Islam et production des espaces urbains au Sénégal : les mosquées

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Islam et production des espaces urbains au Sénégal : les mosquées
Germivoire 4/2016
ISSN 2411-6750
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Islam et production des espaces urbains au Sénégal : les
mosquées dans la périphérie de Dakar (Keur Massar
extension)
Mamadou Bouna TIMERA, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar
Momar DIONGUE, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar
Pape SAKHO, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar
Aminata NIANG DIENE, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar
Abdoulaye DIAGNE, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar
Résumé
Cet article étudie le déploiement précoce de l’islam dans la périphérie de
Dakar, espaces en pleine mutation du fait de l’étalement urbain. L’analyse
s’appuie sur l’observation directe de terrain et des entretiens semi-directifs
auprès des populations. Il résulte que l’implantation des mosquées anticipe la
production de la ville sénégalaise en faisant preuve d’une capacité inédite
d’articulation de stratégies individuelles et collectives dans des logiques
théologiques, confrériques et économiques. Celles-ci s’inscrivent dans
plusieurs échelles et marquent symboliquement et physiquement les
paysages urbains, les pratiques et les représentations citadines. De plus, il
apparaît que l’urbanisation de la périphérie dakaroise s’accompagne de
l’émergence de nouveaux types des mosquées contrastant avec les modèles
jusque là connus.
Mots clés : islam, urbanisation, mosquées, Sénégal, confrérie, réformisme
Abstract
The article questions the earlier development of Islam in Dakar through
suburban changes. The analysis lies in field study and data collecting
interviews of population. It proves that the mosques in the area were settled
before town formation in Senegal using, by the way, newly fashioned
individual and collective strategies in discourses embroidered with theology,
brotherhood and business. These multifaceted discourses refer, symbolically
and physically, to urban settings, town practices and representations. In
addition, it is clear that Dakar suburb urbanization has witnessed the outburst
of new mosques whose design differs from the mosques known in the past.
Mamadou Bouna TIMERA, Momar DIONGUE, Pape SAKHO, Aminata NIANG DIENE et Abdoulaye DIAGNE: Islam et
production des espaces urbains au Sénégal : les mosquées dans la périphérie de Dakar (Keur Massar extension)
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Keywords: Islam – urbanization – mosques – Senegal – brotherhood –
reformism
Introduction
Quand ailleurs, il est question « de dilution ou d’aliénation du fait religieux »
(Racine et Walther 2003 : 193), les lieux de culte occupent une place centrale
dans le processus de création urbaine dans les pays du Sud à fortes
composantes musulmanes en général et du Sahel en particulier. Au Sénégal,
le phénomène est d’une grande ampleur dans les périphéries urbaines qui
sont marquées par de fortes dynamiques résidentielles liées à la mise en
œuvre de grands projets d’infrastructures (autoroute, aéroport) et à
l’épuisement des réserves foncières dans l’agglomération dakaroise
(Diongue, 2012 :70). Cette dynamique résidentielle donne à voir de vastes
lotissements publics et privés, espaces en mutation dans lesquels le bâti
prend quotidiennement forme mais reste encore très lâche. A contrario, les
lieux de culte, les écoles de confession religieuse constituent en effet des
éléments structurants du paysage. On peut observer la présence
d’imposantes mosquées tout comme les écoles coraniques et franco-arabes
se multiplient à un rythme élevé dans des espaces presque inhabités. Audelà des aspects paysagers, la toponymie, les graffitis et l’iconographie
renvoient à une importante symbolique religieuse. Tout laisse croire que le
religieux a pris pied sans que les lieux ne deviennent encore des espaces de
vie.
Cette étude s’intéresse à ce déploiement précoce du religieux dans
les espaces périphériques de Dakar. Ayant connu l’une des plus grandes
opérations d’aménagement et de viabilisation des parcelles d’habitation ces
dernières années, ces périphéries ont servi de baromètre pour documenter
l’enjeu des sens et de la signification de mosquées comme lieux pionniers et
premiers. Comment structurent-ils ces quartiers en construction ? De quelles
logiques découlent-ils ? Par ailleurs, les espaces occupés ou investis par le
religieux sont-ils dédiés ? Sont-ils plutôt des réappropriations ou des
reconversions foncières ? Quelles stratégies socio-spatiales en découlent ?
Si la ville n’existe pas encore en tant qu’espace de vie, il est difficile de lier ce
déploiement aux initiatives collectives de la cité en construction. Ce
déploiement résulterait-il alors de stratégies individuelles ? Est-il, au contraire,
la transposition des confrontations, des stratégies de conquêtes en œuvre à
d’autres échelles (échelle nationale, échelle de la métropole) et par d’autres
acteurs (groupes confessionnels, associations religieuses, confréries, etc.) ?
Mamadou Bouna TIMERA, Momar DIONGUE, Pape SAKHO, Aminata NIANG DIENE et Abdoulaye DIAGNE: Islam et
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Cet article qui essaie de répondre à ces questions porte ainsi sur les
manifestations spatiales du fait religieux dans les périphéries urbaines
(précocité, typologie et territorialisation). L’accent est mis sur l’analyse des
réseaux et des stratégies d’occupation de l’espace par le religieux et les
logiques qui les sous-tendent.
1. Terrain d’étude : la zone d’extension de Keur Massar
La zone d’extension de Keur Massar est un espace qui chevauche
quatre unités administratives : la commune du même nom et les communes
périphériques de Tivaoune Peul-Niague, Jaxaay-Parcelles-Niacoulrab et
Bambylor (Figure 1). Limitée au Nord par la décharge de Mbeubeus et au
Sud par l’autoroute à péage, elle constitue une frange, un entre-deux dont la
caractéristique principale est un fort processus d’occupation humaine et
d’urbanisation en cours.
Figure 1 : Zone d’étude de Keur Massar extension (Région de Dakar)
Du point de vue morphologique, la zone étudiée forme un couloir
longitudinal d’habitat lâche, enchâssé par deux unités paysagères bien
distinctes. La première, située à l’Ouest est constituée du village Lebou1 de
Keur Massar aujourd’hui entièrement urbanisé, avec un pôle nouveau de
201 653 habitants (RGPHA 2013) En effet, cette unité en développement sur
l’axe d’extension de l’agglomération dakaroise, est marquée par un tissu
dense autour de noyau en diffusion vers la périphérie. La deuxième unité, à
l’Est est un front d’urbanisation formé de noyaux villageois Peul et Lebou
longeant un axe nord-ouest-sud-est. Il s’agit de Tivaoune Peul, de Niacoulrab,
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de Medina Thioub, de Kounoune et de Keur Ndiaye Lô. Les terroirs qu’ils
couvrent étaient et restent le lieu d’intenses activités agricoles et la principale
source d’approvisionnement de Dakar en produits avicoles et maraichères.
Néanmoins, l’avancée du front d’urbanisation en fait d’importantes réserves
foncières et montre que ces villages sont en cours d’intégration dans le tissu
urbain de la métropole dakaroise.
2. Méthodes et outils
La méthode de recherche est qualitative et repose sur deux outils :
l’observation directe de terrain et les entretiens semi-directifs avec les leaders
de quartiers de la zone d’étude. Le travail de terrain s’est déroulé du 7 au 26
novembre 2015. L’observation directe
a permis de relever les formes
architecturales, les différentes empreintes du fait religieux (toponymes,
graffitis, monuments, etc.), les types de mosquées ; ce qui renseigne sur les
différenciations socio-spatiales et les identités religieuses. Nous avons pu
ainsi repérer les territoires du religieux du fait de la diversité des mosquées et
des appartenances religieuses supposées ou déclarées.
Les données de l’observation directe ont permis de diviser le terrain
en trois strates en combinant la densité d’occupation, la nature et les acteurs
des lotissements. Ce zonage a servi au choix des lieux de culte pour
l’enquête auprès des acteurs. C’est ainsi qu’au Nord, la zone 1, de moyenne
densité, est globalement aménagée par les collectivités locales et les
promoteurs privés. La zone 2 de forte densité, située au centre de la zone
d’étude, est exclusivement aménagée par l’Etat (principalement la SNHLM).
Au Sud, la zone 3, de faible densité, relève d’un aménagement mixte conduit
par l’Etat (ZAC), les collectivités locales et les promoteurs privés. La diversité
des acteurs de l’aménagement et les types de lotissement sont considérés
comme des facteurs discriminants, d’autant plus que différentes logiques et
normes de planification de lieux de cultes sont à l’œuvre, ce qui implique des
reconversions foncières et des territorialités variables et contrastées.
Les données cartographiques de l’Agence nationale de la
Statistique et de la Démographie (ANSD) nous ont permis de choisir un
échantillon de mosquées proportionnel au nombre de lieux de cultes des
zones ciblées. C’est ainsi que 27 mosquées sur les 61 recensées ont été
retenues par tirage aléatoire, soit 44%. La mosquée étant considérée comme
le lieu-référence des entretiens, cinq personnes-ressources ont été choisies
dans l’aire de polarisation supposée de chaque mosquée retenue, soit un
échantillon de 135 personnes. Il s’agit principalement de l’Imam, du Chef de
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quartier, d’un notable de quartier, d’une présidente de groupement féminin et
d’un président d’Association sportive et culturelle. Ces leaders de la ville en
construction, sont considérés comme les principaux acteurs et mémoires du
collectif urbain. Les entretiens ont porté sur leurs itinéraires, l’environnement
résidentiel, l’histoire de la mosquée, les modalités de sa construction, les
acteurs ou réseaux en œuvre pour son implantation, les modes de
financement, etc. Autrement dit, ils nous ont permis de restituer la chronologie
de l’habiter, d’identifier les acteurs, de reconstruire les réseaux et de mettre
en évidence les logiques et stratégies d’implantation.
3. Résultats
L’implantation des mosquées à Keur Massar extension révèle la
précocité du fait religieux dans la production urbaine. Elle met aussi en
évidence une typologie inédite qui renseigne sur les réseaux et les stratégies
des acteurs.
3.1. Une double précocité : dans le paysage et dans la naissance du
collectif urbain
A Keur Massar extension, sur les 61 mosquées recensées, la date
de mise en place est variable mais se situe globalement dans les années
2000. La plus ancienne mosquée date de 2002 mais 80% ont été créés entre
2009 et 2016, période pendant laquelle on a noté une forte extension des
périmètres urbains à la périphérie de Dakar. Outre leur nombre (figure 2), les
mosquées y apparaissent comme les premiers édifices humains dans un
espace non encore complètement humanisé.
Figure 2 : Implantation des mosquées à
Keur Massar
extension.
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Elles structurent la configuration du tissu urbain et son agencement. La
chronologie de l’habiter montre que plusieurs habitations leur sont
postérieures comme l’atteste ce témoignage du Chef de quartier de l’unité 32 :
« Je suis installé dans le quartier en août 2007, je fais partie des premiers
habitants, la mosquée était en construction à mon arrivée » (El.D.M., 51 ans).
Comparées à leur environnement immédiat, les mosquées apparaissent sous
des traits plus finis alors que l’habitat résidentiel est sommaire et inachevé et
le paysage presque rustre (Photos 1 et 2).
Source : Enquête de terrain des auteurs, 2015
Photo 1 : Mosquée de la cité Sips, dans la zone 1, financée par une ONG,
témoignant du caractère fini de l’édifice qui contraste avec son environnement
immédiat. Photo2 : Mosquée dans les parcelles assainies de Keur Massar
(zone 2) : au premier plan, le front d’urbanisation. Au second plan : présence
d’un réseau électrique qui montre le caractère régulier de l’occupation de
l’espace.
Les mosquées sont aussi des facteurs d’attractivité et d’animation
dans les périphéries urbaines. Les populations y voient la condition de leur
existence personnelle et collective. Le Chef de quartier de l’unité 03 des
Parcelles assainies (zone 2) estime qu’« en tant que musulman, on n’imagine
pas un quartier sans mosquée ». Il n’y a pas d’habitat sans mosquées et
celles-ci permettent aux habitants de se donner du sens, de remplir leurs
obligations religieuses et de vivre pleinement leur identité musulmane :
« Personnellement la mosquée est tout pour moi. C’est la meilleure référence
pour tout musulman. C’est pour cela que je m’investis corps et âme dans son
entretien et pour son avancement » (M. D., 37 ans, jeune du quartier Sir Yaye
Dior dans la zone 3). Même si pour beaucoup, le site de la mosquée et/ou
son implantation n’ont pas déterminé le choix de leurs parcelles et de leur
position dans le quartier, certains considèrent les mosquées comme une
condition de l’habiter. « Il y a des gens qui veulent habiter près de la
mosquée. Par exemple, je reçois souvent des propriétaires qui viennent
visiter leur terrain. La plupart d’entre eux me demandent s’il y a une mosquée
à côté et ils sont toujours heureux de savoir qu’il y en a une à côté » (Chef de
quartier, unité 3). Il est vrai que dans les parcelles aménagées par l’Etat
comme la SNHLM et la ZAC, l’attribution aléatoire ne donne pas au
propriétaire la possibilité de modifier la position de sa parcelle par rapport à la
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mosquée. Dans les aménagements privés, la mosquée fait partie des critères
déterminants de résidence et peut prédéfinir le lieu d’habitation : « J’ai visité
le site du quartier et en particulier de la mosquée avant de choisir ma maison
à Sir Yaye Dior » (M. D., 37 ans). Les promoteurs privés intègrent cette quête
effrénée d’un lieu d’habitation proche d’une mosquée dans leur stratégie
commerciale. Ils renchérissent les prix d’acquisition des parcelles d’habitation
situées autour de ces lieux de culte. De plus, pour rendre leur programme
immobilier plus attractif sur le plan commercial, ils n’hésitent pas à financer la
mosquée. Cette dernière apparait dans une certaine mesure comme un
élément discriminant dans les stratégies d’appropriations foncières
périurbaines.
Le caractère symbolique de la mosquée est aussi dans le désir des
habitants de vivre en communauté. Dans un espace en cours d’humanisation,
la naissance du collectif urbain apparaît comme une nécessité que les
mosquées contribuent à rendre possible. Ainsi, les mosquées sont avant tout
une idée, un projet qui fédèrent les premiers venus. « Ici au quartier Santa
Yalla, nous étions quarante-cinq familles à nous réunir pour décider du projet
de construction mais nous avons commencé à faire nos prières sur le lieu
bien avant celle-ci » (Imam T. S., 41 ans).
Les mosquées constituent les premières formes d’association et
d’organisation du collectif urbain. Grâce à elles, apparaissent dans les
quartiers les premières formes de solidarité et de concertation, préludes à la
constitution d’un véritable espace de vie. Elles sont les premières formes
d’organisation de la communauté urbaine mais aussi les premières
infrastructures qui offrent des services aux populations. Outre la pratique du
culte (prière, célébration des mariages, conservation de dépouille, etc.), les
mosquées jouent un rôle capital dans l’accès aux services sociaux de base
(eau, éducation coranique, lieux de réunions et de conférences, refuge) et
dans la gouvernance locale. Elles sont perçues pour beaucoup comme des
lieux de sollicitude et de solidarité pour les populations et particulièrement
pour les personnes vulnérables (personnes démunies, talibés3). En plus selon
les populations, les mosquées participent à la régulation et à la médiation
sociale.
«La mission de la mosquée va au-delà de la prière et de l’enseignement. La
mosquée est au cœur de toutes les activités qui visent le développement de
la localité. Nous œuvrons beaucoup dans le côté social aussi, nous sommes
l’objet de sollicitations nombreuses et diverses. Il nous arrive même de
prendre en charge financièrement les soins des malades démunis ou les frais
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de sépulture. Nous avons installé un robinet dans l’enceinte de la mosquée et
l’accès est gratuit pour tout le monde » (Imam A. F., 60 ans, cité Safco).
Les entretiens montrent que, quel que soit l’acteur et le type
d’aménagement, les mosquées sont prévues, voire construites dans la
plupart des cas sur des sites dédiés par l’Etat, la collectivité locale et les
promoteurs privés. Leur implantation répond ainsi aux normes d’emplacement
des infrastructures et services.
L’analyse a montré que la création des mosquées est
consubstantielle du projet de production de cet espace périurbain. Mais la
répartition des mosquées à Keur Massar extension dévoile une trame
légèrement différente des schémas planifiés. D’ailleurs, des mosquées se
trouvent dans des sites réservés à l’habitat résidentiel comme en témoignent
celles de Baye Niass, de l’unité 3 et de l’unité 16 des Parcelles assainies.
Elles sont aussi construites au détriment des espaces de loisirs, des
équipements socio-éducatifs et commerciaux. Les mosquées des unités 9 et
12 B sont
implantées sur des sites réservés à des espaces verts.
L’implantation des mosquées s’accompagnent de pratiques de reconversions
foncières qui sont observées aussi bien dans l'habitat planifié que dans les
quartiers irréguliers. Fréquentes dans les lotissements publics (5 sur 13
mosquées dans la zone 2), ces reconversions peuvent résulter de dons de
personnes privées ou d’une réaffectation autorisée par le planificateur
(SNHLM).
3.2. Typologie des mosquées
La précocité du religieux dans la production de l’espace périurbain
réside-elle dans la tradition musulmane ou relève-t-elle d’une logique de
compétition à l’intérieur de la sphère religieuse (entre les confréries d’une
part, et entre un islam soufi et un islam qui se veut réformateur d’autre part ?
La question reste ouverte. Déjà, la typologie des mosquées à Keur Massar
extension montre une diversité de situations qui renseigne sur les réseaux et
les stratégies d’occupation de l’espace. Si le terme mosquée est utilisé en
français pour désigner tout lieu construit pour le culte musulman, il est loin de
recouvrir toute la diversité et la complexité de la situation sur le terrain.
En effet, les mosquées se distinguent selon le gabarit, la fonction,
l’architecture et la filiation des fidèles. En fonction du gabarit, trois catégories
de mosquées se distinguent. Les mosquées construites à l’intérieur des
concessions, les petites mosquées appelées « Jaaka » des quartiers et les
grandes mosquées ou « Juuma » (photos 3 ; 4 et 5)
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Source : Enquête de terrain des auteurs, 2015
Photo 3: une « Jaaka » dans le quartier de Medina Gana Sarr (zone1)
reconnaissable par sa modeste dimension. Photo 4 : une « maisonmosquée » au quartier Sérigne Mansour Sy (zone 1) combinant résidence,
internat et mosquée. Photo 5 : une « Juuma » (grande mosquée) à l’unité 12
B (zone2) présentant une architecture plus complexe.
De superficie variable, les premières associent dans un bâtiment
d’une forme architecturale composée de la résidence, des lieux de prière et
d’enseignement. On les rencontre sous forme de mosquées-maisons dans le
milieu socio-ethnique Lebou au Sénégal. En effet, l’habitat Lebou est marqué
par l’aménagement des espaces de prières à l’intérieur des concessions.
Comme tout autre équipement ou service domestique, les mosquées
prolongent et servent la fonction résidentielle. Elles peuvent être des
éléments de confort ou d’intériorisation voire de privatisation du spirituel. Les
mosquées y sont aussi des patrimoines familiales qui apparaissent à la fois
comme un marqueur social du groupe et un signe de notoriété, de prestige
voire d’indépendance des individus. Si on observe le même dispositif spatial à
Keur Massar extension, les fonctions sont différentes. Les mosquées à
l’intérieur des concessions y sont généralement adoubées d’internats
éducatifs avec un enseignement coranique et islamique. Elles sont fréquentes
dans la zone et leur espace de prière est ouvert au public. Leur répartition
géographique forme non pas un continuum spatial comme c’est le cas en
milieu Lebou, mais une implantation ponctuelle et structurante de l’espace
urbain. On peut les considérer comme étant des maisons-mosquées dans la
mesure où la fonction résidentielle est cette fois-ci subordonnée aux
impératifs éducatifs et religieux voire financiers. Le fait qu’elles ne constituent
qu’un dortoir pour les élèves et la famille gérante dévoile le primat accordé à
la religion et à l’enseignement. Elles servent également de lieu d’hôtes pour
les membres du réseau à partir duquel la mosquée-maison s’inscrit surtout
dans un contexte marqué par l’effritement des réseaux de solidarités d’accueil
des nouveaux migrants en milieu urbain.
La deuxième catégorie de mosquées, le « Jaaka », est une bâtisse
de petites dimensions (moins de 150 m²), toujours surplombée d’un seul et
unique minaret. Ce sont des mosquées de proximité et de prières
quotidiennes à l’échelle du quartier. Qu’elles soient situées dans une zone
densément peuplée ou dans une zone à peuplement épars, elles restent des
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lieux de fortune que les premiers venus ont mis en place (première mosquée
de la Safco, mosquée Sips, Sir Yaye Dior entre autres). Elles ne sont donc
pas destinées a priori à la prière hebdomadaire du vendredi. On les trouve
donc dans tous les quartiers mais les exemples types restent les mosquées
de Médina Gana Sarr 1, de l’unité 14, de Sant Yalla, de l’APIX où seules les
prières quotidiennes y sont organisées.
La troisième est composée de mosquées dites « Juuma » appelées grandes
mosquées. Elles sont des lieux dédiés et leur superficie est généralement
supérieure à 150 m2. Elles se reconnaissent par leur architecture imposante,
et les minarets (deux au minimum) qui surplombent le dôme. L’une des
caractéristiques principales de la grande mosquée est de polariser de
nombreux fidèles pour la prière de vendredi. Elle peut servir de lieu de
célébration des deux « rakas4» des fêtes musulmanes, l’Aïd El Fitr (Korité) et
l’Aïd El Kebir (Tabaski).
Aujourd’hui ni la taille de la mosquée, ni la prière du vendredi ne
sont des critères suffisants pour distinguer « Jaaka » et « Juuma ». Dans bien
des « Jaaka » sont organisées les prières du vendredi. Ce choix est justifié
par l’argumentaire selon lequel, les préceptes autorisent la prière du vendredi
dans une petite mosquée quand le nombre de fidèles est égal ou supérieur à
13 personnes. Au moment de la prière, les fidèles formulent le vœu de faire
de la « Jaaka » une « Juuma». Cette polyvalence généralisée de la fonction
des mosquées renforce l’idée que celles-ci sont devenues des équipements
urbains et de services, engendrant ainsi des territoires diffus, non
hiérarchiques et non structurants. Ce mode d’inscription spatiale correspond
bien à ce que Manga (2011 : 5) appelle la « structuration territoriale par
modèle ponctuel ».
La toponymie des mosquées, le profil des fidèles et/ou les pratiques
cultuelles sont aussi des indicateurs pour les classer dans la zone d’étude.
Par rapport à la toponymie, « la Mosquée Serigne Mansour Sy », la
« Mosquée Baye Niass », la « Juuma mouride » relèvent d’une répartition et
d’une appartenance apparente des mosquées aux confréries. Le nom de
Serigne Mansour Sy évoque la Tijania de Tivaouane tandis que « Baye
Niass » est associé à la branche Niassène de la Tijania de Kaolack et le
terme mouride renvoie au Mouridisme5. Les pratiques cultuelles comme le
« Wazifa » des « Tijane6 » ou le « Tchant » (actions de grâce) sont très
prégnantes et peuvent aussi renseigner sur l’appartenance confrérique.
Mais qu’on la considère par la toponymie ou par les pratiques
cultuelles, cette répartition reste très approximative et souvent trompeuse. La
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mosquée Serigne Mansour n’est pourtant pas un lieu exclusif de la Tijania.
Dans la pratique, les fidèles qui la fréquentent sont désignés comme des
« Ibadourahmanes7». De même, la pratique du « Wazifa8» dans une
mosquée ne signifie pas une obédience exclusivement tijane. Il est vrai que la
filiation confrérique est très peu revendiquée sur le terrain au début du
peuplement. Elle ne semblait déterminant ni dans les agendas locaux, ni dans
le fonctionnement de l'organigramme des mosquées. Les mosquées
revendiquent leur universalité par rapport aux confréries et aux grands
courants islamiques.
Pourtant, dans certaines mosquées, cette universalité ne signifie
pas neutralité : les "ndiguel" (consignes ou recommandations du guide
religieux) sont repris et appliqués même s'ils peuvent provenir de toutes les
familles confrériques. De plus, certaines organisations ou jeux de
positionnements s’inscrivent dans une stratégie de contrôle confrérique de la
mosquée. « Heureusement ici dans notre quartier les mosquées n’ont pas de
filiation confrérique ni ethnique. Ce sont des mosquées fréquentées par tous
les musulmans. Mais j’ai constaté que l’une des mosquées (Modou Mbene)
tire plus vers le mouridisme parce que l’Imam est un mouride, le chef spirituel
l’est aussi et tous ceux qui suivent. » (Imam I.K., 65 ans). Dans ce sens, les
mosquées deviennent à la fois des repères spatiaux et des marqueurs des
identités sociales.
4. Discussion
Les résultats montrent que l’implantation des mosquées s’inscrit dans des
dynamiques territoriales dans les périphéries de la capitale sénégalaise. Elles
sont au cœur des stratégies d’occupation de l’espace. Si pour certains, ces
stratégies découlent d’une volonté de « vivre ensemble » et de « prier
ensemble », pour d’autres, les impératifs économiques et religieux sont plus
déterminants. Ce constat fournit des éléments de discussion, notamment sur
les logiques et stratégies de territorialisation dans l’espace urbain ainsi que
sur les enjeux en termes de diffusion des mouvements religieux dans la ville.
4.1. Les mosquées : une re-territorialisation de l’espace urbain
La ville arabo-musulmane est organisée et centrée jusqu’au 19e
siècle autour de la mosquée (Oleg, 2005). Au Sénégal, la ville religieuse se
structure à partir de la mosquée. La ville de Touba en est l’exemple
emblématique. A ce propos Cheikh Guèye (2002 : 362) a noté que « la réalité
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de la ville commence à partir de sa construction. C’est seulement à partir de
son existence que le tissu urbain a pu se donner une orientation, un principe
d’organisation, des structures ». Pour beaucoup d’observateurs, la mosquée
est le cœur et l’âme de l’espace musulman. Décrivant Médina Gonasse, le
village religieux devenu aujourd’hui lieu de pèlerinage connu au Sénégal,
Cheikh Ba (1964 :88) relevait que ce dernier « a aussi un cœur, formé par la
mosquée et l’ensemble des concessions entourant la maison de Cerno (guide
spirituel)». Dans la zone de Keur Massar extension, la mosquée reste
aujourd’hui un élément de (re)territorialisation. Elle reconfigure l’espace de vie
en pôles, en lieux de solidarité ou d’exclusion. La proximité ou l’éloignement
par rapport à une mosquée, le choix de la fréquenter ou non, le choix
consensuel d’un imam ou des membres d’un comité de gestion sont autant
d’éléments qui inscrivent dans l’espace de vie des limites et des frontières
mentales. « Il y a des personnes qui habitent le quartier mais qui préfèrent
aller prier dans d’autres mosquées comme il y en a qui laissent leurs
mosquées pour venir dans la nôtre » (Imam T.S., quartier Sant Yalla). Les
mosquées créent ainsi des territoires de fait et des territoires de pratiques
comme il apparaît dans les propos suivants : « Il y a des habitants de la cité
qui se lèvent tôt le matin pour aller vers d’autres mosquées parce que le Bilal9
qui détient les clés de la mosquée est un mouride et donc ne fait pas de
Wazifa, par conséquent la mosquée n’est pas ouverte » (C.S.D, 61 ans, chef
de quartier Safco).
4.2. Réseaux et stratégies d’occupation de l’espace des mosquées
Schématiquement les mosquées-maisons résultent de stratégies
individuelles. Les petites mosquées ou « Jaaka » sont toujours l’initiative des
collectifs des résidents et que les grandes mosquées ou « Juuma » sont
l’œuvre des interventions externes. Mais la mise en place des mosquées est
bien plus complexe qu’elle n’apparaît dans ce schéma. Les individus, les
collectifs de résidents et les acteurs externes (ONG) se mettent souvent en
réseau pour créer le religieux dans l’espace urbain. Ils y agissent cependant
sur des registres différents. Les logiques économiques et religieuses des
individus, migrants de retour, contrastent avec la volonté affichée des
collectifs de résidents de créer une communauté urbaine. Les stratégies des
confréries et du mouvement wahhabite développées en vue de créer de
nouveaux espaces du religieux dans la périphérie en écho à leur déploiement
concurrentiel au niveau national peuvent être aussi distinguées.
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4.2.1. Des migrants de retour : au service de logiques économiques et
religieuses
Si les mosquées-maisons Lebou sont les signes des rapports sociaux et des
constructions patrimoniales, les maisons-mosquées de Keur Massar
extension relèvent des stratégies d’appropriation et d’occupation spatiale
associant la logique économique voire prosélytiste et les fondements
strictement religieux. Ces stratégies sont à l’œuvre depuis les années 30
(Piga, 2002 : 213) et résultent d’un processus de diffusion d’un islam
réformiste dont les étudiants africains des universités maghrébines et arabes
des années 70 constituent les principaux vecteurs. Formés pour la plupart
dans les pays arabes et en Afrique du Nord, les responsables de ces
maisons-mosquées sont en général des migrants de retour qui cherchent à
exploiter les opportunités économiques et financières d’une demande de plus
en plus forte en éducation arabe et islamique. De plus, par leur réseau et
proximité avec ces pays, ils sont aussi les points d’appui d’une islamisation
réformiste (groupe ibadourahmane, et wahhabisme) dans les nouveaux
espaces urbains. Le fait que ces mosquées soient presque toujours issues
d’une reconversion foncière traduit en partie qu’elles participent bien à la
stratégie d’implantation et de diffusion du religieux dans la ville. En réalité
certains initiateurs s’appuient sur deux réseaux : le réseau des pays arabes et
maghrébins pour le financement de la construction des infrastructures et le
réseau migratoire pour l’exploitation lucrative. En effet, parmi les
pensionnaires des internats on peut compter des enfants de ressortissants
sénégalais à l’étranger (France, Etats-Unis, Espagne, etc.). Ces complexes
socio-éducatifs assurent aux jeunes en mal d’intégration dans ces espaces
migratoires une éducation religieuse et une socialisation plus conformes aux
attentes des parents moyennant une contrepartie financière au projet.
Il apparaît donc que la construction des maisons-mosquées relève de
stratégies individuelles mais s'inscrivent paradoxalement dans des réseaux
externes (diaspora, pays arabes) et des logiques économiques voire
prosélytistes et strictement religieuses (promotion d'un islam nouveau). Le
fonctionnement de ce type de mosquées est étroitement lié à la migration.
4.2.2. La mosquée, fondement du collectif urbain
« Prier ensemble », « vivre ensemble », tels semblent être pour les
résidents les conditions et les fondements de la production d’une urbanité au
sens de l’ensemble des pratiques et manières d’être dans la ville. Les
mosquées apparaissent sous ce rapport comme des lieux-moments de
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réalisation du collectif. C’est pourquoi la mise en place des premières
mosquées de quartier, généralement les petites, résulte souvent de l’initiative
des résidents. Ceux-ci peuvent être des individus. Dans ce cas, ce sont
généralement des imams ou des membres des familles maraboutiques et
confrériques qui récréent les situations vécues dans un ailleurs. « Le projet de
mosquée vient de mon père qui a fait des démarches pour obtenir un terrain
chez le promoteur. Mon père était imam dans notre ancien quartier. Lorsqu’on
a aménagé ici il tenait à avoir une mosquée de proximité. Il s’est beaucoup
investi pour que le quartier ait sa propre mosquée » (R.D, 41 ans, Présidente
GPF, quartier Darou Rahmane). Les résidents peuvent servir d’intermédiaires
entre les populations et les organisations non gouvernementales qui prennent
en charge le financement de l’infrastructure. Dans le quartier de Médinatoul
Mounawara, « l’initiative de la construction de la mosquée émane d’un
résident du quartier qui a fait les démarches pour mettre en contact les
populations et l’ONG qui a accepté de construire la mosquée » (A.D., 75 ans,
notable). Ils peuvent être des bienfaiteurs qui ne résident point mais qui ont
des attaches dans le quartier. « La mosquée a été construite par une bonne
volonté ; c’est un parent à moi, il habite à Saint-Louis mais il est souvent en
voyage dans les pays arabes » (E.M., 36 ans, Présidente GPF, cité
Gendarmerie). Les bienfaiteurs peuvent demander une contrepartie en
termes de prise en charge des manœuvres ou de participation aux travaux de
construction.
L’initiative peut venir d’un collectif résidentiel même si ce dernier est
en cours de constitution compte tenu de la faiblesse du peuplement.
« Avant que l’on ne construise la mosquée, nous faisions nos
prières dans la cour de ma maison. Le projet de construction nous est venu
dans une discussion entre habitants. Nous disposions déjà d’un espace pour
la mosquée et nous avions senti le besoin de se rassembler pour la prière en
tant que musulmans du même quartier. C’est comme ça que l’on a
commencé à se cotiser 1000 francs CFA par mois par famille en vue de
construire au moins un petit abri pour y faire nos prières » (M. N, 66 ans, Chef
de quartier, Darou Salam).
La constitution du collectif urbain à travers « le prier ensemble » et
« le vivre ensemble » s’accompagne souvent d’une stratégie de sécurisation
et d’appropriation foncières. L’appropriation ne pouvant se concevoir sans
marquage (Veschambre, 2004 : 73), les formes de préservation vont d’une
simple mise en place de blocs de pierres ou de bornes sur les limites des
sites dédiés à la construction d’un abri provisoire. Dans certains quartiers, les
populations ont utilisé des blocs de pierre pour délimiter l’espace de prière.
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Selon l’Iman de Sant Yalla « seuls 80 m² de la superficie ont été construits
pour servir de lieu provisoire de prière et en même temps de signe
d’appropriation de l’espace dédié à la mosquée ». Dans d’autres comme à
l’unité 9, des abris provisoires sont aménagés.
Dans tous les cas, il y a comme une chaîne d’acteurs qui se
constitue pour la mise en place des mosquées. Le résident, le bienfaiteur ou
l’ONG, le collectif. Mais cette chaîne n’est pas toujours permanente ; des
populations peuvent refuser toute participation qu’elle vienne des privés ou
des ONG. Il y a des formes de résistances locales au processus d’expansion
de mosquées qui soient des lieux points d’appui d’une islamisation réformiste
ou des manifestations spatiales des réseaux de financements disséminés par
des ONG de pays du Golfe. La figure de l’imam comme autorité morale du
quartier est dans ce cas contestée surtout s’il est imposé par le bailleur. « La
mosquée du quartier à un imam. Mais le quartier n’a pas encore son imam »
(M. T., 53 ans notable, quartier Firdawsi).
4.2.3. Les réseaux confrériques et réformistes : deux courants dans une
logique concurrentielle de création d’urbanités.
Les stratégies spatiales déployées par différents groupes ou
réseaux religieux dans la localisation de leurs lieux de culte en ville ont été
documentées par plusieurs auteurs (Gagnon et Germain, 2002 ; Dorier-Aprill,
2006 ; Pourtier, 2006). De même, la ville est un moyen de promotion des
leaders religieux et de démarcation des identités confrériques (Samson,
2006:4 ; Sow, 2007 :153). L’action de ces groupes ou réseaux est bien
perceptible à Keur Massar extension. « La personne qui a financé la
construction a préféré garder l’anonymat. Il parait que c’est un Ibadou10. En
effet ce sont ces mêmes personnes qui ont construit la plupart des mosquées
dans cette zone. D’ailleurs si vous regardez bien c’est partout le même plan
de construction » (Chef de quartier, Safco). Ce témoignage et bien d’autres
confirment l’idée que l’islam sénégalais a produit dans les villes un
arrangement et une sémiotique spatiaux et révèle l’importance des réseaux
en œuvre dans cette production du religieux. Même si pour le cas des
confréries hormis les Mourides, on fait rarement mention au ndiguel dans la
mise en place des mosquées, les individus restent consciemment ou nom au
service de leurs confréries. Ils participent à travers leurs modes opératoires à
forger et à perpétuer une identité confrérique. Les propos de l’Imam de l’unité
16 entrent bien dans ce cadre : « J’ai crée la mosquée. En effet, je suis le
petit fils d’El hadji Malick11 » (Imam M.K., 55 ans). L’exemple de la mosquée
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de l’unité 3 est aussi significatif. Un fidèle mouride a donné le terrain, a
construit la mosquée et installé l’imam qui se trouve être mouride. Pour la
mosquée de Médinatoul Mounawara, le surnom de « Juuma niassène »
s’explique. « Ce nom fait référence à notre confrérie. Nous sommes des
Niassènes et les habitants utilisent cette référence pour indiquer aux
étrangers notre communauté » (A.D., 75 ans, notable).
Mais outre les mosquées, la toponymie des lieux d’implantation tout
azimut de daara ou internats sont des signes d’une urbanité empreinte du
religieux, en gestation dans la périphérie de Dakar. La toponymie religieuse
est d’ailleurs une des marques les plus importantes qui accompagnent la
production urbaine. Les arrêts de bus comme les quartiers sont presque
toujours nommés en référence à la religion musulmane. Les inscriptions
murales sont aussi fréquentes sur les façades de résidences, sur des clôtures
de lieux publics ou privés. L’inscription « Bamba fepp », littéralement
« Bamba est partout », que Serigne Modou Kara12 a inventée en est une
illustration. Devenue un graffiti, inscrit sur la plupart des murs des quartiers,
cette notion est aujourd’hui le symbole d’un mouridisme expansif et
conquérant. Qu’elle indique des territoires mourides ou supposés, elle reste
une inscription qui frappe les esprits et reconfigure l’imaginaire religieux et
social en le centrant sur une sémantique confrérique.
Conclusion
Cet article a apporté deux résultats majeurs relatifs à la contribution
du religieux dans la production de l’espace et des territorialités dans les
périphéries urbaines dakaroises. Le premier a montré la primauté de la
symbolique du lieu de culte dans la production de l’espace. En effet,
l’implantation des mosquées à partir de l’exemple de Keur Massar extension
anticipe la production
de la ville sénégalaise en faisant preuve d’une
capacité inédite d’articulation de stratégies individuelles et collectives dans
des logiques théologiques, confrériques et économiques. Celles-ci
s’inscrivent d’ailleurs dans plusieurs échelles marquant symboliquement et
physiquement les paysages urbains, les pratiques et les représentations
citadines. Cette anticipation permet de produire des services qui occupent
une place importante dans la fabrique des lieux, des identités et territorialités
dans la ville émergente. Ce qui n’est pas nouveau.
Le second résultat est par contre inédit car il remet en cause les
schémas classiques de lecture des types et des catégories de lieux de culte.
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En effet, l’urbanisation de la périphérie dakaroise s’accompagne de
l’émergence de nouvelles formes typologiques des lieux de culte : les
mosquées confrériques cohabitent désormais avec les maisons-mosquées
des courants ibadourahmane et wahhabite ainsi que celles sans filiation
parce que se disant plus universalistes. Ce changement est-il lié au profil
socioéconomique et culturel des résidents des périphéries urbaines ? Est-ce
qu’il préfigure de nouveaux rapports à l’islam confrérique ? Est-ce dû à la
poussée de l’islam réformiste ? Cette remise en cause des schémas
classiques de lecture des types et catégories de lieux de culte est un axe de
recherche qui mérite d’être approfondi dans d’autres périphéries urbaines de
villes sénégalaises et ouest africaines.
Cette étude est ainsi le prélude d’un programme de recherche sur
les territoires du religieux en Afrique de l’Ouest. Ce sera l’occasion
d’approfondir certaines questions évoquées ci-dessus ou non. Il s’agit entre
autres des réseaux migratoires et financiers autour des lieux de culte et leurs
pouvoirs d’influence sur les stratégies d’occupation et de contrôle de l’espace
urbain. Les modes d’opération des réseaux de financement des lieux de culte
qui participent à la promotion de figures et/ou d’une idéologie religieuse, de
même que les pratiques de courtage qu’ils développent méritent d’être mieux
documentés. D’autant plus que l’essentiel des financements vient de
l’extérieur dans le cadre d’une coopération bailleurs-ONG et entrepreneurs
locaux. Autour des lieux de culte se greffent en réalité de nouvelles formes de
circulation d’individus, de valeurs, de savoirs, d’idéologies et de biens qui
s’écartent des canaux habituels des migrations internes et internationales.
Ces perspectives devraient, de fait, conduire à l’élaboration et à
l’approfondissement d’une production de cartographie dynamique du religieux
et des mosquées dans la re-territorialisation des espaces urbains et des
facteurs qui les sous-tendent.
Bibliographie
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3. Diongue M., 2012, «Les périphéries rurales et la métropolisation :
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6. Gueye C., 2002, Touba, la capitale des Mourides, ENDA-Karthala-IRD,
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7. Piga A., 2002, Dakar et les ordres soufis : processus socioculturels et
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10. Pourtier R., 2002, « Les territoires des religions en Afrique : enjeux et
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Saint-des-Vosges,
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11. Racine J-B. Et Walther O., 2003, « Géographie et religions : une
approche territoriale du religieux et du sacré », L’information
géographique, n° 3, pp. 193-221.
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12. Samson F., 2006. « Identités islamiques dakaroises. », Autrepart, 3/
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13. Sow O., 2007, « Territorialisations concurrentes dans les villes religieuses
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14. Veschambre V., 2004, « Appropriation et marquage symbolique de
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