Rencontre inter-professionnelle du Vignoble nantais - Compas-Tis

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Rencontre inter-professionnelle du Vignoble nantais - Compas-Tis
Rencontre inter-professionnelle du Vignoble nantais
organisée par la Maison Départementale des Adolescents de
Loire-Atlantique
- le 27 septembre 2010 -
LES MOBILITES ADOLESCENTES … QUELS ENJEUX ?
PENSER LA MOBILITE DES ADOLESCENTS POUR MIEUX LES ACCOMPAGNER
lieu : Centre de Formation et de
Promotion de la Pommeraie
44330 VALLET
Texte de l’intervention :
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?…
Marc LE GALLO, COMPAS* - Nantes
Pour introduire : partir du sens courant
2
Tentative de définition à partir de l’étymologie et du dictionnaire
3
La diversité des usages dans les sciences sociales
4
La diversité des mobilités géographiques (ou spatiales)
5
L’impact sur les mobilités géographiques de l’évolution des manières et des moyens
techniques de se déplacer
7
Les TIC interrogent les mobilités spatiales traditionnelles : vers la mobilité virtuelle, la
« cyber-mobilité »…
8
Quelques développements plus concrets sur la complexité et les enjeux entourant la
mobilité
Les conciliations entre mobilité résidentielle et mobilité professionnelle
Que penser et quoi faire de cette injonction sociétale à la mobilité ?
La mobilité socialisée et socialisante… à propos des jeunes notamment…
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9
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Pour conclure (provisoirement) : soumettre quelques propositions pour « penser les
mobilités juvéniles » de manière qualitative et compréhensive…
Penser à partir de la notion de « projection de soi »…
Penser à partir de la notion d’« attachement »…
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* Centre d’Observation et de Mesure des Politiques d’Action Sociale
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?…
Pour introduire : partir du sens courant
Le plus souvent, aujourd’hui, le terme de « mobilité » renvoie à la capacité d’un individu à se
déplacer d’un lieu vers un autre, sur un territoire donné ou entre plusieurs territoires. Bref, le
plus souvent, quand nous parlons de « mobilité » nous parlons de « mobilité géographique »
(dite aussi « spatiale »).
De plus, tant dans l’usage courant que dans l’imaginaire collectif, cette figure de la
« mobilité » est généralement rapprochée de considérations professionnelles : les
déplacements auxquels on pense alors sont motivés ou contraints par des motifs
professionnels (insertion professionnelle des jeunes, sortie du chômage, effet d’une mutation,
conséquence d’une délocalisation d’entreprise, etc.).
Et le postulat généralement admis est : « il faut être mobile » pour faire face à ces enjeux
d’intégration professionnelle.
Dés lors, la mobilité comme potentialité devient mobilité comme nécessité. Il n’est plus
question de choix mais d’obligation pragmatique (voire aujourd’hui d’obligation légale, par
exemple pour les chômeurs ayant déjà refusé plusieurs propositions d’emploi).
Et c’est vrai, il n’est pas ici question de nier le fait que la mobilité est un atout supplémentaire
de l’intégration professionnelle.
Quoi qu’il en soit, « être mobile » fonctionne donc aujourd’hui comme un « ça-va-de-soi ».
La mobilité est dés lors forcément positive, même si parfois il faut se forcer à « être mobile »,
se contraindre, prendre sur soi… mais puisque c’est pour notre bien !
Toutefois, nous verrons plus loin…
- que d’une part la mobilité ne renvoie ni en toute circonstance ni en tout temps à
quelque chose de positif ou de valorisé…
- et que d’autre part tous les individus ne disposent pas de la même force à être mobile,
notamment parce que la mobilité met en-jeu des poids et des contre-poids pesant
parfois plus lourds encore ; la mobilité apparaissant ainsi inégalement distribuée entre
les individus…
Avant cela, et pour nous y conduire, nous passerons par quelques chemins de traverse ou
ferons quelques détours :
- notamment nous regarderons ce que… et l’étymologie et aujourd’hui le dictionnaire
disent de la mobilité…
- nous regarderons également ce qui fait la complexité entourant cette notion de
« mobilité », tant au travers de ses usages que de ses enjeux (partant du postulat que
pour comprendre il vaut mieux complexifier1 que simplifier)…
Et enfin, pour conclure, nous verrons quelques propositions possibles pour essayer de penser
de façon qualitative et compréhensive la question de la mobilité et de ses enjeux.
1
La notion de « complexité » est entendue ici comme complexus, « ce qui est tissé ensemble » (E. Morin).
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
Tentative de définition à partir de l’étymologie et du dictionnaire2
Etymologiquement donc, le mot « mobilité » vient du latin « mobilitas » qui signifie « facilité
à se mouvoir », mais également « inconstance, humeur changeante »…
Parmi les premières définitions historiques (13ème siècle, 17ème siècle), nous trouvons en effet
trace d’un rapport avec les humeurs, les états d’âme, les états psychologiques…
La mobilité est par exemple définie comme la « facilité à passer d'un état
psychologique à un autre »3 ;
ou encore comme la facilité à prendre rapidement différentes expressions (par ex. à
propos d’un acteur capable de changer rapidement d’expressions…).
Ainsi, le terme de « mobilité » sera d’abord rapproché des notions de mouvement et de
changement ; et peut-être même plus précisément encore aux mouvements ou changements à
la fois rapides et faciles.
L’idée même de déplacement viendra un peu plus tard, fin 19ème s. - début 20ème s., pour
définir la mobilité comme le « caractère des personnes qui se déplacent souvent » (1921), puis
ensuite, encore un peu plus tard, à travers les sciences sociales, pour parler de la mobilité
géographique de la main d’œuvre (1958).
Le développement des sciences sociales, et en particulier de la sociologie, contribuera à
l’émergence d’acceptions nouvelles : on verra ainsi apparaître le concept de « mobilité
sociale » (1957), puis de « mobilité professionnelle » (1966).
Aujourd’hui, les définitions les plus usuelles retiennent souvent ce rapprochement avec l’idée
de déplacement.
Ainsi, le dictionnaire TLF, donne comme première définition de la mobilité : « caractère de ce
qui peut être déplacé ou de ce qui se déplace par rapport à un lieu, à une position ».
Mais la sociologie, quant à elle, privilégie plutôt la notion de changement. La mobilité est
alors définie comme l’« aptitude à accomplir ou à subir un certain nombre de changements
d'ordre social ». Et la définition se précise selon l’adjectif qui lui est ensuite accolé.
Pour résumer, nous pouvons donc retenir que…
- la mobilité est une disposition (au sens de capacité, facilité, aptitude, compétence…
dont dispose quelqu’un ou quelque chose),
- qu’elle renvoie à un changement, un mouvement ou un déplacement,
- et qu’elle suggère également des degrés de vitesse et de fréquence…
Il nous semble intéressant ici de garder toute la polysémie de cette notion, car celle-ci peut
nous permettre d’élargir la manière de « penser la mobilité », pour reprendre le titre de cette
journée…
Ne retenir de la mobilité que sa proximité avec la notion de déplacement, n’aurait-il pas pour
effet de restreindre l’étendue de notre compréhension sur le sujet ?
S’intéresser à la mobilité sous l’angle des déplacements, c’est souvent interroger…
- la fréquence des déplacements,
- la distance des déplacements,
- la durée des déplacements,
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3
Source : Trésor de la Langue Française (TLF).
Jacques-Bénigne Bossuet, Premier sermon pour le dimanche de la quinquagésime,1667.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
- la vitesse des déplacements,
- le tout selon le moyen de locomotion utilisé et la finalité du déplacement…
Se focaliser uniquement sur les déplacements dans le cadre d’une réflexion sur la mobilité,
c’est donc se poser certaines questions… mais aussi en évacuer beaucoup d’autres nous
semble-t-il.
C’est notamment se situer davantage dans une logique descriptive de mesure et de
quantification… que dans une optique plus explicative et compréhensive, cherchant
notamment à montrer chez les individus ce qui conditionne ou ce que signifie leur plus ou
moins grande mobilité…
La diversité des usages dans les sciences sociales
Par ailleurs, comme pour en rajouter, les sciences sociales ont, en lui accolant différents
adjectifs, multiplié les usages de ce terme de « mobilité ». Nous nous retrouvons ainsi avec
plusieurs formes de mobilités rendant compte de réalités certes différentes, mais entretenant
aussi, très souvent, des relations d’interdépendance fortes.
Reprenons brièvement ces différents usages, en tout cas les plus courants :
- Nous parlons donc de mobilité géographique (ou spatiale) pour exprimer la capacité à se
déplacer sur ou entre des espaces géographiques… Nous reviendrons plus loin sur ce type
de mobilité qui nous intéresse particulièrement ici, notamment parce qu’elle se décline,
elle aussi, sous plusieurs formes…
- Nous parlons aussi de mobilité sociale à propos des changements de statut social des
individus ou des groupes sociaux au cours du temps (changements de position sur une
certaine échelle sociale). Ce concept
Mobilité sociale
est important en sociologie lorsqu’il
intrainters’agit d’analyser la structure sociale
générationnelle
générationnelle
individu X ; stabilité de sa position sociale de X =
et la reproduction sociale. On
position sociale entre
position de son père au
horizontale
deux âges donnés
même âge
distingue alors la mobilité sociale
individu X ; progression
position sociale de X >
inter-générationnelle
ou
intradans l'échelle sociale
position de son père au
ascendante
entre deux âges donnés
même âge
générationnelle, ainsi que la mobilité verticale
individu X ; régression
position sociale de X <
sociale horizontale ou verticale
position de son père au
descendante dans l'échelle sociale
entre deux âges donnés
même âge
(verticale ascendante ou verticale
descendante).
- D’autre part, nous parlons également de mobilité professionnelle à propos des
changements de profession ou d’emploi chez un individu, ou plus largement pour faire
écho à l’adaptabilité à de nouvelles situations professionnelles, à la reconversion dans de
nouvelles activités professionnelles, sur de nouveaux métiers… (elle est souvent
synonyme de « flexibilité »). Une distinction est parfois opérée entre la mobilité
professionnelle interne et la mobilité professionnelle externe, selon que la personne
concernée change ou non d’entreprise.
Et enfin, nous pourrions aussi parler…
- de mobilité culturelle à propos de la capacité à se mouvoir dans différents systèmes de
valeurs, différents univers de croyances, différentes conceptions du monde, etc. et plus
largement à propos de la disposition d’un individu (ou d’un groupe social) à accepter de
rencontrer voire d’être « affecté » par la culture de l’autre (sans craindre une déculturation
ou de se sentir contraint de renier son modèle culturel d’appartenance…) ;
- et peut-être aussi de mobilité psychique, lorsqu’il s’agit par exemple, mais pas seulement,
de parler d’une capacité à rencontrer (ou à se confronter à) des points de vue différents du
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
sien, à accepter le conflit socio-cognitif (comme disent les pédagogues), ou encore
lorsqu’il s’agit de parler d’une capacité à se mettre à la place de l’autre (empathie), etc.
Et, l’une des contributions à la complexité entourant cette notion de « mobilité », réside bien
dans les multiples liens, entrelacs et déterminations réciproques, existant entre ces différentes
formes…
Une mobilité professionnelle, par exemple, engendre souvent une mobilité géographique
(par exemple dans le cas d’une mutation imposant un déménagement) et parfois aussi une
mobilité sociale (par exemple dans le cas d’une mutation pour promotion) qui nécessitera
peut-être une certaine mobilité culturelle (par exemple dans le cas d’un déménagement de
la province vers la Capitale), etc.
Autre exemple : une plus ou moins grande mobilité culturelle ou psychique pourra
contribuer à freiner ou faciliter une mobilité géographique susceptible de servir les
« intérêts » d’une mobilité professionnelle ou sociale…
Ou encore : pourquoi faudrait-il être mobile géographiquement lorsqu’on est persuadé
qu’aucune mobilité sociale ascendante n’est possible pour nous, ici ou ailleurs ?
Pour résumer à nouveau, revenons donc un instant sur les éléments pouvant constituer une
définition possible de la notion de « mobilité »…
- la mobilité est une disposition,
- elle renvoie à un changement, un mouvement ou un déplacement,
- elle suggère des degrés de vitesse et de fréquence…
- elle suppose une diversité d’espaces qui se superposent et qui ne sont pas que
géographiques, mais aussi sociaux, culturels, psychiques, etc.
- effectivement ou potentiellement, elle engendre une rencontre, ou créé une relation, avec
l’« inconnu » ou « le méconnu », le « nouveau » ou le « différent »… et en particulier une
rencontre avec ce qui est différent de soi, la « différence de l’autre », l’altérité…
La diversité des mobilités géographiques (ou spatiales)
Développons maintenant un peu plus sur la mobilité géographique. Nous pouvons en effet en
distinguer plusieurs formes :
-
la mobilité résidentielle :
La mobilité résidentielle est entendue comme le changement de logement au cours d’une
période donnée. Les termes de « mobilité résidentielle » et de « déménagement » sont
donc synonymes.
Pour information : en France aujourd’hui, le taux annuel de changement de logement
est de 12%, celui de changement à la fois de logement et de commune est 7%
(Population n°1, 2007, Ined).
Principalement déterminée par d’un côté les étapes familiales et les modifications de la
taille du ménage (décohabitation, mise en couple, séparation, naissance, etc.) et de l’autre
par les changements d’emploi (les mobilités professionnelles) –ou par les poursuites
d’études pour les jeunes–, les mobilités résidentielles se révèlent souvent être le fruit de
conciliations entre des souhaits et des contraintes et/ou le fruit de compromis entre des
gains et des coûts… Nous y reviendrons.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
-
la mobilité quotidienne (ou pendulaire) :
La mobilité pendulaire renvoie aux déplacements effectués sur une journée. Elle
s’organise bien sûr d’abord à partir du logement, « lieu fédérateur », vers des lieux de plus
ou moins grande proximité aboutissant aujourd’hui à une « pratique en archipel » des
territoires ; là pour le travail, ici pour le loisir, ailleurs encore pour la consommation, etc.
Une dispersion des activités sociales sur des territoires distincts, séparés… qui conduit
Eric Le Breton à parler de « société dispersée » et à nommer les individus essentiellement
caractérisés par ce type de mobilité, les « navetteurs » 4.
Cette mobilité pendulaire se caractérise principalement par un aspect répétitif et souvent
de masse.
Nous pouvons en particulier distinguer…
o la mobilité quotidienne professionnelle, correspondant aux déplacements entre le
lieu de domicile et le lieu de travail…
En Loire Atlantique, 62% des personnes en emploi travaillent en dehors de leur
commune de résidence (64% pour les salariés de 15-24 ans).
79% des actifs en emploi se rendent au travail en voiture.
La distance moyenne du trajet domicile-travail en 2008 est de 14 km (11 km en
1994) ; la durée pour se rendre sur son lieu de travail de 20 minutes (15 minutes
en 1994), à une vitesse moyenne de 42 km/h. Enfin, 25% des actifs en emploi font
au moins 2 allers-retours dans la journée5.
o et la mobilité quotidienne scolaire, correspondant aux déplacements quotidiens
entre le lieu de domicile et le lieu d’études…
En Loire Atlantique, 62% des 15-17 ans en études sont scolarisés en dehors de
leur commune de résidence (et 44% des 18-24 ans toujours en études) (Insee2006).
-
la mobilité d’affaires (voyage d’affaires) :
La mobilité d’affaires renvoie aux déplacements inhérents à l’exercice d’une activité
professionnelle particulière (en dehors des cas où les déplacements constituent le contenu
même de l’activité professionnelle, comme pour les coursiers par exemple).
Elle peut être parfois synonyme de longue distance et/ou de hors domicile.
-
La mobilité géographique récréative :
Elle a trait principalement aux séjours de vacances ou de loisirs, mais aussi, plus
largement, aux déplacements sur le « temps libre » des individus… et est synonyme plutôt
de choix et de plaisir.
Juste pour information : en 2004, environ 35% des français ne sont pas partis en
vacances (séjour d’au moins 4 jours) (Insee première n°1093, 2006).
Près de 45% des enfants (5 à 19 ans) des familles modestes (moins de 1000 € par
mois) ne partent pas en vacances contre moins de 5% des enfants des familles les plus
aisées (INSEE Enquête vacances 2004).
Les ouvriers partent moins que les cadres (près de 50% des ouvriers partent contre
90% des cadres).
Les populations des « centres urbains » partent davantage en vacances que les
« ruraux isolés » (les deux tiers contre moins de la moitié).
4
Eric Le Breton, Domicile-travail, les salariés à bout de souffle, Les Carnets de l’info, 2008.
« Les transports et déplacements des habitants des Pays de la Loire » in Dossier n°35, Insee Pays de la Loire,
avril 2010.
5
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
6
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
Selon l’Insee, 37% de ceux qui ne sont pas partis l’ont fait faute de moyens, contre
20% par choix, 15% pour des raisons de santé et 10% pour des raisons
professionnelles… (Insee première n°1093 - juillet 2006).
Voilà pour les figures traditionnelles de la mobilité géographique.
L’impact sur les mobilités géographiques de l’évolution des manières et des moyens
techniques de se déplacer
L’évolution des manières et des moyens techniques de se déplacer a bien évidemment
profondément modifié les caractéristiques de ces différentes mobilités géographiques…
Avant l’apparition de la voiture et surtout avant son usage massif, les mobilités géographiques
étaient complètement dépendantes des capacités physiques des personnes à se déplacer.
La voiture a donc non seulement levé cette contrainte physique, mais a aussi bouleversé les
limites des distances qu’il était possible de parcourir jusque là.
En 1960, seul un quart des ménages ouvriers était équipé d’une voiture (contre
environ un tiers de l’ensemble des ménages).
Le train était rare, l’avion extraordinaire ; le téléphone et la télévision arrivaient à
peine dans les foyers.
Les individus sortaient rarement de leur agglomération ou de leur commune rurale.
La France était encore relativement enclavée.
Aujourd’hui, la voiture est un équipement partagé par 85% des ménages.
Le train est banalisé. L’avion n’est plus réservé aux élites.
Dans la région des Pays de la Loire, la voiture assure 71% des déplacements compris
entre le lundi et le vendredi (75% dans l’espace rural ou faiblement urbanisé).
Par ailleurs, les divers équipements sont de moins en moins ceux du ménage mais de
plus en plus ceux de l’individu (le téléphone, et dans une moindre mesure la télévision,
voire la voiture).
Aujourd’hui, dans l’espace rural ou faiblement urbanisé, 68% des personnes
appartiennent à un ménage où chaque adulte possède sa voiture, contre 54% en 1994.
Dans les grandes agglomérations, le mouvement est de moindre ampleur : 48%
aujourd’hui (2008) et 43% en 19946.
Toutefois, une part de la population parmi les plus modestes, celle en situation de
précarité économique et sociale, est concernée par une très faible mobilité (versus un
ancrage territorial très fort, une forme d’« assignation à résidence »).
Seuls 10% des ménages bénéficiaires des minima sociaux disposent d’une voiture.
La voiture a donc permis d’aller plus loin dans le même laps de temps, mais aussi d’aller au
même endroit plus souvent et/ou plus rapidement (et donc de gagner du temps), même si
aujourd’hui cela n’est plus toujours vrai en milieu urbain du fait des encombrements et des
embouteillages…
6
« Dans les grandes agglomérations, la mobilité quotidienne des habitants diminue, et elle augmente ailleurs »,
in Insee Première, n°1252, juillet 2009.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
En fait, c’est surtout avec la relative démocratisation du train et de l’avion que l’augmentation
de la vitesse de déplacement va entraîner un véritable relâchement du lien temps-distance et
contribuer ainsi à l’émergence d’une « hyper-mobilité » (Eric Le Breton) : se déplacer
fréquemment en allant toujours plus loin dans le même laps de temps…
A partir de là, les mobilités géographiques vont devenir de moins en moins dépendantes des
capacités physiques des individus, et de plus en plus de capacités autres : économiques,
relationnelles, psychologiques, cognitives… et donc d’une forme de socialisation…
Les TIC interrogent les mobilités spatiales traditionnelles : vers la mobilité virtuelle, la
« cyber-mobilité »…
L’arrivée des Technologies de l’information et de la Communication (TIC) et
particulièrement leur développement rapide sur la dernière décennie avec l’émergence de
l’internet haut débit, tend une nouvelle fois à transformer nos rapports au temps et à
l’espace… et donc nos mobilités géographiques…
Avec les usages d’une « technologie de l’instantané » (la vitesse des ondes), allons-nous
mettre fin aux contraintes du temps et de l’espace ? Allons-nous vers « la fin de la
géographie » ? comme pourrait dire le philosophe et urbaniste Paul Virilio.
Les TIC interrogent en tout cas les mobilités spatiales traditionnelles en rendant possible une
« mobilité virtuelle » ou une « cyber-mobilité »…
En fait, au moins deux configurations semblent aujourd’hui se dessiner (mais les choses
évoluent très vite) :
- Premièrement, un usage conjoint et simultané de technologies, celles des mobilités
traditionnelles (voiture, train, avion) avec celles de la « cyber-mobilité ».
Il s’agit de pouvoir partir loin, rapidement, tout en étant toujours relié au « chez soi »
(webcam, téléphone mobile…) ; de bouger en restant (virtuellement) avec les siens (cf.
l’essai de Miguel Benasayag sur le téléphone portable : « plus jamais seul » 7).
C’est le profil des « ubiquistes » dont parle Eric Le Breton dans ces travaux (être ici et là
au même moment).
Ils sont les plus nombreux, comparativement aux individus concernés par la seconde
configuration.
La multiplication des échanges immatériels tend même à accroître leurs déplacements
physiques plutôt qu’à les réduire, car le contact direct avec les autres reste perçu comme
essentiel et indispensable (Vincent Kaufmann8)…
- Deuxième configuration, un usage alternatif de technologies…
Il s’agit de rester « chez soi » tout en allant loin en même temps (vidéo-conférence…) ;
d’être (virtuellement) mobile sans bouger.
Les tenants de cette configuration sont encore peu nombreux. Mais, du fait notamment de
la prise de conscience des coûts à la fois économiques et écologiques des transports,
certains individus affichent leur intention de vouloir réduire leurs déplacements et leur
substituer, lorsque cela est possible, une « mobilité virtuelle »… Certains voient en effet
dans la « cyber-mobilité », l’avenir des mobilités de longue distance en générale…,
privilégiant les mobilités géographiques effectives principalement lorsque celles-ci sont de
proximité…
Nous pourrions les appeler des « néo-mobiles »…
7
Miguel Benasayag et Angélique Del Rey, Plus jamais seul - le phénomène du portable, Bayard, 2006.
Vincent Kaufmann, Les paradoxes de la mobilité – Bouger, s'enraciner, Presses Polytechniques Romandes,
2008.
8
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
Dans les deux cas, même si les systèmes de « télécontacts » se développent fortement, la
mobilité effective apparaît encore comme une condition de la participation à la vie sociale et à
l’échange avec les autres.
Quoi qu’il en soit, toutes ces évolutions techniques et technologiques ont contribué non
seulement à démultiplier les « manières d’être mobile » aujourd’hui, mais ont aussi
considérablement accru la part d’incertitude inhérente à toute mobilité par le simple fait que
les espaces où il est possible de se déplacer sont devenus de plus en plus étendus, de moins en
moins concrets et de moins en moins appréhensibles/tangibles, avec des contours de plus en
plus flous…
S’intéresser aux mobilités spatiales invite donc souvent aussi à se pencher sur les rapports que
nous entretenons avec tous ces « objets de la mobilité » ; et, pour la circonstance notamment,
sur les rapports des jeunes à ces objets.
Parmi ces objets, bien sûr, les plus « gros » : le train, l’avion, la voiture, le vélo... (la voiture,
symbole de liberté, d’indépendance ? L’accès au permis de conduire ou l’achat de sa première
voiture, équivalent d’un rite de passage vers la vie adulte ?, etc.).
Mais aussi tous ces petits objets très portables, mobiles en soi… qui nous rendent
virtuellement mobiles ou davantage mobiles encore : téléphone mobile, ordinateur portable,
baladeur MP3, lecteur de DVD portable, GPS…, et bien sûr la technologie qui va souvent
avec, celle du web (des démarches administratives à distance aux réseaux sociaux virtuels, en
passant par toutes ces visites virtuelles de lieux plus ou moins lointains ou toutes ces
messageries électroniques…).
Ainsi, les rapports entre l’espace et le temps s’en trouvent changés (particulièrement depuis
une dizaine d’années)… En changeant, ne changent-ils pas également le rapport des jeunes
d’aujourd’hui à l’espace et au temps ? et par extension, à l’injonction à la mobilité qui leur est
souvent adressée par les adultes ?
Du coup, la distance entre deux espaces, particulièrement en milieu rural, renvoie-t-elle, chez
les jeunes d’aujourd’hui, à une perception différente de celle des jeunes d’hier ? pour lesquels
elle constituait souvent voire toujours une contrainte, un obstacle…
Quelques développements plus concrets sur la complexité et les enjeux entourant la
mobilité
Les conciliations entre mobilité résidentielle et mobilité professionnelle9
« La multiplication des étapes familiales et des modifications de la taille du ménage
(décohabitation, mise en couple, séparation, naissance, etc.) a pour effet de multiplier la
mobilité résidentielle…
…alors que le vieillissement de la population et la propriété du logement la freinent ».
L’emploi suscite également nombre de mobilités résidentielles. Et lorsque cela est
effectivement le cas, nous observons ainsi, pour le dire rapidement, …
- mutation et/ou promotion pour les salariés les plus qualifiés (mobilité sociale intragénérationnelle ascendante)…
9
Extraits et notes à partir d’un article de Cécile VIGNAL, « Concilier mobilité résidentielle et mobilité
professionnelle » paru dans Horizons stratégiques n°2, La Documentation française, juillet 2006.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
-
instabilité professionnelle et/ou précarité dans l’emploi pour les salariés peu qualifiés
ou en début de carrière (mobilité sociale horizontale le plus souvent et au moins
durant un certain temps).
« Depuis les années 1980, le système de flexibilité de l’emploi [mobilité professionnelle]
renforce donc les divergences entre ceux qui subissent un passage par le chômage et ceux
pour qui la mobilité est choisie et valorisante ».
A l’échelle d’une vie, un tiers des mobilités résidentielles (des déménagements) sont motivées
par des mobilités professionnelles.
Cela dit, au-delà des critères d’« âge » et de « statut d’occupation du logement »10 comme
déterminants dans la probabilité d’être mobile, nous pouvons rappeler aussi que…
- la bi-activité des couples augmente la probabilité de rester sédentaires…
- le besoin d’habiter à proximité de son lieu de travail est aujourd’hui moins fort du fait
de l’incertitude relative de l’emploi et de l’amélioration des moyens de transports, en
particulier la généralisation de l’automobile, qui permettent de se déplacer plus loin et
plus rapidement.
Ainsi, aujourd’hui, les mobilités pendulaires professionnelles concurrencent-elles, en
partie, les mobilités résidentielles ; ces dernières étant plus fréquemment réservées aux
changements d’emploi impliquant des migrations de longue distance : près de la
moitié des mobilités résidentielles impliquant un changement de région ont des causes
professionnelles (2002).
A propos de ces mobilités résidentielles pour raisons professionnelles, un consensus se
dégage : on déménage d’autant plus pour l’emploi que l’on est jeune et qualifié (diplômé).
La qualification et les diplômes ouvrent le champ des possibles professionnels mais aussi
celui des possibles spatiaux.
Au final, au cours d’une vie active, les cadres sont les CSP qui auront effectué à la fois le plus
de déménagements et les plus longues distances…
L’obligation de déménager pour un emploi idoine du point de vue des compétences est :
- plus souvent rejetée par les ouvriers non qualifiés que par les autres CSP ;
- plus souvent rejetée également par les chômeurs, et particulièrement s’ils sont natifs
du département de résidence ;
En fait, le chômage suscite un contexte d’incertitude peu favorable à la mise en œuvre
d’une mobilité résidentielle. D’autre part, il touche aussi davantage les moins
qualifiés (ceci expliquant cela)…
Pour les jeunes chômeurs les moins diplômés, le coût financier et humain de la
mobilité peut apparaître trop élevé au regard d’une espérance de gain faible en termes
de mobilité sociale (c’est-à-dire de carrière).
- plus souvent rejetée aussi par les plus âgées et par les propriétaires…
En fait, « la mobilité résidentielle ne se détermine pas uniquement en fonction des
opportunités qu’elle offre mais aussi en fonction des coûts qui y sont associés ».
Des coûts d’ordre financier et professionnel (incertitude du devenir, risque de
déclassement…), mais aussi des coûts en terme d’équilibre de la vie familiale, de stabilité des
10
En France, on reste en moyenne 19 ans dans son logement lorsqu’on est propriétaire (ou accédant), 8 ans
lorsqu’on est locataire (11 ans locataire en HLM), contre 15 ans en moyenne générale.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
10
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
réseaux de parenté et plus largement de sociabilité (perçu comme une ressource, par exemple
pour la garde des enfants), d’attachement à une maison, à un territoire…
Le refus de bouger géographiquement peut parfois aussi s’expliquer par le fait qu’aussi bien
l’« ailleurs » que l’« avenir » sont beaucoup moins liés au désir qu’à la menace qu’ils peuvent
représenter.
Prenons le cas par exemple où, lors d’une délocalisation d’entreprise, le salarié est face à
l’alternative suivante : soit accepter de déménager à l’autre bout de la France pour garder
son emploi, soit « choisir » le départ volontaire c’est-à-dire en fait le licenciement, le
chômage.
Ce genre de situation où le salarié doit « choisir » son licenciement (dans le cas où il refuse
une délocalisation, une mutation…, bref une mobilité résidentielle forcée) finit par
« transformer les causes extérieures en responsabilités individuelles, et les problèmes liés au
système en échecs personnels » (Ulrich Beck, 200111).
Ceci ne fait-il pas écho aux discours convenus actuels sur la « flexicurité » ? où l’on nous
convie à être pleinement mobile et disponible mais, soi-disant, en toute sécurité…
En fait, bien souvent, « l’alternative devant laquelle les salariés sont placés n’est pas risque
contre sécurité mais bien risque contre risque ».
Que penser et quoi faire de cette injonction sociétale à la mobilité ?
Car effectivement, il ne s’agit plus vraiment d’un choix…
Comme nous l’avons déjà évoqué en introduction, l’injonction nous est faite aujourd’hui
d’être mobile : « il faut être mobile ». La mobilité nous est présentée non seulement comme
une « compétence », mais aussi et peut-être plus encore, comme une « vertu », c’est-à-dire
comme une disposition qui porte l'individu vers le bien, vers l’accomplissement de son devoir,
etc.
« Etre mobile » est alors une qualité, car la mobilité est valorisée…
En réalité, la mobilité dont il est ici véritablement question est une conjonction idéale entre
mobilité géographique et mobilité professionnelle qui voudrait que l’individu soit
parfaitement disponible et flexible sur le marché de l’emploi.
Or, si l’on n’y prend garde, cette mobilité pourrait contribuer à ce que dénonce le philosophe
et psychanalyste Miguel Benasayag, à savoir l’émergence de l’individu idéalisé de la doxa
néo-libérale : « l’individu déterritorialisé » ou « l’homme modulaire »12… c’est-à-dire
l’individu défait de toutes attaches (familiales, sociales, géographiques…) et en capacité de
s’adapter parfaitement en permanence.
En tout état de cause, nous pouvons faire au moins deux remarques critiques sur cette
injonction résumée par « il faut être mobile », au delà même du rapport à l’emploi.
1ère remarque, cette injonction peut laisser entendre que certaines personnes ne seraient pas
mobiles, qu’elles seraient immobiles.
Certes, certaines personnes sont dites « à mobilité réduite »…, mais elles sont donc mobiles…
La proportion de personnes dites « à mobilité réduite » dans la population est estimée autour
de 10%, peut-être un peu plus… Cette expression regroupe le plus souvent des personnes
âgées et des personnes handicapées.
11
12
Ulrich Beck, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Aubier, 2001 (1ère édition : 1986).
Miguel Benasayag, Organismes et artefacts , Vers la virtualisation du vivant, La Découverte, 2010.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
11
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
Si l’on considère à la fois les personnes déclarant avoir besoin d’une aide pour sortir de chez
elles et celles confinées au lit, nous regroupons 5% de la population13.
Et même si ces personnes ont effectivement beaucoup de mal à se déplacer seules, il leur est
souvent possible de se faire déplacer, d’être transportées (« mobilité passive »)…
Par ailleurs, certaines enquêtes14 sur les mobilités parlent aussi de « taux de personnes
immobiles » pour rendre compte des personnes qui, sur un jour donné (le jour de l’enquête),
n’ont effectué aucun déplacement en dehors de leur domicile. Ce taux tourne autour de 15%.
Mais ne pas sortir de chez soi un jour, ne veut pas dire ne jamais sortir de chez soi… :
« immobile un jour » ne veut pas dire « immobile toujours ».
Bref, et sans vouloir ergoter, nous pouvons conclure que la mobilité comme impératif est un
contre-sens, puisque nous sommes, sauf à de très rares exceptions, tous mobiles. Mais
effectivement, nous le sommes tous différemment…
Nous pourrions aussi faire référence au sociologue Vincent Kaufmann qui pour interroger la
mobilité nous offre une réflexion fondée sur la question : « sommes-nous mobiles en nous
déplaçant ? ». Dans le fond, n’est-on parfois pas plus mobiles en restant immobiles (les
surfeurs d’internet) qu’en nous déplaçant (l’homme d’affaires qui traverse le « monde des
congrès » sans changement de statut, sans rapport à l’altérité, sans mobilité culturelle…) ?
Il peut donc y avoir de la mobilité dans l’immobilité (cf. la mobilité virtuelle), mais aussi
l’immobilité dans la mobilité (cf. la question ci-dessus de Vincent Kaufmann)…
Par exemple également, lorsque l’on se déplace beaucoup mais pour toujours faire les mêmes
trajets et toujours aller aux mêmes endroits déjà connus, dont on maîtrise la topographie, la
toponymie…, est-on vraiment mobile ? puisqu’il n’y a plus de changement, mais simplement
de la répétition…
2nde remarque, la notion de « mobilité » est parfois très ambivalente et ne traduit pas que du
positif. Nous l’avons déjà entraperçu à travers son étymologie.
Prenons encore quelques exemples pour illustrer cela…
Dans la rue, si parfois l’immobilité dérange (les SDF stationnant dans les centres-villes, les
injonctions du genre « circuler il n’y a rien à voir »…), la mobilité n’est pas pour autant
toujours connotée positivement (cf. l’errance… –des jeunes par exemple–).
Chez les employeurs, s’il est de bon ton de se vendre mobile (géographiquement et
professionnellement), il convient aussi d’afficher une certaine stabilité familiale, voire une
certaine stabilité émotionnelle ou de caractère…
Dans le jeu politique, si le changement est défendu contre l’« immobilisme », la volonté de
« rupture » avec cet immobilisme est en même temps critiquée quand elle est perçue comme
de l’« agitation ».
Avec les « gens du voyage », si la mobilité est questionnée et la sédentarité souvent mise en
perspective comme réponse, il reste que nous sommes tous, à leur côté, des sédentaires, qu’il
n’y a plus d’individus mobiles…
Ainsi, si le manque de mobilité est souvent mal perçu, il en est de même pour…
- l’« excès de mobilités désorganisées » (l’agitation, l’hyperactivité, l’instabilité…) ;
- la « mobilité sans finalité » (l’errance…) ;
- ou encore la « mobilité insaisissable/incontrôlable » (le nomadisme, la bohème…)…
13
Insee, Enquête HID, 1999.
Insee - Soes - inrets, enquêtes nationales « transports et communication » (1994) et « transports et
déplacements » (2008).
14
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
12
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
La mobilité socialisée et socialisante… à propos des jeunes notamment…
« Souvent, les jeunes déménagent vers des villes plus grandes pour y suivre des études ou
bien attirés par des perspectives d’emploi plus larges. Ils y trouvent aussi une offre de loisirs,
de culture ou de commerces plus étendue. La mobilité est alors aussi bien source de
rencontres que de prise de distance vis-à-vis de la famille. » (Observatoire des inégalités)
Souvent donc, les jeunes répondent positivement à l’attractivité des grands pôles urbains.
Restent alors sur les territoires les plus ruraux, naturellement moins pourvus en termes
d’offres de formation et d’emploi, des jeunes parmi les moins qualifiés et les moins mobiles…
Moins mobiles parce que moins qualifiés, mais aussi moins qualifiés parce que moins
mobiles…
Ainsi, quelques études15 ont permis d’observer que certains jeunes pouvaient faire, au cours
de leur scolarité, des choix de formation leur permettant de se maintenir sur le territoire, alors
même que ceux-ci ne correspondaient pas vraiment à leurs motivations voire n’avaient qu’une
pertinence locale en terme de débouchés…
Plus largement, des acteurs intervenant en milieu rural font le constat de jeunes qui refusent
de partir, ne serait-ce que temporairement, pour des formations ou des emplois. Et ce aux
motifs, le plus souvent, d’un éloignement de leur famille et amis, d’une peur de se perdre ou
d’être perdu, d’une crainte en terme de sécurité…
Le refus de mobilité n’est pas qu’affaire de moyen de locomotion, il cache des réalités plus
complexes qui ont trait notamment aux notions d’attachement et de projection de soi (comme
nous le verrons plus loin).
Mais déjà, il n’est pas rare de constater combien, chez certains de ces jeunes, la grande ville
peut faire peur et entretenir des craintes par exemple…
D’autre part, ces représentations sont aussi souvent véhiculées par les parents eux-mêmes
voire les adultes d’une manière générale, pour lesquels la ville est notamment synonyme
d’insécurité et de violence.
C’est particulièrement le cas pour des personnes fréquentant elles-mêmes très peu la grande
densité urbaine, voire n’ayant de mobilité vers et dans la ville dense qu’une mobilité virtuelle
et tronquée, par le biais de la télévision et des images qu’elle véhicule.
Ce sont donc parfois les parents eux-mêmes qui vont freiner leurs enfants dans leurs mobilités
(souvent motivées par la curiosité et le désir…), et ainsi les sur-protéger (le « sécuritaire »
contre la « sécurité »). Le lien parent-enfant n’est pas ici un lien « fil d’Ariane » (permettant
de découvrir le monde en sécurité), mais un lien « nœud » qui ligote, empêche de partir…
Rappelons que la notion d’espace est ce qui va séparer deux entités… de lieux notamment
(comme par exemple l’espace rural et l’espace urbain). « Changer d’espace » peut donc
s’entendre comme « se séparer d’un autre espace ».
Distinguer des espaces différents, par exemple en fonction de ce qui les spécialise, contribuent
donc, d’une certaine manière, à séparer : l’accès d’un jeune à un premier emploi par exemple,
peut contribuer à distinguer deux espaces, un espace familial de l’enfance et un espace
d’activité professionnelle ; et donc à séparer le jeune de ses parents… Mais ces espaces ne
seront pas que géographiques, ils seront aussi sociaux, culturels…
Or, si cette séparation peut être perçue comme un risque, elle est aussi une chance, une
opportunité pour le jeune, au sens où elle participe de la construction de son individualité, de
son identité propre…
15
Trop rares ou trop confidentielles !?. Cf. notamment une étude de la DATAR (1994), un mémoire d’études
(DSTS) de Philippe Guillemain (2004)…
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
13
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
C’est Alain Braconnier qui nous rappelle que parmi les objectifs essentiels que l’individu
s’efforcera d’atteindre au cours de son adolescence16, il en est un qui consiste à « se séparer
de ses parents et s’individualiser »…
Par ailleurs, il en est aussi un autre qui consiste, celui-là, à « se projeter dans l’avenir ».
Or, pour pouvoir répondre à ce dernier objectif, le jeune devra notamment prendre ses
distances par rapport au projet que ses parents ont imaginé pour lui.
Cela fait également écho aux travaux de deux sociologues, Joël Zaffran et Marie-Hélène
Massot17, sur l’importance de l’aptitude à se déplacer seul, c’est-à-dire à « l’auto-mobilité »,
dans l’individualisation et la construction identitaire à l’adolescence.
Les auteurs considèrent le « temps libre » des adolescents, c’est-à-dire le temps dégagé des
contraintes scolaires et familiales, comme un temps propice à l’exercice de cette « automobilité », synonyme d’exploration juvénile, seuls ou entre pairs, d’expériences singulières et
socialisantes…
Toutefois, la psychologue Sandrine Depeau18 fait le constat non seulement d’un immobilisme
croissant des enfants mais aussi d’un accompagnement –essentiellement en voiture– plus
systématique par les parents pendant les déplacements. Résultat, la mobilité quotidienne
autonome des enfants –appelée « auto-mobilité »– se restreint, alors qu’elle représente pour
ceux-ci une expérience indispensable sur le plan cognitif (espace, environnement), social,
émotionnel…
Pour sa part, Eric Le Breton19, incite sur le fait que la mobilité (comme « disposition à… »)
non seulement découle d’un ensemble d’apprentissages, mais qu’elle s’apprend aussi à
mesure que nous la mettons effectivement en pratique.
Il parle ainsi de l’importance de la « cognition de l’espace ».
Selon ses expériences de mobilité durant l’enfance puis l’adolescence, plus ou moins
banalisées, plus ou moins fréquentes ou plus ou moins lointaines…, un jeune développera en
conséquence une double compétence au dépaysement et à la modélisation de l’espace. Celleci sera déterminante dans sa capacité à partir plus ou moins loin de sa famille et à s’approprier
plus ou moins de nouveaux espaces…
Plus largement, au delà des effets d’une socialisation primaire, Eric Le Breton précise que
« pour être mobile, il faut disposer d’une représentation des lieux où l’on va se déplacer. On
ne peut se déplacer physiquement que dans un espace où l’on peut se déplacer mentalement,
dont on peut construire des images mentales, où l’on identifie des trajets, où l’on dispose de
repères.
La mobilité nécessite une appropriation préalable des territoires qu’elle renforce et améliore à
travers un processus d’apprentissage. Une première représentation schématique d’un territoire
16
Selon A. Braconnier, il existe quatre objectifs essentiels pour l’adolescent : accepter sa sexualité ; maîtriser ses
émotions ; se séparer de ses parents et s’individualiser ; et enfin, se projeter dans l’avenir (cf. A. Braconnier &
D. Marcelli, L’adolescence aux mille visages, Éditions universitaires, 1988).
17
Marie-Hélène Massot et Joël Zaffran, « Auto-mobilité urbaine des adolescents franciliens » in Espace
populations sociétés n°2007/2-3 (2007).
18
Isabelle Danic, Olivier David, Sandrine Depeau, Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien, Presses
Universitaires Rennes, 2010.
19
Cf. texte de la 603ème conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 7 janvier 2006, Eric le Breton :
« Mobilité et inégalités sociales ».
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
14
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
permet un premier déplacement, lequel améliore l’appropriation de ce territoire, ce qui permet
ensuite des déplacements plus complexes, etc. ».
Sur le territoire du Vignoble nantais par exemple, quelle représentation les jeunes ontils de la métropole nantaise ? a t-on affaire à des jeunes qui vont régulièrement sur
Nantes par exemple ? et à des jeunes qui voyagent, plus généralement ? (si oui, où ?
quand ? comment ? dans quelles circonstances ?, etc.)…
L’apprentissage à l’utilisation d’une carte, d’un plan… constitue ainsi une pré-appropriation
de l’espace dans lequel on va être amené à se déplacer… Les allers-retours entre utilisations
de la carte et déplacements effectifs sur le territoire renforcent alors cette appropriation de
l’espace, la capacité et l’aisance à s’y rendre et à s’y mouvoir…
Eric Le Breton parle aussi de la « mise aux normes de soi » qu’induit une mobilité.
« L’espace est un prescripteur de comportements extrêmement efficace » ; comme les
pratiques de la mobilité plus généralement…
On ne se comporte pas de la même manière selon les lieux où l’on se trouve, où l’on circule
(dans un musée ou à la plage par exemple, dans une banque ou dans un super-marché, etc.).
Autre exemple, il y a aussi des règles à respecter sur la route (code de la route), des règles de
« bonne conduite » à observer… (par exemple sur l’usage de son téléphone portable dans le
train afin de ne pas gêner les autres voyageurs), etc.
Il est en effet de bon ton, bien vu, d’être mobile sans gêner la mobilité des autres !
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15
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
Pour conclure (provisoirement) : soumettre quelques propositions pour « penser les
mobilités juvéniles » de manière qualitative et compréhensive…
En guise de conclusion –provisoire–, je vous propose deux entrées possibles (mais non
exhaustives bien sûr) pour essayer de problématiser de manière plus qualitative et
compréhensive sur les enjeux de la mobilité… des jeunes particulièrement.
Penser à partir de la notion de « projection de soi »…
Nous avons déjà mentionné plus haut les objectifs essentiels à atteindre au cours de
l’adolescence, selon Alain Braconnier.
Parmi ceux-ci, il en est un qui consiste à « se projeter dans l’avenir »…
Or, nous l’avons déjà vu ou suggéré à plusieurs reprises, si la mobilité implique, en amont
même de son actualisation, une capacité à se projeter dans un autre espace que celui déjà
pratiqué et/ou connu, elle suppose également une projection de soi dans un « à-venir »… Car,
effectivement, cet « ailleurs géographique » n’est pas présent mais toujours à venir…
Il semble alors possible de postuler que la projection de soi dans un « ailleurs spatiotemporel » influe sur la mobilité… ; mais aussi de postuler que la réciproque est vraie ; ces
deux capacités s’entretenant et se renforçant mutuellement…
Ainsi, plus les jeunes seront en capacité de se projeter, c’est-à-dire de se mettre en projet, plus
leur capacité à se déplacer se renforcera. Inversement, plus ils feront preuve de mobilité, plus
il leur sera facile de se projeter dans un avenir et dans de nouveaux espaces.
Sans prétendre à l’exhaustivité, essayons donc de préciser quelques-uns des éléments
susceptibles de conditionner peu ou prou cette projection de soi dans un « ailleurs spatiotemporel »… et donc la mobilité20 :
- l’expression d’un désir, car la projection de soi est une expression du désir…
Or, pour qu’il y ait désir (de déplacements, de changements…), il faut qu’il y ait
sentiment de manque…
Cela dit, concevoir la mobilité en lien avec l’expression d’un désir, invite également à
se poser la question de ce que la satisfaction de ce désir de mobilité met en jeu pour
l’individu (en termes de gains, atouts, perspectives… aussi bien qu’en termes de coûts,
pertes, craintes…) : qu’y a-t-il à gagner –ou à perdre– à être ou à ne pas être mobile ?
N’y a t-il pas parfois plus à gagner à être « mobile sur place » plutôt que « mobile dans
l’espace » compte tenu du sentiment d’un champ des possibles restreint sur des
territoires plus éloignés.
Nous pouvons faire ici un rapprochement entre mobilité géographique et mobilité
sociale : pourquoi faudrait-il être mobile géographiquement lorsqu’on est convaincu
que notre situation sociale ne sera pas meilleure ailleurs ? et ce dans un contexte global
où l’on répète partout que « l’ascenseur social est en panne »).
- la référence à quelque chose qui fasse sens…
La projection de soi implique un lien à quelque chose qui fasse sens à la fois comme
signification (« pourquoi être mobile ? » ou en d’autres termes « quel est le mobile de
20
cf. Marc Le Gallo, « Projet et projection de soi chez les étudiants primo-arrivants » in Paroles étudiantes sur le
bien-être et sur le mal-être, Enquête annuelle 1998-99 de l’Observatoire de la Vie Etudiante de l'Université de
Nantes, sous la direction de J.P. Molinari, OVE, Nantes, 1999.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
16
Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
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la mobilité ? ») et comme direction (« être mobile pour aller où ? et pour faire
quoi ? »).
Il s’agit de fait d’interroger les « tropismes » des jeunes (ce qui les attire, ce qui les
pousse à prendre une certaine orientation), les écarts aussi entre leurs
« appartenances » et leurs « références », comme disent les psychosociologues.
un relatif sentiment d’autodétermination…
Il s’agit d’un sentiment de maîtrise au moins partielle de ses choix d’existence, d’un
relatif sentiment de contrôle de son historicité individuelle21… Par exemple, à qui tient
le choix de mon orientation scolaire ? Ai-je le sentiment de l’avoir, au moins en partie,
décidée moi-même ?
la perception de sa propre compétence (à être mobile)…
Cela renvoie à l’image/estime de soi, à la confiance en ses propres possibilités (à être
mobile).
le degré de confiance en un avenir et plus largement en un « ailleurs spatio-temporel »…
forcément incertain…
Il s’agit notamment d’interroger les représentations de l’avenir chez les jeunes. Selon
que celui-ci sera davantage synonyme de désir ou de menace, la disposition à être
mobile s’en trouvera différenciée.
De la même manière, la défiance envers des espaces inconnus ou méconnus, nous
l’avons vu, sera susceptible de freiner les mobilités.
Penser à partir de la notion d’« attachement »…
Toujours parmi les objectifs essentiels à atteindre au cours de l’adolescence, il en est un autre
aussi qui consiste, celui-là, à « se séparer de ses parents et s’individualiser » ; c’est-à-dire à
se défaire de certaines « attaches » et à œuvrer pour son identité singulière.
Par ailleurs, nous savons aussi qu’au cours de la période adolescente, le public jeune tend,
souvent plus que d’autres, à vaciller dans les dilemmes et les contradictions, et à osciller
notamment :
- entre la prise de risque et le besoin de sécurité ;
- entre l’envie d’indépendance, de prise de distances avec la tutelle parentale, et la
dépendance obligée aux parents (notamment matérielle et financière) dans la
possibilité pratique d’exercer, seul ou entre pairs, certaines activités ;
- entre l’attirance et la peur vis-à-vis d’espaces inconnus et d’expériences nouvelles ;
ou, pour le dire autrement,
- entre le besoin de découvrir des espaces inconnus et des expériences nouvelles (hors
de portée des parents) et celui de pouvoir compter sur des ancrages rassurants (aussi
bien territoriaux, familiaux, que sociaux…), comme autant de « postes d’amarrage »
permettant d’éviter de partir à la dérive.
Le sujet entre ainsi progressivement dans le monde adulte tout en étant encore attaché à celui
de l’enfance, voire dépendant de lui.
Ces attaches, à la fois le rassurent, le protègent, le retiennent… et constituent autant de liens
qui auront contribué à poser ses « fondations d’existence » (niveau de l'identité et des liens
d'appartenance, du sens et de la valeur…).
21
Alex Lainé définit l’historicité comme « la capacité qu’a un individu d’avoir prise sur sa propre histoire à
venir, d’en infléchir relativement le cours, à partir de la réflexion sur son histoire passé ». Cf. A. Lainé, Faire de
sa vie une histoire, Desclée de Brouwer, Paris, 1998.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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Mobilités, de quoi parle-t-on ? quels enjeux révèlent-elles ?
De fait, concernant la question des freins à la mobilité des jeunes, et au-delà des questions
physique et matérielle d’avoir les moyens de se déplacer, il semble possible de poser le
problème à partir de la notion d’attachement :
en effet, « être attaché à quelque chose » comprend un double sens :
- cela peut renvoyer à « ce à quoi je tiens »,
- ou encore à « ce qui me retient » voire à « ce qui me ligote »
Ces attaches sont donc autant de liens qui pourront être…
- des liens - « fils d’Ariane » permettant de partir à la découverte du monde entouré
d’un relatif sentiment de sécurité, et qui ainsi renforceront les mobilités ;
- ou encore des liens - « nœuds » qui ligotent et empêchent de partir, et qui à l’inverse
freineront les mobilités.
A partir de cette notion d’attachement et de son double sens, la question pourrait être alors :
« parmi ce à quoi je suis attaché, qu’est-ce qui m’empêche de bouger, contrarie ma mobilité
ou m’invite plutôt à préférer la sédentarité ? »
Les réponses peuvent être multiples et complexes ; et avoir un rapport avec l’attachement au
territoire de résidence par exemple, ou encore avec l’attachement à la cellule familiale, aux
sociabilités élargies, à un statut valorisant dans son environnement proche… ; ou avoir aussi
partie liée avec un mode de vie communautaire, un conformisme local entre pairs, le poids de
certains héritages ou de certaines reproductions sociales,… ou encore la peur de changer,
d’être changé ou de perdre de son identité à travers la rencontre avec l’altérité, etc.
Et ces réponses peuvent être d’autant plus complexes que…
- d’une part, ce qui me retient et m’empêche de bouger, parfois me protège (me met à
l’abri du danger ou m’empêche de prendre certains risques) ;
- que d’autre part, paradoxalement, je peux parfois tenir à ce qui me ligote ;
- et enfin, qu’une partie de tout cela, bien sûr, n’est pas conscientisé.
Marc Le Gallo – COMPAS - Nantes
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