Le grand buzz des poteaux rouges

Transcription

Le grand buzz des poteaux rouges
Dans le précédent numéro de
Sport et Vie, un article intitulé «on
repeint le match» a rencontré un
large écho dans la communauté
des footballeurs. Il est vrai qu’on
proposait de repeindre les poteaux
et la barre transversale des buts
en une couleur plus facile à
distinguer dans l’environnement du
stade. Dans les semaines qui
suivirent, plusieurs médias se
firent l’écho de cette initiative en
France, Belgique, Hollande, Italie,
Espagne. En Suisse aussi! Elle
était au centre d’une longue et
passionnante discussion que nous
avons eue, Michel Cymes et moimême, avec le Président de l’UEFA,
Michel Platini. La rencontre a eu
lieu au dernier étage du
somptueux bâtiment tout en verre
qui lui sert de siège à Nyon sur les
bords du Lac Leman. Voilà ce qui
s’est dit!
Le grand buzz des
poteaux rouges
Que pensez-vous de l’idée de repeindre les
buts de football?
(Il sourit) Personnellement, j’aime bien les
buts en blanc. J’ai marqué 356 fois dans ma
carrière. Je n’ai pas trop de raisons de leur en
vouloir. En même temps, je ne suis pas
hostile aux changements. A une condition
toutefois: aucune initiative ne doit venir
briser l’universalité du foot.
Que voulez-vous dire?
Le foot doit se jouer avec les mêmes règles
partout. Je ne voudrais pas qu’on renonce à
ce principe en adoptant des règles différentes selon les pays et les niveaux de
pratique. Prenons l’utilisation du Hawk-Eye
en tennis (NB: un système de repérage pour
savoir si une balle est bonne ou mauvaise).
A Wimbledon par exemple, la technologie
équipe seulement quatre courts sur dixneuf. Je ne trouve pas ça juste!
Pourtant, le football est en train de
suivre cet exemple. Récemment, on a
appris que la FIFA avait adopté un
système similaire pour déterminer
avec certitude si la balle a entièrement franchi la ligne de but. Il
devrait être d’application lors de la
prochaine Coupe du Monde. Au
sein de l’UEFA aussi, la mutation s’opère et le
Hawk-Eye devrait être opérationnel pour les
prochaines campagnes européennes.
C’est exact pour la FIFA. Elle a décidé d’utiliser la technologie sur la ligne de but pour ses
deux prochaines compétitions majeures, la
Coupe des confédérations et la Coupe du
Monde. En revanche à l’UEFA la décision a
été prise de ne pas sauter le pas, essentiellement pour des raisons financières. D’après
nos calculs, si nous installons la technologie
sur la ligne de but en Champions League et
en Europa League, cela nous coûterait plus de
54 millions d’euros sur cinq ans, car nous
sommes attachés à l’universalité des règles du
jeu et nous devrions installer ce système dans
les stades de toutes les équipes qui se qualifieraient pour les phases finales de ces compétitions. On préfère investir cet argent dans le
développement du football et s’en servir pour
financer la construction de terrains un peu
partout en Europe par exemple. Seule la
Premier League anglaise a décidé de suivre la
FIFA pour l’instant. Des ligues qui se sont
dites un temps intéressées par ce système,
comme la MLS (championnat américain) ou
la Bundesliga, ont également renoncé à cause
des coûts prohibitifs de cette technologie. Les
cas litigieux sont trop rares pour dépenser de
telles sommes dans ce système.
L’AI-JE BIEN FRANCHI?
Le but injustement refusé de Frank Lampard contre l’Allemagne au
premier tour de la Coupe du Monde sud-africaine aura finalement eu
raison des réticences des autorités du sport à modifier l’ancien système
d’arbitrage pour valider un but. L’UEFA a pris la décision de placer un
arbitre supplémentaire derrière la cage, lors des phases arrêtées dans
le grand rectangle. Pour la prochaine Coupe du Monde, la FIFA a plutôt
décidé d’investir dans un équipement GLT (pour «Goal Line Technology»). A ce stade, quatre sociétés se disputent le marché: Cairos,
GoalRef, Hawk-Eye et GoalControl-4D. Le premier système n’a pas
encore été officiellement testé. Les deux suivants l’ont été lors de la
Coupe du Monde des clubs organisée en décembre dernier au Japon. Le
système GoalRef équipait le stade de Yokohama et le Hawk-Eye se trouvait dans celui de Toyota. Il s’agit de technologies radicalement différentes. Le GoalRef peut se comparer au système antivol d’un magasin.
Le ballon contient un circuit électrique passif et les montants du but
sont équipés de dix antennes créant de fait un champ magnétique
comparable à celui des portiques à la sortie des magasins. Quant au
système Hawk-Eye («oeil de faucon» en anglais), il est bien connu des
Le système GoalRef implique de mettre une puce au centre du ballon (voir
amateurs de sport puisqu’on le trouve déjà sur les courts de tennis des
tournois du Grand Chelem (sauf Roland Garros). Le principe consiste ici
à recouper les images prises sous différents angles par une série de
caméras afin de situer la balle dans un espace prédéfini, en l’occurrence
le terrain. L’intégration se fait relativement vite par le biais d’un petit
logiciel. Mais le verdict implique évidemment de disposer d’images de
qualité. Compte tenu des obstacles qui masquent fréquemment la prise
de vue, il faut prévoir au moins 7 caméras par but,
soit 14 pour tout le terrain. Cela représente un coût
important d’exploitation. Comptez 300 000 euros
d’équipement, plus 3300 euros de frais de fonctionnement à chaque rencontre. Par comparaison le
GoalRef (125 000 euros) est meilleur marché. Mais il
implique de toucher aux installations de jeu et de
greffer une puce au cœur même du ballon, ce qui a
toujours effrayé les membres du Board. Aux
dernières nouvelles, la Ligue allemande qui étudie la
possibilité d’introduire la GLT dans ses championnats
de première et deuxième divisions se montrait plus
sensible aux charmes du GoalRef. Pour la Premier
League, en revanche, le système Hawk-Eye, qui a
l’avantage de proposer des ralentis a remporté les
suffrages. Il sera opérationnel dans tous les stades
anglais de première division. De son côté, la FIFA a
préféré faire confiance au quatrième système qui fut
testé lors de la dernière Coupe des Confédérations: le
ci-dessus).
GoalControl-4D. L’équipement ressemble à s’y
méprendre au système Hawk-Eye. Mais il est un peu
moins cher: 200 000 euros pour l’installation dans
un stade (au lieu de 300 000 euros) et 3000 euros
par match (au lieu de 3300 euros). Quelle que soit la
technologie employée, le système réagit dans la
seconde en envoyant un «Goal» sur la montre de
l’arbitre dès que le ballon a franchi la ligne. Les
choses évoluent tellement vite qu’on oublierait
presque de se poser la question: Est-ce vraiment
nécessaire? Or rien n’est moins sûr! Lors de la
Coupe du Monde des clubs, aucun but n’a donné
matière à contestation, il n’a donc pas été possible
de savoir si un système s’avérait plus efficace que
l’autre. Plus étonnant encore, sur les 967 buts
inscrits en Ligue 1 cette année, un seul aurait éventuellement pu faire l’objet d’une validation par GLT:
l’auto-goal du gardien d’Evian, Bertrand Laquait.
Mais en accordant le but, l’arbitre a pris la bonne
décision. Et sans chaperon! Olivier Beaufays
Les autres systèmes reposent sur les images prises par une multitude de caméras.
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DES SCORES
EN DENTS DE SCIE
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Ce graphique reprend le nombre de buts marqués en phases finales de la Ligue des Champions (autrefois Coupe des
Clubs champions) depuis 1956. Pour l’établir, nous avons conservé les résultats des quatre quarts de finale de
l’épreuve, des deux demi-finales et de la finale, soit sept matchs par année. On voit une nette décroissance avec la
généralisation de la tactique du «Catenaccio» (une tactique ultra défensive) dans les années 60. Quant à l’embellie
au début des années 90, elle peut là encore être mise au crédit du football italien et au jeu hyper chatoyant proposé
à l’époque par l’AC Milan sous la houlette d’entraîneurs comme Arrigo Sacchi ou Fabio Capello.
En même temps, on parle de repeindre des
poteaux. L’investissement n’est pas le même!
Sans doute. Mais on touche néanmoins aux
règles puisque l’usage du blanc pour les buts
est spécifiquement stipulé dans la première
loi du jeu. Pour obtenir une dérogation, il
faut donc obligatoirement passer par l’IFAB:
l’International Football Association Board.
Il s’agit d’une institution assez unique
composée de représentants des 4 fédérations
britanniques pionnières du sport (Angleterre, Ecosse, Pays de Galles, Irlande du
Nord) et de 4 représentants de la FIFA désignés par le Président Sepp Blatter. Les décisions s’obtiennent à la majorité des trois
quarts. Il faut donc réunir au moins 6 voix
sur 8. Le Board ne se réunit que deux fois
par an. Parfois, ils changent une règle
comme l’adoption des cartons jaune et
rouge en 1970 ou comme l’interdiction faite
au gardien de prendre la balle en mains sur
une passe volontaire au pied d’un équipier
depuis 1992. Parfois ils autorisent que l’on
procède à des expériences. Il y a quelques
années, on avait ainsi testé les rentrées au
pied dans des compétitions de jeunes. Ils ne
sont pas absolument réfractaires aux changements. Disons qu’ils officient comme
gardiens du temple.
Vous ne trouvez pas curieux que les règlements soient si précis sur la couleur des
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poteaux alors qu’ils laissent toutes les libertés
par ailleurs? Ainsi on peut jouer sur des
terrains en herbe ou en matière synthétique.
Les dimensions elles-mêmes varient dans
d’assez larges proportions (*). En France, les
ballons sont jaunes depuis l’année passée.
Mais les buts, eux, doivent être obligatoirement blancs! Vous ne trouvez pas cela bizarre?
A l’origine, c’est sûrement un souci d’homogénéité. Imaginez un but en rouge, en
jaune ou en bleu. Il pourrait y avoir un tas
de nuances de couleurs, plus ou moins
claires ou foncées. Tandis que blanc, c’est
blanc. Il n’y a que dans les publicités pour
les lessives où l’on fait la différence entre les
différents blancs. Dans le football, on est
moins regardant.
Une autre possibilité de rendre le but mieux
visible serait de recourir à un éclairage de
l’intérieur avec un système d’ampoules LED
et une structure translucide. Quelle serait la
réaction du Board?
Si les poteaux restent blancs, a priori, on ne
contrevient à aucune loi du jeu et donc les
stades seraient libres de s’équiper de cette
technologie sans encourir de sanctions. Bien
sûr, il ne faudrait pas que la lumière soit jugée
aveuglante ou puisse gêner les joueurs d’une
quelconque façon. Mais des poteaux luminescents blancs, pourquoi pas? Cela pourrait
être joli lors des matchs disputés en soirée.
Vous nous adoubez, alors!
(Il rit) Non, je n’adoube personne. Je trouve
simplement que l’idée est marrante. De plus,
je suis plutôt favorable à tout ce qui peut
améliorer la qualité du spectacle. Notez que
je ne suis pas sûr qu’une telle initiative
permette de marquer plus de buts. Certes,
les attaquants verront mieux la cible. Mais
les défenseurs aussi. Ils cesseront peut-être
de commettre des erreurs de positionnement qui découlent précisément du fait
qu’ils jouent dos au but. Mais ce n’est pas
grave. Personnellement, je ne trouve pas que
la qualité d’un match se mesure au nombre
de buts marqués. Certaines rencontres qui
se terminent par 0-0 sont plus passionnantes
que d’autres avec un score de 4 partout.
Pour les spectateurs aussi ce serait plus confortable. Dans le stade, on est souvent victime
d’illusions d’optique. La balle frappe le petit
filet et on croit à tort qu’elle est rentrée.
C’est possible. En tout cas, l’hypothèse vaut
la peine d’être vérifiée.
Propos recueillis par Gilles Goetghebuer
(*) Les lois du jeu fixent un canevas assez large. Le terrain
doit faire entre 90 et 120 mètres de long et entre 45 et 90
mètres de large. Notez au passage qu’un terrain carré (90x90)
serait parfaitement homologable. Pour être retenu en catégories 3 et 4 dans le système de notation de l’UEFA et donc
obtenir le droit d’accueillir les rencontres les plus importantes, il faut impérativement qu’il mesure 105 x 68 mètres.