Les étudiants non-voyants et leur relation avec la littérature

Transcription

Les étudiants non-voyants et leur relation avec la littérature
MASTER 1 LETTRES MODERNES
Parcours Discours, Culture, Médias
Céline Fouque
Les étudiants non-voyants et leur
relation avec la littérature
Directeur de mémoire : Michel Bernard
2012-2013
2
Remerciements
En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements les plus
sincères aux personnes qui m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de
ce mémoire.
Je tiens à remercier Monsieur Michel Bernard, directeur de recherche de ce
mémoire, pour son aide et le temps qu’il a bien voulu me consacrer.
Je remercie sincèrement toutes les personnes rencontrées lors des recherches
effectué et en particulier tous les étudiants non-voyants qui ont accepté de me rencontrer
et de répondre à mes questions.
Un grand merci à Michel Tessier qui m’a accueillie dans son association Le
Livre de l’Aveugle et à toute son équipe pour leur générosité. Ils m’ont été d’une grande
aide pour mes recherches.
Merci à la mission handicap de l’université Sorbonne Nouvelle, qui m’a permis
de comprendre le fonctionnement du travail universitaire des étudiants non-voyants.
Enfin, j’adresse mes profonds remerciements à ma famille, ma mère, mon père,
Camille et tous mes proches et amis, qui m’ont soutenue et encouragée au cours de la
réalisation de ce mémoire.
3
SOMMAIRE
Introduction
6
I État de l'art de l'accès à la littérature pour les non-voyants
10
1 Les outils d’accès
10
1.1 Le braille………………………………………………………………
10
1.2 L’audio et la synthèse vocale…………………………………………
15
1.3 Les logiciels et internet……………………………………………….
16
2 La difficulté d’accès à ces outils
18
2.1 Le prix des outils……………………………………………………..
19
2.2 Le rôle des maisons d’édition………………………………………..
20
2.3 Le rôle des associations……………………………………………….
22
3 Les lois et les aménagements
24
3.1 Les lois…………………………………………………………………
24
3.2 Les aides financières et aménagement des bibliothèques……………
25
4 Comparaison avec d’autres pays
27
4.1 Les aides financières…………………………………………………
27
4.2 Les droits d’auteur……………………………………………………
28
4.3 Les lois et internet…………………………………………………….
30
II Ce que l’objet livre représente pour les non-voyants
32
1 Le livre braille
32
1.1 L’utilisation du livre braille……………………………………………
32
1.2 La perception de l’objet livre…………………………………………
34
2 Le livre audio
35
2.1 L’utilisation du livre audio et de la synthèse vocale………………….
35
2.2 La qualité et la perception du livre audio……………………………
36
3 Les bibliothèques
37
3.1 L’emprunt des livres en braille………………………………………
38
3.2 L’emprunt des livres audio…………………………………………
39
4
III La perception de la littérature, de l’écrit
41
1 La relation avec l’écrit
41
1.1 Le braille ou l’audio ? ………………………………………………
41
1.2 L’orthographe et le braille……………………………………………
44
2 La lecture
45
2.1 L’appropriation du texte……………………………………………
45
2.2 L’importance des descriptions………………………………………
47
2.3 Se repérer à travers le texte…………………………………………
48
3 L’analyse littéraire
50
3.1 Les conditions de travail lors d’un examen…………………………
50
3.2 Le temps de travail pour l’analyse littéraire…………………………
52
3.3 L’analyse littéraire et ses figures de style……………………………
53
Conclusion
55
Références bibliographiques
59
5
INTRODUCTION
La littérature est une discipline qui n’a cessé d’évoluer, de se développer à
travers des auteurs et des mouvements au cours des siècles. Il s’agit d’une discipline qui
a suscité et suscite encore de nombreux sentiments et débats. C'est au XVIIIème siècle
que la définition de la littérature aboutit à son sens principal, celui d’une littérature
conçue comme « un ensemble d’œuvres écrites ou orales comportant une dimension
esthétique »1. Elle se révèle être un aspect de la communication verbale, qu'elle soit
orale ou écrite, jouant avec la langue par des figures de style, l'emploi d'un champ
lexical particulier, la ponctuation, afin d'engendrer différents effets sur le lecteur. La
littérature ne se limite donc pas à la transmission d’un récit mais se distingue par sa
fonction esthétique. De cette façon, lors d’une analyse littéraire, ce qui est étudié est à la
fois le message de l’auteur mais aussi la mise en forme de ce message.
Aujourd’hui la littérature subit quelques modifications, notamment dues aux
évolutions numériques. En effet, de nouveaux sujets sont abordés par les écrivains qui
tentent de nouvelles expériences avec de nouveaux supports. Ainsi, la littérature
numérique se développe progressivement et participe à la modification de la nature et
du support traditionnel de la littérature. Philippe Bootz définit la littérature comme
« toute forme narrative ou poétique qui utilise le dispositif informatique comme
médium et met en œuvre une ou plusieurs propriétés spécifiques à ce médium »2. Il se
développe également les livres audio, des livres dont la lecture a été enregistrée,
disponibles sous forme de disques compacts ou en format mp3.
Mais, malgré cette floraison de nouvelles formes littéraires, le livre papier reste
le support le plus utilisé. Pour la majorité des lecteurs, le livre papier est le symbole de
la littérature. L’objet livre fait partie du plaisir de la lecture et reste donc indissociable
de l’exercice de la lecture. En France, selon une enquête de la Chaire Economique
numérique de l'Université Paris-Dauphine, réalisée en ligne auprès de 1985 internautes
de 15 ans et plus entre le 17 janvier 2013 et le 31 janvier 2013, 55,2% des personnes
1
Dictionnaire de français Larousse. [En ligne]
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/litt%C3%A9rature/47503 Consulté le 11 décembre 2012.
2
OLATS, Leonardo, BOOTZ, Philippe. Qu’est-ce que la littérature numérique? Décembre 2006. [En
ligne] http://www.olats.org/livresetudes/basiques/litteraturenumerique/1_basiquesLN.php Consulté le 22
janvier 2013.
6
interrogées affirment ne pas vouloir lâcher le papier3. Le résultat de cette enquête
illustre bien l'importance
que possède le livre pour les lecteurs. Un débat actuel
s'interrogeant sur la nature exacte du livre numérique, représente l’attachement porté au
livre papier. En effet, les fervents défenseurs du livre papier refusent l'idée de nommer
le livre numérique par le terme de « livre » car il ne s’agit en aucun cas, pour eux, d’un
livre, le livre étant le livre papier.
Ainsi, le livre n’est pas qu’un simple support. La littérature fait intervenir
plusieurs des cinq sens de l’homme. Lors de la lecture, le lecteur stimule le sens du
toucher, de l’odorat et celui de la vue. L’odeur du papier, son toucher, le son des pages
qui se tournent sont indissociables de la lecture ; lire se traduit par avoir du papier entre
les mains. L’objet livre participe au plaisir de la lecture. Il est régulièrement sacralisé
par le lecteur, considéré comme un témoin de l'histoire et un marqueur culturel. Il est
indissociable de la perception de la littérature puisque, dans l’imaginaire collectif, la
littérature est représentée par le livre papier. En effet, lorsque l’on tente d’illustrer le
terme littérature, l’image de livres est la plus utilisée, puis viennent les images
d’écritures, de stylos ou de plumes. Le sens de la vue est largement mis à contribution
dans la relation avec la littérature. Tout d’abord par la couverture, que le lecteur voit en
premier, dont l’aspect est influent, attirant le lecteur. Le sens de la vue est ensuite mis en
action par le déchiffrage de l’écriture. Enfin, le lecteur fait appel à une utilisation
seconde de la vue pour ce qui concerne les descriptions présentes dans l’œuvre,
nourrissant l’imagination du lecteur.
Mais alors, dans ce contexte dans lequel la littérature possède une relation étroite
avec le sens de la vue, que ce soit par sa représentation ou bien par sa fonction de
description, comment les personnes aveugles perçoivent-elles la littérature ? Ne
possédant pas la capacité de la vue, l'écriture telle que les voyants la connaissent est
alors modifiée. Les personnes non-voyantes utilisent ainsi le braille ou la synthèse
vocale pour avoir accès aux textes, influençant de cette manière la forme de l’objet livre
auquel les lecteurs voyants sont fortement attachés. Le livre papier est alors remplacé
par le livre braille ou le livre audio.
3
http://www.fondation.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/docs_pdf/publications/Barometre_econum_5.p
df Page 35. Consulté le 16 février 2013.
7
Il faut noter qu’il existe différent types de déficiences visuelles. Le terme
« déficience » comprend « sont les pertes ou dysfonctionnements des diverses parties du
corps ou du cerveau. Elles résultent en général d’une maladie »4. En effet, sous ce terme
est rassemblé les personnes aveugles, malvoyantes et celles présentant des baisses de
vues importantes. Deux autres termes viennent définir plus précisément les différents
handicaps visuels. Il y a l’amblyopie qui désigne une vision médiocre qui comprend à la
fois une vision floue, une vision réduite en forte luminosité ou en pénombre, un champ
rétréci, une sensibilité aux variations brusques de lumière, une absence de relief ou de
couleurs, et il y a la cécité qui désigne une déficience visuelle totale.
Les technologies ont toujours joué un rôle considérable dans le développement
de l’autonomie des personnes handicapées en soutenant une aide à la communication ou
à la mobilité, une aide informatique, des innovations permettant d’orienter leurs
déplacements avec la technologie GPS... Les sociétés, les écoles prennent de plus en
plus en considération les enjeux de l’accessibilité des technologies et de ses contenus
pour les personnes handicapées. De nombreux pays ont adhéré à des normes et des lois
pour faciliter l’accès aux technologies. De ce fait, les personnes souffrant d’une
déficience visuelle utilisent les nouvelles technologies pour pouvoir travailler sur un
texte et accéder à la littérature. L’utilisation de ces nouveaux outils, par les personnes
aveugles, instaure une interaction différente de celle des personnes voyantes avec la
littérature.
Le support du texte, l’écriture, les méthodes de lecture et les outils utilisés par
les personnes aveugles étant dissemblables de ceux des voyants, la question de la
perception de la littérature par les non-voyants se pose, qu’il s’agisse du message
littéraire de l’œuvre, de sa mise en forme ou encore de son support. La relation des nonvoyants avec la littérature change-t-elle de celle des voyants ? Les personnes souffrant
d’une déficience visuelle ont-elles accès à la même littérature que les personnes
voyantes ? Le handicap peut-il être envisagé comme un frein à l’analyse littéraire ? De
plus, sachant que les nouvelles technologies sont des outils précieux pour les personnes
handicapées, le numérique vient-il modifier leur perception et leur relation de la
littérature ?
4
Mormiche, Pierre. Le handicap se conjugue au pluriel.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip742.pdf Consulté le 5 février 2013.
INSEE,
2000.
[En
ligne]
8
De nombreux questionnements apparaissent, et pour tenter de comprendre cette
perception de la littérature par les non-voyants, sept entretiens d’une durée moyenne
d’une heure ont été réalisés auprès d’étudiants aveugle sur leur lieu d’étude. Les
entretiens se sont déroulés en deux temps bien distincts. En effet, dans la première
moitié de l’entretien, les étudiants non-voyants répondaient aux questions qui leur
étaient posées, puis, dans la seconde moitié, les étudiants apportaient des précisions sur
des sujets qui n’avaient pas été abordés, effectuaient une représentation de l’utilisation
des divers outils à leur disposition et proposaient des angles de recherches. Ainsi, les
résultats des recherches et des entretiens ont permis d’établir une réflexion selon trois
axes. Dans un premier temps, un état de l’art de l’accès à la littérature pour les nonvoyants permettra de cerner le contexte d’accessibilité dans lequel se trouvent les
personnes aveugles. Dans un second temps, la représentation de l’objet livre donnera la
possibilité de concevoir la relation des personnes non-voyantes avec la littérature sous
sa forme physique. Et enfin, la perception de la littérature et de l’écrit permettra de
comprendre la relation des personnes souffrant d’un handicap visuel avec la littérature.
9
I. État de l'art de l'accès à la littérature pour les nonvoyants
A. Les outils d'accès
Afin de pouvoir étudier la perception de la littérature chez les personnes nonvoyantes, il faut tout d'abord comprendre le contexte de l'accès aux textes. En effet, les
personnes souffrant de la cécité ont à leur disposition différents outils leur permettant
d'accéder à divers textes.
1. Le braille
Un des premiers outils créés et le plus connu du grand public est le braille.
Élaboré en 1825 par Louis Braille, jeune aveugle de 16 ans, le braille est un système
d'écriture tactile constitué de points en relief. L'écriture braille française permet 64
combinaisons décomposées de la manière suivante ; 40 combinaisons pour les 26 lettres
et les 14 signes qu'offrent l'alphabet braille, la ponctuation a besoin de 10 combinaisons
et 14 combinaisons pour ce que l'on nomme les caractères hors-séries, notamment
consacrés au braille abrégé.
FIGURE 1 : L’alphabet braille5
5
http://ophtasurf.free.fr/lebraille.htm
10
L’écriture braille est composée d’une cellule de six points. C’est grâce à cette cellule
que l’on établit l’alphabet braille. Une lettre possède un nombre de points précis et une
disposition particulière. Sur cette image, les six points sont apparents pour chaque lettre,
même lorsqu’ils ne sont pas utilisés, afin de bien discerner la position des picots pour
chacune des lettres.
Cependant, le braille ne permet pas de variations dans sa mise en forme sur
papier, la taille d'un caractère en braille, plus large que celle d'un caractère en noir, étant
normalisée. De ce fait, aucune modification n'est envisageable sans risquer de perturber
le lecteur. La taille du braille étant normalisée, une page braille de format A4 peut
contenir 25 à 30 lignes de 30 caractères. Pour que le papier braille permette le relief des
picots, il possède une épaisseur d'un millimètre et, semblable aux feuilles cartonnées, est
assez rigide. Un texte en braille requiert ainsi une plus grande quantité de papier qu'un
texte en noir et peut être jusqu'à six fois plus volumineux. Une page en noir correspond
à peu près à quatre ou cinq pages en braille, ce qui implique qu'un livre se partage en
plusieurs volumes. Prenons comme exemple l’œuvre de Patrick Süskind, Le Parfum,
dans l'édition Le Livre de Poche, qui possède 279 pages. Lorsque cette œuvre a été
transcrite en braille intégral et embossée à l'association Le Livre De l'Aveugle, son
nombre de pages s'est élevé à 694, qui ont été divisées en 10 volumes. Cet exemple
illustre bien l'importance du volume d'un livre en braille. La taille d'un ouvrage peut
évidemment être réduite en utilisant le braille abrégé, système d'écriture semblable au
braille intégral mais avec un système de contractions et de symboles et soumis à des
règles phonétiques et orthographiques. Le braille abrégé permet la réduction de 20 %
d'un ouvrage en braille.
11
Des terminaux braille, appelés plus fréquemment plages braille sont associés à
l’utilisation du braille.
FIGURE 2: Une plage braille6
L'utilisation de cet outil sert à lire un texte affiché sur un écran. La plage braille est faite
de cellules piézo-électriques à 8e picots qui reproduisent les lettres en braille. La plage
braille comporte deux picots de plus que la cellule braille car cette dernière ne permet
qu’un nombre réduit de combinaisons pour coder les caractères. Ainsi, la plage braille
utilise le braille informatique permettant 256 combinaisons. La lecture sur une plage
braille se fait sur une ligne de 20 à 80 caractères. Des picots blancs en relief, permettent
la lecture du texte affiché à l’écran. Connectée directement à l’ordinateur, la plage
braille offre la possibilité de naviguer à travers le texte et l’écran, de sélectionner le
texte ou encore de le surligner à l’aide des touches curseur routing. C’est la plage braille
éphémère qui aide la lecture de texte sur écran. Le schéma ci-dessous illustre bien le
fonctionnement de cet outil très utilisé par les personnes aveugles, facilitant l’usage de
l’ordinateur.
FIGURE 3 : Fonctionnement d’une plage braille7
6
7
http://www.ecolepourtous.education.fr/pour-enseigner/lire/deficience-visuelle/plage-braille.html
http://www.ecolepourtous.education.fr/pour-enseigner/lire/deficience-visuelle/plage-braille.html
12
Il existe également le bloc-notes braille. Cet appareil électronique permet la
prise de notes avec un retour braille, sur une plage braille éphémère, ou vocale. Le blocnotes braille a été conçu avec différentes fonctionnalités. Selon les modèles, l’appareil
peut se composer d’un éditeur traitement de texte, d’un éditeur mathématique, d’une
calculatrice pouvant être scientifique, d’une fonction terminal PC, d’un navigateur
internet, d’un tableur, d’une fonction messagerie, d’un agenda, d'un lecteur de livres
numériques ou audio, des dictionnaires, d’un éditeur et convertisseur musical et d’un
enregistreur de notes vocales.
FIGURE 4 : Schéma de principe d’un bloc-notes braille8
Le bloc-notes braille se présente un peu comme la plage braille. Il est constitué
de touches curseur routing, d’une plage braille éphémère et de touches de fonctions qui
ont les mêmes emplois que sur la plage braille. Cependant, le bloc-notes braille possède
deux autres composants que l’on ne retrouve pas sur la plage braille. Il y a le pavé de
flèches de direction et un clavier, ici de type Perkins, clavier composé de six touches
correspondant aux six picots de la cellule braille, d’une barre d’espace et d’une touche
arrière. Le clavier d’un bloc-notes braille n’est pas nécessairement de type Perkins, il
8
http://www.ecolepourtous.education.fr/pour-enseigner/lire/deficience-visuelle/bloc-note-braille.html
13
peut aussi être un clavier de type Azerty. Cet appareil permet la prise de notes, la lecture
d’un document texte ou audio, la recherche documentaire, l’écoute de fichiers
musicaux, l’utilisation d’internet et de courrier électronique. Dans un milieu plus
scolaire, le bloc-notes braille permet également d’effectuer un devoir surveillé ou un
examen et de communiquer entre élève et enseignant.
Le bloc-notes braille est un appareil très communicant, qui donne la possibilité
d’un grand nombre d’interactions avec d’autres outils telles qu’accéder à un réseau,
piloter un ordinateur, imprimer, embosser, sauvegarder, transmettre et recevoir. Toutes
ces fonctionnalités impliquent le recours à d’autres outils auxquels le bloc-notes braille
se connecte. Le schéma ci-dessous illustre bien les différentes connections qu’un blocnotes braille peut établir entre les différentes outils extérieurs.
FIGURE 5 : Le bloc-notes braille : un appareil communicant9
9
http://www.ecolepourtous.education.fr/pour-enseigner/lire/deficience-visuelle/bloc-note-braille.html
14
2. L’audio et la synthèse vocale
L’accès aux textes est également permis par un autre outil, qui est la synthèse
vocale. Cet outil permet de lire un texte sur un écran d'ordinateur ou de téléphone
portable. Les non-voyants et les malvoyants utilisent ce système informatique afin de
vocaliser le texte affiché à l'écran dans des haut-parleurs. Cela permet ainsi aux
personnes ne sachant pas lire le braille de pouvoir accéder à un texte en l'écoutant, mais
cet outil peut être également utilisé en complément d’une plage braille. Il faut noter que
la synthèse vocale est une voix que l'on peut qualifier de robotique et qui transmet les
textes de manière saccadée ; il est ainsi difficile de lire tout une œuvre avec la synthèse
vocale. Cependant, cet outil est pratique pour l'utilisation d'un téléphone ou d’un
ordinateur portable, naviguer dans les menus, écrire un message ou encore faire du
traitement de texte. Dans ce dernier cas, l’utilisateur peut choisir que la synthèse vocale
lise lettre par lettre ou mot par mot, ce qui permet aux personnes non-voyantes de
pouvoir entendre s'ils font une faute d'orthographe. Le débit de la synthèse vocale peut
également être réglé mais il faut savoir que les non-voyants ont pris l'habitude de
travailler avec ce système, ce qui fait qu'ils utilisent souvent un débit assez rapide qui
est quasi incompréhensible pour des personnes voyantes, comme le me le font fait voir
les étudiants aveugles que j’ai rencontrés sur leur téléphone ou sur leur ordinateur.
Le livre audio est un autre moyen d'accès aux textes qui permet, contrairement à
la synthèse vocale, la lecture d'une œuvre entière plus facilement. En effet, puisqu'il ne
s'agit plus d'un système informatique qui s'occupe de la lecture du texte mais de la voix
d’une personne ayant été enregistrée lors de sa lecture d’un texte. Les livres audio
commercialisés sont enregistrés soit par les auteurs eux-mêmes ou alors par des
comédiens. Il existe cependant des œuvres que l'on ne trouve pas dans le commerce
sous le format de livre audio, mais qui ont été enregistrées par des bénévoles dans le
cadre d’une association ou d’une bibliothèque associative. Les livres audio sont
disponibles soit en librairie, soit en bibliothèque. Il existe également des associations
qui s'occupent de la mise en ligne de livres audio telle que l'association « Des livres à
lire et à entendre ». Cette association a mis en ligne à peu près 800 œuvres enregistrées
par des bénévoles sur le site web Littérature audio, sur lequel les textes peuvent être
écoutés directement ou être téléchargés10.
10
http://www.litteratureaudio.com/
15
Les livres audio sont soumis à la norme DAISY (Digital Accessible Information
SYstem) établie par le consortium DAISY en 1996. Les livres-audio étant à la norme
DAISY sont nommés tout simplement livres DAISY. Un livre sous ce format est un
ensemble de fichiers se conformant aux standards XML et SMIL, donnant la possibilité
d’un lien entre les fichiers textes et audio. Pour la norme DAISY, plusieurs formats de
fichiers audio coexistent. Cependant, c’est le format MP3 qui est le plus utilisé.
L’enregistrement peut être fait par des voix humaines tout comme par une synthèse
vocale qui peut lire jusqu’à 27 langues si l’on dispose du logiciel OpenOffice.org.
Différents supports coexistent également, le plus ordinaire étant le CD, qui peut contenir
40 heures d’enregistrement. Le livre audio DAISY peut être téléchargeable et enregistré
sur tout support ayant la capacité de contenir des fichiers numériques. Ainsi, DAISY est
l’un des acteurs majeurs du développement de l’édition accessible. Notons que
l’association Valentin Haüy s’efforce aujourd’hui de convertir tous ses documents en
format DAISY.
3. Les logiciels et internet
Les non-voyants utilisent particulièrement l'informatique pour accéder aux
textes. Que ce soit pour naviguer sur internet, les livres audio ou encore pour travailler,
les personnes souffrant d'un handicap visuel emploient le numérique. Certaines œuvres
enregistrées étant disponibles sur internet, les non-voyants doivent pouvoir bénéficier
d’un accès facilité à internet. Des logiciels ont donc été créés pour rendre la navigation
sur internet plus simple pour les personnes souffrant d’un handicap visuel. Les deux
logiciels principaux concernant la lecture d’écran sont VIRGO et JAWS11. Ces deux
logiciels se différencient dans leur pratique. VIRGO, qui est un mode ligne, transfère,
comme son nom l'indique, le texte par ligne. Le mode ligne est une option à sélectionner
pour la lecture d’un texte en continu. De cette manière, les informations annexes
présentes sur la page mais
n'appartenant pas au texte y sont incorporées. JAWS
transfère, dans un premier temps, par un système de synthèse vocale, le texte affiché à
l'écran puis transfère les informations qui se trouvent sur la même page sans les
incorporer au texte, c'est ce que l'on nomme un mode logique. Par l’application de ce
mode logique et en raison de ses nombreux raccourcis claviers offrant la possibilité
d’une navigation plus rapide, le logiciel JAWS est le plus utilisé.
11
http://www.freedomscientific.com/jaws-hq.asp Consulté le 17 janvier 2013.
16
Enfin, pour permettre l’égalité pour tous, il est impératif qu’internet, étant une
ressource majeure pour le travail et une fenêtre sur le monde, soit accessible aux
personnes aveugles. Comme Jenny Craven le montre à travers sa recherche, les
personnes souffrant d’une déficience visuelle ressentent une grande frustration quant à
l’utilisation d’internet. En effet, faire une recherche sur internet pour une personne nonvoyante est une tâche laborieuse qui demande du temps. Jenny Craver précise que pour
certains aveugles qu’elle a rencontrés, la recherche sur internet est ressentie comme une
corvée12. C’est ainsi dans l’objectif de faciliter l’utilisation d’internet pour les personnes
déficientes visuelles que sont établies des règles d’accessibilité pour le web, depuis
1997 avec le World Wide Web Consortium (W3C) qui a créé la Web Accessibility
Initiative (WAI). Ainsi, en 1999, des règles d’accessibilité sont publiées, ce sont les Web
Content Accessibility Guidelines, reconnues dans de nombreux pays13. En France, il
existe l’association BrailleNet, « considérant que l’accès à l’information était un
préalable à l’intégration, et qu’internet était l’occasion d’en explorer les possibilités et
l’accessibilité »14a mis en place le label AccessiWeb, permettant de vérifier, selon des
critères, l’accessibilité des sites internet.
Pour accéder aux données informatiques, les personnes aveugles combinent
l’utilisation de différents outils mis à leur disposition. En effet, avec l’aide des plages
tactiles, les personnes non-voyantes peuvent avoir accès aux données informatiques
affichées sous forme textuelle. Ils peuvent ainsi consulter les catalogues de
bibliothèques, les boites mail et rédiger à l’aide d’un traitement de texte. Les personnes
atteintes d’un handicap visuel peuvent également compléter l’utilisation des plages
tactiles avec l’utilisation d’une synthèse vocale, la synthèse vocale permettant de
recueillir davantage d’informations. Mais, la navigation sur internet pour les personnes
aveugles est un exercice fastidieux. Les non-voyants doivent faire appel à une habileté
et des connaissances supérieures à celles nécessaires pour un voyant.
12
Craver, Jenny. Acces to electronic ressources by visually impaired people. Research Fellow, CERLIM.
Manchester Metropolitan University, UK.Information Research, Vol. 8 No. 4, July 2003. [En ligne]
http://informationr.net/ir/8-4/paper156.html Consulté le 06 avril 2013.
13
Dubost, Karl. Directives pour l'accessibilité aux contenus Web (version 1.0) . Mai 1999. [En ligne]
http://www.la-grange.net/w3c/wcag1/wai-pageauth.html Consulté le 15 mars 2013.
14
Desbuquois, Catherine. « BrailleNet : un serveur pour les handicapés visuels », BBF, 2009, n° 5, p. 4144. [En ligne]: <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 21 janvier 2013.
17
En effet, que ce soit les plages braille ou les synthèses vocales, ces outils ne
permettent pas de rendre compte des éléments graphiques qui composent un site web.
De cette façon, les non-voyants doivent contourner cette difficulté. En raison de
l’existence des difficultés d’accès à internet, de nombreuses personnes prônent une
normalisation des logiciels et des ressources informatisées. Les normes du World Wide
Web Consortium tentent de se diriger dans ce sens, en rendant tous les sites accessibles.
Cependant, de nombreux sites web restent encore inaccessibles aux personnes atteintes
d’une déficience visuelle, ce qui entraîne une accessibilité hasardeuse.
FIGURE 6 : Les différents moyens d’accès
Association
Le braille
Personne aveugle
Edition adaptée
Bibliothèque
Le livre audio
Logiciels
La synthèse
vocale
B. La difficulté d'accès à ces outils
Malgré l'existence de divers outils permettant l'accessibilité des textes, les nonvoyants rencontrent quelques difficultés quant à l’accès de ces outils, entravant ainsi
celui des textes. De cette manière, les personnes non-voyantes font face à différents
obstacles pour se procurer les outils permettant aux personnes aveugles d’accéder aux
textes.
18
1. Le prix des outils
Le principal obstacle quant à l'obtention des outils d'accès est le prix. Les livres
en braille, par exemple, sont commercialisés à des prix assez élevés, selon qu'ils sont
édités directement en braille ou transcrits sur commande. En effet, un livre en noir que
l'on trouve au prix de 25 euros se vend au prix de 250 euros environ lorsqu'il est
transcrit en braille. Le tarif est de 0,17 euros la page braille lorsqu'il s'agit d'une
commande particulière. Sachant qu'une page en noir correspond à trois ou quatre pages
en braille, le prix du livre augmente assez vite. Ce prix si élevé s'explique par le fait que
le papier braille est un produit coûteux et que la transcription reste encore un travail
artisanal long et fastidieux, accompli par des bénévoles.
Les plages braille sont elles aussi commercialisées à des prix élevés, le montant
le moins important s'élevant tout de même à 1 690 euros. Le prix des plages brailles
varie selon le nombre de caractères que l'outil permet de lire. Ainsi, la moins chère offre
la possibilité de lire 12 caractères sur la plage braille alors que la plus chère, qui se vend
au prix de 9 995 euros permet de lire 80 caractères. De plus, les logiciels comme
DAISY et JAWS sont aussi en vente à un certain prix. Le logiciel DAISY reste tout de
même le moins cher, son prix apparaissant dérisoire face aux tarifs importants des livres
et des plages braille, s'élevant à 59 euros. Mais au logiciel DAISY, s'ajoute l'achat des
lecteurs et enregistreurs DAISY, que l'on trouve au premier prix à 75 euros et au prix le
plus élevé à 845 euros15. Quant au logiciel JAWS, il se vend au prix unitaire de 1 595
euros16. Ainsi, l'accès aux textes, pour les personnes atteintes d'un handicap visuel, est
un réel investissement, sachant qu'il y a très peu d'aides financières. De plus, il faut
noter que l’accès à l’outil internet reste précaire. De nombreux sites ne sont pas encore
accessibles aux personnes souffrant d’un handicap visuel. Une étude en 2004 montrait
que sur 1 545 sites français, 98,6 % n’étaient pas accessibles.17 En 2007 le rapport
« Measuring Progress of Accessibility in Europe » (MEAC) montrait que la France que
la France arrivait en dernière place du classement des pays respectant les
recommandations internationales d’accessibilité des sites 18. Enfin, le rapport sur
15
http://www.unitedvision.fr/ Consulté le 22 novembre 2012.
http://www.handicat.com/ Consulté le 22 novembre 2012.
17
Colas Sonia. Outils d’amélioration de l’accessibilité du web pour les personnes visuellement handicapées (Thèse (de doctorat) – Université François Rabelais Tours), 2008, p. 33 [En ligne].
http://www.applis.univ-tours.fr/theses/2008/sonia.colas_2721.pdf (Page consultée le 26 novembre 2012)
18
Besson, Eric. « France numérique 2012 : Plan de développement de l’économie du numérique »,
octobre 2008, p 29. [En ligne]
16
19
l’accessibilité la Commission européenne révèle que pour les sites marchands, la France
est en retard. En effet, 23 % des internautes étant handicapés ou côtoyant une personne
en situation de handicap, signalent avoir rencontré de nombreuses difficultés pour
naviguer sur les sites19.
2. Le rôle des maisons d’édition
Les difficultés d'accès aux textes sont également dues au rôle des maisons
d'édition, qui ne permettent pas un accès aux livres braille. Ces dernières publient très
peu de livres en braille. Le taux de livres édités en braille serait de 5 % par an en 200420.
Malheureusement, l’absence de chiffres récents ne permet pas d’observer la situation en
2012, mais les entretiens que j’ai effectués auprès de personnes en situation de handicap
ou ayant un lien avec une personne non-voyante, ont attesté du manque de publication
en braille. Les maisons d'édition expliquent ce phénomène par le coût important de la
production d'un livre en braille et l'incertitude quant au nombre de potentiels acheteurs
du livre en braille. En effet, le nombre de malvoyants sachant lire le braille en France
est incertain. Il y aurait aujourd’hui à peu près 77 000 personnes aveugles, dont 15 000
sauraient lire le braille et 7 000 le pratiqueraient régulièrement. 21
FIGURE 7 : Les aveugles et le Braille en France
47%
53%
Part des aveugles
sachant lire le braille
mais le pratiquant peu
Part des aveugles
pratiquant
régulièrement le braille
http://www.webaccessibilite.fr/documents/081020_FRANCE_NUMERIQUE_2012.pdf Consulté le 01
juillet 2013.
19
TNS Political & Socia. « Accessibility », décembre 2012. [En ligne]
http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_345_en.pdf Consulté le 02 juillet 2013.
20
Vincent Michel « Lire ensemble, la littérature de jeunesse accessible à tous les enfants- Les personnes
aveugles, un public empêché de lire ». Bien lire – Cndp [En ligne]. (Avril 2004)
http://www.cndp.fr/bienlire/01-actualite/c-en-parle12-Imp.htm (Page consultée le 16 octobre 2012)
21
Maumet Luc L’accès à l’écrit des personnes déficientes visuelles, BBF 2007 n°3, p 46-50 [En ligne]
http://bbf.enssib.fr (Page consultée le 02 février 2013)
20
19%
81%
Part des aveugles ne
sachant pas lire le
braille
Part des aveugles
sachant lire le braille
Source : Données issues de Maumet Luc, L’accès à l’écrit des personnes déficientes
visuelles, BBF 2007 n°3, p 46-50
De cette manière, les maisons d'édition, n'ayant pas de chiffres sûrs, préfèrent ne pas
tenter le pari du livre braille.
FIGURE 8 : Causes de l’insuffisance des éditions adaptées
Coût de fabrication important
Difficulté d’obtention
des droits d’auteur
Difficulté de prévoir le
nombre d’acheteurs potentiels
Rentabilité négative
Peu d’édition adaptée
En ce qui concerne le livre audio, celui-ci représente seulement 0,7 % du
marché du livre22. Ce faible taux n’est pas dû aux mêmes raisons que celui des livres
braille, puisque certaines maisons d’édition font le pari du livre audio, mais résulte de la
réticence des potentiels acheteurs. Si le livre audio est un produit qui ne rencontre pas
22
Kock Marie, Le livre veut se faire entendre, livres-hebdo, 2009, n°774
21
un vif succès, cela peut s’expliquer par le fait qu'il y ait trop de classiques adaptés et
très peu ou pas de romans contemporains. La réticence des lecteurs français à passer à
un nouveau mode de lecture est le facteur principal qui va à l’encontre de la réussite du
livre audio. Mais le livre audio tend à se développer progressivement. Il existe quelques
maisons d’édition proposant des livres audio, telles que les éditions Des Femmes avec
sa collection la bibliothèque des voix, qui est l’une des premières à proposer ce genre de
livre ou encore les éditions Livraphone et VDB23. Notons également la création en 2008
d’Audiolib, qui ne propose que des livres audio. Les maisons d’édition proposant des
livres audio les plus connues sont Frémeaux et Associés, Le livre qui parle ou encore les
éditions Thélème et VDB. Cependant, elles sont encore peu nombreuses à s’être mises à
la vente de livres audio, ce qui pénalise les lecteurs non-voyants.
3. Le rôle des associations
Pour pallier au manque de publication de livre braille par les maisons d'édition,
des associations se sont créées, jouant un rôle essentiel dans l'accessibilité des textes.
L’association la plus importante en France est l’association Valentin Haüy, créée en
1889 par Maurice de La Sizeranne. Elle est composée de plus de 3 700 bénévoles et 490
salariés, voyants ou handicapés visuels24. Le siège de cette association est situé à Paris,
gérant les différents services que propose l’association. Cet organisme met à disposition
des services d’action sociale, une médiathèque gratuite pour les personnes souffrant
d’un handicap visuel, un enseignement du braille, de la vente de matériels adaptés.
L’association est également pourvue d’un centre de recherche sur les technologies ainsi
qu’un centre d’enregistrement consacré à la production de livres audio et de
commentaires dans des films servant à décrire les images et l’action.
La médiathèque de cette association possède un catalogue important de livres ou
de films. En effet, le catalogue est composé de près de 53 00 livres audio, 20 000 livres
en braille intégral et abrégé, ce qui correspond à 200 000 volumes, ce qui classe ce
catalogue comme le plus important fond braille francophone du monde, 160 films en
audiodescription et 2 500 ouvrages en gros caractères25. La médiathèque de
l’association Valentin Haüy tente d’offrir aux personnes handicapées visuelles un
23
http://bdp.calvados.fr/cms/accueilBDP/la-vie-des-bibliotheques/boite-a-outils/les-collections/le-livreaudio Consulté le 02 juillet 2013.
24
http://www.avh.asso.fr/rubriques/association/chiffres_cles.php Page consultée le 05 février 2013
25
http://www.avh.asso.fr/mediatheque/mediatheque.php (Page consultée le 13 novembre 2012)
22
maximum de titres nouveaux. Elle propose 600 nouveaux titres par an en livre audio.
Elle est également équipée de six postes informatiques, d’un poste de consultation du
catalogue, des scanners, des machines à lire et des téléagrandisseurs mis à disposition
ainsi qu’un accès à Internet, à des plages braille et des synthèses vocales 26. Les
personnes souffrant d’une déficience visuelle en France se tournent ainsi en premier lieu
vers cet organisme, qui leur offre un large choix d’ouvrages et de services.
Il existe également des associations moins importantes, qui se consacrent à la
transcription d’ouvrages, vers lesquelles les personnes aveugles peuvent se diriger pour
se procurer des livres audio ou en braille. En effet, des associations proposent des textes
téléchargeables gratuitement en format MP3. Ainsi, l’association Lire dans le noir ou
encore le site Bibliboom permettent aux personnes souffrant d’un handicap visuel
d’accéder à des enregistrements de textes gratuitement et à des nouveautés. Les
personnes aveugles peuvent également passer commande auprès d’autres associations
telles que Le Livre de L’Aveugle ou Benjamin Médias afin de transcrire l’ouvrage qu’ils
souhaitent.
Cependant, le recours à ces associations pour se procurer des textes comporte
quelques complications. Le résultat n’est pas toujours satisfaisant en ce qui concerne la
qualité des enregistrements ou encore des livres braille dans lesquels les lecteurs
peuvent trouver des pages assemblées dans le mauvais sens, comme j’ai pu le constater
à travers les entretiens effectués et par les retours de clients mécontents à l’association
Le Livre de l’Aveugle. De plus, la durée de transcription est assez longue ce qui fait que
le temps d’attente est assez important entre la commande et la réception du livre fini. La
durée de fabrication est due au fait que les associations sont constituées uniquement de
bénévoles et qu’elles ne possèdent pas assez d’aides financières.
Il est important de souligner que les associations doivent, avant d’adapter un
ouvrage, obtenir l’accord de l’éditeur. Cependant, cette obligation « n'est respectée que
pour un tiers environ de la production des ouvrages adaptés »27. De nombreuses
associations sont donc en illégalité du fait qu’ils copient des textes sans posséder le
consentement des auteurs. Cette situation rend compte de la précarité de l’accès aux
26
Loc.cit.
Burger Dominique Emergence d’un nouveau schéma pour l’édition adaptée, Colloque Livre
Numérique, le 3 février 2000, Paris [En ligne]
http://www.braillenet.org/colloques/Bnet2000/actes/burger.htm (Page consultée le 16 novembre 2012)
27
23
textes en France pour les personnes non-voyantes. Ainsi, il existe des outils permettant
aux personnes souffrant d’un handicap visuel d’accéder aux textes mais, pour des
raisons souvent financières, ces outils sont difficilement accessibles.
C. Les lois et les aménagements
Mais pour pallier à ces nombreuses difficultés d'accès, la France, qui a pour
devise l'égalité pour tous, met en place des lois, des aides financières et fait faire de
nombreux aménagements.
1. Les lois
Pour cela, un plan en faveur des déficients visuels a été mis en place le 2 juin
200828. Ce projet s'impose dans la continuité des fondements érigés par la loi du 11
février 2005 selon trois axes ; le droit de vivre dignement avec le handicap, le droit de
vivre de façon autonome et le droit de vivre pleinement sa citoyenneté. On peut alors
observer la mise en place d'améliorations concernant l'édition adaptée. Le décret du 19
décembre 2008, supplément de la loi DAVDSI du 1er août 2006 sur l'exception au droit
d'auteur et aux droits voisins, a ainsi permis à de nombreuses associations d'adapter des
textes, recevant les fichiers directement des maisons d'édition.
Selon le premier bilan du plan en faveur des déficients visuels, établi le 1er juin
2011, accessible sur le site du Ministères des affaires sociales et de la santé, « les
transcriptions ont été multipliées par quatre depuis la mise en œuvre […] 25.000
demandes de fichiers sources ont été formulées en 2010, et les éditeurs respectent
globalement le délai de transmission qui leur a été imparti par la loi ». La loi du 11
février 2005, toujours dans le but de permettre aux personnes handicapées de vivre
pleinement leur citoyenneté, impose aux sites internet publics d'être accessibles pour les
personnes handicapées. Les informations doivent être accessibles pour tous. C'est le
Référentiel Général d'Accessibilité pour les Administrations (RGAA) qui est chargé de
permettre l'accessibilité des sites internet.
28
http://apedv.org/files/plan_handicap_visuel.pdf
24
Afin que les normes soient respectées, un Groupe d'Etude des Marchés (GEM)
est établi. Le GEM, qui opère avec des professionnels et des associations, institue, dès
la création d'un site,
une clause d'accessibilité. A cela s'ajoute une direction
interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'Etat, qui
coordonne la mise en accessibilité. On peut notamment évoquer la création de la
méthode AccessiWeb en 2003 par l'association BrailleNet, dont le but est d'augmenter le
nombre de sites accessibles. Cette méthode permet la vérification de conformité aux
WCAG (Web Content Accessibility Guidelines, norme internationale du W3C des sites
Web). Cette méthode est utilisée depuis 2004 par l'administration française comme
référence quant à l'accessibilité des sites.
2. Les aides financières et aménagement des bibliothèques
Pour rendre l’accès aux textes plus facile, des organismes français offrent des
aides financières aux éditions adaptées, permettant ainsi la publication d'un plus grand
nombre de livres braille. La Direction du Livre et de la Lecture (DDL) offre 100 000
euros, mais cela reste peu pour qu'il y ait une réelle avancée. Lors d’un entretien avec le
directeur de l'association Le Livre de l'Aveugle, Michel Tessier, déclare : « Nous avons
un budget extrêmement misérable et les subventions publiques sont très restreintes. On
a 12 000 euros par an du Ministère de l’Éducation Nationale, 14 000 euros par an du
Ministère des Affaires sociales ». Michel Tessier précise la difficulté d'obtenir des aides
et notamment d'obtenir une augmentation des aides financières, il affirme que « si nous
avions des subventions un peu plus importantes on pourrait restreindre le prix de nos
ouvrages ».
De nombreux aménagements au sein des bibliothèques, considérées comme le
lieu d'accès privilégié à l'information par l'Unesco, sont observables. La Bibliothèque
publique d'information (Bpi), par exemple, propose des postes adaptés à la navigation
sur Internet par l'installation d'une synthèse vocale et d'une plage braille ainsi qu'une
embosseuse. De plus, la Bpi ainsi que la Médiathèque de la Cité des Sciences de la
Villette et la Bibliothèque Nationale de France François Mitterrand proposent des
formations pour se familiariser avec les nouvelles technologies dans une salle nommée
la salle Louis Braille. La création de bibliothèques numériques participe à un accès plus
facile aux textes pour les personnes handicapées. Ainsi, les bibliothèques numériques
telles que Sésame et Hélène permettent le téléchargement de livres. Sésame est
25
« composée d'environ 10 000 ouvrages, dont 7 000 accessibles en téléchargement
sécurisé, et 2 500 corrigés au gré des demandes. Pour l’année 2009, près de 800 titres
ont été adaptés. Il est également possible de commander les ouvrages sur CD ROM pour
un envoi postal »29.
Cependant, une bibliothèque numérique se détache particulièrement des autres, il
s'agit de Bookshare, qui est la plus grande bibliothèque numérique mondiale destinée
aux personnes handicapées, lancée en 2002. Notamment destinée aux étudiants, de
l'enseignement général à l'enseignement universitaire, Bookshare permet l'accès aux
manuels gratuitement. Bookshare s'est ouvert au monde en 2007, proposant 15 % de
leurs collections30. Cependant, les textes disponibles sont en anglais ou en espagnol. La
diffusion de textes en français est en cours de projet. Les textes sont disponibles sous
quatre formats ; DAISY, TXT, BRF et HTML. Bookshare considère que le numérique
représente un gain de temps par rapport aux enregistrements et aux transcriptions. En
France, c’est la bibliothèque numérique Hélène qui se démarque.
Un grand nombre de bibliothèques associatives mettent en place des
conversions de leurs collections en audio numérique ou font de leurs collections des
ressources par Internet, source de contenus et moyen de communication. Les
bibliothèques offrent de plus en plus l'accès à des outils technologiques donnant la
possibilité aux personnes non-voyantes d'accéder aux textes ainsi que de numériser des
documents personnels. Mais, parmi les bibliothèques françaises, une semble se
distinguer des autres. En effet, la Bibliothèque numérique pour le Handicap (BnH)
« repose sur la conviction que l'édition numérique est le moyen d'accès à l'information
et à la culture le mieux adapté aux personnes en situation de handicap » selon Alain
Patez, chargé de mission pour la BnF31
29
Ringot Marion. 2010. « L’accès aux documents pour les personnes déficientes visuelles à l’ère du
numérique » Mémoire de maîtrise, France, Ecole Nationale Supérieures des Sciences de l’Information et
des Bibliothèques, p 39. [En ligne] http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-48582 (Page
consultée le 18 mars 2013)
30
Lebert, Marie. « Bookshare.org, une bibliothèque numérique de livres braille et audio. Le net des études
françaises », octobre 2007. [En ligne]
http://www.etudes-francaises.net/dossiers/bookshare.htm#francais. Consulté le 11 novembre 2012.
31
Marie Lebert, Alain Patez, Denis Zwirn. « La Bibliothèque numérique pour le Handicap (BnH) ». NEFNet des études françaises- Dossiers du Nef [En ligne] 2007. http://www.etudesfrancaises.net/dossiers/BnH.htm (Page consultée le 23 octobre 2012)
26
La BnH se veut un service public avec abonnement payant, offrant un accès à
l'édition adaptée à toutes les personnes en situation de handicap en France
métropolitaine. La BnH ne souhaite pas être considérée comme un organisme bénévole
mais comme une bibliothèque traditionnelle : « Je pense que le vrai message, c’est
d’expliquer que le projet BnH ce n’est pas du bénévolat, un truc gratuit pour
handicapés, une espèce de sous-groupe qui aurait besoin d’obtenir des livres
gratuitement »32. Ainsi, il y a une inscription, des droits et des devoirs pour le lecteur, un
abonnement payant de 8 à 15 euros par an, une rémunération pour les éditeurs. La BnH
souhaite avant tout être considérée comme un service public. Ainsi, la France tente
d’offrir un accès toujours plus efficace aux textes que ce soit par des lois, des aides
financières ou bien encore les bibliothèques traditionnelles et numériques qui font des
aménagements au sein de leur établissement.
D. Comparaison avec d'autres pays
Après avoir fait un constat de la situation de l'accès aux textes pour les
personnes non-voyantes en France, il est intéressant de comparer la situation de
l'accessibilité dans d'autres pays.
1. Les aides
Le premier constat est que la France est en retard par rapport aux autres pays
notamment les Etats-Unis, le Canada et les pays du Nord de l’Europe, en ce qui
concerne la publication de livres en braille, la part des livres édités en braille sur la
totalité des livres publiés en France étant seulement de 5%. La France est également en
retard en ce qui concerne le livre audio, qui ne représente que 0.7 % du marché du livre
en 2009, alors que dans d’autres pays la situation est tout autre. En effet, les Etats-Unis
connaissent une vive expansion du livre audio, qui représente 10 % des parts de marché
du livre. Le livre audio connait également un vif succès en Allemagne. Entre 2005 et
2006, il représentait dans le marché de l’édition la progression la plus importante,
augmentant son chiffre d’affaire de 17,4 %. Il est même désigné comme étant un « petit
32
Marie Lebert, Alain Patez, Denis Zwirn. Op.Cit.
27
miracle économique »33.
Ce si grand retard de la France s’explique par le fait que ce sont essentiellement
des imprimeries et bibliothèques associatives, et plus particulièrement la bibliothèque de
l’association Valentin Haüy, qui s’occupent de la publication et de la distribution des
ouvrages. Le faible budget offert par les pouvoirs publics est une seconde explication
quant au retard de la France. Les aides mises à disposition ne s’élevant qu’à 150 000
euros, alors qu’un pays comme le Danemark propose un budget de 5 millions d’euros
alors que sa population est dix fois au-dessous de celle de la France.
Les bibliothèques françaises, qu’elles soient spécialisées ou non, disposent de
moins d’œuvres en braille que les bibliothèques d’autres pays. Les bibliothèques
spécifiques aux Etats-Unis sont mises en réseau d’après le programme NLS (National
Library Service for the Blind and Physically Handicaped), auquel est consacré un
budget annuel de 135 millions de dollars, offrant la possibilité d’emprunter gratuitement
des livres, du matériel et de disposer d’un braille en ligne (Webbraille). La mise en
réseau des bibliothèques donne lieu à une communication entre elles et de cette manière
si un ouvrage n’est pas disponible dans une bibliothèque cette dernière peut emprunter
l’ouvrage dans une autre bibliothèque et permettre ainsi un accès assez large aux
ouvrages. Les bibliothèques des autres pays sont également plus fréquentées que celles
de France comme en témoigne les chiffres de la bibliothèque de l’Institut National
Canadien qui prête à peu près 2 millions de livres par an34.
2. Les droits d’auteur
La France possède un régime strict concernant le droit d’auteur, « le code de la
propriété intellectuelle ne [faisant] aucune mention d’exception en faveur de l’accès aux
textes pour les personnes handicapées visuelles »35, ce qui entrave la copie de texte et
donc gêne l’accès des personnes handicapées aux textes. A la différence de la France, de
nombreux pays ont un régime plus souple concernant les droits d’auteurs, permettant
33
Favier, Anne Allemagne, le livre-audio. Livres-Hebdo 2007 n°679
Pour permettre à plus de trois millions de Canadiens de lire. Bibliothèque de l’INCA. Bilan de l’année
2011-2012, page 6. [En ligne] http://www.inca.ca/fr/services/bibliotheque/Documents/Fr%20%20CNIB%20Library%20Year%20in%20Review%202011%20-%20Accessible%20PDF.pdf Consulté le
15 mars 2013
35
Desbuquois, Catherine. « L'accès à la lecture et à l'information des personnes handicapées visuelles »,
BBF, 2002, n° 6, p. 78-83. [En ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 21 janvier 2013.
34
28
une accessibilité plus forte. Un grand nombre de pays tels que le Portugal, le Canada, le
Japon, la Suède, les Etats-Unis, l’Espagne, le Danemark, la Norvège, ont pris des
dispositions quant au droit d’auteur par rapport à l’édition adaptée. De cette manière, il
n’est pas essentiel de demander l’autorisation de l’auteur afin de publier l’ouvrage. Les
Etats-Unis ont adopté en 1996 un amendement, signé par le président Clinton,
permettant aux organismes de « reproduire ou distribuer des exemplaires et des
enregistrements d'œuvres précédemment publiées (à l'exception d'œuvres théâtrales)
dans des supports spécialisés exclusivement destinés aux aveugles ou à toute personne
handicapée »36. Cette loi, en faveur de l’édition adaptée, permet d’éditer un ouvrage
sans l'accord de l’auteur si et seulement si l’édition de l’ouvrage est faite pour des
personnes handicapées et dans un objectif non commercial.
Une seconde loi est adoptée en 1999, venant compléter celle de 1996. Elle
impose aux maisons d'éditions de procurer les fichiers numériques sources des manuels
universitaires dans un format utilisable pour la transcription et la lecture. Il existe en
Hongrie une bourse versée aux auteurs qui acceptent que l'on publie leurs œuvres en
ligne. De nombreux pays surpassent la France quant aux avancées en faveur de l'édition
adaptée. Cependant, la France n'est pas le seul pays en retard dans ce domaine. En effet,
la maison d'édition Allemagne Argon conserve encore quelques difficultés quant à la
numérisation des œuvres par rapport aux droits d'auteurs et RNIB, maison d'édition
Anglaise aurait 96 % de sa production éditoriale non adaptée en braille ou en audio37.
Cependant, comme le souligne Michèle Battisti, l’exception en faveur des
handicapés pour les droits d’auteur, « apparaît davantage comme un symbole que
comme une avancée réelle car elle entérine une situation de fait, les éditeurs ayant
toujours toléré des éditions adaptées des œuvres qui leur étaient achetées. L’exception
ne fera pas progresser la mise à disposition d’ouvrages conçus pour les personnes
handicapées visuelles car l’édition adaptée pose surtout des problèmes économiques,
son coût restant particulièrement élevé »38. Le marché de l’édition adaptée étant quasi
inexistant, constitué d’associations bénévoles et de prêt d’ouvrages en braille. Michèle
36
Public Law 104-197 § 121 « Limitations on exclusive rights: reproduction for blind or other people
with disabilities », [En ligne] http://www.loc.gov/nls/reference/factsheets/copyright.html trad. BrailleNet
(Page consultée le 10 octobre 2012)
37
Ringot Marion. Op.cit. p.59
38
Battisti, Michèle. « Débat de l'interassociation », Documentaliste-Sciences de l'Information. Février
2004 (Vol. 41). [En ligne] www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2004-2-page120.htm. Consulté le 11 janvier 2013.
29
Battisti précise qu’il « serait préférable de créer une mission nationale pour définir une
politique de mise en œuvre par des protocoles d’accord qui permettraient de négocier
avec les éditeurs, et pour mettre en place une véritable rémunération des ayants droit au
prorata des copies réalisées »39.
3. Les lois et internet
D'importants efforts sont mis en œuvre au sein des bibliothèques et des textes de
lois pour faciliter l’accès des textes aux personnes handicapées visuelles. Des
dispositions sont également prises quant à une meilleure accessibilité au Web. Des lois
ont été adoptées, devant permettre l'accessibilité des sites Web. Les Etats-Unis ont,
depuis 1998, une législation allant dans ce sens, complétée en 2001 par l’United States
Acces Board, qui a créé des règles à suivre quant à l'accessibilité des sites. L’Angleterre
adopte en 1995 la loi D.D.A (Disability Discrimination Act), mise en pratique
véritablement en 2004, imposant l'accessibilité des sites publics et commerciaux.
L’Allemagne en fait autant en 2002, avec une loi qui impose la mise en place de
l'accessibilité des sites publics avant 2005.
Ces lois en faveur de l'accessibilité aux personnes handicapées ne sont pas les
seules mesures adoptées. La création de labels d'accessibilité participe à ces
améliorations. En Belgique, le label Anysurfer, créé en 1999 sous le nom de
BlindSurfer, est attribué à un site par l'Oeuvre Nationale des Aveugles. Anysurfer n'est
pas qu'un simple label, il offre des formations lors de séminaires, évalue l'accessibilité
des sites sur demande selon différents niveaux de priorité et présente une liste de
directives à suivre pour rendre le site accessible. En Angleterre, c'est le projet See-itRight et aux Pays Bas c'est le projet Drempels Weg qui se charge de l'évaluation des
sites Web.
Cependant, même si des lois et des labels sont créés, les sites restent encore peu
accessibles pour les personnes non-voyantes en Europe. Selon des études, « 90 % des
sites ne sont pas accessibles en Europe. Plus particulièrement, une étude menée en 2004
sur 123 sites en Irlande, 5 702 en Angleterre, 4 250 en Allemagne et 1 545 en France
montre que respectivement 94%, 94,5%, 95,6%, et 98,6% des sites ne passent pas le test
39
Loc.cit.
30
du logiciel Bobby avec le niveau minimum d'accessibilité, c'est-à-dire WCAGA. De
plus, cette étude montre que 99% des sites en Angleterre et 100% des autres sites testés
ne sont pas conformes aux normes WCAG-AA. »40 . En 2012, ce sont 20% des
internautes anglais en situation de handicap qui déclarent rencontrer des difficultés
quant à la navigation sur les sites41.
Après avoir pris conscience de son retard en matière d'accessibilité de sites Web,
l'Europe prend des dispositions. Ainsi, une autorité européenne de certification de
l'accessibilité des sites au niveau européen voit le jour. On assiste alors, en 2003, à la
création du Consortium EuroAccesssibility, par 23 organismes européens, dont
l'association Française Braillenet, établissant une méthodologie d'évaluation et une
assistance technique. Un label européen est alors créé, Euracert. Le premier site à avoir
été labellisé est un site français, celui de Gaz de France, le 17 septembre 2007. Ainsi, la
France met en pratique de nombreuses dispositions dans le but de rendre l'accessibilité
des textes aux personnes aveugles. D'importants efforts sont encore nécessaires pour
arriver à une accessibilité sans difficultés. Même si la France est encore un pays en
retard par rapport à ses voisins, notamment à propos des droits d'auteurs et du budget,
elle est résolument impliquée pour la cause des handicapés visuels.
40
Colas Sonia. Op.cit. p 33
TNS Political & Socia. « Accessibility », décembre 2012. [En ligne]
http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_345_en.pdf Consulté le 02 juillet 2013.
41
31
II. Ce que l'objet livre représente pour les non-voyants
A. Le livre braille
Mais alors, dans un contexte où il est difficile pour les personnes en situation de
handicap visuel d’accéder aux textes, que représente pour elles l’objet livre ? Une
grande majorité de lecteurs voyants y sont très attachés et ne le considèrent pas comme
un simple support mais comme une composante du plaisir de la lecture. Le lecteur nonvoyant partage-t-il ce même sentiment d’attachement envers l’objet livre ? Tous les
plaisirs annexes ressentis lors d'une lecture d'un lecteur voyant sont-ils les mêmes pour
les lecteurs non-voyants ?
1. L’utilisation du livre braille
Le toucher du papier, l'odeur des pages, la typographie de l'écriture choisie, la
couverture d'un livre sont des aspects participant au plaisir de la lecture pour des
personnes non handicapées. Mais, les textes rendus accessibles aux personnes nonvoyantes n'étant pas diffusés sur les mêmes supports (livre braille, livre audio), les
sensations sont différentes. Le livre braille est édité sur un papier épais et un format
immuable. De cette manière, un livre braille est assez encombrant, une page en noir
correspondant à quatre ou cinq pages en braille. De plus, les picots perdent de leur relief
au fil du temps et finissent par devenir moins lisibles. Toutes les personnes nonvoyantes que j'ai pu rencontrer lors d’entretiens s'accordaient pour dire que le livre
braille est difficilement transportable de par sa taille et son poids.
Du reste, le livre braille ne contient pas, la plupart du temps, l'intégralité du
texte, étant donné qu'il est réparti en plusieurs volumes. Une étudiante en psychologie
m'a fait savoir qu'elle était toujours confrontée au même problème dans ses études pour
se procurer des livres en braille. En effet, les livres qui sont édités en braille sont le plus
souvent de grands classiques tombés dans le domaine public. Les éditeurs n'ont donc
pas de problèmes quant aux droits d'auteurs, alors que les éditeurs et les associations
n'ont pas les autorisations nécessaires pour les livres spécialisés dans un domaine précis
tel que la psychologie et sont donc très peu édités. De plus, les ouvrages spécialisés sont
peu édités en braille car ils sont peu demandés ; il faut donc numériser l’ouvrage soi32
même ou bien passer commande auprès d’une association de transcription. S’il est
difficile de trouver des ouvrages spécialisés dans le cadre d’études c’est en raison du fait
qu’il y a peu de personnes handicapées visuelles qui entreprennent des études
universitaires, de ce fait ce genre d’ouvrage ne fait pas l’objet d’une importante
demande d’adaptation.
Un second problème est ressorti lors des entretiens, c’est le temps d'attente pour
posséder un livre braille. En effet, quand une demande de transcription est faite auprès
d'une association, le livre est transmis progressivement sur plusieurs mois. La même
étudiante en psychologie a recours au relais handicap de son université pour accéder aux
livres dont elle a besoin sous format numérique. Cependant, il faut compter un délai de
deux à quatre semaines pour pouvoir posséder le texte intégral, ce qui la met en
décalage par rapport aux autres étudiants, qui ont pu se procurer l’ouvrage et le lire à
temps.
Toutefois, les propos sont à nuancer quant aux problèmes liés à l'accessibilité des
textes en braille. En effet, Kévin, étudiant non-voyant en Lettres, n'a jamais rencontré de
problème particulier pour se procurer une œuvre littéraire en braille. Le plus souvent, il
l’emprunte à la bibliothèque de l'association Valentin Haüy. Pour un étudiant en lettres,
il est plus aisé de trouver les œuvres en braille car elles sont pour la plupart tombées
dans le domaine public. Mais les thèses, les essais et analyses permettant un travail
annexe à tout littéraire sont plus difficiles d'accès. Le livre papier n'est donc pas le
support le plus accommodant pour les personnes aveugles, contrairement aux personnes
voyantes, qui n’utilisent pratiquement que le livre papier.
Ainsi, le livre papier n'est pas un recours facile pour les personnes aveugles. Le
livre braille possède de nombreux inconvénients pour une accessibilité rapide d'un livre.
En effet, alors que les personnes voyantes peuvent lire un livre où qu'elles soient (bus,
train, métro...), une personne aveugle ne peut pas le faire. Tenter de lire un livre braille,
qui est imposant par sa taille, dans un métro par exemple est assez compliqué. De plus,
le livre pour les personnes voyantes est facilement transportable, disponible en format
de poche alors que le livre en braille possède une taille standard et ne peut donc être
réduit.
33
2. La perception de l’objet livre
Les étudiants que j'ai rencontrés m'ont confié qu'ils n'avaient pas le réflexe de se
rendre dans les bibliothèques pour travailler et chercher des ouvrages. Cette absence de
réflexe, qui est pourtant automatique chez les personnes voyantes, révèle un recul des
personnes aveugles quant à l'utilisation du livre papier. Cependant, cet éloignement est
en parti dû au fait qu'il n'existe pas de véritables bibliothèques braille. Il est vrai que les
bibliothèques tendent à devenir accessibles et qu’il existe des associations permettant le
prêt de livre en braille, mais ces organismes offrent un catalogue incomplet. La
bibliothèque de l'association Valentin Haüy est celle qui possède un catalogue le plus
important.
Malgré le fait que les livres des personnes aveugles soient différents de ceux des
voyants, il subsiste néanmoins un attachement chez les personnes non-voyantes pour le
support livre. En effet, le plaisir de la lecture est toujours aussi présent. Le fait que
l'écriture ne soit pas la même n'empêche pas d'apprécier un texte et de connaître des
expériences de lecture. La découverte d'une œuvre est toujours aussi agréable. J'ai pu
constater par moi-même cet aspect lors de mes entretiens auprès de personnes aveugles
qui étaient assez embarrassées par cette question. Toutes les personnes aveugles que j'ai
pu contacter ont toutes été étonnées de la question et m'ont toutes donné la même
réponse. Ils prennent autant de plaisir que les lecteurs voyants par le support du livre
durant leur lecture. Même si le toucher et l'odeur des pages en braille sont différents, ils
participent également au plaisir de la lecture.
De plus, Marie Colomb, étudiante non-voyante en Lettres que j'ai rencontrée,
pense que les personnes aveugles ont « un contact plus privilégié avec le livre par
rapport aux voyants, car c'est au contact des doigts que se fait la lecture. Le contact de
l'écriture avec les doigts apporte une sensation particulière et intime avec le texte. On vit
en quelque sorte une lecture physique ». Les personnes aveugles n'ont donc pas le même
ressenti que les personnes voyantes lors de la lecture mais le toucher du papier est pour
eux encore plus important.
Ils apportent autant d'importance aux livres que les personnes voyantes. Cécile
Jacquemin, l'étudiante en psychologie, m'a fait part de son regret de ne pas posséder une
bibliothèque personnelle chez elle du fait de la taille imposante des livres en braille et
34
du fait qu'elle utilise le plus souvent des livres numériques. Cette même étudiante qui
fait régulièrement appel au relais handicap de son université, déplore les méthodes
utilisées pour scanner les livres dont elle a besoin. En effet, l'étudiante doit acheter le
livre en page en noir qu'elle souhaite numériser et le transmettre au relais handicap qui
le découpe afin de scanner les pages. Le livre n'est plus utilisable par la suite. Cécile
avoue ressentir du remords quant au fait d'abîmer de cette manière les livres mais elle
n'a pas le choix. Ainsi, on peut donc dire que bien que le livre papier soit encombrant,
l'objet livre a toute son importance dans le rapport à la littérature pour les personnes
aveugles.
B. Le livre audio
Mais qu'en est-il du livre audio et du numérique? Les lecteurs voyants ont encore
beaucoup de mal à s'adapter à ces nouvelles technologies pour leur lecture mais
comment les lecteurs non-voyants les perçoivent-ils ?
1. L’utilisation du livre audio et de la synthèse vocale
Le numérique est d'une grande aide pour les personnes aveugles, qui en font
davantage usage que les personnes voyantes. Que ce soit pour la lecture, pour le travail
ou pour la recherche sur internet, les personnes à déficience visuelle se servent
énormément de l'informatique. Les synthèses vocales sont d'une grande aide pour tout
ce qui est de naviguer sur internet et de travailler sur l'ordinateur. Le témoignage d'une
professeure aveugle de littérature en Russie appuie cette idée : « Pour les aveugles,
l’ordinateur est d’une aide précieuse. Un logiciel spécial qui sonorise toutes les actions a
été conçu pour nous. Il permet de travailler avec des textes et de surfer sur internet. La
rédaction graphique est la seule chose que ne soit pas encore disponible pour nous »42.
De plus, les téléphones portables et les tablettes sont de plus en plus accessibles pour les
personnes aveugles. Notamment le Smartphone, qui contient une synthèse vocale
intégrée. Les personnes aveugles ont un usage quotidien des nouvelles technologies, et
ce très jeunes. Il se peut même qu’elles devancent les personnes voyantes quant à
l'utilisation de l'informatique.
42
Skoudaïeva, Anna, « Natalia, non-voyante, prof de littérature à Kostroma ». RIA Novosti [En ligne]. (20
mars 2013) http://fr.rian.ru/reportage/20120320/193974669.html (Page consultée le 16 mars 2013)
35
Le cas du livre audio est un très bon exemple de ce phénomène. En effet,
l'utilisation du livre audio est plus répandue chez les personnes aveugles que les
personnes non atteintes d'un handicap visuel. Le livre audio étant facilement
transportable et offrant la possibilité de lire où qu'ils soient (bus, métro, train...). De
plus, selon Kévin Jacquet, étudiant non-voyant en Lettres, les nouveautés littéraires
sortent davantage en livre audio. Il est donc plus naturel pour lui de se diriger vers ce
genre de support. Cependant, il faut noter que la sortie d'un livre papier ne coïncide pas
avec la sortie de son livre audio. La mise sur le marché de ce dernier se fait quelques
jours après la sortie commerciale du livre papier. Ainsi, les personnes aveugles doivent
attendre plus longtemps que les personnes voyantes pour pouvoir acquérir un livre. Les
personnes aveugles souffrent donc toujours d'un retard par rapport aux personnes sans
déficience visuelle quant à l'accès de la littérature. Cependant, même si l'offre est encore
assez restreinte, le développement de nombreux services mettant en ligne des livres
sonores tels que Livraphone, Audible est observable.
2. La qualité et la perception du livre audio
Néanmoins, l’appréciation de l'utilisation des livres audio, qui est assez
fréquente chez les personnes non-voyantes, est mitigée. Il y a en effet plusieurs
possibilités de se procurer un livre audio, et donc plusieurs formes différentes. Les
personnes aveugles peuvent se procurer un livre audio dans le commerce, dans des
associations, des bibliothèques ou encore en ligne. Cependant, les livres audio ne sont
pas tous de la même qualité. Ainsi, ceux que l’on peut trouver dans les bibliothèques,
les associations et sur internet sont généralement enregistrés par des bénévoles alors que
ceux commercialisés sont enregistrés soit par des acteurs ou bien par l'auteur lui-même,
et la qualité des enregistrements s'en ressent.
Les enregistrements faits par des bénévoles sont de moins bonne qualité que
ceux faits par des acteurs. La plupart des bénévoles étant des personnes âgées, le ton de
la voix est monotone. Selon les propos de Céline Perreira, étudiante non-voyante en
licence d'anglais, « les voix des bénévoles manquent de punch, cela donne envie de
dormir ». Autre problème rencontré par l'enregistrement fait par des bénévoles : la
vitesse de lecture. Certains bénévoles, lorsqu'ils enregistrent, vont parfois trop vite sur
certaines phrases. Cécile, l'étudiante en psychologie, m'a fait savoir qu'il était très
difficile de suivre la lecture d'un livre audio quand celui-ci a été enregistré par un
36
bénévole qui n'était pas intéressé par le texte, notamment pour les textes spécialisés,
comme pour la psychologie dans son cas : « On le sent tout de suite quand la personne
ne comprend pas le texte qu'elle a sous les yeux et ne s'y intéresse pas, et cela est très
désagréable. On ne peut pas apprécier le texte à sa juste valeur et le comprendre ». A
noter également qu’il arrive fréquemment aux personnes ayant une déficience visuelle
de tomber sur des bandes son de très mauvaise qualité. Certaines bandes son
comprennent un grand nombre de grésillements qui viennent altérer la bonne écoute du
texte.
En ce qui concerne les enregistrements faits par des acteurs, l'avis est assez
partagé. En effet, parfois, les voix des acteurs sont accompagnées de bruitages surfaits
et dénaturent le texte. Le sentiment d'écouter un texte n'est plus présent car les bruitages
prennent trop de place par rapport au texte. Sur l'ensemble des personnes que j'ai
rencontrées, l'avis était équitablement partagé. Certains préfèrent les enregistrements
avec les voix des acteurs et les bruitages stimulant davantage l'imagination, à la manière
des livres pour enfants que l'on peut suivre avec un CD. D'autres préfèrent la simplicité
d'une lecture faite par l'auteur lui-même, sans bruitage, considérant que la lecture faite
par l'auteur est plus proche du texte et permet une meilleure appréciation du texte. Le
livre audio a été adopté très tôt par les personnes souffrant d’un handicap visuel et il est
naturel pour elles de l’utiliser pour toutes leurs lectures. Le livre audio est un support
comme un autre pour la lecture, simple d’utilisation et facilement transportable.
C. Les bibliothèques
Il semble donc que les personnes non-voyantes ont un rapport aux livres intime
et plus ouvert que les personnes voyantes, en acceptant plus facilement le livre audio.
Mais, cette relation avec l'objet-livre suscite-t-elle un attachement fort à la
bibliothèque ? On peut se demander si les personnes aveugles ont le réflexe de se rendre
dans une bibliothèque pour emprunter des livres. Le manque d'accessibilité et le manque
de titres disponibles peut être un frein quant à la fréquentation de ces endroits.
37
1. L’emprunt des livres braille
Un grand nombre d'associations tentent d'offrir un catalogue assez large et
diversifié et des bibliothèques s'organisent pour fournir une accessibilité plus simple
pour les personnes ayant un handicap visuel. Mais les initiatives publiques restent
limitées. On ne compte à Paris, sur les 58 bibliothèques municipales, seulement deux
bibliothèques proposant des livres adaptés (Marguerite Yourcenar et Marguerite Duras).
Ainsi, les personnes aveugles se dirigent notamment vers les bibliothèques associatives.
Ces dernières tentent de devenir des lieux permettant un accès à l'information, à la
connaissance et aux loisirs. Notons le rôle important que prend le bibliothécaire, qui est
le lien entre l'information et le lecteur ; c'est lui qui permet la transmission de
l'information et il est de son devoir de faire en sorte que tous puissent y avoir accès.
Selon Bertrand Calenge : « C'est à nous bibliothécaires de procurer l'information au
public que nous servons, et non à ce dernier de la découvrir »43. Ainsi, c'est ce principe
si bien résumé par Bertrand Calenge, que les bibliothèques associatives tentent de
suivre.
Les étudiants atteints d'une déficience visuelle que j'ai rencontrés m'ont fait
savoir qu'ils ne fréquentaient pas vraiment les bibliothèques mises à leur disposition,
que ce soit pour leurs études ou pour leur plaisir personnel, ne trouvant pas forcément ce
qu'ils cherchent. Ils se dirigent généralement vers le système numérique, beaucoup plus
rapide. Ayant pour la plupart un ordinateur possédant toutes les fonctions nécessaires
pour travailler, ils ne ressentent pas le besoin de se rendre en bibliothèque. Ils
travaillent, essentiellement, directement sur un texte numérisé avec une synthèse vocale
plutôt que sur un livre papier. Il est très difficile d’estimer le taux de fréquentation des
personnes non-voyantes au sein des bibliothèques.
Cependant, la bibliothèque de l'association Valentin Haüy dénombre plus de
6000 emprunteurs actifs et une moyenne de 50 000 documents empruntés par an44, la
Bibliothèque publique d'information a recensé, en septembre 2009, pas moins de 156
réservations pour ses loges réservées aux déficients visuels, comptabilisant en moyenne
500 heures par mois d'occupation. Toutefois, ces chiffres englobent tous les handicaps
43
Calenge Bertrand. Bibliothèques et politiques documentaires à l’heure d’Internet. Editions du cercle de
la librairie, 2008, p 232
44
Ringo Marion. Op.cit. p 30
38
visuels (malvoyants et non-voyants), il est donc assez difficile de se faire une idée claire
de la fréquentation actuelle des personnes aveugles. Néanmoins, pour une bibliothèque
associative et spécialisée, les chiffres de fréquentation restent tout de même assez
importants, ce qui montre l’attachement au livre papier. Ces chiffres révèlent ainsi
l’existence d’une demande envers la lecture.
2. L’emprunt des livres audio
Il faut également prendre en considération les bibliothèques numériques. En
effet, il apparait que le numérique est très utilisé par les personnes aveugles et, de ce
fait, les bibliothèques numériques ont une forte demande. Cependant, comme le note
Sylvain Nivard, président de la Commission Culture du comité national pour la
promotion sociale des aveugles et des amblyopes (CFPSAA) : « Actuellement, le seul
catalogue de livres numériques pour déficients visuels disponible en France, le serveur
Hélène, compte 1 500 titres au bout de dix ans d’efforts, alors que chaque année 50 000
livres sont publiés dans le pays »45. La bibliothèque numérique de la BnF, Gallica tente
d’offrir un accès plus large des textes et océrise ses documents par le logiciel d’OCR
(Optical Character Recognition : reconnaissance optique de caractères). Ainsi, en
septembre 2010, 322 000 documents sur les 860 000 avaient subi cette opération46.
Toutefois, malgré l’importance de tels chiffres, la qualité des documents n’est
pas toujours satisfaisante, du fait que l’opération d’océrisation des documents est
automatique et qu’il n’y a aucune relecture par la suite. De cette manière, le taux de
reconnaissance varie selon la qualité et l’époque de publication de l’ouvrage. Des
mesures ont donc été prises, suite à de nombreuses plaintes d’utilisateurs et
d’associations. A présent, seuls les documents avec un taux de reconnaissance supérieur
à 60% sont mis en ligne, réduisant le nombre d’erreurs à « quatre erreurs tous les dix
mots »47. Mais les personnes utilisant des synthèses vocales et souhaitant accéder à ces
documents océrisés rencontrent des difficultés. En effet, « la lecture par une synthèse
vocale de ces documents induit une perte d’information considérable »48. La Bnf a mis
en place la possibilité, lors d’une requête, de procéder à un tri par qualité du document.
45
Bourdarot-Sangaré Fabienne. 2006. « Littérature pour la jeunesse et édition adaptée ». Mémoire de
maîtrise, Université de Paris III- Sorbonne Nouvelle, p 23
46
Ringot Marion. Op.cit. p 36
47
Ringot Marion. Loc.cit. P 36
48
Ringot Marion. Loc.cit. P 36
39
De cette façon, les personnes aveugles peuvent être dirigées directement vers des textes
ayant une qualité plus élevée que d’autres documents. Mais cela diminue le nombre de
textes accessibles pour les personnes atteintes d’une déficience visuelle.
Ainsi, on peut constater que les personnes aveugles ont un accès réduit aux
ouvrages papier ou numériques. Malgré cet accès réduit aux œuvres numériques et
papier, les chiffres des bibliothèques montrent que les personnes souffrant d’un
handicap visuel fréquentent ces lieux publics, ce qui témoigne de l’envie de lire. Mais
les chiffres des bibliothèques tout comme les témoignages que j’ai pu recueillir
n’attestent pas d’une préférence pour le papier ou le numérique. Les personnes aveugles
n’ont donc pas un rapport si différent avec le livre papier que les personnes voyantes.
Elles utilisent cependant davantage le livre audio. De cette façon, la relation des
personnes aveugles à la littérature ne semble pas être altérée par leur handicap. Bien au
contraire, une forte demande d’accès aux textes est constatée.
40
III. La perception de la littérature, de l’écrit
A. La relation avec l’écrit
La relation qu’entretiennent les personnes aveugles à la littérature ne se limite
pas uniquement à son état physique mais également à son contenu, à l’écriture même.
Dans une société en perpétuel mouvement dans laquelle le numérique semble prendre
un peu plus, chaque jour, davantage de place, cela a-t-il un impact sur la relation à
l’écriture ?
1. Le braille ou l’audio ?
Il semble que le numérique prend le pas sur le braille et le livre papier au niveau
du support. Le livre audio est plus facilement transportable et utilisable que le livre
braille, même s’il existe un désir important, chez des personnes atteintes d’un handicap
visuel, de posséder chez soi une bibliothèque, ce que ne permet pas le livre audio. Les
personnes non-voyantes ont donc plus de facilité à se tourner vers le livre audio que le
livre papier. Noëlle Roy, directrice du musée de l’association Valentin Haüy, complète
ce constat lors de la conférence « Les outils de communication, du braille aux nouvelles
technologies » le 13 novembre 2012 à Paris : « L’usage du braille se fait de moins en
moins de nos jours dans les pays industrialisés. Dans les écoles spécialisées [au
handicap visuel] moins de 25 % des étudiants utilisent le braille ». En effet, seul 1 %
des déficients visuels savent lire le braille, mais seulement la moitié le pratique pour la
lecture et l’écriture49.
Il s’agit là d’un constat qui peut surprendre. En effet, les idées reçues amènent à
penser que les personnes aveugles utilisent toutes le braille. Le braille est l’outil le plus
connu dans le monde et reste un symbole fort. C’est pourquoi il peut paraitre étonnant
que le braille soit de moins en moins utilisé. Ce sont les non-voyants âgés de 20 à 59
ans qui ont davantage recours au braille « 40 % ont appris le braille, 34 % l'utilisent
49
Sander Marie-Sylvie en collaboration avec MC. Bournot, F. Lelièvre, A.Tallec La population en
situation de handicap visuel en France – Importance, caractéristiques, incapacités fonctionnelles et
difficultés sociales. Observatoire régional de la santé des Pays de la Loire. (Juillet 2005), p 72. [En ligne]
http://www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er416/handicapvisuel.pdf Consulté le 14 novembre 2012.
41
pour la lecture et 35 % pour l'écriture »50. Le recours au braille est moins courant chez
les non-voyants adolescents et ceux âgés de plus de 60 ans.
Noëlle Roy donne quelques explications quant à ce phénomène. Elle explique,
lors de la conférence, que les progrès de la médecine, permettant de vivre plus
longtemps et de soigner plus efficacement les maladies, notamment celles touchant à la
vue, font que le nombre de voyants devenant aveugles lorsqu’ils atteignent un âge
avancé est plus important qu’il y a quelques années. En effet, « les déficients visuels
sont majoritairement des personnes âgées : 61 % sont âgés de 60 ans ou plus et 39 %
sont âgés de 75 ans ou plus. La proportion de personnes âgées est d'autant plus
importante que la déficience visuelle est sévère : 61 % des aveugles et malvoyants
profonds sont âgés de 75 ans ou plus »51.
Ainsi, ces personnes qui perdent la vue à un âge avancé ne souhaitent souvent
pas apprendre une nouvelle façon de lire et d’écrire avec le braille. Ils ont donc recours
au numérique. En ce qui concerne les personnes aveugles de naissance, Noëlle Roy
explique qu’ils utilisent de moins en moins le braille au profit du numérique en raison
du prix du matériel et du prix des transcriptions en braille. Le numérique est un moyen
d’accès et d’utilisation plus rapide que le braille. Enfin, Noëlle Roy souligne le fait que
les jeunes aveugles d’aujourd’hui sont nés dans une société dans laquelle le numérique
est fortement présent, ils sont donc plus accoutumés à ce genre d’outils et il est naturel
pour eux de se diriger vers leur utilisation. Ainsi, seuls « 4 % environ des aveugles ont
recours aux machines à écrire et traitement de texte braille »52.
Une étude menée en 2001 sur des étudiants atteints d’une déficience visuelle, par
l’organisation Recording for the Blind & Dyslexic, a montré une préférence des
étudiants quant à l’utilisation du livre numérique53. Les entretiens que j’ai effectués
avec des étudiants aveugles recoupent ces informations. Notamment celui avec un
50
Sander Marie-Sylvie. Op.cit. p 72
OBSERVATOIRE RÉGIONAL DE LA SANTÉ DES PAYS DE LA LOIRE. « Les personnes ayant un
handicap visuel - Les apports de l’enquête Handicaps - Incapacités – Dépendance». ORS, 2005, n°416.
12p. Consultable en ligne: http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/er416.pdf Consulté le 14 novembre
2012.
52
Sander Marie-Sylvie. Op.cit. p 71
53
LOCKERBY, Christina, BREAU, Rachel, ZUVELA, Biljana. Enhancing digital access to learning
materials for Canadians with perceptual disabilities: a pilot study. Research report. Journal of Visual
Impairment & Blindness, 2006, vol. 100, n°8, p 2
51
42
étudiant préparant un diplôme de Lettres, Kévin, qui possède un avis assez tranché
quant au choix de l’utilisation du braille ou du numérique. En effet, Kévin m’a fait part
de sa préférence pour l’utilisation du numérique estimant que « le braille est une perte
totale de temps. Avec le numérique tout est plus rapide, on a un accès plus rapide aux
textes, on peut travailler plus rapidement qu’avec le braille ». Kévin ne travaille qu’avec
le numérique pour sa licence et pour ses lectures. Que ce soit pour les études ou pour
son plaisir personnel, Kévin utilise les livres audio. Il semble donc que le numérique ait
pris une place importante chez les personnes non-voyantes aujourd’hui et emporte un
vif succès auprès des plus jeunes dans leur rapport à l’écriture.
FIGURE 9 : Causes et conséquence de la faible utilisation et apprentissage du
braille
Jeunes aveugles nés
dans l’ère du numérique
Le braille comme reconnaissance du handicap
Nouveaux aveugles
seniors ne veulent pas
apprendre une nouvelle
façon d’écrire et de lire
Faible utilisation et apprentissage du braille
Forte utilisation du numérique
43
2. L’orthographe et le braille
Cependant, face à cet engouement pour le numérique, il ne faut pas oublier
l’importance du braille. En effet, même si le numérique est de plus en plus utilisé et
qu’il permet un traitement plus rapide de l’écriture, le braille possède aussi des points
positifs quant à l’écriture. Le braille, étant une trace écrite, permet un meilleur
apprentissage de l’orthographe. Il est apparu que les étudiants aveugles ne travaillant
qu’avec les synthèses vocales avaient plus de difficultés en orthographe que ceux
utilisant le braille. Ce constat a été confirmé par les entretiens que j’ai effectués auprès
de différents étudiants. J’ai pu remarquer ce phénomène, notamment, avec des étudiants
en études de Lettres.
En effet, la plupart des élèves en littérature m’ont témoigné du même besoin
d’avoir un support écrit dans leur travail pour l’orthographe. Une des étudiante m’a fait
savoir qu’avant d’intégrer l’université elle ne travaillait que phonétiquement, ce qui lui
avait valu d’importantes lacunes en orthographe et lui apportait des problèmes avec les
synthèses vocales qui ne lisaient pas tous les codes phonétiques. De cette façon,
lorsqu’elle tapait un texte sur ordinateur en code phonétique, la synthèse vocale ne
reconnaissait pas toujours les codes et était ainsi dans l’incapacité de les déchiffrer et de
remplir sa fonction. Pour remédier à ce problème qui l’incommodait dans sa vie de tous
les jours elle s’est mise à travailler davantage avec le braille, sur l’impulsion d’un de ses
enseignants, et a rattrapé ses lacunes.
Le braille, donnant l’orthographe exacte des mots, est un outil nécessaire pour
les personnes non-voyantes. Aujourd’hui la jeune étudiante trouve qu’ « il est nécessaire
d’avoir une écriture » pour travailler et non pas seulement un support audio. Il est
intéressant de remarquer que tous les étudiants non-voyants de Lettres que j’ai
rencontrés n’utilisent pas un support plutôt qu’un autre. Pour ces étudiants, le braille et
la synthèse vocale sont des outils complémentaires. De cette manière, mes entretiens
m’ont permis de mettre en lumière des différences dans la relation à l’écriture des
personnes non-voyantes qui sont en études de littérature et ceux qui sont dans d’autres
études n’ayant trait ni à la littérature ni au français. En effet, il semble que les personnes
évoluant dans un monde littéraire ont un rapport à l’écrit plus intimiste que les autres
puisque seuls les étudiants en Lettres m’ont affirmé le besoin de posséder un support
écrit. Les autres étudiants, suivant d’autres études, même s’ils leur arrivent d’utiliser le
44
braille, ont principalement recours au numérique pour leur travail et leur lecture
personnelle.
Ce constat amène à penser que nous ne possédons pas tous un esprit littéraire et
que lorsque nous le possédons cela entraîne irrémédiablement une relation différente à
la littérature et à tous les éléments qui la composent. Que ce soit chez les personnes
voyantes ou non, des différences existent entre les amateurs de littérature, ceux qui
aiment lire et ceux qui ne voient en la lecture qu’une tâche laborieuse. De cette façon, il
semble que la relation à l’écriture des personnes aveugles est plus intimiste pour celle
qui étudie la littérature. Mais, il ne faut pas généraliser. L’utilisation du braille ou du
numérique est un choix personnel. Les avancées technologiques sont d’une grande aide
pour les personnes aveugles et entrainent, d’années en années, une diminution de
l’utilisation du braille. Cependant, la disparition du braille n’est pas à prévoir. Le braille
reste un symbole fort, « encore très respecté de nos jours, étant le symbole d’une
communauté » selon Noëlle Roy. Toutefois, il est fort probable, avec les avancées
futures, que le numérique vienne à remplacer le braille.
B. La lecture
La relation à l’écrit et à l’objet livre des personnes aveugles se différencie en
quelques points, du fait de leur relation privilégiée avec le numérique. Le numérique est
en effet un outil très utile pour les personnes souffrant d’un handicap visuel et même si
le propos précédent a été nuancé, il n’en reste pas moins que le numérique est de plus en
plus utilisé par tous. Le numérique joue un rôle important dans la perception de la
littérature et modifie la perception du livre et de l’écriture. Mais le numérique influencet-il l’expérience de la lecture ? La lecture d’une œuvre en écriture braille ou en
enregistrement audio entravent-elles l’appropriation du texte ?
1. L’appropriation du texte
La question de l’appropriation du texte se pose pour les deux procédés de lecture
qui concernent les personnes aveugles, qui sont la lecture braille et la lecture audio. La
lecture braille ne semble pas susciter un quelconque problème quant à l’appropriation
d’un texte. Une personne lisant un texte avec le braille réalise une lecture. Lire le braille
45
n’impacte pas le procédé de lecture personnel du lecteur. Le lecteur voyant et le lecteur
non-voyant pratiquent la même expérience personnelle. La seule différence entre ces
deux lecteurs est le support et l’écriture utilisés. En revanche, pour la lecture d’un livre
audio, la situation est plus problématique en ce qui concerne l’appropriation du texte.
Les lecteurs non-voyants sont moins réticents et utilisent volontiers le livreaudio. Mais même si les aveugles ont tendance à se diriger plus facilement vers ce genre
de support, écouter un livre se substitue-t-il réellement à la lecture d'un livre ? Il est
assez difficile de pouvoir apporter une réponse tranchée sur un tel sujet. Comme
précédemment, les avis sont mitigés. Certains apprécient l'écoute d'un livre audio car il
stimule l'imagination. Deux des étudiants aveugles que j'ai rencontrés sont de fervents
adeptes du livre audio. Kevin a un point de vue radical sur le sujet, pensant que « le
livre audio remplace le livre braille ». Céline, elle, apprécie les livres audio car « les
voix donnent des couleurs à l'histoire », cependant, elle avoue n'utiliser les livres audio
que pour sa lecture personnelle, pour le « loisir ». Lorsqu'elle a besoin de travailler, elle
utilise davantage le support écrit. Cette idée recoupe les propos des autres personnes
non-voyantes que j'ai rencontrées, qui pensent que la lecture en livre audio empêche une
lecture personnelle du texte.
En effet, que l’enregistrement soit fait par des acteurs ou des bénévoles, ils
apportent à leur lecture leur perception personnelle du texte, en appuyant sur tel ou tel
mot, lui apportant une importance particulière. Cela peut s'apparenter aux adaptations
cinématographiques d’œuvres littéraires, pour lesquelles le réalisateur apporte sa
perception personnelle de l’œuvre et l'impose aux spectateurs. Il s'agit d'un défi risqué et
très peu réussi car l’œuvre littéraire n'a pas été perçue de la même façon par les
spectateurs. De la même manière, les voix des acteurs enregistrant les livres audio
imposent leur perception du texte. La part de l'imaginaire, qui est un élément essentiel
de la lecture, est fortement réduite, comme l'explique Vincent Michel, administrateur de
la Fédération des aveugles de France, lors de la conférence « Lire ensemble », la
littérature de jeunesse accessible à tous les enfants, le 15 mars 2004, les textes
enregistrés ne « permettent pas d'avoir une approche entièrement personnelle du texte
écrit »54.
54
Vincent Michel. Op.cit.
46
J’ai pu moi-même constater la difficulté que peut ressentir une personne aveugle
à comprendre un texte qu’on lui lit lorsque j’ai été secrétaire lors d’une épreuve pour un
étudiant malvoyant. Lors de l’épreuve, l’étudiant malvoyant a eu de nombreuses
difficultés à comprendre les consignes et les textes de son examen, que je lui lisais. Il est
ainsi difficile de travailler et d’établir une réflexion sur un texte lorsque l’on ne peut pas
librement naviguer dans le texte. En effet, le problème des lectures assistées est qu’elles
ne permettent pas une vraie autonomie du lecteur par rapport au texte. Luc Maumet,
responsable de la médiathèque Valentin Haüy, pense qu’il « est par exemple illusoire de
vouloir constituer un fonds de philosophie en sonore »55.
L’appropriation du texte se fait difficilement dans un cadre de travail. Il est
assez problématique de s’approprier un texte lorsqu’une autre personne le lit. La
personne qui écoute entre plus difficilement dans le texte. Il s’agit d’un exercice
complexe que d’émettre une réflexion sur un texte que l’on écoute. De même pour des
lectures dites de loisir : il est plus difficile de s’approprier le texte lorsqu’il est lu par
une autre personne. Toutefois, il semble que lorsque le texte est lu par des acteurs
l’appropriation est plus facile pour le texte de loisir.
2. L’importance des descriptions
Mais lors d’une lecture, l’appropriation personnelle du texte ne suffit pas, il faut
également pouvoir le comprendre. N’ayant jamais vu le monde en raison de leur
handicap, les non-voyants peuvent éprouver certaines difficultés quant à pénétrer dans
l’univers d’un texte. Ils peuvent effectivement rencontrer des difficultés à s’imaginer les
lieux, les visages, les vêtements que l’auteur décrit dans son œuvre. Les textes sont
parfois empreints de descriptions concises reposant sur les connaissances du lecteur.
Une description basée sur le système de la comparaison telle que : « L’architecture de
style gothique » peut être problématique pour un lecteur qui n’a jamais vu. Mais il
semble que les longues descriptions soient appréciées par les lecteurs non-voyants.
Doriane Giffard, une étudiante en licence de Lettres, m’a confié qu’elle « adore les
longues descriptions de Zola ou de Balzac, contrairement à beaucoup ». Les longues
descriptions lui permettent évidemment de s’imaginer davantage les décors créés par
l’auteur.
55
Maumet Luc. « L’accès à l’écrit des personnes déficientes visuelles », BBF, 2007 n°3, p46-50.
[En ligne] http://bbf.enssib.fr (Page consultée le 16 janvier 2013)
47
Mais, même avec la présence de longues descriptions dans les œuvres, les
aveugles peuvent-ils réellement se former une image de ce qui est écrit ? En réponse à
ce questionnement, les entretiens que j’ai effectués m’ont fait comprendre que la lecture
d’un texte se vivait pour les lecteurs aveugles « comme une aventure dans laquelle on
cherche le plus de détails possibles, on est à l’affût du moindre petit détail qui permet de
se faire une idée plus précise », explique Damien Gottran, étudiant en Lettres. Pour une
grande partie des étudiants que j’ai pu rencontrer, les différentes lectures qu’ils
effectuent se complètent les unes aux autres. En effet, ils complètent les informations
données dans un texte sur un genre d’architecture, de vêtement avec des informations
récoltées dans d’autres textes. Ils se forment ainsi une sorte de base personnelle de
différents éléments pour nourrir leur imaginaire.
L’expérience de la lecture se révèle être une réelle investigation à travers les
différents détails que l’auteur sème à travers son œuvre. Il s’ensuit que les lecteurs
aveugles produisent une lecture attentive, à l’affût des détails permettant de développer
leur imaginaire. Ainsi, l’appropriation d’un texte par des lecteurs aveugles connait des
difficultés dues au handicap et aux descriptions trop concises. Cependant, les
descriptions sont de véritables lieux de plaisir pour ces lecteurs qui leur permettent
justement une appropriation plus facile du texte et de percevoir un peu mieux le monde
qui les entoure. La lecture joue donc un rôle majeur dans la vie d’un non-voyant.
3. Se repérer à travers le texte
Mais les personnes aveugles peuvent rencontrer certains obstacles lors de leur
expérience de lecture, et notamment dans le repérage à travers les pages. En effet,
lorsque le lecteur non-voyant utilise un livre braille, il est difficile pour lui de se repérer
dans le livre. Les pages se suivent, sans démarcations de chapitres. Il n’y a pas de retour
à la ligne pour démarquer les différents paragraphes. Le texte en braille est transcrit de
manière linéaire et sans variations. De cette façon, il est compliqué pour les personnes
aveugles de se repérer à travers les pages. Pour un livre braille, il est possible pour la
personne non-voyante de poser un marque page à l’endroit où il souhaite arrêter sa
lecture. Retrouver la page n’est pas le plus compliqué mais lorsqu’il faut retrouver la
ligne à laquelle le lecteur aveugle s’est arrêté, la manœuvre se complique.
48
Différentes techniques de repérage se pratiquent alors. Chacun emploie la
méthode qui lui sied le plus. La première manière de se repérer dans un texte braille est
tout simplement de relire les lignes rapidement jusqu’à retomber sur la phrase à laquelle
le lecteur s’était arrêté. Les autres façons de se repérer dans le texte est la mémorisation
d’un mot ou d’une phrase. Une des étudiantes que j’ai rencontrées m’a expliqué qu’elle
retenait le premier mot de la page à laquelle elle s’était arrêtée et mémorisait le nombre
de lignes à partir de ce repère. D’autres s’arrangent tout simplement pour couper leur
lecture en début ou fin de page. Les techniques sont sensiblement les mêmes pour les
livres audio. Les personnes non-voyantes retiennent les mots des pages auxquelles ils
ont arrêté leur lecture, se font leur propre repère. Se repérer dans un texte braille n’est
pas facile mais les personnes atteintes d’un handicap visuel trouvent des solutions. Il ne
s’agit pas d’un problème très contraignant pour les personnes aveugles.
Cependant, lorsqu’il s’agit de se repérer dans un texte sur lequel il faut travailler,
l’exercice devient plus fastidieux. En effet, pour un étudiant aveugle devant commenter
un texte, il est essentiel de pouvoir y naviguer aisément pour analyser, trouver des
références, faire des citations. Les annotations à même le texte sont impossibles que ce
soit pour le livre braille ou audio. Dans ce genre de cas, le travail littéraire est complexe
et l’analyse de l’étudiant non-voyant reste générale et imprécis. De cette façon, il
semble que les personnes aveugles ont recours au livre audio plus particulièrement pour
des lectures dites de loisir et utilisent le livre braille pour travailler accompagnés. Les
étudiants aveugles composent néanmoins sur ordinateur avec l’aide de la synthèse
vocale. Les chiffres du relevé sur le Catalogue collectif de l'édition adaptée des
ouvrages adaptés déclarés pour l'année 2002 et du nombre total des ouvrages adaptés56
montrent que les personnes aveugles lisent en dehors du cadre scolaire et utilisent
davantage le braille pour le scolaire et l’audio hors scolaire.
56
http://www.snv.jussieu.fr/inova/villette2002/act11.htm
49
FIGURE 10 : Tableau des ouvrages adaptés
Nombre total de notices au 30 mars 2002
Braille
Scolaire
2303
Non scolaire
21 513
220
24 953
623
4209
8
3154
134
50 809
Enregistrement
sonore
Ressource
électronique
Adaptations multiples
TOTAL
C. L’analyse littéraire
Lors de leurs études, les étudiants non-voyants font face à divers obstacles dus à
leur handicap. Des solutions ont été trouvées pour améliorer la situation des étudiants
aveugles par des outils ou des services proposés par l’Education nationale. Ainsi, les
étudiants aveugles, lors de leurs études, utilisent exclusivement l’ordinateur et la
synthèse vocale. En effet, que ce soit pour la prise de note en cours, pour rédiger les
devoirs et dossiers à rendre ou encore lors des examens, l’ordinateur et la synthèse
vocale sont des outils qui rendent la vie des étudiants plus simple.
1. Les conditions de travail lors d’un examen
Les étudiants souffrant d’un handicap visuel peuvent également faire appel à des
secrétaires pour la prise de notes en cours et pour un examen. Dans les universités tout
comme dans les collèges et lycées, des secrétaires travaillant pour le service handicap
sont mis à disposition des étudiants non-voyants qui en font la demande pour noter le
cours ou bien pour noter, sous la dictée de l’étudiant, le devoir de celui-ci lors d’un
examen. Les étudiants non-voyants font davantage appel aux secrétaires pour leur
examen que pour la prise de note des cours. Cependant, tous les élèves non-voyants
n’ont pas recours à cette aide car elle peut finalement se révéler être une entrave à la
réflexion personnelle de l’étudiant.
50
En effet, il s’agit d’un travail assez difficile pour l’étudiant de dicter son devoir à
une autre personne. Lorsque l’étudiant dicte son devoir, il n’est pas simple pour lui de
revenir sur ses propos. La pensée est moins fluide que s’il l’écrivait lui-même. Il se peut
qu’il ait à répéter des phrases pour le secrétaire ou bien l’attendre pour qu’il puisse avoir
le temps d’écrire. Et de ce fait, la pensée est moins limpide. Alors que l’étudiant sait ce
qu’il veut écrire dans sa copie, la dictée peut lui faire perdre le fil de sa pensée. J’ai pu
l’observer moi-même en étant secrétaire lors d’un examen d’une durée de trois heures
pour en étudiant malvoyant. Je retiens de cette expérience qu’il s’agit d’un exercice
assez difficile, que ce soit pour l’étudiant ou pour la personne qui est secrétaire.
J’ai effectivement éprouvé quelques difficultés à écrire sous la dictée de
l’étudiant malvoyant car il fallait écrire assez rapidement pour ne pas le faire répéter,
relire ce que l’on venait d’écrire pour s’assurer ensemble du contenu du texte, modifier
parfois le texte et tout cela en étant guidée. Il est apparu que l’étudiant se focalisait sur
la mobilisation de ses connaissances dans le but de répondre aux questions posées et
moins sur la rédaction de sa réponse. De cette façon, l’étudiant
avait du mal à
construire une réponse claire et précise et me dictait simplement les idées au fur et à
mesure qu’elles lui venaient. Ses réponses étaient davantage un catalogue de ses
connaissances plutôt qu’une réflexion sur la question posée.
Lorsque je relisais ses réponses dans l’intention de vérifier qu’elles le
satisfaisaient, l’étudiant ne retouchait jamais son texte. Il rencontrait en effet de grandes
difficultés à reprendre les informations, les disposer autrement et laissait donc ses
réponses telles qu’il les avait dictées. Lorsque je lui posais des questions quant à la
forme de sa réponse, l’étudiant ne parvenait pas à me fournir une réponse précise,
révélant la difficulté pour lui d’émettre une réflexion sur la rédaction. Le résultat de
cette expérience montre que pour les étudiants souffrant d’un handicap visuel, établir
une réflexion personnelle tout en dictant n’est pas un exercice facile.
51
2. Le temps de travail pour l’analyse littéraire
Dans un exercice plus précis qui est l’analyse littéraire d’un texte, l’étudiant
aveugle rencontre certaines complications. En premier lieu, le temps de travail d’un
étudiant non-voyant, quelle que soit sa formation, est double par rapport à un étudiant
voyant, en raison tout d’abord du temps dont il a besoin pour se procurer les œuvres
nécessaires pour les cours. En effet, le temps d’attente pour la transcription ou la
numérisation d’un livre est assez long. Ainsi, il arrive souvent aux étudiants aveugles de
ne pas posséder le livre dont ils ont besoin à temps pour le cours. De cette manière, ils
se retrouvent en retard par rapport aux autres étudiants, qui ont pu lire l’œuvre dans le
temps imparti et suivre les remarques du professeur lors du cours.
De plus, les élèves aveugles ont un temps de travail personnel à la maison plus
important que les étudiants voyants. En effet, Lucie Darvil, une jeune lycéenne qui
passe son bac littéraire cette année, m’a expliqué que pour les explications de textes
faites en classe, elle n’avait pas le temps de noter les remarques et de les vérifier dans le
texte du fait qu’elle ne peut se repérer rapidement dans le texte. Ainsi, elle note toutes
les références que le professeur donne lors de son cours et c’est une fois chez elle
qu’elle reprend une à une les références tout en regardant le texte. Cette jeune étudiante
m’a également expliqué qu’elle préférait choisir, lors de l’épreuve de français du bac, la
dissertation plutôt que le commentaire de texte. L’impossibilité de se déplacer
rapidement à travers le texte et le temps trop long nécessaire à la lecture du texte lui font
faire systématiquement ce choix : « Je prends toujours la dissertation pendant les
épreuves, je ne regarde même pas le texte, je sais que cela me prendra trop de temps.
Le lire, revenir sur le texte et puis rédiger cela met trop de temps pour moi et je sais que
je n’y arrive pas en si peu de temps. Donc je préfère la dissertation parce que je peux me
lancer tout de suite dans la réflexion une fois que j’ai lu le sujet ».
L’analyse littéraire d’un texte est un exercice qui est compliqué pour des
étudiants aveugles lorsqu’il est réalisé dans un temps limité. Cependant, il faut souligner
que l’analyse littéraire n’est pas un exercice impossible à réaliser pour des étudiants
aveugles. Mais c’est un exercice qui demande du temps pour pouvoir être fait dans de
bonnes conditions.
52
3. L’analyse littéraire et ses figures de style
Cependant, on peut remarquer d’autres difficultés que les étudiants aveugles
peuvent rencontrer dans l’analyse littéraire lorsqu’elle est faite sans limitation de temps.
En effet, certaines figures de style littéraires peuvent être un obstacle dans l’analyse. La
métaphore est, par exemple, une des figures de style qui peuvent poser problème aux
étudiants non-voyants dans l’analyse. La métaphore consiste à donner à un mot un sens
que l’on attribue à généralement à un autre. De cette manière, pour des étudiants qui
n’ont jamais vu, il est difficile de comprendre certaines métaphores. Prenons un
exemple auquel a été confronté Céline, l’étudiante en Lettres : « Cette faucille d’or dans
le champ des étoiles »57, dans ce vers, la « faucille d’or » fait référence à l’astre de la
Lune et « le champ » fait référence au ciel. Un lecteur voyant attentif peut facilement
comprendre la métaphore de ce vers. Cependant, un lecteur non-voyant de naissance qui
n’a jamais vu la forme d’une faucille et de la Lune ne peut pas comprendre
immédiatement la figure de style utilisée, comme ce fut le cas pour l’étudiante devant
analyser ce poème de Victor Hugo.
Toutefois les personnes aveugles ne sont pas incapables de comprendre cette
figure de style. Le procédé est le même qu’avec les descriptions : l’étudiant aveugle se
forge un catalogue de références. En effet, une fois qu’un étudiant a été confronté à une
métaphore et que celle-ci lui a été expliquée, il pourra réutiliser cette nouvelle
connaissance dans son expérience personnelle et dans ses prochaines analyses. La
métaphore est également compréhensible lorsque celle-ci fait partie de l’inconscient
collectif, qu’il s’agit d’une expression que l’on utilise fréquemment telle que « un soleil
de plomb », cette métaphore est facilement compréhensible pour une personne n’ayant
jamais vu puisqu’il s’agit d’une expression qui s’utilise fréquemment dans le langage
courant.
Le calligramme est également un obstacle majeur dans l’analyse littéraire pour
une personne non-voyante. En effet, le calligramme est un poème dont la disposition
des mots forme un dessin en rapport avec le sujet du texte ou non. Il permet ainsi
d’associer l’imagination portée par les mots et l’imagination visuelle. De par la
définition même de ce poème, une personne non-voyante ne peut avoir une perception
57
Hugo Victor. Booz endormi. La légende des siècles. 1855-1876. Vers 88
53
complète de ce genre de poème, étant donné qu’il fait interagir le sens de la vue. La
synthèse vocale ne rend pas encore accessibles les formes visuelles affichées à l’écran.
En effet, les synthèses vocales ne sont pas encore programmées pour décrire les formes
visuelles, les dessins, tableaux et autres illustrations qui sont à l’écran. Ainsi, la forme
du poème n’est pas rendue accessible au lecteur non-voyant. De plus, la transcription
braille du poème ne reproduit pas l’image que forment les mots du poème original. Un
calligramme transcrit en braille ne se différencie pas d’un autre texte, les vers sont écrits
à la suite sans disposition particulière.
De cette façon, les étudiants aveugles ne peuvent pas avoir un accès complet au
texte et leur analyse du poème s’en ressent fortement. N’ayant aucun outil pouvant les
aider à percevoir ce genre de poème, les lecteurs non-voyants passent à côté d’une
partie de l’interprétation du poème. Le calligramme est un genre poétique qui reste,
malgré les progrès du
numérique, inaccessible aux personnes aveugles. Ainsi, les
étudiants non-voyants rencontrent différents obstacles au cours de leur cursus. De
nombreux outils, services et organisations leur viennent en aide pour qu’ils puissent
suivre leurs études dans les meilleures conditions possibles. Même si des progrès sont
encore attendus pour améliorer l’accès aux textes.
54
CONCLUSION
Ainsi, quel est donc le rapport des personnes non-voyantes à la littérature, à
l’écriture et au numérique ? La relation étroite des personnes voyantes avec la littérature
est largement connue par le grand public. Il existe de nombreuses représentations de
cette relation et de l’importance qui est accordée à la littérature, notamment dans les
peintures dans lesquelles la présence de livres symbolise la connaissance et la science.
Cette image des livres et de la littérature comme vecteur de connaissance est connue dès
l’école élémentaire jusqu’au lycée, comme en atteste l’intérêt accordé à la lecture dans
le système éducatif. La lecture participe au développement de l’enfant, permettant
l’épanouissement intellectuel et psychique par l’identification, la distanciation et la verbalisation. Le livre participe à l’éveil sensoriel et affectif de l’enfant notamment par
l’odeur du papier, le toucher des feuilles, des reliefs et la vue des illustrations. Le livre
fait ainsi partie de l’éducation de tout enfant.
De ce fait, il existe une représentation sociale précise de ce qu’est la lecture pour les
personnes voyantes. Mais, dans ce contexte, dans lequel la littérature et les livres possèdent une forte représentation connue de tous, il est difficile pour les personnes voyantes
de comprendre comment les personnes aveugles peuvent pratiquer l’exercice de la lecture et de concevoir la relation des personnes aveugles avec la littérature sans le même
support qu’eux. En effet, l’écriture, la lecture et le support de lecture des lecteurs
aveugles étant bien distincts de ceux des lecteurs voyants, ces derniers se demandent
comment les lecteurs aveugles peuvent percevoir la littérature sans les mêmes outils.
Mais, finalement, la question de la perception de la littérature pour les personnes
aveugles ne se pose pas. En effet, la littérature est avant tout une rencontre, une rencontre entre l’auteur, qui par les mots se dit lui-même et le monde, et le lecteur qui reçoit et partage les propos de l’auteur. Ce n’est donc pas la perception de la littérature
des personnes non-voyantes qui diffère de celle des lecteurs voyants, mais ce sont les
supports utilisés pour la littérature qui sont différents.
Les résultats des recherches et des entretiens ont permis de déterminer que les
seules différences observables dans le processus de lecture entre des lecteurs non atteints d’une déficience visuelle et des lecteurs non-voyants sont l’écriture et les supports
utilisés. La littérature n’est pas inaccessible pour les personnes aveugles, comme en
55
atteste le fait que des personnes souffrant de ce handicap exercent le métier d’écrivain,
tel que Helen Keller (1880-1968) romancière américaine, Marie Gevers (1883-1975)
romancière belge et Taha Hussein (1889-1973) romancier et essayiste égyptien. De cette
façon, la pratique de la littérature n’est pas un obstacle pour des personnes nonvoyantes. Les réponses obtenues lors d’entretiens avec des étudiants non-voyants mettent en évidence leur relation à la littérature à travers les différents supports. Il en est
ainsi ressorti un réel attachement au papier et aux bibliothèques, semblable à celui des
personnes voyantes. Le handicap visuel n’est donc pas une entrave à la perception de la
littérature.
Les lecteurs non-voyants comprennent l’œuvre et établissent leur propre expérience
de lecture. Les résultats au baccalauréat littéraire de l’année 2005-2006 prouvent que la
compréhension d’une œuvre n’est pas perturbée par le handicap puisque le taux de réussite était de 100 %58. Ces résultats montrent que les personnes aveugles peuvent comprendre une œuvre littéraire et construire une analyse littéraire. Toutefois, le handicap
visuel peut être un obstacle quant à la compréhension de certaines figures de style ou de
descriptions auxquels les personnes aveugles font face en se créant un catalogue personnel de références. La perception de la littérature n’est donc pas la difficulté majeure
liée au handicap visuel.
Le réel obstacle du handicap visuel en ce qui concerne la littérature est son accessibilité. En effet, les personnes aveugles sont confrontées au manque de publications
d’œuvres, à la qualité, parfois médiocre, des adaptations ou encore à l’aspect pratique
des supports. La difficulté d’obtention des droits d’auteurs et le coût de fabrication important conduisent à un manque d’ouvrages et des à prix de vente élevés. De nombreux
outils et de réformes ont été mis en place afin de faciliter l’accès à la littérature pour les
personnes non-voyantes. De nouvelles lois et des aides financières facilitent la production d’ouvrages pour les éditions adaptées et les associations. Bien que la France soit
encore en retard par rapport aux autres pays, pour ce qui est de l’édition adaptée et de
l’accessibilité d’internet, elle tente d’améliorer au fur et à mesure ces insuffisances en
instaurant notamment la loi de 2005 et le décret de 2008 qui imposent, pour le premier,
58
MONTAGNE, Gilbert. L’inclusion des personnes aveugles et malvoyantes dans le monde
d’aujourd’hui. Rapport à la demande du Ministre du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité et
de la Secrétaire d’État chargée de la Solidarité, 2007, p 23. [En ligne] http://www.socialsante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Gilbert_Montagne.pdf Consulté le 5 novembre 2012.
56
l’accessibilité à tous les sites internet et pour le second une exception au droit d'auteur et
aux droits voisins permettant aux associations d’adapter des œuvres.
L’accès aux textes pour les personnes non-voyantes se fait sur différents supports,
le braille, la synthèse vocale et le livre audio. De nos jours, le braille se pratique de
moins en moins, sur 77 000 aveugles, 7 000 le pratiqueraient. Diverses raisons peuvent
expliquer ce désintérêt envers ce symbole, qui est le braille. Tout d’abord, comme le dit
Hampshire Barry : « Le Braille n’est pas un véhicule neutre de l’information […]. Celui
qui utilise le Braille reconnaît implicitement être atteint d’un grave handicap visuel,
c’est-à-dire qu’il reconnaît l’état de cécité et tout ce que cela entraîne sur le plan psychologique et sociologique »59. Mais, une des raisons les plus importantes quant à la
désaffection à l’égard du braille est le développement du numérique.
En effet, le numérique est un domaine dans lequel de nombreux progrès ont été
constatés au cours de ces dernières années. Il est plus facile aujourd’hui pour les personnes aveugles de se diriger vers le numérique, qui est un outil plus pratique que le
braille et dont les personnes aveugles sont habituées très jeunes à son utilisation. Les
recherches qui ont été effectuées ont montré que l’usage du numérique se pratique de
plus en plus, complété par de nombreux outils. Les personnes aveugles ont effectivement à leur disposition des outils tels que les plages braille, les blocs-notes braille ou
encore des synthèses vocales qui leur permettent de travailler sur ordinateur. La lecture
de livres se fait énormément sur ordinateur avec les synthèses vocales ou alors avec les
livres audio. Les non-voyants ont moins de réticence à utiliser ce genre de supports pour
leur lecture que les personnes voyantes, y étant familiarisés très jeune. De même, les
étudiants non-voyants utilisent la plupart du temps l’ordinateur pour travailler, que ce
soit pour prendre les course en note, lire les textes ou rédiger leurs devoirs et examens.
L’informatique est un outil simple d’utilisation et rapide. Il est ainsi plus rapide pour les
personnes aveugles de posséder une œuvre numériquement que sur papier, le temps
d’attente étant plus court.
59
Hampshire, Harry. La pratique du Braille : le Braille comme moyen de
communication. Les Presses de l’Unesco, 1981,p 19.
57
De cette façon, le numérique a pris le pas sur le braille, même s’il permet, par les
plages braille et les blocs-notes braille, de compléter l’utilisation du numérique avec
l’écriture braille. Le numérique est aujourd’hui une révolution pour tous mais davantage
pour les personnes handicapées visuels, leur rendant la vie plus facile et non pas seulement pour l’accès à la littérature mais dans la vie quotidienne. L’accès au numérique, à
internet, permet l’égalité pour tous et c’est pour cette raison que de nombreux pays investissent énormément dans le numérique, avec de multiples lois et aménagements. Le
numérique semble ainsi être l’outil le plus utilisé par les personnes en situation de handicap visuel pour l’accès à la littérature.
La littérature, dans sa perception et dans son analyse, n’est donc pas inaccessible
pour les personnes aveugles. Les personnes souffrant d’un handicap visuel ont à leur
disposition de nombreux outils pour accéder à la littérature. Les seules difficultés que
les personnes non-voyantes rencontrent dans leur relation à la littérature, ce sont les prix
élevés des outils et des livres, ainsi que la qualité des œuvres. Il n’y a pas assez
d’œuvres disponibles, ni même suffisamment de structures spécialisées en France. Alors
que d’autres pays sont en avance quant aux aides fournies, aux lois et au développement
de structures permettant une offre abondante d’œuvres littéraires. Le principal problème
est l’accessibilité aux textes, que ce soit par les prix des ouvrages et des outils que des
œuvres transcrites.
58
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59
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