Compte rendu - collegeaucinema37.com

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FORMATION SUR LE FILM
CHANTONS SOUS LA PLUIE
de Stanley Donen et Gene Kelly
Le mercredi 28 mars 2012, l’association Collège au Cinéma 37 a invité Eric Jarno, producteur à Pays des Miroirs
Productions pour parler du film Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly programmé pour les
élèves de 6ème/5ème.
Eric Jarno commence par passer un extrait du film Le chanteur de Jazz d’Alan Crosland (USA, 1927, 1 h 30) afin
de montrer le premier film parlant.
Synopsis :
Rabinowitz, chantre d'une synagogue, souhaite que son fils Jackie lui succède. Mais celui-ci préfère le jazz.
Chassé par son père, il devient célèbre, maquillé en noir, comme vedette de jazz, sous le nom de Jack Robin.
Il y a seulement deux passages où Rabinowitz parle dans le film et le reste est muet. Eric Jarno a passé cet
extrait pour montrer que le passage du muet au parlant s’est déroulé d’une façon lente et progressive avec des
films à découvrir sur la période allant de 1926 à 1934. Le premier film 100 % parlant sort en 1929 et en
1934, le film muet disparaît.
Ce film est l’élément déclencheur de Chantons sous la pluie car c’est le succès du film Le Chanteur de Jazz qui
ébranle le personnage de Don Lockwood (Gene Kelly).
Les enseignants se demandent s’il est pertinent de faire le lien avec le film The Artist. Eric Jarno pense qu’en
toute logique, The Artist est la continuité de Chantons sous la pluie.
Eric Jarno tient à préciser que contrairement à ce qui est noté sur les documents pédagogiques du CNC, le film
est une co-réalisation de Stanley Donen et de Gene Kelly.
EXTRAITS
Il va plus particulièrement se focaliser sur le plaisir et la position flatteuse du spectateur du film, le lien que le
film entretient avec le spectateur qu’il considère comme très intéressant.
- Séquence pré générique du film
Cette séquence montre le thème musical du film et annonce Kathy Selden. Elle est une traduction du titre,
chanson célèbre de 1929. Les trois personnages font mine de marcher sur ce plan intemporel où les pieds
semblent ne pas toucher terre. Sur cette scène et celles qui suivent, la dominante du jeu prime et les comédiens
donnent à voir le plaisir qu’ils ont dû prendre à jouer. Cette séquence n’a aucun lien avec le reste du film, c’est
juste une gourmandise.
- Générique
Le générique est un ensemble de cartons en fondu enchaîné. Cette figure de montage est utilisée sur tout le film
pour perpétuer cette grande fluidité de narration à l’œuvre dans la substance de chaque scène.
- Premiers plans
Sur le premier plan où le spectateur voit le cinéma dans son ensemble, les faisceaux de lumière créent un effet
rythmique dans le plan. Sur les plans 2 – 3 et 4, les spectateurs sont mis en scène.
Le plan 2 montre les astucieux montés sur un arbre auprès d’un haut parleur. Le plan 3, avec les deux femmes
mâchant, est une mise en abyme : des spectateurs regardant d’autres spectateurs. Cet effet nous amène à nous
interroger sur notre propre amour du cinéma et des stars. Cette mise en abyme est multiplicatrice de notre
plaisir d’être bien au chaud à l’intérieur d’un cinéma. Elle est également vectrice de comédie car la distance est
entretenue pour permettre le rire face à l’enthousiasme immodéré du public.
Le public bruisse d’interjections laconiques comme « ah, oh » ce qui participe à la comédie mais notre regard
n’arrêtera pas d’être bienveillant car nous sommes aussi des spectateurs. Les plans sur le public qui suivent
l’apparition des couples de stars assument une fonction de plans de réaction.
Le plan de réaction est une fonction très archaïque qui guide la lecture d’une scène permettant d’évaluer la cote
des stars qui passent sur le tapis rouge. Les plans de réaction sont par contre très peu utilisés dans le cinéma de
Jacques Tati.
Le public tarit les applaudissements au passage de Cosmo Brown, le meilleur ami de Don Lockwood, ce qui
signifie qu’il ne sera jamais rien d’autre qu’un faire-valoir, un éternel second rôle, qui restera dans une ombre
relative à l’image de ce faisceau de lumière qui se détourne de Cosmo à son arrivée et de ses photographes
qui rebroussent chemin en le voyant.
Avant l’arrivée de Cosmo Brown, il y a une intermittence de plans fixes sur les fans et sur la présentatrice et de
plans fixes de face et de dos sur les couples qui arrivent. Puis, il y a des variantes à l’arrivée de Cosmo Brown
avec un léger travelling avant. A l’arrivée de Don Lockwood, il y a des plans de réaction sur la présentatrice
puis un long travelling rapidement exécuté sur Don Lockwood et Lina Lamont.
Scène du flash-back :
La voix de la présentatrice est omniprésente. Don Lockwood prend possession du micro et raconte son passé en
le réécrivant. Don prend un plaisir visible à jeter cette poudre aux yeux de ceux qui l’écoutent. Don Lockwood a
compris comment fonctionnait Hollywood, la contre-écriture qu’il opère en contredisant les images du passé
assoit le professionnalisme du personnage. Don Lockwood est toujours en représentation.
Le mécanisme en jeu est l’ironie dramatique : le spectateur en sait plus que les personnages. Cette position du
spectateur est extrêmement flatteuse.
Dominique Roy lance une idée pédagogique : faire écouter le récit de Don sans les images en leur donnant le
dialogue en anglais pour permettre aux élèves de comprendre l’ironie, difficilement accessible aux élèves à la
première lecture de la scène.
- Etude de la scène Make ‘em laugh
Cette scène fait suite à la rencontre entre Don Lockwood et Kathy Selden et l’épisode de la tarte à la crème.
Le spectateur est l’invité de marque qui a la chance de voir le revers du décor. Cette « visite » dans les studios
pourrait casser le plaisir du spectateur mais il n’en est rien. Le désaveu est toujours plus fort.
Le principe du désaveu consiste à savoir que ce que l’on voit au cinéma est faux mais d’y croire quand même.
Au début de la séquence, un long plan séquence en travelling latéral accompagne Don et Cosmo sur trois
plateaux (cérémonie africaine, tribune sportive avec le public en liesse, scène de bagarre sur un train). Sur ces
trois plateaux, le spectateur peut voir le réalisateur avec un porte-voix, luxe que le cinéma parlant ne
permettra plus.
Les scénarios sont en mal d’aspiration, techniques en bout de souffle en voie de ringardisation à l’image de ce
comédien que Don reconnaît sans aucun mal malgré son maquillage intégral. Même si durant le travelling, le
cadre marque de courtes pauses dans son mouvement, les trois décors successifs sont abandonnés les uns après
les autres, laissés derrière en image comme au son puisque le plan adopte le point d’écoute de Don.
D’un point de vue métaphorique, nous pouvons voir dans ce travelling décrivant un bloc de temps l’incarnation
d’une chronologie de l’histoire du cinéma. Ces trois décors, scénarios et techniques appartiennent au passé : il y
a bien un avant-1927 et un après-1927. Pour survivre, Don doit tendre vers le futur et le futur est à écrire. En
passant à côté des décors en construction, l’espace peut devenir laboratoire pour inventer l’avenir du cinéma.
Pourquoi change-t-on de plan ?
Le raccord à 25 minutes 22 secondes porte un coup fatal au travelling latéral en plan séquence et n’est pas le
résultat d’une nécessité pour changer la pellicule dans le magasin de la caméra. Il est parfaitement justifié car il
incarne, dans l’esthétique du montage, un accro, une cassure de rythme correspondant à un basculement
émotionnel du personnage. C’est un moment pivot dans la dramaturgie puisque Don entend pour la première
fois au mot près une même sentence cruelle à propos de ses films à succès : « Quand on en a vu un, on les a tous
vus ». C’est un copié/collé de la réplique de Kathy Selden. Cette réplique permet à Don de prendre conscience
de l’impasse artistique dans laquelle il se trouve, sa tristesse devient plus aiguë encore puisqu’il rappelle dans le
même temps qu’il n’a pas revu Kathy Selden depuis trois semaines. Nous réalisons a posteriori, avec quelle
élégance et quelle intelligence l’information de cette ellipse a été révélée par les scénaristes alors qu’il aurait
été si simple de mettre un carton après la scène de la tarte à la crème. Livrée par surprise, l’information
maximise l’impact du manque éprouvé par Don.
Ce plan 3 est un raccord avant dans l’axe construit autour du mouvement d’accroche du bras de Cosmo qui
donnera lieu quelques secondes plus tard à un autre mouvement d’accroche. Le plan est construit autour des
deux personnages face à face sans les parasites alentours. Le plan est fixe, s’anime dans le prolongement du
travelling précédent.
Pourquoi reprendre le travelling ?
Don reprend sa marche pour esquiver le regard de Cosmo qui lui parle de Kathy Selden. Cosmo comprend la
déprime de son ami et l’emmène vers le piano. En asseyant Don, Cosmo le fait devenir spectateur.
En raccord avant dans l’axe, le plan 4 isole Cosmo s’accompagnant au piano. Le cadre semble fixe et la
musique est strictement diégétique (son faisant partie de l'action, pouvant être entendu par les personnages du
film, qui relève de la narration). Le plan n’est finalement pas fixe puisque enclin à recadrer illico en
panoramique bas/haut à la moindre impulsion. Assis, Cosmo bout, les performances physiques dont il fera
preuve dans un avenir imminent semblent nécessiter un temps d’échauffement qui passe par l’exercice des
maxillaires et des cervicales. Les premières acrobaties de Cosmo sont en effet des grimaces.
Pour le plan 5, il y a un raccord arrière dans l’axe. Ce plan permet de récupérer Don, trois quarts dos. Nous
sommes spectateurs tout comme Don mais nous pouvons voir la réaction du visage de Don.
Juché sur le piano, Cosmo marche sur les touches et son pas devient naturellement musical, très belle image pour
préparer la suite. Les cordes extra diégétiques sont un tapis qui se déroule sous les pieds de Cosmo se jetant
dans la danse. Chaque événement sonore lié à l’agitation de Cosmo vient ponctuer, telle une percussion, la
partition jouée par l’orchestre (claquement de semelles ou de gifles assénées à Don avec son chapeau). La mise
en scène s’anime elle aussi avec la caméra qui s’affranchit du travelling latéral d’accompagnement pour
avancer ou reculer d’une manière enveloppante pour constamment inclure Don, le spectateur unique du show de
Cosmo. L’indifférence des hommes au travail en arrière-plan prolonge la cruauté du public lors de la première
du film Le Rebelle Royal. Il devient de plus en plus urgent de les faire rire : dans la dernière phase du plan,
Cosmo s’éloigne de Don à reculons et la caméra opère un travelling avant couplé d’un panoramique
gauche/droite excluant Don pour la première fois.
Le plan 6 élargit le cadre comme un raccord arrière dans l’axe mais pas tout à fait avec le même angle pour
intégrer deux ouvriers, impassibles au possible, en plein transport de planche. Cosmo emporté continue à
marcher, à nager puis est jeté à terre. Cosmo, sur les fesses, entend illustrer avec son corps que nous pouvons
toujours quelque soit les circonstances nous relever. A chaque fois que la mélodie reprend, il y a un nouveau
plan.
A la fin de cette scène, il y a un travelling avant en plongée qui vient isoler Cosmo.
En raccord dans l’axe, le plan 7 confirme l’isolement de Cosmo. Décidément, personne ne veut rire avec lui mais
survient le canapé puis une deuxième planche puis une troisième, esquives parfois réussies souvent ratées, rien
ne semble pouvoir arrêter la fougue de Cosmo qui encaisse sans jamais perdre le fil de sa chanson jusqu’à cette
porte aveugle qu’il se prend de plein fouet.
Pour le plan 8, il y a un raccord avant dans l’axe renforçant la violence du choc. Le plan 8 est cadré taille pour
mettre en valeur un autre type d’acrobaties, faciales cette fois. Le numéro de grimaces incontrôlables de Cosmo
est construit autour de l’idée que son corps donne quelques signes de fatigue, devient incontrôlable. Des
bruitages de type cartoon se synchronisent à ses actions et soulignent un effet de mécanique. A propos de
l’influence des cartoons, nous pouvons rappeler que Gene Kelly, en 1945, avait tenu à danser à côté de Tom et
Jerry dans Escale à Hollywood de George Sidney.
En raccord arrière dans l’axe, le plan 9 voit Cosmo pénétrer un espace des plus dépouillés, une toile de fond en
trompe l’œil représentant un couloir profond, un canapé avec un mannequin de chiffon sans tête.
Le plan 10 cerne Cosmo en plan italien (au niveau des genoux) avec le mannequin, jeu de marionnettes, chutes.
Les plans 11 a et suivant, b et c, sont difficiles à dénombrer car nous faisons face à des raccords dissimulés. Il y
a une intention de continuité, une simulation de plan séquence mais des différences de lumière sur le canapé
trahissent les coupes. Le réalisateur a fait tourner la caméra et il a monté. La chute a créé un hors champ
derrière le canapé que Cosmo exploite au gré de ses différents surgissements et évanouissements. Le montage
accroît la violence de son combat avec le mannequin. Il y a un jeu rythmique de montage en cachant les
raccords.
Dans le plan 12, nous sommes dans un raccord de plan dans l’axe montrant Cosmo simulant le poids
considérable du mannequin puis l’annulant d’un coup de pied puis vient le moment où le conflit avec son propre
corps, amorcé par les grimaces du plan 8, éclate plus que jamais. Ses jambes deviennent capricieuses, le
ramenant perpétuellement au sol et nous avons un travelling arrière épousant une courbe pour l’observer de
loin, paralysé, mais sa lutte ne laisse pas paraître la moindre baisse de ressource.
Le plan 13 inclue la plongée écrasante montrant Cosmo tournant dans deux dimensions telles des aiguilles d’une
pendule. Il se relève, la grue s’ajuste à sa hauteur et le voit triomphant.
En accord arrière dans l’axe, le plan 14 offre un dernier morceau de bravoure, saut périlleux sur planche puis
sur décor vertical en trompe l’œil puis saut dans une feuille de décor. Cosmo revient immédiatement du hors
champ pour finalement simuler l’épuisement et chuter pour la dernière fois.
Cette séquence montre Cosmo en vedette mais elle fait parenthèse dans l’histoire. Il est de plus en plus seul
jusqu’à la fin où il s’effondre seul et nous ne voyons pas Don venir le voir.
Il y a 14 plans dans cette scène et à partir de la fin du plan 5, nous perdons définitivement de vue Don,
l’homme pour lequel Cosmo improvise cette danse euphorique en guise de remède contre la mélancolie
rampante. A partir de la fin du plan 5, Don, qui n’était plus à l’image qu’un dos riant, est abandonné et le
spectacle se révèle peu à peu comme exclusivement destiné aux spectateurs. La séquence ne portera plus
aucune marque de réactions ni de Don, ni de non réactions des ouvriers, nous voilà donc sans guide, seuls face à
la performance solo de Cosmo, face à son talent et à son impressionnant don de soi. Il ne tient qu’à nous de lui
accorder ce moment de gloire semblant perpétuellement lui échapper, lui qui, à la première du Rebelle royal,
faisait taire les applaudissements. A ce moment précis, le récit s’offre la liberté d’une quasi-digression, Don, le
personnage principal et Gene Kelly, le comédien qui l’incarne, ont l’humilité de passer au second plan puis de
s’éclipser jusqu’à la fin de la séquence.
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Eric Jarno pour sa venue à Tours afin de parler du film Chantons
sous la pluie.

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