troupe a la même
part dans le partage, je crois dans cette
égalité, que l'on soit metteur en scène,
acteur, scénographe. 85% du budget va
aux salaires, à l'humain. On ne met pas
l'argent dans des scénographies démesurées, par exemple. C'est comme ça
depuis le détat, un fondement. Nous ne
faisons pas du théâtre pour nous enrichir. En même temps, il y a une
énigme : malgré le succès, nous sommes
encore en mode de survie et rencontrons les plus grandes difficultés à produire nos spectacles (lire ci-dessous).
Qu'est-ce qui bloque?
C'est comme si nous étions exclus de la
mission du théâtre public. Peut-être
parce que nous ne travaillons pas à partir d'un texte, mais que nous avons une
écriture de plateau ? Nous créons des
émotions qui passent par le rire. Je suis
un grand amoureux des textes, mais il
peut exister un autre théâtre que littéraire. On nous nivelle par Ie bas. Nous
sommes des portraitistes de notre
société et on peut raconter le monde
d'aujourd'hui sans passer par un
auteur. On approche de la quarantaine
et on se sent délaissés par l'Etat, même
si l'Etat ne fait pas le théâtre. L'acteur
est l'ami des poètes, mais il est aussi le
poète. On peut dire la même chose en
remplaçant poète par bouffon.
Votre succès ne vous aide t il pas?
Non, étonnamment, on n'a jamais été
autant à l'agonie, au point de se poser
la question d'arrêter. Le ministère est
bienveillant à notre égard, il est certain
que nous renouvelons le public. Mais
il faudrait que cette bienveillance se
concrétise. Car je ne veux pas arrêter,
même si depuis le début on prend des
revers, et nous ne sommes pas les seuls.
J'aime trop le théâtre, le plateau, j'y suis
depuis l'âge de 20 ans.
Pourquoi ne postulez-vous pas à la
direction d'un centre dramatique
national?
Je ne tiens pas à prendre un lieu, ce
Eléments de recherche : THEATRE DU ROND-POINT : à Paris 8ème, toutes citations
n'est pas une solution. J'y ai pensé,
mais je ne me sens pas prêt à franchir le
pas politiquement. Je tiens à ce que l'on
soit désirés, à nos créations.
Le rire ne joue peut-être pas en votre
faveur...
Oui, il est complexe, difficile à manipuler. Nous faisons un théâtre du réel, un
théâtre miroir. On pleure de rire, j'aime
cette expression, même si je ne ris jamais dans les répétitions. Le rire est la
plus belle défense face aux tragédies qui
nous entourent. Utiliser cette forme
d'idiotie est une manière d'exprimer
nos colères, ou nos tristesses, ensemble.
On raconte notre perte avec le ridicule,
le pathétique, sans jugement, car personne n'est sauvé. Nous réagissons aux
montées de la haine qui soufflent un
courant d'air glacé dans le désastre
économique. Le rire est salvateur, une
catharsis qui permet d'expulser ce que
l'on ressent.
Recueilli par
MARIE-CHRISTINE VERNAY
(i) Le film avec, dans /e rols principal,
/e saxophoniste jazz Thomas c/e Pourquery
est projeté jusquau 2 mars à Paris,
au cinéma [e Balzac, aux séances de midi.