Virginia Woolf

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Virginia Woolf
Virginia Woolf (1882-1941)
Virginia Stephen, descendante d’une grande famille britannique, fille d'un critique connu, est un
remarquable exemple de ces trajectoires d’exception auxquelles ont accédé, dans le premier XXe
siècle, quelques femmes privilégiées par le milieu social. Elle est cependant fragilisée par les épreuves
subies dans une constellation familiale complexe, au cours de l'enfance et l'adolescence : mort
prématurée de sa mère, puis d'un frère, une demi-sœur anormale, internée, un demi-frère qui la poursuit
de ses assiduités... A partir de 1895, elle reste toute sa vie sujette à de terribles accès de dépression.
En 1912, elle accepte de se marier avec Leonard Woolf qui s'efforce de la sécuriser et de l'empêcher de
sombrer dans la maladie. L'entente physique n'est pas trouvée, mais ils sont très liés par leurs centres
d'intérêt.
Elle évoque souvent l'inégalité d'éducation dont sont victimes les femmes : elle n'est pas allée à
l'université comme ses frères. Elle se trouve cependant au centre du groupe d'écrivains et d'artistes de
Bloomsbury, très connu dans l'entre deux guerres ; Leonard et elle créent une maison d’édition, la
Hogarth Press, qui publie T.S. Eliot, Freud, Joyce, K. Mansfield, Rilke… Romancière, elle contribue,
très fortement, comme Henry James ou Proust, au renouveau de la littérature. La Traversée des
apparences (1913), Mrs Dalloway (1925), La Promenade au phare (1927), Orlando (1928), Les Vagues
(1931)... La construction en est subtile et éclatée, le récit se dilue dans la quête de l’instant, les
monologues intérieurs entrelacés ; elle intercepte des apparences fugaces, des émotions furtives...
A travers romans et essais apparaît, sans lourde démonstration, avec une écriture vive et
ironique, une vision fulgurante de la situation des femmes comme des injustices sociales. Orlando
(1928), est certes un hommage à son modèle, le personnage hors du commun qu’est la belle
romancière Vita Sackville-West, avec qui elle a une liaison ; Orlando, ni homme, ni femme, voyage à
travers l’histoire en changeant de sexe suivant ses apparitions… C’est surtout un feu d’artifice de
scepticisme ironique à l’égard des rôles sociaux.
Une chambre à soi (1929) a été et reste un texte capital sur la condition faite aux femmes ; sous
une forme brève, et pleine d'humour, c’est une étape fondamentale dans la réflexion féministe. Le déni
de créativité a été un des premiers arguments des « défenseurs » de l’infériorité féminine, il est, encore
maintenant, un des derniers refuges de la misogynie. L’auteur analyse, avec finesse, tous les écarts
entre condition masculine et condition féminine qui expliquent l’absence d’œuvres et de traces laissées
par les femmes dans l’histoire. « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une
chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction » Cet essai ne fut traduit en français (par Clara
Malraux) qu’en 1951 et devint plus tard, avec Le Deuxième sexe (1949) un texte mythique du
féminisme. Il était certainement connu de Simone de Beauvoir, qui, en 1947, dans une conférence
prononcée aux États-Unis, prend l’exemple de la petite sœur de Shakespeare, une des métaphores
centrales de l'ouvrage. Si Shakespeare avait eu une sœur aussi désireuse que lui de faire du théâtre,
elle n'aurait pu partir à Londres sans être rattrapée et enfermée chez ses parents à raccommoder du
linge. Si elle était parvenue jusqu'à la porte d'un théâtre, aurait-elle eu d'autre issue que d'être séduite
par le directeur, puis abandonnée et de se suicider de désespoir ? Cette malheureuse sœur de
Shakespeare dont l’auteur a la conviction « qu’elle vit en vous et en moi, et en nombre d’autres femmes
qui sont en train de laver la vaisselle et de coucher leurs enfants ».
Trois Guinées (1938) fit scandale à sa parution. Ce livre ne fut traduit en français qu'en 1977 (par
Viviane Forrester). Virginia Woolf y compare l'oppression des femmes à la dictature nazie. Elle écrit aux
hommes :"Vos mères combattaient le même ennemi que vous et pour les mêmes raisons. Elles ont lutté
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contre la tyrannie du patriarcat comme vous luttez contre la tyrannie fasciste. […] Vous éprouvez en vos
personnes ce que vos mères éprouvaient lorsqu'elles étaient exclues, tenues au silence en tant que
femmes." Elle y décrit les lois monstrueuses qui encerclent la vie des femmes d'interdits.
Pressentant une nouvelle crise de dépression, elle se suicide en 1941 : elle entre, les poches
remplies de pierres, dans la rivière coulant près de sa maison. Ni Antigone, ni Ophélie, elle est une
référence fondamentale de nos féminismes contemporains.
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