DC 20-01-2010 Olivier Prat

Transcription

DC 20-01-2010 Olivier Prat
Colloque Démocratie Chrétienne – 20 janvier 2010 – Institut Marc Sangnier
Transcription de l’intervention d’Olivier PRAT, docteur en histoire, conseiller municipal à Sartrouville,
auteur de la thèse « Marc Sangnier et la paix : Bierville et les congrès démocratiques »
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LES GRANDS DÉFIS POLITIQUES RELEVÉS PAR LES CHRÉTIENS DEPUIS 1815
– Catholicisme social et démocratie chrétienne –
Il est souvent pratique, quand on étudie les grandes familles d’idée, de distinguer, à côté du courant libéral, du
courant socialiste, le courant démocrate chrétien. L’inconvénient de la chose c’est que l’on met derrière ce
concept de démocratie chrétienne beaucoup de personnes, beaucoup d’idées, sans nécessairement définir les
mots. C’est pourquoi je salue l’intuition d’André qui a choisi ce titre judicieux : « les grands défis politiques relevés
par les Chrétiens depuis 1815. » En effet les termes de catholicisme libéral, de catholicisme social, de démocratie
chrétienne, que je vais évoquer devant vous et que je vais expliquer ne se sont pas créés par idéologie, ne sont
pas le fruit du cerveau d’un grand penseur mais se sont appliqués à des engagements, à des hommes. Nous allons
donc voir quels sont ces engagements, quels sont ces hommes à travers les défis qu’ils ont dû relever depuis deux
siècles.
Par facilité rhétorique, nous centrerons notre première partie autour du thème de la liberté, notre deuxième
partie autour de la question de la république et enfin la troisième autour du thème de la sécularisation ou de la
déconfessionnalisation. Ces trois parties ne seront pas tout à fait égales pour la raison suivante : en 1965 Ernest
Pezet, un grand démocrate chrétien, écrit : « Chrétiens au service de la cité ». Pourquoi ? Parce que les jeunes
militants du MRP - qui existe encore - ignorent tout de leur passé. De même, il me semble judicieux d’insister
davantage sur ce qui est le plus loin donc le plus ignoré et peut-être de passer plus vite sur le présent, d’autant
plus que je parle ici en historien et non pas en journaliste ni en homme politique.
Le point de départ est ce que j’évoquais un peu avec ces drapeaux : c’est la Révolution Française. Il n’y aurait
pas de démocratie chrétienne s’il n’y avait pas de Révolution Française. Pourquoi ? Parce que la Révolution
Française introduit une rupture. Avant la Révolution Française il y a une foi, un roi, une loi et finalement l’ordre
politique, l’ordre social sont organisés, même si ce n’est pas sans conflit, sans contestations, autour des principes
de l’Église, des enseignements de l’Église. La Révolution Française introduit une rupture, avec la proposition d’un
autre modèle. Après la période de la République et de l’Empire, au moment où les Bourbons reviennent sur le
trône de France, se pose la question de reconstruire la Chrétienté. Parmi les premiers à se poser cette question,
un jeune prêtre, Félicité de Lamennais, reçoit un véritable triomphe en écrivant un essai sur l’Indifférence en
matière de religion en 1817, ouvrage à cause duquel on le compare à un nouveau Pascal.
Lamennais, qui est le point de départ du catholicisme libéral, du catholicisme social, est pourtant, en 1817, à la
fois un catholique intransigeant, un contre-révolutionnaire et un légitimiste. Il considère que pour reconstruire la
France chrétienne, il faut rétablir l’ordre ancien. Mais Lamennais est observateur du monde qui l’entoure et il
constate deux choses : d’une part la politique des Bourbons finalement ne lui convient pas notamment parce que
les articles organiques du concordat permettent à l’État de contrôler l’Église et ne donnent pas à l’Église la liberté
de communiquer avec Rome. Par ailleurs il lui semble que les Bourbons sont enfermés dans le passé alors que des
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dynamiques vont de l’avant, comme la dynamique de la liberté. Donc Lamennais évolue et se dit que les
Bourbons vont être renversés, qu’il y a cette dynamique de la liberté et qu’il faut chercher les convergences entre
Christianisme et liberté. C’est à ce moment-là que naît le catholicisme libéral. Ce catholicisme libéral se développe
nettement après la révolution de Juillet 1830 avec la création du journal l’Avenir qui est le grand journal des
Catholiques libéraux autour de Lamennais, avec des hommes comme Lacordaire, Gerbet, Montalembert et
Charles de Coux.
Ces hommes défendent les libertés politiques parce qu’ils veulent défendre les libertés de l’Église. Donc pour
défendre l’Église ils en viennent à défendre la liberté d’expression, la liberté de conscience, mais cet engagement
se fait dans un contexte où l’Église est très conservatrice. Il faut avoir à l’esprit que le pape Pie VI est mort en exil
à Valence, déporté par les troupes de la Révolution, que le pape Pie VII a été enfermé à Fontainebleau par
Napoléon Ier. Il y a l’agitation en Italie où la Charbonnerie notamment qui est en faveur de l’unité attaque l’Église.
On comprend donc que le pape ne soit pas très ouvert à ces questions et Grégoire XVI, qui est le pape régnant,
accueille assez mal les initiatives de l’Avenir. Il donne deux coups d’arrêt avec une première encyclique, Mirari Vos
en 1832 et une seconde qui est beaucoup plus dirigée contre Lamennais, en 1834 : Singulari Vos. Ces encycliques
ont pour effet de couper Lamennais de l’Église. Il est le seul à se couper. Ses disciples continuent à s’engager et on
les retrouve sous la Deuxième république, Deuxième république qui met en valeur un second aspect concomitant
du premier : le catholicisme social.
En effet, à la Révolution Française s’ajoute la révolution industrielle. La charité traditionnelle, les structures de
solidarité mises en place essentiellement par l’Église depuis des siècles ne suffisent plus ; elles ne permettent pas
de répondre à cette nouveauté qu’est la question ouvrière. Aussi des Catholiques vont s’en préoccuper. Il est
intéressant de souligner deux points. Le premier, c’est que ces Catholiques s’y intéressent très tôt : ils s’y
intéressent dès 1829 avec Alban de Villeneuve-Bargemont, un légitimiste, préfet du Nord qui, en 1834, publie
Économie politique chrétienne. Charles de Coux, qui est un proche de Lamennais, développe pour sa part les
premières réflexions du catholicisme social dans l’Avenir dès 1830. Soulignons qu’ils sont contemporains du
Socialisme utopique d’un Fourier, qu’ils arrivent peu après Saint-Simon – ce dernier est mort en 1825 - ; le
Père Enfantin qui lance le saint-simonisme agit aussi dans les années 1830, ce qui est très antérieur au Manifeste
du Parti communiste de Marx qui n’est que de 1848. Donc le catholicisme social n’est pas quelque chose qui a été
inventé tardivement par les Chrétiens : ils ne sont pas à la traîne, au contraire ils sont parmi les premiers à
s’intéresser à la question sociale.
Seconde observation : si l’on considère la géographie politique de l’époque, le catholicisme social naît à
l’extrême droite, chez les légitimistes. Il ne naît pas chez les libéraux. Au contraire, il prend les libéraux à revers si
j’ose dire parce que ces légitimistes sont attachés à un ordre ancien qui les a sensibilisés à la détresse ouvrière
parce que qu’ils sont les héritiers d’un organicisme social. Aussi critiquent-ils cette société libérale qui fait de
l’ouvrier la chose du patron. Parmi les thématiques qu’ils développent dès 1830, il y a celle de l’intervention de
l’État et l’idée de recréer des structures que l’on peut dire « corporatistes », pour permettre à l’ouvrier d’être
protégé de son patron. Ici, il faut citer bien sûr le nom d’Ozanam avec ses conférences Saint-Vincent-de-Paul, qui
ne sont pas une simple resucée de l’ancienne charité mais un moyen de mettre les élites au contact de la réalité
ouvrière, au contact de la misère sociale. Mais Ozanam lui-même, qui est un enseignant, dans ses cours de droit
du commerce à Lyon, répercute les idées de Charles de Coux (idées de corporation, d’intervention de l’État dans
l’économie de manière à ce que l’ouvrier ne soit pas un exploité).
Ozanam s’engage aussi nettement au moment de la révolution de 1848 qui occupe une place centrale dans la
mythologie des Catholiques sociaux. Pourquoi ? Parce que 1848, de février à juin, c’est la lune de miel entre
l’Église et la République. Les prêtres se mettent en tête des colonnes qui vont voter au chef de canton, au
moment où le suffrage universel est inventé et bénissent les arbres de la liberté. Contrairement à 1830, la
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révolution ne s’en est pas pris, à Paris, aux symboles religieux. C’est dans ce contexte que naît la première
démocratie chrétienne, autour d’un autre journal, l’Ère Nouvelle, lancé par Lacordaire, Ozanam, et l’abbé Maret
qui est comme l’Avenir une plateforme où se côtoient le catholicisme social et le catholicisme libéral. De plus, les
catholiques ont des élus de premier plan : la première assemblée élue au suffrage universel est présidée par un
catholique social, Buchez, qui vient du socialisme utopique ; Lacordaire est député ; Montalembert aussi ; un
Falloux est aussi issu de cette matrice ; un Tocqueville en est très proche. Ceci explique le mythe de 48 qui
perdure pour les générations suivantes.
Le tableau est toutefois à nuancer. D’une part, il faut malgré tout mettre quelques bémols car 1848 est
beaucoup plus anticléricale que 1830 en province. D’autre part, ce mythe repose sur une réalité historique
extrêmement courte : la lune de miel entre l’Église et la République ne dure que quelques mois, jusqu’au mois de
juin. Les journées de juin 48, journées d’une seconde révolution, populaire cette fois, écrasées dans le sang par le
général Cavaignac raniment la peur des rouges, la peur d’un nouveau 93, la peur d’un retour de la Terreur, la peur
des « partageux » qui jette la très grande masse des catholiques dans les bras du « parti de l’ordre. » Et après
avoir soutenu Cavaignac, ces catholiques soutiennent Louis-Napoléon Bonaparte… y compris un catholique libéral
comme Montalembert.
Le raidissement est aussi doctrinal : en 1864, il y a le fameux Syllabus du pape Pie IX. Je ne reviens pas sur ce
que je vous ai dit au niveau du contexte de l’Église. Je préciserai simplement que quand Pie IX est élu Metternich,
l’homme qui a fait le congrès de Vienne, dit : « J’avais tout prévu sauf un pape libéral ». Pie IX fait l’essai d’un
gouvernement représentatif à Rome, moyennant quoi en 1848 il est renversé par Mazzini qui met en place une
république romaine. Pie IX est donc échaudé et finalement il fait marche arrière et le Syllabus est un catalogue de
propositions condamnées parmi lesquelles on peut lire : « Le pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger
avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne ». C’est donc une condamnation du catholicisme libéral
qui ne disparaît pas complètement - un Augustin Cochin au début du XXème siècle en est héritier - mais qui passe
complètement au second plan.
Après la période de l’Empire, Sedan, le 2 septembre 1870, provoque la proclamation de la République par
Gambetta le 4 septembre puis la mise en place de ce qu’on appelle « la République des ducs », c’est-à-dire une
république d’opportunité : on a choisi la république faute de mieux mais la majorité de la chambre, 400 députés les deux tiers de l’assemblée - sont soit légitimistes soit orléanistes. Ce moment de la chute de l’Empire est
l’occasion pour deux hommes extrêmement importants de faire une prise de conscience. Il s’agit de René de La
Tour du Pin et d’Albert de Mun. Ces deux officiers des armées françaises ont été capturés au moment de la
défaite, sont en prison et là, vont avoir le temps de lire. Ils vont lire notamment un catholique social français
Émile Keller, député d’Alsace et puis surtout, surtout, le grand évêque, grande figure du catholicisme social du
Haut-Rhin : Mgr Ketteler, archevêque de Mayence. Peu après leur libération éclate la Commune. C’est l’occasion
pour Albert de Mun de mesurer le fossé qui sépare le monde ouvrier de cette bourgeoisie libérale qui domine la
France. Il veut combler le fossé, toujours avec le souci, qui était celui de Lamennais au départ, qu’il ne faut pas
perdre de vue, de reconstruire une France chrétienne.
Albert de Mun donne un nouveau souffle au catholicisme social, Armand de Melun, disciple de Sœur Rosalie
Rendu et survivant de la génération de 1848 servant de passeur. Dans son sillage, Albert de Mun fonde les Cercles
ouvriers. Ces Cercles ont pour but de former les jeunes ouvriers et d’agir en faveur de la promotion sociale du
peuple. Mais Albert de Mun étant issu de la matrice légitimiste et donc formé dans une conception extrêmement
hiérarchisée de la société donne aux Cercles ouvriers une dimension nettement paternaliste : les élites sociales
comme des frères aînés doivent aider les jeunes ouvriers des classes populaires. C’est fait dans un esprit généreux
mais on est dans une logique traditionaliste, voire réactionnaire. Cette logique marque aussi la jeune ACJF.
L’Association Catholique de la Jeunesse Française naît sous l’inspiration, l’influence, le patronage d’Albert de Mun
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en 1886. Je ne vais pas m’y étendre parce que nous ne sommes pas tout-à-fait dans le politique mais en même
temps elle est importante car beaucoup des cadres des futurs partis démocrates chrétiens sont issus de cette
ACJF. L’ACJF, dans les vingt premières années de son existence reste aussi dans cette optique paternaliste jusqu’à
ce qu’Henri Bazire, qui la dirige de 1899 à 1904, appelle à « mêler les rangs. »
Tout différent est l’esprit de la démocratie chrétienne. Celle-ci naît aussi dans le contexte de l’enracinement
de la République, qui est celui des années 1890. Pendant les années 1880, un élu comme Albert de Mun porte les
couleurs légitimistes et s’échine à combattre les lois anticléricales : la loi sur le divorce de 1884, la suppression des
prières publiques, les lois scolaires de Jules Ferry. Il défend aussi des lois sociales - par exemple la loi Waldeck
Rousseau qui crée les syndicats, et prône la mise en place de caisses d’entraide. Mais il rêve surtout d’un grand
parti catholique. Or Léon XIII craint que cette initiative n’excite davantage l’anticléricalisme. C’est pour cela qu’il
incite le Cardinal Lavigerie à porter un toast en faveur de la République - le toast d’Alger du 12 novembre 1890, et
que par l’encyclique du 16 février 1892, Au milieu des sollicitudes, il invite les catholiques à accepter la
République. Cela ne se fait pas facilement : l’orléaniste Jacques Piou fonde l’Action libérale populaire que rejoint
Albert de Mun mais Keller et La Tour du Pin restent monarchistes. Mais en entrant loyalement dans la
République, les catholiques français ont pour but de la « christianiser. » Ils peuvent s’appuyer pour cela sur
l’encyclique de Léon XIII parue en 1891 : Rerum Novarum. Ce texte n’invente pas le catholicisme social mais le
pape reprend à son compte des aspirations et des initiatives qui existaient avant lui, notamment légitime
l’existence de syndicats indépendants et l’intervention de l’État dans l’économie.
C’est sur cette double base que se crée ce qui s’est appelé la « Démocratie Chrétienne », terme inventé par
l’abbé Six, qui est un abbé démocrate, avec l’abbé Gayraud, avec l’abbé Lemire. Ces jeunes abbés, qui sont
souvent le relais des Croix locales, s’engagent en politique et créent un parti avec des ouvriers et avec un
personnage très important du catholicisme social, grande figure laïque de la démocratie chrétienne : Léon
Harmel. Comme Albert de Mun, celui-ci a aussi mis en place des cercles ouvriers mais dans une perspective non
paternaliste, dans une perspective beaucoup plus égalitaire marquée par l’esprit franciscain ; ainsi, les ouvriers
co-dirigent avec lui sa filature du Val-des-Bois et gèrent eux mêmes les caisses de secours mutuel qu’il y a
établies. Ce parti des abbés démocrates, cette démocratie chrétienne est un échec : elle est laminée aux élections
de 1898, ce qui entraîne l’encyclique Graves de communi de 1901 où le pape vide le terme « Démocratie
Chrétienne » de toute acception politique et la définit comme une « bienfaisante action chrétienne parmi le
peuple. » Cela explique pourquoi en France il n’y a pas eu de parti confessionnel. Entre la très grande prudence
face aux initiatives d’Albert de Mun et l’échec de la démocratie chrétienne, les catholiques se placent sur le
terrain non confessionnel, surtout après la « condamnation » du Sillon de Marc Sangnier.
Marc Sangnier, chez qui nous sommes, qui est-ce ? C’est exactement le contraire de l’image qu’on a de
l’homme politique corrompu, cet homme politique qui s’enrichit de son mandat. Au contraire, Marc Sangnier,
c’est le bon riche de l’Evangile, c'est-à-dire celui qui va entièrement se ruiner au service de ses idées. Tout son
argent va passer dans différentes initiatives. La première, c’est le Sillon fondé en 1899. On trouve encore des
cercles d’étude qui ont pour but de « planter le grand arbre du Christianisme démocratique et social » en créant
une élite ouvrière catholique, démocratique, républicaine. Dans un premier temps ce Sillon est très bien vu car il
est au premier rang de la défense de l’Église au moment du Combisme. Mais quand, après le Combisme, après la
séparation des Églises et de l’État, cette question, sans cesser d’être douloureuse, passe au second plan de la
politique, eh bien on se rend compte, oh stupeur, que les sillonnistes se revendiquent républicains, qu’ils sont
pour une démocratie sociale ; une démocratie pas simplement politique mais une démocratie économique, qu’ils
remettent en cause le salariat, qu’ils ne sont pas en faveur du capitalisme, qu’ils poussent au contraire en faveur
des coopératives, des syndicats ouvriers, qu’ils sont prêts à travailler avec des non-catholiques, qu’ils soient
protestants ou libres-penseurs, que certains de leurs membres sont engagés à la CGT. Cela choque, dans ce
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monde français catholique du début du siècle. De plus les jeunes prêtres sillonnistes sont souvent des têtes dures,
rétifs face à leurs évêques.
Tout cela déplaît, agite et divise l’épiscopat français et conduit à la lettre Notre charge apostolique du 25 août
1910 où le pape Pie X demande à Marc Sangnier de quitter la tête du Sillon et aux sillonnistes de se placer sous
l’autorité des évêques. Tous les sillonnistes se soumettent au pape mais, ce qui n’avait pas été prévu par la lettre,
c’est qu’ils quittent tous le Sillon pour se reformer sur le seul terrain qu’il leur reste : le terrain politique. C’est le
temps des partis démocrates-chrétiens. Le premier est la Jeune-République de Marc Sangnier fondée en 1912 ; le
second : le PDP – Parti démocrate populaire - né en 1924. Ces deux partis vivent surtout dans l’entre-deuxguerres, la Jeune République plutôt au centre-gauche, le PDP plutôt au centre droit, séparés par la question de la
réconciliation franco-allemande jusqu’en 1925 mais se retrouvant sur la question sociale. Il faut finalement
attendre l’après Seconde guerre mondiale pour que ces démocrates-chrétiens se rassemblent dans la seule
grande formation qui ait eu un réel pouvoir : le MRP – Mouvement républicain populaire.
Créé en 1945 au lendemain de la Résistance, le MRP dont les grands noms sont : Georges Bidault, Maurice
Schumann, Robert Schuman, le père de l’Europe ambitionne de faire la « Révolution par la Loi. » Au pouvoir
pendant toute la IVème République, il a ainsi contribué à établir le droit de vote des femmes, la Sécurité sociale,
l’inscription des droits sociaux dans le préambule de la constitution de 1946 – texte toujours en vigueur, autant
d’idées portées par les catholiques sociaux et le démocrates-chrétiens depuis un demi-siècle. Mais ce MRP voit
ses effectifs se réduire comme peau de chagrin et il disparaît en 1965. En 1965, il y a des élections présidentielles.
Il y a un candidat démocrate chrétien qui s’appelle Jean Lecanuet. Et autour de Jean Lecanuet, sur les ruines du
MRP, se crée un nouveau parti en 1966 qui s’appelle le Centre Démocrate. Ce parti se trouve coincé entre un gros
parti majoritaire au pouvoir, le parti gaulliste et une gauche qui essaie de se recomposer mais qui lui laisse peu
d’espace. En même temps ces démocrates-chrétiens ont créé le Centre Démocrate avec d’autres forces
politiques, des libéraux au centre gauche. Au fond, ce qui fait le lien de ce Centre démocrate, c’est un homme,
Jean Lecanuet qui, bien qu’il ait toutes les qualités pour participer au pouvoir, se trouve dans la posture de
l’opposant au chef de l’État pour exister.
Finalement ce Centre Démocrate se partage entre ceux qui rallient Georges Pompidou : cela donne le Centre
Démocratie et Progrès en 1969 et puis ceux qui restent dans l’opposition jusqu’à l’élection de Valéry Giscard
d’Estaing ou ils se retrouvent en 1976 dans le CDS – Centre des démocrates sociaux qui est le dernier parti, peuton dire, démocrate-chrétien. Au-delà du CDS je crois qu’on ne peut plus vraiment parler, en tout cas jusqu’à un
passé récent (je ne veux pas occulter l’avenir) de partis démocrates-chrétiens mais de « démocrates d’inspiration
chrétienne en politique », et là vous les retrouvez sur un large éventail. Vous les retrouvez au Parti socialiste, avec
un Jacques Delors par exemple, vous les retrouvez dans les partis gaullistes : c’est déjà vrai à l’époque de
l’UDR quand on pense à un Maurice Schumann, à un Edmond Michelet. Mais plaçons-nous aujourd'hui. Ces
démocrates d’inspiration chrétienne, vous les retrouvez toujours au parti socialiste : Jacques Delors y est encore,
certains sociaux-démocrates sont plus ou moins héritiers de cette tradition. Vous les retrouvez évidemment au
Mouvement Démocrate, et puis vous les retrouvez dans les scissions de la dernière UDF avec l’Alliance centriste
de Jean Arthuis, avec un nouveau Centre démocrate dont je n’ai pas encore bien vu ces contours, avec le
Nouveau Centre d’Hervé Morin. Et puis il y a ceux qui ont quitté l’UDF en 2002 comme un Pierre Méhaignerie, un
Jacques Barrot, qui sont à l’UMP. Et puis il y a le Parti Chrétien-Démocrate.
Pour conclure, aujourd’hui la question du catholicisme libéral est un peut dépassée. Parce que 1789 et la
République ne sont plus contestés par personne dans les milieux chrétiens sauf dans une extrême marge qui n’est
pas forcément représentative du catholicisme social et qui n’est pas héritière de la démocratie-chrétienne. Quant
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à la re-christianisation de la France, ce n’est plus l’objet du politique, même si c’est un idéal que peuvent avoir les
chrétiens, bien sûr par d’autres moyens.
Par ailleurs, la laïcité à la française, en tout cas sur le plan juridique, est une sorte de gentleman’s agreement à
peu près accepté. Par contre, la question de la place de la religion dans la société reste pertinente. Parce qu’il y a
la poussée du néo-libéralisme, parce qu’il y a les débats autour de la « laïcité positive » - mais il ne faut pas
oublier avant cela que sous Jospin il y a eu des relations annuelles avec des représentants des religions, mises en
place par le gouvernement socialiste. C’est déjà la laïcité positive même si ça ne porte pas ce nom. Parce qu‘il y a
la présence de l’Islam sur notre territoire et que l’Islam n’a pas le passé que les chrétiens en France ont connu. Il
faut donc qu’ils s’acculturent et que la République accueille ces Français et cette question nouvelle.
Et enfin dernière question : les Catholiques sociaux et les démocrates chrétiens ont cherché à créer une
troisième voie entre le libéralisme et la contestation de ce libéralisme. Souvent ils ont échoué dans cette tentative
et ils se sont divisés sur cette question. Est-ce que demain ils réussiront à se rassembler et à faire cette « trouée »
que Marc Sangnier appelait de ses vœux ?
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