Une promenade au Jardin d`Acclimatation sous le Second Empire
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Une promenade au Jardin d`Acclimatation sous le Second Empire
Une promenade au Jardin d'Acclimatation sous le Second Empire Chantal Lheureux-Prévot Lorsque le Jardin d'Acclimatation ouvrit ses portes au grand public le 9 octobre 1860, trois jours après l'inauguration officielle, il présentait la parfaite symbiose entre le souhait scientifique de progrès, et la volonté urbanistique et sociale d'aménagement de la capitale, deux thèmes grandement développés au Second Empire. Car les promeneurs du dimanche ne devaient pas s'y tromper : il ne s'agissait pas de créer simplement le pendant du Jardin des Plantes à l'autre extrémité de Paris. Le Jardin d'Acclimatation du Bois de Boulogne ne devait pas être une copie conforme de son aîné. La conception de ce nouvel espace dédié aux animaux était ambitieuse et se calquait sur la foi inébranlable dans le progrès qui caractérisait la moitié du 19e siècle. Le projet initié par la Société impériale d'acclimatation de Paris était de contribuer à une meilleure connaissance des animaux, à l'amélioration de leurs races et à l'introduction sous nos climats d'espèces exotiques qui pourraient se révéler très utiles à l'agriculture. Voici une présentation écrite en 1867 qui met en relief les perspectives modernes créées par le Jardin d'Acclimatation "Au jardin des Plantes c'est au point de vue seulement de la curiosité et de l'étude, que sont exhibés les animaux que le public parisien va visiter avec un intérêt mêlé d'effroi ; tandis que qu'au Bois de Boulogne c'est au point de vue des services que l'homme peut en tirer, soit pour sa nourriture, soit pour l'aider dans ses travaux, que sont réunis les animaux presque tous domestiques venus des différents pays du globe. Ce sont des expériences qui ont pour but d'habituer ces animaux à notre climat et d'en amener la reproduction dans la même condition que dans leur pays d'origine."1 Les animaux féroces appartenaient donc au Jardin des Plantes ; par contre les espèces, dont "les mœurs avaient besoin d'être vérifiées et prises sur le fait"2 étaient exposées au Jardin d'Acclimatation. Le second aspect qui présida à sa conception réside dans le programme des "embellissements de Paris" qui changea le visage de la capitale. Dans le cadre de l'aménagement du Bois de Boulogne, Napoléon III approuva l'achat de quinze hectares dans le bois par les membres de la Société d'acclimatation. Il l'agrandit de cinq hectares supplémentaires, bien décidé à doter l'Ouest parisien en plein essor d'un jardin d'agrément qui allie les joies de la promenade aux enseignements botaniques et zoologiques3. Les Parisiens, en famille, entre amis ou venus seuls, devaient se cultiver tout en s'oxygénant. 1 L'accès au grand public fut facilité par le développement des transports en commun. Le chemin de fer de l'Ouest acheminait les promeneurs par la ligne d'Auteuil ou la ligne de la Petite Ceinture, de la gare Saint-Lazare aux arrêts Porte Maillot ou Porte Dauphine. Le trajet était également possible depuis le centre de Paris en prenant la ligne d'omnibus qui allait de Louvre au terminus Courbevoie. À la suite des promeneurs, laissons-nous guider le long des allées. Laissant derrière eux les nombreux et somptueux attelages qui sillonnaient les allées du Bois, les visiteurs devaient s'acquitter d'un droit d'entrée. Le Jardin était ouvert tous les jours au public. En semaine, le billet était d'1 franc pour le jardin et les serres ; les dimanches et jours de fêtes de 50 centimes pour le jardin seulement, plus 50 autres centimes pour ceux qui souhaitaient admirer également les serres. Le stationnement des calèches dans l'enceinte du Jardin était admis, moyennant 3 francs pour "une voiture et sa livrée" (la livrée désignant le cocher et les possibles autres domestiques faisant partie de l'équipage). Une politique de tarification diversifiée proposa rapidement des abonnements à l'année : il en coûtait 25 francs pour les messieurs, 10 francs pour les dames et les enfants, et 20 francs pour les voitures. Des réductions pour les groupes scolaires existaient déjà : un groupe entre 10 et 20 élèves de lycées, d'institutions, de pensions ou de séminaires payaient 50 centimes par individu, et audessus de 20 élèves, le prix n'était que de 25 centimes.4 L'intérêt était éveillé dès le portique d'accueil avec une innovation pour canaliser les entrées : le "tourniquet qui fait clac" ! 5 Les promeneurs munis de leur ticket devaient franchir, l'un après l'autre, un petit portique avec une barre horizontale qui laissait passer la personne tout en faisant un bruit métallique pour signaler son passage. Cela amusait beaucoup les enfants qui imaginaient dès lors entrer dans un royaume magique. Le parcours complet du Jardin commençait immédiatement à gauche par la grande Serre. Le "S'" majuscule est à propos : le bâtiment était soutenu par trois grandes voûtes parallèles en fer et était entièrement vitré. C'était initialement la serre des frères Lemichez, célèbres horticulteurs qui avaient ouvert rue de Villiers à Paris un vaste jardin et fait construire une serre appelée le palais des Fleurs. Il n'était pas prévu initialement d'installer une serre au Jardin zoologique. Grâce à une souscription auprès des particuliers, la structure fut rachetée et réinstallée près du portique d'entrée. L'inauguration fut un évènement mondain, en présence de l'Impératrice Eugénie, le 15 février 1861. À l'intérieur, de majestueux arbres exotiques élevaient leur frondaison. Et dans ce jardin en cage, au milieu, coulait une rivière. La rivière était certes factice et immobile mais le royaume magique commençait par ressembler à la 2 forêt vierge d'Amérique. Au pied de chaque plante, une étiquette bleue avec des lettres blanches indiquait son nom en latin et en langue vulgaire. On se promenait dans une douce température, surtout en hiver, à l'ombre des arbres verts de l'Australie aux formes si originales, entre les troncs de fougères gigantesques ou de lataniers (des palmiers) aux larges feuilles en éventail. Une grotte toute aussi fausse que la rivière la couronnait et donnait à l'ensemble un air un peu sauvage. L'eau en tombait en de gentils clapotements. Les plantes plus chétives étaient rangées en pots très serrés. Il était possible de s'attarder dans les Serres et de s'y reposer, et de voyager dans sa tête comme l'évoque ce récit contemporain : "Un sable fin s'étend sous les pieds, l'eau murmure, les oiseaux des tropiques font entendre leurs chants plaintifs, des arbres étranges étalent leurs larges feuillages qui regrettent le soleil de l'Amérique méridionale ; avec un peu de bon vouloir et en fermant à demi les yeux, on peut se croire transporté tout à coup sous les latitudes lointaines, dans les pays rêvés que visitent les fées et que parcourent les enchanteurs". 6 Il était aussi possible de profiter du charmes des serres ainsi que du doux bruit de la cascade en s'installant dans le Cabinet de Lecture. Une vingtaine de journaux étaient à la disposition des visiteurs, et les enfants se divertissaient en feuilletant des exemplaires du Musée des familles, une revue trimestrielle illustrée. Une Librairie spécialisée jouxtait le cabinet de lecture. On pouvait y acheter toutes les publications d'agriculture, de zootechnie, d'histoire naturelle, de voyages, d'économie industrielle et domestique publiés chez les différents éditeurs de Paris ou de l'étranger. À la fin de l'Empire, la Serre était devenue un paradis fleuri : "Elle abrite une collection de camellias admirables qui pendant la saison de printemps, tapissent de milliers de fleurs ses immenses panneaux vitrés. C'est un véritable coin de la Terre promise que cette belle serre où une importante collection de plantes et d'arbres qui ne pourraient pas supporter moins de 2e au-dessous de zéro est abritée contre les froids trop rigoureux de nos hivers". 7 À la sortie de la grande Serre, l'esprit encore imprégné des tons vert et bleu des végétaux et de la rivière, les visiteurs entraient dans une volière remplie de gros perroquets chatoyant de toutes les couleurs, et de cages plus petites enfermant des oiseaux des forêts tropicales et de nos forêts, merles, tourterelles, ou colombes. Le spectacle était charmant mais très bruyant jusqu'à l'étourdissement. Les visiteurs s'exclamaient devant la variété des oiseaux : "Que dire de la volière ! Je n'en connais point de pareille au monde ; elle contient de quoi rendre fous tous les chasseurs." 8 Les visées pédagogiques du projet ne pouvaient que comporter des visées cynégétiques, à une époque où la chasse était un loisir très pratiqué. Le règlement du Jardin permettait de nourrir les animaux. Il était ainsi devenu coutumier de jeter des graines et des miettes aux oiseaux, à la plus grande joie des pensionnaires de la volière, mais aussi de 3 leurs congénères vivant à l'air libre. Les mailles de la volière étaient suffisamment lâches pour laisser entrer, et donc sortir, les agiles moineaux parisiens. Les "pierrots" avaient vite compris quel magnifique garde-manger était à leur disposition. "Ils se précipitent, enlèvent les grains sous le nez [sic] des oiseaux et se sauvent sur les arbres voisins en riant dans leur jabot, comme des drôles qu'ils sont" 8 La visite se poursuivait plus calmement le long d'une deuxième rivière qui était d'eaux vives. C'était bien sûr le domaine des canards et des oies. Les palmipèdes et les échassiers appartenaient à de nombreuses espèces et provenaient des continents asiatique, américain et africain. Les "parquets" des échassiers comprenaient des hérons, des cigognes, des spatules, des vanneaux, des casoars… Les flamants rose, les cygnes blancs ou noirs et les autruches "bleues" [sic] étaient le point d'orgue de cette collection vivante d'animaux. D'autres volières parsemaient le Jardin et offraient une gamme assez complète d'oiseaux. Cette passion pour la gente plumée peut étonner de nos jours, mais les basses-cours faisaient partie intégrante de la vie de millions de Français et de nombreux oiseaux en cage ornaient les volets des appartements et des fermes. En parallèle de ses activités de "ménagerie", le Jardin d'Acclimatation tenait un rôle important en tant qu’institut agronomique pour tout le territoire national. Il apportait une grande contribution au développement des volatiles en organisant des expositions accompagnées de distribution de prix aux meilleurs "gallinoculteurs". Selon l'expression de l'époque, il convenait ainsi de donner le "goût des animaux. Or les Oiseaux [avec un O majuscule dans le texte] sont partout répandus, le nombre des éleveurs et des amateurs est considérable, et les expositions passées nous ont permis d'apprécier combien la cause que nous servons profitait de ces concours, dans lesquelles des volatiles de toutes sortes étaient mis sous les yeux du public". 9 Une autre facette de la diffusion de races nouvelles résidait dans la vente d'espèces exotiques susceptibles de devenir indigènes. Pour illustrer ce propos, voici le témoignage d'un amateur éclairé satisfait de la naturalisation d'un couple de céréopses acquis en 1866. Nommés également en latin Cereopsis novae hollandae, traduit en français par oies australiennes, ces palmipèdes au caractère hardi se retrouvèrent dans un vaste parc fait de prairies et de mares. À la grande satisfaction de l'acheteur, "Dans les premiers jours de décembre, la femelle pondit. Elle se mit à couver quand elle eut quatre œufs. […] Je supportai plus impatiemment que personne les froids rigoureux que nous avons subis. [...] Heureusement rien n'y a fait! Malgré la neige et malgré le givre, qui couvraient chaque matin la pauvre couveuse, le bon duvet de l'oiseau a triomphé de tous les obstacles ; le 28 janvier, deux jeunes Céréopses vinrent à éclosion, et le 29 naquit le troisième. Le quatrième œuf était clair". 10 Il est à noter que cette race d'oie reste encore de nos jours très 4 recherchée par les amateurs de beaux oiseaux, et qu'elle continue à pondre en plein hiver ayant gardé son calendrier interne à l'heure de l'Australie où elle se reproduit en été. La promenade continuait avec une "poulerie" à ne pas confondre avec un vulgaire poulailler. Issu des dernières recherches en matériaux de construction, le bâtiment était en forme de vaste monolithe circulaire et était construit en ciment Coignet (soit du béton aggloméré, une grande nouveauté initiée par l'ingénieur François Coignet). Ce ciment avait la particularité d'être imperméable à l'humidité. Ainsi mises à l'abri, les gallinacés offraient aux regards leurs plus belles parures : poules Padoues, noires à crêtes blanche, poules de Silkies, peau blanche à crête rouge, poules chamoises argentées, etc. Lors des dernières années du Second Empire, le public avait à sa disposition une seconde "poulerie" qui l'initiait à l'aviculture de demain. L'établissement d’Odile Martin était spécialisé dans l'engraissement mécanique des volailles. Cette "attraction agricole" était gérée de manière indépendante ; c'est pourquoi 50 centimes de droit d'entrée étaient demandés. Passé le seuil, les curieux découvraient l'élevage industriel en batterie. Jugez-en plutôt : "L'intérieur du bâtiment consacré à l'engraissement des volailles est occupé par six gigantesques épinettes tournantes contenant douze cents oiseaux. Au moyen d'un treuil monté sur chemin de fer, l'homme qui gave les volailles peut facilement s'élever à portée de chacun des poulets qui garnissent les compartiments de ces épinettes. Une lance en caoutchouc est introduite dans le bec de l'oiseau, et une pédale pressée par le pied de l'opérateur fait absorber en un clin d'œil à chaque volaille son copieux et succulent repas. Il en nourrit ainsi quatre cents par heure, et, au bout de dix-huit jours, le poulet a doublé de poids. On peut acheter sur place des volailles engraissées par le système de M. Martin, toutes parées et prêtes à être mises à la broche". 11 Autres animaux utiles à la campagne et aussi à la ville qui avaient trouvés tout naturellement leur place : les chiens. Un chenil réunissait des plus beaux spécimens de la race canine, des plus petits aux plus grands. La visite de ce bâtiment plaisait beaucoup car, de tous les animaux domestiques, les chiens étaient déjà très présents et très aimés dans les foyers. À leur côté se tenait étrangement un charmant fennec qui devait sa captivité à un projet de domestication. Ce renard du désert, pensait-on, une fois acclimaté pourrait prendre sa place dans la famille des animaux d'agrément, entre le chat et le carlin bichon. Le projet bien intéressant sur le papier n'a pas dû donner les résultats escomptés, car le fennec resta célibataire. Après la "poulerie" et le chenil, un bâtiment largement fermé se présentait devant les visiteurs. Le programme éducatif de la Société impériale d'Acclimatation n'était pas oublié, 5 puisqu'une magnanerie (un élevage de vers à soie) était ouvert aux promeneurs. Des milliers de petits vers grouillaient sur des feuilles de mûrier alors que d'autres compagnons étaient déjà en cocon. Il y avait là différentes espèces : des vers à soie ordinaires, des vers à soie du ricin (originaires d'Inde), des vers à soie du chêne (venus de Chine ainsi que l'arbre qui leur servait de lieu de vie et de victuaille), des vers à soie sauvages du Japon. Ce lieu était l'occasion d'une leçon de chose de la part des parents pour les enfants, qui pensaient plutôt à la suite de la visite plus alléchante : quelques bêtes "bizarres" étaient annoncées. Tout d'abord des "kanguroo" (orthographiés également "kangurous"). Déjà présents au Jardin des Plantes depuis le début du siècle, ils n'étaient pas une "première" en France. Mais ils étaient jugés très acclimatables, rustiques et faciles à nourrir. Et surtout "sa chair est excellente et il n'est pas plus nuisible qu'un rongeur ordinaire ; ce serait une bonne acquisition pour nos forêts, où il deviendrait promptement un gibier abondant et très amusant à chasser".12 L'acclimatation de cet animal était sans doute trop en avance sur son temps, car la consommation de viande de marsupiaux reste de nos jours encore confidentielle. La présence de tapirs, ces gros mammifères d'Amérique centrale et latine, pouvait sembler aussi étonnante, mais les responsables du Jardin espéraient acclimater l'animal, car son cuir était jugé meilleur que celui du bœuf, et la chair était fort bonne à manger. Les plats de tapirs étaient très recherchés au Brésil, mais cette mode culinaire ne prit pas à Paris. Un peu plus loin, et ce depuis les premières années du Jardin, se tenait tapi dans l'ombre un guépard. L'intérêt d'acclimater cet animal à l'agriculture européenne peut sembler ténu, mais l'utilisation du félin à la chasse à la gazelle en Égypte était le motif de sa présence à Paris. Et n'en déplaise aux tenants d'une ménagerie à vocation uniquement pédagogique, quelques frissons de peur devant un animal aux crocs acérés ou quelques éclats de rire devant les sauts des kangourous agrémentaient la promenade des petits et des grands visiteurs. Dressé au milieu du jardin, le bâtiment principal présentait dans des écuries prolongées d'enclos des animaux plus "traditionnels" pour une ménagerie : des antilopes, des mouflons, des cerfs, des lamas, des chèvres, des yacks, des hémiones (des ânes sauvages d'Asie). Cette énumération ne peut que faire penser aux espèces présentes au Jardin des Plantes qui depuis de nombreuses années connaissaient un franc succès populaire. Les bêtes disposaient d'un espace fermé par espèce, souvent pourvu d'un chalet qui servait d'abri, ou de rochers pour faire un peu d'exercice. Au centre de ce bâtiment se dresse un pavillon à balcon dont le rez-de-chaussée était occupé par le buffet. Tandis que le premier étage constituait un espace d'exhibition. Destiné tout 6 d'abord à des expositions d'œuvres artistiques, tableaux ou sculptures, inspirées par le genre végétal ou le genre animal, l'espace accueillit rapidement des expositions d'animaux vivants qui eurent un grand retentissement. Comme souvent, l'idée avait été empruntée à nos amisennemis anglais qui avaient organisé avec succès une première exposition d'animaux de race en 1860. En 1862, M. Drouyin de Lhuys, un des membres fondateurs de la Société impériale zoologique d'acclimatation, plaida pour l'ouverture d'une exhibition similaire à Paris : "On est aujourd'hui fixé sur l'heureuse influence que les Expositions ont exercée sur l'amélioration et la propagation des grandes espèces animales, chevaline, bovine, ovine et porcine. Dans tous les pays civilisés, ces Expositions se renouvellent périodiquement ; ce sont les grandes fêtes nationales de notre époque. Elles vulgarisent la connaissance et le goût des meilleures espèces et de leurs plus beaux types, stimulent l'émulation des amateurs, et impriment à l'industrie et au commerce des animaux un mouvement considérable. Les Expositions placent sous les yeux des amateurs les meilleures espèces et leurs plus beaux types. Elles font l'éducation du public". L'amélioration des races françaises, en l'occurrence les poules, était mise en avant : "Cette exposition, à laquelle ne seront point admis les animaux du Jardin zoologique, ayant lieu à l'entrée du printemps, au moment où l'on va partir pour la campagne, provoquera les demandes par la vue des sujets, facilitera et multipliera les acquisitions. On comprendra qu'au lieu de ces volailles chétives, voraces, turbulentes, sans aucune qualité, qui composent la plupart des basses-cours, et qui sont si dispendieuses à élever, on pourra, pour la même somme de nourriture, et par le choix seulement de quelques bons reproducteurs, doubler ses produits, sous le rapport de la ponte, du poids et de la succulence de la chair." 13 C'est ainsi que la première exposition de "volatiles d'élite" se tient du dimanche 20 avril au dimanche 27 avril 1862. À sa suite, eut lieu une seconde exposition de volatiles dès l'année suivante en 1863. Puis les sujets se diversifièrent : aux expositions canines alternaient les expositions d'apiculture ou d'ostréiculture. Bêtes et œufs (dans le cas des volatiles) étaient en vente pour les amateurs et les éleveurs. Des concours, dotés de prix en francs et de médailles, clôturaient les journées d'exposition. Les années passant, le Jardin d'Acclimatation se conforma de plus en plus aux attentes du public, en oubliant quelque peu les objectifs scientifiques qui avaient présidés à sa naissance. Il n'était plus question d'acclimatation lorsque les nouveaux venus étaient des orangs-outangs! Grâce aux représentants français dans les colonies d'outre-mer et les pays étrangers, le catalogue des animaux exposés s'enrichit d'année en année. Des orangs-outangs furent 7 envoyés de Batavia (l'Indonésie actuelle) par le consul général. Une femelle orang-outang, répondant au doux nom de Fanny, en était la vedette. Elle pouvait chaque matin se promener librement dans le Jardin avant son ouverture, et grimper tout à son aise dans les arbres. Un simple appel de son gardien la faisait revenir dans sa cage.14 Autre exemple, le gouverneur de la Guyane française fut chargé, via son administration, d'entrer en contact avec les Indiens du haut des rivières pour obtenir de nouveaux tapirs. 15 Dans le même registre proche de la ménagerie, venaient ensuite des phoques. Très souvent, leur aspect répugnait, "C'est un animal très laid ! Il a une tête de vilain chien, et pas d'oreilles, un corps en forme de betterave, une queue de poisson et deux nageoires très courtes. Le tout a l'air d'être en cuir noir, huilé et crotté à la fois".16 L'heure de leur repas était attendu par les visiteurs, car le bassin s'animait : "Ils savent à merveille l'heure où le gardien leur porte à manger, et quand vous les voyez nager brusquement et plonger en tous sens, se dresser hors de l'eau et tourner la tête du côté de l'aquarium, vous pouvez être aussi certain que quatre heures vont sonner que si vous aviez regardé une montre".17 La présence des phoques donna l'idée à quelques voyageurs de proposer leurs services au Jardin de zoologie pour rendre utile l'élevage de ces animaux à Paris. Ainsi un explorateur ayant parcouru pendant des années l'Afrique du Sud, fit-il une proposition à l'administration du Jardin : "Je me demandais à propos des phoques entretenus dans le grand bassin et qui commencent déjà à se civiliser au point de rechercher la volaille [À en croire ce témoin, les phoques alléchés par les nombreuses poules et faisans qui les entouraient, se seraient mués en prédateur de basse-cour !], quelle action leur éducation en vie privée, et surtout dans l'eau douce, et qui sait, peut-être aussi quelque nourriture distinguée appropriée à leur goût actuel, exerceraient sur la nature et le mérite de leurs peau et poil ?" 18 En effet, la jolie fourrure à poils courts et soyeux des phoques vivant dans les régions chaudes, comme le Cap de Bonne Espérance en Afrique australe, servait comme ornement des manteaux de luxe pour dames, des paletots et jaquettes de ces messieurs. Cette fourrure très appréciée, que l'on faisait souvent passer pour celle de la loutre, pourrait apporter de substantiels subsides à la Société d'acclimatation et aux futurs éleveurs. Mais le projet resta à l'état de proposition. C'est ainsi que par les belles journées de printemps ou d'été, une foule nombreuse déambulait dans les allées. De nombreux petits Parisiens passèrent bien des heures au grand air, surveillés par leurs gouvernantes ou par leurs parents. Un petit poème de cette époque nous permet d'imaginer des scènes de promenades familiales idylliques : Au Jardin d'acclimatation. 8 La bonne en blanc bonnet, Alice en robe blanche, Sa mère, ayant au front les fleurs du renouveau, Son père, retirant un panama nouveau Pour s'essuyer le front sous la brûlante haleine Dont la réjouissance atmosphère était pleine, Marchaient, l'un à côté de l'autre, en ce jardin Où le paon lumineux se couche auprès du daim, Où l'autruche au long cou parmi nous s'acclimate. 19 La fin de la matinée ou de la journée passée au Jardin d'Acclimatation se clôturait par une grande nouveauté : un aquarium ! Ce genre d'installation était très récente et intriguait beaucoup. Au dire des contemporains, il était plus beau et plus vaste que celui de Londres ! L'aquarium, en fait quatorze bassins, se trouvait dans une galerie étroite et obscure. Les bacs mesuraient 1,80 m de long sur 1 m de large. Dix bassins étaient remplis d'eau de mer, les quatre autres d'eau douce. Une mise en scène et en lumière mettaient en valeur les poissons de mer et de rivière qui s'y mouvaient : "Des parois de ces bacs, quatre sont en ardoise et la cinquième, celle du devant, formée d'une glace épaisse et parfaitement pure, permet de voir tout l'intérieur. Le sixième côté n'est pas fermé et reçoit la lumière qui vient d'en haut, et qui produit un effet d'optique très remarquable ; la surface de l'eau fait exactement l'effet d'un miroir qui reproduit tout l'intérieur du bassin, de façon à représenter une véritable caverne marine. Des fragments de roche arrangés d'une manière pittoresque, du sable et quelques végétaux aquatiques garnissent le fond de ces bacs." 20 L'effet était saisissant : "Maintenant il faut t'imaginer, écrivait une enfant en visite à Paris à sa sœur, que tu es au fond de la mer, et que tu peux y respirer comme dans ta chambre, ce qui est très important, tu penses." 21 Si les carpes, les brochets et autres anguilles étaient connus du grand public, il en allait différemment pour les espèces maritimes. Au milieu des algues et des anémones, les oursins, les crabes et les concombres de mer étonnaient par leurs drôles de forme. Les anémones de mer, ou actinées, fascinaient tout particulièrement le public qui découvrait des "êtres hybrides et mystérieux", se demandant si c'était "des animaux affligés d'immobilité" ou "des plantes douées de mouvement" 22 . Le rôle de "l'horrible bête" était dévolu à la pieuvre. Le monstre marin était suffisamment laid et difforme pour jeter une frayeur vite apaisée, aux âmes sensibles. Le bernard-l'ermite intriguait par sa facilité à utiliser la maison d'autrui. Il était surnommé ni plus ni moins "le fléau de Dieu pour les mollusques, l'Attila crustacé".23 Mais la singularité culinaire venait d'une salamandre mexicaine, un mets 9 parait-il apprécié dans ce pays lointain dont le nom était alors accolé à une expédition militaire malheureuse. Un chroniqueur de l'époque remarquait avec sarcasme que "jusqu'à présent, c'est tout ce que nous a valu notre expédition". 24 Répondant à un double objectif, le délassement des citadins et l'éveil de leur connaissance animalière, le Jardin d'Acclimatation devait attirer par sa "beauté et par les aliments innombrables qu'il offre à la curiosité intellectuelle" 25. Malheureusement pour la splendeur de ce jardin, la guerre de 1870 et le siège de Paris qui s'en suivit lui portèrent de rudes coups. Les animaux les plus rares et les plus précieux se retrouvèrent trop exposés à l'artillerie ennemie. De plus, ils devaient laisser leur place à des espèces plus communes mais plus comestibles comme des bœufs ou des moutons. Les premiers convois partirent en train vers les zoos de province ou de l'étranger. Mais l'arrêt des communications ferroviaires entre la capitale et le reste du pays mit fin à cette mise à l'abri. Les derniers animaux trouvèrent refuge à l'autre bout de Paris, au Jardin des Plantes. Pour un temps seulement, car la disette contraignit à leur abattage. Les deux éléphants répondant aux noms de Castor et Pollux, furent les victimes les plus importantes, tant par leur taille que par l'impact sur l'opinion publique. Les plantations végétales du Jardin d'Acclimatation subirent elles aussi de lourds dommages. Elles ne furent pas épargnées par les combats du siège et de la Commune de Paris. Après ses épreuves, le jardin ne retrouva pas son lustre, et des projets d'exposition bien différents des projets initiaux changèrent sa physionomie. Notes 1. Fontenay, Henri de, Boutades d'un promeneur dans Paris, Paris, F. de P. Mellado et Cie, 1867, p. 10. 2. Ducamp, Maxime, "Le jardin d'acclimatation" dans Annuaire de la Société impériale zoologique d'acclimatation et du Jardin d'Acclimatation du Bois de Boulogne, 1863, Paris, au siège de la Société impériale d'acclimatation, [1863], p. 1267. 3. Pichot, Pierre-Amédée, Livret-guide officiel. Jardin zoologique d'acclimatation. Bois de Boulogne, publié par l'administration, distribué gratuitement aux visiteurs, Paris, Société générale de distribution d'imprimés, [1870]. 4. Guide général du catalogue indicateur de Paris [Exposition universelle 1967), Paris, au siège de l'administration, 1867, p. 34. 5. Fath, Georges, Le Paris des enfants, petit voyage à travers la grande ville, Paris, Hachette, 1869, p. 22. 6. Ducamp, ibid., p. 1270. 10 7. Pichot, ibid., p. 3. 8. Ducamp, ibid., p. 1278. 9. "Exposition de volatiles du 19 au 26 avril 1868 "Bulletin de la Société impériale zoologique d'acclimatation, ibid., p. 485-500. 10. "Reproductions de Céréopses. Lettre de M. Edgar Roger à M. Geoffroy Saint-Hilaire", dans Bulletin de la Société impériale zoologique d'acclimatation, 2e série, Tome V; année 1868, Paris, au siège de la Société, 1868, p. 501-503. 11. Pichot, ibid., p. 10. 12. Ducamp, ibid., p. 1273. 13. Drouyin de Lhuys, Edouard, Société impériale zoologique d'acclimatation et jardin zoologique d'acclimatation, Exposition de volatiles au Jardin d'acclimatation du bois de Boulogne. Communication au nom du conseil, Séance du 14 mars 1862, Paris, impr. de E. Martinet, 1862. 14. "Le Jardin d'Acclimatation a reçu ces jours derniers …" dans Cosmos, revue encyclopédique hebdomadaire des progrès des sciences, XIXe année, 2 juillet 1870, p. 83-84. 15. Faits divers et extraits de correspondance. Lettre adressée à M. le directeur du Jardin d'Acclimatation […] avril 1864 par le Directeur des colonies et le Gouverneur de la Guyane française" dans Bulletin de la Société impériale zoologique d'acclimatation, 2e série, Tome V; 1868, Paris, au siège de la Société, p. 373. 16. Fath, ibid., p. 35. 16. Guide du promeneur au jardin zoologique d'acclimatation, Se vend au Jardin zoologique d'acclimatation, 1865. 17. ibidem, p. 175. 18. Héritte, Ernest, Industrie des peaux de phoques. A propos des phoques entretenu au Jardin d'acclimatation de Paris, Extrait du Bulletin de la Société d'acclimatation, 09-10 1870, Paris, impr. de E. Martinet, 1870, 6 p. 19. Bailly, Jules, Les heures de soleil. Poésies (1854-1879), Paris, Auguste Ghio, 1880, p. 124. 20. Fath, ibid., p. 36. 21. Pichot, ibid., p. 10. 22. Ducamp, ibid., p. 1281. 23. Ducamp, ibid., p. 1281. 23. Ducamp, ibid., p. 1282. 24. Ducamp, ibid., p. 1266. 11