Des ponts entre financiers et jeunes de banlieues

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Des ponts entre financiers et jeunes de banlieues
Date : 05/11/2015
Heure : 05:46:58
Journaliste : Soraya Haquani
www.agefi.fr
Pays : France
Dynamisme : 118
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Des ponts entre financiers et jeunes de banlieues
Dix ans après les émeutes urbaines, de grands acteurs de la banque-assurance
s’emploient à insuffler la mixité sociale dans leurs embauches.
Des ponts entre financiers et jeunes de banlieues
En 2012, lorsqu’il envoyait « des centaines de CV », participait « pendant des mois
à tous les forums bancaires » de sa région de Bordeaux, se déplaçait « à tous les
sièges sociaux de la Gironde » afin de trouver un poste dans la banque, Wilfried
Mahouto n’aurait sûrement pas imaginé raconter, trois ans plus tard, son parcours
du combattant… au président de la République, sous les dorures de l’Elysée. Le
20 octobre dernier, le jeune homme de 28 ans, aujourd’hui directeur d’agence et
chargé d’affaires professionnel chez BNP Paribas au Haillan, près de Bordeaux,
s’est exprimé devant un parterre de cadres de grandes entreprises, de jeunes
et de responsables d’associations spécialisées dans l’aide professionnelle auprès
des personnes de milieux défavorisés. Tous étaient venus célébrer les dix ans de
l’opération « Nos quartiers ont des talents » (NQT). « Je n’avais aucun retour
à mes candidatures, se rappelle Wilfried Mahouto. Je n’avais pas d’expérience
bancaire mais j’avais déjà une expérience commerciale avec des petits jobs. Nous
étions 15 dans mon master, les 5 étudiants qui n’ont pas réussi à trouver d’emploi
étaient tous issus de l’immigration… Les professeurs nous avaient même conseillé
d’enlever notre photo sur nos CV, cela n’a rien changé. Ce qui a été décisif pour moi,
c’est mon parrainage avec Alain Correges, directeur de groupe chez BNP Paribas,
et le soutien de NQT. »
Alors que le Premier ministre vient d’annoncer des mesures contre les
discriminations et en faveur de la mixité sociale, dix ans après les émeutes des
banlieues, l’insertion professionnelle des jeunes diplômés des zones défavorisées
demeure difficile. Pourtant, le monde de l’entreprise est « de plus en plus ouvert
à la diversité sociale, observe Gabriel Lenot, responsable des opérations RH chez
Mozaïk RH, cabinet de recrutement dédié à la promotion de la diversité, créé en
2008. Les banques sont d’ailleurs plutôt volontaristes, même si leurs embauches
en ce sens ne concernent pas encore toutes les fonctions et les niveaux de
responsabilités. Le modèle de ‘la fabrique de clones’ persiste… ». « Certains métiers
dans le secteur de la finance (banque de financement, fonctions à responsabilité
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au sein des sièges) effectuent la sélection de leurs candidats uniquement au
niveau des grandes écoles… où les jeunes des quartiers populaires sont moins
représentés qu’à l’université, rappelle aussi Alain Gavand, expert en diversité
auprès de grandes entreprises. Ces postes se situent dans un environnement très
sélectif sur le plan social, en termes de codes sociaux, d’éducation, de réseaux,
de loisirs… L’idée n’est pas d’exclure des candidats mais plutôt de recruter des
‘clones’. »
Faire évoluer les mentalités
Pour permettre aux grands groupes de sortir de la standardisation de leurs
politiques d’embauches, des structures spécialisées comme NQT, Mozaïk RH,
mais aussi l’Association pour favoriser l’intégration professionnelle, ou encore le
prestigieux Club XXIe siècle mènent différentes initiatives autour de la diversité.
L’objectif est de faire évoluer les mentalités des recruteurs, mais aussi celles des
jeunes. « En 2014, pour une enquête du Centre d’études de l’emploi (CEE) et de
l’Association pour l’emploi des cadres, explique François Sarfati, chercheur au CEE
et sociologue, nous avons étudié l’insertion d’étudiants dans la banque par la voie de
l’alternance. Il y a un phénomène d’autosélection. C’est-à-dire que certains jeunes
vont spontanément ne pas se porter candidats à certains postes dans la banque,
car ils en connaissent les codes (la gestion patrimoniale par exemple, ou la banque
privée) et ils jugent a priori que leur profil ne sera pas adapté. » Pour lever des freins
comme celui-ci, NQT mise sur le parrainage : des cadres d’entreprises renommées
prêtent main forte aux jeunes dans leur quête d’emploi. A 55 ans, Hai Nam Nguyen,
superviseur de la région Asie Afrique Méditerranée Outre-Mer, au sein du pôle
Banque de détail à l’international et Services financiers de Société Générale, vient
de recevoir le trophée NQT du « parrain le plus fidèle ». « Il y a aujourd’hui 288
parrains et marraines chez Société Générale, nous étions une trentaine au début ! »,
se souvient-il.
Depuis fin 2007, le banquier a accompagné 23 jeunes « d’une vingtaine d’années,
venant de différentes banlieues en Ile-de-France ou de certains arrondissements
parisiens. Ils ont un niveau bac+5. Souvent, ils sont issus de formations qui ne
sont pas très connues, ce qui les dessert ». Travail sur le CV et les lettres de
motivation, entraînement avant les entretiens, conseils sur la présentation…, les
parrains ont un rôle très concret auprès de leurs filleuls. « Une jeune femme d’origine
polonaise, basée dans le 94 et diplômée de l’université, avait des difficultés dans ses
recherches d’emploi dans la finance dans un groupe international, raconte Marie
Collin, directeur conformité assurances au sein de la direction de la conformité du
groupe BPCE. Elle parlait le français et le polonais mais aussi parfaitement l’anglais
et l’allemand, sa présentation était très soignée. Je lui ai suggéré de s’intéresser
aux groupes de luxe, elle n’y avait pas du tout pensé. Elle a fini par décrocher un
poste chez Chanel. »
« Testing » en entreprise
Autre dispositif chez Mozaïk RH où « l’on évalue des candidats avant de les
présenter à l’entreprise qui s’engage à les recevoir », indique Gabriel Lenot, qui
dispose d’un vivier de 100.000 postulants. Repérée par ce cabinet après avoir
répondu à une offre d’emploi, Inès Martinez- Khaled, jeune femme à la trajectoire
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scolaire brillante (mention Très bien au baccalauréat, classe préparatoire littéraire,
admissible à l’Ecole normale supérieure), a ensuite été conviée à une réunion
collective en vue de passer des entretiens dans un grand établissement bancaire.
« C’était comme une formation, dit-elle. Des personnes de Mozaïk RH étaient
présentes, elles étaient rassurantes et encourageantes à la fois. Le chemin était
long avec des entretiens, des tests, mais cela donnait envie d’aller jusqu’au bout »,
confie celle qui vient de signer un contrat d’alternance au sein de la filiale de gestion
d’actifs de la banque où elle avait candidaté. « Même si j’ai un bon parcours, j’ai
effectué ma scolarité à Ivry-sur-Seine, j’ai un profil littéraire, je n’étais pas armée
pour affronter le processus de recrutement d’une grosse boîte, et encore moins
dans la gestion d’actifs, métier où je voulais me spécialiser, confie l’alternante de
22 ans. Le soutien de ce cabinet a été déterminant. »
La problématique de la discrimination n’est pas facilement abordée par ces jeunes
et ceux qui les accompagnent. « Les filleuls témoignent malheureusement d’avoir
parfois été exposés à des personnes discriminantes, alors que les compétences
sont bien là », déplore Sarah Huxhol, 32 ans, chef de projet recrutement chez
Covéa, marraine NQT depuis un an. L’un de ses récents filleuls, Malick, de
niveau bac+5 avec un master RH, a vécu des moments difficiles. « Nous avions
repositionné ses candidatures dans la sphère RH, il avait déjà été retenu dans
des ‘short lists’ mais sans succès. Il commençait à se demander s’il n’était pas
discriminé, il a même eu envie de partir à l’étranger… Ensemble, nous avons essayé
d’identifier ce qui pouvait faire défaut, il avait notamment un côté très sérieux, voire
un peu rigide lors des entretiens. Nous avons corrigé cet élément. Il est en CDD
chez BPCE depuis le mois d’avril. » L’annonce, le 26 octobre, par le Premier ministre
d’une campagne de « testing »* auprès de grandes entreprises du secteur privé afin
de détecter les discriminations, a relancé les débats autour de ce sujet sensible.
Plusieurs experts soutiennent que l’absence d’indicateurs de la diversité ethnique
(la loi l’interdit) constitue un problème, en particulier dans l’univers professionnel.
Cette interdiction, « sans pour autant créer des fichiers ethniques, est clairement un
frein pour identifier les actions de progrès », pointe ainsi Alain Gavand.
*Tests de discrimination par l’envoi de faux CV
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