Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc.
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Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc.
SOQUIJ . Intelligence Bernier et Traversiers Bourbonnais inc. 2015 QCTA 798 Date : 28 septembre 2015 Dossier : YM2707-10144 Plainte de congédiement injuste Section XIV - Partie III du Code canadien du travail Entre RENÉ BERNIER le plaignant et TRAVERSIERS BOURBONNAIS INC. l'employeur DÉCISION ARBITRALE Pour le plaignant : Me Guy Laporte Pour l'employeur : Me Alexandre Racine-Goyette Devant : Renaud Paquet, arbitre Entendu à Gatineau, Québec le 15 septembre 2015. Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 1 I. La plainte déposée [1] René Bernier travaillait comme homme de pont aux Traversiers Bourbonnais Inc. (« l'employeur »). Le 8 juillet 2014, l'employeur l'a avisé qu'il le congédiait. [2] M. Bernier prétend que la décision de l'employeur est un congédiement injuste. À cet égard, il a déposé le 22 juillet 2014 une plainte de congédiement injuste selon le paragraphe 240(1) du Code canadien du travail (le « Code »). Les documents qui m'ont été transmis indiquent que l'employeur a fourni par écrit sa version des faits à l'inspecteur du travail le 12 août 2014. Le 15 avril 2015, Me Laporte, l'avocat de M. Bernier, a indiqué qu'il voulait qu'un arbitre soit nommé pour entendre la plainte de M. Bernier. Le 26 mai 2015, j'étais nommé par la ministre du Travail pour entendre la plainte. II. Sommaire de la preuve [3] M. Bernier a témoigné. L'employeur a appelé Elaine Hayes et Sylvain Lamoureux comme témoins. Mme Hayes et M. Lamoureux travaillent tous deux pour Traversiers Bourbonnais Inc. à titre de directrice adjointe et de directeur adjoint. Ils occupaient ces postes pour toute la période où M. Bernier a été employé chez Traversiers Bourbonnais Inc. [4] Traversiers Bourbonnais Inc. opère un service de traversiers sur la rivière des Outaouais entre la rive québécoise et la rive ontarienne. Les traversiers transportent surtout des automobiles et des camions en plus de piétons et de marchandises. Le service fonctionne 12 mois par armée même si l'achalandage est plus grand pendant la période estivale. L'employeur compte sur une cinquantaine d'employés l'été, alors que ce nombre baisse d'une dizaine l'hiver. [5] Chaque traversier est conduit par un capitaine. Il y a aussi un homme de pont sur le traversier. Ce dernier guide les véhicules à l'embarquement et au Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 2 débarquement, ouvre et ferme la porte du traversier, collecte l'argent pendant la traversée et répond aux questions des clients à bord. L'homme de pont est l'image de l'entreprise car c'est avec lui que le client à un contact. [6] M. Bernier a été embauché par l'employeur comme homme de pont le 30 juin 2012. Il a occupé ce poste jusqu'à son congédiement, le 8 juillet 2014. Il était payé 17$ l'heure, recevait 3% de ses revenus dans un REER, avait accès au traversiers gratuitement pour son usage personnel et bénéficiait d'une allocation annuelle pour les vêtements. [7] Dès l'embauche et la formation initiale, l'employeur insiste auprès des nouveaux employés pour leur demander d'être polis, courtois et d'avoir une « belle façon » avec les clients. Il leur demande de toujours aider les clients. Il leur dit que c'est leur travail « d'être gentil ». Chaque année, lors de la réunion annuelle des employés, l'employeur revient sur ce thème et rappelle aux employés d'être poli avec les clients. L'employeur insiste auprès d'eux pour qu'ils gardent leur calme en tout temps avec les clients plus difficiles. Dans les cas les plus difficiles, l'homme de pont peut suggérer au client d'appeler ou d'envoyer un courriel à la direction de l'entreprise. Toutes ces mesures sont prises pour s'assurer que les clients reviennent. [8] L'employeur donne une formation initiale d'une à deux semaines aux nouveaux hommes de pont. Puis, quelques mois plus tard, le nouvel homme de pont doit suivre une formation de l'Institut Maritime du Québec à Lévis d'une durée de quatre jours. L'employeur assume les frais de cette formation. M. Bernier a reçu la formation initiale et s'est rendu à Lévis pour les quatre jours de formation de l'Institut maritime du Québec. IL a aussi assisté aux réunions annuelles en 2013 et 2014. [9] M. Lamoureux et Mme Hayes ont témoigné de quelques incidents qui se sont produits au cours des deux années où M. Bernier a travaillé pour l'employeur. Dans chaque cas, M. Lamoureux ou Mme Hayes sont intervenus et Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 3 ont demandé à M. Bernier de corriger son comportement. Je vais relater, dans les paragraphes suivants la preuve testimoniale reliée à ces incidents. [10] Le 2 novembre 2012, l'employeur a reçu une plainte d'un client qui avait vu M. Bernier pousser ou frapper son colis par terre avec ses pieds tout au long du pont du traversier. L'incident a été filmé par la caméra de surveillance de l'employeur. Lorsque M. Lamoureux lui a demandé pourquoi il avait agi de la sorte, M. Bernier a répondu que le transport de colis n'était pas dans ses tâches. M. Lamoureux lui a répondu qu'il avait tort d'avoir agi ainsi et que si la haute direction savait ce qu'il avait fait, il serait congédié. M. Bernier s'est engagé à ne plus frapper de colis. Il a admis l'incident à l'audience. [11] Le 11 février 2013, M. Lamoureux a rencontré M. Bernier à la suite d'une plainte qu'il avait reçu d'un capitaine qui disait que M. Bernier ne suivait pas les instructions et qu'il n'était pas là à temps pour ouvrir la porte du traversier ou pour la fermer. Selon M. Lamoureux, M. Bernier a alors dit qu'il ferait des efforts pour s'améliorer. M. Bernier a admis à l'audience qu'il est possible qu'il n'était pas à la porte à temps. Il a ajouté que c'était sans doute le capitaine Gagné qui s'était plaint. [12] Le 28 février 2013, M. Lamoureux a reçu une plainte téléphonique d'un client qui disait que M. Bernier lui avait manqué de courtoisie et de politesse. Quand M. Lamoureux a rencontré M. Bernier pour discuter de la plainte, ce dernier lui aurait dit qu'il y avait eu un accrochage sur le traversier. M. Lamoureux a avisé M. Bernier que c'était son dernier avis verbal. [13] Alors qu'il était employé aux Traversiers Bourbonnais Inc., M. Bernier s'est plaint à quelques reprises à la direction que certains capitaines fumaient dans leur cabine. Cela irritait M. Bernier qui lui-même avait arrêté de fumer. Selon lui, quelques-unes des plaintes contre lui ont été déposées par des capitaines contre qui il s'était déjà plaint. Il croît que les plaintes de ces employés furent faites en guise de représailles. Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. [14] 4 En mai 2013, Mme Hayes et M. Lamoureux ont reçu des plaintes d'employés offusqués par le fait que M. Bernier piétinait un chandail du Canadien de Montréal sur le pont du traversier à la suite de la série qui opposaient les Canadiens aux Sénateurs d'Ottawa. Le 10 mai 2013, Mme Hayes et M. Lamoureux ont discuté de cet indicent avec M. Bernier. Ils lui ont dit de lâcher prise, car la série était terminée. M. Bernier s'est conformé. [15] Le 13 novembre 2013, Mme Hayes et M. Lamoureux ont rencontré M. Bernier et lui ont remis un avis disciplinaire au sujet d'un incident qui serait survenu le 9 novembre 2013. Un client du nom d'André Houle était passager d'un véhicule. La conductrice du véhicule a demandé à M. Bernier qu'il avise le conducteur du véhicule à l'avant du sien de fermer son moteur à cause des émanations dégagées. M. Bernier dit qu'il a avisé le conducteur du véhicule avant de fermer son moteur, mais ce dernier ne l'a pas fait. M. Bernier dit que M. Houle lui courait après sur le traversier pour faire fermer le moteur du véhicule avant. M. Bernier dit que quelques jours après, M. Houle était sur le traversier et que le moteur de son véhicule était ouvert. Il lui a clairement fait signe de fermer son moteur et lui a montré l'inscription à cet effet sur le traversier. Quoiqu'il en soit, M. Bernier a accepté l'avis disciplinaire qu'il a signé en présence de Mme Hayes et de M. Lamoureux. L'avis écrit fait mention qu'il a reçu un avertissement au sujet de « manque de respect et courtoisie envers client ». L'avis indique aussi que si le problème persistait, M. Bernier serait suspendu pour une semaine. Lors de son témoignage, M. Lamoureux a déclaré qu'il avait alors aussi avisé M. Bernier qu'il pourrait être congédié en cas d'offenses plus graves. [16] Les notes extraites des dossiers de M. Lamoureux indiquent que le 20 janvier 2014, un chef d'équipe a avisé M. Lamoureux qu'il y avait eu un incident impliquant M. Bernier avec un client. Toutefois, M. Lamoureux ne se souvenait plus de l'incident lors de son témoignage. Mme Hayes dit que la direction a rencontré M. Bernier au sujet de cet incident sans en préciser la nature. Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. [17] 5 Le 7 mars 2014, M. Lamoureux a rencontré M. Bernier pour discuter avec lui d'une plainte qu'il avait reçu du capitaine Gagné qui disait que M. Bernier avait de la difficulté à suivre les consignes. La plainte avait trait au fait que M. Bernier n'était pas à temps à la porte du traversier. [18] Mme Hayes a témoigné que l'employeur avait aussi reçu une autre plainte d'un capitaine sur le fait que M. Bernier ne suivait pas les directives qui spécifiaient qu'il devait attendre le capitaine à la fin du quart de travail lorsque ce dernier descendait dans la calle du traversier pour vérifier si tout était en ordre. Selon Mme Hayes, M. Bernier ne suivait pas toujours cette directive. Il ne suivait pas toujours non plus la directive voulant qu'il devait accompagner le capitaine lorsque ce dernier faisait le dépôt d'argent aux bureaux situés non loin de la traverse à la fin du quart de travail. Mme Hayes dit qu'elle a rencontré M. Bernier avec M. Lamoureux pour lui dire de se conformer à ces directives. Mme Hayes n'a pas spécifié les dates où ces manquements se sont produits et la date de la rencontre. [19] Le dernier incident est celui qui a mené au congédiement de M. Bernier. L'incident s'est produit le 28 juin 2014, mais la plainte du client a été formulée le 2 juillet 2014 en anglais par courriel à [email protected]. Le courriel se lit comme suit : Hi, Last Saturday I took the ferry #1 from Cumberland at around 12:20 am and I had the worse experience ever. When I arrived down near the dock, the person that should have directed to the the ferry was on phone with someone and was not given direction on which side to go to take the ferry. then I entered the ferry located on the east side and the guy on the boat was pointing in no particular direction where I should go so I went in the middle row. Well then he started screaming at me and was cursing at me like Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 6 "ostie, christ to voit pas clair" I had no idea what he was talking about. then I paid my $9.00 for a 5 min ferry ride, when he give me back my change he dropped it on the boat deck without even saying anything. I had to get out of my car to get my $41 before it would have blown away by the wind. then when it was time to exit the boat, he let everyone else out of the boat and was standing in front of my vehicle and he said., next time "you will listen to me.." this type of service is totally unacceptable, he should be fired immediately, there are so many good people looking for employment why do you hire people that have attitudes and treats the customer errangntly. [Sic tout au long de la citation] [20] Le signataire de cette plainte, dont je choisis de taire l'identité et que j'appellerai WK pour les besoins de rédaction, a refusé de venir témoigner car il craignait pour sa sécurité. Compte tenu que WK n'était pas présent à l'audience, Me Laporte s'est objecté à l'admission du courriel de WK en preuve. Dans les semaines qui ont précédé la présente audience, M. Lamoureux a parlé trois fois avec WK pour qu'il vienne témoigner. Il a refusé, disant se sentir intimidé. Au cours de la dernière conversation, il a raccroché « la hgne au nez » de M. Lamoureux. À partir de là, il n'a plus répondu aux appels de M. Lamoureux. Le 30 août 2015, Mme Racine-Goyette a envoyé par hussier une citation à comparaître à WK. L'huissier n'a pu livrer la citation à comparaître, car WK avait déménagé. Le 9 septembre 2015, à ma suggestion, Me Racine-Goyette a envoyé un courriel à WK, lui offrant de témoigner par téléphone. WK n'a jamais répondu à ce courriel. Je reviendrai sur la question de l'admissibilité de ce courriel dans la section « Motifs » de ma décision. [21] La plainte de WK a été reçue aux bureaux de l'employeur et remise à Mme Hayes. M. Bernier avait déjà parlé d'une partie de l'incident impliquant WK avec Mme Hayes et M. Lamoureux avant que la plainte n'arrive. M. Bernier aurait Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 7 alors dit à M. Lamoureux qu'il y avait eu un indicent avec un client qui ne l'avait pas écouté et qu'il l'avait fait sortir le dernier du traversier. Après avoir reçu et lu la plainte écrite, Mme Hayes l'a remise à M. Lamoureux. Il a appelé WK et il s'est excusé au nom de Traversiers Bourbonnais pour l'incident en question. WK lui a dit que c'était sa « pire expérience ». Selon M. Lamoureux, WK a repris verbalement les mêmes propos qu'il avait écrits dans son courriel. En guise d'excuses, M. Lamoureux lui a envoyé deux billets gratuits pour ses prochaines traversées. Il ne se souvient pas d'avoir ou de ne pas avoir accompagné les billets d'une lettre. [22] Mme Hayes et M. Lamoureux ont par la suite visionné les enregistrements vidéo qui montraient une partie de l'incident. On y voyait M. Bernier faire sortir les deux premiers véhicules de la rangée du centre, puis arrêter de faire sortir la rangée du centre un fois rendu au véhicule de WK, puis faire sortir les véhicules positionnés sur les deux côtés, puis en tout dernier revenir au véhicule de WK encore bloqué dans la rangée du centre pour enfin le faire sortir. Cela est tout à fait contraire à la pratique qui veut que les premiers véhicules à sortir sont tous ceux de la rangée du centre. Mme Hayes et M. Lamoureux ont témoigné que les enregistrements vidéo montrent clairement que M. Bernier bloque délibérément la sortie au véhicule de WK en se « plantant devant ». Puis, les enregistrements montrent M. Bernier parlant à WK en pointant et bougeant le doigt et le bras vers lui en lui parlant. Son langage corporel semblait agressif. Pour Mme Hayes et M. Lamoureux, il était clair que M. Bernier voulait punir WK. Enfin, selon eux, les enregistrements vidéo confirment les propos du courriel de WK et la conversation téléphonique que M. Lamoureux avait eu avec lui. [23] Mme Hayes a dit, en parlant avec M. Lamoureux, que M. Bernier ne se corrigerait jamais et que l'employeur devait le congédier. Pour eux, ce dernier incident était inacceptable. Ils en ont d'ailleurs discuté avec M. Bourbonnais, le vice-président de l'entreprise, qui était d'accord avec eux. Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. [23] 8 Lors de la rencontre disciplinaire du 8 juillet 2014, M. Lamoureux dit avoir présenté le courriel de WK à M. Bernier. Mme Hayes a témoigné dans le même sens. M. Bernier dit par contre que le courriel de WK ne lui a pas été montré lors de la rencontre disciplinaire. Quoiqu'il en soit, M. Bernier admet que le contenu du courriel a alors été discuté avec lui. [24] Dans son témoignage, M. Bernier a fourni la même explication qu'il avait donné à Mme Hayes et M. Lamoureux lors de l'entrevue disciplinaire du 8 juillet 2014. Selon M. Bernier, WK n'a pas suivi ses instructions en entrant sur le traversier. Il y avait déjà deux véhicules au centre et M. Bernier voulait que WK place son véhicule sur une des deux rangées de côté, de sorte qu'il reste de la place au centre au cas où un gros camion arrivait. Selon M. Bernier, WK a ignoré la consigne et s'est placé au centre. M. Bernier dit qu'il n'avait pas le temps d'aller parler à WK, car il devait s'occuper des autres véhicules qui arrivaient. Il dit qu'il ne lui a pas crié « ostie de christ tu vois pas clair » mais qu'il lui a plutôt crié «cou donc toé es-tu aveugle». Sur la question du 41$ échappé par terre, M. Bernier a témoigné qu'il a remis deux billets de 20$ et une pièce de 1$ à WK. Il dit qu'en reprenant son argent WK, à un certain moment a changé de main de sorte que la pièce de 1$ est tombé sur le pont du traversier. Par contre, il dit ne pas avoir vu le 1$ sur le pont et ne pas l'avoir ramassé. Il dit que les deux 20$ ne sont pas tombés sur le pont, et que s'ils étaient tombés, ils seraient certainement partis au vent. Enfin, il admet s'être placé devant le véhicule de WK et l'avoir empêché de sortir de façon à le garder pour la fin. M. Bernier dit qu'il lui a dit avant de le laisser sortir : « Next time sir, listen to me ». M. Bernier a témoigné que WK lui a alors répondu des grossièretés. [25] Tout de suite après son congédiement, M. Bernier a pris des vacances au Nouveau-Brunswick. Puis, il a reçu des prestations d'assurances emploi pour une courte période. Par la suite, il a travaillé comme couvreur, métier qu'il avait exercé plusieurs années avant de travailler chez Traversiers Bourbonnais Inc. Il travaille actuellement à temps plein, mais de façon non permanente à l'entretien ménager à l'hôpital de Gatineau. Son salaire horaire actuel est quelque peu Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 9 supérieur à celui qu'il recevait chez Traversiers Bourbonnais Inc. et ses bénéfices sont supérieurs. Par contre, il ne détient pas de poste régulier pour l'instant. III. Sommaire des arguments [26] Selon Me Racine-Goyette, je devrais admettre en preuve la plainte par courriel de WK, car il s'agit d'un document élaboré dans le cadre des activités de l'entreprise. Qui plus est, la preuve révèle que WK avait peur de venir témoigner. Enfin, le contenu du courriel a été corroboré par les témoignages à l'audience ainsi que par les enregistrements vidéo. [27] Pour Me Racine-Goyette, le congédiement de M. Bernier était juste. L'acte ultime impliquant WK constitue une faute grave. Qui plus est, auparavant, il y avait eu plusieurs avertissements disciplinaires servis à M. Bernier et ce dernier n'a pas corrigé son comportement fautif. La plainte de WK à elle seule justifiait le congédiement et, de surcroit, elle faisait suite à plusieurs autres incidents. Enfin, même aujourd'hui, M. Bernier n'a aucun regret face à ce qu'il a fait. [28] En appui à sa position, Me Racine-Goyette m'a renvoyé aux décisions suivantes : Lussier c. Banque royale du Canada, 2001 D.A.T.C. no 415; Banque Nationale du Canada c. Lajoie, 2007 CF 1130; Hôtel La Saguenéenne c. Union des employés et employées de service, section locale 800, 2002 SOQUIJ AZ-03141025; Station Mont-Tremblant c. Syndicat des travailleurs (euses) de la station Mont-Tremblant (CSN), 2004 CanLII 55488 (QC SAT). [29] Me Laporte a réitéré sa position sur rinadmissibihté en preuve du courriel de WK. Il aurait bien voulu poser des questions à WK sur les faits invoqués dans le courriel mais il n'a pu le faire car WK n'a pas témoigné. [30] Me Laporte a argumenté que l'employeur ne peut congédier une employé pour cause juste que s'il fait la preuve des actes reprochés, qu'une telle conduite Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 10 justifie une mesure disciplinaire et que le congédiement est la mesure appropriée. La mesure disciplinaire doit être proportionnelle aux actes commis. Elle doit faire suite à une décision rationnelle, prise de bonne foi, de façon non discriminatoire et équitable. La mesure doit viser la correction d'un comportement et elle doit être conforme au principe de la progression des sanctions. [31] Dans le cas de M. Bernier, l'employeur, selon Me Laporte, a fait un « ramassis de fond de tiroir » pour tenter de justifier la progression des sanctions. Il n'a pas prouvé que les fautes reprochées dans le passé et celles de l'incident avec WK étaient de même nature. Ce dernier incident n'a rien à voir avec les autres. Qui plus est, Mme Hayes dans son témoignage n'a jamais dit que M. Lamoureux avait contacté WK par téléphone au moment de l'incident en juillet 2014. M. Lamoureux dit avoir envoyé des billets à WK, mais il ne se souvient pas s'il a accompagné les billets d'une lettre. Selon Me Laporte, tout cela porte à croire qu'il n'est pas vrai que M. Lamoureux a parlé avec WK en juillet 2014. [32] Selon Me Laporte, la procédure utilisée pour congédier M. Bernier n'est pas juste et équitable. L'employeur a pris la décision de le congédier avant d'obtenir sa version des faits. L'employeur n'a pas fait enquête correctement avant de prendre la décision de congédier M. Bernier. [33] Me Laporte a aussi argumenté que l'employeur n'a pas respecté le principe de la progression des sanctions. Certes, il a eu quelques discussions avec M. Bernier eu égard à sa façon d'être, mais il ne s'agit pas là de mesures disciplinaires. Puis, il a reçu un avis écrit et, comme mesure suivante, on l'a congédié. Dans le cas de l'incident impliquant WK, on aurait dû le suspendre et non pas le congédier si on considérait qu'il avait mal agi. [34] Me Laporte me demande d'accueillir la plainte. M. Bernier ne demande pas son emploi chez l'employeur. Il réclame plutôt le salaire perdu. Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 11 IV. Motifs de décision [35] Le cadre juridique sur lequel repose une plainte de congédiement injuste selon le Code est le suivant : 240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si : a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur; bj d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective. (2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement. (3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir. [...] 242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement. (2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre : a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil; bj fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part; c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c). (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre : a) décide si le congédiement était injuste; bj transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre. (3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants : a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste; b,) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours. (4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur : a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié; b) de réintégrer le plaignant dans son emploi; c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier. [36] Les faits au dossier et la preuve soumise démontrent que la plainte de M. Bernier rencontre les critères énoncés à l'article 240 du Code. D'une part, M. Bernier travaillait pour l'employeur depuis plus de douze mois sans interruption (240(l)a)) et il ne faisait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective (240(l)b)). D'autre part, il a déposé sa plainte dans Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 13 les 90 jours qui ont suivi son licenciement (240(2)). Qui plus est, il est clair que M. Bernier n'a pas été licencié pour manque de travail (242(3.l)a)), mais plutôt congédié pour des motifs disciplinaires. [37] Avant de trancher la plainte sur le fond, je vais disposer de la question de l'admissibilité en preuve du courriel de WK. Pour les raisons suivantes, je vais admettre, mais avec certaines réserves, le courriel de WK en preuve. Premièrement, l'employeur et son procureur m'ont démontré qu'ils ont fait de multiples efforts afin que WK se présente à l'audience. M. Lamoureux a appelé WK plusieurs fois. Me Racine-Goyette lui a envoyé une citation à comparaître. La possibilité lui a même été offerte de témoigner par téléphone. WK a refusé de collaborer par crainte, fondée ou non, de représailles. Deuxièmement, les enregistrements vidéo, le témoignage de M. Lamoureux et même celui de M. Bernier viennent largement corroborer ce qui est écrit dans le courriel. Ils permettent de vérifier la vraisemblance ou la fidélité de ce qui y est écrit par rapport à ce qui s'est produit ce jour-là. [38] Dans Hôtel La Saguenéenne, l'arbitre a accepté en preuve une plainte écrite de clients contre un employé en l'absence des signataires de la plainte à l'audience. L'arbitre a conclu que la plainte écrite pouvait être admise en preuve, car il s'agissait d'un document élaboré dans le cours des activités de l'entreprise et qu'il aurait été déraisonnable de demander aux clients de venir de Québec à Chicoutimi pour attester de la véracité et du bien-fondé de leurs propos. Dans Station Mont-Tremblant, l'arbitre arrive à une conclusion comparable. [39] La version des témoins par rapport à ce qui est écrit dans le courriel de WK varie quelque peu. Je ferai la part des choses en accordant plus de poids aux témoignages qu'aux propos écrits par WK qui, dans les circonstances, ne peuvent faire l'objet d'un contre-interrogatoire. [40] Le preuve révèle, qu'avant l'incident du 28 juin 2014 impliquant WK, le dossier de M. Bernier n'était pas sans tâche. Les blâmes que l'employeur lui avait Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 14 jusque-là adressés visaient son comportement à l'égard de collègues de travail ou de clients. D'une part, certains capitaines se sont plaint de la qualité du travail ou de l'attitude de M. Bernier qui ne suivaient pas toujours les instructions. L'employeur a rencontré M. Bernier à quatre reprises en 2013 et 2014 pour discuter de ces plaintes. D'autre part, des clients se sont aussi plaint de l'attitude ou du comportement de M. Bernier. En novembre 2012, un client s'est plaint que M. Bernier avait poussé ou frappé son colis sur le pont du bateau au lieu de le transporter. En février 2013, un client s'est plaint du manque de courtoisie et de politesse de M. Bernier. En novembre 2013, M. Bernier a reçu un avis disciplinaire au sujet d'un incident impliquant une nouvelle fois le manque de courtoisie et de respect envers un client. [41] Je ne suis pas d'accord avec Me Laporte que tous ces reproches adressés à M. Bernier ne soient qu'un « ramassis de fond de tiroir ». Certes, il s'agit dans quelques cas d'incidents plutôt mineurs. Néanmoins, l'employeur y attachait assez d'importance pour les noter au dossier de M. Bernier et prendre le temps de le rencontrer pour en discuter. D'ailleurs, Mme Hayes et M. Lamoureux ont témoigné de la grande importance que l'entreprise attache au respect et à la courtoisie envers les clients. Je ne suis pas d'accord non plus avec Me Laporte que l'incident du 28 juin 2015 n'a rien à voir avec les fautes auparavant reprochées à M. Bernier. Tous ces incidents ont trait aux comportements de M. Bernier dans ses interrelations avec ses collègues de travail ou les clients. [42] Néanmoins, on ne peut prétendre que l'employeur a appliqué le principe de la progression des sanctions en passant d'un seul coup de la réprimande écrite de novembre 2013 au congédiement de juillet 2014. Il s'agit plutôt de voir si la faute de juin 2014 de M. Bernier me permet de déterminer si le congédiement est juste. Ce qui s'est passé dans les deux ans précédant le congédiement peut par contre servir de contexte pour évaluer la décision de l'employeur. On ne peut par contre prétendre à la progression des sanctions. Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. [43] 15 Les articles 240 et suivants du Code visent à protéger les employés qui y sont assujettis contre le congédiement injuste. La notion de « congédiement injuste » et celle de « congédiement pour cause juste et suffisante » sont différentes. La Cour fédérale d'appel, dans Wilson c. Énergie Atomique du Canada Limitée, 2015 CAF 17, qualifie ainsi le congédiement injuste : [91 ] Dans l'affaire Boisvert, la majorité de notre Cour a entrepris d'interpréter l'expression « congédiement injuste » en examinant la jurisprudence de common law (voir, par ex., aux pages 458 et 459). Dans ses motifs concordants, le juge Marceau a tenté de définir l'expression « congédiement injuste » en examinant son contraire, le congédiement juste. Il a défini le congédiement juste comme « un licenciement qui se rattache à une cause objective, réelle et sérieuse [...] et se présente comme une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise ». Notre Cour ne disait pas que, si on la replaçait dans son contexte approprié, la « cause réelle et sérieuse » devait viser l'employé concerné. Le motif du congédiement devait plutôt supposer « une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise », et ce, indépendamment « des incompatibilités d'humeur, des convenances ou des mésintelligences purement personnelles ». [44] Pour décider si le congédiement de M. Bernier est juste, il faut, sur la base de la preuve soumise, que je détermine si M. Bernier a été congédié pour des motifs objectifs, réels et sérieux liés au bon fonctionnement de l'entreprise et non pas pour des motifs farfelus liés à des convenances personnelles. [45] La preuve révèle que le 28 juin 2015, M. Bernier a crié au client WK « ostie de christ tu vois pas clair » ou « cou donc toé es-tu aveugle » selon la version de WK ou celle de M. Bernier. Cela importe peu, car il d'agit là de deux façons inacceptables de parler à un client. La preuve révèle aussi que 1$ ou 41$ sont tombés sur le pont quand M. Bernier a remis le change à WK. M. Bernier ne s'en est pas soucié, n'a pas cherché l'argent sur le pont et a laissé le client s'arranger seul. Il s'agit là aussi d'un comportement inacceptable. Enfin, la preuve révèle Bernier c. Traversiers Bourbonnais Inc. 16 que M. Bernier a littéralement bloqué la route à WK en se plaçant devant son véhicule et en l'empêchant de sortir. M. Bernier a alors voulu donner une leçon ou punir le client pour ne pas s'être stationné dans la rangée de côté. Il s'agit là aussi d'un comportement inacceptable à l'égard d'un client. On ne punit pas ou on ne donne pas de leçon à un client. [46] Les écarts de comportement de M. Bernier le 28 juin 2014 constituent des motifs objectifs, réels et sérieux de congédiement. Ils sont directement liés au bon fonctionnement de l'entreprise pour qui, comme la preuve le révèle, le respect et la courtoisie à l'égard des clients importent. Rien dans la preuve soumise ne me laisse croire que l'employeur aurait alors agi pour des convenances personnelles, de façon arbitraire ou sur une base discriminatoire. [47] L'employeur aurait pu décider de ne pas congédier M. Bernier et de le suspendre sans salaire pour une période de temps significative. Il en a décidé autrement sur une base objective et pour des motifs réels et sérieux ayant trait au manque de respect et de courtoisie de M. Bernier envers la clientèle. [481 Dans les circonstances et compte tenu de la jurisprudence, la décision de l'employeur de congédier M. Bernier n'est pas injuste au sens du Code canadien du travail. V. Ordonnance [49] La plainte de M. René Bernier portant le numéro YM2707-10144 est rejetée. Renaud Paquet, PhD Arbitre de relations du travail