texte - Faculté de médecine vétérinaire | Université de Montréal
Transcription
texte - Faculté de médecine vétérinaire | Université de Montréal
L’impact du réchauffement climatique sur l’écosystème du parc Kluane, Yukon Travail présenté dans le cadre du cours de Pathologie de la Faune et de l’environnement Donné par Dr. Daniel Martineau Par Judy-Ann Lapointe Faculté de Médecine Vétérinaire Le 16 Avril 2007 1 INTRODUCTION Le réchauffement planétaire est un sujet qui risque de faire couler beaucoup d’encre pour encore plusieurs années. Les gaz à effets de serre principalement secondaires aux activités humaines, particulièrement le CO2, sont à l’origine d’un début de ‘réorganisation’ des espèces de la faune et de la flore à l’échelle mondiale (Gray, 2005). Ainsi, l’impact du réchauffement planétaire va bien au delà des fontes des glaces dans l’arctique, ou de la perte de banquises pour les ours polaires et les phoques. En effet, ce sont des écosystèmes complets qui seront potentiellement altérés et les être vivants constituant ces milieux n’auront d’autre choix que de s’adapter à cette nouvelle réalité (Berry M. et al, 2002). Il reste à savoir si cette adaptation pourra se faire à une aussi grande vitesse que celle à laquelle les changements climatiques surviennent et surviendront dans les prochaines années… Dans le présent travail, je tenterai d’évaluer et de démontrer le potentiel bouleversement qu’un écosystème nordique pourrait subir suite au réchauffement planétaire. Pour ce faire, je graviterai autour d’une population de petits mammifères de la forêt Boréale du Yukon et j’exposerai toutes les contraintes conséquentes de ce réchauffement auxquelles auront à faire face ces petites bêtes, les écureuils roux de la région du Kluane Park, dans le sud-ouest du Yukon (Berteaux et al, 2004). J’ai choisi cette espèce puisqu’elle a fait, et fait encore, l’objet d’études depuis longtemps et énormément d’information est connu sur la survie de cette espèce et la façon dont elle se « débrouille » avec les changements de climat par des processus de microévolution (Humphries et al 2004, Berteaux et al, 2004, Réale et al, 2003). De plus, selon les prédictions, la forêt boréale dans laquelle ce petit rongeur habite est un écosystème dont la dynamique, la structure et le fonctionnement seront particulièrement affectés par les variations de température (Ogden, 2006). Cela serait dû entre autre à sa faible biodiversité d’espèce d’arbres et à la configuration de son paysage qui fait en sorte que l’environnement productif se retrouve isolé entre plusieurs montagnes (Ogden, 2006, voir figure 6). Pour démontrer à quel point ces animaux, pour survivre, auront inévitablement à s’adapter à une pression climatique et environnementale dont la force est difficilement 2 prédictible (comme nous le verrons plus tard dans le texte), je démontrerai l’importance des interactions entre cette espèce et son milieu. Plus spécifiquement, je parlerai de l’inévitable impact négatif sur la distribution et l’abondance de la population d’écureuils roux qu’une future réduction dans la croissance des sapins blancs pourrait engendrer. De plus, je discuterai de la façon dont les autres espèces envahissantes pourront représenter de potentiels compétiteurs pour l’écureuil dans un environnement plus hostile. LE RÉCHAUFFEMENT GLOBAL AU YUKON En Amérique du nord, il y a eu une augmentation de la température globale de 0.7°C et aussi des précipitations depuis les 100 dernières années (Intergovernemental Panel on Climate Change (IPCC) 3rd report, 2001). Par contre, ces changements sont hétérogènes dans l’hémisphère nord. En effet, au Yukon, une augmentation de la température printanière de plus de 2.5 °C s’est fait ressentir depuis 1950 (voir figure 1)(Environnement Canada, 2003). De plus, c’est principalement la température journalière minimale qui a augmenté, engendrant ainsi des nuits plus chaudes, moins de jours sous zéro et ainsi, une plus longue période de croissance. Cette période de croissance, en plus des hivers plus chauds entraîne également une augmentation de la température des sols et par conséquent, une amplitude saisonnière de CO2 en haute latitude plus grande depuis les dernières années (Chapin III et al, 1996). En fait, nous nous retrouvons dans un cercle vicieux puisque les températures plus chaudes des sols amènent une plus grande respiration (et non photosynthèse) par les plantes, ce qui cause une augmentation de CO2, et ce même CO2, comme tout le monde le sait, fait un effet de serre qui ultimement entraîne un réchauffement plus important de la surface terrestre. Le transport reste par contre la plus grosse source d’émission de CO2 dans l’air du Yukon avec 50.8% de la contribution globale de relâchement de CO2 (Environnement Canada, 2006). Finalement, les désastres naturels sont aussi une menace potentielle qui pourrait certainement contribuer à la perte d’habitats et disséminer des populations animales et végétales. D’ailleurs, ces perturbations atmosphériques sont malheureusement aussi en augmentation au Canada depuis les années 50 (Envir. Can., 2006) (voir figure 3). 3 Ces données sont consistantes avec le fait que ce sont les milieux plus au nord et plus élevés en altitude qui démontrent des écarts de température plus importants (Root et al, 2003), et où les impacts se feront probablement beaucoup plus marquants. Par exemple, selon le tout dernier rapport d’évaluation sur le changement climatique, il semblerait que la forêt de la région montagneuse de l’ouest de l’Amérique du Nord subisse d’importantes répercussions par les pestes (insectes), les maladies de la faune et les feux de forêt (IPCC, 2007). En effet, malgré de plus fortes précipitations en hiver, la période de feux deviendrait plus importante et de plus longue durée ce qui augmenterait considérablement l’étendue des aires brûlées. Tout ceci serait dû en fait à un printemps débutant beaucoup plus tôt dans l’année et à un été plus sec dans le territoire du Yukon (voir figure 2), engendrant ainsi une évaporation plus importante et un assèchement du milieu inévitable (Environnement Canada, 2003). L’explication pour l’augmentation des infestations par les insectes est simple; plus les années passent, plus la période de « nongel » rallonge, donc les insectes, qui normalement seraient contrôlés par la gelée, arrivent à proliférer de plus en plus lors d’hivers très doux et plus courts. BIOLOGIE DE L’ÉCUREUIL ROUX L’écureuil roux est une espèce très dépendante des conifères, autant pour l’établissement des nids que pour l’alimentation. En effet, contrairement à certaines autres espèces d’écureuils, Tamiasciurus hudsonicus ne fait jamais ses nids au sol, seulement dans les branches d’arbres et plus rarement dans des cavités de sapins souvent morts (Yahner, 1980). Il se nourrit principalement des graines des cônes produits chaque année par les sapins blancs. En moyenne, 639 bourgeons et des graines de 35 arbres sont consommés par jour par un seul écureuil (Rusch & Reeder, 1978). L’été, il se délecte aussi de champignons. Étant donné qu’il n’hiberne pas l’hiver, il doit se faire des réserves de cônes pour passer ces temps plus durs. Chacun des écureuils d’une communauté protège très férocement leur territoire aussi appelé leur ‘midden’, où il cache ses provisions (Yahner, 1980). C’est aussi grâce à son travail acharné durant les étés abondants en cônes que ce petit mammifère est capable de passer à travers les années moins productives des sapins blancs. En effet, cette espèce de conifère dépend d’un 4 processus appelé « masting » pour assurer une dispersion de graines assez importante pour sa régénération (Ogden, 2006). En d’autres mots, ces arbres ont une production de cônes très variable d’une année à l’autre, les pics de production pouvant survenir à intervalle de 3 et même 12 ans (Ogden, 2006). Malgré cela, les écureuils semblent capables de maintenir une densité de population assez stable grâce à leur ‘caching’ ou réserve de cône et à la délimitation des territoires. Ces territoires sont déterminés à partir du nombre moyen d’écureuils lors des années de pauvre production, c'est-à-dire que l’espace est partagée selon la densité d’écureuils qu’il y a quand la population est la plus faible (Rush & Reeder, 1978). De plus, dans une étude faite par Walt Klenner et Charles J. Krebs en 1991, impliquant l’addition de nourriture à une population d’écureuils roux, les chercheurs ont démontré que la population augmentait avec l’abondance de nourriture mais toujours jusqu’à une certaine densité et que quelque temps après la fin de l’étude, les populations revenaient au même niveau qu’au départ. Cette stabilité impressionnante de la densité des populations d’écureuils roux nous prouve qu’ils sont très bien adaptés à leur style de milieux, et cela s’est probablement fait, comme Darwin l’a démontré, sur de longues périodes pendant lesquelles les meilleurs survivants aux hivers ont dominé sur les moins bien adaptés et ont eu plus de descendants. Justement, de nouvelles adaptations ont déjà été découvertes de la part de la population d’écureuils roux au Yukon afin d’augmenter son succès reproducteur. Vraisemblablement, ces petites bêtes réagissent dès maintenant aux changements climatiques plus abruptes, ce qui nous prouve une fois de plus que le réchauffement planétaire a des impacts depuis une dizaine d’années déjà. Qu’en sera-t-il lorsque la température aura augmenté non de 0.7 °C mais bien de 6-7 °C en moins de 100 ans? … ADAPTATIONS DÉJÀ EN BRANLE POUR LES SUPERS ÉCUREUILS… Conséquemment à l’augmentation de température plus marquée dans les régions nordiques et en haute altitude, il est logique de penser que les espèces animales et végétales plus près des pôles réagiront probablement plus fortement au changement climatique plus intense que celles près de l’équateur. Ces adaptations seront pour la 5 plupart phénotypiques (ROOT et al, 2003), c'est-à-dire des changements aux niveaux comportemental et physiologique qui répondent à des changements environnementaux à court terme. Par contre, les écureuils roux du Yukon ont prouvé qu’ils sont aussi capables de microévolution à l’échelle de seulement quelques générations, ce qui serait une adaptation à des changements environnementaux persistants à long terme. En effet, ils ont démontré un certain degré de réponse génétique aux changements de climat déjà ressenti ces dernières années (voir figure 4). Entre 1989 et 1998, les femelles ont devancés leur date de parturition de 18 jours (du 8 mai au 20 avril), soit une avance de 6 jours par génération en réponse à l’augmentation de température et l’abondance récente de la nourriture (Réale et al, 2003, Berteaux et al, 2004) (voir figure 5). Pour prouver que les changements observés étaient bel et bien le résultat d’une microévolution génétique, les chercheurs ont d’abord déterminé le degré de réponse comportementale des femelles aux changements environnementaux (le pourcentage de plasticité phénotypique de la reproduction qui peut expliquer l’avancement de la date de parturition). Ensuite, ils ont estimé l’effet combiné additif que tous les gènes d’un individu peuvent avoir sur ce même phénomène en utilisant un modèle qui est normalement utilisé pour la sélection artificielle chez les animaux domestiques, le « Restricted Maximum-likelyhood animal models » (Berteaux et al, 2004). Ce modèle a pu être utilisé puisque les données pour cette population sont assez nombreuses. Évidemment, il aurait été encore plus convainquant si ces scientifiques auraient fait des études sur l’ADN pour prouver qu’il y a vraiment eu un changement génétique. Malgré cela, ces données montrent de façon impressionnante comment l’évolution joue son rôle dans un environnement changeant, et ce en très peu de temps. En effet, les bébés naissant plus tôt dans l’année sont avantagés d’au moins 3 façons. D’abord, ils auront plus de chance de trouver un territoire (et probablement plus grand) s’il sont les premiers juvéniles à sortir du nid. Aussi, ils seront plus forts et plus compétitifs pour défendre leur territoire trouvé (Rozell, 2003). Finalement, ils auront plus de temps pour faire leurs provisions et ainsi augmenter leur chance de survie durant l’hiver qui en élimine malheureusement plusieurs (Klenner et al, 1991). Bien sûr, les écureuils ont de courtes générations (environ 3 ans) et cela est un détail important afin que l’on puisse 6 observer une telle évolution. Si nous pensons aux autres animaux de cet écosystème (ex : coyotes, loup, orignaux, grizzly) chez lesquels une adaptation rapide est impossible dû à de trop longue générations, une évolution génétique pour faire face à un environnement de plus en plus hostile sera malheureusement impossible. De plus, nous ne pouvons dire que l’écureuil est une ‘vraie’ espèce nordique (Locke, 2003). Cette nature « nonnordique» de l’écureuil influencerait-t-elle positivement sa capacité de s’adapter aux changements? Justement, comme nous le savons maintenant, les écureuils sont capables de maintenir des populations assez stables (nous n’observons pas de « crash » cyclique de l’espèce) et ce malgré la variabilité de disponibilité de leur nourriture primaire. Mais ce n’est pas tout, les femelles écureuils ont prouvé être capables de prédire une future production massive de cônes et d’investir plus d’énergie dans la reproduction avant même que la saison des cônes débute, pour engendrer plus de descendants (2 portées). Cela leur permet de synchroniser une plus forte densité d’écureuils avec une plus grande disponibilité de cônes (Boutin et al, 2006). Les indices d’une future production en masse par les sapins seraient soit visuels ou chimiques et possiblement liés à des structures reproductives d’autres plantes qui sortent avant les cônes (Boutin et al, 2006). Cette adaptation peut sembler avantageuse à court terme pour les écureuils mais, et ceci n’étant qu’une hypothèse de ma part, à long terme, cela pourrait avoir un impact négatif sur la régénération des sapins qui dépendent justement de ces années de surproduction pour s’assurer d’une assez grande quantité de graines dispersées. Cette « menace » ne fait que s’ajouter à la grande liste de perturbations auxquelles la population de sapins blancs aura à faire face dans les prochaines années, et que nous verrons un peu plus loin. Malheureusement, les conditions climatiques qui attendent les écureuils changent à une si grande vitesse qu’elles amèneront certainement de nouvelles contraintes. En voici quelques unes qui pourraient fortement être trop importante et trop rapide pour une possibilité d’adaptation par les écureuils. 7 LES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES SAPINS BLANCS Selon nos discussions mentionnées plus haut, logiquement, la principale raison d’une diminution dans les populations d’écureuils serait sans doute la diminution de disponibilité des cônes des sapins blancs. Malheureusement, la façon dont le climat change au Yukon ne semble pas être avantageuse pour la survie de cette espèce de conifères. Premièrement, selon une étude sur les sapins blancs à l’intérieur de l’Alaska, la sécheresse engendrée par le réchauffement planétaire induirait une diminution de la croissance de ces arbres (Barber et al, 2000). Il est logique de croire que cette situation peut très bien se transposer sur l’avenir de ces mêmes arbres dans le territoire voisin. En fait, en regardant les cercles de croissance des arbres, des scientifiques ont découvert que les sapins blancs, ayant une croissance rapide, seraient particulièrement sensibles à la chaleur et à la subséquente sécheresse (Barber et al, 2000 et Hogg & Wein, 2005). De plus, comme la forêt boréale dans cette partie du Canada est très peu diversifiée en terme d’espèces d’arbres et que les sapins blancs sont de loin les plus abondants, une éventuelle diminution de croissance de ces arbres réduirait aussi de beaucoup la capacité globale de cette forêt à capter, par photosynthèse, le CO2 dans l’atmosphère (Barber et al, 2000). Ceci représente un autre cercle vicieux dans lequel l’écosystème de la forêt nordique du Canada se retrouve. Une autre problématique reliée à la faible diversité des espèces d’arbres, particulièrement dans le sud ouest du Yukon, est la vulnérabilité face aux importants dérangements qui guettent le nord-ouest Canadien. Comme pour les animaux, une homogénéité d’espèces veut aussi dire une homogénéité de faiblesses. En fait, une quelconque atteinte aux sapins blancs, qui d’ailleurs verront leur système de défense diminué suite au stress causé par la sécheresse, équivaut à un désastre énorme pour l’écosystème en entier (Ogden, 2006). Celle qu’on redoute le plus est certainement l’attaque des dendroctones de l’épinette (Dendroctonus rufipennis). Ces insectes peuvent littéralement dévorer des arbres complets en quelque temps. Avec les hivers plus chauds, 8 on peut s’attendre à ce que la survie hivernale des dendroctones soit augmentée puisque une période de 2-3 semaines de conditions très froides sont requises pour tuer ces insectes. Ces derniers se disperseront alors plus facilement et sur une plus grande étendue et/ou l’intensité de leurs attaques à un endroit pourrait être beaucoup plus importante (Lamontagne, 2007). De plus, ils attaquent plus spécifiquement les plus vieux arbres et donc les plus gros et les plus productifs en terme de cônes. Nous nous retrouverions alors non seulement avec une diminution importante de la quantité de sapins mais aussi, avec une forêt de petits arbres, donc moins de cônes produits (Lamontagne, 2007). On peut s’attendre à ce que le recrutement de nouveaux arbres soit beaucoup plus lent étant donné la diminution de graines, sans compter qu’une canopée moins importante donnera avantage aux petits arbustes. À très long terme, nous pouvons craindre une forêt clairsemée et dominée par des arbustes (Ogden, 2006). Conséquemment, les écureuils auraient moins de nourriture mais surtout, moins d’endroits pour faire leurs nids et seraient probablement confrontés à une fragmentation d’habitat. Troisièmement, il est évident que les feux de forêt plus fréquents représentent une des menaces majeures qui pourrait affecter la population de ces petits mammifères par la perte de leur habitat et de leur source première de nourriture. Normalement, les feux de forêt servent à maintenir une bonne succession pour la forêt boréale. Les sapins ont justement évolué en favorisant une surproduction de cônes après un feu ou une saison très chaude et sèche pour pouvoir assurer leur bonne régénération (Gray, 2005). Par contre, en l’éventuelle possibilité où il y en aurait trop de suite, la forêt ne peut reprendre le dessus et la capacité énergétique des arbres à produire de grande quantité de graines ne serait probablement pas assez grande pour plusieurs années de suite (Lamontagne, 2007). Ajoutons par-dessus cela que les arbres morts et desséchés sont encore plus prédisposés aux attaques par les dendroctones. Il est donc clair que la forêt boréale ainsi que tous ses habitants dépendant d’elle font face à d’importants dangers. 9 LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LA DYNAMIQUE DES POPULATIONS En comparant la biodiversité des tropiques avec celle des pays nordiques comme le Canada, il est évident que les régions du sud sont beaucoup plus productives. Cela peut être attribué à la plus grande quantité d’énergie radiante permettant ainsi une productivité primaire beaucoup plus importante, et par le fait même, des chaînes alimentaires plus complexes (Humphries et al, 2004). Comme la température augmentera plus significativement dans le nord, on peut s’attendre à une plus grande augmentation de la biodiversité à cet endroit. Par contre, il faut se demander si cet écosystème sera quand même capable de supporter une telle augmentation d’espèces avec toutes les perturbations dont on vient de discuter. S’il n’y arrive pas, on peut sans doute pencher vers l’hypothèse que les espèces existantes seront simplement remplacées par d’autres, ce qui n’augmenterait alors pas nécessairement la biodiversité. Aussi, une forte diversité d’espèces est en relation avec des conditions stables (Gray, 2005). Il est alors clair qu’avec la vitesse à laquelle le changement de climat survient et l’intensité avec laquelle les habitats seront perturbés, l’évolution des espèces et l’augmentation conséquente de la biodiversité est beaucoup moins probable (Gray, 2005). Dans le même ordre d’idée, selon Humphries et al, 2004, la plus grande diversité d’espèces sera probablement beaucoup plus le résultat d’un envahissement du territoire par les espèces du sud que l’apparition de nouvelles espèces secondairement à une sélection naturelle, à court terme du moins. En effet, une des réponses des animaux au réchauffement planétaire qui semble suivre le plus les prédictions faites par les scientifiques est le déplacement des populations vers le nord. D’après une méta-analyse faite par Parmesan & Yohe en 2003, il y a un mouvement des animaux et des végétaux vers les pôles d’environ 6.1 km par décennie. Ce déplacement pourrait avoir de sérieuses conséquences pour les communautés déjà installées, comme l’écureuil roux. Ainsi, suite à l’arrivée de nouvelles espèces n’ayant jamais cohabité avec les écureuils, ces derniers auront alors à combattre des menaces écologiques comme la compétition, la prédation, l’arrivée de nouvelles maladies, la restriction des aires disponibles pour s’établir et l’épuisement des ressources de l’écosystème (Gray, 2005). 10 Le plus inquiétant dans tout cela c’est que ces petites bêtes auront probablement à faire face à toutes ces perturbations en même temps. De plus, si nous nous rappelons la configuration du paysage du sud ouest du Yukon, autant que les populations d’arbres sont restreintes à seulement 3 espèces, nos écureuils sont aussi inévitablement contraints à être isolés dans une vallée. Les montagnes représentent des barrières naturelles importantes et font en sorte que certaines populations peuvent être isolées dans les vallées (voir figure 6, Wilson, 2005). Cela affecterait-il aussi la diversité des populations animales? Plus spécifiquement encore, cela pourrait-il faire en sorte que nos écureuils dans le sud ouest du Yukon aient une plus faible diversité génétique? Ce serait des avenues intéressantes à étudier. En fait, toute l’importance dans cette investigation serait de savoir s’ils sont assez différents génétiquement pour assurer leur bonne défense contre les maladies qui les guettent. En effet, si il y a présence d’une forte consanguinité, les chances sont qu’ils aient probablement tous un système de défense très semblable, efficace contre les mêmes pathogènes. Dans ce cas, un nouvel agent rendant un écureuil malade pourrait facilement se disséminer dans toute la population entière autour du lac Kluane comme nous l’avons vu dans le cours pour les guépards qui, à l’extrême, ont tous le même génome monotone, y compris leur complexe majeur d’histocompatibilité, indispensable à la reconnaissance d’une attaque virale par les lymphocytes (O’Brien et al, 1985). Une autre résultante du réchauffement climatique sur les populations du nord est sans aucun doute la moins grande différence de climat entre les saisons. Les animaux de la forêt boréale ont eu à s’adapter à un milieu où les hivers sont longs et froids entrecoupés de courts étés. Chacun a alors développé des modes de vie pour survivre à la longue période creuse et peu productive de l’hiver et tout cela en respectant bien sûr l’équilibre de l’écosystème. Certains ont opté pour la migration, d’autres pour l’hibernation et d’autres tout simplement pour une réserve accrue de nourriture. Les hivers moins longs et moins durs à passer pourraient alors changer l’équilibre de ce système et la compétition pourrait devenir importante, surtout entre les espèces saisonnières (qui expriment une inactivité hivernale) et les espèces « continuelles » qui restent actives tout au long de l’année, comme nos écureuils (Humphries et al, 2004). De plus, le fait qu’il y aura plus d’espèces saisonnières qui migreront au nord, cette 11 compétition affectera encore plus les espèces désavantagées. En effet les espèces saisonnières sont « programmées » pour avoir un meilleur taux de conversion alimentaire (pour augmenter le plus possible leur masse entre le printemps et l’automne afin de se préparer pour une très longue inactivité hivernale). Ils se voient alors automatiquement avantagés si la période à laquelle ils sont si productifs se rallonge. Inversement, les écureuils et autres animaux continuels comme le lièvre voient la durée de l’hiver et donc la durée de leur état avantageux diminuer. Nous pouvons alors croire que les populations de ces derniers seront réduites (Humphries et al, 2004). CONCLUSION Le réchauffement climatique est définitivement à nos portes. Malgré toutes les prédictions que les scientifiques pourront faire, seule mère nature sait ce qui guette vraiment les populations animales et végétales. En ce qui concerne l’écosystème de la région de Kluane Lake, si les arbres sont victimes de plus en plus d’insectes pouvant survivre aux hivers plus doux, il est logique de penser que des maladies nécessitant des bestioles comme vecteurs de propagation seraient un danger imminent pour les écureuils aussi. Ainsi, il faudrait vérifier la vulnérabilité des écureuils (par exemple en inoculant les écureuils avec les pathogènes) face à des maladies qui pourraient potentiellement atteindre les régions plus nordiques dans quelques années, comme la maladie de Lyme ou le virus du Nil. Malheureusement, dans mes recherches, je n’ai pas trouvé beaucoup de littérature sur ces maladies qui pourraient possiblement migrer vers le nord avec la venue d’espèces particulièrement proche génétiquement de nos écureuils roux. Par exemple, en Europe, la population native d’écureuil roux d’Europe a diminué énormément suite à l’introduction de l’écureuil gris normalement retrouvé dans l’est du Canada et des Étatsunis. Les scientifiques ont d’abord cru que c’était la compétition pour la nourriture qui affectait négativement les écureuils roux. De nouvelles études pointent maintenant du doigt un parapoxvirus qui est complètement inoffensif pour les écureuils gris (Tompkins, 2002). Lorsqu’on sait que les écureuils gris de l’est ont aussi été introduits en ColombieBritannique, on peut penser que le même scénario pourrait se reproduire au Canada. De 12 plus, si la variabilité génétique permet à au moins un minimum d’individus dans une population de survivre et de s’adapter aux changements climatiques, il serait indispensable de savoir et de faire en sorte de maintenir cette variabilité dans des écosystèmes isolés comme la région de Kluane Lake (voir figure 6). À ce sujet, il est bon aussi de se questionner sur le nombre réel d’espèces qui pourrait migrer vers cet endroit entouré en grande partie par des barrières physiques naturelles. Aucun auteur n’a mentionné cette contrainte. Peut-être pouvons-nous garder espoir que la colonisation par les espèces du sud ne sera pas aussi massive qu’ailleurs? Finalement, nos écureuils ont impressionné tous les scientifiques du milieu lorsqu’ils ont montré être capable, assez rapidement, de microévolution génétique afin de s’adapter aux changements climatiques. Par contre, à la vitesse auquel le réchauffement planétaire se produit, il me semble que cela prendra beaucoup plus que seulement la génétique, à court terme du moins, pour contrer les effets néfastes sur les populations. Comme l’affirme Paul A. Gray dans « The Forestry Chronicles » parût en 2005, ce sont les espèces qui auront un haut niveau de reproduction, qui pourront se déplacer sur de longues distances, qui pourront coloniser de nouveaux habitats rapidement en pouvant utiliser une nouvelle source de nourriture, tolérer la présence humaine et surtout survivre à un grand éventail de conditions environnementales hostiles qui arriveront les premiers à la ligne d’arrivée de cette grande course planétaire à la stabilité! La question que nous devons alors nous poser est la suivante : est-ce vraiment possible qu’une seule et même espèce possède toutes ces caractéristiques ? ... 13 Figure 1 : Tendance des températures minimales et maximales dans l’ouest de l’Amérique du Nord depuis 1950. Les zones rouges recouvrent les régions qui ont expérimenté le maximum d’augmentation de température (2.5 degré C) versus les zones jaunes claires qui sont le minimum (0.5 degré C) Réf :http://www.ecoinfo.ec.gc.ca/env_ind/region/climate/climate_e.cfm Environnement Canada, 2006, dernière consultation :8 avril 2007 Figure 2 : Tendance estivale pour les précipitations annuelles depuis 1950. Les régions qui ont subit de plus fort changement dans la quantité de précipitation en moyenne sont recouvertes de vert foncé (45 % plus de précipitations en 1990 versus 1900) et le % de changement diminue du jaune (aucun changement) jusqu’au orange foncé (45% moins de précipitations en 1999 par rapport à 1900). Ref :http://www.ecoinfo.ec.gc.ca/env_ind/region/climate/climate_e.cfm Environnement Canada, 2006, dernière consultation :8 avril 2007 14 Figure 3 : Désastres reliés au climat au Canada entre 1900-1999. L’histogramme est divisé décennies (sur l’axe des X) et le nombre de désastres dans ces décennies y est représenté (sur l’axe des Y) Réf :http://www.ecoinfo.ec.gc.ca/env_ind/region/climate/climate_e.cfm Environnement Canada, 2006, dernière consultation :8 avril 2007, Dernière mise à jour : 18/05/2005 Figure 4 : Diagramme montrant les sources de variabilité pour les dates de parturition chez les femelles écureuils roux du Yukon sur une période de 10 ans 15 Figure 5: Diagramme montrant un index de la quantité de cônes produits (en moyenne) et la date de parturition (la moyenne) pour 10 cohortes successives de femelle écureuils roux dans la région de Kluane Lake, Canada. Les cercles vident représentent les dates de parturition et les cercles pleins représentent abondance de cônes de sapins blancs. Réf: Berteaux et al, 2004, Keeping Pace with Fast Climate Change: Can Arctic Life Count on Evolution? Integrative and Comparative Biology, Vol # 44, p.140–151 Figure 6 : Carte du Sud Ouest du Yukon montrant le relief. Les endroits en violet ou rose sont les régions montagneuses les plus élevées en altitude par rapport au niveau de la mer Réf : site web : www.atlas.gc.ca Ressources Naturelles du Canada, 2006 16 RÉFÉRENCES Barber A., 2000, Reduced growth of Alaskan white spruce in the twentieth century from temperature-induced drought stress, Nature 405, 668-673 (8 June 2000) | doi:10.1038/35015049 Berry m. et al, 2002, Modelling Potential Impacts of Climate Change on the Bioclimatic Envelope of Species in Britain and Ireland, Global Ecology and Biogeography, Blackwell publishing, vol#11, 453-462 Berteaux et al, 2004, Keeping Pace with Fast Climate Change: Can Arctic Life Count on Evolution? Integrative and Comparative Biology, Vol # 44, p.140–151 Boutin et al, 2006, Anticipatory Reproduction and Population Growth in Seed Predators, Science, Vol # 314, p.1928-1930. DOI: 10.1126/science.1135520 Chapin III et al, 1996, CO2 Fluctuation at high latitudes, Nature, vol.383, p.585-586 Gray A., 2005, Impacts of climate change on diversity of forested ecosystems: some examples. The Forestry Chronicles, Vol 81 #5, p.655-661 Hogg & Wein, 2005, Impacts of Drought on Forest Growth and Regeneration following fire in Southwestern Yukon, Canada, Canadian Journal of Forest Research, Vol# 35, p. 2141-2150, doi: 10.1139/X05-120 Humphries et al, 2004, Bioenergetic Prediction of Climate Change Impacts on Northern Mammals, Integrative and comparative biology, Vol 44, p.152-162 KERR_ & PACKER, 1998, The Impact of Climate Change on Mammal Diversity in Canada, Environmental Monitoring and Assessment, vol# 49, p.263–270 Klenner & Krebs, 1991, Red squirrel population dynamics. I. The effect of supplemental food on demography, Journal of Animal Ecology, Vol # 60, 961-978 O’Brien et al, 1985, Genetic Basis for Species Vulnerability in Cheetah, Science: Vol. 227. no. 4693, pp. 1428 – 1434, DOI: 10.1126/science.2983425 Ogden A., 2006, Climate Change and Ecosystem dynamics in Southwest Yukon, report from Environnement Canada: Northern climate Exchange &Canadian climate Impacts and Adaptation Research Network, Parmesan & Yohe, 2003, A Globally Coherent Fingerprint of Climate Change Impacts across natural systems, Nature, Vol 421, p. 37-42 17 Réale et al, 2003, Genetic and Plastic Responses of a Northern Mammal to Climate Change, Proceedings of the Royal Society of London, Vol # 270, p. 291-296, DOI 10.1098/rspb.2002.2224 Root et al, 2003, Fingerprints of Global Warming on Wild Animals and Plants, Nature, Vol #421, p.57 à 60. Rusch & Reeder, 1978, Population Ecology of Alberta Red Squirrels, Ecology, Vol#59 (2), P.400-420 Tompkins M. et al, 2002, Parapoxvirus causes a deleterious disease in red squirrels associated with UK population decline, Proceedings of The royal society, London, vol 269, p.529-533 Wauters A. et al, 1994, The Effects of Habitat Fragmentation on Demography and on the Loss of Genetic Variation in the Red Squirrel, Proceedings: Biological Sciences, Vol. 255, No. 1343 (Feb. 22, 1994), pp. 107-111 Weberl & Flannigan, 1997, Canadian boreal forest ecosystem structure and function in a changing climate: effect on fire regimes, Environmental Reviews, Vol#5, p.145166 Wilson et al, 2005, Intraspecific phylogeography of red squirrels (Tamiasciurus hudsonicus) in the central rocky mountain region of North America, Genetica, Vol# 125, p.141–154, DOI 10.1007/s10709-005-5154-5 Yahner H., 1980, Burrow System Use by Red Squirrels, American Midland Naturalist, Vol. 103, No. 2 (April 1980), pp. 409-411 doi:10.2307/2424644 http://www.ipcc.ch/ Impacts. Adaptations and Vulnerability: The Summary for Policymakers Intergovernemental Panel on Climate Change, 6 Avril 2007 http://www.grida.no/climate/ipcc_tar/wg2/index.htm Climate Change 2001: Impacts, Adaptations and Vulnerability: Intergovernemental Panel on Climate Change, 6 Avril 2007 http://www.taiga.net/yourYukon/col346.html Red squirrels show evolution in the making, by Sarah Locke, Your Yukon, Environnement Canada, Pacific and Yukon Region Dernière date de consultation: 7 avril 2007 http://www.gi.alaska.edu/ScienceForum/ASF16/1637.html Rozell Ned, Alaska Science Forum, 2003, Red squirrels show signs of adapting to climate change, Article # 1637 18 http://www.ecoinfo.ec.gc.ca/env_ind/region/climate/climate_e.cfm Environnement Canada, 2006, Temperature and Precipitations : indicators of Climate Change, dernière consultation :8 avril 2007, Dernière mise à jour : 18/05/2005 Personnes ressources : Jalene M. LaMontagne, PhD Current address: Department of Biological Sciences University of Calgary 2500 University Drive N.W. Calgary, Alberta, Canada T2N 1N4 fax: (780) 492-2216 19 assuming that organisms are able to track their shifting climatic zones despite anthropogenic and natural barriers Kerr & Packer, 1997 Faiblesse : Pas parlé de : - Par contre, dans la forêt isolée du sud-ouest du Yukon, nous avons probablement à faire à une population avec une haute consanguinité. Territoire isolé entre montagne, la diversité génétique est diminuée et cela prédispose fortement à une éradication totale en présence d’un pathogène puissant sur cette population d’écureuil. Nombre minimal d’individus pour maintenir une variabilité génétique et pour assurer meilleure survie est de 500 animaux (Wauters, 1994). Dans notre cas : 325 écureuils dénombrés (Réale et al, 2003). - ACTH-STRESS Red squirrels had four times the levels of white blood cells and higher proportions of lymphocytes and lower proportions of eosinophils than Arctic ground squirrels, indicating that the latter were in worse condition immunologically. Our evidence suggests that the functions associated with the hypothalamic-pituitary-adrenal axis are compromised in breeding male Arctic ground squirrels, but not in red squirrels. We propose that in male red squirrels this axis has evolved in the context of a stable social system based on long-lived animals with individual territories which are needed to deal with unpredictable winter food supplies. Simulation studies show the potential for greatly reduced boreal forest area and increased fragmentation due to climate change Canadian boreal forest ecosystem structure and function in a changing climate: effect on fire regimes Received May 5, 1997. Accepted August 25, 1997. M.G. Weber1 and M.D. Flannigan. Canadian Forest Service, Northern Forestry Centre, 5320 122nd Street, Edmonton, AB T6H 3S5, Canada. 1 Author to whom all correspondence should be addressed (e-mail: [email protected]). Environ. Rev. 5: 145–166 (1997) A brief review of the literature revealed few estimates of heritability for arctic or northern populations, especially for phenological traits (Table 1). Berteaux et al, 2004 Petits animaux auront plus de chance pour s’adapter plus vite? While many species evolved in response to climate change in pre-human times (Harris 1993), and some species can adaptively evolve over short periods of time ranging from days to decades (Ashley et al. 2003, Stockwell and Ashley 2004), many will not have time to adapt to the rate and magnitude of changing thermal habitats. In addition, Species 20 In the presence of new and emerging ecological constraints, animal species with a high rate of reproduction that can move long distances, rapidly colonize new habitats, that can readily use new forage or prey species, tolerate humans, and survive in a broad range of physical conditions (Rejmánek and Richardson 1996, Inkley et al. 2004) will be most successful in finding and using new niches. Gray A., 2005, Impacts of climate change on diversity of forested ecosystems: some examples. Vol 81 #5 As we have seen earlier, the main factor affecting the ability of a species to evolve rapidly in the face of environmental changes, is its genetic variability for fitness-related or ecologically important traits. The reasons why genetic variation of quantitative traits is maintained in wild populations is still a debated question in evolutionary biology (Roff, 1997). To simplify, let us say that it results from the combination of mutation and migration, which tends to increase variation, and selection (or some aspects of genetic drift in small populations), which decreases variation, and the existence of trade-offs (or negative genetic correlations) between traits caused by antagonistic pleiotropy (see above). Keeping Pace with Fast Climate Change: Can Arctic Life Count on Evolution? (Berteaux et al, INTEGR. COMP. BIOL., 44:140–151 (2004) 21 22