alejandro jodorowsky psychomagie

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alejandro jodorowsky psychomagie
ALEJANDRO
JODOROWSKY
PSYCHOMAGIE
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ALEJANDRO JODOROWSKY
PSYCHOMAGIE
Un grand merci à Alejandro Jodorowsky de nous avoir permis de diffuser ces textes
de façon gratuite, ainsi que pour la photographie de couverture.
Couverture : Alejandro et Flor - Octobre 2010
Traduction et mise en pages : Plan Créateur - http://plancreateur.wordpress.com
Traduction libre de l’ouvrage « Psicomagia » paru aux éditions Siruela en 2004
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Table des matières
Prologue
Prologue
Alejandro Jodorowsky. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
PSYCHOMAGIE
Psychomagie, Ébauches d’une thérapie panique*
Entretiens avec Gilles Farcet
Leçons pour mutants
Note préliminaire (Javier Esteban). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Clefs de l’âme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Le sillage de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Pont invisible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Visions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
L’Art de Guérir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Comprendre la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Cours accéléré de créativité
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Exercices d’imagination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Techniques de l’imagination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Applications thérapeutiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Annexe - La poésie appliquée
au traitement de la folie
Martín Bakero. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
Ayant vécu pendant de nombreuses d’années dans la capitale du Mexique,
j’ai eu l’occasion d’étudier les méthodes de ceux que l’on nomme « sorciers »
ou « guérisseurs ». Ils sont légion. Chaque quartier a le sien. En plein cœur de
la ville se dresse le grand marché de Sonora, où l’on vend exclusivement des
produits magiques : des bougies colorées, des poissons disséqués en forme de
diable, des images pieuses, des plantes médicinales, des savons bénis, des tarots, des amulettes, des sculptures en plâtre de la Vierge de Guadalupe convertie en squelette, etc... Dans quelques arrière-boutiques plongées dans la pénombre, des femmes, un triangle peint sur le front, frottent ceux qui viennent
les consulter avec des brassées d’herbes et de l’eau bénite, et effectuent sur eux
« un nettoyage » du corps et de l’aura… Les médecins professionnels, enfants
fidèles de l’Université, méprisent ces pratiques. Selon eux, la médecine est une
science. Ils voudraient arriver à trouver le remède idéal, précis, pour chaque
maladie, en essayant de ne pas les distinguer les unes des autres. Ils désirent
que la médecine soit une, officielle, sans improvisation et l’appliquent aux patients en les considérant uniquement comme des corps. Aucun ne se propose de
soigner l’âme. Au contraire, pour les guérisseurs, la médecine est un art.
: Les entretiens parus en français aux éditions Albin Michel en 1995 sous le titre
« Le théatre de la guérison - Une thérapie panique : la psychomagie » n’apparaissent
pas dans la présente publication.
Il est plus facile pour l’inconscient de comprendre le langage onirique que le
langage rationnel. D’un certain point de vue, les maladies sont des rêves, des
messages qui révèlent des problèmes non résolus. Avec une grande créativité,
les guérisseurs développent des techniques personnelles, des cérémonies, des
enchantements, des médecines étranges telles que des lavements de café au lait,
des tisanes de vis oxydées, des compresses de purée de pommes de terre, des
pilules d’excrément animal ou d’œufs de mite. Certains ont plus d’imagination
ou de talent que d’autres, mais tous, si on les consulte avec foi, sont utiles. Ils
parlent à l’être primitif, superstitieux qui réside en chacun de nous.
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En voyant opérer ces thérapeutes populaires, qui font souvent passer pour
des miracles des trucs dignes des grands prestidigitateurs, j’ai conçu la notion
de « tricherie sacrée ». Pour que l’extraordinaire arrive, il est nécessaire que le
malade, en admettant l’existence du miracle, croie fermement que l’on peut le
guérir. Pour obtenir le succès, le sorcier, lors des premières rencontres, se trouve
obligé d’employer des trucs pour convaincre le consultant que la réalité matérielle obéit à l’esprit. Dès que la tricherie sacrée trompe le consultant, celui-ci expérimente une transformation intérieure qui lui permet de capter le monde par
l’intuition plus que par la raison. Alors seulement, le vrai miracle peut arriver.
Mais à cette époque, je me suis demandé si on pouvait éliminer la tricherie
sacrée : peut-on avec cette thérapie artistique guérir des personnes sans foi ?
D’autre part, bien que l’esprit rationnel guide l’individu, pouvons-nous dire que
quelqu’un manque de foi ? À chaque instant l’inconscient dépasse les limites de
notre raison, on peut le voir dans les rêves ou dans les actes manqués. Si c’est ainsi :
n’y a-t-il pas une façon de mettre l’inconscient en marche, comme un allié, de
manière volontaire ? Un incident qui est arrivé lors d’un de mes cours de psychogénéalogie m’a indiqué le chemin : au moment où je décrivais les causes de la névrose d’échec, un élève, chirurgien médical, est tombé par terre, pris de spasmes
de douleur. C’était une attaque d’épilepsie. Au milieu de la panique générale,
sans que personne ne sût comment l’aider, je me suis approché de lui et sans savoir pourquoi, je lui ai enlevé, assez difficilement, son alliance de l’annulaire de
la main gauche. Il s’est immédiatement calmé. Je me suis rendu compte que pour
l’inconscient les objets qui nous accompagnent et nous entourent font une partie
de son langage. Et donc, qu’en mettant un anneau à une personne on pouvait
l’enchaîner, en lui prenant cet anneau on pouvait l’alléger… Une autre expérience
m’a semblé très révélatrice : à l’âge de six mois, mon fils Adán souffrait une forte
bronchite. Un ami médecin, phytothérapeute, lui avait prescrit quelques gouttes
d’huile essentielle de plantes. Mon ex-femme Valérie, la mère d’Adán, devait lui
verser trente gouttes trois fois par jour dans la bouche. Bientôt elle s’est plaint que
l’état de l’enfant ne s’améliorait pas. Je lui ai dit : « Ce qui se passe, c’est que tu ne
crois pas au remède. Dans quelle religion as-tu été élevée ? » « Comme toutes les
Mexicaines, dans la religion catholique ! » «Alors, nous allons ajouter de la foi à
ces gouttes. Chaque fois que tu les lui donnes, dis un Notre Père.» Valérie l’a fait.
Adán s’est rapidement mieux porté.
comptant sur des alliés divins et infernaux pour permettre la guérison. Les remèdes qu’il donne doivent être ingérés sans connaître leur composition et les
actes recommandés doivent être réalisés sans essayer d’en connaître les raisons.
Dans la Psychomagie, plutôt que d’une croyance superstitieuse, on a besoin
de la compréhension du consultant. Il doit savoir le pourquoi de chacune de
ses actions. Le psychomagicien, de guérisseur devient conseiller : grâce à ses
recettes le patient devient son propre thérapeute.
Cette thérapie ne m’est pas venue comme une illumination subite mais s’est
perfectionnée, pas à pas, pendant de nombreuses années… Au commencement elle semblait si extravagante, si peu « scientifique », que j’ai seulement
pu l’expérimenter avec des amis et des parents… De temps en temps, dans mes
conférences à Paris, je faisais référence à elle… Un jour, j’ai été invité au centre
d’études fondé par le maître spirituel Arnaud Desjardins. Il avait été mis au
courant de mes recherches, et m’a demandé si la psychomagie pouvait résoudre
un problème dont sa belle-mère souffrait : un eczéma sur la paume des mains…
J’ai pensé que la dame, après m’avoir montré ses mains blessées, faisait un geste
de demande, puisqu’elle se sentait exclue du couple que sa fille formait. J’ai
demandé au Maître que lui et son épouse, devant la malade, crachent abondamment sur un tas d’argile verte et de répandre immédiatement la pâte sur
l’eczéma. Le mal a rapidement disparu.
Pour que sa thérapie primitive fonctionne, le guérisseur, s’appuyant sur l’esprit superstitieux du patient, doit maintenir un mystère, se présenter comme
détenteur de pouvoirs extra-humains, obtenus par une initiation secrète, en
Gilles Farcet, un jeune disciple de Desjardins, conseillé par son guide, est
venu me voir, prétextant une rencontre, pour connaître mes théories étranges.
De notre rencontre est né un petit livre à forme biographique, intitulé La Tricherie sacrée, qui a conquis un bon nombre de lecteurs. Gilles, m’a alors proposé de
développer plus longuement mes idées en même temps qu’il, voulant vérifier
ses effets, m’a demandé un conseil psychomagique pour devenir « un écrivain
profondément spirituel ». Je lui ai proposé qu’il écrive un livre d’entretiens avec
moi qui s’appellerait Psychomagie, avec comme sous-titre Ébauches d’une thérapie
panique. Mon jeune ami a douté : ne connaissant rien sur le sujet, il se sentait
incapable de poser des questions intéressantes. « C’est précisément pour cette
raison que je donne cet acte. L’oiseau de l’esprit doit se libérer de la cage rationnelle. C’est pourquoi nous allons casser l’ordre logique. Plutôt que de me poser
des questions auxquelles je répondrai, je te répondrai d’abord et ensuite tu me
demanderas… C’est-à-dire, l’effet viendra avant que la cause. » Et nous l’avons
fait ainsi : Farcet s’est assis en face de moi avec un magnétophone et dix heures
durant, j’ai donné des réponses à des questions inexistantes. Par moments, mon
jeune interviewer s’endormait sur sa machine. Gilles a tout de suite structuré ce
matériel en fragments ordonnés et y a ajouté les questions. Comme il pénétrait
sur des terrains inconnus (il m’avait dit :« Je ne sais pas si on peut concilier une
recherche artistique et une recherche thérapeutique »), il les a écrites sur un ton
objectif en déclarant : « Je ne me compte pas au nombre de ses ouailles. C’est
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J’ai alors commencé, très prudemment, dans mes lectures de Tarot, quand le
consultant se demandait comment résoudre un problème, à prescrire des actes
que j’ai appelé « psychomagiques ». Et pourquoi pas « magiques » ?
avant tout en tant qu’amis que nous avons dialogué. D’où la saine perplexité
que j’oppose parfois à ses dires et qui a pour heureux effet de le contraindre à
préciser sa pensée ».
Quand Marc de Smedt, le directeur de la collection «Espaces libres» des éditions Albin Michel, en France, a accepté de publier le livre, il l’a fait à condition
d’en changer le titre. « Personne ne connaît le mot psychomagie. Mieux vaut
l’appeler : Le théâtre de la guérison, une thérapie panique : la psychomagie ».
Le théâtre de la guérison est paru en 1995. Ce livre a provoqué un grand intérêt. J’ai reçu une correspondance nourrie me demandant des actes psychomagiques. Pour développer exclusivement cette technique, jusqu’à présent pratiquée de forme intuitive, j’ai décidé d’accepter deux consultants par jour, du
lundi au vendredi, lors de séances d’une heure et demie. Après avoir monté
leurs arbres généalogiques - frères, parents, oncles, grands-parents et bisaïeuls -,
je leur ai conseillé des actes psychomagiques qui ont produit des résultats remarquables. J’ai pu ainsi découvrir un certain nombre de lois qui m’ont permis
d’enseigner cet art à une grande quantité d’élèves, dont certains étaient déjà
des thérapeutes établis. J’ai accordé des séances privées pendant deux ans, au
bout desquels j’ai commencé à écrire La danse de la réalité. Gilles Farcet a réalisé sa carrière d’écrivain spirituel et aujourd’hui, tel un noble père de famille,
il ramène au bercail de nombreux esprits égarés en collaboration avec Arnaud
Desjardins par un travail très intense.
poser les questions que la jeunesse pose, auxquelles ne répond pas l’actuel système éducatif. « Les élèves ont muté, malheureusement les professeurs continuent de maintenir leur façon archaïque de penser », me dit-il. Il voyage à Paris
et m’interroge pendant quelques jours.« Pensez sans limites, parlez pour les
jeunes mutants. » Ainsi sont nées, les deuxième et troisième parties de ce livre.
En annexe, le témoignage de Martín Bakero, poète et Docteur en psychopathologie qui a assisté à un atelier que j’ai donné à Santiago du Chili et qui est
ensuite venu à Paris pour perfectionner sa compréhension de mon travail. Il a
le mérite d’appliquer la psychomagie à la guérison de malades mentaux. Grâce
à lui, je peux avoir l’espoir que cet art de guérir sera employé un jour comme
complément de la médecine officielle.
Alejandro Jodorowsky
Après la publication en Espagne par les éditions Siruela de La danse de la réalité (2001), et grâce aux généreuses entrevues que Fernando Sánchez Dragó m’a
accordées à la télévision, le grand public à découvert la Psychomagie. N’ont pas
manqué, les enthousiastes qui témérairement, sans jamais avoir eu d’honnête activité ni artistique ni thérapeutique, ont voulu la pratiquer en donnant, par incapacité créative, des conseils qui n’étaient que des imitations ingénues des miens.
En 2002, j’ai donné à Madrid une conférence devant un public d’environ six
cents personnes dans un amphithéâtre d’université. Habilement conduits par
mon présentateur, le jeune professeur Javier Esteban, les élèves m’ont exposé
leurs problèmes en sollicitant des conseils de psychomagie pour les résoudre.
À la fin de l’acte, Javier m’a offert un exemplaire de son livre Duermevela, dans
lequel il décrit ses rêves. (« Je rentre dans un magasin où l’on vend des milliers
d’instruments de pêche gigantesques. L’hameçon me touche le genou. L’homme
qui m’accompagne m’apprend à pêcher mais il me dit qu’il n’est pas nécessaire
d’avoir une canne à pêche ou quelque autre matériel. Nous sortons et nous
traversons un bois jusqu’à arriver à une rivière. Les poissons sautent dans nos
mains. ») Je considère que ses écrits ont un sens thérapeutique. À son tour, Javier exprime son adhésion à mes idées et me demande un rendez-vous pour me
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