Texte complet - La feuille mutine

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Texte complet - La feuille mutine
POUR EN FINIR
avec le mythe de la supériorité
de l’espèce humaine
et avec toutes les dominations
Que meure dans nos esprits l’idée de hiérarchie…
À toi, qui rampes, qui marches, qui nages ou qui voles…
Plein de choses dans la tête, accumulées au fil des années : émotions, pensées fugitives, réactions
à des lectures, discussions passionnées…
Un matin, j’ai eu envie de mettre en ordre mes idées sur la condition faite aux animaux non
humains, sous domination humaine. Sans projet défini, j’ai laissé ma plume flotter presque
librement.
Très vite, il m’a semblé nécessaire de faire le lien entre cette domination et toutes les
dominations, entre la domination que subissent les animaux non humains et la domination en
général. Je suis persuadée, en effet, qu’il s’agit, dans tous les cas, du même phénomène, que
toutes les dominations obéissent aux mêmes mécanismes, et que notamment elles utilisent les
mêmes arguments, les mêmes raisonnements.
J’ai tout de suite rencontré une difficulté : allais-je écrire « les animaux », pour plus de
commodité, pour ne pas agacer le lecteur, ignorant par là la réalité la plus évidente, à savoir que
l’humain est lui aussi un animal ? Allais-je accepter de séparer irrémédiablement l’humain du
cloporte, du chien, de la mygale et du cochon ?
Ce qui rassemble pourtant les animaux non humains, c’est précisément que la plupart des humains
ont décidé de les mettre tous dans le même sac, malgré leurs grandes dissemblances. Et de jeter
ce sac bien loin d’eux. Ils croient en une différence absolue de nature entre eux et les autres
animaux. Ils se plaisent à imaginer l’existence d’un règne humain.
On n’est pas obligé de les suivre dans l’erreur. C’est pourquoi - chaque fois que nécessaire j’utiliserai, selon le contexte, les expressions « animaux non humains » et « autres animaux ».
J’ai conscience d’avoir essentiellement traité des dominations dans la culture dite occidentale et
particulièrement telles qu’elles se présentent en France. Je sais que les Indiens d’Amérique, par
exemple, ont une autre conception des rapports entre les humains et les autres espèces, entre les
humains et la Nature. Mais la culture occidentale est la seule que je connaisse vraiment. Hélas,
elle est en train de gagner la partie dans le monde entier.
Ma réflexion sur la domination - et en particulier sur la condition faite aux animaux non humains a été facilitée par ma grande fréquentation des chats (et mon amour pour eux ! ). L’amour,
contrairement à ce que dit le dicton, permet de voir mieux.
Du fait que j’étais témoin au quotidien de leur intelligence, du fait de la richesse des relations que
j’entretenais avec eux, il était impossible pour l’enfant que j’étais, d’envisager une vie faite de
mépris pour les autres espèces.
Les chats m’ont appris que vivre dans le respect et la douceur avec les membres d’autres espèces,
accéder à d’autres façons d’être, de sentir, de penser que celles des humains, n’était pas
seulement instructif et propice à ouvrir l’esprit, mais surtout un extrême plaisir.
Je ressens une immense gratitude envers l’espèce chat. Je dois aux chats un grand nombre des
moments les plus forts de ma vie.
Je gage que se reconnaîtront dans ces lignes - au moins par moments - ceux qui, comme moi, se
demandent parfois s’ils appartiennent vraiment à l’espèce humaine.
Une espèce qui se croit supérieure
« Quelle bande de veaux ! »
« On n’est pas des moutons ! »
« On nous traite comme des chiens ! »
« Animal » est une insulte pour les humains.
Aux autres animaux, les pires défauts : la stupidité, la cruauté, les instincts les plus vils. Les
instincts en général. Les instincts ne sont pas bien vus par les humains.
À l’humain : l’intelligence, la noblesse, la générosité, la compréhension, la tendresse. Les humains
le disent sans modestie aucune quand quelque chose vient heurter leur légendaire goût pour la
douceur : « C’est pas humain ! »
Animal = Mal. Humain = Bien. Par définition humaine.
Tous les animaux non humains sont logés à la même enseigne quant à leur fondamentale indignité.
Les humains se croient différents du reste du monde. Fondamentalement.
Que sont donc les humains ? Des minéraux ? Des végétaux ? De purs esprits ? Un règne à eux tous
seuls ?
Faisant fi des connaissances scientifiques les mieux établies, les humains sont des animaux qui
refusent d’être des animaux.
Mais comment ne pas se sentir supérieur quand on possède - croit-on - tant de qualités que les
autres - croit-on - n’ont pas ? Nombre de religions et de philosophies nous rabâchent la leçon :
nous, humains, sommes supérieurs aux autres « créatures » et nous avons le droit de dominer ce
qui nous est inférieur.
« Puis Dieu dit : Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les
poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles
qui rampent sur la terre.
Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.
Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ;
et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la
terre. »
La Bible (genèse)
Diable ! Vous avez vu ces impératifs ? C’est plus qu’un droit. C’est une obligation. Une mission.
Où l’on ouvre les yeux sur l’évidence d’une domination
Les humains - la presque totalité d’entre eux - jugent les autres espèces animales inférieures à
l’espèce humaine.
En conséquence, au fil des siècles, ils en ont soumis de fort nombreuses, qu’ils utilisent
aujourd’hui comme des objets, qu’ils exploitent, persécutent, torturent et mettent à mort.
Le plus souvent, ils n’ont pas vraiment conscience de l’existence de cette domination. S’il leur est
tous les jours évident que leur chien ou leur chat « passe » après eux, très peu ont conscience
d’appartenir à ce qu’on peut appeler une « classe » d’individus : les humains, dominant,
maltraitant, exploitant collectivement le reste des animaux.
Cet aveuglement est-il étonnant ? Non. Les dominants, en effet, dominent souvent « en toute
innocence », sans même savoir qu’ils dominent. Cette inconscience est due au fait que cette
domination leur paraît naturelle et justifiée. On ne voit pas ce qui ne choque pas.
Pourtant, les faits parlent d’eux-mêmes. En voici quelques-uns. Et d’abord, quelques chiffres :
-----------------------------
Chaque année, en France, trente millions d’animaux non humains sont tués au fusil,
à la chasse.
Chaque année, en France, un milliard d’animaux non humains sont tués dans les
abattoirs.
Tous les jours, dans les laboratoires, des milliers d’animaux non humains sont
torturés et mis à mort au nom de la science.
Chaque seconde, dans le monde, plus de trente mille poissons sont tués par l’espèce
humaine.
-----------------------------
« L’élevage »1 industriel mérite une place particulière dans ce texte. En effet, son existence
repose sur la complicité silencieuse de ceux que notre société de consommation appelle… les
consommateurs. Que ceux-ci cessent d’acheter la viande et les produits laitiers issus de ces
« élevages » et ces « élevages »… cessent d’exister. Il est vrai que beaucoup de gens ignorent
encore ce qui s’y passe, tout étant fait pour que l’horreur reste bien cachée.
« L’élevage français » compte environ 25 millions de cochons. 95% d’entre eux sont enfermés dans
des bâtiments au sol ajouré fait de béton. Ce qui fait 23 750 000 porcs qui n’auront jamais aucun
contact avec la terre ou même avec de la paille. De leur naissance à leur mort.
Je reviendrai plus loin sur le sort des cochons.
Trente six millions de poules « pondeuses » (c’est à dire « élevées » pour leurs oeufs) sont
enfermées dans les cages de « l’élevage » industriel français. Alignées sur plusieurs niveaux, dans
des hangars sans fenêtre, ces cages, extrêmement peuplées, ne laissent à chaque poule que la
surface d’une feuille de papier A4 pour « vivre ». Elles ne leur permettent ni de marcher ni
d’ouvrir leurs ailes. Ces poules ne verront jamais la lumière du jour.
1
Je mettrai ce mot chaque fois que nécessaire entre guillemets car le terme « élevage » est impropre. J’y reviendrai plus loin.
Malades, blessées, déplumées, elles ne peuvent faire un mouvement sans gêner les autres. On les
prive de tout ce qui fait leur vie : couver leurs oeufs, gratter la terre, se chauffer au soleil…
Leur bec est coupé à vif. C’est que leur vie en cage est si intolérable que les poules deviennent
agressives les unes envers les autres et parfois même cannibales. Elles se tuent à coups de bec. Et
plus il y a de morts, moins il y a de sous pour « l’éleveur ».
Même horreur pour les lapins : 21 cm x 29,7 cm pour tout territoire, sol grillagé, aucun mouvement
possible, la mort assommé sur une caisse pour ceux que l’on considère comme non rentables. Des
objets que l’on engraisse.
Très éloignés de la nature et des réalités physiologiques les plus simples, beaucoup d’humains
ignorent ni plus ni moins que les vaches n’ont de lait que lorsqu’elles ont mis au monde un veau.
Pour lui. Pour le nourrir. Pour qu’il vive. De même font les femmes pour leurs petits. Le lait que
nous buvons est volé aux veaux.
« Le besoin journalier du jeune veau étant d’environ 5 litres de lait, la moyenne « naturelle » de
production d’une vache qui allaite son petit ne dépasse pas 1000 litres de lait par an. Dans les
« élevages » actuels, la vache doit produire, 10 mois par an soit 305 jours, entre 6000 et 12000
litres de lait, selon la période de lactation et la race. »2
L’association L 2143 explique que du fait de cette hyper-productivité « beaucoup de vaches
souffrent de maux douloureux : mammites (infections des pis) et boiteries sont très courantes dans
les élevages laitiers, tout comme les troubles métaboliques et de la fertilité. […] Pendant leur
grossesse, les vaches laitières continuent à être traites ; elles sont donc simultanément exploitées
pour leur lait et leur veau. Le scientifique John Webster estime que cet effort épuisant fourni
quotidiennement par leur organisme reviendrait, pour un être humain, à l'énergie dépensée par
une course folle de six à huit heures par jour. »
Dans la nature, les veaux tètent jusqu’à l’âge de huit mois. En « élevage », ils sont enlevés à leur
mère dès leur naissance ou un ou deux jours après, puis sont isolés. Nourris jusqu’à l’âge maximal
de deux ans, ils sont ensuite envoyés à l’abattoir. Près de deux millions de veaux sont tués, dans
les abattoirs, chaque année, en France. La plus grosse partie des veaux mangés par les humains
provient du cheptel de vaches laitières.
La vache et le veau souffrent d’être séparés à tout jamais l’un de l’autre. Citons encore
L214 : « C’est un véritable déchirement pour la vache et son veau car leur relation est très forte et
pourrait durer de longues années. Après la séparation, beaucoup se cherchent en meuglant
pendant des jours. Des vaches ont défoncé des clôtures et parcouru des kilomètres pour retrouver
leur petit, parfois au péril de leur vie. »
Le jour vient rapidement où une vache, épuisée par sa vie d’esclave, souvent malade, parfois ne
donnant plus assez de lait aux yeux de son « éleveur », n’est plus « rentable ». Il la condamne donc
à mort. Elle prend alors le doux nom de « vache de réforme ». Rien à voir, comme on le voit, avec
une simple dispense de service. Toujours ce langage du déni, si joliment trouvé pour faire passer
l’horreur.
Beaucoup de gens ignorent que les vaches dites laitières ne leur donnent pas seulement leur lait
mais aussi leur chair, sous forme de steak. Pour près de la moitié, la viande de boeuf est celle des
vaches laitières.
Mourir à cinq ans, parce qu’elle n’est plus rentable, alors qu’elle pouvait espérer vivre vingt ans,
tel est le sort de ces vaches.
2
Michelle Julien. La vache à lait : notre consommation, leur martyre. Éditions du cygne. 2011
3
« L 214 éthique et animaux » est une association antispéciste très active(www.l214.com)
Ici, l’on torture puis l’on tue
Torture. Le mot n’est pas excessif.
Mais les abattoirs, les « élevages », les laboratoires de vivisection sont des lieux fermés. Alors, les
militants rusent. Ils s’aventurent clandestinement dans ces lieux tabous, pour filmer ce qui s’y
passe. D’autres écrivent. Tous dénoncent ce qu’ils ont vu. Beaucoup de gens refusent de voir ces
films ou de lire ces livres. C’est trop horrible et ils sont sensibles à la souffrance même relatée…
Certains « ne veulent pas y penser ». Comme on les comprend ! Comme on imagine ce que doit
être cette souffrance pour celui qui la vit, si déjà elle est insupportable à lire ou à regarder, au
chaud sur son canapé !
En France, entre 15 % et 20 % des bovins sont égorgés, à l’abattoir, en pleine conscience (ce sont
les chiffres du Ministère de l’Agriculture). Alors que la « consommation » par les communautés
musulmane et juive ne représente que 5 % à 7 %. Pourquoi cette différence ? Tout simplement
parce que sans « étourdissement »4, ça va plus vite. Et le temps, dans notre société, c’est de
l’argent.
Quant aux moutons, un sur deux est égorgé en pleine conscience.
Et qu’en est-il du lait ? Que se cache-t-il derrière son image onctueuse, maternelle et rassurante ?
Voici deux courts extraits du livre de Michelle Julien : « La vache à lait : notre consommation, leur
martyre » pour le découvrir.
Le premier est tiré d’un entretien que l’auteur a avec le Dr Kieffer, vétérinaire de la protection
animale. Il s’agit des vaches laitières à l’abattoir : « Les vaches de réforme peuvent demander cinq
à sept minutes avant de mourir. Imaginez une vache qui fait 500 kg, suspendue par une patte, la
gorge tranchée, et attendre cinq minutes avant de mourir. Elle risque même de se retrouver
« habillée » - c’est un terme que les abattoirs emploient lorsqu’ils commencent à retirer la peau.
Donc on risque de commencer à retirer la peau sur un animal qui n’est pas complètement mort.
C’est choquant, tout de même ! À ce moment là, vous vous dîtes : « Est-ce que je continue à
manger de la viande ? »
Voyons le deuxième extrait. Cette fois, il s’agit d’un entretien avec une élève de l’École Nationale
Vétérinaire d’Alfort :
« J’ai entendu dire que des vaches arrivent à l’abattoir alors qu’elles attendent un petit. L’avezvous également constaté ? »
« Oui, c’est une pratique courante chez les « éleveurs ». En fait, une vache pleine est plus lourde.
Elle rapporte ainsi plus d’argent à l’éleveur. »
« Que devient le foetus ? »
« Celui que j’ai vu est parti à la poubelle. »
À la poubelle aussi avait été jeté, en 1989, à l’abattoir de Dallas Crown Packing, au Texas, un
poulain nouveau né : « Deux ouvriers utilisèrent un fouet de deux mètres sur la jument alors
4
On appelle étourdissement le fait de rendre inconscients les animaux non humains avant de les tuer.
qu’elle mettait bas, pour qu’elle se dépêche et qu’elle puisse entrer dans la salle d’abattage. Le
poulain fut jeté dans le seau des déchets. »5
La vie d’un nombre impressionnant d’animaux non humains est ainsi subordonnée à notre vie et à
nos intérêts à nous, à nos envies, parfois même à nos caprices… Asservie. Confisquée. Nous avons
décidé d’attribuer à ces êtres une fonction, celle de nous servir, sans contre-partie aucune, c’est à
dire de les traiter comme des esclaves. Pire : comme des objets. Qui a vu des poussins jetés dans
des broyeurs6 sait que nous en sommes arrivés à considérer des êtres vivants comme RIEN.
De nombreuses espèces animales échappent - heureusement - au pouvoir des humains, même si
beaucoup subissent les effets de notre civilisation sans pour autant être nos prisonnières, à
commencer par tous ceux qui sont victimes de la pollution de l’air, de l’eau, de la terre, des
pesticides, de la perte de leur habitat du fait des modifications que nous apportons aux paysages,
du plastique dans les océans, des déforestations, des marées noires, des guerres, des accidents
nucléaires etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc etc
etc etc etc…
Charles Patterson. Un éternel Treblinka. Éditions Calmann Lévy.
Treblinka était un camp de la mort nazi, au nord de Varsovie.
5
Les poussins mâles ne pondent pas d’oeufs. Pour la société industrielle, ils ne servent à rien. Ils sont donc tués. Broyés vivants. Ou
gazés.
6
Le capitalisme : un système politique extrémiste
Tout ceci a lieu en France, sous un système économique déterminé : le système capitaliste. La
domination et l’exploitation des animaux non humains par les humains en prennent donc les
couleurs, si l’on peut dire. Particulièrement « l’élevage » industriel.
Ces couleurs sont terrifiantes. Il faut dire que le système est terrible.
Il opprime aussi la plupart des humains.
Combien d’années, combien de jours, combien d’heures de nos vies sacrifions-nous au travail pour
assurer pouvoir et argent à la toute petite minorité que constitue les riches, les capitalistes, les
dirigeants politiques ?
Michel Arbatz raconte le désespoir de cette privation de liberté, dans sa chanson « Gaston »
[…]
Sous des « Bonjour » ensommeillés, on cache notre vie de con
Des plaisanteries amidonnées par l’habitude du chemin
Et on sent déjà la limaille qui vous rentre dans les oreilles
Y a déjà plus un p’tit coin de libre pour penser qu’on pourrait rester
Assis sur l’trottoir ou sur l’quai
Au lieu de se laisser vivre par le boulot
[…]
Sur les visages y a des absences qui se croisent
Et des pointeuses qui claquent du bec sur les retards
Enfin c’est la chaîne qui commence en jetant son cri à vomir
Qui te rappelle que chaque matin et chaque matin ça fait une vie
Ça fait des bleus dans les oreilles, une barre de fer le long du dos
Société de consommation donc de déchets. Nous sommes, nous aussi, parfois, des objets que l’on
prend puis que l’on jette.
En démocratie représentative - en France, par exemple - on peut élire ses maîtres. Des maîtres qui
prendront ensuite des décisions sur lesquelles nous n’aurons aucune maîtrise.
Nous avons l’habitude d’être tenus en laisse. Nous n’avons souvent jamais rien connu d’autre.
Ce système ayant pour but unique de faire un maximum de profit, il n’a pas de morale. « La fin
justifie les moyens » est un proverbe fait pour lui. Tout pour quelques sous de plus. Et ces quelques
sous justifient tout.
Son objectif, c’est de TOUT pouvoir vendre : les objets bien sûr mais aussi la force de travail des
gens, mais encore leurs désirs, pensées, sentiments (manipulés par la publicité), les cultures des
peuples (vendues aux touristes)… l’eau, les sols, la nature.
À quand l’air ?
Un milliard d’humains affamés dans le monde. Et voilà que l’on cultive des plantes pour faire
rouler des bagnoles : les fameux agrocarburants !
Nestlé assoiffe les Pakistanais pauvres, en pompant les nappes phréatiques et en revendant cette
eau à prix d’or.
Pour emplir leurs poches de milliards, les capitalistes détruisent à tours de bras la Nature, les
équilibres fondamentaux de la Terre. La calotte glaciaire fond ? Ça les galvanise : profit en vue !
Vive le pétrole au Pôle Nord ! Vive la mort pourvu qu’on meurt riches !
Têtes baissées devant notre nouveau maître : le téléphone portable, hypnotisés par lui, nous
voyons et entendons de moins en moins ce qui se trame autour de nous. Le phénomène est
affligeant : jusqu’au coeur des manifestations anticapitalistes, on voit de plus en plus de gens qui
« communiquent » ou « se renseignent » frénétiquement par voie d’écrans, au lieu de tout
simplement vivre l’instant présent. Au lieu de tout simplement vivre.
Et nous voilà, nous humains dominés, qui dominons à notre tour et exploitons sans vergogne les
autres animaux.
Ce système a poussé domination et exploitation à leur comble. Il est, en effet, dans sa nature
d’aller jusqu’au bout de la logique qui le fonde.
Une société capitaliste peut-elle est libre, égalitaire, fraternelle ? Non. Le capitalisme implique la
domination. Le capitalisme « à visage humain » (c’est à dire ni dur ni impitoyable… encore cette
prétention humaine ! ) n’existe pas et n’existera jamais. Le capitalisme EST dur et impitoyable.
Cette forme rêvée du capitalisme est une invention de ceux qui désirent le sauver à tout prix.
Dans sa forme la plus rude, le capitalisme, c’est la soumission totale, la torture et la mort. Et pour
ce qui est du sort fait aux animaux non humains, ce « joli programme » est d’ores et déjà à
l’oeuvre !
C’était logique. C’était annoncé depuis le début. Fabrice Nicolino cite dans son livre « Bidoche »
deux zootechniciens7 de la première heure, deux hommes qui ont participé avec ardeur aux tout
débuts de la société industrielle : Émile Baudement et André Sanson. Le premier est né en 1816.
Écoutons-le : « Les animaux sont des machines vivantes, non pas dans l’acception figurée du mot,
mais dans son acception la plus rigoureuse, telle que l’admettent la mécanique et l’industrie. […]
Ils donnent du lait, de la viande, de la force : ce sont des machines produisant un rendement pour
une certaine dépense ». Et voici André Sanson : « La zootechnie est la science de la production et
de l’exploitation des machines vivantes. »
Voyons ce qu’il en est effectivement aujourd’hui de cette zootechnie, en revenant par exemple à
« nos » cochons… « élevés » industriellement.
« Plus de paille, mais des caillebotis sur lesquels les bêtes s’esquintent les pattes. […] Les petites
lattes de bois ou, mieux encore, de plastique doivent en effet être suffisamment espacées pour
permettre aux déjections des porcs de s’y faufiler. […]
Un bruit assourdissant […]. C’est la ventilation. L’air de ces bâtiments est filtré en permanence
pour tenter de réduire l’un des principaux fléaux de ces élevages hors sol : les maladies
respiratoires, […]. Elles sont dues à l’air confiné […]. Étant donné la concentration des animaux,
sans cette ventilation les porcs mourraient en quelques heures. […]
L’air est d’autant plus irrespirable que la température est élevée. Pourquoi cette chaleur
étouffante ? Pour que les bêtes ne dépensent pas sottement leur énergie à se réchauffer plutôt
qu’à grossir à la vitesse de l’éclair. […]
Le porc n’a donc qu’à s’accommoder de vivre dans cette atmosphère confinée. Et sans jamais voir
la lumière du jour : il vit dans le noir.
[…] le nombre de porcelets mis bas chaque année par truie [est passé] de 16 dans les années 70 à
30 aujourd’hui. […] Un miracle technologique rendu possible par les indispensables hormones.
« la zootechnie fait […] son apparition en pleine lumière vers 1830 […]. Il s’agit […] de trouver des techniques capables de mieux
utiliser ce que les animaux ont à apporter à l’aventure humaine. » explique Fabrice Nicolino dans « Bidoche ».
Fabrice Nicolino. Bidoche. Éditions Les Liens qui Libèrent. 2011
7
[Après l’insémination, la truie] est entravée trois jours afin qu’elle ne bouge pas trop et que
l’insémination soit le plus efficace possible. »8
Si l’insémination a échoué… pour la truie, ce sera l’abattoir.
Comment les techniciens de ces « élevages » appellent-ils les porcelets ? Des porcelets ? Non. Ils
les appellent « le minerai ». Ce minerai que l’on va chercher à pleines mains dans le corps de la
truie, car il est nombreux, le minerai, et il faut que ça aille vite. Pas de temps à perdre, en
système capitaliste.
Parfois, ça tourne mal et il faut recourir à une césarienne, c’est à dire un bon coup de masse sur le
crâne « et on l’ouvre en deux, à vif ».9
Pauvre « minerai » qui ne pourra téter sa mère qu’au travers de barreaux. Elle, maintenue de
force allongée dans sa cage pendant l’allaitement, s’y ennuie à mourir.
Comment les techniciens de ces « élevages » appellent-ils ce lieu concentrationnaire et
désespérant où une mère et ses petits tentent en dépit de tous les obstacles d’avoir une relation
d’amour ? Ils l’appellent « une maternité ».
Il y a finalement trop de petits (merci les hormones ! ). Trop pour le nombre de tétines. Alors, on
tue les plus chétifs : « On les « toque » c’est à dire qu’on leur explose le crâne à mains nues contre
le caillebotis ou contre le mur ».9
Dans ces « élevages », on ne soigne pas. On préfère tuer : c’est moins cher et puis on a l’habitude.
[La truie], on l’assommera au bout du compte d’un coup de masse parce qu’elle se sera coincé un
onglon dans le caillebotis […] 9
On voit que les coups de masse sont distribués avec générosité !
Tous les porcs finissent-ils à l’abattoir ? Non. L’arrêté du 9 juin 2000 autorise, en effet, les
abattoirs à refuser les individus - trop fatigués ou trop malades - qui demanderaient plus de temps
que les autres. Du temps qui perturberait l’atroce efficacité de la chaîne d’abattage. Du temps qui
ferait perdre de l’argent.
Ces porcs sont donc tués dans « l’élevage » même.
Comment sont-ils tués ?
Par électrocution.
Par perforation de la boîte crânienne par une tige métallique.
Par asphyxie dans des chambres à gaz. Oui : dans des chambres à gaz.
Ça ne vous rappelle rien ? Certaines pages de l’Histoire nous ont, c’est vrai, montré qu’on pouvait
TOUT faire aussi avec des humains, dès lors qu’on décide de leur ôter toute valeur, toute dignité.
On peut mettre en cage des humains et les exposer comme dans un zoo. On peut les vendre. On
peut dans les entasser dans des wagons sans lumière, sans nourriture ni eau. On peut décider de ne
voir en eux qu’une simple matière dont il est rentable de faire des peignes, des engrais ou du
papier à partir de leurs cheveux, de leur peau ou de leurs os, comme cela s’est passé dans les
camps de la mort de l’Allemagne nazie. On peut choisir de leur dénier toute dignité et toute
valeur.
Le site internet « L’histoire des camps »10 commente « Nuit et brouillard », le film d’Alain
Resnais : « Les victimes juives sont entassées comme de vulgaires sacs, avec la bouche ouverte. Il
n’y aucune véritable distinction entre l’Homme et la bête. […] Ces hommes sont ni plus ni moins
que des « tas de fumiers » destinés à la mort. […] Les corps sont éliminés comme de simples
ordures. »
8
Isabelle Saporta. Le livre noir de l’agriculture. Éditions Fayard. 2011
9
Michelle Julien. La vache à lait : notre consommation, leur martyre. Éditions du cygne. 2011
10
http://tpememoires.wordpress.com/tag/introduction/
Aucune distinction entre l’Homme et la bête… Décidément. Tout est dit.
Une simple matière, disais-je. Le déni total de l’existence d’individualités. Encore moins que des
objets. Le summum est atteint avec les poissons, dont on parle en tonnes. Ces poissons qui
agonisent des heures durant dans l’indifférence des passants, que l’on découpe vivants, dont on
n’imagine pas qu’ils puissent souffrir faute de pouvoir entendre leurs cris.
Quand Isaac Bashevis Singer écrit : « Par rapport à eux [ les autres animaux ], tous les humains sont
des nazis. Pour les animaux c'est l'éternel Treblinka. », il a hélas raison. Le fait que Singer ait été
juif a donné une force terrible à ses propos.
C’est ainsi que sont traités les animaux destinés à la « consommation » humaine. Ils connaissent les
pires des violences jamais imaginées. L’espèce humaine a fait de leur vie un enfer.
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Les luttes des écologistes contre l’implantation de nouvelles porcheries industrielles ne sont pas
assez souvent soucieuses des cochons, à mon gré. L’argumentaire donne la plus grande place aux
nuisances précisément écologiques, notamment la pollution de l’eau. La Bretagne concentre c’est bien le cas de le dire - 56% du « cheptel » français de cochons, alors que sa surface ne
représente que 6% de celle de la France. Certes.
On entend souvent : « Il y a plus de cochons que de Bretons ! ». Le ton est scandalisé. Qu’est-ce
que cela sous-entend ?
Que les seuls occupants légitimes d’un territoire sont les humains.
Que, jusqu’à preuve du contraire, les humains étant les maîtres, ils se doivent d’être les plus
nombreux… pour garder la maîtrise… Ici, on « entend » le sentiment d’être envahi, avec son frisson
d’angoisse…
Cette phrase - répétée comme une rengaine - émane des tripes. Elle reflète le dégoût que
beaucoup d’humains éprouvent pour les cochons. « Un cochon c’est déjà dégueulasse alors trop
c’est trop ! » en quelque sorte.
Les cochons sont donc plus nombreux que les humains à vivre en Bretagne. Ils sont aussi plus
nombreux à y mourir : 33 000 Bretons environ, chaque année contre 14 millions de cochons…
Alors, on échange ?
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Toutes les dominations se ressemblent
L’idée même de domination m’est insupportable.
Tout cela a commencé par la prise de conscience, dans ma petite enfance, de mon statut de
femme. Statut inférieur à celui de l’homme, partout dans le monde et aussi en France, en 2014.
Les humiliations, brimades, limitations, petites ou grandes, auxquelles tout individu infériorisé est
soumis, m’ont sensibilisée à ce type de souffrance.
Sensibilisée comme on peut l’être à un allergène, qui provoque - si rien n’est fait - des réactions
de plus en plus fortes au fil du temps.
L’avantage est que cela permet de réfléchir aux phénomènes de pouvoir, aux mille et un visages
que prend la domination, pas toujours violente, parfois très protectrice, toujours méprisante.
Cette situation de seconde m’a rendu plus perceptible tous les mépris : mépris pour les humains
« non blancs », mépris pour les autres animaux, mépris en général.
J’ai vu que les besoins des dominés, leurs intérêts, leurs existences même étaient dévalorisés ou
passés sous silence.
Dans mon pays, le fait d’être un homme est tacitement considéré comme la normalité.
Les lois, les textes, le langage laissent supposer qu’il s’agit là du cas général.
Croire que le normal c’est soi-même, ça prête à sourire, non ?
Que sont les autres, alors ? Les « non normaux « ? Des cas particuliers. Des cas accessoires, qu’on
peut passer sous silence... Ne pas parler des opprimés, c’est une pratique constante de la
domination.
Pour les nommer, on emploie parfois le terme de « minorités ». Or, dans la langue française, un cas
particulier est par définition minoritaire. Mais un cas particulier qui atteint cinquante pour cent
des cas - les femmes, par exemple - mérite-t-il vraiment son étiquette de cas particulier ?
« Minorités » : voilà un mot employé souvent, en milieu militant, pour évoquer, par exemple, les
luttes de ces populations.
Les « luttes des minorités » sont logiquement perçues par les dominants comme des luttes
accessoires. Puisqu’elles ne concernent que des cas particuliers.
Est-ce un hasard si le nom minorité donne l’adjectif mineur ? Mineur-majeur, non responsableresponsable, enfant-adulte, secondaire-principal, pas important-important...
Une lutte essentielle n’est-elle pas une lutte majeure ?
Les femmes, les noirs et les animaux non humains11 ont un point commun important : ils n’ont pas
d’âme. Ou, en tout cas, ils n’en ont pas toujours eu. Peut-être même, dans l’esprit de certains,
n’en ont-ils toujours pas. On sait que l’âme est quelque chose de très immatériel, encore plus
Ils ne sont pas les seuls dans ce cas. C’est un argument souvent utilisé au cours de l’Histoire pour inférioriser telle ou telle
catégorie d’êtres. Citons, entre mille autres exemples possibles, les Amérindiens, au 16ème siècle, lors de la colonisation
espagnole.
11
immatériel que l’esprit, aux antipodes du corporel en somme. Une petite chose impalpable qui,
paraît-il, vous rapproche de Dieu.
En réalité, l’âme, c’est comme le langage articulé : on s’en passe très bien.
Trêve de ces fadaises. Il s’agissait juste, par ce détail, de montrer que, si toutes les dominations se
ressemblent, c’est particulièrement vrai du sexisme, du spécisme12 et du racisme.
Dans les trois cas, l’infériorité prétendue est inscrite au plus profond de la nature des dominés : on
est pour la vie femme, noir ou animal non humain. Nul changement possible. C’est congénital et
c’est définitif.
Dans les trois cas, le groupe dominé est associé à la Nature. Dans une société où le culturel est
plus valorisé que le naturel et l’esprit plus que le corps, on comprend bien l’intérêt qu’il y a eu,
pour les rabaisser, à prétendre que les femmes, les noirs et les animaux non humains sont plus
proches de la Nature que les autres, c’est à dire instinctifs, peu ou pas intelligents. Proches de la
nature, les femmes et les noirs sont aussi - c’est forcé - plus « animaux » que les hommes blancs.
Là encore, bien sûr, ce n’est pas un compliment.
En novembre 2013, lors d’un de ses déplacements, Christiane Taubira, ministre de la justice « de
couleur », a été agressée : « La guenon, mange ta banane ! » lui a-t-on crié, tout en en agitant
sous son nez. Phrases proférées par des « Blancs », par des enfants, par une petite fille
notamment, particulièrement remarquée.
Car c’est bien connu : Noir = singe = pas bien.
Ces manifestants, dignes représentants de ce que la France compte de plus vil et de plus sot, n’ont
bien sûr pas le crâne suffisamment bien fait pour savoir que leurs insultes n’en sont pas.
Hé oui, nous sommes des singes !
Et Noir = singe, Blanc = singe, singe = bien.
Vous n’aimez pas les bananes, vous ? Moi, j’adore ça.
Les infectes soupes des diverses dominations ont décidément toutes mijoté dans le même
chaudron. Ce fait divers affligeant en est une illustration parfaite.
-----------------------Une domination est toujours étayée par toute une culture, avec notamment un langage fait pour
dévaloriser le groupe dominé. Le dévaloriser ou même le nier.
Le nier, oui. Les animaux non-humains sont infiniment plus nombreux que les humains. Leur
présence sur la Terre n’en est pas moins considérée comme accessoire, voire carrément oubliée.
N’entend-on pas dire sans rire qu’il y aurait sept milliards de Terriens ? Hé oui ! Les seuls individus
qui comptent, ce sont les humains. Qui comptent ! Donc qui sont comptés...
Négation de l’évidence, négation des individus. Au mieux, relégation de leur vie dans une zone de
moindre importance. Au pire, l’assassinat.
Rita Banerji, indienne, fondatrice de la « 50 Million Missing Campaign pour stopper le génocide
féminin en Inde », raconte : « Souvent, les familles font délibérément mourir de faim leurs filles
en négligeant de les nourrir complètement ou en leur donnant les restes s’il y en a après que les
hommes et les garçons aient mangé. Si une fille tombe malade, la famille ne dépensera souvent
pas d’argent en soins médicaux, préférant la laisser mourir.
L’infanticide féminin a une longue histoire en Inde, et de manière effrayante, chaque région a sa
propre façon établie et traditionnelle de tuer les petites filles, méthodes qui comprennent la
noyade du bébé dans un baquet de lait, l’ingestion forcée de sel, ou encore l’enterrement de la
fillette vivante dans un pot en terre. »
Le mot spécisme - formé sur le modèle des mots racisme et sexisme - désigne la croyance en la supériorité de l’espèce humaine
sur les autres espèces animales.
12
La supériorité ? Ça n’existe pas !
Je ne chercherai pas à démontrer que les autres animaux sont sensibles, souffrent, ont des
sentiments ou sont intelligents. Tout cela a déjà été tant de fois prouvé et c’est un fait acquis pour
qui sait ouvrir les yeux sans préjugés.
C’est la notion même de supériorité qui est contestable. Pourquoi ?
Il suffit de s’éloigner un peu de son nombril pour comprendre que toute hiérarchisation des êtres
est subjective : celui qui établit la hiérarchie étant inévitablement juge et partie, il choisit comme
critères de supériorité ceux qui lui sont favorables. En effet, à partir du moment où l’on accepte
l’idée de hiérarchie, il est nettement plus agréable de se trouver au sommet de celle-ci. C’est
donc ce que font sans vergogne les humains, dès lors qu’il s’agit de montrer qu’ils sont supérieurs
aux autres espèces.
Cette supériorité résiderait-t-elle dans le fait de marcher sur deux jambes, en position verticale ?
La belle affaire que de marcher debout ! Nous avons pris la posture qui nous convenait à nous au
moment où nous en avons eu besoin (nous lui devons, d’ailleurs, toutes nos douleurs vertébrales).
Cette position était inutile à la plupart des autres animaux. On vit très bien, à quatre pattes - ou à
mille - quand tout notre organisme est bâti en fonction de cela.
Notons, au passage, que les oiseaux aussi sont des bipèdes.
Résiderait-t-elle alors, cette supériorité, dans le fait d’utiliser un langage articulé ? Gageons que le
langage articulé n’éblouit que nous. Pourquoi les autres espèces nous l’envieraient-elles ? Chacune
d’entre elles possède son propre code de communication, très efficace.
J’oubliais la culture, cette culture dont nous sommes si fiers ! La dernière génération d’éthologues
est en train de découvrir que les grands singes, notamment, ont aussi ont une culture. Une de leurs
expériences porte sur la manière dont des chimpanzés vont se débrouiller pour s’emparer du miel
logé au fond d’un tronc d’arbre. On constate que différents groupes de chimpanzés, vivant dans
des lieux différents, adoptent des techniques différentes.
Récupérer du miel dans un tronc d’arbre, de la culture ? Bien sûr ! Contrairement à un préjugé de
notre époque, la culture ne se limite pas à la création artistique. Pour le zoologiste Frans de Waal,
la culture c’est : « un mode de vie partagé par les membres d’un groupe, mais pas forcément avec
ceux d’autres groupes de la même espèce. [La culture] recouvre le savoir, les habitudes, les
compétences, tendances et préférences sous-jacentes comprises, dérivés de la fréquentation des
autres et de l’apprentissage auprès d’eux13 ». Le problème n’est pas de savoir si un bonobo ou un
chimpanzé est capable d’écrire une symphonie car écrire une symphonie ne présente, de toute
évidence, aucun intérêt dans le monde des bonobos ou des chimpanzés. Quel humain saurait
fabriquer un nid, dans les règles de l’art ? Aucun sans doute et cela ne provoque en lui aucun
sentiment d’infériorité. Quand il s’agit de créer quelque chose qui ait un sens pour elles, les autres
espèces animales aussi réalisent des merveilles.
Remarquons que la quasi totalité des humains est incapable d’écrire une symphonie. Dans le
monde humain, une symphonie, en général, ça s’écoute.
13
Quand les singes prennent le thé. Frans de Waal. Éditions Fayard. 2001.
Amusons-nous un peu avec les critères de supériorité
- et décidons que la rapidité à la course est LE critère fondamental : nous sommes battus à plate
couture par le guépard…
- et décidons que la taille du cerveau est LE critère fondamental (plus c’est gros, mieux c’est). Il
s’agit évidemment de ce qu’on appelle le « coefficient d'encéphalisation », c’est à dire de la taille
du cerveau par rapport au corps de l'individu. Hé bien, à ce petit jeu, nous sommes battus par les
singes écureuils, les capucins d'Amérique du Nord et certaines chauve-souris.
- et décidons que la capacité à voler est LE critère fondamental : là, nous sommes « mal »…
Des critères de soi-disant supériorité, on peut en trouver des milliers. Aucun n’est incontestable.
En fait, chaque espèce est parfaite puisqu’elle est adaptée à ses besoins. Parfaite, à sa façon.
Comme la nôtre.
Les paléontologues modernes, notamment Stephen Jay Gould, ont démoli la croyance en une
humanité « point final » d’une évolution linéaire des espèces, allant de l’imparfait au parfait.
Peut-on sérieusement supposer que la Nature a eu en tête un objectif bien défini : nous fabriquer
nous, êtres humains ! Cette façon de voir le monde, partagée pendant longtemps par les
scientifiques, est en fait très imprégnée de religion. Il semble que l’histoire de la naissance et de
la mort des espèces ait laissé une part très importante au hasard. Stephen Jay Gould explique dans
nombre de ses livres que mille autres chemins auraient pu être empruntés et que l’être humain
aurait pu, ni plus ni moins, ne jamais exister.
Le site « www.hominides.com » explique : « Depuis 7-8 millions d'années, il n'y a pas eu qu'une
seule lignée bien nette qui irait directement du Dernier Ancêtre Commun avec les grands singes
vers l'homme anatomiquement moderne. Les hominidés se sont multipliés et certaines lignées ont
disparu sans descendance (comme Néandertal ou floresiensis). Notre évolution est plutôt
comparable à un arbre buissonnant dont certaines branches se séparent et d'autres s'arrêtent.
Plusieurs espèces appartenant au genre Homo ont non seulement existé mais aussi coexisté.
L'homme moderne est plutôt un rescapé de la lignée comme les autres grands singes en voie
d'extinction. Sans finalité, l'homme continue d'évoluer, comme les autres espèces animales.
Personne ne peut prédire ce qu'il deviendra ou ne deviendra pas dans 10 000 ans. »
Il serait naïf de croire, toutefois, que les scientifiques actuels se soient débarrassés des préjugés
concernant la supériorité des humains sur les autres animaux. Il s’en faut de beaucoup ! Entendu
sur France Inter, le 20 novembre 2013, dans la bouche d’un paléontologue célèbre, à propos de
« Lucy » (Lucy et ses semblables sont considérés comme des pré-humains) : « Je ne dirai pas que
c’était un animal... Elle était mieux que ça... Je préfère les appeler des êtres... des êtres
vivants. »
À l’échelle de l’univers, la notion de valeur d’un être (ou d’un groupe d’individus) paraît dérisoire.
En fait, elle ne se pose tout simplement pas.
Mais, à l’échelle de l’individu, nous avons tous une immense valeur pour nous-mêmes. Quelle que
soit notre espèce. Pour survivre, nous avons besoin que notre vie soit primordiale à nos yeux. Sans
cela, nous ne prendrions pas la peine de la défendre, de la maintenir. Or, tous les animaux essaient
d’échapper à la mort.
Quand on nous humilie, qu’on nous maltraite, qu’on nous torture, qu’on nous tue enfin, c’est toute
la détermination que nous avons mis depuis notre naissance à nous maintenir en vie et dans le
plaisir qui est foulée aux pieds. Tu croyais en toi ? Tu croyais être « quelque chose » ? Tu n’es rien.
Tous les soins que nous nous sommes donnés à nous-mêmes et tous ceux que nos parents et tous
ceux qui nous aiment nous ont donnés un jour ou l’autre s’en trouvent avilis.
La souffrance d’un être - à fortiori sa mort -, c’est presque toujours la souffrance de beaucoup
d’autres.
Qu’est-ce qui rend la vie d’un être si précieuse ? Le fait qu’il y tienne. Tout le monde veut vivre
ou, au minimum, mourir quand il le voudra, ce qui revient au même. Même une personne
suicidaire tient à choisir le lieu et le moment de sa mort. Personne ne désire être tué.
Une vie en vaut une autre. La mienne, ou celle de n’importe quel autre humain, ne vaut pas plus
que celle de n’importe quel autre animal.
Si notre vie a de la valeur pour nous, alors elle a de la valeur… tout simplement. La même valeur
pour toutes les vies.
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Contradictions au sein du peuple…
Une femme. Elle travaille à la SPA et s’indigne à propos d’une tentative de meurtre sur un chat, à
Marseille. Fait rarissime : le coupable, récidiviste, est condamné à un an de prison ferme.
Elle dit : « Aujourd’hui, c’est un chat. Demain, ce sera un enfant ! » puis, sans se rendre compte
apparemment de la contradiction : « Moi, je ne fais pas de hiérarchie… »
Elle était sincèrement révoltée par ce qui venait d’arriver au chat. Hélas, elle « faisait » bel et
bien une hiérarchie. Elle aussi. Difficile, parfois, de se dégager totalement des conditionnements.
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Quand ça nous arrange…
On vous l’a pourtant dit et répété : les autres animaux sont radicalement différents des humains !
Et vous voilà de nouveau coupable d’anthropomorphisme ! Vous êtes incurable vous qui jugez que
tel chat ou mouton est heureux ou jaloux ou pire qu’il vous aime ! Ce sont là des sentiments et les
sentiments sont humains. C’est pourtant simple, non ?
Différents, on vous dit. Ah ! Pas toujours, cependant. Il arrive que, pour la société, les animaux
non humains soient semblables aux animaux humains, tellement semblables même qu’ils peuvent
les remplacer sans qu’on puisse voir la différence. Comme c’est bizarre… Où ça ? Quand ça ?
Mais dans les laboratoires, voyons ! La vivisection ! Hé oui ! Quand il s’agit de tester pour nous nos
médicaments et nos substances chimiques en tous genres, les autres espèces animales nous
ressemblent comme des soeurs.
Différentes ou semblables selon que ça nous arrange ou nous dérange, en quelque sorte.
Cette fichue conscience
Dans le milieu militant de la cause animale (la plupart des militants continuent d’employer le mot
« animal »), les mots « sentient », « sentience » sont de plus en plus employés. L’adjectif sentient
désigne un être « [qui a] des perceptions, des émotions, et […] par conséquent […] des désirs, des
buts, une volonté. ». Ces mots tendent souvent à remplacer, dans le discours, ceux de
« conscient » et « conscience ».
Par prudence ? Ou pour que nos adversaires ne puissent nous opposer l’éternel argument de la soitdisant absence de conscience des autres animaux ? L’existence de cette conscience est
effectivement ce qui leur est encore le plus souvent dénié.
La reconnaissance de leur sensibilité étant en bien meilleure voie dans l’esprit du plus grand
nombre, il est plus facile de chercher à convaincre qu’il est indigne de maltraiter un être
« sentient » que de se lancer dans une difficile démonstration pour prouver qu’il est conscient ou
même intelligent.
On peut comprendre la tactique.
Je crains toutefois que l’usage des mots « sentient », « sentiente » ne masquent, chez les
militants, peut-être pas un doute sur le fait que les animaux non humains soient conscients mais,
au moins, la peur de l’affirmer en public.
Dans les textes des Cahiers Antispécistes, je lis que la conscience est - de l’avis même des
scientifiques - une notion difficile à définir. Mais, si l’on ne sait pas ce qu’est la conscience,
comment peut-on alors affirmer que l’être humain est conscient ? Peut-être tout simplement parce
qu’il est capable de nous le dire. Si nous lui demandons : « Es tu conscient d’être toi ? ». Il est
probable qu’il répondra : « Oui ». Et nous le comprendrons, puisque nous possédons un langage
commun. Le fait qu’un individu d’une autre espèce ne puisse pas nous renseigner sur la conscience
qu’il a de lui-même ne prouve pas qu’il n’en a pas.
Il me semble que la notion de conscience a plusieurs aspects. J’en connais bien un, en tant
qu’infirmière.
Qu’est-ce que la conscience, en jargon médical ? on distingue plusieurs niveaux de conscience,
recoupant en fait plusieurs niveaux d’éveil. Etre tout à fait conscient, c’est être tout à fait
réveillé. Nul doute dans l’esprit de chacun que les autres animaux possèdent bien cette conscience
là. Il vaut mieux, en effet, être bien réveillé si l’on veut échapper à un chasseur.
Quant au reste, il semble plus sage de toujours faire suivre les mots conscience et conscient du
petit mot « de ». On est conscient de quelque chose. De soi, de ce qui vous entoure, de ce qu’on
ressent… mais souvent aussi inconscient justement de ce qui se joue autour de nous, de ce qu’on
exprime, de tant de choses en fait !
Comme toujours, on parle des autres animaux comme s’il s’agissait d’un groupe uniforme - grave
offense -, alors qu’il existe des milliards d’espèces, avec chacune ses particularités. Chacune, sans
doute, est consciente de certaines choses et non consciente d’autres. Chacune a sa vision du
monde, forcément partielle, forcément subjective. Il en va de même pour l’espèce humaine. Et
que dire des différences de conscience entre individus d’une même espèce ? Certains individus
humains ne vont-ils pas jusqu’à NE PAS avoir conscience de la souffrance de ceux qu’ils appellent
« les animaux » ?
Par un bel après-midi pluvieux, j’écoute le dernier album d’un artiste que j’apprécie : Bernard
Lavilliers
« Tu es […] Plus drôle que le poisson
Qui vit dans la mer
Sans savoir la mer »
Tiens, au fait… pourquoi supposer que le poisson « ne sait pas » la mer, son lieu de vie ? Il la
« sait » forcément, il a sur elle mille connaissances, que nous n’avons pas. Se dit-il qu’il les
possède, ces connaissances ? On n’en sait rien mais cela ne l’empêche pas de les avoir. Il a
rudement intérêt - un intérêt vital - à « savoir » la mer.
Que savons-nous de la mer, nous humains ? Rien, pour beaucoup d’entre nous. Certains ne l’ont
jamais vue. Un tout petit peu, quelquefois : bains de mer, promenades en bateau, davantage si
nous sommes marins ou plongeurs mais cela reste bien superficiel. Nous ne sommes pas des
animaux marins et ce que nous saurons jamais de la mer ne saurait être que dérisoire. Nous savons
si peu de la mer qu’il nous est bien difficile d’imaginer qu’on puisse y respirer et mourir asphyxié à
l’air.
Savoir qu’elle contient du chlorure de sodium, quelle couvre 70% de la surface de la Terre,
connaître le cycle de l’eau, voilà ce que généralement nous appelons, nous, savoir.
Est-ce cela savoir ? Est-ce le seul savoir possible ? Celui de l’humain ? Par définition ?
La notion de conscience est très liée à celle d’intelligence, notion que nous ne savons pas plus
définir précisément que celle de conscience, malgré notre intelligence. Nous en sommes réduits à
faire passer des tests, tous plus contestés les uns que les autres parce que tous plus ou moins liés à
la culture, malgré nos efforts. Comme nous n’avons pas tous le même accès à la culture, nous ne
sommes pas égaux face à ces tests. On n’arrive pas à tester l’intelligence en soi. Notre idée de
l’intelligence humaine reste culturelle, donc variable, subjective. À plus forte raison celle que
nous avons de l’intelligence des autres espèces. Un de nos grands points faibles est que nous
sommes incapables de concevoir une pensée sans langage articulé. Or, de toute évidence, elle
existe. Différente de la nôtre, sans doute, mais néanmoins efficace. En fait, nous estimons leur
intelligence à l’aune de la nôtre.
Une intelligence sans conscience, est-ce possible ? La question est d’importance à l’heure où l’on
reconnaît enfin l’intelligence de bon nombre d’espèces. Il semble pourtant qu’être conscient soit
un préliminaire à toute pensée. Alors ? Les animaux non humains seraient intelligents mais seuls les
humains seraient doués de conscience ?
Nous les humains, nous sommes tous des dominants
Comment une femme « blanche » pourrait-elle revendiquer l’égalité avec les hommes, si, par
ailleurs, elle est raciste ? Si elle fait sienne l’idée que les humains ne sont pas égaux selon qu’ils
sont « noirs » ou « blancs « ? Car s’il existe des humains inférieurs à d’autres, pourquoi pas les
femmes ?
Au nom de quoi un homme prolétaire dénoncera-t-il l’obéissance obligatoire au patron, son mépris,
son autoritarisme, si, à la maison, il règne en maître sur sa femme ?
Il en va de même pour l’esclavage auquel nous condamnons tant d’animaux non humains alors
même que nous condamnons l’esclavage. Si l’idée d’esclavage est acceptable, alors… pourquoi pas
l’esclavage des humains ?
De nombreux humains qui s’opposent à la notion de hiérarchie à l’intérieur de l’espèce humaine,
sont par ailleurs spécistes. C’est troublant. Car enfin, comment espérer pouvoir bâtir une société
égalitaire sinon en refusant toutes les dominations, en contestant toutes les hiérarchies ?
Si je revendique la liberté pour tous les humains et leur égale dignité, comment puis-je accepter
que les animaux des autres espèces
soient privés de leur autonomie et de leur plaisir de vivre ?
que toute leur vie soit détournée à mon profit ?
qu’ils souffrent et meurent dans les laboratoires de vivisection pour que je puisse, moi, peut-être,
guérir et vivre plus longtemps ?
qu’ils se contorsionnent dans les cages de « l’élevage » industriel et soient traînés à la saignée des
abattoirs pour la satisfaction fugitive d’un morceau de boudin ou pour une dinde aux marrons trop
copieuse, qui finira pour partie à la poubelle ?
qu’ils me servent à me nourrir, à m’habiller, à me laver, à me soigner, à me distraire ?
qu’ils soient réduits à l’état d’objets ?
Réaliser que l’on bénéficie d’un statut privilégié est une chose inconfortable pour la plupart des
humains. Privilège allant en général de pair avec injustice, on se sent remis en cause gravement. Il
est plus facile de continuer de croire que ces privilèges sont mérités. On a vu comment certains
Communards, exilés en Nouvelle-Calédonie, en 1871, après l’échec de la Commune et « empreints
de l'idéologie ordinaire de suprématie raciale sur les « sauvages », ont participé à la répression de
la révolte des Canaques.14
Pourtant, repérer ses propres comportements de domination, les combattre pour vivre avec les
autres dans un rapport égalitaire, ne peut qu’apprendre à combattre aussi celles des dominations
dont nous sommes les victimes.
Ayant fréquenté beaucoup d’hommes impliqués dans les luttes anti-hiérarchiques, je peux
témoigner du fait qu’ils ont beaucoup de mal à abandonner les comportements sexistes, alors
même qu’ils se disent anti-sexistes.
Pointez du doigt l’attitude ou les mots qui vous gênent et le fait qu’ils soient une manifestation de
la domination des hommes sera le plus souvent nié. Le premier réflexe, c’est de nier. Et le
deuxième, et le troisième… Ça prend du temps…
14 http://rene.merle.charles.antonin.over-blog.com/article-communards-et-insurrection-canaque-1-109519672.html
Se retrouvant entre eux, ils parlent à coeur ouvert et parfois se métamorphosent. Car on peut
changer ! J’ai vu fleurir avec bonheur des bulletins consacrés à la phallocratie, faits exclusivement
par des hommes et des réunions, elles aussi exclusivement masculines, destinées à se libérer de
leur conditionnement. Ça se passait à la fin des années soixante-dix, époque fructueuse en
libérations.
Nous, êtres humains, hommes ou femmes, riches ou pauvres, blancs ou noirs, avons un pouvoir de
vie ou de mort sur de très nombreuses espèces animales. Si nous ne l’exerçons pas directement,
couteau en main, nous l’exerçons par procuration, à coups de billets de banque. Surtout ne pas
savoir ce que cache de souffrance et de mort la barquette de viande ou le flacon de shampooing !
Je suis un être humain et je participe à cette domination, que je le veuille ou non, car je suis de
fait mieux traitée par les membres de mon espèce que si je n’étais pas un être humain. Et le fait
que je m’oppose à cette oppression chaque fois que je le peux (en mangeant végétalien, en
n’allant jamais ni au cirque ni au zoo, en dénonçant « l’élevage », la corrida, la vivisection...) ne
change rien à cet état de fait.
J’ai conscience d’appartenir à « cette classe dominante » et j’en souffre.
Pourquoi change-t-on ?
Prendre conscience n’est que le premier pas. Ensuite, il faut changer. Et ce n’est pas triste.
Beaucoup de gens, horrifiés par ce qu’ils apprennent sur le sort des animaux non humains, restent
pourtant des années à culpabiliser sans pouvoir se résoudre à changer leur manière de vivre.
« Je ne mange que de la viande blanche » avec sa variante « Je ne mange pas de viande,
seulement du poulet. »
« Le foie gras, je n’en mange presque jamais. Seulement une ou deux fois par an ! »
Comment comprendre ? Rien ne semble, de prime abord, plus difficile que le changement.
Il l’est si la motivation est faible ou inconstante : on est ému, sur le moment, par une image, un
film, un livre mais, plus tard, on achètera quand même le maquillage testé sur les animaux non
humains parce que « cette crème est vraiment la seule à hydrater ma peau aussi bien ! » ou encore
on ne saura pas résister au foie gras qui permettra de faire comme tout le monde, à Noël...
Et pourtant, les cosmétiques non testés sur les animaux non humains existent ! Et pourtant,
manger du foie gras est une activité des plus futiles qui ne pèse RIEN face à la souffrance qu’elle
engendre !
Pour que le sort des espèces que nous avons asservies change réellement, il faut d’abord jeter au
feu la panoplie du petit seigneur à qui tout est dû et dont le plaisir est sacro-saint. Cette panoplie,
les capitalistes nous poussent à l’endosser : « Une envie à satisfaire ? On a ce qu’il vous faut. Pas
d’envie du tout ? Pas grave : on va vous en inventer une. Et pour pas cher en plus. Ah ! Que ne
ferait-on pas pour vous ? Nous avons réduit en esclavage des enfants à l’autre bout de la Terre,
rétréci encore la taille de nos cages mais vous allez pouvoir acheter à bon marché notre production
qui fleure bon la misère, la prison et le sang des vaches, des cochons, des poulets et des moutons…
parce que vous le valez bien ! »
Changer - changer d’alimentation notamment, mais aussi de manière de s’habiller, de se chausser,
de se soigner - c’est sortir de la passivité. C’est prendre en charge sa vie quotidienne. C’est être
actif dans un monde où tout est fait, cuit et pensé à notre place.
Le statut quo, c’est confortable.
Je me souviens d’un professeur de psychologie qui, à l’école d’infirmières où j’ai jadis étudié, a
commencé son cours par :
« Pourquoi change-t-on ? »
Silence général…
« Parce qu’on en a BESOIN ».
C’est dire que si une situation ne nous gêne pas, si en particulier nos comportements ne sont pas
pour nous la source d’un profond inconfort psychologique, nous n’avons aucune raison d’y mettre
fin. On comprend facilement, dans ces conditions, que quelqu’un en position dominante ne mette
pas une énergie folle à se remettre en cause : même quand il est conscient de l’injustice - parfois
de l’horreur - de la situation, il n’en est pas la principale victime et il lui suffira d’essayer de ne
pas y penser.
Sauf que… sauf que la lucidité, parfois, s’aiguise à un point tel qu’elle devient insupportable. Il
arrive alors que des dominants rejettent leurs privilèges. C’est que ces privilèges n’en sont plus,
pour eux. Ils sont devenus un poids, une entrave. Ils les encombrent. En contradiction avec l’idée
qu’ils se font de leur vie, ils sont maintenant pour eux, effectivement, la source d’un profond
inconfort. Au plus intime de ceux qui ont goûté ou rêvé au bonheur des relations égalitaires, cet
inconfort grandit, grandit… jusqu’à ce que le changement soit ressenti comme une véritable
libération.
C’est alors, par exemple, que l’on cesse définitivement de manger les animaux non humains et de
participer à tout ce qui contribue à perpétuer leur esclavage.
En réalité, rien n’est plus facile que le changement, dès lors que la motivation est forte. Les
végétariens confirmeront que, le plus difficile ce n’est pas de ne plus manger de viande mais
plutôt de vivre dans un monde où tout le monde en mange ! Rien n’y est fait pour vous et on vous
demande constamment de vous justifier.
Sans compter que les « produits animaux » se cachent partout : dans les médicaments, dans les
produits cosmétiques… C’est une nouvelle vie qui commence, très gratifiante pour qui tient à vivre
en accord avec ses convictions.
Les gens pour qui ne pas manger de viande est une aberration aiment se représenter les
végétariens comme des « pisse-froid » et des « peine à jouir ». Leurs présupposés sur nos
sexualités ne nous gênent pas, tant il est vrai que ce sont des gens avec qui nous souhaitons avoir
le moins de contact possible. Qu’ils pensent ce qu’ils veulent ! Cela ne fait pas de différence pour
nous. Mais cela me suggère deux réflexions.
La première est que la cuisine sans « produits animaux » est délicieuse, faite de saveurs que je ne
soupçonnais pas, avant d’être végétalienne. Elles étaient pourtant à ma portée mais le fait est que
je mangeais presque toujours la même chose : de la « viande » sous diverses formes et un
accompagnement qui était bien plus souvent des pommes de terre ou des pâtes que des haricots
verts… Passons… Manger végétalien m’a permis de manger beaucoup plus varié. J’ai aussi
découvert que le plaisir que je prenais à manger un plat de viande tenait pratiquement toujours…
à la sauce ! J’ai gardé la sauce à l’échalote et j’ai refusé d’être complice de la mort de la vache
qui fournissait contre son gré « l’onglet ».
La seconde réflexion concerne le plaisir. Il tient dans toute vie une place essentielle. Et c’est
justement parce qu’il est si bon de vivre qu’il est inacceptable de spolier de leur vie les autres
animaux en les tuant ou en les emprisonnant.
La recherche du plaisir ne justifie pas que l’on cause de la souffrance aux autres.
On associe souvent végétarisme et austérité parce que les gens supposent que les végétariens se
privent de plaisir, par respect pour les autres animaux. Ce n’est pas le cas puisqu’en réalité, il
s’agit simplement de choisir d’autres plaisirs que celui que procure un plat de viande. Et il y en a
des millions !
Mais tout de même, posons-nous la question : les végétariens sont-ils capables de se priver d’un
plaisir, s’il le faut, par respect pour les autres animaux ?
La réponse est clairement : OUI
Nos convictions et notre révolte sont, en effet, profondes. Notre refus de collaborer à cette oeuvre
de violence et de mort est une véritable « objection de conscience ». La totalité de notre être y
est engagé.
Au contraire des tortionnaires, nous ne supportons pas que l’on martyrise. Nous sommes
bouleversés par la souffrance des animaux non humains parce que nous sommes bouleversés par la
souffrance tout court.
Georges Franju a filmé les abattoirs de La Villette, en 1949, et en a fait un film : « Le sang des
bêtes ». Il nous dit : « Quand je suis allé la première fois là-dedans, je suis rentré chez moi, j’ai
pleuré pendant des jours, j’ai caché tous les couteaux, j’avais envie de mourir. »
Nos adversaires nous taxent de « sensiblerie », c’est à dire de sensibilité exagérée, si l’on en croit
le dictionnaire. Dirait-on des gens qui dénoncent la guerre qu’ils font preuve de sensiblerie ?
Bien malade est celui à qui la cruauté n’arrache pas des larmes.
Pauvres victimes !
Une banque, dans l'Aisne, en 2008. En présence du personnel, un « éleveur » assassine deux de ses
chèvres et en blesse une autre avec son couteau. Les articles le qualifient de « désespéré ». En
effet, il était à découvert et la banque lui refusait toute aide, lui conseillant seulement de se
séparer de quelques chèvres « pour obtenir des liquidités ». « Relâché […] à l'issue de quelques
heures de garde à vue, il est convoqué […] par le tribunal de police pour destruction d'animaux et
encourt une amende. »
Quiconque a déjà connu de sérieux problèmes financiers comprend le désespoir de « l’éleveur ».
N’en demeure pas moins que tuer des chèvres est, semble-t-il, dans notre société, un geste
presque anodin. Pardonnable en tout cas. Les journaux ont surtout relayé le désespoir et la misère.
Que vaut, n’est-ce pas, la vie d’une chèvre par rapport au désespoir d’un homme ?
Un autre jour, d’autres « éleveurs » ONT MIS LE FEU À UN CAMION BOURRÉ DE MOUTONS. Dans
l’indifférence et même les rires des autres « éleveurs » manifestant.
François Cavanna - qui a relaté le meurtre dans « Coups de sang »15 - écrit, à propos de ces
assassins : « La tatane à clous dans la gueule, c’est tout ce que ça comprend […] »
Sacrifier des animaux non humains pour montrer à quel point l’on souffre est loin d’être une
pratique exceptionnelle : le 6 novembre 2014, au cours d’une manifestation et officiellement pour
dénoncer le caractère « nuisible » d’une ministre, des agriculteurs de la FNSEA passaient leur rage
sur des ragondins, les aspergeant de peinture et les tuant à coups de pieds.
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Petit spécisme ordinaire (du côté des crétins…)
Appelons la Madame X. Elle est hélas semblable à des millions d’autres Monsieur Y. ou Madame Z.
Elle participe à une émission de télévision. C’est en janvier 2013. Un des invités milite pour la
« cause animale ». Elle est agacée… Elle dit : « Mais y a pas des causes plus graves que les
animaux ? »
La phrase est de la plus haute banalité. Chaque militant de la « cause animale » la connaît par
coeur. C’est une rengaine. La perfide question est insultante ! Elle tente de blesser profondément
en sous-entendant que la personne qui se préoccupe des animaux non humains est insensible aux
souffrances d’autrui, qu’elle manque d’empathie. Ce qui est quand même le comble, quand on y
pense ! Elle tente de culpabiliser, espérant que dans la tête du pauvre militant vont se précipiter
des images de chômeurs en fin de droit faisant la queue aux restos du coeur ou d’enfants mourant
de faim à l’un quelconque des coins du monde. Quel bonheur si le visage militant pouvait se
couvrir du rouge de la honte… !
Ça n’arrive jamais.
Beaucoup de militants exaspérés et voulant renvoyer en boomerang la culpabilité chez
l’adversaire, lancent alors : « Mais vous, qu’est-ce que vous faites contre la faim dans le
monde ? » (par exemple). Et là, c’est le silence car, bien sûr, la plupart des indifférents au sort des
animaux non humains ne font rien pour les humains.
Mais la défense me semble mauvaise. La vraie réponse, la réponse honnête - qu’un long
conditionnement à la croyance en la supériorité humaine empêche de donner calmement - c’est :
« Non, il n’y a rien de plus grave que ce que les humains font subir aux autres animaux et la cause
15
Coups de sang. Cavanna. Éditions Belfond. 1991. Chapitre intitulé « Ils l’ont fait ».
« animale » est aussi importante que la lutte contre la faim, le racisme, la guerre et autres
horreurs vécues par les humains. »
Car toutes les espèces se valent et une souffrance en vaut une autre.
Représentez-vous une seconde un plateau de télévision où Madame X entendrait quelqu’un parler
de son engagement pour une meilleure prise en charge des personnes atteintes de cancer, par
exemple. Cette personne serait passionnée. Cet engagement serait l’essentiel de sa vie. Et
imaginez Madame X en train de lui dire : « Mais y a pas des causes plus graves que le cancer ? ».
Non vraiment, c’est impensable.
Pourtant, il y a des enfants violés et tués par des sadiques, et aussi le génocide des juifs pendant
la guerre… Et tant d’autres choses…
Escalade dans l’horreur. On peut toujours aller plus haut…
Plus horrible que ce que vivent les animaux non humains dans les « élevages » concentrationnaires
et à l’abattoir ? Y a pas : prison. Torture. Mort.
Mais des animaux non humains, on n’a pas le droit de parler sérieusement comme d’êtres méritant
de la considération. Cela fait offense aux humains.
La vraie pensée, déguisée sous « Mais y a pas des causes plus graves que les animaux ? »,
c’est : « ça me choque beaucoup que vous parliez de la souffrance animale parce que ce sont des
êtres inférieurs aux êtres humains et que, tant qu’il y aura un être humain qui souffrira, on ne doit
pas parler de leur souffrance.
Et puis taisez-vous : je ne veux rien savoir de leur souffrance. Je veux pouvoir continuer de les
manger, de m’en servir pour tester mes médicaments, de les voir en spectacle pour me distraire,
sans me poser de questions ».
Madame X, dans la foulée, ajoute que « les animaux qu’on mange » « n’ont pas de sensibilité » et
finit par : « Ils ont fait quoi pour nous ? Ils font des manifs pour nous défendre, nous ? »
Madame X ne connaît pas la générosité. Madame X ne donne que si l’on peut lui rendre. Elle
laisserait se noyer un bébé dans la piscine sous prétexte que, lui, est incapable de la sortir de
l’eau !
Les mots de l’ennemi
« Chaque année, en France, un milliard d’animaux sont amenés à la vie, élevés et abattus pour
être consommés. » dit, en décembre 2013, le journal d’une association de végétariens.
Les faits sont exacts. Pourtant, les mots ne désignent pas la réalité. Pourquoi utiliser les mots
d’une société que l’on rejette, les mots de l’ennemi ?
Les mots « élever », « abattre », « consommer » sont détestables.
La réalité, c’est que chaque année, en France, un milliard d’animaux non humains sont mis au
monde par leurs parents en captivité, engraissés puis tués pour être mangés.
----------------------------Élever, élevage...
Un élevage de cinq cent truies...
Qu’est-ce qu’élever une truie, pour un humain ? Le dictionnaire nous dit qu’élever c’est « éduquer,
assurer le développement physique et moral ». En l’occurrence, retenons « assurer le
développement physique ».
Dans l’élevage, il ne s’agit évidemment pas d’assurer le développement naturel mais un
développement qui arrange « l’éleveur », un développement qui lui rapporte de l’argent, quitte à
déformer le corps et l’esprit de l’animal « élevé », à en faire un monstre, à le mener aux portes de
la mort. Un peu comme un enfant que l’on mutile pour le faire mieux mendier.
Canards gavés. Vaches pouvant à peine traîner leurs pis.
Mais aucun mot n’est innocent et celui-là, comme bien d’autres, cherche sciemment à nous
tromper. « Je suis éleveur ». Comme c’est émouvant ! On croirait presque des instituteurs !
-----------------------------Détruire
Le troupeau a été « détruit ».
Le mot détruire vient du latin destruere. De la préposition « de » et de « struere » : bâtir. Détruire
c’est dé-bâtir.
Quand on dit d’un humain qu’il a été détruit, cela signifie en général sur le plan moral. S’il
s’agissait de son corps, l’image serait trop violente. On ne déconstruit pas quelqu’un, comme
brique à brique, de son vivant. Ça suffit bien que ça se fasse de soi-même, après la mort.
Déconstruit… comme un jeu de mécano.
Pour un troupeau, ça ne gêne pas.
-----------------------------Abattre...
On emploie le mot abattre pour désigner le fait de tuer un animal sauvage ou destiné à être mangé
par les humains. Pourquoi ? Pourquoi pas « tuer » ?
Le dictionnaire donne comme définition du mot « abattre » : « jeter à bas, faire tomber quelque
chose qui était dressé » et aussi « tuer un homme ou une femme à l’aide d’une arme à feu » et
encore « tuer un animal ».
Si l’on tue un humain à l’aide d’une arme à feu, il tombe (à moins qu’il ne soit allongé dans son
lit). C’est la même chose pour un animal non humain tué par exemple par un chasseur : il était
dressé... il tombe... Mais l’animal à l’abattoir ? C’est moins simple, pourtant...
Du mot abattre vient le mot abattage... mot repris même par les associations « de défense
animale » qui réclament un meilleur traitement des animaux lors de « l’abattage ».
Pourquoi le mot tuer n’est-il pas employé ? J’y vois la volonté de ne pas employer le même mot
que pour les humains. Le cas est fréquent : risquez vous à dire qu’un mammifère femelle non
humain a « accouché » et surtout qu’une femme a « mis bas » et attendez les réactions...
Le mot abattre met l’accent exclusivement sur l’aspect physique de la chose. Celui qui est tué
ainsi - humain ou non humain - a un poids et il est soumis à la pesanteur. Il tombe, donc. Juste un
corps qui tombe. A-t-il un esprit ? Des sentiments ? Un désir de vivre ? Ça n’a pas d’importance.
On imagine que ça n’a pas d’importance, en effet, pour l’assassin. On imagine que l’assassin n’a
que du mépris pour la vie de sa victime. Et c’est ce que dit le mot abattre. Faire tomber, comme
on ferait tomber un objet, une quille par exemple. Quelque chose d’inanimé.
Que la victime soit considérée comme dangereuse (comme un animal sauvage ?) ou nuisible, alors
on emploiera aussi le mot abattre : « La police a abattu le voleur ». Sous-entendu : « Il n’y avait
pas moyen de faire autrement », sous-entendu encore : « Pas moyen de le raisonner » et sous
entendu enfin : « C’était quelqu’un de nuisible. On l’a tué comme un animal. »
L’utilisation du mot abattage est détestable. Employer le mot c’est considérer comme normale
l’existence de la chose, au moins le temps de prononcer la phrase.
L’animal tué à l’abattoir est-il indigne ? criminel ? dangereux ?
Quel danger peut représenter pour l’homme un animal sur le point d’être tué à l’abattoir ? Des
taches de sang sur les vêtements ?
---------------------Étourdissement
Abattage avec étourdissement…
Le mot étourdissement n’est-il pas gentillet pour désigner le fait de faire pénétrer dans le cerveau
d’un animal une tige - surgie d’un pistolet à tige perforante : le matador - , ce qui, en principe,
doit le plonger dans une profonde inconscience.
En principe seulement car, pour que ça marche, il faut que la « tige »soit correctement
positionnée. Le Docteur Jean Pierre KIEFFER, président de l’OABA (Oeuvre d’Assistance Aux Bêtes
d’Abattoir) explique, par exemple, que : « Le pistolet à tige perforante est un outil dont
l'utilisation chez le porc est délicate. En effet, la surface du crâne sur laquelle le pistolet doit être
appliqué est très peu étendue chez cet animal. Une mise en place incorrecte provoque un échec
dans l'utilisation du pistolet et une souffrance de l'animal. […] »
Une balle dans la tête. Vous appelez ça étourdissement ? Un peu comme un verre de liqueur, en
somme…
L’amour dans le pré
Un veau et sa mère tranquillement dans un pré. Elle marche, il la suit comme son ombre. Il n’a
que quelques heures et sa mère est son seul repère dans la vie. Ils ne se doutent de rien, ni l’un ni
l’autre. Ils ne se doutent pas que le meilleur de leur vie - leur relation toute neuve et si tendre est déjà presque terminé. « L’éleveur » arrive et - doucement mais fermement - éloigne le petit de
sa mère. Le veau résiste… cherche à rejoindre sa mère. Il n’y a pour lui qu’un chemin imaginable
et ce chemin le mène dans les pattes de sa mère. « L’éleveur » le prend dans ses bras et le porte
dans une camionnette. La vache va à la camionnette, y cherche son petit. La camionnette
démarre. La vache court après.
Ensuite, on ne voit plus que le veau, installé dans le box où il sera « élevé ». Mais… la vache,
ensuite ? Qu’a-t-elle fait ? Qu’a-t-elle pensé ? Qu’a-t-elle ressenti ?
Et « l’éleveur » ? Que pense-t-il ? Que ressent-il ? Souffre-t-il ?
Il agit comme s’il ne savait pas qu’un nouveau-né et sa mère ont besoin l’un de l’autre. Il oublie
que tout cela l’a un jour concerné. Faut-il n’avoir jamais souffert soi-même pour infliger tant de
souffrances à d’autres êtres ? Ou alors quoi ? Pas de mémoire de ses propres souffrances ? Quand
on sait comme est pénible parfois une simple frustration…
Sait-il comment l’on vit après la disparition brutale de qui l’on aime ? N’a-t-il jamais connu le
deuil ?
Enfermé dans un petit box couvert de paille, le veau se retrouve seul. « L’éleveur » a poussé la
targette. Pas une caresse, pas un mot de réconfort.
Il faut contempler la beauté du regard du veau, du regard de la vache. Cette profondeur. Honte à
celui qui le premier a dit que leur regard reflétait le vide et la stupidité.
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Rebellons-nous !
L’opposition au spécisme est encore très marginale… et se rendre à une manifestation pour la
défense des animaux non humains, c’est s’attendre à se retrouver à une dizaine d’individus, tout
au plus.
Ce consensus explique, en partie, que l’exploitation des animaux non humains ne connaisse pas de
limites. Les conséquences de l’indifférence sont terribles. Pas d’opposition ? Alors, les pires
tortures sont permises et infligées.
Si l’on veut changer le monde - et nous voulons le changer ! - il faudra bien pourtant un jour s’en
prendre au fondement de toute domination : la notion de hiérarchie. C’est elle qu’il faut éradiquer
de nos têtes.
À quoi bon ? entend-on quelquefois. Domination et hiérarchie existent partout, tellement partout
qu’elles ont sans doute leurs raisons d’être, leur légitimité… D’ailleurs, n’existent-t-elles pas aussi
ailleurs que dans l’espèce humaine ?
Grande question, irrésolue : pourquoi la domination ?
Pourquoi aussi cette soumission à l’autorité, si fréquente ?
Je ne sache pas qu’on ait trouvé de réponse à ces questions. Sauf que...
On pourrait tout aussi bien se demander : pourquoi y a-t-il toujours eu des révoltes contre la
domination, la servitude ? Chaque fois que ça a été possible, partout dans le monde... La réponse
est évidente : parce qu’être dominé est insupportable. Et puisque l’oppression fait souffrir, la prise
de conscience d’une oppression appelle la rébellion.
Suis-je une femme ?
un être humain ?
un mammifère ?
un animal ?
un être vivant ?
Pourquoi limiterais-je mon sentiment d’appartenance et de solidarité aux membres de mon
espèce ?
Car alors, pourquoi ne les limiterais-je pas au contraire aux membres de mon pays, voire de mon
village, et guerre et mort à tout le reste ?
Je me sens semblable à tous les êtres vivants.
Je sens qu’il coule en moi comme en tous les animaux le même forcené désir de vivre.
Je me sens solidaire de toute cette joie d’exister.
Ma joie. Leur joie. Toutes me sont indispensables.
Marie-Hélène Rudel
L’enfant : « La cage, c'était pour mieux voir ta prestesse, tes quatre petites mains, tes beaux
yeux... »
L’écureuil : « Oui, c'était pour mes beaux yeux ! Sais-tu ce qu'ils reflétaient, mes beaux yeux ? Le
ciel libre, le vent libre, mes libres frères, au bond sûr comme un vol !... Regarde donc ce qu'ils
reflétaient, mes beaux yeux, tout miroitants de larmes ! »
L’enfant et les sortilèges, Colette
Décembre 2014