LaFontaineanticlérical?(9)

Transcription

LaFontaineanticlérical?(9)
Littérature
S. 12
Fables intemporelles
La Fontaine anticlérical? (9)
Paul Hemmer
pas que je franchis allègrement. Il s’agit
d’ailleurs d’une des fables que les calotins
ne font pas figurer dans leurs recueils de fables, et on les comprend. Quand on les bat,
on en tire quelque chose, cette évidence fut
réalisée plus de 100 ans plus tard par la Révolution française.
*
Dans „Le chameau et les bâtons flottants“
(IV, 10)
Dans „La femme noyée“ (III, 16) La Fontaine met en scène un mari cherchant sa
femme noyée auquel un passant conseille
de chercher plus bas suivant le fil de la rivière tandis qu’un autre lui conseille de
„rebrousser plutôt en arrière“,
„l’esprit de contradiction l’aura fait flot
ter d’autre sorte“.
La Fontaine commente le jugement, le
discernement de l’homme selon son point
de vue ou sa familiarité avec l’objet:
La Fontaine ne prend pas position sur ce
propos misogyne, mais conclut sur une formule plus générale où, à la fin, il mêle son
doute sur l’immortalité de l‘âme:
„Quant à l’humeur contredisante,
Je ne sais s’il avait raison;
Mais que cette humeur soit, ou non,
le défaut du sexe et sa pente,
Quiconque avec elle naîtra
Sans faute avec elle mourra,
Et jusqu’au bout contredira,
Et, s’il peut, encor par-delà. „
L’immortalité de l‘âme, il n’a pas l’air d’y
croire beaucoup.
*
Dans „L’homme et l’idole de bois“ La
Fontaine nous conte l’histoire d’un
„Certain païen (qui) chez lui gardait un
dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien
qu’ayant des oreilles.
Le païen cependant s’en promettait mer
veilles.
Il lui coûtait autant que trois.“
La Fontaine ébauche ici le reproche qu’il
formulera plus clairement dans le livre douzième, publié après sa prétendue conversion, à savoir que la religion se fait payer
(sous-entendez les religieux se font payer).
Le païen soigne son dieu:
„Ce n‘étaient que voeux et qu’offrandes,
Sacrifices de boeufs couronnés de guir
landes.
Jamais idole, quel qu’il fût,
N’avait eu cuisine si grasse,“
Pensons à nouveau aux gens d‘église du
17ième qui font bonne chère.
„Sans que pour tout ce culte à son hôte
il échut
Succession, trésor, gain au jeu, nulle
grâce.“
Est-ce une allusion à la grâce divine qui
divise les esprits au 17ième?
„Bien plus, si pour un sou d’orage en
quelqu’endroit
S’amassait d’une ou d’autre sorte, (ma
tériel ou moral)
L’homme en avait sa part, et sa bourse
en souffrait.
La pitance du dieu n’en était pas moins
forte.“
Que les finances de l‘État aillent bien ou
mal, l‘Église touche toujours les mêmes bénéfices, prébendes et privilèges.
„À la fin, se fâchant de n’en obtenir rien,
Il vous prend un levier, met en pièces
l’idole,
Le trouve rempli d’or: „Quand je t’ai fait
du bien,
M’as-tu valu, dit-il, seulement une
obole?
Va, sors de mon logis : cherche d’autres
autels.
Tu ressembles aux naturels
Malheureux, grossiers et stupides :
On ne peut rien en tirer qu’aveque le bâ
ton.
Plus je te remplissais, plus mes mains
étaient vides :
J’ai bien fait de changer de ton.“
De là à supposer La Fontaine en train de
suggérer à ses lecteurs qu’il faudrait changer
de ton avec le clergé et l‘Église, il n’y a qu’un
„Le premier qui vit un chameau
S’enfuit à cet objet nouveau;
Le second s’approcha; le troisième osa
faire
Un licou pour le dromadaire.
L’accoutumance ainsi nous rend tout
familier.
Ce qui nous paraissait terrible et singu
lier
S’apprivoise avec notre vue…“
„On avait mis des gens au guet,
Qui voyaient sur les eaux de loin certain
objet,
Ne purent s’empêcher de dire
Que c‘était un puissant navire.
Quelques moments après, l’objet devint
brûlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottant sur l’onde.“
„J’en sais beaucoup de par le monde
À qui ceci conviendrait bien :
De loin c’est quelque chose, et de près ce
n’est rien.“
Difficile de ne pas inclure l‘église et son
clergé dans ce „beaucoup de par le monde“
surtout dans la bouche de La Fontaine qui
connut les cléricaux, de loin et de près. Leur
pompe ne l’impressionnait plus.
„De loin c’est quelque chose, et de près
ce n’est rien.“
*
Dans „La grenouille et le rat“ (IV, 11)
„Un rat plein d’embonpoint, gras, et des
mieux nourris,
Et qui ne connaissait l’Avent ni le Ca
rême,
Sur le bord d’un marais égayait ses es
prits.“
nous fait irrésistiblement penser à certains prélats qui correspondent exactement
à cette description.