Texte complet - La feuille mutine
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Texte complet - La feuille mutine
POUR EN FINIR avec le mythe de la supériorité de l’espèce humaine et avec toutes les dominations Que meure dans nos esprits l’idée de hiérarchie… À toi, qui rampes, qui marches, qui nages ou qui voles… Plein de choses dans la tête, accumulées au fil des années : émotions, pensées fugitives, réactions à des lectures, discussions passionnées… Un matin, j’ai eu envie de mettre en ordre mes idées sur la condition faite aux animaux non humains, sous domination humaine. Sans projet défini, j’ai laissé ma plume flotter presque librement. Très vite, il m’a semblé nécessaire de faire le lien entre cette domination et toutes les dominations, entre la domination que subissent les animaux non humains et la domination en général. Je suis persuadée, en effet, qu’il s’agit, dans tous les cas, du même phénomène, que toutes les dominations obéissent aux mêmes mécanismes, et que notamment elles utilisent les mêmes arguments, les mêmes raisonnements. J’ai tout de suite rencontré une difficulté : allais-je écrire « les animaux », pour plus de commodité, pour ne pas agacer le lecteur, ignorant par là la réalité la plus évidente, à savoir que l’humain est lui aussi un animal ? Allais-je accepter de séparer irrémédiablement l’humain du cloporte, du chien, de la mygale et du cochon ? Ce qui rassemble pourtant les animaux non humains, c’est précisément que la plupart des humains ont décidé de les mettre tous dans le même sac, malgré leurs grandes dissemblances. Et de jeter ce sac bien loin d’eux. Ils croient en une différence absolue de nature entre eux et les autres animaux. Ils se plaisent à imaginer l’existence d’un règne humain. On n’est pas obligé de les suivre dans l’erreur. C’est pourquoi - chaque fois que nécessaire j’utiliserai, selon le contexte, les expressions « animaux non humains » et « autres animaux ». J’ai conscience d’avoir essentiellement traité des dominations dans la culture dite occidentale et particulièrement telles qu’elles se présentent en France. Je sais que les Indiens d’Amérique, par exemple, ont une autre conception des rapports entre les humains et les autres espèces, entre les humains et la Nature. Mais la culture occidentale est la seule que je connaisse vraiment. Hélas, elle est en train de gagner la partie dans le monde entier. Ma réflexion sur la domination - et en particulier sur la condition faite aux animaux non humains a été facilitée par ma grande fréquentation des chats (et mon amour pour eux ! ). L’amour, contrairement à ce que dit le dicton, permet de voir mieux. Du fait que j’étais témoin au quotidien de leur intelligence, du fait de la richesse des relations que j’entretenais avec eux, il était impossible pour l’enfant que j’étais, d’envisager une vie faite de mépris pour les autres espèces. Les chats m’ont appris que vivre dans le respect et la douceur avec les membres d’autres espèces, accéder à d’autres façons d’être, de sentir, de penser que celles des humains, n’était pas seulement instructif et propice à ouvrir l’esprit, mais surtout un extrême plaisir. Je ressens une immense gratitude envers l’espèce chat. Je dois aux chats un grand nombre des moments les plus forts de ma vie. Je gage que se reconnaîtront dans ces lignes - au moins par moments - ceux qui, comme moi, se demandent parfois s’ils appartiennent vraiment à l’espèce humaine. Une espèce qui se croit supérieure « Quelle bande de veaux ! » « On n’est pas des moutons ! » « On nous traite comme des chiens ! » « Animal » est une insulte pour les humains. Aux autres animaux, les pires défauts : la stupidité, la cruauté, les instincts les plus vils. Les instincts en général. Les instincts ne sont pas bien vus par les humains. À l’humain : l’intelligence, la noblesse, la générosité, la compréhension, la tendresse. Les humains le disent sans modestie aucune quand quelque chose vient heurter leur légendaire goût pour la douceur : « C’est pas humain ! » Animal = Mal. Humain = Bien. Par définition humaine. Tous les animaux non humains sont logés à la même enseigne quant à leur fondamentale indignité. Les humains se croient différents du reste du monde. Fondamentalement. Que sont donc les humains ? Des minéraux ? Des végétaux ? De purs esprits ? Un règne à eux tous seuls ? Faisant fi des connaissances scientifiques les mieux établies, les humains sont des animaux qui refusent d’être des animaux. Mais comment ne pas se sentir supérieur quand on possède - croit-on - tant de qualités que les autres - croit-on - n’ont pas ? Nombre de religions et de philosophies nous rabâchent la leçon : nous, humains, sommes supérieurs aux autres « créatures » et nous avons le droit de dominer ce qui nous est inférieur. « Puis Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » La Bible (genèse) Diable ! Vous avez vu ces impératifs ? C’est plus qu’un droit. C’est une obligation. Une mission. Où l’on ouvre les yeux sur l’évidence d’une domination Les humains - la presque totalité d’entre eux - jugent les autres espèces animales inférieures à l’espèce humaine. En conséquence, au fil des siècles, ils en ont soumis de fort nombreuses, qu’ils utilisent aujourd’hui comme des objets, qu’ils exploitent, persécutent, torturent et mettent à mort. Le plus souvent, ils n’ont pas vraiment conscience de l’existence de cette domination. S’il leur est tous les jours évident que leur chien ou leur chat « passe » après eux, très peu ont conscience d’appartenir à ce qu’on peut appeler une « classe » d’individus : les humains, dominant, maltraitant, exploitant collectivement le reste des animaux. Cet aveuglement est-il étonnant ? Non. Les dominants, en effet, dominent souvent « en toute innocence », sans même savoir qu’ils dominent. Cette inconscience est due au fait que cette domination leur paraît naturelle et justifiée. On ne voit pas ce qui ne choque pas. Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes. En voici quelques-uns. Et d’abord, quelques chiffres : ----------------------------- Chaque année, en France, trente millions d’animaux non humains sont tués au fusil, à la chasse. Chaque année, en France, un milliard d’animaux non humains sont tués dans les abattoirs. Tous les jours, dans les laboratoires, des milliers d’animaux non humains sont torturés et mis à mort au nom de la science. Chaque seconde, dans le monde, plus de trente mille poissons sont tués par l’espèce humaine. ----------------------------- « L’élevage »1 industriel mérite une place particulière dans ce texte. En effet, son existence repose sur la complicité silencieuse de ceux que notre société de consommation appelle… les consommateurs. Que ceux-ci cessent d’acheter la viande et les produits laitiers issus de ces « élevages » et ces « élevages »… cessent d’exister. Il est vrai que beaucoup de gens ignorent encore ce qui s’y passe, tout étant fait pour que l’horreur reste bien cachée. « L’élevage français » compte environ 25 millions de cochons. 95% d’entre eux sont enfermés dans des bâtiments au sol ajouré fait de béton. Ce qui fait 23 750 000 porcs qui n’auront jamais aucun contact avec la terre ou même avec de la paille. De leur naissance à leur mort. Je reviendrai plus loin sur le sort des cochons. Trente six millions de poules « pondeuses » (c’est à dire « élevées » pour leurs oeufs) sont enfermées dans les cages de « l’élevage » industriel français. Alignées sur plusieurs niveaux, dans des hangars sans fenêtre, ces cages, extrêmement peuplées, ne laissent à chaque poule que la surface d’une feuille de papier A4 pour « vivre ». Elles ne leur permettent ni de marcher ni d’ouvrir leurs ailes. Ces poules ne verront jamais la lumière du jour. 1 Je mettrai ce mot chaque fois que nécessaire entre guillemets car le terme « élevage » est impropre. J’y reviendrai plus loin. Malades, blessées, déplumées, elles ne peuvent faire un mouvement sans gêner les autres. On les prive de tout ce qui fait leur vie : couver leurs oeufs, gratter la terre, se chauffer au soleil… Leur bec est coupé à vif. C’est que leur vie en cage est si intolérable que les poules deviennent agressives les unes envers les autres et parfois même cannibales. Elles se tuent à coups de bec. Et plus il y a de morts, moins il y a de sous pour « l’éleveur ». Même horreur pour les lapins : 21 cm x 29,7 cm pour tout territoire, sol grillagé, aucun mouvement possible, la mort assommé sur une caisse pour ceux que l’on considère comme non rentables. Des objets que l’on engraisse. Très éloignés de la nature et des réalités physiologiques les plus simples, beaucoup d’humains ignorent ni plus ni moins que les vaches n’ont de lait que lorsqu’elles ont mis au monde un veau. Pour lui. Pour le nourrir. Pour qu’il vive. De même font les femmes pour leurs petits. Le lait que nous buvons est volé aux veaux. « Le besoin journalier du jeune veau étant d’environ 5 litres de lait, la moyenne « naturelle » de production d’une vache qui allaite son petit ne dépasse pas 1000 litres de lait par an. Dans les « élevages » actuels, la vache doit produire, 10 mois par an soit 305 jours, entre 6000 et 12000 litres de lait, selon la période de lactation et la race. »2 L’association L 2143 explique que du fait de cette hyper-productivité « beaucoup de vaches souffrent de maux douloureux : mammites (infections des pis) et boiteries sont très courantes dans les élevages laitiers, tout comme les troubles métaboliques et de la fertilité. […] Pendant leur grossesse, les vaches laitières continuent à être traites ; elles sont donc simultanément exploitées pour leur lait et leur veau. Le scientifique John Webster estime que cet effort épuisant fourni quotidiennement par leur organisme reviendrait, pour un être humain, à l'énergie dépensée par une course folle de six à huit heures par jour. » Dans la nature, les veaux tètent jusqu’à l’âge de huit mois. En « élevage », ils sont enlevés à leur mère dès leur naissance ou un ou deux jours après, puis sont isolés. Nourris jusqu’à l’âge maximal de deux ans, ils sont ensuite envoyés à l’abattoir. Près de deux millions de veaux sont tués, dans les abattoirs, chaque année, en France. La plus grosse partie des veaux mangés par les humains provient du cheptel de vaches laitières. La vache et le veau souffrent d’être séparés à tout jamais l’un de l’autre. Citons encore L214 : « C’est un véritable déchirement pour la vache et son veau car leur relation est très forte et pourrait durer de longues années. Après la séparation, beaucoup se cherchent en meuglant pendant des jours. Des vaches ont défoncé des clôtures et parcouru des kilomètres pour retrouver leur petit, parfois au péril de leur vie. » Le jour vient rapidement où une vache, épuisée par sa vie d’esclave, souvent malade, parfois ne donnant plus assez de lait aux yeux de son « éleveur », n’est plus « rentable ». Il la condamne donc à mort. Elle prend alors le doux nom de « vache de réforme ». Rien à voir, comme on le voit, avec une simple dispense de service. Toujours ce langage du déni, si joliment trouvé pour faire passer l’horreur. Beaucoup de gens ignorent que les vaches dites laitières ne leur donnent pas seulement leur lait mais aussi leur chair, sous forme de steak. Pour près de la moitié, la viande de boeuf est celle des vaches laitières. Mourir à cinq ans, parce qu’elle n’est plus rentable, alors qu’elle pouvait espérer vivre vingt ans, tel est le sort de ces vaches. 2 Michelle Julien. La vache à lait : notre consommation, leur martyre. Éditions du cygne. 2011 3 « L 214 éthique et animaux » est une association antispéciste très active(www.l214.com) Ici, l’on torture puis l’on tue Torture. Le mot n’est pas excessif. Mais les abattoirs, les « élevages », les laboratoires de vivisection sont des lieux fermés. Alors, les militants rusent. Ils s’aventurent clandestinement dans ces lieux tabous, pour filmer ce qui s’y passe. D’autres écrivent. Tous dénoncent ce qu’ils ont vu. Beaucoup de gens refusent de voir ces films ou de lire ces livres. C’est trop horrible et ils sont sensibles à la souffrance même relatée… Certains « ne veulent pas y penser ». Comme on les comprend ! Comme on imagine ce que doit être cette souffrance pour celui qui la vit, si déjà elle est insupportable à lire ou à regarder, au chaud sur son canapé ! En France, entre 15 % et 20 % des bovins sont égorgés, à l’abattoir, en pleine conscience (ce sont les chiffres du Ministère de l’Agriculture). Alors que la « consommation » par les communautés musulmane et juive ne représente que 5 % à 7 %. Pourquoi cette différence ? Tout simplement parce que sans « étourdissement »4, ça va plus vite. Et le temps, dans notre société, c’est de l’argent. Quant aux moutons, un sur deux est égorgé en pleine conscience. Et qu’en est-il du lait ? Que se cache-t-il derrière son image onctueuse, maternelle et rassurante ? Voici deux courts extraits du livre de Michelle Julien : « La vache à lait : notre consommation, leur martyre » pour le découvrir. Le premier est tiré d’un entretien que l’auteur a avec le Dr Kieffer, vétérinaire de la protection animale. Il s’agit des vaches laitières à l’abattoir : « Les vaches de réforme peuvent demander cinq à sept minutes avant de mourir. Imaginez une vache qui fait 500 kg, suspendue par une patte, la gorge tranchée, et attendre cinq minutes avant de mourir. Elle risque même de se retrouver « habillée » - c’est un terme que les abattoirs emploient lorsqu’ils commencent à retirer la peau. Donc on risque de commencer à retirer la peau sur un animal qui n’est pas complètement mort. C’est choquant, tout de même ! À ce moment là, vous vous dîtes : « Est-ce que je continue à manger de la viande ? » Voyons le deuxième extrait. Cette fois, il s’agit d’un entretien avec une élève de l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort : « J’ai entendu dire que des vaches arrivent à l’abattoir alors qu’elles attendent un petit. L’avezvous également constaté ? » « Oui, c’est une pratique courante chez les « éleveurs ». En fait, une vache pleine est plus lourde. Elle rapporte ainsi plus d’argent à l’éleveur. » « Que devient le foetus ? » « Celui que j’ai vu est parti à la poubelle. » À la poubelle aussi avait été jeté, en 1989, à l’abattoir de Dallas Crown Packing, au Texas, un poulain nouveau né : « Deux ouvriers utilisèrent un fouet de deux mètres sur la jument alors 4 On appelle étourdissement le fait de rendre inconscients les animaux non humains avant de les tuer. qu’elle mettait bas, pour qu’elle se dépêche et qu’elle puisse entrer dans la salle d’abattage. Le poulain fut jeté dans le seau des déchets. »5 La vie d’un nombre impressionnant d’animaux non humains est ainsi subordonnée à notre vie et à nos intérêts à nous, à nos envies, parfois même à nos caprices… Asservie. Confisquée. Nous avons décidé d’attribuer à ces êtres une fonction, celle de nous servir, sans contre-partie aucune, c’est à dire de les traiter comme des esclaves. Pire : comme des objets. Qui a vu des poussins jetés dans des broyeurs6 sait que nous en sommes arrivés à considérer des êtres vivants comme RIEN. De nombreuses espèces animales échappent - heureusement - au pouvoir des humains, même si beaucoup subissent les effets de notre civilisation sans pour autant être nos prisonnières, à commencer par tous ceux qui sont victimes de la pollution de l’air, de l’eau, de la terre, des pesticides, de la perte de leur habitat du fait des modifications que nous apportons aux paysages, du plastique dans les océans, des déforestations, des marées noires, des guerres, des accidents nucléaires etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc… Charles Patterson. Un éternel Treblinka. Éditions Calmann Lévy. Treblinka était un camp de la mort nazi, au nord de Varsovie. 5 Les poussins mâles ne pondent pas d’oeufs. Pour la société industrielle, ils ne servent à rien. Ils sont donc tués. Broyés vivants. Ou gazés. 6 Le capitalisme : un système politique extrémiste Tout ceci a lieu en France, sous un système économique déterminé : le système capitaliste. La domination et l’exploitation des animaux non humains par les humains en prennent donc les couleurs, si l’on peut dire. Particulièrement « l’élevage » industriel. Ces couleurs sont terrifiantes. Il faut dire que le système est terrible. Il opprime aussi la plupart des humains. Combien d’années, combien de jours, combien d’heures de nos vies sacrifions-nous au travail pour assurer pouvoir et argent à la toute petite minorité que constitue les riches, les capitalistes, les dirigeants politiques ? Michel Arbatz raconte le désespoir de cette privation de liberté, dans sa chanson « Gaston » […] Sous des « Bonjour » ensommeillés, on cache notre vie de con Des plaisanteries amidonnées par l’habitude du chemin Et on sent déjà la limaille qui vous rentre dans les oreilles Y a déjà plus un p’tit coin de libre pour penser qu’on pourrait rester Assis sur l’trottoir ou sur l’quai Au lieu de se laisser vivre par le boulot […] Sur les visages y a des absences qui se croisent Et des pointeuses qui claquent du bec sur les retards Enfin c’est la chaîne qui commence en jetant son cri à vomir Qui te rappelle que chaque matin et chaque matin ça fait une vie Ça fait des bleus dans les oreilles, une barre de fer le long du dos Société de consommation donc de déchets. Nous sommes, nous aussi, parfois, des objets que l’on prend puis que l’on jette. En démocratie représentative - en France, par exemple - on peut élire ses maîtres. Des maîtres qui prendront ensuite des décisions sur lesquelles nous n’aurons aucune maîtrise. Nous avons l’habitude d’être tenus en laisse. Nous n’avons souvent jamais rien connu d’autre. Ce système ayant pour but unique de faire un maximum de profit, il n’a pas de morale. « La fin justifie les moyens » est un proverbe fait pour lui. Tout pour quelques sous de plus. Et ces quelques sous justifient tout. Son objectif, c’est de TOUT pouvoir vendre : les objets bien sûr mais aussi la force de travail des gens, mais encore leurs désirs, pensées, sentiments (manipulés par la publicité), les cultures des peuples (vendues aux touristes)… l’eau, les sols, la nature. À quand l’air ? Un milliard d’humains affamés dans le monde. Et voilà que l’on cultive des plantes pour faire rouler des bagnoles : les fameux agrocarburants ! Nestlé assoiffe les Pakistanais pauvres, en pompant les nappes phréatiques et en revendant cette eau à prix d’or. Pour emplir leurs poches de milliards, les capitalistes détruisent à tours de bras la Nature, les équilibres fondamentaux de la Terre. La calotte glaciaire fond ? Ça les galvanise : profit en vue ! Vive le pétrole au Pôle Nord ! Vive la mort pourvu qu’on meurt riches ! Têtes baissées devant notre nouveau maître : le téléphone portable, hypnotisés par lui, nous voyons et entendons de moins en moins ce qui se trame autour de nous. Le phénomène est affligeant : jusqu’au coeur des manifestations anticapitalistes, on voit de plus en plus de gens qui « communiquent » ou « se renseignent » frénétiquement par voie d’écrans, au lieu de tout simplement vivre l’instant présent. Au lieu de tout simplement vivre. Et nous voilà, nous humains dominés, qui dominons à notre tour et exploitons sans vergogne les autres animaux. Ce système a poussé domination et exploitation à leur comble. Il est, en effet, dans sa nature d’aller jusqu’au bout de la logique qui le fonde. Une société capitaliste peut-elle est libre, égalitaire, fraternelle ? Non. Le capitalisme implique la domination. Le capitalisme « à visage humain » (c’est à dire ni dur ni impitoyable… encore cette prétention humaine ! ) n’existe pas et n’existera jamais. Le capitalisme EST dur et impitoyable. Cette forme rêvée du capitalisme est une invention de ceux qui désirent le sauver à tout prix. Dans sa forme la plus rude, le capitalisme, c’est la soumission totale, la torture et la mort. Et pour ce qui est du sort fait aux animaux non humains, ce « joli programme » est d’ores et déjà à l’oeuvre ! C’était logique. C’était annoncé depuis le début. Fabrice Nicolino cite dans son livre « Bidoche » deux zootechniciens7 de la première heure, deux hommes qui ont participé avec ardeur aux tout débuts de la société industrielle : Émile Baudement et André Sanson. Le premier est né en 1816. Écoutons-le : « Les animaux sont des machines vivantes, non pas dans l’acception figurée du mot, mais dans son acception la plus rigoureuse, telle que l’admettent la mécanique et l’industrie. […] Ils donnent du lait, de la viande, de la force : ce sont des machines produisant un rendement pour une certaine dépense ». Et voici André Sanson : « La zootechnie est la science de la production et de l’exploitation des machines vivantes. » Voyons ce qu’il en est effectivement aujourd’hui de cette zootechnie, en revenant par exemple à « nos » cochons… « élevés » industriellement. « Plus de paille, mais des caillebotis sur lesquels les bêtes s’esquintent les pattes. […] Les petites lattes de bois ou, mieux encore, de plastique doivent en effet être suffisamment espacées pour permettre aux déjections des porcs de s’y faufiler. […] Un bruit assourdissant […]. C’est la ventilation. L’air de ces bâtiments est filtré en permanence pour tenter de réduire l’un des principaux fléaux de ces élevages hors sol : les maladies respiratoires, […]. Elles sont dues à l’air confiné […]. Étant donné la concentration des animaux, sans cette ventilation les porcs mourraient en quelques heures. […] L’air est d’autant plus irrespirable que la température est élevée. Pourquoi cette chaleur étouffante ? Pour que les bêtes ne dépensent pas sottement leur énergie à se réchauffer plutôt qu’à grossir à la vitesse de l’éclair. […] Le porc n’a donc qu’à s’accommoder de vivre dans cette atmosphère confinée. Et sans jamais voir la lumière du jour : il vit dans le noir. […] le nombre de porcelets mis bas chaque année par truie [est passé] de 16 dans les années 70 à 30 aujourd’hui. […] Un miracle technologique rendu possible par les indispensables hormones. « la zootechnie fait […] son apparition en pleine lumière vers 1830 […]. Il s’agit […] de trouver des techniques capables de mieux utiliser ce que les animaux ont à apporter à l’aventure humaine. » explique Fabrice Nicolino dans « Bidoche ». Fabrice Nicolino. Bidoche. Éditions Les Liens qui Libèrent. 2011 7 [Après l’insémination, la truie] est entravée trois jours afin qu’elle ne bouge pas trop et que l’insémination soit le plus efficace possible. »8 Si l’insémination a échoué… pour la truie, ce sera l’abattoir. Comment les techniciens de ces « élevages » appellent-ils les porcelets ? Des porcelets ? Non. Ils les appellent « le minerai ». Ce minerai que l’on va chercher à pleines mains dans le corps de la truie, car il est nombreux, le minerai, et il faut que ça aille vite. Pas de temps à perdre, en système capitaliste. Parfois, ça tourne mal et il faut recourir à une césarienne, c’est à dire un bon coup de masse sur le crâne « et on l’ouvre en deux, à vif ».9 Pauvre « minerai » qui ne pourra téter sa mère qu’au travers de barreaux. Elle, maintenue de force allongée dans sa cage pendant l’allaitement, s’y ennuie à mourir. Comment les techniciens de ces « élevages » appellent-ils ce lieu concentrationnaire et désespérant où une mère et ses petits tentent en dépit de tous les obstacles d’avoir une relation d’amour ? Ils l’appellent « une maternité ». Il y a finalement trop de petits (merci les hormones ! ). Trop pour le nombre de tétines. Alors, on tue les plus chétifs : « On les « toque » c’est à dire qu’on leur explose le crâne à mains nues contre le caillebotis ou contre le mur ».9 Dans ces « élevages », on ne soigne pas. On préfère tuer : c’est moins cher et puis on a l’habitude. [La truie], on l’assommera au bout du compte d’un coup de masse parce qu’elle se sera coincé un onglon dans le caillebotis […] 9 On voit que les coups de masse sont distribués avec générosité ! Tous les porcs finissent-ils à l’abattoir ? Non. L’arrêté du 9 juin 2000 autorise, en effet, les abattoirs à refuser les individus - trop fatigués ou trop malades - qui demanderaient plus de temps que les autres. Du temps qui perturberait l’atroce efficacité de la chaîne d’abattage. Du temps qui ferait perdre de l’argent. Ces porcs sont donc tués dans « l’élevage » même. Comment sont-ils tués ? Par électrocution. Par perforation de la boîte crânienne par une tige métallique. Par asphyxie dans des chambres à gaz. Oui : dans des chambres à gaz. Ça ne vous rappelle rien ? Certaines pages de l’Histoire nous ont, c’est vrai, montré qu’on pouvait TOUT faire aussi avec des humains, dès lors qu’on décide de leur ôter toute valeur, toute dignité. On peut mettre en cage des humains et les exposer comme dans un zoo. On peut les vendre. On peut dans les entasser dans des wagons sans lumière, sans nourriture ni eau. On peut décider de ne voir en eux qu’une simple matière dont il est rentable de faire des peignes, des engrais ou du papier à partir de leurs cheveux, de leur peau ou de leurs os, comme cela s’est passé dans les camps de la mort de l’Allemagne nazie. On peut choisir de leur dénier toute dignité et toute valeur. Le site internet « L’histoire des camps »10 commente « Nuit et brouillard », le film d’Alain Resnais : « Les victimes juives sont entassées comme de vulgaires sacs, avec la bouche ouverte. Il n’y aucune véritable distinction entre l’Homme et la bête. […] Ces hommes sont ni plus ni moins que des « tas de fumiers » destinés à la mort. […] Les corps sont éliminés comme de simples ordures. » 8 Isabelle Saporta. Le livre noir de l’agriculture. Éditions Fayard. 2011 9 Michelle Julien. La vache à lait : notre consommation, leur martyre. Éditions du cygne. 2011 10 http://tpememoires.wordpress.com/tag/introduction/ Aucune distinction entre l’Homme et la bête… Décidément. Tout est dit. Une simple matière, disais-je. Le déni total de l’existence d’individualités. Encore moins que des objets. Le summum est atteint avec les poissons, dont on parle en tonnes. Ces poissons qui agonisent des heures durant dans l’indifférence des passants, que l’on découpe vivants, dont on n’imagine pas qu’ils puissent souffrir faute de pouvoir entendre leurs cris. Quand Isaac Bashevis Singer écrit : « Par rapport à eux [ les autres animaux ], tous les humains sont des nazis. Pour les animaux c'est l'éternel Treblinka. », il a hélas raison. Le fait que Singer ait été juif a donné une force terrible à ses propos. C’est ainsi que sont traités les animaux destinés à la « consommation » humaine. Ils connaissent les pires des violences jamais imaginées. L’espèce humaine a fait de leur vie un enfer. ---------------------------------------- Les luttes des écologistes contre l’implantation de nouvelles porcheries industrielles ne sont pas assez souvent soucieuses des cochons, à mon gré. L’argumentaire donne la plus grande place aux nuisances précisément écologiques, notamment la pollution de l’eau. La Bretagne concentre c’est bien le cas de le dire - 56% du « cheptel » français de cochons, alors que sa surface ne représente que 6% de celle de la France. Certes. On entend souvent : « Il y a plus de cochons que de Bretons ! ». Le ton est scandalisé. Qu’est-ce que cela sous-entend ? Que les seuls occupants légitimes d’un territoire sont les humains. Que, jusqu’à preuve du contraire, les humains étant les maîtres, ils se doivent d’être les plus nombreux… pour garder la maîtrise… Ici, on « entend » le sentiment d’être envahi, avec son frisson d’angoisse… Cette phrase - répétée comme une rengaine - émane des tripes. Elle reflète le dégoût que beaucoup d’humains éprouvent pour les cochons. « Un cochon c’est déjà dégueulasse alors trop c’est trop ! » en quelque sorte. Les cochons sont donc plus nombreux que les humains à vivre en Bretagne. Ils sont aussi plus nombreux à y mourir : 33 000 Bretons environ, chaque année contre 14 millions de cochons… Alors, on échange ? ---------------------------------------- Toutes les dominations se ressemblent L’idée même de domination m’est insupportable. Tout cela a commencé par la prise de conscience, dans ma petite enfance, de mon statut de femme. Statut inférieur à celui de l’homme, partout dans le monde et aussi en France, en 2014. Les humiliations, brimades, limitations, petites ou grandes, auxquelles tout individu infériorisé est soumis, m’ont sensibilisée à ce type de souffrance. Sensibilisée comme on peut l’être à un allergène, qui provoque - si rien n’est fait - des réactions de plus en plus fortes au fil du temps. L’avantage est que cela permet de réfléchir aux phénomènes de pouvoir, aux mille et un visages que prend la domination, pas toujours violente, parfois très protectrice, toujours méprisante. Cette situation de seconde m’a rendu plus perceptible tous les mépris : mépris pour les humains « non blancs », mépris pour les autres animaux, mépris en général. J’ai vu que les besoins des dominés, leurs intérêts, leurs existences même étaient dévalorisés ou passés sous silence. Dans mon pays, le fait d’être un homme est tacitement considéré comme la normalité. Les lois, les textes, le langage laissent supposer qu’il s’agit là du cas général. Croire que le normal c’est soi-même, ça prête à sourire, non ? Que sont les autres, alors ? Les « non normaux « ? Des cas particuliers. Des cas accessoires, qu’on peut passer sous silence... Ne pas parler des opprimés, c’est une pratique constante de la domination. Pour les nommer, on emploie parfois le terme de « minorités ». Or, dans la langue française, un cas particulier est par définition minoritaire. Mais un cas particulier qui atteint cinquante pour cent des cas - les femmes, par exemple - mérite-t-il vraiment son étiquette de cas particulier ? « Minorités » : voilà un mot employé souvent, en milieu militant, pour évoquer, par exemple, les luttes de ces populations. Les « luttes des minorités » sont logiquement perçues par les dominants comme des luttes accessoires. Puisqu’elles ne concernent que des cas particuliers. Est-ce un hasard si le nom minorité donne l’adjectif mineur ? Mineur-majeur, non responsableresponsable, enfant-adulte, secondaire-principal, pas important-important... Une lutte essentielle n’est-elle pas une lutte majeure ? Les femmes, les noirs et les animaux non humains11 ont un point commun important : ils n’ont pas d’âme. Ou, en tout cas, ils n’en ont pas toujours eu. Peut-être même, dans l’esprit de certains, n’en ont-ils toujours pas. On sait que l’âme est quelque chose de très immatériel, encore plus Ils ne sont pas les seuls dans ce cas. C’est un argument souvent utilisé au cours de l’Histoire pour inférioriser telle ou telle catégorie d’êtres. Citons, entre mille autres exemples possibles, les Amérindiens, au 16ème siècle, lors de la colonisation espagnole. 11 immatériel que l’esprit, aux antipodes du corporel en somme. Une petite chose impalpable qui, paraît-il, vous rapproche de Dieu. En réalité, l’âme, c’est comme le langage articulé : on s’en passe très bien. Trêve de ces fadaises. Il s’agissait juste, par ce détail, de montrer que, si toutes les dominations se ressemblent, c’est particulièrement vrai du sexisme, du spécisme12 et du racisme. Dans les trois cas, l’infériorité prétendue est inscrite au plus profond de la nature des dominés : on est pour la vie femme, noir ou animal non humain. Nul changement possible. C’est congénital et c’est définitif. Dans les trois cas, le groupe dominé est associé à la Nature. Dans une société où le culturel est plus valorisé que le naturel et l’esprit plus que le corps, on comprend bien l’intérêt qu’il y a eu, pour les rabaisser, à prétendre que les femmes, les noirs et les animaux non humains sont plus proches de la Nature que les autres, c’est à dire instinctifs, peu ou pas intelligents. Proches de la nature, les femmes et les noirs sont aussi - c’est forcé - plus « animaux » que les hommes blancs. Là encore, bien sûr, ce n’est pas un compliment. En novembre 2013, lors d’un de ses déplacements, Christiane Taubira, ministre de la justice « de couleur », a été agressée : « La guenon, mange ta banane ! » lui a-t-on crié, tout en en agitant sous son nez. Phrases proférées par des « Blancs », par des enfants, par une petite fille notamment, particulièrement remarquée. Car c’est bien connu : Noir = singe = pas bien. Ces manifestants, dignes représentants de ce que la France compte de plus vil et de plus sot, n’ont bien sûr pas le crâne suffisamment bien fait pour savoir que leurs insultes n’en sont pas. Hé oui, nous sommes des singes ! Et Noir = singe, Blanc = singe, singe = bien. Vous n’aimez pas les bananes, vous ? Moi, j’adore ça. Les infectes soupes des diverses dominations ont décidément toutes mijoté dans le même chaudron. Ce fait divers affligeant en est une illustration parfaite. -----------------------Une domination est toujours étayée par toute une culture, avec notamment un langage fait pour dévaloriser le groupe dominé. Le dévaloriser ou même le nier. Le nier, oui. Les animaux non-humains sont infiniment plus nombreux que les humains. Leur présence sur la Terre n’en est pas moins considérée comme accessoire, voire carrément oubliée. N’entend-on pas dire sans rire qu’il y aurait sept milliards de Terriens ? Hé oui ! Les seuls individus qui comptent, ce sont les humains. Qui comptent ! Donc qui sont comptés... Négation de l’évidence, négation des individus. Au mieux, relégation de leur vie dans une zone de moindre importance. Au pire, l’assassinat. Rita Banerji, indienne, fondatrice de la « 50 Million Missing Campaign pour stopper le génocide féminin en Inde », raconte : « Souvent, les familles font délibérément mourir de faim leurs filles en négligeant de les nourrir complètement ou en leur donnant les restes s’il y en a après que les hommes et les garçons aient mangé. Si une fille tombe malade, la famille ne dépensera souvent pas d’argent en soins médicaux, préférant la laisser mourir. L’infanticide féminin a une longue histoire en Inde, et de manière effrayante, chaque région a sa propre façon établie et traditionnelle de tuer les petites filles, méthodes qui comprennent la noyade du bébé dans un baquet de lait, l’ingestion forcée de sel, ou encore l’enterrement de la fillette vivante dans un pot en terre. » Le mot spécisme - formé sur le modèle des mots racisme et sexisme - désigne la croyance en la supériorité de l’espèce humaine sur les autres espèces animales. 12 La supériorité ? Ça n’existe pas ! Je ne chercherai pas à démontrer que les autres animaux sont sensibles, souffrent, ont des sentiments ou sont intelligents. Tout cela a déjà été tant de fois prouvé et c’est un fait acquis pour qui sait ouvrir les yeux sans préjugés. C’est la notion même de supériorité qui est contestable. Pourquoi ? Il suffit de s’éloigner un peu de son nombril pour comprendre que toute hiérarchisation des êtres est subjective : celui qui établit la hiérarchie étant inévitablement juge et partie, il choisit comme critères de supériorité ceux qui lui sont favorables. En effet, à partir du moment où l’on accepte l’idée de hiérarchie, il est nettement plus agréable de se trouver au sommet de celle-ci. C’est donc ce que font sans vergogne les humains, dès lors qu’il s’agit de montrer qu’ils sont supérieurs aux autres espèces. Cette supériorité résiderait-t-elle dans le fait de marcher sur deux jambes, en position verticale ? La belle affaire que de marcher debout ! Nous avons pris la posture qui nous convenait à nous au moment où nous en avons eu besoin (nous lui devons, d’ailleurs, toutes nos douleurs vertébrales). Cette position était inutile à la plupart des autres animaux. On vit très bien, à quatre pattes - ou à mille - quand tout notre organisme est bâti en fonction de cela. Notons, au passage, que les oiseaux aussi sont des bipèdes. Résiderait-t-elle alors, cette supériorité, dans le fait d’utiliser un langage articulé ? Gageons que le langage articulé n’éblouit que nous. Pourquoi les autres espèces nous l’envieraient-elles ? Chacune d’entre elles possède son propre code de communication, très efficace. J’oubliais la culture, cette culture dont nous sommes si fiers ! La dernière génération d’éthologues est en train de découvrir que les grands singes, notamment, ont aussi ont une culture. Une de leurs expériences porte sur la manière dont des chimpanzés vont se débrouiller pour s’emparer du miel logé au fond d’un tronc d’arbre. On constate que différents groupes de chimpanzés, vivant dans des lieux différents, adoptent des techniques différentes. Récupérer du miel dans un tronc d’arbre, de la culture ? Bien sûr ! Contrairement à un préjugé de notre époque, la culture ne se limite pas à la création artistique. Pour le zoologiste Frans de Waal, la culture c’est : « un mode de vie partagé par les membres d’un groupe, mais pas forcément avec ceux d’autres groupes de la même espèce. [La culture] recouvre le savoir, les habitudes, les compétences, tendances et préférences sous-jacentes comprises, dérivés de la fréquentation des autres et de l’apprentissage auprès d’eux13 ». Le problème n’est pas de savoir si un bonobo ou un chimpanzé est capable d’écrire une symphonie car écrire une symphonie ne présente, de toute évidence, aucun intérêt dans le monde des bonobos ou des chimpanzés. Quel humain saurait fabriquer un nid, dans les règles de l’art ? Aucun sans doute et cela ne provoque en lui aucun sentiment d’infériorité. Quand il s’agit de créer quelque chose qui ait un sens pour elles, les autres espèces animales aussi réalisent des merveilles. Remarquons que la quasi totalité des humains est incapable d’écrire une symphonie. Dans le monde humain, une symphonie, en général, ça s’écoute. 13 Quand les singes prennent le thé. Frans de Waal. Éditions Fayard. 2001. Amusons-nous un peu avec les critères de supériorité - et décidons que la rapidité à la course est LE critère fondamental : nous sommes battus à plate couture par le guépard… - et décidons que la taille du cerveau est LE critère fondamental (plus c’est gros, mieux c’est). Il s’agit évidemment de ce qu’on appelle le « coefficient d'encéphalisation », c’est à dire de la taille du cerveau par rapport au corps de l'individu. Hé bien, à ce petit jeu, nous sommes battus par les singes écureuils, les capucins d'Amérique du Nord et certaines chauve-souris. - et décidons que la capacité à voler est LE critère fondamental : là, nous sommes « mal »… Des critères de soi-disant supériorité, on peut en trouver des milliers. Aucun n’est incontestable. En fait, chaque espèce est parfaite puisqu’elle est adaptée à ses besoins. Parfaite, à sa façon. Comme la nôtre. Les paléontologues modernes, notamment Stephen Jay Gould, ont démoli la croyance en une humanité « point final » d’une évolution linéaire des espèces, allant de l’imparfait au parfait. Peut-on sérieusement supposer que la Nature a eu en tête un objectif bien défini : nous fabriquer nous, êtres humains ! Cette façon de voir le monde, partagée pendant longtemps par les scientifiques, est en fait très imprégnée de religion. Il semble que l’histoire de la naissance et de la mort des espèces ait laissé une part très importante au hasard. Stephen Jay Gould explique dans nombre de ses livres que mille autres chemins auraient pu être empruntés et que l’être humain aurait pu, ni plus ni moins, ne jamais exister. Le site « www.hominides.com » explique : « Depuis 7-8 millions d'années, il n'y a pas eu qu'une seule lignée bien nette qui irait directement du Dernier Ancêtre Commun avec les grands singes vers l'homme anatomiquement moderne. Les hominidés se sont multipliés et certaines lignées ont disparu sans descendance (comme Néandertal ou floresiensis). Notre évolution est plutôt comparable à un arbre buissonnant dont certaines branches se séparent et d'autres s'arrêtent. Plusieurs espèces appartenant au genre Homo ont non seulement existé mais aussi coexisté. L'homme moderne est plutôt un rescapé de la lignée comme les autres grands singes en voie d'extinction. Sans finalité, l'homme continue d'évoluer, comme les autres espèces animales. Personne ne peut prédire ce qu'il deviendra ou ne deviendra pas dans 10 000 ans. » Il serait naïf de croire, toutefois, que les scientifiques actuels se soient débarrassés des préjugés concernant la supériorité des humains sur les autres animaux. Il s’en faut de beaucoup ! Entendu sur France Inter, le 20 novembre 2013, dans la bouche d’un paléontologue célèbre, à propos de « Lucy » (Lucy et ses semblables sont considérés comme des pré-humains) : « Je ne dirai pas que c’était un animal... Elle était mieux que ça... Je préfère les appeler des êtres... des êtres vivants. » À l’échelle de l’univers, la notion de valeur d’un être (ou d’un groupe d’individus) paraît dérisoire. En fait, elle ne se pose tout simplement pas. Mais, à l’échelle de l’individu, nous avons tous une immense valeur pour nous-mêmes. Quelle que soit notre espèce. Pour survivre, nous avons besoin que notre vie soit primordiale à nos yeux. Sans cela, nous ne prendrions pas la peine de la défendre, de la maintenir. Or, tous les animaux essaient d’échapper à la mort. Quand on nous humilie, qu’on nous maltraite, qu’on nous torture, qu’on nous tue enfin, c’est toute la détermination que nous avons mis depuis notre naissance à nous maintenir en vie et dans le plaisir qui est foulée aux pieds. Tu croyais en toi ? Tu croyais être « quelque chose » ? Tu n’es rien. Tous les soins que nous nous sommes donnés à nous-mêmes et tous ceux que nos parents et tous ceux qui nous aiment nous ont donnés un jour ou l’autre s’en trouvent avilis. La souffrance d’un être - à fortiori sa mort -, c’est presque toujours la souffrance de beaucoup d’autres. Qu’est-ce qui rend la vie d’un être si précieuse ? Le fait qu’il y tienne. Tout le monde veut vivre ou, au minimum, mourir quand il le voudra, ce qui revient au même. Même une personne suicidaire tient à choisir le lieu et le moment de sa mort. Personne ne désire être tué. Une vie en vaut une autre. La mienne, ou celle de n’importe quel autre humain, ne vaut pas plus que celle de n’importe quel autre animal. Si notre vie a de la valeur pour nous, alors elle a de la valeur… tout simplement. La même valeur pour toutes les vies. ------------------------ Contradictions au sein du peuple… Une femme. Elle travaille à la SPA et s’indigne à propos d’une tentative de meurtre sur un chat, à Marseille. Fait rarissime : le coupable, récidiviste, est condamné à un an de prison ferme. Elle dit : « Aujourd’hui, c’est un chat. Demain, ce sera un enfant ! » puis, sans se rendre compte apparemment de la contradiction : « Moi, je ne fais pas de hiérarchie… » Elle était sincèrement révoltée par ce qui venait d’arriver au chat. Hélas, elle « faisait » bel et bien une hiérarchie. Elle aussi. Difficile, parfois, de se dégager totalement des conditionnements. ------------------------ Quand ça nous arrange… On vous l’a pourtant dit et répété : les autres animaux sont radicalement différents des humains ! Et vous voilà de nouveau coupable d’anthropomorphisme ! Vous êtes incurable vous qui jugez que tel chat ou mouton est heureux ou jaloux ou pire qu’il vous aime ! Ce sont là des sentiments et les sentiments sont humains. C’est pourtant simple, non ? Différents, on vous dit. Ah ! Pas toujours, cependant. Il arrive que, pour la société, les animaux non humains soient semblables aux animaux humains, tellement semblables même qu’ils peuvent les remplacer sans qu’on puisse voir la différence. Comme c’est bizarre… Où ça ? Quand ça ? Mais dans les laboratoires, voyons ! La vivisection ! Hé oui ! Quand il s’agit de tester pour nous nos médicaments et nos substances chimiques en tous genres, les autres espèces animales nous ressemblent comme des soeurs. Différentes ou semblables selon que ça nous arrange ou nous dérange, en quelque sorte. Cette fichue conscience Dans le milieu militant de la cause animale (la plupart des militants continuent d’employer le mot « animal »), les mots « sentient », « sentience » sont de plus en plus employés. L’adjectif sentient désigne un être « [qui a] des perceptions, des émotions, et […] par conséquent […] des désirs, des buts, une volonté. ». Ces mots tendent souvent à remplacer, dans le discours, ceux de « conscient » et « conscience ». Par prudence ? Ou pour que nos adversaires ne puissent nous opposer l’éternel argument de la soitdisant absence de conscience des autres animaux ? L’existence de cette conscience est effectivement ce qui leur est encore le plus souvent dénié. La reconnaissance de leur sensibilité étant en bien meilleure voie dans l’esprit du plus grand nombre, il est plus facile de chercher à convaincre qu’il est indigne de maltraiter un être « sentient » que de se lancer dans une difficile démonstration pour prouver qu’il est conscient ou même intelligent. On peut comprendre la tactique. Je crains toutefois que l’usage des mots « sentient », « sentiente » ne masquent, chez les militants, peut-être pas un doute sur le fait que les animaux non humains soient conscients mais, au moins, la peur de l’affirmer en public. Dans les textes des Cahiers Antispécistes, je lis que la conscience est - de l’avis même des scientifiques - une notion difficile à définir. Mais, si l’on ne sait pas ce qu’est la conscience, comment peut-on alors affirmer que l’être humain est conscient ? Peut-être tout simplement parce qu’il est capable de nous le dire. Si nous lui demandons : « Es tu conscient d’être toi ? ». Il est probable qu’il répondra : « Oui ». Et nous le comprendrons, puisque nous possédons un langage commun. Le fait qu’un individu d’une autre espèce ne puisse pas nous renseigner sur la conscience qu’il a de lui-même ne prouve pas qu’il n’en a pas. Il me semble que la notion de conscience a plusieurs aspects. J’en connais bien un, en tant qu’infirmière. Qu’est-ce que la conscience, en jargon médical ? on distingue plusieurs niveaux de conscience, recoupant en fait plusieurs niveaux d’éveil. Etre tout à fait conscient, c’est être tout à fait réveillé. Nul doute dans l’esprit de chacun que les autres animaux possèdent bien cette conscience là. Il vaut mieux, en effet, être bien réveillé si l’on veut échapper à un chasseur. Quant au reste, il semble plus sage de toujours faire suivre les mots conscience et conscient du petit mot « de ». On est conscient de quelque chose. De soi, de ce qui vous entoure, de ce qu’on ressent… mais souvent aussi inconscient justement de ce qui se joue autour de nous, de ce qu’on exprime, de tant de choses en fait ! Comme toujours, on parle des autres animaux comme s’il s’agissait d’un groupe uniforme - grave offense -, alors qu’il existe des milliards d’espèces, avec chacune ses particularités. Chacune, sans doute, est consciente de certaines choses et non consciente d’autres. Chacune a sa vision du monde, forcément partielle, forcément subjective. Il en va de même pour l’espèce humaine. Et que dire des différences de conscience entre individus d’une même espèce ? Certains individus humains ne vont-ils pas jusqu’à NE PAS avoir conscience de la souffrance de ceux qu’ils appellent « les animaux » ? Par un bel après-midi pluvieux, j’écoute le dernier album d’un artiste que j’apprécie : Bernard Lavilliers « Tu es […] Plus drôle que le poisson Qui vit dans la mer Sans savoir la mer » Tiens, au fait… pourquoi supposer que le poisson « ne sait pas » la mer, son lieu de vie ? Il la « sait » forcément, il a sur elle mille connaissances, que nous n’avons pas. Se dit-il qu’il les possède, ces connaissances ? On n’en sait rien mais cela ne l’empêche pas de les avoir. Il a rudement intérêt - un intérêt vital - à « savoir » la mer. Que savons-nous de la mer, nous humains ? Rien, pour beaucoup d’entre nous. Certains ne l’ont jamais vue. Un tout petit peu, quelquefois : bains de mer, promenades en bateau, davantage si nous sommes marins ou plongeurs mais cela reste bien superficiel. Nous ne sommes pas des animaux marins et ce que nous saurons jamais de la mer ne saurait être que dérisoire. Nous savons si peu de la mer qu’il nous est bien difficile d’imaginer qu’on puisse y respirer et mourir asphyxié à l’air. Savoir qu’elle contient du chlorure de sodium, quelle couvre 70% de la surface de la Terre, connaître le cycle de l’eau, voilà ce que généralement nous appelons, nous, savoir. Est-ce cela savoir ? Est-ce le seul savoir possible ? Celui de l’humain ? Par définition ? La notion de conscience est très liée à celle d’intelligence, notion que nous ne savons pas plus définir précisément que celle de conscience, malgré notre intelligence. Nous en sommes réduits à faire passer des tests, tous plus contestés les uns que les autres parce que tous plus ou moins liés à la culture, malgré nos efforts. Comme nous n’avons pas tous le même accès à la culture, nous ne sommes pas égaux face à ces tests. On n’arrive pas à tester l’intelligence en soi. Notre idée de l’intelligence humaine reste culturelle, donc variable, subjective. À plus forte raison celle que nous avons de l’intelligence des autres espèces. Un de nos grands points faibles est que nous sommes incapables de concevoir une pensée sans langage articulé. Or, de toute évidence, elle existe. Différente de la nôtre, sans doute, mais néanmoins efficace. En fait, nous estimons leur intelligence à l’aune de la nôtre. Une intelligence sans conscience, est-ce possible ? La question est d’importance à l’heure où l’on reconnaît enfin l’intelligence de bon nombre d’espèces. Il semble pourtant qu’être conscient soit un préliminaire à toute pensée. Alors ? Les animaux non humains seraient intelligents mais seuls les humains seraient doués de conscience ? Nous les humains, nous sommes tous des dominants Comment une femme « blanche » pourrait-elle revendiquer l’égalité avec les hommes, si, par ailleurs, elle est raciste ? Si elle fait sienne l’idée que les humains ne sont pas égaux selon qu’ils sont « noirs » ou « blancs « ? Car s’il existe des humains inférieurs à d’autres, pourquoi pas les femmes ? Au nom de quoi un homme prolétaire dénoncera-t-il l’obéissance obligatoire au patron, son mépris, son autoritarisme, si, à la maison, il règne en maître sur sa femme ? Il en va de même pour l’esclavage auquel nous condamnons tant d’animaux non humains alors même que nous condamnons l’esclavage. Si l’idée d’esclavage est acceptable, alors… pourquoi pas l’esclavage des humains ? De nombreux humains qui s’opposent à la notion de hiérarchie à l’intérieur de l’espèce humaine, sont par ailleurs spécistes. C’est troublant. Car enfin, comment espérer pouvoir bâtir une société égalitaire sinon en refusant toutes les dominations, en contestant toutes les hiérarchies ? Si je revendique la liberté pour tous les humains et leur égale dignité, comment puis-je accepter que les animaux des autres espèces soient privés de leur autonomie et de leur plaisir de vivre ? que toute leur vie soit détournée à mon profit ? qu’ils souffrent et meurent dans les laboratoires de vivisection pour que je puisse, moi, peut-être, guérir et vivre plus longtemps ? qu’ils se contorsionnent dans les cages de « l’élevage » industriel et soient traînés à la saignée des abattoirs pour la satisfaction fugitive d’un morceau de boudin ou pour une dinde aux marrons trop copieuse, qui finira pour partie à la poubelle ? qu’ils me servent à me nourrir, à m’habiller, à me laver, à me soigner, à me distraire ? qu’ils soient réduits à l’état d’objets ? Réaliser que l’on bénéficie d’un statut privilégié est une chose inconfortable pour la plupart des humains. Privilège allant en général de pair avec injustice, on se sent remis en cause gravement. Il est plus facile de continuer de croire que ces privilèges sont mérités. On a vu comment certains Communards, exilés en Nouvelle-Calédonie, en 1871, après l’échec de la Commune et « empreints de l'idéologie ordinaire de suprématie raciale sur les « sauvages », ont participé à la répression de la révolte des Canaques.14 Pourtant, repérer ses propres comportements de domination, les combattre pour vivre avec les autres dans un rapport égalitaire, ne peut qu’apprendre à combattre aussi celles des dominations dont nous sommes les victimes. Ayant fréquenté beaucoup d’hommes impliqués dans les luttes anti-hiérarchiques, je peux témoigner du fait qu’ils ont beaucoup de mal à abandonner les comportements sexistes, alors même qu’ils se disent anti-sexistes. Pointez du doigt l’attitude ou les mots qui vous gênent et le fait qu’ils soient une manifestation de la domination des hommes sera le plus souvent nié. Le premier réflexe, c’est de nier. Et le deuxième, et le troisième… Ça prend du temps… 14 http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/article-communards-et-insurrection-canaque-1-109519672.html Se retrouvant entre eux, ils parlent à coeur ouvert et parfois se métamorphosent. Car on peut changer ! J’ai vu fleurir avec bonheur des bulletins consacrés à la phallocratie, faits exclusivement par des hommes et des réunions, elles aussi exclusivement masculines, destinées à se libérer de leur conditionnement. Ça se passait à la fin des années soixante-dix, époque fructueuse en libérations. Nous, êtres humains, hommes ou femmes, riches ou pauvres, blancs ou noirs, avons un pouvoir de vie ou de mort sur de très nombreuses espèces animales. Si nous ne l’exerçons pas directement, couteau en main, nous l’exerçons par procuration, à coups de billets de banque. Surtout ne pas savoir ce que cache de souffrance et de mort la barquette de viande ou le flacon de shampooing ! Je suis un être humain et je participe à cette domination, que je le veuille ou non, car je suis de fait mieux traitée par les membres de mon espèce que si je n’étais pas un être humain. Et le fait que je m’oppose à cette oppression chaque fois que je le peux (en mangeant végétalien, en n’allant jamais ni au cirque ni au zoo, en dénonçant « l’élevage », la corrida, la vivisection...) ne change rien à cet état de fait. J’ai conscience d’appartenir à « cette classe dominante » et j’en souffre. Pourquoi change-t-on ? Prendre conscience n’est que le premier pas. Ensuite, il faut changer. Et ce n’est pas triste. Beaucoup de gens, horrifiés par ce qu’ils apprennent sur le sort des animaux non humains, restent pourtant des années à culpabiliser sans pouvoir se résoudre à changer leur manière de vivre. « Je ne mange que de la viande blanche » avec sa variante « Je ne mange pas de viande, seulement du poulet. » « Le foie gras, je n’en mange presque jamais. Seulement une ou deux fois par an ! » Comment comprendre ? Rien ne semble, de prime abord, plus difficile que le changement. Il l’est si la motivation est faible ou inconstante : on est ému, sur le moment, par une image, un film, un livre mais, plus tard, on achètera quand même le maquillage testé sur les animaux non humains parce que « cette crème est vraiment la seule à hydrater ma peau aussi bien ! » ou encore on ne saura pas résister au foie gras qui permettra de faire comme tout le monde, à Noël... Et pourtant, les cosmétiques non testés sur les animaux non humains existent ! Et pourtant, manger du foie gras est une activité des plus futiles qui ne pèse RIEN face à la souffrance qu’elle engendre ! Pour que le sort des espèces que nous avons asservies change réellement, il faut d’abord jeter au feu la panoplie du petit seigneur à qui tout est dû et dont le plaisir est sacro-saint. Cette panoplie, les capitalistes nous poussent à l’endosser : « Une envie à satisfaire ? On a ce qu’il vous faut. Pas d’envie du tout ? Pas grave : on va vous en inventer une. Et pour pas cher en plus. Ah ! Que ne ferait-on pas pour vous ? Nous avons réduit en esclavage des enfants à l’autre bout de la Terre, rétréci encore la taille de nos cages mais vous allez pouvoir acheter à bon marché notre production qui fleure bon la misère, la prison et le sang des vaches, des cochons, des poulets et des moutons… parce que vous le valez bien ! » Changer - changer d’alimentation notamment, mais aussi de manière de s’habiller, de se chausser, de se soigner - c’est sortir de la passivité. C’est prendre en charge sa vie quotidienne. C’est être actif dans un monde où tout est fait, cuit et pensé à notre place. Le statut quo, c’est confortable. Je me souviens d’un professeur de psychologie qui, à l’école d’infirmières où j’ai jadis étudié, a commencé son cours par : « Pourquoi change-t-on ? » Silence général… « Parce qu’on en a BESOIN ». C’est dire que si une situation ne nous gêne pas, si en particulier nos comportements ne sont pas pour nous la source d’un profond inconfort psychologique, nous n’avons aucune raison d’y mettre fin. On comprend facilement, dans ces conditions, que quelqu’un en position dominante ne mette pas une énergie folle à se remettre en cause : même quand il est conscient de l’injustice - parfois de l’horreur - de la situation, il n’en est pas la principale victime et il lui suffira d’essayer de ne pas y penser. Sauf que… sauf que la lucidité, parfois, s’aiguise à un point tel qu’elle devient insupportable. Il arrive alors que des dominants rejettent leurs privilèges. C’est que ces privilèges n’en sont plus, pour eux. Ils sont devenus un poids, une entrave. Ils les encombrent. En contradiction avec l’idée qu’ils se font de leur vie, ils sont maintenant pour eux, effectivement, la source d’un profond inconfort. Au plus intime de ceux qui ont goûté ou rêvé au bonheur des relations égalitaires, cet inconfort grandit, grandit… jusqu’à ce que le changement soit ressenti comme une véritable libération. C’est alors, par exemple, que l’on cesse définitivement de manger les animaux non humains et de participer à tout ce qui contribue à perpétuer leur esclavage. En réalité, rien n’est plus facile que le changement, dès lors que la motivation est forte. Les végétariens confirmeront que, le plus difficile ce n’est pas de ne plus manger de viande mais plutôt de vivre dans un monde où tout le monde en mange ! Rien n’y est fait pour vous et on vous demande constamment de vous justifier. Sans compter que les « produits animaux » se cachent partout : dans les médicaments, dans les produits cosmétiques… C’est une nouvelle vie qui commence, très gratifiante pour qui tient à vivre en accord avec ses convictions. Les gens pour qui ne pas manger de viande est une aberration aiment se représenter les végétariens comme des « pisse-froid » et des « peine à jouir ». Leurs présupposés sur nos sexualités ne nous gênent pas, tant il est vrai que ce sont des gens avec qui nous souhaitons avoir le moins de contact possible. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent ! Cela ne fait pas de différence pour nous. Mais cela me suggère deux réflexions. La première est que la cuisine sans « produits animaux » est délicieuse, faite de saveurs que je ne soupçonnais pas, avant d’être végétalienne. Elles étaient pourtant à ma portée mais le fait est que je mangeais presque toujours la même chose : de la « viande » sous diverses formes et un accompagnement qui était bien plus souvent des pommes de terre ou des pâtes que des haricots verts… Passons… Manger végétalien m’a permis de manger beaucoup plus varié. J’ai aussi découvert que le plaisir que je prenais à manger un plat de viande tenait pratiquement toujours… à la sauce ! J’ai gardé la sauce à l’échalote et j’ai refusé d’être complice de la mort de la vache qui fournissait contre son gré « l’onglet ». La seconde réflexion concerne le plaisir. Il tient dans toute vie une place essentielle. Et c’est justement parce qu’il est si bon de vivre qu’il est inacceptable de spolier de leur vie les autres animaux en les tuant ou en les emprisonnant. La recherche du plaisir ne justifie pas que l’on cause de la souffrance aux autres. On associe souvent végétarisme et austérité parce que les gens supposent que les végétariens se privent de plaisir, par respect pour les autres animaux. Ce n’est pas le cas puisqu’en réalité, il s’agit simplement de choisir d’autres plaisirs que celui que procure un plat de viande. Et il y en a des millions ! Mais tout de même, posons-nous la question : les végétariens sont-ils capables de se priver d’un plaisir, s’il le faut, par respect pour les autres animaux ? La réponse est clairement : OUI Nos convictions et notre révolte sont, en effet, profondes. Notre refus de collaborer à cette oeuvre de violence et de mort est une véritable « objection de conscience ». La totalité de notre être y est engagé. Au contraire des tortionnaires, nous ne supportons pas que l’on martyrise. Nous sommes bouleversés par la souffrance des animaux non humains parce que nous sommes bouleversés par la souffrance tout court. Georges Franju a filmé les abattoirs de La Villette, en 1949, et en a fait un film : « Le sang des bêtes ». Il nous dit : « Quand je suis allé la première fois là-dedans, je suis rentré chez moi, j’ai pleuré pendant des jours, j’ai caché tous les couteaux, j’avais envie de mourir. » Nos adversaires nous taxent de « sensiblerie », c’est à dire de sensibilité exagérée, si l’on en croit le dictionnaire. Dirait-on des gens qui dénoncent la guerre qu’ils font preuve de sensiblerie ? Bien malade est celui à qui la cruauté n’arrache pas des larmes. Pauvres victimes ! Une banque, dans l'Aisne, en 2008. En présence du personnel, un « éleveur » assassine deux de ses chèvres et en blesse une autre avec son couteau. Les articles le qualifient de « désespéré ». En effet, il était à découvert et la banque lui refusait toute aide, lui conseillant seulement de se séparer de quelques chèvres « pour obtenir des liquidités ». « Relâché […] à l'issue de quelques heures de garde à vue, il est convoqué […] par le tribunal de police pour destruction d'animaux et encourt une amende. » Quiconque a déjà connu de sérieux problèmes financiers comprend le désespoir de « l’éleveur ». N’en demeure pas moins que tuer des chèvres est, semble-t-il, dans notre société, un geste presque anodin. Pardonnable en tout cas. Les journaux ont surtout relayé le désespoir et la misère. Que vaut, n’est-ce pas, la vie d’une chèvre par rapport au désespoir d’un homme ? Un autre jour, d’autres « éleveurs » ONT MIS LE FEU À UN CAMION BOURRÉ DE MOUTONS. Dans l’indifférence et même les rires des autres « éleveurs » manifestant. François Cavanna - qui a relaté le meurtre dans « Coups de sang »15 - écrit, à propos de ces assassins : « La tatane à clous dans la gueule, c’est tout ce que ça comprend […] » Sacrifier des animaux non humains pour montrer à quel point l’on souffre est loin d’être une pratique exceptionnelle : le 6 novembre 2014, au cours d’une manifestation et officiellement pour dénoncer le caractère « nuisible » d’une ministre, des agriculteurs de la FNSEA passaient leur rage sur des ragondins, les aspergeant de peinture et les tuant à coups de pieds. ------------------------ Petit spécisme ordinaire (du côté des crétins…) Appelons la Madame X. Elle est hélas semblable à des millions d’autres Monsieur Y. ou Madame Z. Elle participe à une émission de télévision. C’est en janvier 2013. Un des invités milite pour la « cause animale ». Elle est agacée… Elle dit : « Mais y a pas des causes plus graves que les animaux ? » La phrase est de la plus haute banalité. Chaque militant de la « cause animale » la connaît par coeur. C’est une rengaine. La perfide question est insultante ! Elle tente de blesser profondément en sous-entendant que la personne qui se préoccupe des animaux non humains est insensible aux souffrances d’autrui, qu’elle manque d’empathie. Ce qui est quand même le comble, quand on y pense ! Elle tente de culpabiliser, espérant que dans la tête du pauvre militant vont se précipiter des images de chômeurs en fin de droit faisant la queue aux restos du coeur ou d’enfants mourant de faim à l’un quelconque des coins du monde. Quel bonheur si le visage militant pouvait se couvrir du rouge de la honte… ! Ça n’arrive jamais. Beaucoup de militants exaspérés et voulant renvoyer en boomerang la culpabilité chez l’adversaire, lancent alors : « Mais vous, qu’est-ce que vous faites contre la faim dans le monde ? » (par exemple). Et là, c’est le silence car, bien sûr, la plupart des indifférents au sort des animaux non humains ne font rien pour les humains. Mais la défense me semble mauvaise. La vraie réponse, la réponse honnête - qu’un long conditionnement à la croyance en la supériorité humaine empêche de donner calmement - c’est : « Non, il n’y a rien de plus grave que ce que les humains font subir aux autres animaux et la cause 15 Coups de sang. Cavanna. Éditions Belfond. 1991. Chapitre intitulé « Ils l’ont fait ». « animale » est aussi importante que la lutte contre la faim, le racisme, la guerre et autres horreurs vécues par les humains. » Car toutes les espèces se valent et une souffrance en vaut une autre. Représentez-vous une seconde un plateau de télévision où Madame X entendrait quelqu’un parler de son engagement pour une meilleure prise en charge des personnes atteintes de cancer, par exemple. Cette personne serait passionnée. Cet engagement serait l’essentiel de sa vie. Et imaginez Madame X en train de lui dire : « Mais y a pas des causes plus graves que le cancer ? ». Non vraiment, c’est impensable. Pourtant, il y a des enfants violés et tués par des sadiques, et aussi le génocide des juifs pendant la guerre… Et tant d’autres choses… Escalade dans l’horreur. On peut toujours aller plus haut… Plus horrible que ce que vivent les animaux non humains dans les « élevages » concentrationnaires et à l’abattoir ? Y a pas : prison. Torture. Mort. Mais des animaux non humains, on n’a pas le droit de parler sérieusement comme d’êtres méritant de la considération. Cela fait offense aux humains. La vraie pensée, déguisée sous « Mais y a pas des causes plus graves que les animaux ? », c’est : « ça me choque beaucoup que vous parliez de la souffrance animale parce que ce sont des êtres inférieurs aux êtres humains et que, tant qu’il y aura un être humain qui souffrira, on ne doit pas parler de leur souffrance. Et puis taisez-vous : je ne veux rien savoir de leur souffrance. Je veux pouvoir continuer de les manger, de m’en servir pour tester mes médicaments, de les voir en spectacle pour me distraire, sans me poser de questions ». Madame X, dans la foulée, ajoute que « les animaux qu’on mange » « n’ont pas de sensibilité » et finit par : « Ils ont fait quoi pour nous ? Ils font des manifs pour nous défendre, nous ? » Madame X ne connaît pas la générosité. Madame X ne donne que si l’on peut lui rendre. Elle laisserait se noyer un bébé dans la piscine sous prétexte que, lui, est incapable de la sortir de l’eau ! Les mots de l’ennemi « Chaque année, en France, un milliard d’animaux sont amenés à la vie, élevés et abattus pour être consommés. » dit, en décembre 2013, le journal d’une association de végétariens. Les faits sont exacts. Pourtant, les mots ne désignent pas la réalité. Pourquoi utiliser les mots d’une société que l’on rejette, les mots de l’ennemi ? Les mots « élever », « abattre », « consommer » sont détestables. La réalité, c’est que chaque année, en France, un milliard d’animaux non humains sont mis au monde par leurs parents en captivité, engraissés puis tués pour être mangés. ----------------------------Élever, élevage... Un élevage de cinq cent truies... Qu’est-ce qu’élever une truie, pour un humain ? Le dictionnaire nous dit qu’élever c’est « éduquer, assurer le développement physique et moral ». En l’occurrence, retenons « assurer le développement physique ». Dans l’élevage, il ne s’agit évidemment pas d’assurer le développement naturel mais un développement qui arrange « l’éleveur », un développement qui lui rapporte de l’argent, quitte à déformer le corps et l’esprit de l’animal « élevé », à en faire un monstre, à le mener aux portes de la mort. Un peu comme un enfant que l’on mutile pour le faire mieux mendier. Canards gavés. Vaches pouvant à peine traîner leurs pis. Mais aucun mot n’est innocent et celui-là, comme bien d’autres, cherche sciemment à nous tromper. « Je suis éleveur ». Comme c’est émouvant ! On croirait presque des instituteurs ! -----------------------------Détruire Le troupeau a été « détruit ». Le mot détruire vient du latin destruere. De la préposition « de » et de « struere » : bâtir. Détruire c’est dé-bâtir. Quand on dit d’un humain qu’il a été détruit, cela signifie en général sur le plan moral. S’il s’agissait de son corps, l’image serait trop violente. On ne déconstruit pas quelqu’un, comme brique à brique, de son vivant. Ça suffit bien que ça se fasse de soi-même, après la mort. Déconstruit… comme un jeu de mécano. Pour un troupeau, ça ne gêne pas. -----------------------------Abattre... On emploie le mot abattre pour désigner le fait de tuer un animal sauvage ou destiné à être mangé par les humains. Pourquoi ? Pourquoi pas « tuer » ? Le dictionnaire donne comme définition du mot « abattre » : « jeter à bas, faire tomber quelque chose qui était dressé » et aussi « tuer un homme ou une femme à l’aide d’une arme à feu » et encore « tuer un animal ». Si l’on tue un humain à l’aide d’une arme à feu, il tombe (à moins qu’il ne soit allongé dans son lit). C’est la même chose pour un animal non humain tué par exemple par un chasseur : il était dressé... il tombe... Mais l’animal à l’abattoir ? C’est moins simple, pourtant... Du mot abattre vient le mot abattage... mot repris même par les associations « de défense animale » qui réclament un meilleur traitement des animaux lors de « l’abattage ». Pourquoi le mot tuer n’est-il pas employé ? J’y vois la volonté de ne pas employer le même mot que pour les humains. Le cas est fréquent : risquez vous à dire qu’un mammifère femelle non humain a « accouché » et surtout qu’une femme a « mis bas » et attendez les réactions... Le mot abattre met l’accent exclusivement sur l’aspect physique de la chose. Celui qui est tué ainsi - humain ou non humain - a un poids et il est soumis à la pesanteur. Il tombe, donc. Juste un corps qui tombe. A-t-il un esprit ? Des sentiments ? Un désir de vivre ? Ça n’a pas d’importance. On imagine que ça n’a pas d’importance, en effet, pour l’assassin. On imagine que l’assassin n’a que du mépris pour la vie de sa victime. Et c’est ce que dit le mot abattre. Faire tomber, comme on ferait tomber un objet, une quille par exemple. Quelque chose d’inanimé. Que la victime soit considérée comme dangereuse (comme un animal sauvage ?) ou nuisible, alors on emploiera aussi le mot abattre : « La police a abattu le voleur ». Sous-entendu : « Il n’y avait pas moyen de faire autrement », sous-entendu encore : « Pas moyen de le raisonner » et sous entendu enfin : « C’était quelqu’un de nuisible. On l’a tué comme un animal. » L’utilisation du mot abattage est détestable. Employer le mot c’est considérer comme normale l’existence de la chose, au moins le temps de prononcer la phrase. L’animal tué à l’abattoir est-il indigne ? criminel ? dangereux ? Quel danger peut représenter pour l’homme un animal sur le point d’être tué à l’abattoir ? Des taches de sang sur les vêtements ? ---------------------Étourdissement Abattage avec étourdissement… Le mot étourdissement n’est-il pas gentillet pour désigner le fait de faire pénétrer dans le cerveau d’un animal une tige - surgie d’un pistolet à tige perforante : le matador - , ce qui, en principe, doit le plonger dans une profonde inconscience. En principe seulement car, pour que ça marche, il faut que la « tige »soit correctement positionnée. Le Docteur Jean Pierre KIEFFER, président de l’OABA (Oeuvre d’Assistance Aux Bêtes d’Abattoir) explique, par exemple, que : « Le pistolet à tige perforante est un outil dont l'utilisation chez le porc est délicate. En effet, la surface du crâne sur laquelle le pistolet doit être appliqué est très peu étendue chez cet animal. Une mise en place incorrecte provoque un échec dans l'utilisation du pistolet et une souffrance de l'animal. […] » Une balle dans la tête. Vous appelez ça étourdissement ? Un peu comme un verre de liqueur, en somme… L’amour dans le pré Un veau et sa mère tranquillement dans un pré. Elle marche, il la suit comme son ombre. Il n’a que quelques heures et sa mère est son seul repère dans la vie. Ils ne se doutent de rien, ni l’un ni l’autre. Ils ne se doutent pas que le meilleur de leur vie - leur relation toute neuve et si tendre est déjà presque terminé. « L’éleveur » arrive et - doucement mais fermement - éloigne le petit de sa mère. Le veau résiste… cherche à rejoindre sa mère. Il n’y a pour lui qu’un chemin imaginable et ce chemin le mène dans les pattes de sa mère. « L’éleveur » le prend dans ses bras et le porte dans une camionnette. La vache va à la camionnette, y cherche son petit. La camionnette démarre. La vache court après. Ensuite, on ne voit plus que le veau, installé dans le box où il sera « élevé ». Mais… la vache, ensuite ? Qu’a-t-elle fait ? Qu’a-t-elle pensé ? Qu’a-t-elle ressenti ? Et « l’éleveur » ? Que pense-t-il ? Que ressent-il ? Souffre-t-il ? Il agit comme s’il ne savait pas qu’un nouveau-né et sa mère ont besoin l’un de l’autre. Il oublie que tout cela l’a un jour concerné. Faut-il n’avoir jamais souffert soi-même pour infliger tant de souffrances à d’autres êtres ? Ou alors quoi ? Pas de mémoire de ses propres souffrances ? Quand on sait comme est pénible parfois une simple frustration… Sait-il comment l’on vit après la disparition brutale de qui l’on aime ? N’a-t-il jamais connu le deuil ? Enfermé dans un petit box couvert de paille, le veau se retrouve seul. « L’éleveur » a poussé la targette. Pas une caresse, pas un mot de réconfort. Il faut contempler la beauté du regard du veau, du regard de la vache. Cette profondeur. Honte à celui qui le premier a dit que leur regard reflétait le vide et la stupidité. ---------------------- Rebellons-nous ! L’opposition au spécisme est encore très marginale… et se rendre à une manifestation pour la défense des animaux non humains, c’est s’attendre à se retrouver à une dizaine d’individus, tout au plus. Ce consensus explique, en partie, que l’exploitation des animaux non humains ne connaisse pas de limites. Les conséquences de l’indifférence sont terribles. Pas d’opposition ? Alors, les pires tortures sont permises et infligées. Si l’on veut changer le monde - et nous voulons le changer ! - il faudra bien pourtant un jour s’en prendre au fondement de toute domination : la notion de hiérarchie. C’est elle qu’il faut éradiquer de nos têtes. À quoi bon ? entend-on quelquefois. Domination et hiérarchie existent partout, tellement partout qu’elles ont sans doute leurs raisons d’être, leur légitimité… D’ailleurs, n’existent-t-elles pas aussi ailleurs que dans l’espèce humaine ? Grande question, irrésolue : pourquoi la domination ? Pourquoi aussi cette soumission à l’autorité, si fréquente ? Je ne sache pas qu’on ait trouvé de réponse à ces questions. Sauf que... On pourrait tout aussi bien se demander : pourquoi y a-t-il toujours eu des révoltes contre la domination, la servitude ? Chaque fois que ça a été possible, partout dans le monde... La réponse est évidente : parce qu’être dominé est insupportable. Et puisque l’oppression fait souffrir, la prise de conscience d’une oppression appelle la rébellion. Suis-je une femme ? un être humain ? un mammifère ? un animal ? un être vivant ? Pourquoi limiterais-je mon sentiment d’appartenance et de solidarité aux membres de mon espèce ? Car alors, pourquoi ne les limiterais-je pas au contraire aux membres de mon pays, voire de mon village, et guerre et mort à tout le reste ? Je me sens semblable à tous les êtres vivants. Je sens qu’il coule en moi comme en tous les animaux le même forcené désir de vivre. Je me sens solidaire de toute cette joie d’exister. Ma joie. Leur joie. Toutes me sont indispensables. Marie-Hélène Rudel L’enfant : « La cage, c'était pour mieux voir ta prestesse, tes quatre petites mains, tes beaux yeux... » L’écureuil : « Oui, c'était pour mes beaux yeux ! Sais-tu ce qu'ils reflétaient, mes beaux yeux ? Le ciel libre, le vent libre, mes libres frères, au bond sûr comme un vol !... Regarde donc ce qu'ils reflétaient, mes beaux yeux, tout miroitants de larmes ! » L’enfant et les sortilèges, Colette Décembre 2014