La folie à l`âge démocratique ou l`après Foucault
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La folie à l`âge démocratique ou l`après Foucault
Jean-Luc Yacine La folie à l’âge démocratique ou L’après Foucault Cet ouvrage repère les discours tenus sur la folie en France depuis les années soixante, afin de souligner les tensions qui traversent ce savoir. Pour l'auteur, la naissance de l'asile obéit à une logique égalitaire et s'inscrit dans l'idéologie démocratique. Cette interprétation n'est possible que par un retour à la réflexion politique que Tocqueville inaugure avec la pensée démocratique. Cette conception du politique vise à restituer dans ses contradictions et ses ambiguïtés les remises en question des savoirs sur la folie et s'inscrit dans le cadre de l'histoire culturelle des idées. Jean-Luc Yacine est Docteur en science politique et spécialiste de l'histoire des idées. Diplômé du troisième cycle de l'Institut d'étude politique de Lille et titulaire d’une maîtrise en hygiène mentale (faculté de médecine de Créteil, Paris XII). Infirmier en santé mentale. La folie à l’âge démocratique ou L’après Foucault Collection Essais Jean-Luc Yacine La folie L’aprèsFoucault à l’âge démocratique ou Théétète ISBN : 2-912860-50-4 12 € T ÉDITIONS Introduction C’est au cours des années soixante que les sciences humaines s’installent dans l’enceinte universitaire, offrant au public d’importantes publications et acquérant de la reconnaissance sociale. L’époque est à la remise en question des savoirs qui s’interrogent sur la légitimité de leur discours. Cette critique a coïncidé et s’est appuyée sur le terme de « structuraliste » qui a fait son apparition au cours de cette période. On peut dire qu’elle confirme et installe un certain nombre de savoirs qui avaient commencé de se constituer au cours des années cinquante et qui vont nourrir le débat théorique longtemps. Quelques repères : – 1945 : Levi-Strauss, L’analyse structurale en linguistique et en anthropologie ; – 1949 : Levi-strauss, Histoire et ethnologie ; – 1952 : Jakobson, Le langage commun des linguistes et des anthropologues et Dumézil, Les dieux des Indo-Européens ; – 1953 : Lacan, Fonction et champ de la parole et –7 8– du langage en psychanalyse et Barthes, Le degré zéro de l’écriture ; – 1960 : Althusser, Sur le jeune Marx ; – 1961 : Levi-Strauss, Histoire et dialectique. Ces sciences humaines se caractérisent d’emblée par une exigence commune : rompre avec une philosophie dominante qui demeurait une philosophie de la subjectivité et de la conscience hostile à toute abstraction ; elles revendiquent une scientificité dont l’idéal s’emprunte à cette école française d’épistémologie que le nom de Bachelard symbolise pour beaucoup. Le mot de « structuralisme » peut prêter à confusion (il désigne surtout une philosophie), en revanche celui de « structure » confère à un certain nombre de domaines un statut nouveau de scientificité. Il s’agit d’indiquer que l’on est passé d’une logique de la représentation à une logique du signe et de la communication où les termes pertinents sont ceux de « modèles », « construction » et « transformation ». La structure n’est pas donnée mais construite. S’ouvre le grand débat sur la science et la vérité. Le partage entre les sciences exactes capables de mathématisation et ces discours qui ne peuvent se fermer sur eux-mêmes, où se trame le désir des sujets. C’est au cours de cette période que Foucault publie : L’histoire de la folie à l’âge classique, 1961. Le statut que prend la folie, chez les auteurs français à partir de 1960, c’est-à-dire la nature du savoir sur la folie à compter de cette période, c’est tenter de repérer les discours tenus sur la folie. À la base, l’ouvrage de Michel Foucault : L’histoire de la folie à l’âge classique, où, dans une archéologie de la déraison annoncée, il brosse, en réalité, un tableau de la raison. Une raison fondée non plus à partir de son fond mais de son bord. Une culture qui n’est plus fondée sur ses bases mais sur ses marges. La fausse humanisation du savoir psychiatrique, « libération » à l’intérieur de l’enfermement qui produit la connaissance positive de la folie en reconduisant, en réalité, derrière l’objectivité trompeuse des signes et des symptômes, le refoulement rationaliste de la folie. Comme programme : retrouver la vérité primordiale de la parole folle, enfouie sous ce discours clinique étriqué et ossifié dont se trouve dévoilée la complicité avec la structure carcérale où il a son théâtre. Il y a la psychanalyse aussi. D’ailleurs au titre de la libération de la parole et de l’écoute, Freud et Foucault font cause commune. L’objet paraît le même : dans l’un et l’autre cas ne s’agit-il pas de savoir entendre ce que recouvre l’illusoire objectivation psychiatrique ? Les Écrits de Lacan paraissent en 1966, où il, ressort en premier, la promesse d’une psychana- –9 10 – lyse pure, délivrée des compromissions médicales, rendue à sa vocation subversive. Il fallait « détruire l’asile », déconstruire l’objectivisme sommaire des catégories psychiatriques et promouvoir l’intelligibilité psychanalytique. Toutefois les efforts se multiplièrent pour rendre la parole à ceux que la routine clinique se contentaient d’étiqueter, pour entendre la vérité nue de leur expérience au-delà ou en deçà de toute capture dans des catégories préconstituées, pour les accompagner dans leur voyage délirant, pour retrouver en soi-même, à distance des préjugés de raison, l’écho profond du franchissement des limites d’où ils appelaient. Ce fut un échec, mais un échec fécond. En effet, les grands massifs et les principales polarités, manie et mélancolie, paranoïa et schizophrénie, se révélaient pertinents, une fois débarrassés de la gangue scientiste où leur mise en lumière s’était primitivement coulée. Contrairement à ce que la dénonciation de l’illusion objectiviste eût fait attendre, le décapage de la forme n’entraînerait pas la destruction du fond. Ceci n’allait pas sans ouvrir de troublantes questions relativement au statut de ce savoir, pas si étranger à la nature de son objet que son allure ne l’avait donné à croire. Le discours antipsychiatrique avait fasciné en opposant à la réduction opérée par une fausse science la révélation d’une vérité de la folie, exemplifiée et parée des prestiges de l’inouï par les noms et les œuvres de Hölderlin, de Nerval, de Van Gogh et d’Artaud. L’expérience de la déraison y étant lue comme une « explosion de subjectivité » brisant les carcans de l’anonymat, des interdits et des rôles intériorisés. Singulière affirmation que celle qui emprunte les voies de la destitution de soi et de l’aliénation aux autres. Tout ceci a contribué à la naissance de la question : « De quoi la folie est-elle, au juste, folie ? » En 1980, Marcel Gauchet et Gladys Swain publient La pratique de l’esprit humain (éd. Gallimard, Paris). Ils mettent en rapport de façon originale la question de la démocratie, celle de la folie et de l’institution psychiatrique. Avec cet ouvrage c’est « à un remaniement d’ensemble de notre perception du statut de la “folie” à l’époque contemporaine – et plus généralement, des pratiques modernes de socialisation des “anormaux” et des “déviants” – que nous sommes conviés1 ». Ils publient ensuite Dialogue avec l’insensé. À la recherche d’une autre histoire de la folie (éd. Gallimard, 1994, bibliothèque des sciences humaines). Cet ouvrage rassemble des essais d’histoire de la psychiatrie que Gladys Swain a rédigés sur une dizaine d’années, de 1977 à 1987. Ces – 11 essais ramassent et prolongent, ou complètent les analyses présentées dans Le sujet de la folie 2 et La pratique de l’esprit humain 3, ouvrages qu’ils ont publiés précédemment.