L`Entretien de conseil et d`orientation

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L`Entretien de conseil et d`orientation
Extrait du rapport de stage de Zineb Koukerroui « Conseiller en Insertion Professionnelle » à la Cité des
métiers de Paris-la-Villette, 2016
L’Entretien de conseil et d’orientation
A.
Récit et analyse de l’entretien
1.
Le contexte
Au bout de neuf semaines d’observation, de double écoute, de permanence à l’accueil
général et de préparation de l’atelier Techniques de Recherche d’Emploi (TRE), encouragée
par ma tutrice, je suis allée voir le Chef du département Cité des métiers et je lui ai exprimé
mon souhait d’intervenir sur le pôle de conseil « Trouver un emploi ». Après avoir salué mon
esprit d’initiative, il a demandé au coordinateur du pôle de m’ajouter sur le planning.
Comme je l’ai déjà précisé, les entretiens sur les différents pôles de conseil sont anonymes
et sans rendez-vous. Donc, lorsque je suis arrivée sur le pôle (à 13h00), je n’avais pas la
moindre information sur les personnes qui allaient se présenter devant moi, ou sur la nature
de leur demande.
Une fois installée, j’ai hoché la tête en souriant pour indiquer que j’étais disponible.
La plateforme de la Cité des métiers est un grand espace ouvert, sans la moindre séparation
entre les différents pôles ni entre ces derniers et les usagers, il est donc de rigueur de baisser
la voix et de faire le moins de bruit possible.
2.
L’accueil de la personne
Un Monsieur s’installe en face de moi.
Bonjour Monsieur, je vous écoute !
Monsieur m’informe qu’il est ingénieur en mécanique, et qu’il recherche un emploi dans son
domaine de compétences. Il ajoute qu’il avait obtenu son diplôme en Inde, et qu’il a cinq
années d’expérience professionnelle à l’étranger.
En l’espèce, la personne a un projet bien défini : trouver un emploi en adéquation avec sa
qualification et à son expérience professionnelle. À priori, elle se trouve au bon pôle.
Je lui pose donc une question sur la durée de recherche d’emploi. Il me répond qu’il est en
France depuis deux mois. Je présume qu’il a consacré ces deux premiers mois à son
installation et à ses démarches administratives.
L’objectif de cette question est d’avoir une idée sur l’état d’esprit dans lequel se trouve la
personne (plus la recherche d’emploi est longue, plus la personne est fragilisée), de savoir si
elle est accompagnée et de cerner ses besoins. Ainsi, je pourrais adapter mon intervention et
mes préconisations d’orientation (ex. orienter vers un dispositif réservé aux chômeurs de
longue durée).
Je fais un récapitulatif de son récit afin de m’assurer que j’ai bien compris son message. Il me
confirme sa démarche de recherche d’emploi ainsi que l’emploi qu’il recherche.
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Extrait du rapport de stage de Zineb Koukerroui « Conseiller en Insertion Professionnelle » à la Cité des
métiers de Paris-la-Villette, 2016
Je reformule ma première question, et je lui demande s’il avait commencé sa recherche
d’emploi. Il me répond négativement, parce qu’il ne savait pas s’y prendre, et qu’il n’est pas
inscrit à Pôle emploi parce qu’il n’a pas un numéro de sécurité sociale.
Je me dis, tiens, un candidat pour l’atelier TRE ! En attendant de l’orienter vers cet atelier, à
la fin de l’entretien, j’inscris l’idée dans un coin de la feuille posée entre nous.
Je l’informe du fait que l’inscription à Pôle emploi ne nécessite pas un numéro de sécurité
sociale, et que ce dernier n’est exigé que pour les demandes d’allocations d’Aide au Retour à
l’Emploi (ARE). Aussi, je le conseille de s’inscrire pour pouvoir justifier de sa situation auprès
des services administratifs.
Sur ce point, mon expérience à Pôle emploi a été un véritable support. En effet, lors de mon
affectation au sein de l’agence du 19ème arrondissement, J’ai pu acquérir, entre autres, des
connaissances liées au fonctionnement de cette institution, des conditions d’inscription et de
suivi, ainsi qu’à son offre de services.
À ce stade de l’entretien, je remarque qu’il fait beaucoup d’efforts pour parler en français. Il
introduit des mots en anglais, et il me fait répéter. C’est comme s’il avait préparé son
premier discours, et là, il s’efforce à aborder des sujets auxquels il ne s’attendait pas. Donc,
j’adapte mon vocabulaire et mon débit.
3.
L’évolution des échanges
À ma question sur la validité de son diplôme en France, il m’a répondu qu’il n’en savait rien.
Donc, je lui remets un dépliant de l’organisme ENIC-NARIC en lui expliquant la procédure à
suivre pour demander une reconnaissance pour son diplôme.
N’ayant pas été orientée en ce sens à mon arrivée en France, je ne peux pas passer à côté de
cette question dès que j’entends : « diplôme étranger ».
À l’issue de ces échanges, je tourne l’ordinateur vers lui et je lui propose de chercher sur
internet des offres d’emploi, d’ingénieur en mécanique. Au bout de quelques offres
parcourues, il me regarde et il m’informe que son niveau de français ne lui permet pas de
répondre à ces offres. Et il ajoute qu’il était inscrit à des cours de français de niveau
intermédiaire.
Faire cette recherche avec la personne a pour premier objectif de lui montrer une méthode à
suivre pour chercher des offres d’emploi sur des sites Internet spécialisés. Et pour deuxième
objectif, de lui permettre de constater les exigences du marché du travail en matière de
connaissances et de qualification.
Lorsqu’il me parle du frein de la langue, la militante pour l’égalité intellectuelle que je suis,
ne peut se contenter d’un tel prétexte. Je lui dis donc que compte tenu de son niveau
d’anglais (courant), je ne pense pas que son niveau de français poserait problème dans
l’exercice de son métier. Nous consultons le référentiel du diplôme sur le site de la
Commission Nationale de la Certification Professionnelle (CNCP). Effectivement, nous avons
constaté que le niveau exigé en langue française ne correspond pas au sien.
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Extrait du rapport de stage de Zineb Koukerroui « Conseiller en Insertion Professionnelle » à la Cité des
métiers de Paris-la-Villette, 2016
Et là, il me demande de faire la même recherche (consultation des offres et du référentiel)
pour le métier de « dessinateur industriel » (Bac+2), qu’il avait exercé auparavant. En
consultant les documents, il me dit qu’il n’est plus en mesure d’utiliser certains logiciels
indispensables pour l’exercice du métier.
J’entends beaucoup de « mais » dans son discours (pôle emploi, mais problème de sécurité
sociale / ingénieur mécanique, mais problème de français / dessinateur industriel, mais
problème de logiciels) ! Et si cette personne recherchait tout simplement un emploi
alimentaire ? Après tout, toutes les personnes possédant un diplôme étranger ne souhaitent
pas forcement travailler avec ! Moi, si ! Mais là, il s’agit d’une autre personne complétement
différente de moi !
Je sens que la personne a encore quelque chose à dire. Alors, avant d’aborder la question
d’un éventuel emploi alimentaire, je décide de creuser plus.
Donc, je lui pose une question directe : « C’est quoi le degré d’urgence de votre recherche
d’emploi ? » Il me répond qu’il est pris en charge par sa famille pendant les six prochains
mois, ce qui lui permet de suivre une formation pour mettre à jour ces connaissances dans le
domaine du dessin industriel.
Je reformule sa nouvelle demande pour être sûre que je l’ai bien comprise. Il m’explique que
ce domaine est porteur et qu’il est sûr de trouver rapidement un emploi.
Donc, je l’oriente vers mes collègues du pôle « organiser sa vie professionnelle et de
formation ». Mais avant de le laisser partir, je lui imprime des documents contenant des
informations sur les deux métiers dont nous avons discuté. Ensuite je lui remets un
programme de la Cité des métiers : je lui explique le fonctionnement du lieu, je lui résume le
contenu de certains ateliers et je l’invite à revenir au besoin.
B.
Bilan de l’entretien
Juste avant mon premier entretien sur le pôle « trouver un emploi », mon tuteur
administratif est venu me voir pour me dire : « n’oublie pas que ta mission n’est pas de
trouver une solution, mais d’écouter la personne ».
C’est dans cette perspective que j’ai accueilli la personne qui s’est présentée aujourd’hui sur
le pôle de conseil.
Pour ne pas orienter le discours de la personne, j’ai préféré ne pas démarrer l’entretien par
une question, et d’adopter une formule que les conseillers de la Cité des métiers utilisent : «
bonjour Monsieur, je vous écoute ! ». Cette formule me semble convenir pour exprimer ma
disponibilité, et mon engagement à commencer l’échange par le point de départ que la
personne fixera, et à prendre le chemin qu’elle tracera.
Compte tenu de l’évolution des échanges, je pense lui avoir offert un moment d’écoute
bienveillante. Une écoute qui l’a mis en confiance et qui lui a permis d’exprimer librement et
clairement son besoin. Au bout de quarante-cinq minutes d’échanges, certes, mais l’accueil
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Extrait du rapport de stage de Zineb Koukerroui « Conseiller en Insertion Professionnelle » à la Cité des
métiers de Paris-la-Villette, 2016
et l’écoute à la Cité ont l’avantage de ne pas être chiffrés (ni en termes de nombre
d’entretiens, ni en leur durée).
Encadré n°1. L’écoute bienveillante1
Le concept de l’écoute bienveillante ou active a été développé à partir des travaux du
psychologue américain Carl Rogers (1902 – 1987). Initialement conçue et développée dans
le cadre de l’entretien individu thérapeutique, l’écoute bienveillante est aujourd’hui
promue dans tous les contextes où la relation interpersonnelle est perçue comme centrale,
telle que la relation d’accueil et d’accompagnement2.
Elle consiste à accepter l’autre de façon inconditionnelle, et d’accueillir sa parole ainsi que
son silence avec bienveillance : sans jugement, sans comparaison et sans interprétation.
L’écoute bienveillante permet à l’autre de se dire et de se révéler à lui-même. Elle est active
parce qu’elle fait naître la parole de l’autre, elle lui permet de s’exprimer véritablement.
Sortir de soi !
Cet entretien a soulevé des questions qui m’ont renvoyé à mon expérience personnelle.
Chose qui m’a extrêmement déstabilisée.
Ayant connu tous les aspects négatifs de la non reconnaissance des diplômes étrangers sur
le marché du travail en France (sentiment d’infériorité intellectuelle, déclassement social et
professionnel, pérennisation d’emplois alimentaires, etc.), j’ai paniqué à l’idée de savoir que
cette personne pourrait subir le même sort que moi. Je devais « absolument » l’aider à
trouver les moyens qui lui permettraient de trouver un emploi en adéquation avec son
diplôme.
Avec le recul, je me demande si mon acharnement sur ce point ne m’a pas empêchée de
cerner le besoin réel plutôt ? Je suis peut-être passée à côté d’éléments indiquant
clairement, et dès le début de l’entretien, l’objectif réel de la visite ?
L’implication de la personne dans les échanges (prendre des notes, demander des précisions
et me remercier pour chaque information communiquée) ne m’a pas aidé à freiner mon
élan.
Malgré tous mes efforts, je n’ai pas pu éviter mes projections personnelles. J’étais lucide et
consciente de la situation : au lieu d’entrer dans l’univers de l’autre, je l’entrainais dans le
mien. C’est cette lucidité qui m’a permis de me remettre en question et d’évoluer dans ma
réflexion. Elle m’a amenée à maîtriser le « mouvement identificatoire »3 qui m’envahissait.
Une fois que la raison a pris les rênes de la situation, je décide, par le biais du
questionnement direct, d’inciter la personne à exprimer clairement son point de vue, afin
d’éviter toute confusion.
1
Cours TRS002
Institut Européen de Développement Humain, URL : http://iedh.fr/en-savoir-plus/ecoute-active/
3
http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Empathie
2
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Extrait du rapport de stage de Zineb Koukerroui « Conseiller en Insertion Professionnelle » à la Cité des
métiers de Paris-la-Villette, 2016
J’estime avoir eu beaucoup de chance de faire cette expérience dans un lieu comme la Cité
des métiers. Un lieu où j'ai pu vivre, sans contrainte de temps, ni injonction de résultat, l’une
des situations que j’appréhende le plus dans l’exercice du métier de Centre d'action sociale
protestant (CASP) : la situation d’un diplôme étranger en voie de déclassement.
Encadré n°2. L’empathie
Selon Carle Rogers : « Être empathique, c’est percevoir le cadre de référence interne
d’autrui aussi précisément que possible et avec les composants émotionnels et les
significations qui lui appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans jamais
perdre de vue la condition du « comme si » ».4 
L’empathie est l’acte pour lequel un sujet sort de lui-même pour comprendre quelqu’un
d’autre sans éprouver pour autant les mêmes émotions.5
Cette attitude nécessite un effort de compréhension intellectuelle d'autrui. Elle exclut
cependant toute confusion entre soi et l'autre, tout mouvement affectif personnel ainsi que
tout jugement moral. En effet, l'empathie n'implique pas de partager les sentiments ou les
émotions de l'autre, ni de prendre position par rapport à elle, contrairement à la sympathie
ou à l'antipathie.
Actions menées
Mon objectif initial étant d’écouter la personne, je n’avais pas prévu ou « prémédité »
d’actions à mener. Cependant, les échange ont mis en lumière certains éléments qui ont
nécessité de l’orientation. J’ai ainsi préconisé trois orientations. La première vers le Pôle
emploi, en vue d’une inscription. La deuxième, vers le centre ENIC-NARIC pour une demande
d’attestation de reconnaissance de diplôme étranger. Et la troisième orientation était vers
mes collègues du pôle « organiser son parcours professionnel et de formation », pour avoir
des informations sur les différentes formations professionnelles conventionnées, sur leurs
dispositifs de financement et sur les centres de formation.
À un moment de l’entretien, j’ai envisagé d’inscrire la personne à l’atelier « technique de
recherche d’emploi » que j’ai mis en place. Mais, au fur et à mesure des échanges, j’ai pu
constater que le contenu de l’atelier ainsi que son objectif ne correspondaient pas à l’étape
actuelle de son projet professionnel. Je suis satisfaite de ne pas m’être laissée entrainée
dans le gouffre du « remplissage de prestation ».
4
Édith SIMON, « Processus de conceptualisation d’« empathie » », URL : https://www.cairn.info/revuerecherche-en-soins-infirmiers-2009-3-page-28.htm
5
Roger MUCCHILLI, « L’entretien de face à face dans la relation d’aide », collection formation permanente,
édition ESF, février 2013, page 57.
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