Georges Rousse - Art and project
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Georges Rousse - Art and project
Meisenthal 2002 DOSSIER DE PRESSE Georges Rousse Villa Beatrix Enea ANGLET 23 mai – 15 août 2009 1 Georges Rousse GUIDE PRATIQUE Artiste Georges Rousse, né en 1947 à Paris. Vit et travaille À Paris. Réalisations Peintures, installations et photographies. Pratique Remettant en question notre perception de l’espace et de la réalité, l’artiste intervient dans des bâtiments souvent abandonnés où il repère un élément remarquable qu’il met en scène afin de créer une image : à la fois peintre, sculpteur et architecte, il construit une œuvre singulière, utopique, reflet de son « univers mental », en cohérence avec le lieu et son histoire. La photographie, phase ultime de sa démarche, rend alors visible la métamorphose opérée par l’artiste, née de la combinaison énigmatique des espaces réels et fictifs. Composition de l’exposition Installation réalisée dans l’escalier principal et le hall de la Villa Beatrix Enea, du 18 au 22 mai 2009. La photographie de cette œuvre demeurera dans le patrimoine de la Ville. Œuvres photographiques, réalisées à l’issue d’installations opérées dans diverses villes de France et de l’étranger. Dates Du 23 mai au 15 août 2009. Lieu Villa Beatrix Enea, 2 rue Albert-le-Barillier, Anglet Horaires Du mardi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 19h. Entrée libre. Organisation et renseignements Service des Affaires culturelles de la Ville d’Anglet. Tél. 05 59 58 35 60 • Fax 05 59 58 35 61 • Site : www.anglet.fr À l’usage exclusif de la presse Vernissage Contact presse Vendredi 22 mai 18 h 30, Villa Beatrix Enea Maryse DUPÉ Tél. 05 59 58 35 60 / Courriel : [email protected] 2 Georges Rousse L’art du funambule Peinture, sculpture et photographie, espace, lumière et mémoire, Georges Rousse convoque une multiplicité de sensibilités, de registres et d’approches. Il s’approprie un espace et l’implique dans une proposition de peinture ou de sculpture. Il photographie ce qui n’existe que sous une forme éclatée et en donne une image unifiée. La méthode est ainsi faite d’épisodes distincts. Cependant, ces épisodes se mettent en rapport, ils échangent leurs informations, leurs ressources et leurs résonances, se confèrent une sorte de proximité inattendue, féconde, et d’intelligibilité réciproque. L’avantage de la méthode, c’est qu’elle permet de déclencher et d’organiser des niveaux insaisissables de réalité, de solliciter et de régénérer des incandescences imaginaires oubliées. Son mérite n’est pas seulement d’ouvrir des possibilités d’observation, de découverte, mais aussi d’imposer des points d’arrêt, d’interrogation et de relance. Figures, volumes et écritures, couleurs, lignes et architectures, comment conjuguer ces éléments et mouvements contraires, ou tout au moins différents ? Car il ne s’agit nullement de trouver entre des spécificités revendiquées quelque équilibre ordinaire. Il faut être à la fois vide et plein, surface et profondeur, éclatant et construit, incisif et consistant, concentré et expansif. Bien plus, il faut qu’en s’accomplissant, ces différences d’énergie et de résistance se mêlent, qu’elles aient un même champ de convergences, mais sans pourtant que ce rapprochement implique quelque restriction dans l’exercice de leur action propre. Chez Georges Rousse, tout se tient et tout se tend, tout se propage, se fluidifie parce que les rôles s’échangent, les forces diverses s’associent autour d’un même nœud d’attraction, et chaque intervention influence l’ensemble comme l’ensemble aussi exerce une pression sur chaque initiative. Eblouissement, incertitude et virtuosité, insistance, exigence et légèreté, l’art de Georges Rousse évoque celui du funambule. Il joue avec le vide et contourne une réalité pour mieux la maîtriser. Il a cette qualité de balancement qui le situe entre plusieurs choix, plusieurs décisions, sans qu’un tel balancement manifeste, cependant, une hésitation, un doute. Il faut la voir, plus précisément, comme la preuve d’une opposition à toute définition préétablie et donc comme l’agilité infinie d’une quête de justesse qui enchante et intrigue. Didier Arnaudet Critique d’art et écrivain Avril 2009 3 GEORGES ROUSSE : BIOGRAPHIE Georges Rousse est né en 1947 à Paris où il vit et travaille. Habiter le monde avec son appareil photographique Depuis le Noël de ses 9 ans où il reçut en cadeau le mythique Brownie Flash de Kodak, l’appareil photo n’a plus quitté Georges Rousse. Alors qu’il est étudiant en médecine à Nice, il décide d’apprendre chez un professionnel les techniques de prise de vue et de tirage puis de créer son propre studio de photographie d’architecture. Mais bientôt sa passion le pousse à se consacrer entièrement à une pratique artistique de ce médium sur la trace des grands maîtres américains, Steichen, Stieglitz ou Ansel Adams. C’est avec la découverte du Land Art et du Carré noir sur fond blanc de Malevitch que Georges Rousse choisit d’intervenir dans le champ photographique établissant une relation inédite de la peinture à l’Espace. Il investit alors des lieux abandonnés qu’il affectionne depuis toujours pour les transformer en espace pictural et y construire une œuvre éphémère, unique, que seule la photographie restitue. Pour permettre aux spectateurs de partager son expérience de l’Espace il présente, dès le début des années 80, ses images en tirages de grand format. Cette œuvre forte et singulière qui déplace les frontières entre les médias traditionnels s’est immédiatement imposée dans le paysage de l’art contemporain. Depuis sa première exposition à Paris, à la galerie de France en 1981, Georges Rousse n’a cessé d’exposer et d’intervenir dans le monde entier, en Europe, en Asie (Japon, Corée, Chine, Népal.), aux États-Unis, au Québec, en Amérique latine..., poursuivant son chemin artistique au-delà des modes. Il a participé à de nombreuses biennales - Biennale de Paris, Biennale de Venise, Biennale de Sidney. et reçu des prix prestigieux : 1983 : Villa Médicis « hors les murs » à New York 1985 -1987 : Villa Médicis, Rome 1988 : Prix ICP (International Center of Photography), New York 1989 : Prix de Dessin du Salon de Montrouge 1992 : Bourse Romain Rolland à Calcutta 1993 : Grand Prix National de la Photographie 2008 : Georges Rousse succède à Sol Lewitt comme Membre associé de l'Académie Royale de Belgique Il est représenté par plusieurs galeries européennes et ses œuvres font partie de collections majeures. L’œuvre - Eloge des Lieux Georges Rousse est assurément photographe, ce que révèle la qualité intrinsèque de ses images dont il assure lui-même la prise de vue, le cadrage, la lumière. Mais il est aussi, tout autant, peintre, sculpteur, architecte dans le même rapport avec les espaces réels qu’un peintre avec la toile, un sculpteur avec la matière, ou un architecte face à ses plans. Son matériau premier est l’Espace. L’espace de bâtiments abandonnés où il repère immédiatement un « fragment » pour sa qualité architectonique, sa lumière puis qu’il organise et met en scène dans le but ultime de créer une image photographique. À partir de la vision de l’objectif, il construit dans ces Lieux du vide une œuvre utopique, y projetant sa vision du monde, son « univers » mental, croisant des préoccupations plastiques en résonance avec le lieu, son histoire, la culture du pays où il intervient. 4 Parce que la photographie, finalité de l’action picturale, est une surface plane, les formes qu’il peint ou dessine, les volumes et architectures qu’il construit sont éclatés, désagrégés, sur les différents plans spatiaux de bâtiments parfois monumentaux. La photographie rassemble l’Image dans une synthèse magistrale où Peinture, Architecture, Dessin s’inscrivent dans l’Espace pour rendre visible la fiction de l’artiste. Au cœur du questionnement sur la nature de l’œuvre d’art, son travail concerne fondamentalement notre rapport à l’Espace et au Temps. Avec la photographie, Georges Rousse nous oblige à une lecture statique des architectures, à une investigation immobile de l’Image, qui peu à peu transforment notre perception de l’Espace et de la Réalité. Nos certitudes et habitudes perceptives sont troublées par la réunion dans l’image finale de trois espaces : à l'espace réel dans lequel l’artiste intervient et à l’espace fictif, utopique qu’il imagine puis construit patiemment dans le lieu, se superpose un nouvel espace qui n’advient qu’au moment de la prise de vue et n’existe que par la médiation de la photographie. Au-delà d’un simple jeu visuel, cette fusion énigmatique des espaces dans l’image met en abyme de façon vertigineuse la question de la reproduction du réel par la photographie, de l’écart entre perception et réalité, entre imaginaire et réel. Dans la photographie qui est à la fois mémoire du lieu, de son histoire - parfois d’histoires parallèles et de sa métamorphose poétique, Georges Rousse met aussi en évidence la relation problématique dans les sociétés industrialisées de l’homme à sa trace, à sa mémoire, au Temps. Ces lieux de précarité, rejetés, ignorés, souvent dégradés, dont la disparition est proche, sont comme une métaphore de l’écoulement féroce du Temps vers l’oubli et la mort. En les transfigurant en œuvre d’art, Georges Rousse leur offre une nouvelle vie, éphémère. En les photographiant, il arrête le temps et fixe une image où s’entremêlent, énigmatiques, les traces mortifères du passé et l’empreinte artistique récente, pleine d’espoir et d’énergie, sans nostalgie, mais toutes deux disparues au moment où nous contemplons l’œuvre. L’histoire de ces lieux désertés que l’artiste n’a nul besoin d’illustrer est là présente dans l’image. Comme dans une traversée du temps, elle rejoint, au moment de notre regard, celle de sa transformation. Quelque chose de l’ordre d’un nouveau vécu est alors à l’œuvre dans l’image, une dimension spirituelle qui advient de la récupération, de l’utilisation et de la transformation du lieu dans le temps qui précède sa démolition qui est plus forte que la réalité. C’est à l’expérience de celle-ci que l’œuvre de Georges Rousse convoque. Saint-Savin 1996 Chambéry 2008 5 GEORGES ROUSSE : MATÉRIALISER LA LUMIÈRE Texte de Gloria Picazo Traduction de Nathalie Bittoun-Debruyne Catalogue de l’exposition Georges Rousse à la Galerie Carles Tache (novembre 2003 - janvier 2004) C’est avec Georges Rousse qu’en de nombreuses occasions j’ai partagé le plaisir qu’apporte l’expérience du voyage. Un plaisir qui, chez lui, s’insinue comme il se révèle chez le collectionneur qui nous raconte ses trouvailles et ses acquisitions ; de la sorte, chaque nouvelle rencontre commence par l’échange de nos dernières expériences de voyageurs. Il est vrai que, dans son cas, à l’heure d’analyser son travail, les approches et les commentaires gravitent habituellement et avec insistance autour des liens étroits, complexes, qu’il a réussi à établir entre l’architecture, la peinture et la photographie, grâce à des procédés visuels réellement surprenants ; pour moi, cependant, les facteurs déterminants dans la conception de son œuvre sont la découverte et les ressorts déclenchés par le voyage, entendu dans son sens le plus large. Dans ce sens, les travaux les moins équivoques sont peut-être ces dessins de cartes géographiques flottant dans l’espace, et pour lesquels il part des cartes mêmes qui, par exemple, lui ont servi à parcourir les parages montagneux de pays comme l’Inde ou le Népal, de sorte qu’elles deviennent ainsi mémoire et vestige de sa propre expérience du chemin. En fin de compte, ce sont, comme il l’assure lui-même, des souvenirs de voyage, les traces d’une approche personnelle de lieux parcourus et dessinés sur le terrain par son propre cheminement. La recherche incessante de nouveaux espaces architectoniques sur lesquels intervenir a fait du déplacement une nécessité inévitable, ou bien peutêtre en fut-il à l’inverse, peut-être que le désir même du voyage lui provoqua le besoin de concevoir une proposition de travail où la découverte de nouveaux endroits fût un point de départ et un facteur crucial dans la conception globale de son œuvre. Avec le temps et la consolidation de son travail, ces trouvailles spatiales ne se sont pas seulement nourries des suggestions, des poétiques et des symbolismes qui pouvaient se dégager de certains espaces architectoniques sur lesquels le cours du temps avait laissé une empreinte singulière ; elles se sont plutôt élargies graduellement à travers de nouveaux choix provoqués par des motifs de plus en plus divers. Entre ces motifs, parmi lesquels la singularité d’un espace industriel, comme peuvent l’être un abattoir ou une ancienne gare désaffectés est toujours restée présente, ont cependant surgi petit à petit d’autres possibilités d’espaces architectoniques où intervenir, des espaces qui peuvent aussi bien être en rapport avec la conception de thésaurisation et de diffusion de la connaissance, comme dans le cas de ses images réalisées à la Basilique de Saint Ignace de Loyola en 2002, ou bien avec la volonté de présenter une forte charge sociale et politique en faisant appel à l’histoire du XXe siècle par des propositions photographiques en relation avec Gernika et Hiroshima. Dans le premier cas, à travers une série de quatre images, Rousse reconstruisit quatre plans différents de la Basilique de Loyola, situés dans quatre endroits européens différents : la crypte de la propre basilique, de façon à créer ainsi de fortes relations entre l’intérieur et l’extérieur, mais aussi entre ce qui est représenté et la manière de le représenter, à laquelle s’ajoutèrent les interventions à Idoine, Berlin et Saint-Pierre-de-Cernières. Dans un premier temps, la série Loyola fut motivée par la proposition de participer à une exposition au Koldo Mitxelena de Saint-Sébastien, mais c’était aussi une nouvelle façon de prouver comment le besoin de s’approprier un endroit, de le connaître et de le vivre intensément lui permettait de développer de nouvelles séries qui, comme dans ce cas-ci, rayonneraient sur d’autres espaces. Par cette dispersion même, il s’agissait également d’insinuer le pouvoir que cet ordre religieux atteignit dans le monde, non seulement dans le domaine de la religion, mais aussi dans celui de l’enseignement et du savoir scientifique. C’est par ce même biais que le fait de travailler dans le Pays Basque le poussa à proposer une réflexion sur Gernika : ainsi, l’un des couloirs du Koldo Mitxelena s’emplit et devint bien plus complexe, du point de vue architectural, quand s’y ajoutèrent de nouvelles intrusions géométriques, par une stratégie formelle que l’artiste utilisa pour y matérialiser la lumière. Sur des formes géométriques ajoutées dans le but de re-définir un nouvel espace, et sur une surface blanche immaculée, seulement nuancée par des jeux d’ombre et de lumière, avec la précision soigneuse d’un dessinateur de lettres, Rousse traça le fragment d’une carte où se trouve cette agglomération de la 6 province de Gipuzkoa en la faisant flotter sur un plan vertical incident, afin d’obtenir une plus grande complexité de l’image résultante. Au fur et à mesure que Georges Rousse se décida pour des interventions sur des espaces autres que ces endroits désaffectés et destinés à la rénovation ou à la démolition, les possibilités de s’approcher de ses propositions s’élargirent aussi et, comme dans le cas de l’intervention au Koldo Mitxelena avec la carte de Gernika, ou bien de celle qui s’est réalisée dans l’espace de la Galerie Carles Taché -un grand dessin abstrait obtenu par le tracé direct sur l’écran de l’ordinateur à l’aide de la souris-, l’artiste met à la disposition du public tout le processus d’élaboration d’une de ses images photographiques. Un processus grâce auquel le procédé pictural pourra être suivi dans ses moindres détails, tout en permettant de comprendre facilement comment il utilise l’anamorphose pour représenter un espace et pour provoquer ainsi une déformation de la perspective, en obligeant le spectateur à situer sur le seul point possible pour obtenir la vision correcte. Toutefois, l’artiste lui-même insinue qu’il n’a jamais employé le principe de l’anamorphose pour rendre un objet méconnaissable, selon la définition du terme, mais que sa prétention est de le dématérialiser de sorte qu’il devienne photographique. Rousse commente : « L’objet est dans la photo, mais il ne peut être capté. Voilà pourquoi j’ai utilisé l’anamorphose sans la nommer. C’est aussi l’objectif à grand angle qui me sert d’instrument de dématérialisation, grâce aux puissantes déformations du réel qu’il provoque, mon espace se transforme en une réalité surdimensionnée, plus petit que l’univers (pour y introduire une dimension poétique). En effet, je réorganise le monde visible en un espace inédit et imprévu, mais le projet de l’artiste n’est-il pas de montrer le monde de façon imprévue? ». Pour les exemples cités plus haut, d’autres connotations s’ajoutent évidemment au fait de prendre comme point de départ, soit la Basilique de Saint Ignace de Loyola, soit le village de Gernika, et qui vont au-delà des particularités des espaces architectoniques sur lesquels intervenir; comme nous l’avons vu dans le premier cas, il s’agissait d’une allusion à la connaissance universelle et, dans le second, d’un rappel de ce que signifient les bombardements sur la population civile, à une époque où ceux-ci se reproduisent si fréquemment. C’est aussi le cas de la série AZF, réalisée à Toulouse en 2003, où Rousse a voulu évoquer la terrible tragédie qui s’était abattue sur la ville lors de l’explosion de l’usine AZF en septembre 2001. Comme l’un des immeubles les plus endommagés par l’impact fut celui de l’Université de Toulouse-Le Mirail, Rousse proposa aux étudiants en beaux-arts de recueillir leur propre vision des faits à travers la photographie et, avec eux, d’intervenir dans le même type d’arts plastiques afin d’y construire un grand cercle saturé d’images, ainsi qu’une seconde version dans laquelle les images rayonnaient à partir d’un grand cercle blanc. Pour la première fois, Rousse utilisait des images photographiques pour intervenir dans un espace architectonique donné. Ainsi, il s’agissait d’une nouvelle manière de peindre dans l’espace, qui comptait sur une participation extérieure et se nourrissait en même temps des contenus symboliques et revendicatifs que les images apportaient. Ce travail se poursuivit à travers une nouvelle intervention sous l’amphithéâtre de l’Université même, en raison des faits historiques que le monde était en train de vivre à cause de l’intervention militaire en Irak. Rousse introduisit le mot PAIX dans un espace qui, par ses caractéristiques, offrait certaines similitudes avec un abri antiaérien, et il le fit à l’aide d’une peinture phosphorescente de sorte que, une fois les lumières éteintes, le mot continuait à briller. Ce travail se joint à une série de propositions dans lesquelles Rousse utilisait des mots, comme une manière d’habiter un espace, et de le faire à travers la poésie. Dans ce caslà, le mot s’imposa nettement, frappant comme un cri. Nous venons de voir comment tout nouveau déplacement, tout nouvel endroit visité, tout fait arrivé, peut donner lieu à une nouvelle proposition qui, en maintenant une cohérence totale par rapport à la ligne conceptuelle de son œuvre, suscite de nouveaux défis et des transformations subtiles qui la feront évoluer sensiblement. Georges Rousse lui-même a souvent déclaré que les interventions picturales qu’il réalisait dans une telle diversité d’endroits et d’architectures visent à obtenir une sacralité qu’il a souvent mise en rapport aussi bien avec l’imminente disparition des espaces dans lesquels il travaille, qu’avec le vide qui les envahit habituellement, avant et après ses incorporations picturales et/ou sculpturales. Un vide qu’il situe au beau milieu de la photographie en tant que pratique, et c’est pourquoi il considère qu’il s’agit du moyen le plus approprié pour traduire ce vide en sensations visuelles. Pour Rousse, les images photographiques issues de complexes processus d’intervention dans les espaces sont sa façon particulière d’approcher et de vivre le rituel plastique du Vide, comme il l’affirme lui-même. 7 ENTRETIEN ENTRE PHILIPPE PIGUET ET GEORGES ROUSSE Catalogue de l’exposition Georges Rousse au Musée de Châteauroux (décembre 2003 - février 2004). Parcours dans l'œuvre Au début des années 1980, tu t’engages pleinement sur la scène artistique contemporaine. Ton travail se manifeste alors à travers tout un lot de photographies qui en appellent à une manière de « figuration libre ». Simple effet de mode d'une époque qui remet sur le tapis la possibilité de la figure ou volonté d’inscrire celle-ci dans un espace pour en déduire une image inédite ? C’est surtout une tentative pour moi de devenir peintre. De repousser la photo en y introduisant des personnages peints sur toutes sortes de supports, notamment sur les murs dans des lieux abandonnés. Très vite, je me suis rendu compte que, si j’adore la peinture, pour moi, elle n’était qu’un simple moyen. Mon support, c’est le mur. L’expérience du rapport entre la figure peinte et l’espace, puis de cette relation de la photo au sujet peint, c’était juste l’histoire d’une époque. Au bout de quelques années, j’ai souhaité en finir pour repenser ma relation à l’espace, pour réfléchir à la façon de faire évoluer le travail. A ce moment-là, le travail bascule et tu quittes la figuration en lui substituant des volumes géométriques. Ce que j’appelle des « sculptures » immatérielles. Ce sont des figures visibles, reconnaissables, dont on appréhende la matière, la texture, mais qui sont insaisissables dans leur réalité physique car elles ne sont que dessin. Pourquoi les nommer « sculptures » ? Est-ce une manière de compensation à ne pas en faire ? Après la séquence figurative, je me suis posé la question de savoir comment introduire des sculptures dans l’espace. Est-ce que je devais les construire ? Mais que deviendraient-elles après ? Est-ce que je devais simplement les suggérer ? Mais comment ? Après être passé par différentes étapes, j’ai fait une expérience déterminante lors d’un voyage à Calcutta. Du fait de la pauvreté et de la multiplication des familles nombreuses, la ville est constituée de bâtiments qui se développent selon un système d’excroissances externes empiriques qui répondent à des nécessités d’espace vital. Le spectacle est incroyable. Sur le même mode, j’ai imaginé de mettre en place des volumes dans mon travail, mais de manière virtuelle, en les peignant dans l’espace à l’instar des figures précédentes. Puis, au fur et à mesure, l’idée m’est venue de construire moi-même des excroissances et cela m’a conduit un peu plus tard à toute cette série de photos qui présentent l’intérieur de cercles avec des formes bizarres, obliques, molles, etc. A suivre ton parcours, rien ne semble le déterminer au préalable. Tu es un artiste qui travaille de façon totalement empirique. Est-ce à dire que le travail s’autogénère ? Je n’aime pas répéter les choses de façon systématique. Quand je commence à travailler une nouvelle idée, je me dis que je vais faire une série par rapport à cette idée et régler tous les problèmes afférents mais, en même temps, il y en a une deuxième, puis une troisième qui surgissent et c’est la cascade ! C’est donc dans une multitude de directions que le travail se développe et, de ce fait, se génère au cours de nombreux télescopages. C’est un travail qui se nourrit du contexte, des rencontres et des moyens. En ce sens, ce n’est pas un travail conceptuel. Introduction des mots et de l’écriture Il y a une phase du travail où tu fais usage du mot, sinon du texte. Comment cela est-il advenu ? J’ai toujours été un grand amateur de littérature. Au tout début de mes recherches, j’ai réalisé un travail sur le jardin du Luxembourg qui est constitué de photos noir et blanc et d’un petit texte qui les accompagne, dans le style du « narrative art ». Un peu plus tard, à l’occasion de mon séjour à la Villa Médicis, à Rome, j’ai été frappé par la forte présence de l’écrit dans les églises et à la base des sculptures antiques. Dans le même temps, je commençais à faire ce que j’ai appelé les « embrasures ». Ce sont des lieux d’incandescence et de régénération du soleil dont j’ai peint tout l’intérieur en rouge 8 cinabre pour symboliser le feu. Comme à mon habitude, tout le temps du travail, je prenais toutes sortes de notes sur la peinture, l’art, la solitude, la mort, etc. L’idée m’est venue alors d’exprimer mon rapport à l’espace non plus en y créant une figure quelconque mais en reportant ces textes quelque part dans le lieu même. Par la suite, le mot est devenu un élément à part entière de l’architecture ? J’ai toujours eu une immense passion pour la poésie, notamment pour celle d’André Du Bouchet, qui est un poète minimal d’une rare puissance d’images. Je me suis souvent demandé comment faire pour traiter l’espace de façon à produire quelque chose de semblable à ce que j’éprouvais à la lecture des textes de cet auteur. C’est-à-dire comment faire pour restituer cette relation spatiale des mots au blanc de la feuille. J’ai commencé à chercher mes mots et, plutôt que de les écrire en français, j’ai décidé de les exprimer dans leur jus originel grec parce que notre langue en est issue. Enfin j’ai choisi d’inscrire ces mots - comme EROS par exemple - dans des structures tendues, en forme de pyramide ou de lieu clos, parce que cela me semblait pertinent avec leur charge sémantique. Les cartes et les plans Un autre aspect du travail dont tu n’as pas parlé, c’est la façon dont tu y as mis en jeu le motif soit de cartes, soit de plans. Voilà plus de dix ans que vous faites régulièrement, Anne-marie et toi, du trekking au Népal. Or, depuis quelques années, tu utilises le dessin de ces cartes qui servent à vous guider dans la montagne ou de ces plans de villes où tu te rends. A quoi correspond cette osmose entre le travail et ta vie privée ? A propos du Népal, en regardant un jour l’une de ces cartes, l’idée m’est venue qu’elle était une vision verticale du paysage et que je pouvais peut-être l’utiliser pour rendre compte de la beauté monumentale de ce paysage. Pour restituer l’expérience physique que j’en fais en marchant. Si c’est l’image d’un paysage complètement abstrait, en fait une abstraction de paysage, c’est celle d’un endroit où je suis allé. En la récupérant comme motif d’une image, cela me permet de documenter l’itinéraire que j’ai fait, l’urbanisme des villages rencontrés, la configuration des forêts et les lacs traversés, etc. C’est pour moi une façon d’impliquer dans l’œuvre un espace mémorable. S’agissant des plans de villes, la mesure est tout autre et cela est advenu dans un contexte bien différent. Quand je suis allé travailler pour la première fois à Séoul, on m’a tout de suite emmené dans un quartier totalement rasé, anciennement constitué de maisons traditionnelles démolies pour faire place à d’innommables caisses à savon. J’en ai été profondément choqué ; je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait éradiquer ainsi toute une mémoire. Comme je devais intervenir au musée, lieu de conservation par excellence, j’ai choisi de faire une installation qui mette en jeu cette partie du plan de Séoul qui avait été défigurée. A cette occasion, j’ai imaginé tirer mon image non plus sur papier mais sur une bâche pour enfoncer le clou de l’idée d’archive et de carte. Un peu plus tard, j’ai opéré pareillement à Hiroshima en reproduisant le plan de la ville où avait été lâchée la bombe atomique. Ainsi l’usage de la carte s’est-il déplacé d’une mémoire de paysages traversés vers une mémoire de l’histoire elle-même. A Hiroshima, mon idée était en même temps d’interpeller la conscience du public par rapport au nucléaire dans un pays où toute l’économie de l’énergie repose dessus. De l’anamorphose Toutes tes figures peintes en appellent au principe de l’anamorphose, c’est-à-dire à un mode de figuration éclatée dans l’espace. Elles ne peuvent visuellement être rétablies que si on les regarde d’un certain point de vue, celui-là même où tu places l’œil de ton appareil photo. Pourquoi recourir à un tel procédé ? Pour moi, l’anamorphose n’est ni plus ni moins qu’un outil, comme le pinceau quand je dessine une forme ou l’architecture quand je construis ou casse un mur. Elle n’est rien d’autre qu’un simple outil visuel. Comme mon appareil photo. Il y a donc, pour moi, conjonction dans le fait d’utiliser l’anamorphose et la photographie. Quand on regarde mes photos, il n’y a aucun effet anamorphotique. 9 L’image que l’on y voit procède toutefois du procédé de l’anamorphose. La photographie que je donne à voir montre en effet l’image d’une anamorphose mais ce n’est pas une anamorphose en soi. Ce que j’essaie de faire, c’est soit une sculpture, un volume pyramidal par exemple, soit un tableau, comme il en est de la série des damiers. C’est cela et rien d’autre que je montre. Ma finalité, c’est d’introduire une perspective et une action picturale à l’intérieur d’un espace qui est la photographie. Quand on a compris que mes images ne relèvent pas de la technique du copier/coller, on peut alors chercher à déconstruire ce qu’on a sous les yeux. Il y a tout un cheminement statique possible à faire devant l’image : on suit une ligne, on voit qu’elle part du sol, passe sur le mur, se glisse dans un coin, revient devant, va jusqu’au plafond pour redescendre, etc. Il y a anamorphose mais statique, immobile. Eros 1992 Turin 1999 Chambéry 2008 « En règle générale, je m’applique seulement à trouver la meilleure relation entre toutes les données contextuelles, la singularité du site, le budget, le temps, les moyens techniques, etc. Mon unique projet est de transformer le lieu, de tout mettre en œuvre pour cet instant de la prise de vue qui est un moment extrême dans la relation intime de l’espace à la peinture, à la photographie et à moi-même. » Extrait de Georges Rousse, Philippe Piguet, Musée de Châteauroux (Éditions Joca Seria) Site Internet http://www.georgesrousse.com 10