à Kigali, le 25 février traque d`Alain Gauthier
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à Kigali, le 25 février traque d`Alain Gauthier
à Kigali, le 25 février traque d'Alain Gauthier Publié le samedi 20 février 2010 à 11H00 Pour accélérer les procédures, le Rwanda a relancé en 2001 les « gacaca », des tribunaux traditionnels aux verdicts aléatoires. Rouge ocre, la piste de latérite serpente entre les masures de terre, les bananeraies, les plantations de café et les eucalyptus. « Umuzungu, Umuzungu »! (blancs en kinyarwanda). Des grappes d'enfants chahuteurs saluent le passage du 4x4. À Gihindamuyaga, au large de Butare, Alain Gauthier s'apprête ce jour-là à assister au procès par contumace d'un présumé génocidaire réfugié près de Toulouse. « Un tueur de premier ordre », selon lui. L'homme est soupçonné d'avoir organisé parmi le personnel d'une étainerie locale une bande de nervis hutus chargée de traquer l'ennemi tutsi et commandité l'incendie du camp de jeunes d'un monastère voisin. Le président du CPCR a été mis sur sa piste grâce au témoignage accablant d'un médecin désormais installé en Sierra Leone. Il en cherche d'autres. La gacaca (prononcer gatchatcha) de Gihindamuyaga devrait les lui fournir. Littéralement «justice sur l'herbe », cette juridiction traditionnelle, sans magistrat ni avocat, était autrefois destinée à trancher les conflits de voisinage. Elle a été réactivée par le Rwanda pour absorber les centaines de milliers de procédures engagées contre les « petites mains » du génocide. En gros, près d'un million de personnes (sur 7,5 millions d'habitants en 1994). Environ 130 000 gagaca ont été mises sur pied. « Sans elles, il aurait fallu 200 ans pour juger tout le monde », explique Alain. N'y échappent que les gros bras et planificateurs du pogrom, ainsi que les auteurs de tortures et de viols, du ressort de la justice rwandaise et du TPIR. Ce mardi-là, un enquêteur du parquet de Kigali, accompagne Alain. Martin cherche, lui aussi, à alimenter ses dossiers. La gacaca se tient dans un modeste bâtiment de briques, d'ordinaire destiné aux formalités administratives. Une trentaine d'hommes et de femmes patientent sous un soleil voilé. Des sourires timides accueillent les visiteurs. Le rendez-vous est fixé à 9 heures. Trois heures plus tard, rien ne s'est passé. Élus pour leur « intégrité » supposée, les sept sages (les inyangamuyago) chargés d'arbitrer cette sorte de thérapie collective vont et viennent, papotent. À 11 heures, Alain accompagne un juge dans un village proche pour chercher… du papier À midi, la séance commence enfin. La salle sent l'étable. Les « juges » s'installent mollement, ceints de l'écharpe bleue, vert et jaune aux couleurs du Rwanda. Les témoins à charge et décharge défilent. Dans leur tunique rose bonbon, deux détenus du centre pénitentiaire de Butare, accompagnés d'un soldat à Kalachnikov, s'assoient au premier rang. Cou de taureau et regard torve, le plus âgé a été condamné à mort par un tribunal militaire avant qu'une gacaca ne réduise sa peine à 30 ans de détention. Croix métallique autour du cou, il explique que sa condamnation est « injuste », que le prévenu « n'a rien fait ». « Des témoins comme ça, ça ne m'intéresse pas », tranche Alain Gauthier. Et soudain, ce spectacle incongru. Une poignée d'hommes et de femmes viennent saluer les détenus. En toute liberté. Accolades, rires, poignées de mains… « Ils se connaissent. Ils étaient autrefois voisins », note Alain. Les alliés d'hier le restent. Seuls de rares témoins s'en dispensent, telle Édith, violée à 14 ans. Ou encore ce génocidaire repenti qui accepte, après neuf ans de prison, de se porter partie civile. Tout comme Théophile, 43 ans, unique rescapé avec sa cousine d'une famille décimée. Le président du CPCR aura moins de chance avec Édith. À l'intérieur, les débats se poursuivent sur un rythme lancinant. Le secrétaire note sans se presser, deux juges s'endorment, une troisième s'affale sur la table. « C'est la limite des gacaca. Des juges peu motivés, manipulés parfois », explique Alain. La suite lui donnera raison. Le lendemain soir, le verdict tombe: acquittement. Le président du CPCR ne se décourage pas. Le parquet de Kigali fera appel. Et lui a recueilli sept témoignages qui, espère-til, feront un jour pencher la balance du bon côté. 2