entretien avec Gilles Lambert, scénographe
Transcription
entretien avec Gilles Lambert, scénographe
Entretien Gilles Lambert, scénographe a. La question du manque d’argent pour un décor est récurrente, cruciale et passionnante. La scénographie, normalement, c’est un poste où l’on construit quelque chose, où l’on dépense de l’argent. Ici je ne peux pas, il n’y en a pas ! Mais la question de la scénographie n’est pas pour autant réglée. b. L’intérêt dans cette aventure-là, c’est que l’on fait de la scénographie pure. C’est d’ailleurs un phénomène historique, la scénographie se rapproche de plus en plus de la mise en scène. Le couple scénographe/metteur en scène concoure dans le même sens. c. Le scénographe recherche une esthétique de la représentation, et cette dernière ne tient pas forcément à des images durables. Dans un cas normal, vous avez un décor qui tient la durée du spectacle, mettons deux heures. Et la difficulté est de faire une image qui ne s’épuise pas. Dans le cas particulier nous n’avons pas de décor construit, mais il y a une présence de comédiens dans un espace où l’imaginaire des spectateurs va se projeter. Il va se projeter car dans la mise en scène on va projeter des sons, des lumières, qui ne sont pas là pour remplacer l’image, mais pour induire un peu de directions Et ce qui est assez étonnant, c’est que cela crée malgré tout des images. d. J’ai déjà à mon actif une quantité assez étonnante de réalisations, mais de trouver un autre aspect à la scénographie, plus fugace, plus fugitive et en même temps extrêmement violente, est plus qu’intéressant. Je ne dis pas que c’est une forme qui va sauver le théâtre et les budgets du théâtre, mais c’est quelque chose à explorer. Il faut le prendre comme une chance de pratiquer autrement. Cela demande beaucoup de métier et de pratique pour donner aux spectateurs des – littéralement – points de vue. e. A un moment donné, dans la pièce, le Jeune Homme jette son dossier surpris par un coup de téléphone. Ces feuilles blanches, qui tombent sur scène sur un personnage qui avait décidé de se retirer du monde du travail, créent à la fois une image et une métaphore. Est-ce de la mise en scène, est-ce de la scénographie, qu’importe, mais elle parle bien du théâtre et de la dramaturgie que l’on est en train de faire. f. Un décor, tel que je les conçois, doit toujours avoir plusieurs entrées. Celui des Bijoux de la Castafior peut très bien être utilisé pour un Shakespeare, parce que j’ai fait une lecture tragique de l’œuvre de Hergé. Je fais toujours en sorte qu’il y ait plusieurs degrés de lecture. Un décor à sens unique peut tuer le spectacle. g. C’est très différent de concevoir une scénographie pour une pièce contemporaine ou pour une pièce du répertoire. Prenons Shakespeare. Il faut savoir que ses pièces ont été écrites pour la structure du théâtre élisabéthain. Donc il faut connaître cette structure, non pas pour l’imiter, mais pour comprendre son mécanisme et sa partition afin d’inventer un autre décor. On ne peut pas faire l’économie de cette connaissance. Idem pour une tragédie grecque ou une pièce de h. i. j. k. l. Corneille. Il existe des codes d’entrée en matière. Dans le cadre d’une écriture de Sylviane Dupuis, ou dans celle du théâtre contemporain en général, c’est une écriture qui se cherche, elle n’est pas basée sur des codes, sur une architecture. Le grand discours des années 1970 a amené les dramaturges et metteurs en scène à proposer un abri, en lieu et place du lieu officiel de culture qui avait perduré jusqu’à nos jours. Un abri comme protection, mais également comme protection contre les tumultes et les soubresauts de la société contemporaine. On a besoin d’un lieu, où en plus petit comité, on peut continuer à produire du théâtre. L’intérêt pour moi de monter du théâtre contemporain est de se reposer la question du rapport au public. Comment installer un rapport entre acteurs et spectateurs, alors que l’écriture n’a pas de passé archéologique. Monter un spectacle qui n’a pas de décor, mais une lecture pointue entre acteurs et spectateurs, est d’une grande importance. Naturalisme, réalisme… Il faut faire attention aux fausses pistes. Si on prend au pied de la lettre les indications de l’auteur, on fait fausse route. Avec Martine Paschoud nous avons relevé les contradictions du texte. D’un côté des paroles que l’on peut qualifier de poétiques, et de l’autre côté, des didascalies très naturalistes, terre à terre. Donc il faut trouver une autre piste, qui tiennent compte de cette contradiction, mais qui permet d’aboutir à un spectacle qui se tienne. Et pour l’instant les répétitions prouvent le bienfondé de notre démarche, d’un côté la crédibilité des personnages et de l’autre la poétique du texte, un certain surréalisme. Je suis toutes les répétitions et je dois dire que c’est un luxe. De plus esquisser le contour des personnages par des croquis en vue d’un costume, c’est une manière pour moi d’envisager ma participation à un spectacle de manière un peu neuve. Faire un énième décor, à quoi bon, mais faire du théâtre dans sa globalité, oui, cela m’intéresse encore. De faire des remarques sur la mise en scène d’après un autre point de vue, d’intervenir sur le jeu avec des suggestions plastiques, c’est passionnant et cela me permet de faire le joint entre ma propre culture et le théâtre. Et ma pratique et mon âge me permettent de faire cela. Ce qui me passionne dans le théâtre, c’est l’aventure collective. On s’en fiche de savoir d’où vient telle idée, il faut que, comédiens, metteur en scène, scénographe, son, lumière, etc, tous soient au mieux de leur forme pour aboutir à un résultat convainquant. C’est la somme de ces convictions autour du travail qui fait qu’un spectacle sera réussi ou non. Au niveau personnel, je suis étonné par la boucle que je fais. A l’aube des années 1970 on était dans des recherches très nouvelles, radicales. Maintenant avec la nouvelle économie du théâtre qui se dessine, on retourne à ce souci de réinventer les formes du théâtre. C’est le cycle de l’histoire du théâtre auquel je participe. Propos recueillis par Vincent Aubert