Parcours
Transcription
Parcours
Sommaire Éditorial Rencontre avec… Janne Teller et Florence Barrau page 2 page 4 Le dossier Les tendances de l’édition pour adolescents et jeunes adultes page 7 Parcours de lecture Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence page 41 page 50 page 59 page 70 Formations page 72 Index page 75 22 Édito de lecture Parcours Livres accroche Sonia de Leusse - Le Guillou Littératures 1 6 janvier 2012, site du Nouvel Observateur. Voir : http://leplus.nouvelobs.com/ contribution/228795-harry-potter-et-twilight-ontils-redonne-aux-jeunes-le-gout-de-lire.html 2 Voir l’entretien avec Carine Tardieu et Raphaële Moussafir, p. 17 3 Même si quelques tentatives d’ebooks proposent de nouvelles modalités de lecture, comme le projet hiboo, soutenu par Lecture Jeunesse en 2011, qui vise à enrichir des titres de littérature classique passés dans le domaine public. On notera qu’il s’agit d’une initiative d’étudiants concepteurs réalisateurs multimédia des Gobelins, l’école de l’image. Voir www.hiboo-project.com/fr/ 4 Isabelle Jan (propos recueillis par D. Demers), « Faut-il censurer les contes de fée ? », Châtelaine, août 1990, p. 92-93, cité par Sylvie Servoise, « Littérature, arts et culture. La littérature pour la jeunesse : une école de vie ? », in Raison publique, 13, PUPS, octobre 2010, p. 285. 5 Lire est le propre de l’homme. De l’enfant « Aujourd’hui, dit Matthieu Letourneux, la peur panique du déclin de la lecture conduit le public à s’enthousiasmer » pour des ouvrages « qui auraient été regardé[]s autrefois avec suspicion1 ». Désormais, une partie de la littérature pour les adolescents et jeunes adultes, décomplexée, relèverait de la littérature populaire. Nul ne s’étonnera qu’on retrouve, dans les tendances fortes de ces dernières années, des frontières perméables entre les différents médias plébiscités par les jeunes : leur culture transmédiatique les fait jongler d’un support à l’autre, du récit au teen movie, par exemple, films spécialement conçus pour les adolescents. Les productions – mais certains éditeurs aussi – l’ont compris, qui modèlent parfois un héros avant de décliner ses aventures sous différentes formes. Cette porosité souvent dépréciée ne doit pas occulter des propositions artistiques qui émergent parmi ces adaptations, comme en témoigne le film inspiré du roman Du Vent dans mes mollets2. Au-delà de cette contamination des supports, caractéristique de la littérature grand public, les expérimentations numériques des livres pour adolescents restent frileuses3. Le marché est encore balbutiant et les positionnements des éditeurs divergents. On aurait pu attendre une explosion de la bande dessinée sur Internet. Mais ni les comics qui réapparaissent en force au format papier, ni les albums n’en tirent vraiment parti ; là encore, le numérique ne paraît pas bouleverser les modes de lecture. La révolution semble moins concerner le support que le contenu : un vent de révolte souffle sur une partie des publications. Pourtant, cette vague des titres indignés n’est pas un phénomène nouveau. S’ils sont contestataires, les parcours présentés ont valeur d’exemple, de modèle à suivre. Se posent une fois encore les questions du statut de l’engagement et du militantisme dans la production jeunesse, qui peinerait à ne pas flirter avec la morale. « Avant, il ne fallait pas dire zut à sa grand-mère, se mouiller les cheveux ou être coquette ; maintenant il faut appartenir à une organisation humanitaire : c’est pareil ! La cause est peut-être plus intéressante, mais la littérature est tout aussi ennuyeuse4 », disait Isabelle Jan. Alors assommante, l’offre pour adolescents et jeunes adultes en 2012 ? Non, pléthorique, reproche Anne Clerc mais humoristique ! Si rire est le propre de l’homme, L’Ecole des loisirs nous rappelle que lire l’est aussi5. Alors lire en riant… lecteur au libre électeur, L’Ecole des loisirs, 2011. Voir www.lirelire.org/ Lecture Jeune - juin 2012 Rencontre avec… Janne Teller et Florence Barrau par Anne Clerc page 4 à 6 4 Rencontre littéraires Le dossier avec… au Cinéma Taiunique/Gaïa Jean-baptiste Coursaud Janne Teller et Florence Barrau Entretien Propos recueillis par Anne Clerc Les romans de Janne Teller, entre questionnement philosophique et regard sur l’actualité, se démarquent dans la production pour la jeunesse. Danoise d’origine austro-allemande, l’auteur met à profit sa propre expérience de l’immigration dans son dernier livre, Guerre. Et si ça nous arrivait ?1. À l’occasion de la sortie de cet ouvrage aussi court que saisissant, Lecture Jeune l’a rencontrée. Anne Clerc : Qu’est-ce qui vous a menée vers l’écriture ? Janne Teller Après un premier texte publié à l’âge de 14 ans dans un journal danois, Janne Teller abandonne momentanément ses ambitions littéraires. Ayant étudié l’économie à l’université, elle voyage en Afrique et dans le monde entier pour la section humanitaire de l’Organisation des Nations Unies. En 1995, elle se consacre à l’écriture et fait ainsi paraître son premier roman : L’île d’Odin8. Elle se lance par la suite dans la littérature pour jeunes avec Rien9 puis Guerre10 et reçoit de nombreux prix littéraires. Son œuvre est traduite en une vingtaine de langues. 1 Chroniqué dans le parcours de lecture du n° 141 de Lecture Jeune. 2 Cette phrase constitue le prologue de Rien. 3 Dansklærerforeningens Forlag (www.dansklf.dk) Janne Teller : Avant de me lancer dans l’écriture, je travaillais pour l’ONU. Vers l’âge de 30 ans, j’ai quitté mon emploi pour me consacrer à mon premier roman, L’Île d’Odin. Mais je racontais des histoires avant même de pouvoir les écrire : j’ai créé mon propre monde dans lequel la pensée de l’immigration est très présente car mes deux parents sont d’origine étrangère. Ma mère, née en Autriche, est arrivée au Danemark en 1945 et mon grand-père était soldat allemand pendant la première guerre mondiale ; après le conflit, il a rejeté son pays natal pour prendre la nationalité danoise. Ce multiculturalisme fait partie de ma personnalité et la question de l’exil est étroitement liée à mon imaginaire littéraire. AC : Qu’est-ce qui vous a conduite vers la littérature jeunesse ? JT : Ma maison d’édition m’a commandé un livre pour jeunes adultes. J’y étais réticente au début puis j’ai trouvé le thème de Rien. J’entendais dans mon esprit la voix de ce garçon qui clamait « Rien n’a de sens, je le sais depuis longtemps2 » et j’ai imaginé les réactions de ses amis. En quelques semaines, j’avais rédigé les grandes lignes du récit. Guerre est paru environ un an après. AC : Comment vous est venue l’idée de Guerre ? JT : Lors des élections législatives danoises de 2001, on m’a demandé d’écrire un texte alors que le débat sur l’immigration s’enlisait dans la haine et la violence. J’étais enthousiaste à cette idée mais j’avais le sentiment qu’une énième histoire sur les réfugiés irakiens n’aurait aucun effet. J’ai donc voulu innover en inversant les situations, à travers un « essai fictionnel » dans lequel une famille danoise s’exile en Égypte pour fuir la guerre qui fait rage dans les pays nordiques. Le récit est d’abord paru dans un magazine. En 2004, il a été publié sous la forme d’un passeport par la maison d’édition danoise de Rien3 qui a proposé des illustrations pour l’accompagner. AC : Pourquoi avoir adapté le texte à la France ? JT : J’ai harmonisé le texte pour qu’il garde sa pertinence dans tous les pays où il était traduit. Chaque lecteur devait pouvoir s’y identifier. Pour plus de réalisme, la famille danoise possède par exemple une maison alors que les Français logent dans un appartement. En dehors de ces modifications « sociologiques », il fallait également réaliser des transpositions politiques : j’ai fait varier les pays impliqués dans le Lecture Jeune - juin 2012 55 conflit. Je craignais que le scénario soit trop proche d’une réalité passée. Ainsi, je ne pouvais pas parler de l’Allemagne ou de tout autre pays qui partage une histoire commune avec la France. C’est pourquoi j’ai choisi les Scandinaves dont je connais bien la culture et qui paraissent plus improbables comme belligérants. AC : Pourquoi avez-vous décidé de partir d’un constat si invraisemblable ? JT : J’ai fait ce choix car mon roman s’adresse à tous les gens qui ne sont pas immigrés et ne peuvent pas facilement comprendre la situation des réfugiés : il fallait donc les mettre dans les circonstances appropriées même si elles paraissent irréalistes. Le titre au conditionnel rappelle qu’il s’agit de fiction : « Et si ça nous arrivait ? ». Ceci dit, actuellement, la réalité semble rattraper la fiction que j’ai écrite il y a dix ans : depuis les événements du Printemps arabe, il paraît moins incroyable que l’Égypte devienne une démocratie ; à l’inverse, la crise grecque pourrait rapprocher la menace mise en avant dans le scénario allemand de Guerre où l’Allemagne se retire de l’Union Européenne et entre en guerre contre la Grèce. Florence Barrau : Guerre est une fiction mais pas un roman. Il ne s’agit pas d’un tableau politique mais d’une description du mécanisme qui induit la montée de la haine raciale et il perdrait en force avec davantage de détails. AC : Effectivement, le scénario fait fortement écho à l’actualité. Pourquoi avoir choisi l’Égypte comme pays de repli ? JT : Je voulais dès le départ que le pays de refuge soit musulman car je souhaitais notamment aborder la thématique de la différence de traitement entre hommes et femmes. D’autre part, j’ai voyagé dans les pays arabes et je connaissais leur culture. La situation et les peuples choisis n’ont pas vraiment d’importance. Il me fallait un pays « atypique » pour évoquer la perte d’identité, qui est l’aspect le plus terrible du statut d’immigré : lorsqu’on fuit sans cesse sans pouvoir revenir en arrière, on perd le contrôle de sa vie et c’est l’identité qui s’en trouve dévalorisée. Florence Barrau Responsable éditoriale des romans pour adolescents au sein des éditions Les Grandes Personnes, c’est elle qui a remarqué le potentiel littéraire des écrits de Janne Teller à la Foire du livre de jeunesse de Bologne. Conquise par la justesse du portrait de l’adolescence dépeint par l’auteur, Florence Barrau acquiert les droits de ses ouvrages pour la France. AC : Est-ce que Guerre est lu par les personnalités politiques en Allemagne ou au Danemark ? JT : Mon livre est paru au Danemark dans un contexte très sensible : montée des nationalismes, rejet de l’immigration. Il a fait couler beaucoup d’encre à sa sortie. Le ministère de l’Intégration s’est même senti provoqué par ce roman ! En Allemagne, ce sont la presse écrite et la télévision qui se sont emparées de la controverse autour de Guerre et j’ai été souvent sollicitée pour intervenir dans des débats politiques. FB : En France, nous avons construit l’argumentaire de commercialisation autour de cette problématique : Guerre est certes un outil intéressant pour amorcer le débat sur l’immigration mais c’est surtout le questionnement identitaire qui est au cœur de ce livre. AC : Vous parvenez à décrire avec beaucoup de justesse la perte de repères du narrateur, son impression d’être étranger et inadapté à son pays d’accueil. Par petites touches4, le lecteur arrive à se mettre réellement dans la peau d’un immigré confronté au rejet et à l’incompréhension. JT : Lors des lectures dans les écoles, les jeunes d’origine étrangère étaient parfois déçus de me voir arriver car ils me supposaient immigrée Lecture Jeune - juin 2012 4 Par exemple, dans l’illustration de la page 33, l’insulte lancée en langue arabe n’est pas traduite. 6 Rencontre avec Janne Teller et Florence Barrau 5 Postface p. 57 : « De plus en plus (…), j’entends certains accuser ce texte d’être “politique”. Tout d’abord, je n’ai jamais compris ce qu’il pouvait y avoir de mal à être “politique” dans un monde politique. » 6 Matin Brun, Frank Pavloff, éditions Cheyne, 1998. 7 Indignez-vous !, Stéphane Hessel, éditions Indigène, 2010. 8 L’Île d’Odin, Actes Sud, 2003. 9 Rien, Panama, 2007. 10 Guerre, Les Grandes Personnes, 2012. Bibliographie de Janne Teller (romans traduits en français) • L’Île d’Odin, Actes Sud, 2003. • Rien, Panama, 2007. • Guerre. Et si ça nous arrivait, illustré par Jean-François Martin, Les Grandes Personnes, 2012. Sur Internet • www.janneteller.dk comme eux et non danoise ! Cependant, le fait que ma famille soit issue de l’immigration a changé mon rapport à ce livre : j’aurais pu l’écrire même en étant danoise « de souche » mais je ne l’aurais pas pensé de la même manière. J’ai été poussée à publier Guerre lorsqu’autour de moi des individus normalement tolérants, intelligents et bien éduqués ont commencé à voir les réfugiés comme une race différente qui ne mériterait pas le respect dû aux êtres humains. Ce roman est conçu pour être une passerelle vers un questionnement identitaire, le scénario du conflit n’est finalement que secondaire. AC : Pourquoi avoir choisi le tutoiement comme mode de discours ? Au début, il semble s’agir d’une interpellation généraliste mais on comprend rapidement que le narrateur s’adresse à un individu déterminé. JT : Quand j’ai commencé à rédiger Guerre, je n’ai même pas réfléchi au ton à employer. Ce n’était pas un choix délibéré. J’ai suivi une voix intérieure qui me dictait le texte. Pour moi, convaincre l’autre passe par l’empathie du tutoiement. Le « tu » crée une intimité et facilite l’identification à l’autre. Il a également une autre fonction : j’ai choisi ce mode de discours pour m’adresser aux plus jeunes car il relève davantage de l’oralité ; on arrive mieux à s’imaginer interpellé par le tutoiement que par le vouvoiement. Il permet d’emmener très vite le lecteur dans un autre monde. FB : Le texte de Guerre est très sobre et il contient une certaine froideur. Le tutoiement permet d’entrer davantage dans cette fable distanciée, d’être dans l’histoire plutôt que de l’observer de loin comme un simple spectateur. AC : La littérature jeunesse est souvent très morale et commémorative, Guerre est-il un texte politique5 ? JT : Au début, ce texte n’avait pas de signification politique ; mon but n’était pas de dire que la rencontre des cultures ne pose aucun problème, mais simplement de poser la question de l’immigration dans les préoccupations des jeunes. Les adolescents doivent être confrontés à la problématique de la diversité culturelle mais on doit éviter la politisation de ce débat. C’est pourquoi je pense que les romans constituent un bon vecteur pour véhiculer les discussions autour du multiculturalisme. FB : Malgré sa brièveté, Guerre n’est pas une lecture « plaisir » : le texte peut déranger autour de lui. Il ne fait qu’ouvrir le débat sans proposer de morale. Certains lecteurs et prescripteurs sont déconcertés car ce livre n’offre pas de réponses aux questions qu’il soulève. AC : Le thème de Guerre, sa postface et son format pourraient toucher un plus large public que les seuls adolescents. Quels types de lecteurs avez-vous rencontrés ? JT : En Allemagne, de même que pour Rien, le public de Guerre – qui s’est vendu à près de 160 000 exemplaires – est composé à parts égales d’adultes et d’adolescents. Ce sont notamment les jeunes immigrés qui ont apprécié le roman car il devenait un outil pour parler de leur situation et de leur vie. FB : Ce livre parvient davantage à sortir de la sphère adolescente car il a une présentation plus originale ; il est plus facile de le mettre en avant au niveau du marketing. Guerre participe du même phénomène éditorial que Matin Brun6 ou Indignez-vous7. Tout comme ces deux manifestes, il a réussi à séduire un public adulte. Lecture Jeune - juin 2012 L Le dossier Les tendances de l’édition pour adolescents et jeunes adultes Panorama de l’édition pour adolescents par Anne Clerc De la fiction au cinéma par Adrienne Boutang page 12 à 16 Du Vent dans mes mollets. Du livre au film Entretien avec Carine Tardieu et Raphaële Moussafir par Sonia de Leusse-Le Guillou La littérature jeunesse « s’indigne » ! par Eléonore Hamaïde-Jager Les politiques du livre numérique dans l’édition jeunesse page 17 à 20 page 21 à 25 par Patricia Gendrey page 26 à 30 Les adolescents et la bande dessinée par Benoît Bertou page 31 à 34 Les comics, symboles de leur temps par Xavier Fournier @ page 8 à 11 Retrouvez notre e-dossier complémentaire sur le blog de Lecture Jeunesse http://bloglecturejeune.blogspot.com Lecture Jeune - juin 2011 page 35 à 38 8 Panorama de l’édition Le dossier pour adolescents Anne Clerc Panorama 1 www.dgmic.culture.gouv.fr/IMG/pdf/ Chiffres-cles_2010-2011.pdf 2 Pour le SNE (Syndicat National de l’Edition), « cette stabilité globale est en réalité le résultat d’une évolution très contrastée entre les deux principaux segments à part comparable : l’éveil petite enfance et albums à colorier est en forte croissance (+13,4 %) tandis que la fiction jeunesse est en net recul (-9,2 %) », www.sne.fr/dossiers-et-enjeux/ economie.html 3 Matthieu Letourneux souligne un autre paradoxe dans son article du 6 janvier 2012 sur le site du Nouvel Observateur : « Ce qui apparaît comme nouveau selon moi, c’est l’assomption d’une littérature populaire pour la jeunesse. Celle - ci a existé autrefois. Mais quand on était enfant dans l’entre - deux-guerres, il n’était pas recommandable de lire des romans d’aventures de Tallandier ou de Ferenczi, tout comme, dans les années 1950-1960, les bonnes familles n’aimaient pas voir leurs enfants lire Bob Morane. Aujourd’hui, la peur panique du déclin de la lecture conduit le public à s’enthousiasmer pour ce qu’on appelle le retour de la lecture chez les jeunes, mais à travers des lectures qui auraient été regardées autrefois avec suspicion. » http://leplus.nouvelobs.com/ contribution/228795-harry-potter-et-twilight-ontils-redonne-aux-jeunes-le-gout-de-lire.html 4 On ne peut que référencer le label « R » aux éditions Robert Laffont lancé en février 2012, et une reconfiguration des romans pour adolescents aux éditions de l’Archipel, dans la collection « Galapagos », fin 2011. 5 « La Martinière J Fiction », « Darkiss » aux éditions Harlequin, « Castelmore » aux éditions Bragelonne, « Territoires » au Fleuve Noir, « Blast » aux éditions Nathan. En mars 2012, le Service du Livre et de la lecture publie les chiffres clefs du secteur du livre pour 2010-20111. Si la jeunesse – qui représentait 14 % du chiffre d’affaires tous secteurs confondus contre 15 % en 2010 – stagne, la littérature générale domine le marché avec 24 % en 2011 (23 % en 2010)2. L’offre littéraire pour adolescents et jeunes adultes paraît « homogène » : les grands formats, les séries et les romans fantastiques aux codes graphiques similaires abondent et se distinguent difficilement en rayons. La dimension transmédiatique de cette littérature n’est pas un phénomène transitoire à l’heure où les séries à succès se poursuivent sur les écrans (films, séries TV, jeux vidéo, etc.) et sont des sujets d’échanges sur les réseaux sociaux. La littérature qui devrait être « pour adolescents » tend à avoir toutes les caractéristiques d’une littérature populaire3 qui ne s’adresse plus à une génération précise mais à une classe de lecteurs que l’on voudrait « young adults » et adeptes des paralittératures. Est-ce la fin d’une littérature adressée aux seuls jeunes ? Une littérature jeunesse « pour tous » Le secteur jeunesse semble être entré dans une « zone de confort » avec peu de nouvelles collections depuis le début de l’année 20124 ; celles lancées entre 2010 et 20115 sont résolument tournées vers les « young adults » et s’inscrivent dans des politiques éditoriales voisines les unes des autres. Chick-lit, bit-lit, fantasy et récits paranormaux se mêlent d’un catalogue à l’autre et les argumentaires de vente se ressemblent. Ainsi, « Territoires », chez Fleuve Noir, propose « une littérature d’évasion, divertissante et captivante, qui passionnera le plus grand nombre » tandis que la collection « Blast » (Nathan) offre des textes aux « héros charismatiques. Un choc visuel et littéraire. Une écriture cinématographique ». En investissant massivement les paralittératures, les éditeurs jeunesse ne ciblent plus une génération mais une catégorie de lecteurs. Les titres de bit-lit ou de dystopie chassent les précédents tandis que les prescripteurs guettent les cycles incontournables. Les codes graphiques des séries renforcent cette impression d’interchangeabilité entre des ouvrages6 partageant des formats et des couvertures analogues. Enfin, ces romans ressemblent à ceux publiés en littérature générale et populaire quand ils ne bénéficient pas d’une double édition7. Dans Le Roman pour adolescents aujourd’hui : écriture, thématiques et réception8, Daniel Delbrassine témoignait de cette « production de Lecture Jeune - juin 2012 9 masse » et du « suivisme » des éditeurs après le succès de Harry Potter à la fin des années 90. Dix ans plus tard, ces stratégies commerciales sont optimales. Pour légitimer ces récentes orientations, les maisons misent sur la nouvelle cible que sont les « young adults ». Les éditeurs sont toujours plus nombreux à s’interroger sur ce public mais avant d’être une réalité sociologique, ne découle-t-il pas des politiques éditoriales menées ces vingt dernières années ? Le « glissement » du lectorat (ou de la production) est un fait notable qui nous conduit à revoir nos définitions de la littérature jeunesse, la rendant poreuse et moins identifiable9. Le retour de l’humour ? Une tendance se dessine dans les publications jeunesse : les « romans d’humour »10. La violence dans la littérature jeunesse a suscité quelques débats, notamment lors du Salon du livre de Montreuil en 2007. Les éditeurs ont depuis introduit des récits plus « légers » dans leurs catalogues. Ainsi, Chloé Moncomble présente Bliss. Métamorphose d’une jeune fille ordinaire 11 comme le roman qui a marqué un tournant dans la collection « Macadam » des éditions Milan Jeunesse, estampillée jusqu’alors comme un catalogue de « textes durs »12. Avec Comment (bien) rater ses vacances et sa suite, Comment (bien) gérer sa love-story13, Anne Percin a su toucher les jeunes lecteurs grâce à un bouche - à - oreille efficace et des libraires enthousiastes. Le Journal d’un dégonflé14 (Seuil Jeunesse) a sans nul doute amorcé cette tendance dès 200915. Le personnage de Greg Heffley, anti-héros par excellence, est d’abord apparu sur Internet16, où il continue son récit quotidien agrémenté de dessins. Sous la forme d’un journal illustré, cette série s’est installée parmi les meilleures ventes jeunesse. On notera aussi, aux éditions Sarbacane, le texte d’Axl Cendres, Échecs et buts17, où le monde du football côtoie celui des échecs. Enfin, La Fourmilière18 de Jenny Valentine voit se croiser à Londres deux adolescents marginaux qui vont s’entraider pour faire face aux épreuves. Avant d’être un roman social, le récit offre une galerie de personnages secondaires truculents et l’humour l’emporte. Ces titres, s’inscrivant dans une veine intimiste ou psychologique, traitent les aléas de l’adolescence avec légèreté sans occulter les problèmes auxquels sont confrontés ces jeunes narrateurs ; l’amour, l’amitié ou encore le deuil peuvent y être abordés. Se voulant au plus près des lecteurs, ces récits empruntent de nombreuses références à leur univers (Internet, langage texto, références musicales…) et le style est plus familier afin de mimer la parole adolescente19. S’adressant aux lecteurs dès 11 ans, ils séduisent plus sûrement les collégiens. Du côté du fantastique, les parodies sont également plus nombreuses, cette littérature codifiée s’y prêtant parfaitement. Ainsi, Moi Jennifer Strange, tueuse de Dragons20 met en scène des magiciens contraints à la retraite dans une société où la technologie a supplanté l’art de la sorcellerie. Le recueil Zombies contre Licornes21 mêle horreur et humour en décrivant des morts -vivants vulnérables et attachants. Enfin, les best -sellers sont eux aussi détournés : Hamburger Games22, par exemple, parodie le Lecture Jeune - juin 2012 6 Si l’on regarde plus attentivement les rééditions du Livre de Poche Jeunesse sous le label « Jeunes adultes », on pourra retrouver des grands formats de la collection « Wiz », « Blackmoon » et des textes abrégés de la littérature classiques (Les Misérables, Madame Bovary ou encore Germinal). Cette uniformisation des codes graphiques assimile des titres qui n’ont rien d’autre en commun qu’une part de leur lectorat (les jeunes femmes lectrices). 7 Ainsi, Marina de Carlos Ruiz Zafon publié simultanément aux éditions Robert Laffont et Pocket Jeunesse en 2011. Le roman d’Annabel Pitcher, Ma sœur vit sur la cheminée (2012), est disponible aux éditions Plon et dans leur catalogue jeunesse. 8 Daniel Delbrassine, Scèren/CRDP de Creteil/La Joie par les Livres, 2004, p. 40. 9 Sur ce sujet nous vous invitons à consulter les actes du colloque de Cerisy-La-Salle : Littérature de jeunesse. Incertaines frontières, Gallimard, 2005. 10 Voir LJ n° 130 (2009), L’humour. Qu’estce qui fait rire les adolescents ? 11 Shauna Cross, « Macadam », Milan Jeunesse, 2011. Bliss mène une vie terne dans le Texas, enchaînant les concours de beauté pour le plus grand plaisir de sa mère jusqu’au jour où elle découvre le rollerderby, la musique et l’amour. 12 Chloé Moncomble revient sur l’évolution de « Macadam » sur le blog dédiée à la collection : http://editionsmilan-macadam.com/blog 13 Le Rouergue Jeunesse, « DoAdo », 2011 et 2012. 14 Le Journal d’un dégonflé, Jeff Kingley, Seuil Jeunesse (5 tomes parus entre 2009 et 2012). 15 À ce jour, plus de 200 000 exemplaires vendus pour l’ensemble de la série. 10 Panorama de l’édition pour adolescents 16 www.funbrain.com/journal/Journal.html, en anglais. 17 Axl Cendres, Sarbacane, « Exprim’ », 2011. titre de Suzanne Collins en caricaturant les stéréotypes inhérents à la série et les enjeux dramatiques des « Jeux de la faim ». Le réalisme est-il toujours en vogue ? (Imitation, Castelmore, 2010). La « vague fantastique » et les récits d’humour ne doivent pas faire oublier les romans dits « réalistes », toujours présents dans la production jeunesse. Ces publications semblent désormais plus confidentielles, clivant la littérature pour adolescents entre les univers imaginaires anglo-saxons et les récits intimistes d’auteurs francophones. L’École des Loisirs a joué un rôle déterminant dans les années 80 en traduisant les « problem novel » américains dans sa collection « Médium »23, mais aujourd’hui les auteurs français sont les plus nombreux dans le catalogue24. L’École des Loisirs (Médium), Gallimard Jeunesse (Scripto), Thierry Magnier (Romans), Flammarion Jeunesse (Tribal) ou Actes Sud Junior (Romans ados) restent les représentants de ces textes dits « miroirs », comme Le Monde dans la main25 de Mikaël Ollivier, qui met en scène un père et son fils meurtris par le départ de la mère. Si le sujet n’a rien d’original, le récit séduit par sa construction qui plonge immédiatement le lecteur dans l’intimité de cette famille. Florence Hinckel, elle, aborde le thème de l’adoption dans L’Été où je suis né26, longue lettre que le narrateur adresse à une mère « inconnue ». Ces récits, associés à des collections qui ont longtemps affiché leurs prétentions littéraires, sont en perte de vitesse, bénéficiant d’une visibilité moindre face aux best-sellers car ils se démarquent en ne s’adressant qu’aux seuls adolescents. 23 Judy Blume et Robert Cormier, notamment. Passerelles entre littérature générale et littérature jeunesse 24 Valérie Dayre, Sophie Vermot, Les éditions du Rouergue, Actes Sud Junior, Sarbacane ou Les Grandes Personnes continuent de révéler des styles ou des univers singuliers, n’hésitant pas à solliciter des auteurs publiant « pour les adultes ». Outre Jean-Philippe Blondel27, Élise Fontenaille – éditée entre autres par Grasset et Calmann-Lévy – a reçu un accueil positif pour la publication du Garçon qui volait des avions28. La collection « D’une seule voix »29 se renouvelle également avec des auteurs issus du théâtre comme Catherine Zambon30 ou de la littérature générale comme Patrick Goujon31 ou Frédérique Deghelt 32. De plus, les éditeurs révèlent de jeunes plumes et accompagnent des premiers romans. Ainsi, Axl Cendres jongle entre humour et tristesse et offre une œuvre moderne, et poétique, aux personnages saugrenus et touchants. Claire-Lise Marguier a publié Le Faire ou mourir33 aux éditions du Rouergue, premier roman dans lequel elle évoque sans détour les scarifications répétées du narrateur adolescent confronté à un mal- être grandissant. Depuis fin 2009, Les Grandes Personnes mènent une politique éditoriale exigeante, à rebours des tendances, mettant en avant des auteurs français et étrangers peu connus du public. Florence Barrau a par exemple traduit et publié les romans de l’australienne Sonya Hartnett 34 ou de la danoise Janne Teller 35. Sa dernière publication, Guerre. Et si ça nous arrivait, est un texte court dont le format est celui d’un passeport : le narrateur y invite le jeune lecteur à s’interroger 18 Jenny Valentine, L’École des Loisirs, « Médium », 2011. 19 L’étude L’Enfance des Loisirs (Sylvie Octobre, Christine Détrez, Pierre Mercklé et Nathalie Berthomier, DEPS, 2010) souligne que l’humour et la peur sont particulièrement recherchés par les 11-13 ans. Ces mêmes adolescents, en grandissant, se tournent vers les séries, les romans d’aventures et d’action. 20 Jasper Fforde, « Territoires », Fleuve Noir, 2011. 21 « Territoires », Fleuve Noir, 2011. 22 The Harvard Lampoon, Castelmore, 2012 (http://harvardlampoon.com/). Ce collectif a précédemment parodié la saga Twilight Mikaël Olliver, etc. 25 Thierry Magnier, « Romans », 2011. 26 Gallimard Jeunesse, « Scripto », 2011. 27 L’auteur a publié Brise-Glace dans la collection « Romans Ado » d’Actes Sud Junior (2011) et traite du deuil sur fond de slam. Et rester vivant paru aux éditions Buchet-Chastel (2011) a été salué par la critique. L’auteur revient sur ses années étudiantes marquées par un drame personnel. 28 Le Rouergue Jeunesse, « DoAdo », 2011. 29 La collection « D’une seule voix » chez Actes Sud Junior est dirigée par Claire David et Jeanne Benameur (www.actes-sud-junior.fr/ collections/duneseulevoix/). Lecture Jeune - juin 2012 11 sur la question de l’émigration en Europe. Face à l’uniformisation de l’édition jeunesse, quelques éditeurs font preuve de créativité et prennent des risques en diversifiant l’offre littéraire. 30 La Chienne de l’ourse, 2012 ; Kaïna-Marseille, 2007. 31 Sous silence, 2011. Disparitions Certaines collections disparaissent, ne rencontrant pas leur public. Ainsi, « Bliss », aux éditions Albin Michel Jeunesse, consacrée à la « chick lit » ne semble pas avoir résisté aux caprices des lectrices qui préfèrent se tourner vers des titres plus « généralistes »36. Intervista, pourtant pionnière dans la publication de textes « young adults » avec sa collection « 15 -25 ans » semble elle aussi à l’abandon37. Comment ne pas regretter « Les Mues », chez le même éditeur, qui publiait l’œuvre de Raphaële Moussafir ? La collection « Autres Mondes » (Rageot) s’est arrêtée en 2010, tout comme « Uchronie » (Flammarion Jeunesse) en 2011. Tournées vers les littératures de l’imaginaire, elles n’ont pas réussi à s’imposer face aux succès commerciaux. Disposant d’une moindre visibilité, ces ouvrages ont besoin d’être soutenus par les prescripteurs ; les éditeurs peinent à maintenir des collections dont les chiffres de vente restent faibles. Ces « disparitions » témoignent des compromis nécessaires entre revendications littéraires et réalités économiques. Le roman pour adolescents se métamorphose 38 pour s’adresser finalement à une catégorie de lecteurs plus qu’à une génération. Ce marché s’internationalise et la littérature anglo -saxonne y est largement représentée, flirtant avec le cinéma. D’ores et déjà, le numérique amène les acteurs de la chaîne du livre à s’interroger sur de nouveaux modes de lecture des jeunes, alors que les éditeurs ont envahi les réseaux sociaux pour être au plus près de ce public volatile. L’adolescent de demain suivra-t-il les éditeurs présents sur ces nouveaux supports ? Le roman réaliste sera-t-il réinventé dans des applications complexes, mêlant les états d’âme d’un jeune narrateur à des compléments audiovisuels ? 32 Ma nuit d’amour, 2011. 33 Claire-Lise Marguier, Le Rouergue Jeunesse, « DoAdo », 2011. 34 L’Enfant du fantôme (2010) et L’Enfant du Jeudi (2011), Les Grandes Personnes. 35 Rien (Panama, 2007, Les Grandes Personnes, 2012) et Guerre. Et si ça nous arrivait, Les Grandes Personnes. Lire l’entretien avec Janne Teller page 4. 36 Par exemple, la série des Gossip Girls (Cecily Von Ziegesar) ou Le Diable s’habille en Prada (Lauren Weisberger). 37 Le site Internet est toujours en ligne mais n’a pas été actualisé depuis 2008 (www.editionsintervista.com). 38 Les premières collections pour adolescents ont émergé en France dans les années 70. Lecture Jeune - juin 2012 12 Le dossier De la fiction au cinéma Adrienne Boutang Analyse Harry Potter, Twilight, Hunger Games, etc. Difficile d’ignorer ces blockbusters qui envahissent nos écrans. Inspirés de romans pour adolescents. Adrienne Boutang analyse ces adaptations cinématographiques et distingue les films familiaux des teen movies. Enfin, elle souligne que derrière leur apparente légèreté, ces œuvres témoignent des subtilités de l’adolescence. Films familiaux versus teen movies Adrienne Boutang est ancienne élève de l’École Normale Supérieure (Ulm, promotion 2003) et agrégée de lettres modernes (2006). Elle a enseigné le français et la littérature française à l’Université de Berkeley en Californie en 20062007. Elle est actuellement en thèse de cinéma à l’Université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle, et enseigne le cinéma à l’université Charles de Gaulle-Lille 3. Sa thèse porte sur « la transgression dans le cinéma américain, nouveaux tabous et seuils de tolérance : circulations d’images entre le cinéma indépendant et le mainstream hollywoodien, 1995-2005 ». 1 Aux Etats-Unis, la segmentation en groupes, répartis par catégories d’âges et de sexes, est une habitude commerciale intégrée depuis longtemps. 2 Réalisé par Gary Ross. 3 On peut penser au fameux Outsiders adapté par Francis F. Coppola du roman de Susan Hinton. 4 2008, adaptation par Andrew Adamson d’après la série écrite par C. S. Lewis. C’est une évidence pour les sociétés de production, en particulier outre-Atlantique : porter sur grand écran des romans pour adolescents peut être rentable… mais aussi périlleux, car ces adaptations sont soumises à une double exigence, parfois contradictoire, de fidélité à l’œuvre source et d’indispensable élargissement du public d’origine. C’est aux États-Unis1 que cet engouement pour les films adaptés de la littérature pour adolescents a surgi. Hunger Games, le film événement de l’année2, est l’adaptation de la trilogie à succès de Suzanne Collins, comme l’avait été avant lui la série Twilight tirée de la saga de Stephenie Meyers. Si le phénomène n’a rien d’inédit3, la volonté de convertir des best-sellers pour adolescents en blockbusters destinés aussi à des adultes, sans perdre le public de départ, l’est davantage. Adapter un ouvrage jeunesse au cinéma, c’est se livrer à un double travail de transposition : d’un médium à un autre, mais aussi d’un public jeune à un public élargi. A priori, les adaptations d’ouvrages pour adolescents comme Le Monde de Narnia 4, Hugo Cabret 5, Cheval de Guerre6, Twilight et Hunger Games, sembleraient devoir se fondre harmonieusement dans un genre cinématographique tout trouvé : le teen movie, genre hybride, essentiellement nord-américain, ayant pour seule unité générique de cibler un public adolescent, en rejetant à la fois les codes du film « à voir en famille » encore trop proches de l’enfance, et ceux du film pour adultes. Cependant, entre les livres pour adolescents et les teen movies, rien ne garantit que le passage se fasse de manière fluide. Les teen movies ciblent prioritairement les adolescents et décrivent cet entre-deux émotionnel complexe qu’est leur âge, excluant à la fois l’univers enfantin et les responsabilités adultes. Inversement, les films familiaux ont pour objectif de réunir la famille entière autour d’une intrigue fédératrice : les univers y sont plus lisses, la recherche des origines et la nécessaire reconstitution d’une famille, plus présentes. Films familiaux Narnia, Hugo Cabret, Percy Jackson7, sont conçus pour unir parents et enfants autour d’un retour dans le monde enchanté de l’enfance. Si ces Lecture Jeune - juin 2012 13 films mettent leurs jeunes héros face à des responsabilités au-dessus de leur âge, ils constituent des échappées vers des univers merveilleux, où les soucis du quotidien (conflits avec les parents, regards des pairs, interrogations sur l’apparence et l’identité) s’effacent provisoirement, éclipsés par des problèmes plus urgents... On est davantage dans la tradition des contes à la Dickens, structurés par une quête initiatique, avec des orphelins cherchant à retrouver leurs parents. Les personnages s’y répartissent de manière manichéenne entre « bons » et « méchants » et si les héros « se trouvent », c’est à force de fuir dans des aventures épiques ou fantastiques qui font le sel des récits. Passant brutalement du statut de jeunes gens impuissants et soumis à une autorité adulte excessive ou abusive à celui de héros tous puissants plongés sans transition dans des univers d’adultes (Cheval de guerre) les personnages parviennent souvent à acquérir la maturité et la confiance qui leur manquaient mais en faisant précisément l’économie des déchirements psychologiques de la puberté8. Si les enjeux propres à l’adolescence s’immiscent peu à peu dans les récits (nécessité, parfois, autant que choix, à mesure que les jeunes acteurs grandissent, en même temps que le public) lorsque des romances s’ébauchent entre les personnages, c’est par surplus ; l’accent reste mis sur les aventures, et, de manière implicite, sur la (re)constitution d’une famille (Hugo Cabret, Percy Jackson) ou du moins d’une fratrie (Narnia)9. Il est significatif qu’à la fin du premier volume de Narnia les personnages devenus des jeunes gens d’une vingtaine d’années, aient littéralement esquivé la phase problématique de l’adolescence. Si élargissement de public il y a, c’est de la catégorie du livre pour enfant à celle du film familial, s’adressant aux adultes soucieux de revenir en enfance, dans un univers qui peut être dur, « grand spectacle » oblige, mais reste quand même bien moins sombre que celui qu’on trouvera, par exemple, dans Hunger Games. L’échec de l’adaptation cinématographique de Percy Jackson peut s’expliquer par un défaut de ciblage du public. De nombreux fans ont protesté contre l’abandon de l’intrigue liée à Cronos10 : le comportement d’un des personnages, explicable dans le livre par des jeux d’alliance complexes, était ravalé au statut de « banale » rébellion adolescente contre son père. Or ce sont précisément ces thèmes banals – conflits avec les parents, amours naissantes, construction de soi…– qui sont au centre des teen movies. Teen movies : resserrement psychologique Là où l’univers de Narnia est fondé sur l’évasion et le merveilleux, celui des teen movies peut être caractérisé par le resserrement psychologique sur l’intériorité de personnages, en pleins tourments identitaires. Les teen movies, films à la fois sur et pour des adolescents, ont en commun d’être – comme leurs héros et leur public- cible –, nombrilistes, focalisés sur les déchirements intérieurs, dans un monde qui suspend les valeurs adultes, non pas pour les retrouver à la fin mais pour ériger les angoisses existentielles et affectives propres à l’adolescence à leur place. Si les figures adultes y sont souvent absentes, ce n’est pas dans l’attente d’une émouvante recomposition Lecture Jeune - juin 2012 5 2011, adaptation par M. Scorsese du roman de Brian Selznick. 6 2011, adaptation par S. Spielberg du roman de Michaël Morpurgo. 7 Le film Percy Jackson a été adapté en 2010 des œuvres de Rick Riordan. 8 Le jeune Robert, dans Cheval de Guerre, est brutalement confronté à la réalité de la guerre – une ellipse dans le récit va le faire passer de 14 à 18 ans, âge « légal » pour s’engager dans l’armée. Dans Le Monde de Narnia, quatre frères et sœurs, envoyés à la campagne loin de leur mère dans un manoir sinistre pendant la guerre, vont basculer dans un royaume enchanté où ils sont accueillis comme des sauveurs. On les retrouvera, toujours à la faveur d’une ellipse, devenus de jeunes adultes à la fin. 9 Le héros de Hugo Cabret, orphelin de mère au début de l’histoire, va perdre son père, puis son oncle, mais c’est pour trouver à la fin une nouvelle famille chez un certain « papa Georges », qui n’est autre que Georges Méliès ; Percy rencontre son père, Poséidon, à la fin du film ; la fratrie de Narnia, initialement divisée, se réunit, sous le regard bienveillant du lion, évident substitut paternel. 10 Le film a presque supprimé le pacte secret passé entre Cronos et Luke, fils d’Hermès et ennemi de Percy. Aussi les actions de Luke initialement motivées par une volonté de renverser les dieux de l’Olympe, ne sont plus explicables que par la rancœur qu’il éprouve envers Hermès. 14 De la fiction au cinéma 11 Toujours dans cette logique de segmentation des publics très nord-américaine, on appelle chick flicks les films destinés essentiellement à un public de femmes. Ils partagent avec la chick lit (leur équivalent en littérature) une réputation de mièvrerie et de superficialité. 12 Roger Kumble, 1999. 13 Amy Heckerling, 1998. 14 Gill Junger, 1999. familiale mais pour laisser les adolescents aux prises avec leurs propres démons. Là où les enfants de Narnia cherchent des parents de substitution, ceux des teen movies les fuient plutôt : pas de place pour la figure paternelle de Georges dans Hugo Cabret. On peut discuter de l’appartenance générique de Twilight et Hunger Games, le premier flirtant avec le film de vampire, le second, avec la science-fiction. Les deux films offrent leur lot de péripéties, d’épisodes à suspense et une grande richesse dans l’élaboration de mondes fictionnels, ingrédients qui les rendent aisément adaptables au cinéma – sans oublier l’attrait de la sérialité, permettant d’emblée de capitaliser sur les sequels après un premier succès. Néanmoins, à la différence par exemple de Narnia, l’élément générique premier reste celui de la littérature « pour jeunes filles » – ces œuvres souvent écrites par des femmes, centrées sur un personnage d’adolescente et donnant une place essentielle à son « éducation sentimentale ». On y retrouve donc deux motifs propres à séduire les jeunes filles : le triangle amoureux (autour de Bella dans Twilight, de Katniss dans Hunger Games), dilemme sentimental forçant les héroïnes à choisir entre des passions contraires, et la question de la constitution d’une identité féminine (Hunger Games comporte une scène de relooking, motif incontournable de tout teen movie au féminin). Le coup de maître de Hunger Games a bien sûr été de fusionner ces éléments de l’œuvre avec les codes du film d’aventures – épisodes haletants, rebondissements parfois sanglants – lui permettant de séduire un public plus large. Néanmoins, ces films restent fortement ancrés dans une catégorie spécifique : la chick lit, ciblant, comme son équivalent cinématographique, le chick flick 11, un public féminin mêlant adolescentes et femmes sensibles aux émois des jeunes héroïnes. Et autant que les aventures fantastiques et les retournements vertigineux, c’est l’attention accordée au cheminement affectif et psychologique de leur héroïne qui fait leur identité commune. Adaptations de classiques La littérature pour jeunes filles a mauvaise presse, cependant la subtilité de ses investigations psychologiques lui assure la fidélité de jeunes lectrices, mais aussi, dans le cas de leurs adaptations cinématographiques, de spectatrices plus âgées. Ainsi s’explique le choix d’adapter en teen movies pour filles des œuvres littéraires célèbres, notamment celles qui mettent au premier plan la question des faux-semblants et de l’identité. Sexe Intentions12 adapte très librement les stratagèmes tortueux des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Dans Clueless13, adapté d’Emma de Jane Austen, la jeune fille malicieuse de l’œuvre source se métamorphose avec une évidence stupéfiante en enfant gâtée de Beverly Hills dont l’idiome singulier inventé ad hoc, salmigondis d’expressions improbables, est une tentative intéressante de transcription de la langue délicate de l’œuvre originale. Dix bonnes raisons de te larguer 14 détourne la trame de La Mégère apprivoisée de Shakespeare, utilisant les deux personnages féminins pour réactiver la répartition stéréotypée des personnages Lecture Jeune - juin 2012 15 féminins de teen movie entre Kat, « garçon manqué », rebelle et intellectuelle, et Bianca, fille douce et féminine. Les œuvres de départ sont ainsi altérées pour mettre en avant la construction d’une identité féminine, filtre à travers lequel le monde est délicatement réorganisé. 15 Réalisé par Gary Marshall, d’après le roman de Meg Abbott. Du « je » au « jeu » Faut-il voir un hasard dans le fait que nombre des œuvres sources ayant donné lieu à des adaptations soient composées d’histoires racontées à la première personne, filtrant la réalité à travers la conscience aiguisée d’une adolescente, souvent précoce, promenant son regard, à la fois sensible et ironique, sur le monde qui l’entoure ? Avant Hunger Games et Twilight, de nombreux films ont ainsi adapté de manière plus ou moins efficace des romans pour jeunes filles, pour en faire des comédies romantiques. On peut citer Princesse malgré elle15, récit enlevé d’une adolescente rechignant à abandonner sa vie banale pour une existence de princesse, Quatre filles et un jean16 ou encore L’Ecole de la vie17. Outre les problèmes spécifiques posés par la transposition au cinéma de ces récits à la première personne, la difficulté majeure consiste à donner au film, avec ou sans voix off, une tonalité qui séduise tout le public des comédies romantiques. Paradoxalement, ce sont deux œuvres ayant partiellement supprimé la voix off, Twilight et Hunger Games, qui ont le mieux réussi à exprimer les nuances psychologiques de l’œuvre source sans les faire disparaître derrière les rebondissements des récits. Dans l’ouverture de Twilight, par exemple, quelques paragraphes suffisent à introduire, par la voix de l’héroïne, son ironie par rapport à ce qui l’entoure, son sentiment diffus de différence et le décalage entre ses paroles et ses sentiments, notamment lors des échanges avec sa mère. Bella est jeune, mais elle pense et agit au- dessus de son âge, ce qui ne peut apparaître qu’à travers le jeu de l’actrice. Il est par exemple explicite dans le livre que Bella ment à sa mère lorsqu’elle affirme vouloir partir habiter chez son père : « I want to go – I lied ». Ce que Bella présente comme un caprice d’adolescente est en réalité motivé par un réseau de raisons complexes. Dans le scénario, cette absence de sincérité devient : « Bella forces a smile », ce que les poses boudeuses de l’actrice Kirsten Stewart traduiront. De même, la jeune comédienne de Hunger Games aurait-elle été choisie à cause de la manière dont elle avait prononcé une réplique essentielle : le « Ne pleure pas », murmuré à l’oreille de sa mère avant de partir dans l’arène – qui, dans la bouche de la comédienne, « sonnait comme un défi » exprimant toute la complexité du personnage – là où, écrit à la première personne, le roman s’attardait plus explicitement sur les rapports complexes de Katniss et sa mère. Et il suffit de parcourir les forums de fans 18 pour voir que c’est la capacité des œuvres sources à aborder frontalement des interrogations des adolescentes et à ne jamais subordonner cette fonction d’éducation sentimentale aux figures obligées des films d’action, qui a su leur assurer un public fidèle. Et s’ils en passent par Lecture Jeune - juin 2012 16 Réalisé par Ken Kwapis en 2005 d’après le best-seller d’Ann Brashares. 17 Réalisé par Clare Kilner en 2003, transposition de deux romans pour adolescentes de Sarah Dessen, That Summer et Someone Like You. 18 Voir par exemple, ce commentaire, publié dans un forum intitulé « pourquoi nous aimons Twilight » : « Au moins nous voulons nous dire que nous pourrons être aimées par quelqu’un qui n’aura pas la force de s’éloigner de nous, même si nous sommes maladroites, pas « classiquement » belles, et venons d’une famille chaotique » (traduction de l’auteur). Sur l’attrait de la saga auprès de femmes plus âgées, nous renvoyons à « Twilight Movies : Top 10 Reasons Grown Women Love It » de Rachel Weight (Huff. Post, 17/11/2011) 16 De la fiction au cinéma Publications d’Adrienne Boutang • Les Teen movies (avec Célia Sauvage), « Cinéma et Philosophie », Vrin, 2011. • « Stratégies de démarcation dans le secteur indépendant du cinéma américain contemporain », Cahiers de l’Affecav, 2012. • « Todd Solondz et le problème du voyeurisme : Montrez ces corps que je ne saurais voir », Corps et sciences sociales, n° 9, CNRS éditions, mars 2011. • « Man on the moon, de Milos Forman, portrait du stand up comedian en martyr », Humoresques, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, janvier 2011. les détours du fantastique et de la science-fiction, les films fonctionnent non pas sur le principe d’évasion dans des univers mièvres mais comme des manuels de survie dans ce milieu hostile qu’est l’univers adolescent. Lecture Jeune - juin 2012 L Du Vent dans mes mollets. Le dossier Du livre au film 17 Sonia de Leusse-Le Guillou Entretien Raphaële Moussafir, auteur et comédienne, évoque avec sensibilité le monde de l’enfance, ses mystères et ses déconvenues dans son roman Du Vent dans mes mollets1, d’abord joué au théâtre2 puis décliné en bande dessinée3. L’œuvre connaît maintenant une nouvelle carrière au cinéma grâce à la réalisatrice Carine Tardieu dont les précédentes productions montrent également une forte affinité avec l’univers de l’adolescence4. À l’occasion de la sortie du film prévue en août 2012, Lecture Jeune a organisé un entretien croisé avec l’auteure et la réalisatrice. Sonia de Leusse-Le Guillou : Comment vous êtes-vous rencontrées et pourquoi avez-vous décidé de collaborer pour adapter Du Vent dans mes mollets ? Carine Tardieu : La rencontre a eu lieu lors d’un salon du livre jeunesse à Saint-Paul-Trois-Châteaux auquel nous assistions car nous écrivions toutes les deux des livres pour enfants. Raphaële Moussafir : À l’origine, Fabrice Goldstein5 m’avait proposé d’adapter mon roman au cinéma ; j’y étais réticente car après une pièce de théâtre, un livre et une bande dessinée, je pensais qu’il fallait arrêter d’exploiter le concept ! En outre, il me paraissait difficile de réussir à transposer l’intériorité de ce texte au cinéma. Cependant le producteur a insisté en évoquant le nom de Carine Tardieu pour la réalisation. L’idée était restée en suspens jusqu’à cette fameuse fête du livre de jeunesse... CT : Lors de notre rencontre fortuite à ce festival, j’avais lu son roman – que j’avais beaucoup aimé – mais elle n’avait pas vu mon film. Nous avons beaucoup discuté pendant les deux jours de cette manifestation. C’était étonnant de constater à quel point nous partagions un univers commun. Travailler ensemble m’est apparu comme une évidence. Je crois que l’on peut dire que nous nous sommes reconnues mutuellement ! Je plaisante en disant que ce film m’a « sauvé la vie » mais il était fondamental pour moi de démarrer un nouveau projet. J’étais vraiment heureuse de constater que nous avions fait une « vraie rencontre ». SLG : Que s’est-il passé par la suite ? Vous avez laissé ce projet en maturation ? CT : À mon retour de la Drôme, j’ai écrit en quinze jours une note d’intention pour l’adaptation. Je l’ai soumise à Raphaële et nous l’avons retravaillée ensemble pour que Fabrice Goldstein et Antoine Rein, les producteurs, acceptent notre collaboration ; ce qu’ils ont fait très rapidement ! SLG : Raphaële, avez-vous été convaincue d’emblée à la lecture de la note d’intention ? Lecture Jeune - juin 2012 Raphaële Moussafir comédienne de formation, Raphaële Moussafir interprète tout d’abord le texte de Du Vent dans mes mollets sur les scènes parisiennes en 2005, avant d’être révélée par le psychologue et romancier Howard Buten, qui la convainc d’adapter sa pièce sous une forme littéraire. Le livre est alors publié aux éditions Intervista dans la collection « Les Mues », qui se donne pour ambition de faire cohabiter des auteurs et des artistes « un peu à la marge ». Raphaële Moussafir prolonge ensuite son exploration du monde de l’enfance dans un second roman qui reprend le personnage de Rachel, Et pendant ce temps-là, les araignées tricotent des pulls autour de nos bilboquets. 1 Intervista, 2006. 2 Création en 2003. La pièce de théâtre a notamment été jouée à L’Européen et au Ciné 13 à Paris en 2005. 3 Raphaële Moussafir et Mam’zelle Rouge, Intervista, 2009. 4 En témoignent ses deux précédents courts-métrages, Les Baisers des Autres (2002) et L’Aîné de mes soucis (2004) adaptés en romans parus chez Actes Sud Junior. 18 Du Vent dans mes mollets. Du livre au film Carine Tardieu réalisatrice et scénariste, Carine Tardieu se plaît à invoquer l’univers de la jeunesse dans ses œuvres, du court-métrage remarqué Les Baisers des autres, qui brosse le portrait d’une jeune fille en crise, à sa participation au scénario du feuilleton Âge Sensible salué par la critique pour la justesse du regard porté sur l’adolescence. Une seconde production, L’Aîné de mes soucis, traite du thème du cancer à travers le regard d’un garçon d’une dizaine d’années sur sa mère malade. En 2007, La Tête de Maman, premier long-métrage de la réalisatrice et inspiré de sa propre histoire, approfondira ce motif en évoquant les difficultés relationnelles entre une mère dépressive et sa fille rebelle. Cinq ans plus tard, Carine Tardieu signe la réalisation de l’adaptation de Du Vent dans mes mollets. 5 Karé productions. 6 Le script-doctor désigne un professionnel à qui l’on fait appel pour intervenir sur un scénario afin de l’améliorer et le rendre exploitable. Le terme équivalent français pourrait être celui de « consultant scénario ». 7 Il s’agit de Françoise dans le livre. RM : Je n’ai pas été conquise tout de suite par les suggestions de Carine parce que j’étais moi-même perdue par rapport à ce projet. Jusque-là, j’étais réservée à l’idée d’une adaptation car je ne voulais pas une énième redite du roman sous un format différent ; c’est pour cette raison que j’ai trouvé formidable que Carine ose avancer des propositions aussi étonnantes. J’ai été aussi particulière touchée de voir qu’elle avait une si grande envie de s’approprier le projet. Elle a réussi à donner un aspect très personnel au document qu’elle a présenté : elle a pris beaucoup de libertés par rapport au texte original tout en respectant une poésie et un onirisme qui me plaisent. À mes yeux, cette première version était une vraie proposition d’auteur et pas seulement l’exécution d’un scénario calqué sur le roman. Je voulais absolument que nous mêlions nos univers respectifs pour écrire ce film ensemble. CT : Finalement, notre travail s’est révélé complémentaire : il fallait que je m’approprie le livre et son monde tandis que Raphaële devait se détacher de son œuvre. J’ai d’ailleurs été très impressionnée par sa capacité à se dissocier de son roman. SLG : Combien de temps a duré votre collaboration ? CT : Nous avons travaillé durant près de huit mois à l’élaboration du scénario. Un script-doctor 6 est intervenu vers la fin du processus d’écriture, ce qui a été très bénéfique. Les producteurs nous donnaient régulièrement leurs impressions sur les derniers développements. RM : Nous avons mené avec Fabrice Goldstein et Antoine Rein un travail très agréable et constructif, jamais dans la concession mais plutôt dans le compromis car nous étions, producteurs comme scénaristes, très attachés à ce film ; il s’agissait d’une confrontation d’idées mises au service du projet pour qu’il soit le plus abouti possible. SLG : Le casting s’est-il déroulé facilement ? CT : Raphaële et moi n’avions pas toujours les mêmes acteurs en tête ! Par exemple, je voulais Denis Podalydès alors qu’elle n’avait pas pensé à lui. De même, pour le personnage de la mère, Colette7, nous avions évoqué plusieurs possibilités mais en réalité le choix des acteurs ne s’effectue qu’une fois le scénario construit et solide. Agnès Jaoui a tellement apprécié le script qu’elle a accepté très rapidement de participer au film. Ce couple mis en forme, nous avons eu plus de mal à trouver qui pouvait incarner Catherine, peu présente dans le roman. Lorsque nous avons voulu renforcer son rôle, nous sentions qu’il fallait une actrice extrêmement différente du personnage de Colette. C’est alors que nous avons pensé à Isabelle Carré ; et de fait, il est difficile de proposer deux personnalités plus dissemblables que ces deux comédiennes ! Je savais que le nerf de ce film serait constitué par les petites filles ; il fallait donc que je puisse me reposer sur des comédiens confirmés et confiants pour pouvoir me consacrer aux jeunes actrices. SLG : Comment s’est passé le processus de montage ? CT : Nous avons connu un tournage idyllique ; il régnait une ambiance extraordinaire mais la phase de montage s’est révélée beaucoup plus compliquée. J’ai vite réalisé qu’il y avait un problème de structure dû en partie à des difficultés de communication avec la monteuse, qui a été remplacée. Cependant, il y avait aussi un obstacle plus profond qui n’était pas apparent dans le scénario : nous avions gardé trop Lecture Jeune - juin 2012 19 d’éléments du roman dans l’adaptation. Il a donc fallu retirer de nombreuses scènes à contre-cœur. Finalement, les deux nouvelles monteuses se sont montrées complémentaires : la première n’a pas eu peur de tailler dans le vif en proposant des coupes radicales et la seconde a su affiner et sculpter ce qui restait. Cependant, ce processus a pris beaucoup de temps ; c’était un grand moment de frayeur pour tout le monde : nous pensions que nous n’allions pas réussir à sortir ce film. Le deuil de ces scènes coupées – dont certaines étaient très réussies ! – était plus facile à faire pour moi que pour Raphaële, car elle n’est pas habituée à ce genre de travail. Pour ma part, je comprenais qu’il fallait enlever certaines séquences car je savais qu’elles nuisaient au rendu général du film. RM : Au visionnage de la deuxième version, j’en ai perdu la voix ! C’était un contrecoup violent d’assister à l’échec de cet essai alors que je croyais le projet possible et viable. Je me sentais vraiment impuissante, bouleversée. CT : Le plus terrible, c’était de percevoir qu’il y avait matière à réaliser un bon film mais que ça ne « prenait » pas. C’est l’unique moment où Raphaële a voulu se montrer interventionniste ; j’ai dû lui demander de me laisser faire ce travail seule et cette période a été vraiment difficile à vivre. Jusque-là, je pensais à tort que le tournage allait être l’épreuve la plus ardue mais j’ai éprouvé un véritable choc pendant le montage. SLG : Le film distribue les rôles avec liberté ; le spectateur découvre de nouveaux rapports entre les protagonistes : le couple des parents prend une importance capitale, les relations entre la mère de Valérie8 et le père de Rachel sont dépeintes tout en finesse et le personnage de Colette, la mère, est beaucoup plus présent... C’est un cheminement qui s’est fait naturellement. Nous découvrions l’histoire au fur et à mesure que nous la racontions et nous avions envie de donner davantage d’importance aux protagonistes que nous développions. Nous voulions nous détacher de la personnalité de Rachel, pouvoir créer des scènes sans elle. Finalement, l’émancipation de cette petite fille à travers la rencontre avec son amie donne une impulsion aux autres personnages : en même temps qu’elle s’affranchit de ses parents, elle les libère des névroses dans lesquelles ils sont figés depuis des années. Tous les protagonistes paraissent tellement puérils au début du film ; par exemple, ils sont tous obnubilés par la mort, ils ont des angoisses très enfantines. Ce ne sont pas uniquement des « adultes » ou des « enfants » : il s’agit d’individus qui ont un cap à passer. En fin de compte, les parents grandissent en même temps que les deux filles. SLG : Dans le roman, tout est perçu du point de vue de Rachel, la petite fille, lors de ses séances chez la psychologue alors que dans le film, la focalisation change... CT : Oui, au début, nous avions l’idée de proposer une voix off pour incarner les pensées de Rachel mais ce genre de procédé est risqué lorsqu’il concerne les enfants ; cette voix intérieure peut devenir naïve et mièvre ou bien trop intelligente, ce qui est encore pire. Nous ne voulions pas faire de Rachel une enfant surdouée car ce genre de personnage clairvoyant est très agaçant ! Lecture Jeune - juin 2012 8 Le personnage de Valérie est nommé Hortense dans le roman. Publications de Raphaële Moussafir • Du Vent dans mes mollets, Intervista, 2006. • Et pendant ce temps-là, les araignées tricotent des pulls autour de nos bilboquets, Intervista, 2007. • Pour en finir joliment avec l’enfance, Intervista, 2007 (coffret réunissant les deux volumes précédents). • Du Vent dans mes mollets, Intervista, 2009 (bande dessinée réalisée avec Mam’zelle Rouge). 20 Du Vent dans mes mollets. Du livre au film 9 Voir p. 84-85. SLG : Vous utilisez un langage beaucoup plus cru dans l’adaptation cinématographique. Par exemple, dans le roman, les Barbies se « violent» et se « frottent9 » alors que Valérie et Rachel répètent que Madame Danielle « suce des bites » sur un ton jubilatoire à l’écran. On a parfois l’impression que les parents sont beaucoup plus inhibés que les petites filles par rapport au sexe. RM : Le couple de Michel et Colette n’est pas mis en avant dans le roman : ces deux protagonistes y sont représentés uniquement sous le rôle de parents. À l’écran, nous avons souhaité exposer la vie routinière de ce ménage face à l’énergie des petites filles. Le personnage de Valérie (Hortense) parvient à insuffler cette irrévérence de l’enfance, qui est davantage incarnée par Rachel dans le livre. SLG : Le contexte social présenté dans le film diffère également de celui du roman. Comment ce changement de cadre s’est-il imposé ? RM : C’est Carine qui a eu l’excellente idée de briser le contexte social pour l’ancrer dans un environnement moins bourgeois. CT : Je me suis beaucoup inspirée de mon propre vécu : le couple parental est issu des souvenirs que j’ai de ma propre famille et de ceux de Raphaële. Spontanément, j’ai tendance à reproduire dans les costumes et les décors ce qui m’a influencée durant ma propre enfance. SLG : Vous disséminez dans plusieurs scènes des références implicites et explicites à La Boum. Est-ce votre enfance respective qui s’exprime ? 10 Réalisateur de La Boum, sorti en 1980. Filmographie de Carine Tardieu Cinéma (scénario et réalisation) • Les Baisers des autres, avec Noémie Develay-Ressiguier, 2002 (court-métrage). • L’Aîné de mes soucis, 2004 (court-métrage). • La Tête de maman, 2007. Télévision (scénario) • Famille d’accueil, saison 4, épisode 3 ’’La grande fille’’, Alain Wermus, 2004. • Famille d’accueil, saison 5, épisode 2 ’’Un long silence’’, Daniel Janneau, 2005. • Âge sensible, Gilles Bannier, Fabrice Gobert, Gabriel Boyer, 2002. CT : Il s’agit effectivement de notre adolescence et plus particulièrement de celle de Raphaële. En revoyant La Boum près de quinze ans plus tard avec le recul de l’âge adulte, j’ai été réellement étonnée par le nombre de similitudes et de thèmes communs avec mon propre film. Ces proximités sont surtout le résultat d’un hommage inconscient, à mon sens. RM : La dédicace a été complète lorsque Claude Pinoteau10 a assisté à la première de Du vent dans mes mollets ! Son film fait partie intégrante de mon enfance car j’étais à l’époque – et encore aujourd’hui – très proche de Karine Pinoteau, sa fille, et régulièrement chez eux à l’époque du tournage. Je me souviens encore de l’effervescence autour de ce projet, d’où les clins d’œil à La Boum, restée dans la mémoire collective. SLG : Vous venez d’achever Du vent dans mes mollets qui sort en salle au mois d’août mais peut-être réfléchissez-vous déjà à de nouveaux projets ? CT : Il faut s’occuper de la promotion du film mais aussi rebondir très rapidement : nous allons écrire un autre scénario ensemble et on nous a commandé une comédie musicale (en tant qu’auteur et non comme réalisatrice). Nous devons aussi songer à travailler séparément. Même si nous apprécions beaucoup collaborer, nous devrons ensuite arrêter temporairement pour éviter la sclérose de l’habitude, quitte à nous retrouver plus tard pour une nouvelle œuvre ! Lecture Jeune - juin 2012 L 21 La littérature Le dossier jeunesse « s’indigne » ! Eléonore Hamaïde-Jager Etude Fictions, documentaires et essais se sont emparés du thème de la « désobéissance civile » dans la lignée de l’ouvrage de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! La jeunesse révolutionnaire parcourt l’actualité, des printemps arabes aux indignés espagnols, mais qu’en est-il dans les ouvrages destinés aux adolescents ? Eleonore Hamaïde-Jager a analysé cette tendance dans un corpus proposé par la rédaction de Lecture Jeune : Documentaires • Obéir ? Se révolter ?, Valérie Gérard et Clément Paurd, Paris, Gallimard Jeunesse/Giboulées, coll. « Chouette penser ! », 2012. • Cinq discours pour désobéir, Philippe Godard, Paris, Syros, 2012. • Janusz Korczak : « Non au mépris de l’enfance », Isabelle Collombat, coll. « Ceux qui ont dit non », Arles, Actes Sud junior, 2012. Fictions • Désobéis, Christophe Léon, Paris, Éditions Thierry Magnier, 2011. • Non à l’individualisme, Gérard Dhôtel, Bruno Doucey, Nimrod, Maria Poblete, Elsa Solal, Muriel Szac, Arles, Actes Sud junior, 2011. • Libres !, Collectif, Montrouge, Bayard Éditions, coll. « Millézime », 2012. Identification et « identisation » des jeunes par le langage Fin 2010, la petite maison d’édition Indigène crée l’événement en publiant un court texte de Stéphane Hessel, Indignez-vous, dont les médias et les lecteurs s’emparent. Fidèle à son discours prononcé sur le plateau des Glières, à l’origine de l’ouvrage, l’ancien résistant invite à la vigilance citoyenne à l’heure où il voit se démanteler un système social qu’il a contribué à mettre en place. Son livre s’adresse résolument aux plus jeunes, les incitant à s’engager et à s’indigner contre des travers inacceptables que chacun définira en fonction de ses convictions. Il indique néanmoins ses propres motifs d’indignation, notamment le sort de la Palestine mais aussi la fracture sociale et les manquements aux droits de l’homme. L’indignation lui apparaît comme un indispensable de la condition humaine : « Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé1. ». Si certains Lecture Jeune - juin 2012 Éléonore Hamaïde-Jager est maître de conférences à l’université d’Artois. Elle a consacré sa thèse à l’influence de Georges Perec sur la littérature de jeunesse contemporaine. Auteur d’une vingtaine d’articles en particulier sur l’intertextualité dans l’album mais aussi sur l’écriture de la Shoah à destination des enfants et des adultes ou l’écriture transmédiatique, elle a dirigé dernièrement le numéro des Cahiers Robinson sur la collection « Page Blanche » et rédigé plusieurs notices pour le Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France, dirigé par Isabelle NièresChevrel et Jean Perrot (à paraître aux éditions du Cercle de la Librairie). 1 Stéphane Hessel, Indignez-vous !, Montpellier, Indigène éditions, coll. « Ceux qui marchent contre le vent », 2010, p. 12. 22 La littérature jeunesse « s’indigne » ! 2 Pierre Assouline écrit dans son billet du 4 janvier 2011 : « A-t-on le droit de ne pas s’indigner avec Stéphane Hessel ? ». Il trouve étrange, à l’instar de Boris Cyrulnik, « de pousser ses contemporains à s’engager sous l’emprise de l’émotion et non sous celui de la réflexion ». 3 Britta Benert, Philippe Clermont, Contre l’innocence. Esthétique de l’engagement en littérature de jeunesse, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2011, p. 11. Au-delà de la présentation de simples modèles vertueux ou de la volonté de transmettre des savoirs, certains auteurs et illustrateurs s’emparent de genres littéraires comme le théâtre, la dystopie ou le roman noir pour donner une portée sociale et politique à leur écrit et prouvent, selon les contributeurs, que réflexions esthétique et politique peuvent s’articuler sans tomber dans le propos militant. 4 Valérie Gérard, Clément Paurd, Obéir ? Se révolter ?, Paris, Gallimard jeunesse/ Giboulées, coll. « Chouette penser ! », 2012, p. 33. 5 Philippe Godard, Cinq discours pour désobéir, Paris, Syros, 2012, p. 6. de ses propos lui ont valu des réactions négatives2, l’édition pour la jeunesse semble avoir suivi l’engouement du public en proposant, sous des formes documentaires ou fictionnelles, des livres dans la mouvance de l’essai de Stéphane Hessel. En effet, comme ont su le montrer Britta Benert et Philippe Clermont, « il y a un lien intrinsèque entre littérature de jeunesse et engagement3. » Le propos n’est pas ici de considérer l’exhaustivité des publications qui pourraient s’inscrire plus ou moins nettement dans le sillage du livre d’Hessel mais d’observer certaines orientations éditoriales. Le choix du genre du texte influe-t-il sur la portée de l’engagement revendiqué ? Quels aspects de l’essai sont conservés, développés ou omis ? Le documentaire comme temps de la réflexion En raisonnant à hauteur d’enfant, la collection « Chouette penser ! » consacre un titre à un sujet voisin de l’essai d’Hessel. Dans Obéir ? Se révolter ? 4, les premiers questionnements portent sur la relation entre parents et enfant et justifient le bien-fondé de l’obéissance au nom de la spécificité de l’enfant, ni animal qu’on dresse, ni adulte. Les concepts de jugement, d’éducation, d’apprentissage, d’expérience sont convoqués sans omettre l’aspect pénible que peut recouvrir l’obéissance tout en justifiant sa nécessité. La réflexion philosophique de ce texte ne peut que faire écho aux situations actuelles des pays arabes quand il est fait mention de la révolte d’un peuple face à un pouvoir tyrannique qui ne cherche plus le bien commun. Pourtant le discours est distancié, cite de nombreux extraits de textes philosophiques et laisse au lecteur la liberté de les mettre en regard de l’actualité. L’illustration de Clément Paurd, très stylisée, sous forme d’ombres chinoises, participe de la mise à distance. Ses forces armées ressemblent aux hussards napoléoniens et les révoltés au peuple des barricades durant l’insurrection de 1832. Un titre qui colle à l’actualité sans finalement l’évoquer ! Assurément, Cinq discours pour désobéir est davantage dans la lignée de Hessel, par sa forme même. De tradition humaniste et philosophique, le discours prend une forme très écrite et argumentée, même s’il est prononcé lors d’une allocution. Il tend à convaincre l’auditoire, en s’appuyant ici sur l’expérience de résistance, personnelle mais généralisable, de l’orateur. N’est-il pas bien loin des formes d’expression privilégiées par la jeunesse ? La courte introduction de Philippe Godard, déjà auteur pour Syros jeunesse de deux documentaires épinglant et discutant des expressions utilisées par Nicolas Sarkozy telles que « valeur travail » ou « identité nationale », revendique la désobéissance au nom d’un « ordre intime, moral, éthique que nous jugeons plus essentiel 5 » que la loi. Il resitue et commente brièvement les discours de Chef Joseph, De Gaulle, Gandhi, Thoreau et La Boétie. Dans des contextes et à des époques différents, ces hommes ont fait le choix de la désobéissance contre la résignation. Dans sa conclusion, Philippe Godard rappelle la difficulté de la révolte, même au nom de la justice qu’il qualifie d’« invariant politique ». Selon lui, la désobéissance, synonyme dans ce cas de sagesse, intervient en réponse à l’injustice. Les lecteurs adolescents sont invités à réfléchir à Lecture Jeune - juin 2012 23 cette question de la désobéissance, afin de pouvoir ensuite s’engager, ici et maintenant, sans que puisse être dressé l’argument de la décision sous le coup de l’émotion, qui a pu être reproché à Hessel. On observe une circulation des personnalités mises à l’honneur dans les ouvrages : les cinq discours sont dédiés à Léonard Peltier6, qui fait l’objet d’un des titres de la collection « Ceux qui ont dit non ». La collection d’Actes Sud junior dirigée par Muriel Szac est née en 2008, avant le printemps arabe, avant l’ouvrage de Hessel, mais après certaines actions d’éclat d’altermondialistes. Chacun des titres de la collection met en lumière le parcours d’un individu, insistant sur ses doutes, sans chercher à en faire un héros, mais un homme « comme vous et moi, qui [a] fait le choix de l’engagement, quels qu’en soient les risques. Debout contre la barbarie7. » Les volumes de la collection « Ceux qui ont dit non » sont consacrés à des figures reconnues de la contestation comme Mandela, Abd el-Kader, Harvey Milk mais aussi à des personnages moins connus du grand public comme Anna Goldman, militante féministe, engagée dans l’éducation des enfants ou Mordechaï Anielewicz, qui a organisé le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943. À travers Janusz Korczak : « Non au mépris de l’enfance », une biographie romancée qui croise les époques, Isabelle Collombat retrace quelques épisodes de la vie de ce médecin polonais qui a créé au début du siècle un orphelinat où les enfants étaient élevés avec respect et participaient aux tâches quotidiennes autant qu’aux prises de décisions importantes. La collection8 donne à réfléchir, par le biais du docu-fiction : alternent un récit à la troisième personne assez classique et des passages en focalisation interne qui rendent le personnage très proche du lecteur, grâce à ses remarques sur sa famille ou ses prises de positions décisives voire vitales. La section « Eux aussi ils ont dit non », extrêmement engagée, replace, dans l’actualité française et mondiale, la nécessité du questionnement romancé dans l’ouvrage. La conclusion dénonce à l’aide de chiffres habilement amenés les violences faites aux enfants et invite le lectorat à s’engager contre les décisions du gouvernement de Nicolas Sarkozy en matière de justice et d’immigration. Elle appelle à reconnaître d’autres valeurs telles que la tolérance et l’ouverture d’esprit. Est-il pour autant possible d’échapper au didactisme qui a longtemps été l’apanage des livres à destination des enfants ? Certes l’intention n’est plus d’éduquer les enfants afin qu’ils appartiennent, pour faire vite, à une élite conservatrice, mais au contraire de les initier à la distance critique face aux instances dirigeantes. Telle est la nouveauté. Si l’orientation citoyenne est louable, les procédés n’ont pourtant rien à envier aux écrits plus anciens : le recours aux rebondissements, à l’émotion dans la partie fictionnelle, – ici la découverte de la judéité de la grand-mère par sa petite-fille –, autorise l’identification du lecteur mais instaure de nouveaux épisodes stéréotypiques en littérature. Des fictions engagées ? L’ouvrage de fiction Non à l’individualisme écrit par un collectif de six auteurs en résidence d’écriture convainc moins que les titres Lecture Jeune - juin 2012 6 Cet Amérindien a été condamné à la prison à perpétuité en 1977 pour avoir assassiné deux policiers du FBI dans une réserve indienne alors que de nombreuses preuves établissent son innocence. Il est le plus vieux prisonnier politique au monde. 7 Muriel Szac, « À propos de la collection "Ceux qui ont dit non" » in Gérard Dhôtel, Bruno Doucey, Nimrod, Maria Poblete, Elsa Solal, Mureille Szac, Non à l’individualisme, Arles, Actes Sud junior, 2011, p. 99. 8 Elle se prolonge par un blog « et vous, à quoi dites-vous non ? » où les internautes sont invités à inscrire leur refus, http://www. ceuxquiontditnon.fr/et-vous-a-quoi-dites-vousnon.html. 24 La littérature jeunesse « s’indigne » ! 9 Collectif, Libres !, Montrouge, Bayard Éditions, coll. « Millézime », 2012. documentaires. Certains personnages, comme celui de la caissière de Murielle Szac prennent corps, d’autres laissent le lecteur à distance tant leur caractérisation relève du stéréotype, de l’adolescente jalouse de sa sœur handicapée au journaliste aigri et indifférent qui se transforme en humanitaire concerné ; le bouleversement profond de certaines personnalités, du mépris à la commisération, s’accommode mal du format restreint de la nouvelle. Quand le documentaire touchait par les destinées de personnes bien réelles, les happy end des textes de fiction manquent parfois de réalisme et de profondeur. On peut faire ce même reproche à la nouvelle de Patricia McCormick qui évoque le Zimbabwe avec une fin euphorique alors que la note qui suit le récit rappelle le sort tragique de la plupart des candidats à l’asile en Afrique du Sud. Elle est publiée dans Libres !9, un recueil d’une douzaine de textes d’auteurs anglophones compilés par Amnesty international où chaque nouvelle illustre un article de la Déclaration universelle des droits de l’homme, rappelé en clôture du texte. Les contributions de Michael Morpurgo sur la Palestine, de Jamila Gavin sur la condition féminine en Inde, touchent par l’absence d’angélisme dont ils font preuve, tout en laissant poindre l’espoir. La portée humoristique de la nouvelle de Sarah Mussi, sur l’égalité devant la loi, dénote face à une production engagée souvent grave. Finalement, les pages de Margaret Mahy « Libérer les mots » sont emblématiques du positionnement de ces textes : l’engagement ici est d’abord et avant tout littéraire, plus que politique. Même si elles sont parfois ancrées dans des contextes géopolitiques difficiles bien réels, les nouvelles sont des exercices de style à partir d’un article de la Déclaration. Emmenés dans un ailleurs temporel et géographique les lecteurs vont-ils pour autant se rebeller dans leur quotidien ? Rien n’est moins sûr. L’écriture contre l’éthique ? Le recueil le plus convaincant demeure celui de Christophe Léon qui reprend la même injonction par son impératif Désobéis ! Passant du vouvoiement de Hessel qui invitait à la révolte collective au tutoiement, ces nouvelles ne se veulent pas un mode d’emploi de l’insoumission. Si toutes mettent au centre des personnages d’adolescents, elles placent le lecteur face à une situation paradoxale. Alors que la désobéissance adolescente prend majoritairement pour cible les parents, ces récits font apparaître des jeunes sous l’emprise d’adultes qui leur imposent, avec plus ou moins d’autorité, leurs révoltes. Les résistants se trouvent d’abord dans leur entourage familial, le père dans « Ernesto », l’oncle dans « Pourquoi regardez-vous cette affiche ? », la mère dans « Plus ou moins ». Dans ces textes, ce sont les adultes les instigateurs de la remise en cause du fonctionnement de la société, entre volonté de décroissance ou hébergement de sans-papier, rarement les adolescents plutôt frileux voire totalement réfractaires. Quelques figures de jeunes gens se démarquent néanmoins et s’inscrivent en porte-à-faux face à leur famille. C’est particulièrement vrai dans « Le refus » ou « Guérilla ». Dans cette dernière nouvelle, deux adolescents commettent un attentat très pacifiste en s’introduisant dans la zone Lecture Jeune - juin 2012 25 de construction du mur entre la Palestine et Israël et en y lançant des graines de fleurs et de légumes. Cette nouvelle est sans doute l’unique cas où les adolescents se mettent véritablement en danger mais la mise en scène n’a évidemment pas d’autre effet que de provoquer la surprise de quelques militaires. Les actions paraissent souvent plus proches de la blague de potaches – déguisement très voyant pour des campagnes anti-publicité, lumières des vitrines éteintes pour une opération anti-pollution, ambiance festive contre le prix des loyers – que de l’engagement politique. Plutôt que des délits avérés, les actions s’apparentent à des happenings dignes d’artistes contemporains durant lesquels les adolescents ne sont jamais inquiétés. Leur désobéissance fait sourire quand elle pourrait susciter admiration, empathie ou engagement. L’intérêt tient à l’efficacité de l’écriture de Christophe Léon : les chutes, tour à tour émouvantes ou humoristiques, très travaillées, surprennent souvent le lecteur. Mais leur « effet » sur celui-ci en terme d’engagement citoyen, politique ou social paraît très limité. Les narrations ne mettent-elles pas l’accent sur la démarche au détriment du résultat obtenu ? Les droits de l’homme bafoués, le mépris des faibles, le conflit israélopalestinien sont autant de thèmes que l’édition jeunesse reprend à l’indignation de Hessel. Mais la culture, sa nécessité et sa place, ne sont pas abordées dans les différents titres du corpus alors que Stéphane Hessel la considère comme essentielle à la vie de chacun et comme un biais par lequel interroger notre société. En fournissant des modèles moraux et des exemples, quelques documentaires visent à la mise en perspective historique et actuelle de l’engagement tandis que les auteurs des textes de fiction travaillent plutôt à l’originalité de l’écriture autour de certaines valeurs (liberté, fraternité), en variant les sphères géopolitiques, avec une préférence pour l’Afrique et pour le XXe siècle, en jouant sur les genres littéraires, du poème au procès-verbal en passant par la métaphore animalière. Le jeune lecteur est encouragé par ces voix fortes à trouver son propre chemin d’indignation contre les injustices... dans sa vie d’adulte. Le moment de l’action ne semble pas encore venu, reste le temps de la lecture et du mûrissement. Lecture Jeune - juin 2012 Les politiques 26 du livre numérique Le dossier dans l’édition jeunesse Patricia Gendrey Panorama Acclamé comme une formidable opportunité de renouvellement ou décrié comme un signe annonciateur de la mort du livre, le bouleversement culturel créé le par numérique soulève aujourd’hui une remise en question des politiques éditoriales. Patricia Gendrey a interrogé les éditeurs jeunesse sur leur offre en ligne et les innovations à venir. Patricia Gendrey titulaire d’un MBA en marketing et commerce électronique, est l’auteur d’une étude intitulée : Quelle stratégie numérique pour les éditeurs de livres ?, publiée en 2011. Après avoir été responsable éditoriale au sein de grandes maisons d’édition, elle est aujourd’hui consultante. Elle conseille les éditeurs dans la création de produits numériques et la promotion de leurs contenus éditoriaux sur Internet. 1 Gfk est un institut d’études qui publie chaque trimestre le baromètre REC (Référence e-content). Cette étude décrypte et analyse les comportements des internautes français âgés de 15 à 65 ans en matière de consommation de contenus numériques. Les chiffres mentionnés ont été présentés par cet institut lors du salon du livre de mars 2012. Voir en lien le communiqué de presse : www.gfkrt.com/imperia/md/content/ rt-france/cp_gfk_salon_du_livre_2012.pdf « 18 % des Français déclarent avoir téléchargé au moins un livre en 2011 contre 13 % en 2010. Le téléchargement légal est largement majoritaire, qu’il soit payant ou gratuit » analyse Sébastien Rouault, Chef de Groupe Livre chez GfK. Alors que la vente d’ebooks représente 20 % du marché aux EtatsUnis et 8 % en Angleterre, ce chiffre ne s’élève qu’à 0,3 % en France en 2011 (Source GfK 1). Bien que les catalogues s’étoffent, ce support est faiblement développé. Les adolescents correspondent à un lectorat peu équipé en tablettes et liseuses : les prix trop élevés, l’autonomie financière limitée des jeunes et des étudiants et enfin, la faible progression de l’offre de livres enrichis2 contribuent à rendre le livre numérique peu attractif pour ce public. Les jeunes de 10 à 24 ans, selon la même étude GfK, achètent principalement des fichiers dématérialisés audio ou vidéo 3, le livre n’arrivant qu’en dernière position. Ce comportement explique sans doute la prudence des éditeurs dans le développement de produits ambitieux pour ces lecteurs. Une offre qui s’étoffe Actuellement, Bragelonne, Hachette, Bayard, Gallimard et les éditions Harlequin publient systématiquement leurs nouveautés en version papier et numérique4. En revanche, la numérisation des ouvrages du fonds s’avère être un chantier important dont la réalisation est étalée dans le temps. Néanmoins, les catalogues s’étoffent peu à peu. Chez Hachette Jeunesse, il comprend aujourd’hui 600 titres et proposera 800 ouvrages fin 2012. Une hausse du chiffre d’affaires devrait accompagner cette progression : Cécile Terouanne, directrice d’Hachette Jeunesse, déclare qu’il devrait être « significatif » pour la fin de l’année 2012. Alexandre Levasseur, responsable du numérique pour Bragelonne, se félicite quant à lui des 100 000 ventes d’ebooks depuis la mise sur le marché des versions numériques. À l’inverse, en dépit du succès de la collection « Darkiss », Antoine Duquesne, directeur marketing des éditions Harlequin, constate que les ventes de livres numériques sur cette cible sont faibles, comparées au reste du catalogue. Si les éditeurs représentant une part de marché considérable ont bien compris que la diversification des canaux de distribution concourt à augmenter le chiffre d’affaires de leur activité, on peut s’étonner que nombre de sociétés d’éditions de taille plus modeste ne semblent pas avoir saisi l’urgence de se positionner sur ce segment. La maison d’édition Rue du Monde, par exemple, n’offre même pas un site Internet pour promouvoir son offre alors qu’elle dispose d’un catalogue Lecture Jeune - juin 2012 e 27 remarquable. Les professionnels sont-ils seulement conscients que le livre numérique permet de donner une seconde vie aux ouvrages du fonds, comme le souligne si justement Alexandre Levasseur ? Cet effet « longue traîne5 » permet en effet, grâce au cumul des ventes en petites quantités sur des titres anciens, d’obtenir au final, un chiffre d’affaires conséquent. Le coût des livres numériques En ce qui concerne les prix, on note des divergences notables et une politique fort différente en fonction des maisons d’édition. Les plus anciennes – Hachette, Gallimard et Harlequin – s’accordent sur une réduction du prix allant de 30 à 40 % de moins que la première édition papier6. Pour les ouvrages du fonds, la tendance serait d’aligner le prix de la version numérique à celui du livre en format poche. Seule Bragelonne adopte une politique plus offensive : selon Alexandre Levasseur, il est nécessaire de penser une offre de prix cohérente et juste. Ainsi, le tarif du livre numérique est fixé en prenant pour étalon le coût moyen d’un divertissement numérique en France, qui varie entre 0,99 € et 5 €. Cette question est un vrai point de divergence entre éditeurs : en effet, les maisons d’édition traditionnelles estiment que les remises importantes consenties par certains ne sont pas raisonnables. Pour Cécile Terouanne comme pour de nombreux confrères, vendre un livre à 0,99 € reviendrait à brader son contenu. Damien Giard, directeur du numérique pour les marques Milan et Bayard, estime que la période où l’on imaginait une possible gratuité de l’offre numérique est définitivement révolue : « Il faut du travail pour réaliser un livre numérique et la production du contenu a un coût qu’il convient d’amortir ». Le baromètre sur les usages du livre numérique7 montre que le prix est le premier critère qui motive l’achat d’un ouvrage sous ce format. Il n’est pas certain qu’une réduction de 30 à 40 % du tarif initial soit suffisante ; ce qui est important, c’est le prix ressenti. Or, pour une fourchette de 15 à 20 € pour un livre dématérialisé ne semble pas être une somme raisonnable aux yeux des consommateurs. Dans les prochaines années, les prix seront sans doute revus à la baisse sous la pression de jeunes maisons d’édition plus téméraires, à l’instar de Bragelonne. D’autre part, l’acheteur est-il réellement propriétaire de son fichier ? Rien n’est moins sûr ! En effet, le droit de disposer d’un bien, nommé abusus par les juristes, est l’un des attributs du droit de propriété. Or, le lecteur ne peut bien souvent ni copier, ni imprimer et encore moins utiliser le fichier numérique sur un autre support. On parle alors de « droit d’utilisation8 » plus que de « droit de propriété », ce qui justifierait de réduire considérablement le prix des ebooks. 2 Il faut distinguer en effet les livres homothétiques, c’est-à-dire qui sont l’image du livre imprimé adapté à différents supports de lecture, des livres enrichis. Pour les livres enrichis, il peut se limiter au livre lui-même (apport vidéo ou audio), ou externe (liens vers Internet). 3 Vidéo à la demande, musique en streaming ou albums en téléchargement. 4 Si l’on regarde du côté des éditeurs de moindre envergure en jeunesse : les éditions Thierry Magnier proposent des versions numériques des nouveautés. On ne trouve en revanche ni le fonds ni les dernières nouveautés de L’Ecole des Loisirs, Le Rouergue, Sarbacane ou Syros dans ce format. 5 « La longue traîne », Chris Anderson, Editions Pearson, avril 2009. 6 Ainsi, sur le site Amazon.fr, Vango de Thimothée de Fombelle coûte 16,39 € (version papier) et pour le Kindle, 11,99 €. 7 Baromètre SOFIA/SNE/SGDL sur les usages du livre numérique, mars 2012 : www.la-sofia.org/sofia/webdav/site/ Sofia/shared/home/agenda%20home/ Barometre_SofiaSneSgdl_Les%20usagesdulivrenumerique_mars2012.pdf 8 Dans son ouvrage, Les Livres dans l’univers numérique (La Documentation Française, 2011), Christian Robin explique que les consommateurs culturels actuels délaisseraient « la propriété des objets pour l’accès aux services rendus par ceuxci. Cette approche sous-tend nombre de réflexions autour de l’information numérisée : Les DRM9 La présence ou non de DRM, ce verrou technique qui permet de contrôler l’utilisation de l’œuvre numérique, est également sujet de discorde. Pour Hachette et Harlequin comme pour Gallimard, les DRM restent la règle pour « protéger les auteurs ». Hedwige Pasquier, responsable de la filiale jeunesse de la maison, réaffirme l’importance d’intégrer des DRM dans les fichiers, tandis que Bayard, Walrus et Lecture Jeune - juin 2012 posséder un disque est moins important qu’écouter de la musique dont il est le support. (…) Ainsi, les acteurs de la filière des livres ne devraient-ils pas raisonner systématiquement en ces termes : quel est le service rendu et non quel objet va être mis à disposition des personnes ? » p. 94. 28 Les politiques du livre numérique dans l’édition jeunesse 9 DRM : Digital Rights Management, sigle anglais désignant la Gestion des Droits Numériques, c’est-à-dire la technologie sécurisée qui permet de protéger les droits d’auteur dans le domaine numérique. Cette protection technique spécifie sur un support numérique ce qu’un utilisateur est en droit d’en faire. Ce support peut être physique (CD, DVD…) ou de transmission (fichier audio, vidéo, texte). Le DRM permet notamment de restreindre ou réglementer la circulation d’un fichier numérique sur le web. 10 Technique de marquage qui consiste à insérer une signature invisible et permanente à l’intérieur des images numériques transitant par les réseaux, tel Internet, afin de lutter contre la fraude et le piratage et d’assurer la protection des droits de propriété intellectuelle. Dans chaque image est inséré un code d’identification imperceptible et indétectable par tout système ignorant son mode d’insertion. Il permet notamment de garantir la preuve de paternité d’une œuvre numérique. Il dissuade le pirate dans la mesure où cette « signature » peut être retrouvée dans chaque copie de l’image originellement marquée. Cette signature doit pouvoir résister aux différentes techniques de traitement de l’image (compression, lissage, rotation, etc.). 11 http://audeladecettelimite.blogspot. fr/2010/11/faut-pas-prendre-les-enfants-dubon.html. 12 « Bilan économique 2011 », Syndicat national de l’édition phonographique : http://proxy.siteo.com.s3.amazonaws.com/ disqueenfrance.siteo.com/file/dossierdepressesnep-midem2012.pdf 13 Livre homothétique : il s’agit de la version sur un écran de l’œuvre imprimée, à l’exception des éléments accessoires propres à l’édition numérique. Bragelonne ont au contraire pour politique de ne pas en apposer. Alexandre Levasseur va plus loin : « Le piratage ne nous fait pas peur, c’est une manière d’être visible ! Quand le premier livre de la société d’édition a été publié le 1er octobre 2000, il a été piraté un mois plus tard et déposé sur un site communautaire. Loin d’être une menace, ce fut au contraire une opportunité en créant un véritable engouement au sein d’une communauté qui a ainsi pu découvrir le texte, et pour certains... l’acheter ». Cependant, l’absence de DRM ne signifie pas pour autant le manque de protection du fichier : Bragelonne a choisi d’adopter le watermarking10, un procédé de marquage à l’effet essentiellement dissuasif qui n’empêche ni la lecture, ni le prêt, semblant ainsi être un bon compromis entre la nécessité de protéger les auteurs et l’accessibilité des fichiers. La controverse sur les DRM n’est pas anodine. Nombre de libraires en ligne s’opposent à cette technique car les consommateurs se plaignent de ne pas pouvoir transférer un livre d’un support à un autre (de sa tablette à son ordinateur, par exemple). En outre, la méthode de verrouillage est parfois si efficace que l’acheteur ne parvient tout simplement pas à ouvrir le fichier. C’est ainsi que Charles Kermarec, directeur de la librairie Dialogue, a fait part de façon virulente d’une franche hostilité en interpelant les éditeurs : « à quoi, à qui ça sert les DRM si ça emmerde les honnêtes gens et que ça ne gêne pas les voleurs11 ? ». S’abriter derrière la protection des auteurs ne semble plus être un argument acceptable pour justifier l’adoption de DRM, du moins dans l’industrie de la musique : après avoir utilisé ce procédé, les producteurs l’ont abandonné massivement sous la pression d’Apple. Alors que le piratage de la musique était encore pointé du doigt il y a quelques mois par les majors du disque, un rapport établi par le syndicat national de l’édition phonographique12 montre que les ventes numériques progressent de 25,7 % en 2011. Le livre serait-il sur ce point un produit culturel si différent des autres ? Du livre homothétique à « l’hyperlivre » Tandis que la production de livres enrichis se développe pour le segment des jeunes enfants, on observe peu d’innovations à l’attention des adolescents et des jeunes adultes. Les éditeurs – Hachette, Gallimard et Bragelonne – craignent que l’introduction de médias ne brise la magie du texte et estiment que ces nouveautés multimédiatiques seraient plus adaptées aux ouvrages illustrés ou professionnels. Cependant, ne faut-il pas inventer ce que sera l’ebook du futur et concevoir des contenus pleinement harmonisés pour ces nouveaux supports ? Hachette Jeunesse propose deux versions pour la collection du « Livre de Poche Jeunesse » : la première homothétique13, la seconde comprend à la fois l’ouvrage et un dossier pédagogique. Damien Girard évoque quant à lui le développement d’un atlas en collaboration avec les éditions Volumiques. L’application iPhone est créée comme un complément au livre papier qui se transforme en un plateau de jeu. En posant l’appareil sur une page, le lecteur peut ainsi découvrir un enrichissement (séquences audiovisuelles, dossiers complémentaires sur Internet, etc.). Lecture Jeune - juin 2012 29 Les « pure players 14 », tout au contraire, se montrent téméraires. Ainsi, Walrus a développé en partenariat avec les éditions Mnémos une version enrichie de Kadath15 qui offre une nouvelle expérience de lecture. Ce texte n’a pas été choisi au hasard car cet ouvrage non linéaire permet au lecteur d’adopter une lecture transversale et fragmentaire, et de composer ainsi son propre univers. La navigation réticulaire16 permet à l’utilisateur de choisir parmi quatre narrateurs, modifier le parcours narratif du personnage et lire les parties dans l’ordre qu’il souhaite, proposant ainsi une véritable immersion dans l’univers de Lovecraft. Walrus a aussi redonné vie aux « Livres dont vous êtes le héros17 », phénomène éditorial des années 80, avec une nouvelle collection baptisée « Rendez-vous au 14 » qui signe le grand retour des livres-jeux. Le récit interactif donne au lecteur l’opportunité d’incarner le personnage principal et de choisir la direction à prendre. Les liens hypertexte le conduisent à naviguer de chapitre en chapitre pour faire progresser l’histoire. Julien Simon, gérant et directeur de Walrus, espère que ces publications amèneront de nouveaux publics vers la lecture. Une offre encore limitée Les structures d’envergure assurent une veille permanente et active en observant ce qui est réalisé par les éditeurs plus petits et plus ambitieux qui fonctionnent comme des cellules de recherche et de développement. L’offre restreinte d’ouvrages enrichis sur le marché est sans doute due à deux facteurs. Tout d’abord, le manque de proposition de contenus : actuellement, beaucoup de maisons d’édition sont dans l’attente d’œuvres enrichies proposées par les auteurs. Consciente du problème, le groupe Bayard a mis en œuvre un plan de formation afin d’aider les éditeurs à élargir leurs compétences, avec notamment une formation aux jeux vidéo qui devrait les aider à ouvrir leur champ de réflexion sur l’enrichissement des livres. D’autre part, la valeur ajoutée ne semble pas toujours évidente, eu égard aux coûts. Tous évoquent l’ampleur du budget nécessaire pour développer ce type de produits. Aussi, les maisons d’édition déploient une offre double – numérique et papier – des ouvrages de leurs catalogues et concentrent leurs efforts sur l’iBookstore18. En effet, alors que le développement d’applications sur l’Appstore19 occasionne des frais importants, le prix traditionnellement fixé est très faible, engendrant ainsi un véritable risque financier pour l’éditeur. À l’inverse, Hedwige Pasquier rappelle que les tarifs proposés sur l’iBookstore sont plus élevés pour un coût de développement moindre. En outre, la mauvaise visibilité des applications dans les boutiques virtuelles et l’absence de compatibilité multiplateforme concourent à accroître l’attentisme des éditeurs. Il y a donc très peu d’initiatives de livres enrichis dans le marché destiné aux adolescents et jeunes adultes. Les éditeurs qui évoquent le faible équipement de cette tranche d’âge semblent oublier le potentiel d’un autre support, moins médiatisé, le téléphone mobile : en effet, 95 %20 des jeunes de moins de 15 ans en possèdent un. Les adolescents ont une relation addictive à leur téléphone mobile ; il y a donc là pour les éditeurs un potentiel de développement considérable, d’autant plus Lecture Jeune - juin 2012 14 Un éditeur pure player publie des livres exclusivement dans des formats numériques instaurant de nouveaux dispositifs de lecture. 15 Kadath. Le Guide numérique de la Cité Inconnue, d’après le roman de Howard P. Lovecraft, Walrus/Mnémos, 2012. Présentation de l’ouvrage sur le site des éditions Walrus. www.walrus-books. com/2012/06/kadath/ 16 Mode de navigation qui évoque le réseau et le maillage de l’information. Des liens sont tissés avec l’environnement du texte : intertextualité, incrustation de contenus multimédia, partage de commentaires. 17 Il est à noter qu’en juin 2012, Gallimard réédite le premier volume des Livres dont vous êtes le héros dans une maquette rénovée… mais toujours en version papier. 18 L’Ibookstore est la plateforme de téléchargement de livres numériques d’Apple. 19 L’Appstore est la plateforme de téléchargement des applications sur les appareils mobiles d’Apple (iPod, iPhone et iPad). Ces applications intègrent un fort degré d’interactivité et nécessitent par conséquent des développements informatiques coûteux. 20 Etude youth Kit : www.kantarmedia-tgifr.com/news/199/ La-t%C3%A9l%C3%A9phonie-mobile-chezles-11-24.php 30 Les politiques du livre numérique dans l’édition jeunesse 21 www.publie.net/ 22 www.emoticourt.fr/ 23 Voir Télérama n° 3256, dossier p. 24-30 : « La littérature est-elle menacée par le numérique ? ». 24 L’Etrange secret de Finley Jayne, Kady Cross, « Darkiss », Harlequin, 2012. 25 http://livreetlecture.wordpress. com/2012/03/27/mettre-des-livres-numeriques-a-disposition-dans-les-bibliothequespubliques/ 26 http://bibliotheque.marne-chantereine. fr/opacwebaloes/index.aspx?IdPage=379 que la « mode » de la littérature numérique est en ce moment aux textes courts. En effet, le créneau des œuvres brèves semble pouvoir attirer un nouveau lectorat. C’est le pari qu’a fait François Bon avec ses éditions publie.net21 qui proposent sous format numérique des nouvelles et des poèmes inédits ou déjà édités mais indisponibles. De même, la maison d’édition numérique Emoticourt22, fondée par Nadine Bayle et Félicie Dubois, cherche à créer une communauté d’auteurs autour des formes textuelles brèves qui ne trouveraient pas de public dans le circuit « classique » de l’édition papier23. Les nouveaux modes de promotion : webmarketing et médiateurs La visibilité des livres numériques est primordiale pour la maison d’édition. De façon générale, si les éditeurs publient peu de livres enrichis, ils sont très actifs dans la promotion des ouvrages sur Internet. Tous soulignent l’importance des réseaux sociaux, Facebook étant plébiscité par l’ensemble des structures d’éditions comme une manière remarquable d’échanger avec les lecteurs. Terence Mosca, responsable numérique de Gallimard, y constate une vraie mobilisation, les lecteurs pouvant suivre l’actualité du secteur qui les intéresse. Pour un pure player comme Walrus, les réseaux sociaux sont vitaux pour rendre visible leur production, notamment lorsque la presse écrite semble « oublier » les ouvrages des jeunes éditeurs numériques, comme le déplore Julien Simon. Chez Bragelonne, tous les outils du webmarketing sont savamment déployés. En plus de la page Facebook, l’éditeur est présent sur Twitter, à travers une page officielle et une page personnelle ; il anime un blog et dispose d’une chaîne YouTube sur laquelle il dépose chaque semaine la bande annonce de 4 à 6 titres, redonnant ainsi une chance à ces ouvrages. Autre initiative intéressante, l’utilisation de l’ebook comme outil de promotion pour le papier. C’est ainsi que les éditions Harlequin publient une e-nouvelle gratuite intitulée L’Étrange secret de Finley Jayne24 qui sert de support de promotion à un ouvrage dont la sortie est prévue pour la fin de l’année. Les éditeurs pensent que le libraire a plus que jamais sa place sur ce marché. La surproduction éditoriale, qu’elle soit imprimée ou numérique, rend indispensable la présence d’un médiateur permettant la rencontre du livre avec son public. Librairies et bibliothèques sont donc les mieux placées pour jouer ce rôle de médiation. Les libraires, encore réticents à se lancer sur le marché du livre numérique, pourraient jouer un rôle en proposant des ebooks en magasin ou le chargement des titres sur le support de lecture du client. Certaines bibliothèques proposent l’accès à un catalogue numérique25 pour leurs abonnés, comme la médiathèque de l’agglomération de Marne et Chantereine26, par exemple. Bien que les ventes de livres numériques soient réalisées aujourd’hui principalement sur les best sellers papiers, les éditeurs interrogés pensent néanmoins que les ventes d’ebooks atteindront 20 % du marché dans cinq ans. Qu’en sera-t-il pour le marché des adolescents et des jeunes adultes ? Espérons que les maisons d’édition innoveront en proposant des formes littéraires inédites pour ces nouveaux supports. Lecture Jeune - juin 2012 Les adolescents Parcours et la bande dessinée 31 Benoît Berthou Panorama On ne saurait dresser un panorama complet des tendances de l’édition pour adolescents, sans évoquer la bande dessinée et les séries qu’ils plébiscitent. Entre le roman graphique, le manga et les incursions du côté du numérique, Benoît Berthou souligne que les succès de librairies restent éminemment classiques et au format papier ! Une récente étude sur le lectorat de bandes dessinées insiste sur le « lien privilégié qu’elle continue à entretenir avec l’adolescence »1 et laisse presque penser que le neuvième art participerait d’un itinéraire culturel menant vers l’âge adulte et serait ensuite progressivement délaissé. Face à la désaffection des lecteurs âgés de 18 à 24 ans2, les auteurs de cette étude notent que « l’entrée dans l’âge adulte s’accompagne en effet le plus souvent de changements (accès aux études supérieures, décohabitation du domicile parental, etc.), qui peuvent influer négativement3 » sur cette pratique de lecture. Aussi réductrice et simpliste soit-elle, il semble donc qu’une question se pose : la bande dessinée ne constitue-t-elle pas une littérature pour adolescents et jeunes adultes ? L’adolescence : une « super-jeunesse » ? Des lecteurs de 7 à 77 ans Cette interrogation a toute sa raison d’être car adolescents et jeunes adultes semblent effectivement constituer le public « naturel » de la bande dessinée européenne. Force est de constater que nous ne sommes pas face à un phénomène récent ou simplement actuel, mais presque historique, que résume parfaitement le célèbre slogan de l’hebdomadaire Tintin : « Le journal des jeunes de 7 à 77 ans ». Apparue le 6 octobre 1955 (n° 363) au frontispice de l’édition française, et évoluant au début des années 70 pour faire mention des « super-jeunes ». Cible naturelle de la bande dessinée franco-belge, cette « superjeunesse » semble toutefois encore aujourd’hui tenir le haut du pavé commercialement parlant et une large partie de l’actuelle production de bande dessinées s’inscrit ainsi dans la droite lignée des hebdomadaires de l’âge classique construit selon ce que Greg (rédacteur en chef de Tintin de 1965 à 1974) nommait un « panaché » : « Dans ces fascicules, le sommaire était très simple : il y avait un cow-boy, un explorateur, un détective…4 ». En attestent les meilleures ventes de l’année écoulée : selon Gilles Ratier, auteur du bilan annuel de l’Association des critiques de bande dessinée5, elles font la part belle à un espion amnésique (XIII 6, 500 000 exemplaires), à des séries d’humour (Kid Paddle7 de Midam pointant à 360 000 exemplaires et Boule et Bill 8 à 253 000) ou d’heroic fantasy (avec Les Légendaires 9 et leurs 170 000 exemplaires de vente). Lecture Jeune - juin 2012 Benoît Berthou est maître de conférences en Sciences de l’Information et de la communication à l’université Paris 13 où il est responsable du master « Culture, média ». Au sein du LABoratoire des Sciences de l’Information et de la Communication (LABSIC), il mène des recherches sur l’influence des technologies numériques au sein de la chaîne du livre et sur la bande dessinée. Il est rédacteur en chef des Carnets de la bande dessinée (http://carnetsbd. hypotheses.org/). 1 Christophe Evans et Françoise Gaudet, La lecture de bandes dessinées, Département des études, de la prospective et des statistiques, collection « Culture Études », 2012-2, p. 2. Téléchargeable sur le site du DEPS. 2 90 % des 11-14 ans ont lu une bande dessinée au cours des 12 derniers mois contre 35 % des 18-24 ans. 3 Ibid., p. 7. 4 Greg, entretien avec Hugues Dayez, dans Le Duel Tintin-Spirou, Éditions Luc Pire, 1997, p. 47. 32 Les adolescents et la bande dessinée 5 Voir http://www.acbd.fr/ 6 XIII, T. 20, Yves Sente et Iouri Jigounov, Dargaud, 2011. 7 Kid Paddle, T. 12, Midam, Albert René, 2011. 8 Boule et Bill, T. 33, Laurent Verron, Dargaud, 2011. 9 Les Légendaires. L’héritage du mal, T.14, Patrick Sobral, Delcourt, 2011. 10 Thorgal. Le Bateau-sabre, T.33, Rosinski et Sente, Le Lombard, 2011. 11 Merlin est une série de bande dessinée publiée aux éditions Soleil depuis 2000. Elle compte 9 volumes à ce jour. 12 Servitude est une série de bande dessinée de type fantastique, écrite par Fabrice David, dessinée et mise en couleur par Éric Bourgier. Publiée aux éditions Soleil depuis 2006, elle compte 3 volumes à ce jour. 13 Sophie Demonceaux, « BD du réel et adolecteurs. Le traitement des sujets « difficiles » en bande dessinée et réception du lectorat adolescent ». Mémoire de Master 1 dirigé par Sylvie Servoise, université du Maine, 2010, p. 90. Disponible en téléchargement à http:// master3.hautetfort.com/ 14 Pourquoi j’ai tué Pierre, Olivier Ka et Alfred, Delcourt, 2006. 15 Inès, Loïc Dauvillier et Jérôme D’Aviau, Drugstore, 2009. 16 (A)Mère, Raphaël Terrier, La Boîte à bulles, 2004. 17 Parus en 1982 dans le journal Okapi, les premiers épisodes de la série Tendre Banlieue de Tito ont été depuis suivis par 17 albums aux éditions Casterman. Tito y dépeint les différents aspects de la vie de banlieue, ses cités, ses quartiers et ses clans. En 2004, plusieurs albums de la série ont été novellisés. Feuilleton et personnages phares Ces succès doivent sans doute beaucoup à leur conception, sous forme de feuilleton : la 33e apparition de Thorgal, personnage né en 1977, s’est ainsi soldée l’année dernière par d’excellents chiffres puisque Le Bateau-sabre10 s’est écoulé à plus de 220 000 exemplaires. On ne saurait dès lors négliger l’importance de personnages qui participent de la construction d’une véritable identité de la bande dessinée. Adolescence et bande dessinée « du réel » De la fantasy… Cette « jeunesse » ou adolescence « historique » semble ainsi s’inscrire dans un certain mode de publication : l’album, c’est-à-dire un livre de grand format au prix relativement élevé (10 € pour un tome de Kid Paddle) et imprimé en couleur. Elle se fait également le chantre d’une esthétique que semble par exemple mettre résolument à l’honneur un genre comme la fantasy : le grand succès d’une série comme Merlin11 s’explique sans doute aussi bien par le travail de scénariste de JeanLuc Istin (abordant frontalement les traditions religieuses chrétiennes et celtes) que par celui de dessinateur et de coloriste d’Éric Lambert et de Stambecco. Le public adolescent semble ainsi pouvoir être conquis par une certaine virtuosité et une série comme Servitude12 adopte des solutions graphiques on ne peut plus élégantes (proches de la technique du lavis n’utilisant qu’une seule couleur qui est diluée pour prendre de multiples teintes). …aux « problem BD » Mais force est de constater que cette « super-jeunesse » n’est plus comme par le passé en position hégémonique et que cet héroïsme parfois outrancier atteint effectivement ses limites. Se font jour d’autres propositions éditoriales qui pourraient intéresser adolescents et jeunes adultes : telle est du moins la thèse que défend Sophie Demonceaux dans son mémoire de Master intitulé « BD du réel et adolecteurs » en traitant d’œuvres selon elle susceptibles de combler le « goût prononcé [des adolescents] pour ce type de récits qui traitent de sujets difficiles, qui placent les personnages dans des situations inconfortables, face à des obstacles, des hésitations, des choix compliqués »13. Il est ici question d’une bande dessinée s’inscrivant dans la lignée de fictions empreintes de « réalisme » telles que celles publiées dans les collections « Scripto » de Gallimard Jeunesse, « eXprim’ » de Sarbacane ou « Métis » de Rageot. S’appuyant sur Pourquoi j’ai tué Pierre14, Inès15 ou encore (A)Mère16, Sophie Demonceaux montre implicitement que nous ne sommes pas face à un champ éditorial structuré. En revanche, bibliothécaires ou libraires sont effectivement à même de développer une offre ou un fonds sortant des sentiers battus ; il est loin le temps où les albums de Tito (Tendre banlieue17) faisaient office de seule alternative dessinée aux « fictions du réel ». Le roman graphique Nous entrons ici dans le domaine du « roman graphique », pour reprendre l’expression consacrée, c’est-à-dire de productions s’inscrivant clairement dans un registre littéraire et développant des thèmes susceptibles d’intéresser les plus âgés des adolescents. Tel est notamment le cas de la découverte de la sexualité, évoquée par Debbie Dreschler Lecture Jeune - juin 2012 33 dans The summer of love18 qui campe de façon particulièrement juste le désarroi de deux sœurs découvrant un nouvel environnement et faisant face aux exigences de leurs corps. Un sujet comme la nécessaire prise de distance avec ses ascendants n’est pas en reste, avec par exemple l’admirable Fun home19 d’Alison Bechdel relatant le parcours sentimental d’une jeune femme vers un père trop vite disparu et donc à jamais énigmatique. Il n’est qu’à ajouter à cette liste des titres plus connus comme Ghost world 20 de Daniel Clowes, Blonde platine21 d’Adrian Tomine ou bien sur les Poulets aux prunes22 et Persepolis23 de Marjane Satrapi pour se persuader que la bande dessinée peut s’adresser à toutes les catégories d’âge et éveiller toutes les sensibilités. 18 The summer of love, Debbie Dreschler, L’adolescence : un territoire ? 22 Poulet aux prunes, Marjane Satrapi, Album BD Les diverses références que nous présentons appartiennent à une bande dessinée susceptible de présenter un intérêt pour des « adolecteurs » et jeunes adultes tout en s’adressant également à un lectorat plus large. En témoigne le fait que l’album de bande dessinée constitue clairement un livre « transgénérationnel » : à en croire l’enquête sur les pratiques culturelles des Français menée par le ministère de la Culture 24, sa lecture décroît sensiblement avec l’âge (passant de 47 % pour les « 15-19 ans » à 30 % chez les « 35-44 ans ») mais reste présente tout au long de la vie (jusqu’à représenter 7 % des lectures des « 65 ans et plus »). Nous sommes ainsi face à une bande dessinée fédératrice, qui peut potentiellement circuler au sein de la famille et s’échanger entre des individus d’âges très différents. Manga Tel n’est absolument pas le cas du manga qui esquisse une tout autre conception de l’adolescence : celle-ci doit être pensée sur le mode du territoire, car nous sommes face à un ensemble de pratiques culturelles propres à un groupe social spécifique ainsi qu’en attestent ces mêmes données. Le lectorat décroît en effet brutalement au fur et à mesure de l’avancée en âge (passant de 30 % chez les « 15-19 ans » à seulement 5 % chez les « 35-44 ans ») jusqu’à devenir négligeable par la suite. La bande dessinée est ici synonyme de rupture. « Shojo » et « Shonen » s’adressent ainsi à un public adolescent respectivement féminin et masculin, et tous deux doivent être distingués du « Seinen » qui vise de « jeunes adultes ». L’adolescence devient ici une période éminemment complexe. Christine Détrez présente, dans une riche conférence disponible en libre accès dans la bibliothèque numérique de l’ENSSIB25, l’importance de ces catégories de bande dessinée japonaise dans la construction de l’identité sexuelle. Intégration dans la culture numérique Le manga semble également constituer le vecteur d’une sorte d’initiation culturelle et médiatique. Cette même conférence aborde en effet ces « sous-genres » comme un véritable environnement à l’intérieur duquel se mêlent des pratiques fort diverses (lire, regarder, écouter, se déguiser…), des supports médiatiques (livre, DVD, Internet, jouets et vêtements) et des entreprises de sociabilités (de mises en relation ou, à l’inverse, de différenciations sexuelles et sociales). Est ici esquissée une « intégration dans la culture numérique », pour reprendre les mots Lecture Jeune - juin 2012 L’Association, 2004. 19 Fun Home, Alison Bechdel, Lili Sztajn et Corinne Julve, Denoël Graphic, 2006. 20 Ghost World, Daniel Clowes, Vertige Graphic, 1999. 21 Blonde Platine, Adrian Tomine, Seuil, 2003. L’Association, 2004. 23 Persepolis, Marjane Satrapi, L’Association, 2007 24 Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/ 25 Les Mangados : lire des mangas à l’adolescence, Christine Détrez et Olivier Vanhée, éditions de la BPI, 2011. www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/ document-56857 34 Les adolescents et la bande dessinée 26 http://troisvoeuxdetrop.webcomics.fr 27 http://grandpapier.org/ 28 www.vincentcaut.com/ et http://bastienvives.blogspot.it/ 29 Voir sur www.fanfictions.fr les nouvelles de Jainas (Despair : Terre brûlée) et de Lebibou (Calvin sans Hobbes, 25 ans plus tard). 30 http://naruto.wikia.com/wiki/ Narutopedia 31 www.volonte-d.com/ de Christine Détrez, qui nous invite à prendre clairement nos distances avec un grand nombre d’idées reçues et à ne pas se cantonner à l’étroit périmètre du « livre numérique ». Si l’achat de fichiers informatiques a tendance à s’installer dans les pratiques culturelles (du moins dans le cas de la bande dessinée et selon l’enquête que nous citons en introduction), ils restent largement minoritaires, voire moins révolutionnaires que d’autres modalités de lecture. À côté des albums, manga et comics traditionnels qu’il est possible de consulter en ligne à l’aide de distributeurs numériques comme Iznéo ou Numilog, on trouve en effet des travaux d’auteurs publiant leurs œuvres selon une périodicité et des modalités très différentes. Actuellement, un Internaute peut retrouver le plaisir de découvrir des histoires de toutes sortes, publiées épisode après épisode, dans des formats quelque peu tombés en désuétude (comme le strip ou la demiplanche). Des services d’hébergement en ligne comme Webcomics. fr ou grandpapier.org proposent ainsi des travaux singuliers : il est possible de lire gratuitement les Trois vœux de trop26 de Guillaum (qui est organisé par périodes balisées selon différentes couleurs) ou encore l’émouvante Évolution parallèle27, d’Olive Booger et Agathe T., qui met en scène l’éducation stricte dispensée dans une école religieuse. Numérique et participatif Mais si l’environnement numérique offre aux adolescents de nouvelles propositions de lecture, il leur permet surtout de redéfinir les rapports qu’ils sont susceptibles d’entretenir avec la création de bandes dessinées. À même de suivre les multiples aspects du travail de leurs auteurs favoris sur des blogs (comme dans le cas du blog de Vincent Caut ou de Bastien Vivès où sont publiés illustrations et toutes sortes d’essais graphiques28), les lecteurs peuvent également s’exprimer ; la bande dessinée devient l’occasion de multiples activités. Il est par exemple possible de prêter d’inédites aventures à ses personnages favoris en inventant des histoires puis en les publiant sur fanctions.fr : le Sandman de Neil Gaiman rencontre ainsi Harry Potter alors que Calvin et Hobbes se séparent après une longue cohabitation29. Les jeunes peuvent encore s’improviser documentaliste ou archiviste en intervenant dans le cadre d’un wiki : résumant un ouvrage ou rédigeant une notice consacrée à un personnage, l’internaute viendra ainsi enrichir la Narutopedia30 ou l’encyclopédie de La Volonté du D consacrée à la série One Piece31. L’ensemble de ces exemples démontre si besoin est qu’adolescence et bande dessinée constituent un terrain des plus fructueux qu’éditeurs, bibliothécaires ou libraires ont tout intérêt à explorer plus avant, et ce d’autant plus que les adolescents sont des usagers assidus : à en croire l’étude déjà citée, 62 % des lecteurs de bandes dessinées âgés de 11 à 14 ans déclarent avoir fréquenté ou fréquenter au moins un établissement. Bibliothèques et bibliothécaires pourraient ainsi s’inspirer de l’action de la bibliothèque de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image et de sa directrice, Catherine Feyrrerolle : offrir en prêt une collection diversifiée, qualité tout en proposant une sélection de travaux publiés sur des blogs et en étendant les missions de prescription et de médiation à des ressources numériques correspondant pleinement aux attentes du lectorat adolescent. Lecture Jeune - juin 2012 35 Les comics, Parcours symboles de leur temps Xavier Fournier Panorama Les comics semblent être à la mode dans les rayons des librairies. Si elle n’atteint pas les mêmes chiffres de vente que les mangas, la bande dessinée américaine a le vent en poupe : longtemps perçus comme une sous-culture, les comics sont désormais intégrés aux catalogues des éditeurs et aux rayons des librairies. Xavier Fournier revient sur l’histoire du genre et présente les séries incontournables. Outre les nouveautés, les éditeurs ont tout un patrimoine à exploiter alors que les super-héros se déclinent sur de nouveaux supports : films, jeux vidéo, produits dérivés, etc. Si la mode des personnages aux pouvoirs extraordinaires a été lancée au cinéma dans les années 801 avec Batman, réalisé par Tim Burton, les années 2000 ont vu de nombreux succès comme X-Men de Bryan Singer ou encore Spider-Man de Sam Raimi. Bénéficiant désormais des moyens techniques numériques pour restituer les aspects spectaculaires des comics, les films se succèdent à l’écran, tout comme les parodies du genre. Ainsi, Les Indestructibles2 présente des surhommes contraints à la retraite, menant une existence d’Américains moyens avant de reprendre du service. Les figures de super-héros sont transposées sur de multiples supports et connaissent de nombreuses variations, associant les comics à un genre populaire et à une industrie culturelle où les logiques marketing dominent. Nombre de lecteurs méconnaissent cette production. D’autres, potentiellement intéressés, peuvent être effrayés par l’ampleur des séries qui, dans certains cas, comptent des centaines d’épisodes. Les comics, en France, seraient-ils l’apanage de lecteurs passionnés par les combats sans fin de leurs surhommes préférés ? Aux origines des comics Le terme « comics » fait référence aux origines de la bande dessinée, initialement publiée dans les journaux quotidiens à la fin du XIXe siècle. Ces comic strips3 s’adressaient à toute la famille. Citons ainsi le Yellow Kid (1895) de Richard F. Outcault qui a la particularité d’être à l’image du public visé : un enfant en bas âge. De la même manière qu’on trouvait des recettes de cuisine ou des conseils sur la mode, les éditeurs s’assurèrent de proposer un contenu pour les plus jeunes. D’où l’apparition de pages illustrées généralement humoristiques, donc « comiques ». Mais très vite les genres qui étaient représentés se diversifièrent, donnant naissance à des enquêtes policières (Dick Tracy4), des histoires d’espionnage (Agent secret X9 5), des récits de cape et d’épée (Prince Valiant 6) ou encore des héros de science-fiction (Buck Rogers, Flash Gordon7...), des magiciens (Mandrake8) ou même l’ancêtre des super-héros, Le Fantôme9 (être masqué faisant régner la justice dans la jungle du Bengale). Il faut d’emblée souligner la nature intermédiale de certains de ces personnages : c’est le cas de L’Agent Lecture Jeune - juin 2012 Xavier Fournier est journaliste et collectionneur forcené de comic books. Après des débuts dans la revue USA Magazine en 1993 puis un passage par la presse quotidienne régionale, il débute en 1998 une collaboration avec le magazine bimestriel Comic Box (entièrement consacré à l’étude de la bande dessinée américaine comme le titre l’indique) dont il est aujourd’hui le rédacteur en chef. Il anime également le site comicbox.com (avec de nombreux articles exclusifs) et donne régulièrement des conférences sur les comics et des thématiques périphériques. www.comicbox.com 1 Superman, apparu en juin 1938 dans le n°1 d’Action comics – édité par DC Comics – est considéré comme le premier super-héros au sens moderne du terme. Superman fut traduit en France dès 1939 dans la revue Aventures sous le nom assez curieux de Yordi. Voir à ce propos, De Superman au Surhomme, Umberto Eco, Grasset, 1993. 2 Les Indestructibles est un film d’animation réalisé par les studios Pixar en 2004. 36 Les comics, symboles de leur temps 3 Comic strip : aux États-Unis, bandes dessinées paraissant dans la presse quotidienne. En semaine, elles se composent d’une seule bande en noir et blanc (daily strip), tandis qu’elles bénéficient le dimanche d’un espace plus important, en couleurs (sunday page). On distingue en outre les strips racontant des histoires à suivre (continuity strip) et ceux proposant chaque jour un gag indépendant (stop comic ou gag-aday strip). Voir, à ce sujet, le site de la Cité Internationale de la BD et de l’Image (http://www.citebd.org). 4 Dick Tracy, de Chester Gould, lancé en 1931 aux États-Unis, traduit en France dès 1938 dans le Journal de Toto, réimprimé depuis sous forme de recueils chez Futuropolis. 5 Agent secret X9, Dashiel Hammett et Alex Raymond, 1934, disponible en France chez Denoël Graphic. 6 Prince Valiant, Hal Foster, 1937, paru en recueil chez Zenda et à paraître chez Soleil. 7 Flash Gordon, Alex Raymond, 1934, a d’abord été traduit en France – à partir de 1936 dans le journal Robinson – sous le nom de Guy l’Éclair, et récemment réimprimé en recueil aux éditions Soleil. 8 Mandrake, Lee Falk, 1934, actuellement réédité chez Clair de Lune. 9 The Phantom, Lee Falk, 1936, réimprimé en recueils par Futuropolis. 10 Buck Rogers au vingt-cinquième siècle, de Philip Nowlan et Dick Calkins, publié à l’origine en 1929 dans la presse américaine, édité en France par Horay, en 1992. Secret X9 dont le scénariste originel était Dashiell Hammett, auteur du roman policier Le Faucon Maltais ; le futuriste Buck Rogers10 vient lui aussi de l’univers du roman puisqu’il s’agit d’une adaptation d’une nouvelle de science-fiction (Armageddon 2419 A.D, de Philip Francis Nowlan). Enfin Prince Valiant, créé par Hal Foster, évoque l’époque de la Table Ronde. L’éventail d’histoires et d’ambiances fut donc d’emblée très large et donna le ton des comics qui surent croiser les genres et s’inspirer de différentes sources littéraires. Les comics, miroir de la société Si les comics évoluèrent pour devenir des fascicules à part entière11, ils ont conservé une nature poreuse, une faculté à absorber l’actualité et la transposer dans les planches. Cet aspect existe dans la bande dessinée européenne mais la réactivité des comics est bien plus avancée. Ainsi, le Prince Valiant, bien que vivant au temps du Roi Arthur, affronta les Huns en 1939 dans des épisodes qui faisaient écho à la progression des nazis en Europe. Les comics devinrent de véritables paraboles et c’est dans ce contexte qu’il faut considérer l’apparition en masse des super-héros dans le sillage de Superman (lancé en 1938), comme des symboles des aspirations de l’époque. Par conséquent, les histoires s’adressaient à un public en âge de saisir les références et les transpositions. Quand le monde entre en guerre ou quand une crise économique survient, les comics l’évoquent. Quelques semaines à peine après les attentats du 11 septembre 2001, un épisode de SpiderMan12 relatait déjà les événements. Aujourd’hui il existe clairement un clivage entre deux populations de lecteurs. La plus large est constituée de trentenaires, voire quadragénaires, qui continuent de suivre des héros découverts dans leur enfance. Mais avec la vague de films consacrés à des super-héros durant cette dernière décennie, les jeunes adultes (15-25 ans) s’emparent à leur tour des comics. Sans doute n’estce pas totalement un hasard si, dans le même temps, les éditeurs ont souhaité rajeunir leurs héros et les rendre plus identifiables pour un nouveau lectorat. Quand les super-héros s’emparent du cinéma Par où commencer pour s’initier aux comics ? Ce ne sont pas les portes d’entrées qui manquent. La plupart des lecteurs ont « pris le train en marche » (c’est-à-dire en tombant au hasard sur un épisode), ce qui est moins difficile qu’on ne pourrait le croire. Les aventures de Batman, comme d’autres, sont assez simples à intégrer car les bases du mythe ont été rendues populaires par les nombreuses adaptations sur grand écran et en dessins animés. Cependant, les succès cinématographiques ne garantissent pas celui des comics. Des films comme Men in Black ou Blade n’ont pas généré de ventes importantes des bandes dessinées dont ils sont inspirés. Là encore, ce sont les attributs des personnages qui sont exploités et qui sont consacrés par le cinéma. Figures archétypales ou stéréotypées (nature surhumaine, double identité, port d’un costume distinctif), ces individus possèdent des caractéristiques qui semblent les rendre intemporels et indémodables. Peut-être cet écart peut-il s’expliquer notamment par la profusion de strips qui font la joie de l’initié mais perdent le novice ? En effet l’abondance de numéros (la Lecture Jeune - juin 2012 37 série Amazing Spider-Man, qui n’est qu’un des multiples titres où évolue l’homme-araignée, arrivera à son 700e épisode en fin d’année !) peut être intimidante pour le profane. Aussi peut-il être utile de rappeler qu’il n’est pas nécessaire de connaître la bibliographie d’un héros si on s’oriente vers des séries très typées. Ainsi le scénariste Ed Brubaker, très influencé par les romans (et les films) noirs donne une ambiance cohérente à la plupart de ses projets : Criminal13 par exemple ou sa reprise de Captain America14, dont il scénarise les aventures depuis plusieurs années n’impose pas d’avoir lu au préalable les 300 épisodes de la série, la tonalité l’emportant sur le reste. Diffusion et distribution En France, le marché est réparti entre les kiosques et les librairies. L’éditeur Panini Comics détient la licence des super-héros Marvel (Spider-Man, les X-Men...) tandis que ceux de DC (Batman, Superman) sont traduits par un nouvel acteur du marché, Urban Comics. Delcourt publie avec un succès retentissant la série Walking Dead15 mais aussi beaucoup d’autres titres comme les aventures du démoniaque Hellboy16, mêlant horreur et humour. D’autres éditeurs encore sont présents sur ce marché. On peut citer de manière non exhaustive Ankama, Atlantic Bd, Délirium, French Eyes, Glénat Comics, venus rejoindre les éditions Akileos, Canto, Emmanuel Proust, Kymera, Rackham, Soleil ou Vertige Graphic. Pour qui voudrait se replonger dans les sagas initiales, les éditeurs ne manquent pas de proposer des réimpressions chronologiques. Panini a ainsi tout un programme d’intégrales classées par année17. Delcourt propose sous un format du même genre toutes les aventures du très faustien Spawn18 tandis que l’éditeur Urban Comics publie un épais album, DC Anthologie (2012), qui revisite de nombreux épisodes classiques. Sans doute ces rétrospectives répondent-elles aux besoins d’un lecteur déjà sensibilisé. Pour autant, les différents éditeurs prennent soin de remettre périodiquement à jour les origines de leurs principaux héros, qui forment autant de points d’entrée pour les néophytes. Partant du principe que rien ne se démode plus vite que la jeunesse, Marvel a également considéré en 2000 qu’il fallait « moderniser » les aventures de Spider-Man pour convaincre de nouveaux lecteurs. Tout en continuant la publication des aventures de l’homme-araignée, l’éditeur a alors lancé la série Ultimate Spider-Man19, une réinvention contemporaine, une sorte d’univers parallèle dans lequel Peter Parker (alter-ego du super-héros) est bien un adolescent du XXIe siècle. Le succès de Spider-Man ne repose pas uniquement sur les super- pouvoirs du jeune homme. Peter Parker possède les caractéristiques du « héros imparfait » auquel les jeunes adolescents peuvent s’identifier et qu’il convient de remettre à jour régulièrement afin qu’il reste en phase avec la jeunesse. Les enjeux du numérique Les comics disposent d’une chaîne de diffusion et de distribution relativement différente de la bande dessinée franco-belge. Aux Etats-Unis, ils ont longtemps été vendus en kiosques mais depuis les années 80, des boutiques spécialisées (les comic shops) vendent l’essentiel de la production. Par définition, ces enseignes s’adressent à un public de Lecture Jeune - juin 2012 11 comic book : aux États-Unis, le comic book est un fascicule de format 17x 26 cm, comprenant en principe 32 pages. De périodicité régulière, il propose des histoires complètes ou à suivre, et se spécialise souvent dans un genre (science-fiction, super-héros, aventure, humour…). 12 Amazing Spider-Man vol. 2 n° 36, J. Michael Straczynski et John Romita Jr., 2001, traduit en France dans Spider-Man n° 31, Panini Comics (août 2002). 13 Criminal, Ed Brubaker et Sean Phillips, 2006, Delcourt. 14 Captain America est un personnage apparu en 1941. La série est relancée en 2005 par Ed Brubaker, Michael Lark et Steve Epting, elle est éditée par Panini Comics sous le titre Captain America, la Légende Vivante. 15 Walking Dead, Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard, 2003, Delcourt. 16 Hellboy, Mike Mignola, depuis 1993, Delcourt. 17 Par exemple les dizaines de tomes de Spider-Man : L’intégrale permettent de retrouver toute la carrière du super-héros de 1962 aux années 80 sans interruption. 18 Spawn, Todd Mc Farlane, 1992. 19 Ultimate Spider-Man, Brian Michael Bendis et Mark Bagley, depuis 2000, Panini. 38 Les comics, symboles de leur temps connaisseurs qui lit et collectionne les comics. Ce réseau ne favorise pas l’élargissement du lectorat. En France, les périodiques proposant des comics sont disponibles dans le réseau de la presse (kiosques) et sont vendus dans des librairies généralistes, où l’on peut encore fortuitement découvrir ces albums. Aussi, l’émergence du genre en version numérique est-elle un enjeu plus stratégique aux États-Unis où il s’agit de rétablir le contact avec le grand public (bien que pour l’heure, d’après les responsables de Marvel et DC, les ventes numériques plafonneraient à 10 %, et ce, pour les titres les plus porteurs). En France, l’impact du numérique est moindre. Le public, collectionneur, est attaché au format papier et aux séries qui composent sa bibliothèque. Les tendances du comics 20 Marvel Zombies, Robert Kirkman et Sean Phillips, 2006, Panini. 21 Uncanny X-Men Annual n°6, 1982, récemment réimprimé en France dans Les X-Men : L’Intégrale n°12, chez Panini. 22 Turf 2011, Éditions Emmanuel Proust. 23 Watchmen, Alan Moore et Dave Gibbons, 1986, Urban Comics. 24 Civil War, Mark Millar et Steve McNiven, 2006, Panini Comics. Outre les allusions aux romans d’espionnage ou aux policiers, le mortvivant est un thème très représenté ces dernières années, surtout depuis que le scénariste Robert Kirkman l’a relancé en produisant Marvel Zombies20 et surtout Walking Dead, un véritable phénomène éditorial : plus de 200 000 exemplaires du seul premier tome se sont écoulés aux États-Unis, dans un marché de la bande dessinée pourtant chancelant ! Tout en reprenant les poncifs du genre, Kirkman se concentre sur la crise existentielle des personnages ordinaires – une poignée d’êtres humains en sursis – essayant de survivre jour après jour. La Fantasy est également très bien représentée dans les comics, avec des figures littéraires comme Conan le Barbare, dont les aventures sont une source d’adaptation depuis des décennies. Pour les amateurs de Space Opera, il existe de nombreuses variations de Star Wars, qui élargissent l’univers de la Guerre des étoiles. S’ajoutent à cette diversité de genres, des combinaisons possibles : les X-Men peuvent ainsi affronter Dracula21. L’improbable mais excellent Turf 22 de Jonathan Ross et Tommy Lee Edwards propose une uchronie qui se déroule durant les années folles pour opposer des gangs de vampires et d’extra-terrestres. Enfin, la porosité se retrouve dans de grandes fresques « super-héroïques » qui, à travers les symboles, portent un certain regard sur le monde. C’est le cas du fameux Watchmen23 (récit dans lequel des êtres personnifiant la logique ou la passion s’opposent sur la façon de sauver le monde) ou encore de Civil War 24 (de prime abord une guerre entre super-héros mais aussi un débat sur les libertés individuelles dans l’Occident post 11 septembre). Les comics sont des sources inépuisables de variations et de combinaisons entre les figures classiques des super-héros et de nouveaux scénarios qui témoignent de l’évolution de nos sociétés. On peut, à l’évidence, les conjuguer à la sauce parodique, policière ou fantastique. La diversité des thématiques abordées peut constituer un large choix pour un public adolescent et jeune adulte adepte de séries et d’univers transmédiatiques. En outre, à l’image de la fantasy, la dimension initiatique est présente dans les comics avec des personnages qui découvrent leurs pouvoirs, suivent une phase de formation, sont amenés à se surpasser, à choisir entre le Bien et le Mal, etc. N’est-ce pas un genre qui peut répondre à des questionnements identitaires propres à l’adolescence ? Lecture Jeune - juin 2012 39 Parcours de lecture Livres accroche Littératures Bandes dessinées Documentaires page 41 à 45 page 46 à 47 page 48 à 49 Et après Littératures Bandes dessinées Documentaire page 50 à 55 page 56 à 57 page 58 Lecteurs confirmés Littératures Bandes dessinées Documentaires Ouvrage de référence Lecture Jeune - juin 2012 page 59 à 62 page 63 à 65 page 66 à 67 page 68 à 70 40 40 Parcours de lecture Livres accroche Mode d’emploi Littératures Nos comités de lecture Chaque mois, nos comités de lecture interprofessionnels se réunissent. Composés d’une trentaine de médiateurs du livre (bibliothécaires, enseignants documentalistes, enseignants de lettres, libraires), de professionnels de l’édition ou travaillant en lien avec des adolescents et des jeunes adultes, ces bénévoles débattent avec la rédaction de l’actualité éditoriale. Les spécificités Lecture Jeunesse assure une veille sur l’ensemble des parutions destinées à ces jeunes ou sur les livres de littérature générale susceptibles de les intéresser. L’association est favorable à de multiples relectures des titres présentés au sein des comités. Afin de renforcer le processus de sélection, les points de vue sont systématiquement confrontés en cas de doute sur la pertinence d’un choix. Les différents lecteurs prennent connaissance de la notice rédigée, la valident ou y ajoutent éventuellement un commentaire. Dans le cas d’avis divergents, un second argumentaire est proposé. Les lectures proposées • Livres accroche : ce sont des textes sans problèmes particuliers de lecture. Première découverte d’un genre ou d’un thème, pour des adolescents parfois peu enclins à la lecture. • Et après : pour des lecteurs qui souhaitent passer une étape de lecture, sortir de leurs références habituelles. • Lecteurs confirmés : textes qui demandent des compétences de lecteurs solides ou qui requièrent par leurs thèmes, une certaine maturité. • Ouvrages de références : études qui traitent des pratiques professionnelles des médiateurs en bibliothèque, de questions relatives à l’adolescence, à leurs pratiques culturelles. Que trouve-t-on dans les chroniques ? • Des mots clés et le genre (si nécessaires). • Des coups de cœur (proposés par au moins 3 lecteurs des comités). • Certains ouvrages font l’objet de lectures croisées ou d’un pour/ contre s’ils ont fait débat dans les comités. • Des informations complémentaires et des mises en réseau afin de faire le lien avec d’autres titres traitant de thématiques voisines et proposer des références dans des domaines variés : musique, cinéma, Internet, etc. • La présentation de nouvelles collections. Lecture Jeune - juin 2012 41 Parcours de lecture Livres accroche Littératures 1I Starcrossed. Amours contrariés, T. 1 Sur l’île de Nantucket, Hélène Hamilton mène une vie tranquille et discrète que l’arrivée de la mystérieuse famille Délos va bouleverser. La jeune fille est alors saisie de terribles cauchemars et de visions. Elle comprend bientôt que ses rêves étranges, les mystères qui jalonnent son existence et le sublime Lucas Délos sont liés. Lucas et Hélène sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre, mais leurs familles sont marquées par une terrible légende depuis l’Antiquité, quand dieux et héros grecs s’affrontaient. Si le roman de Josephine Angelini n’échappe pas aux poncifs de la bitlit – amours contrariés, beauté extraordinaire, force surhumaine… –, il propose une variation habilement construite inspirée par la mythologie grecque. On peut reprocher à l’auteur une certaine lourdeur dans l’exposition des malédictions qui frappent les personnages et quelques naïvetés dans l’écriture mais les références mythologiques multiplient les niveaux d’interprétation du roman. L’adaptation assez libre des grands mythes antiques n’affaiblit pas le plaisir de la lecture et les rebondissements finaux ponctuent l’intrigue. Ce premier tome d’une trilogie offre avec Hélène un personnage fort dont on attend qu’il s’exprime dans toute sa complexité dans les volumes suivants. Le sceau de la malédiction et le poids du destin auxquels les héros ne semblent pouvoir échapper font de ce livre une tragédie moderne. ■ Mélanie Archambault Josephine Angelini Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Marie Leymarie Pocket Jeunesse, 2012 429 p. 18,90 € 978-2-26-621126-0 Genre Roman fantastique Mots clés Amour Destin Mythologie 2 I Jolène Jolène, c’est le prénom de celle qui va réussir à capturer le cœur d’Aurélien, héros et narrateur de ce roman. Aurélien est un jeune étudiant complexé et décalé, qui préfère le jazz et le blues aux musiques à la mode ; séducteur, même s’il trouve les filles trop « formatées », il ne veut pas entendre parler d’amour. Mais Jolène, rencontrée lors d’un concert, balaie toutes ses certitudes. Cette jeune fille à la personnalité marginale partage les mêmes goûts musicaux et cache comme lui une grande fragilité. Les deux adolescents tombent amoureux et vivent une relation tumultueuse et passionnée. Aucune mièvrerie dans cette histoire aux personnages ambivalents, tout en nuances, échappant ainsi aux éventuelles lourdeurs du roman sentimental. Des clins d’œil à Aurélien d’Aragon, à Huckleberry Finn et de nombreuses références musicales nord-américaines Lecture Jeune - juin 2012 Shaïne Cassim L’École des loisirs, 2012 (Médium) 177 p. 10,20 € 978-2-211-20873-4 Genre Roman d’amour Mots clés Amour Musique Deuil 42 Livres accroche (le prénom de Jolène vient d’un titre de Ray la Montagne) enrichissent la narration. Cette histoire pleine d’émotions explore avec sensibilité la gamme des sentiments amoureux sans masquer ce qu’ils ont parfois d’infiniment triste et violent. ■ Marie-Françoise Brihaye 3 I June. Le Souffle, T. 1 Manon Fargetton Mango, 2012 (Mondes Imaginaires) 336 p. 13,70 € 978-2-74-042886-3 Genre Fantasy Mots clés Magie Aventure Destin Dans un monde où règne le chaos, June vit dans une cité nommée « la Ville ». La jeune fille et son frère Locki logent chez leur tante qui tient un bordel. A 15 ans, l’adolescente attire les convoitises. Lorsqu’un client puissant tente de l’abuser, June doit fuir et se retrouve sur la route avec Locki. Ses pas la conduisent dans un monde parallèle, Le Port de la Lune. Là-bas, elle apprend qu’elle détient depuis dix ans le Souffle, une magie ancienne et puissante, héritée de la dernière Sylphe. Pour rétablir la paix dans le monde, June et son frère partent à la recherche des trois Sources car elles seules peuvent ramener l’harmonie sur terre... Le style de Manon Fargetton, juste et fluide, permet au lecteur de passer du roman réaliste à la fantasy sans difficulté. On peut cependant regretter quelques accrocs dans le rythme de la narration ; la montée en puissance de l’intrigue amoureuse aurait gagné à être plus progressive. Mais l’intérêt du roman réside moins dans le canevas sentimental que le parcours initiatique de l’héroïne et sa quête pour pacifier le monde. ■ Laurence Guillaume et Mélanie Archambault 4 I Luxomania : confidences d’une vendeuse dans l’univers secret du luxe Edwige Martin Plon, 2012 197 p. 16,90 € 978-2-259-21590-9 Genre Témoignage Mots clés Luxe Mode Monde du travail Après deux ans de chômage, Charlotte, publicitaire, se résout à pousser les portes d’une agence d’intérim pour retrouver du travail : on lui propose une place de vendeuse dans une boutique de luxe du Faubourg Saint-Honoré. La jeune femme découvre alors la comédie humaine qui se joue derrière le faste et l’élégance. Le temps d’une année, avec ses moments forts comme les soldes ou la période de Noël, la narratrice décrypte les codes de cet univers de la haute couture, de stars et de milliardaires. Elle dresse aussi le portrait de celles et ceux qui, comme elle, ont été formés selon les préceptes du « good seller guide » (le guide du bon vendeur). Le ton du récit, de plus en plus désabusé et sarcastique, suit l’érosion de la motivation de la jeune vendeuse. Par son propos, ce livre n’est pas sans rappeler les Tribulations d’une caissière (Anna Sam, Stock, 2008). Edwige Martin – qui a ellemême travaillé dans une grande enseigne de luxe – donne à voir un microcosme obéissant à des règles et des rites spécifiques, avec ses caractères sociologiques mais aussi ses dérives économiques, loin des fantasmes qu’il suscite habituellement. ■ Colette Alves Lecture Jeune - juin 2012 Littératures 43 Réseau de lecture : Dans un tout autre genre, mais toujours sur le thème du travail, nous vous conseillons la lecture de l’ouvrage de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham (Seuil, 2010). Comment vit-on en France, aujourd’hui, quand on a un revenu inférieur au Smic - voire aucune rentrée d’argent ? Pour le savoir, l’auteur quitte pendant 6 mois sa famille, ses amis et son emploi de grand reporter au Nouvel Observateur pour vivre dans la « France d’en bas ». Embauchée d’abord comme femme de ménage, cumulant les contrats précaires, elle plonge dans un autre monde. Un monde où le travail est rare et les nuits brèves, l’exploitation maximale et la solidarité active. 5 I Le Premier défi de Mathieu Hidalf, T.1 Mathieu Hidalf et la foudre fantôme, T.2 Mathieu Hidalf est une légende : il possède un talent incroyable pour les bêtises. Il faut dire qu’il a eu le malheur de naître le jour de l’anniversaire du roi. Il a donc décidé de gâcher les célébrations organisées chaque année par le souverain, non seulement pour rappeler à tous son propre anniversaire mais aussi pour rendre son père absolument fou. Christophe Mauri donne vie à un trublion de premier plan, sur un ton ironique et mordant. Avec humour, il offre des histoires farfelues et rocambolesques, peuplées de personnages surprenants. Ainsi le deuxième tome de cette série montre le jeune Hidalf bien décidé à intégrer l’école de ses rêves non pas en travaillant mais en trichant… Le jeune auteur, marqué par Harry Potter, écrit pour la jeunesse de manière décomplexée et s’adresse aux adolescents comme à leurs aînés. Dans le second volume, le personnage gagne en maturité tandis que Christophe Mauri surprend toujours par ses inventions et ses références aux contes avec des nymphettes éclairant les multiples salles du palais, un chien à 4 têtes d’une douceur improbable ou des lits dotés de pouvoir magique. Cette série a toute les qualités des romans cross-over et séduira les lecteurs de 7 à 77 ans. ■ Nicolas Beaujouan Réseau de lecture : Pour les jeunes amateurs d’humour et d’univers fantastique, Les Sorcières de Skellefestestad de Jean-François Chabas (2 tomes à L’Ecole des Loisirs, « Médium », 2011) constitue un dyptique où l’auteur détourne les codes de la sorcellerie. Christophe Mauri Gallimard Jeunesse, 2011 et 2012 256 p. et 320 p. 13 € 14,50 € 978-2-07-069688-8 978-2-07-064364-6 Genre Fantasy Mots clés Humour Magie Aventure 6 I Ma sœur vit sur la cheminée Jamie, le narrateur, a 10 ans. Sa famille a été brisée cinq ans auparavant par la mort de Rose, tuée dans un attentat. Depuis, Jasmine, jumelle de Rose, ne sait si elle doit grandir ou, au contraire, ne pas changer pour continuer à ressembler à l’absente. Jamie est censé pleurer une sœur dont il se souvient à peine mais dont leur père à la dérive révère les cendres, déposées dans une urne sur la cheminée. Par petites touches, avec finesse et sans pathos, l’auteur décrit une tragédie familiale, du deuil à sa possible résilience. Ce roman aborde Lecture Jeune - juin 2012 Annabel Pitcher Trad. de l’anglais par Amélie de Maupeou Plon jeunesse, 2011 235 p. 17,30 € 978-2-259-21268-7 44 Livres accroche Genre Roman psychologique Mots clés Deuil Famille les thèmes de la mort et de la perte d’une façon sensible et juste. Bénéficiant d’une double édition en littérature générale et en jeunesse, ce texte touchera les plus jeunes lecteurs par sa vitalité et sa sensibilité. ■ Caroline Rouxel Réseau de lecture : Sur le thème du deuil, nous vous conseillons le roman de Mathias Malzieu, Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur moi (Flammarion, « J’ai Lu », 2006), dont l’atmosphère évoque les films de Tim Burton. 7 I Time Riders Alex Scarrow Trad. de l’anglais par Aude Lemoine Nathan, 2011 445 p. 15,50 € 978-2-09-253686-5 Genre Uchronie Mots clés Voyage dans le temps Aventure Un homme mystérieux sauve Liam O’Connor du naufrage du Titanic en 1911, Maddy Carter d’un accident d’avion en 2010 et Sal Vikram d’un incendie en 2026. En échange de leur survie, il leur propose une « existence invisible ». Tous trois n’appartiendront plus vraiment au monde et seront chargés d’une mission : empêcher que l’Histoire ne soit modifiée par les voyages temporels rendus possibles dans un futur proche. Ils seront basés dans un repli du temps, à New York, les 10 et 11 septembre 2001. Lorsqu’un militaire fait de Hitler le vainqueur de la Seconde Guerre mondiale pour sauver son propre monde en 2066, le trio doit absolument rectifier cette anomalie temporelle sous peine de voir le monde actuel basculer irréversiblement. Cette première uchronie annonce une longue série (trois autres volumes sont déjà publiés en anglais).Times Riders peut familiariser des lecteurs non initiés au genre du voyage dans le temps ; il n’est pas prétexte à une leçon d’Histoire mais fonctionne davantage comme un jeu vidéo, mêlant action, créatures effrayantes, scènes de grande violence et situations de suspense extrême. L’ensemble séduira sans aucun doute les jeunes lecteurs dès 13 ans, mais les fanatiques du genre seront peutêtre déçus par la légèreté de la réflexion sur les paradoxes temporels. ■ Caroline Rouxel Réseau de lecture : Ce roman peut être proposé comme une introduction à d’autres titres, destinés aux adultes. Ainsi, le cycle de nouvelles de La Patrouille du temps de Poul Anderson, met en scène des héros chargés d’empêcher les modifications de l’Histoire par des voyageurs temporels ; on pense aussi au Maître du Haut Château de Philip K. Dick, un classique de l’uchronie fondé sur la victoire allemande en 1945. Les éditions Nathan proposent un blog pour suivre l’actualité de leurs romans pour adolescents : http://lire-en-live.skyrock.com/, ainsi qu’une page Facebook : www.facebook.com/LireEnLive 8 I Récit intégral (ou presque) d’une coupe de cheveux ratée Jo Witek Trad. de l’anglais (USA) par Michelle Charrier Dans Récit intégral (ou presque) de mon premier baiser, Xavier, collégien, découvrait l’amour avec Mina. Dans ce deuxième opus, il fréquente le lycée et subit de nombreux aléas. Son meilleur ami intègre Lecture Jeune - juin 2012 Littératures une filière professionnelle dans la restauration. Xavier ne connaît personne dans sa classe et surtout, il a eu la mauvaise idée d’aller chez le coiffeur la veille de la rentrée. Les deux volumes de la série peuvent se lire indépendamment. Cet épisode habilement rythmé retranscrit avec justesse les affres de l’adolescence. Cette chronique se démarque par son humour et par son narrateur, masculin, se livrant dans un journal intime. ■ Aurélie Forget Autre avis : Xavier est un personnage entier qui décrit avec fougue et passion ses sentiments. Ses craintes et ses doutes sont universels. Aussi, le lecteur pourra-t-il s’identifier à ce récit réaliste. Ce livre est à conseiller à tous, en particulier aux adolescents, dont les confidences masculines se font plus rares. ■ Colette Alves Réseau de lecture : Dans la veine des récits intimistes (et toujours du côté des jeunes hommes !) on pourra lire Journal d’un garçon de Colas Gutman (L’Ecole des Loisirs, 2008) et plus récemment Comment (bien) rater ses vacances d’Anne Percin (Rouergue, « DoAdo », 2011). Lecture Jeune - juin 2012 Seuil Jeunesse, 2012 184 p. 9,50 € 978-2-02-106516-9 Genre Journal intime Mots clés Humour Lycée 45 46 Parcours de lecture Livres accroche BD 9 I Les Faux-visages : une vie imaginaire du Gang des Postiches David B. Ill. de Tanquerelle Futuropolis, 2012 182 p. 21 € 978-2-7548-0129-4 Mots clés Polar Malfrat Abusivement traités de « Robin des Bois » modernes, les membres du Gang des Postiches ont défrayé la chronique dans les années 80, en réalisant de nombreux casses déguisés avec perruques, fausses moustaches ou barbes. Le scénario de David B. retrace avec brio les braquages de ces malfrats de Belleville. Le récit très structuré suit la chronologie des événements en multipliant les dialogues savoureux et les ambiances entre policier et comédie dramatique. La bande dessinée se situe clairement du côté de la fiction même si elle rappelle la guerre des polices, les « ripoux » liés au Gang et qu’elle n’occulte pas la violence des faits. On s’attache aux personnages bien campés, presque pittoresques. Le dessin à la ligne claire de Tanquerelle s’adapte parfaitement au genre du polar, entre réalisme et caricature, et les illustrations en deux teintes (bleu et gris au lieu d’un noir et blanc attendu) confèrent à l’album un charme nostalgique. Cette bande dessinée se lit avec autant de plaisir que de facilité ; elle séduira un large public, des amateurs de thriller aux jeunes adultes faibles lecteurs. ■ Cécile Robin-Lapeyre Réseau de lecture : Le Gang des Postiches a inspiré Ariel Zeitoun qui a réalisé en 2007 le film Le Dernier Gang. 10 I La Mémoire de l’eau, T. 1 et T. 2 Mathieu Reynès Ill. de Valérie Vernay Dupuis, 2012 48 p. 12 € 978-2-8001-5406-0 978-2-8001-5422-0 Mots clés Aventure Fantastique Une nouvelle vie commence pour Marion quand elle s’installe avec sa mère dans leur maison en bord de mer. Ses parents viennent de divorcer et cette villa perchée sur la falaise est un refuge merveilleux. Mais cette demeure compte de nombreux mystères : la disparition en mer de son grand-père, plus de trente ans auparavant, la découverte de rochers sculptés le long de la côte, et enfin, la présence d’un vieux gardien de phare – énigme à lui tout seul. La jeune fille, curieuse, explore son nouvel environnement et tente de percer les secrets de l’histoire familiale. Ce récit en deux tomes se construit dans un premier temps autour de l’adolescente et de sa mère, rendant compte avec réalisme de leurs rapports. Marion est un personnage attachant. Elle tente de découvrir les origines d’un drame qui hante inconsciemment sa famille. Des éléments fantastiques se mêlent peu à peu à l’intrigue et entretiennent le suspens. La mer est personnifiée, devenant un être envoûtant et dangereux, un élément qui détiendrait la clé de tous les Lecture Jeune - juin 2012 Littératures mystères. Mathieu Reynès parvient à mettre à la portée des plus jeunes une œuvre sur l’absence et le manque sans sombrer dans un récit larmoyant. Le dessin de Valérie Vernay, rond et épuré, apporte une dimension enfantine au récit tandis que sa palette chromatique s’ajuste à la côte bretonne et à l’atmosphère onirique de l’histoire. C’est une vraie réussite. ■ Nicolas Beaujouan 11 I L’Ours-lune. Fort Sutter, T. 1 Durant l’hiver 1869, une poignée de soldats stationnés au Fort Sutter coule des jours monotones, de beuveries en parties de poker, quand ils recueillent le capitaine Joshua Flint, seul rescapé d’une mission de reconnaissance sur les terres indiennes de Cave Rock. Peu après, le fort est attaqué par les Indiens pourtant réputés pacifiques. Au combat, Flint, comme transfiguré, devient sanguinaire. A l’issue de la bataille, les soldats découvrent un étrange tatouage sur le corps d’un des assaillants. C’est celui de l’ours-lune, un chamane à la puissance légendaire, capable de manipuler les esprits, comme l’explique Chochno, l’intendant indien du fort. Or ce même tatouage orne la poitrine du capitaine Flint… Le scénario bien rythmé conjugue mystère et fantastique pour faire monter peu à peu la tension dramatique. Le dessin comme les couleurs restituent parfaitement les atmosphères glacées de la Sierra Nevada et les lumières tamisées du feu qui couve à l’intérieur du fort. Ce récit captivant se déclinera en deux tomes. ■ Juliette Buzelin Réseau de lecture : Vous pouvez suivre le travail de Sébastien Viozat sur son site www.el.dudo.fr Lecture Jeune - juin 2012 Sébastien Viozat Ill. de Florent Bossard Soleil, 2012 (1800) 13,95 € 978-230-2-01991-1 Mots clés États-Unis Mystère Légende 47 48 Parcours de lecture Livres accroche Documentaires 12 I Oh ! Les sciences. Des milliers d’informations étonnantes sur les sciences Oh ! L’antiquité. Des milliers d’informations étonnantes sur l’Antiquité Joe Fullman Trad. de l’anglais par Bruno Porlier Gallimard jeunesse, 2012 (Les Yeux de la Découverte) 128 p. 16,90 € 978-2-07-064258-8 Mots clés Science Antiquité Ces deux ouvrages ont été conçus pour renouveler le genre documentaire – implicitement conçu comme ennuyeux – en privilégiant « l’étonnant, l’excitant et le dynamique ». Cet objectif louable semble atteint au premier abord : photos spectaculaires en couleurs, textes courts et apparemment pertinents, complétés par un index, un glossaire et un sommaire. Mais on est finalement troublé par une mise en page sensationnaliste qui offre, sans différenciation ni références, des photos en relation avec le thème et des supports dont le choix laisse perplexe, créant la confusion voire des représentations erronées du sujet traité. Entre autres exemples, on s’étonne de l’absence systématique d’échelle et on s’interroge sur l’intérêt de faire figurer une tasse à café, un vieux téléphone et une antique machine à écrire sur la double page dédiée aux premières civilisations indiennes. Le volume consacré aux sciences est en outre particulièrement lacunaire dans les contenus de base, le glossaire se révèle incomplet et l’index peu utilisable. Ces documentaires négligent donc délibérément l’exactitude et la pertinence des informations au profit d’une « mise en scène » qui n’éclaire pas le lecteur mais contribue bien au contraire à la confusion des connaissances. ■ Colette Broutin 13 I Prises de vue, décrypter la photo d’actu David Groison et Pierangélique Schouler Actes Sud Junior, 2012 96 p. 16,30 € 978-2-330-00517-7 Mots clés Lecture d’image Actualité Photographie Format carré, couverture séduisante, belle qualité des reproductions, ce documentaire est d’abord un beau livre. David Groison, rédacteur en chef de Phosphore, et Pierangélique Schouler, iconographe de presse, analysent et décryptent quarante-quatre photographies, dont certaines sont célèbres, choisies dans l’actualité internationale récente (tsunami au Japon, révolutions arabes, guerre en Afghanistan…). Les auteurs, sans être didactiques ou trop techniques, expliquent comment lire une image. L’analyse de chaque cliché met en évidence les choix opérés par le photographe (angle, cadre, échelle, lignes de force…) et la façon dont l’image a été reçue par le public. Le lecteur se familiarise ainsi avec une grammaire de l’image, préalable indispensable à toute interprétation. Des entretiens menés avec les auteurs de certains Lecture Jeune - juin 2012 es 49 clichés expliquent les conditions des prises de vue et le rapport du photographe à son sujet. La complémentarité entre image et texte permet au lecteur de donner du sens aux images et de comprendre l’effet qu’elles produisent, avec des critères et un vocabulaire précis. Les adolescents – dès 12 ans selon l’éditeur – pourront ainsi acquérir des bases solides qu’ils transposeront de la photographie d’actualité à toutes les formes d’images photographiques. ■ Marie-Françoise Brihaye Réseau de lecture : Nous vous invitons à consulter le webzine Hype dont l’objectif est de faire découvrir de jeunes artistes amateurs, photographes compris. Lancé en octobre 2011 par un groupe d’adolescents, Hype se consulte à l’adresse suivante : www.wix.com/ webzinehype/hype. Lecture Jeune - juin 2012 50 Parcours de lecture Et après Littératures 14 I La Peau des rêves. Nuit tatouée, T. 1 La Peau des rêves. Nuit brûlée, T. 2 Prix Imaginales des Collégiens en 2012 (T. 1) Charlotte Bousquet Éditions de l’Archipel, 2011 et 2012 (Galapagos) 240 p. 14,50 € 14,95 € 978-2-8098-0562-8 978-2-8098-0635-9 Genre Roman post-apocalyptique Mots clés Quête d’identité Exclusion Mystère Lorsque des enfants touchent ses tatouages, la gitane Najma raconte une histoire ; dans ces deux premiers volumes du cycle de La Peau des rêves, c’est au personnage de Cléo qu’elle donne vie. Sur fond d’univers post-apocalyptique, Paris n’est plus qu’un champ de ruines, dans lequel Mens – des survivants humains – Dégénérés, Chimères et Mutants se livrent une guerre sans merci pour survivre. Combattant un jour une chimère, Cléo s’aperçoit que la créature porte le même mystérieux tatouage qu’elle et l’épargne, persuadée qu’elle détient les clés de son histoire. L’adolescente se met alors en quête de ses origines et cherche à découvrir la vérité sur ses parents et sur les circonstances de leur mort, quel que soit le prix à payer. Le thème du secret de famille est ici renouvelé par une narration à la croisée des genres, entre imaginaire, science-fiction et fantasy. Le récit est rythmé mais sans précipitation : mensonges, combats, trahisons et errances scandent le déroulement de l’intrigue. Le personnage de Cléo, aussi mal à l’aise chez les Mens qui l’ont adoptée que chez les Chimères qui la recueillent, frappe par son authenticité et sa ténacité sous son apparente faiblesse. La jeune fille se réfugie dans la lecture du théâtre pour mettre des mots sur son mal-être. Si l’on peut trouver le recours fréquent aux citations un peu systématique, cela n’altère en rien l’originalité du roman. Cet univers sombre, ces êtres en mutation nourrissent une réflexion sur la gémellité et le respect de la différence, portée par une écriture aux multiples références littéraires et mythologiques. Telle Shéhérazade, Najma aura d’autres histoires à raconter… ■ Marie-Françoise Brihaye 15 I L’Héritage des Darcer. Allégeance, T. 2 Marie Caillet Michel Lafon, 2011 375 p. 15,20 € 978-2-7499-1529-6 Genre Fantasy Mydria, unique héritière de la dynastie Darcer, a été investie d’une mission : renverser la dictature de la Déléane sur Edrilion et chasser l’usurpateur du trône royal qui lui revient. Mydria ne peut compter que sur son « don d’aile » – un pouvoir lui permettant de se métamorphoser à volonté – et sur la bande de malfrats qui l’accompagne depuis le premier volume. La jeune héritière s’appuie en particulier sur Orest, même s’il est membre de la guilde des assassins. À la mort mystérieuse du roi, elle cherche à fédérer autour d’elle les nobles de la cour et la société d’Edrilion. Mais comment la jeune fille va-t-elle jouer un rôle politique auquel elle n’est pas préparée ? Lecture Jeune - juin 2012 51 Dans le deuxième volume de sa trilogie, Marie Caillet conjugue avec bonheur romance et fantasy. Son écriture riche et fluide constitue l’un des atouts majeurs de cette série. L’auteur construit un univers dense dans lequel évolue une héroïne complexe et d’une grande vitalité, loin des stéréotypes. Les rebondissements et les aventures rocambolesques ou terrifiantes séduiront un large public. ■ Caroline Rouxel Mots clés Magie Aventure Intrigue de cour 16 I Little Brother Alors qu’il est en train de participer à un jeu de rôle grandeur nature, Marcus Yallow assiste à un attentat auquel les autorités le soupçonnent d’être impliqué. Pris dans les filets de la police anti-terroriste, le jeune homme est séquestré et torturé. Lorsqu’il est finalement relâché, le Département de Haute Sécurité règne sur la ville et surveille en permanence les citoyens, analysant tous leurs faits et gestes sous prétexte d’assurer leur sûreté. Marcus refuse de se laisser voler sa liberté : il monte un réseau Internet parallèle, devient « M1k3y » et prend la tête de l’insurrection. Ce roman renouvelle le thème de 1984 en l’adaptant aux nouvelles technologies ; l’auteur en décode le fonctionnement pour le lecteur, parfois de façon pointue. Le ton général est clairement militant : la voix de Marcus traduit l’absolue nécessité de défendre les libertés individuelles, exigence réactivée par les questions de contrôle et de neutralité que soulève aujourd’hui Internet. La force de cette fiction tient aussi au rôle joué par les adolescents qui sont le moteur de la contestation et la force vive de la rébellion. ■ Colette Alves Autre avis : Little Brother est un « roman à thèse » et l’auteur ne nuance pas son propos. Les personnages peuvent sembler stéréotypés et le jeune héros fait preuve d’une maturité exemplaire pour ses 17 ans. En outre, les explications techniques ne sont pas toujours claires et auraient pu être mises en annexe. Malgré ces faiblesses, le lecteur est tenu en haleine car le sujet est passionnant et peu traité en littérature jeunesse. Le livre a les qualités de ses défauts : les descriptions très réalistes et détaillés convainquent – et ou ennuient – le lecteur. ■ Soizic Jouin Réseau de lecture : Little Brother est un hommage explicite au « Big Brother » de 1984 de George Orwell. Sur ce thème de la résistance aux institutions portant atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée, on peut citer Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (Gallimard, Folio SF) et La Brigade de l’œil de Guillaume Guéraud (Rouergue Jeunesse, « DoAdo »). Cory Doctorow Trad.de l’anglais (Canada) par Guillaume Fournier Pocket jeunesse, 2012 442 p. 18,80 € 978-2-266-18729-9 Genre Science-fiction Mots clés Révolte Régime autoritaire Terrorisme 17 I Vango. Un prince sans royaume, T.2 Dans le premier volume, Vango s’enfuyait alors qu’il devait être ordonné prêtre. L’action se situait alors sur le parvis de Notre-Dame en 1934. Le second tome s’ouvre en 1937 où le jeune homme est toujours sur les routes. Ceux qui veulent le tuer suivent sa trace et enquêtent de New York à l’Ecosse en passant par le Caucase, les îles Lecture Jeune - juin 2012 Timothée de Fombelle Gallimard Jeunesse, 2011 393 p. 17,25 € 978-2-07-063891-8 52 Et après Genre Roman d’aventure Mots clés Paris Enquête Voyage initiatique grecques et Paris, alors sous la botte allemande. Sur la couverture, Vango apparaît au sommet d’un gratte-ciel, figure héroïque et aérienne. Il poursuit lui aussi l’homme qui a causé son malheur et détient le secret de sa naissance. La course de Vango ne connaît pas de trêve. Qui est le chasseur et qui est la proie ? L’amour d’Ethel survivra-t-il à tant de tempêtes ? Petit à petit, les pièces du puzzle s’assemblent sous les yeux du lecteur et dessinent une grande fresque aux nombreux personnages secondaires, personnalités marquantes et attachantes. La construction du récit est savamment orchestrée par Timothée de Fombelle. Ellipses, flash-backs et intrigues parallèles s’imbriquent pour maintenir le suspense. Vango est une saga incontournable pour les adolescents forts lecteurs qui voudraient s’initier au roman d’aventures. ■ Caroline Rouxel 18 I Paris inch’Allah ! Kamel Hajaji Sarbacane, 2012 (Exprim’) 243 p. 15,50 € 978-2-84865-513-0 Genre Roman Mots clés Tunisie Misère Quête d’identité Mohamed revient sur ce qu’a été sa vie, de son enfance misérable à Tunis jusqu’à sa réussite sociale comme majordome d’une riche famille à Paris. Mais son histoire n’a rien d’un conte de fées. Malaimé, battu puis chassé par une mère qui voulait refaire sa vie, Mohamed a toujours été mû par le désir de prouver à cette femme qu’il pouvait s’en sortir et mériter enfin son amour. En grandissant, au fil des bonnes et des mauvaises rencontres, il se forge une morale personnelle. S’il sait ruser et louvoyer, il n’oublie jamais son but ni le respect qu’il se doit. Son rêve réalisé, Mohamed revient à Tunis, vers cette mère dont il a toujours voulu croire qu’elle l’aimait malgré sa violence et sa dureté. Dans cette traversée des basfonds de Tunis et des milieux bourgeois, l’auteur brosse une fresque réaliste d’une société qui laisse peu d’espoir aux miséreux ; la langue en est trop maîtrisée pour être celle du jeune narrateur mais révèle un auteur subtil. ■ Colette Broutin 19 I L’Abeille Matt Hartley Trad. de l’anglais par Séverine Magois Éditions Théâtrales Jeunesse, 2012 90 p. 8 € 978-2-84260-462-2 Chloé, 15 ans, est une adolescente solitaire. Quand son frère Luke, à peine plus âgé, meurt dans un accident de voiture, la petite ville d’Angleterre dans laquelle ils vivent crée une page Facebook en souvenir du jeune homme. Dès lors, la communauté numérique se mobilise, s’émeut et s’empare du décès du garçon, reconstruisant son existence avec plus ou moins de vérité et d’exhibitionnisme. D’abord réticente, Chloé se laisse entraîner dans l’arène publique et finit par y trouver un chemin vers sa propre liberté. Alternant avec fluidité échanges en ligne, « publications » et dialogues réels, le récit s’interroge sur la façon dont les adolescents s’approprient les réseaux sociaux, redéfinissant ainsi les notions de relation, de vie privée, en dehors de tout contrôle social et parental. Dans cet univers propre à la culture adolescente, le texte de Matt Hartley aborde avec Lecture Jeune - juin 2012 Littératures force le thème du deuil et de son rôle dans la construction de soi. L’auteur ne se fait pas le juge des réseaux sociaux et n’oppose ni les générations, ni les « vrais » ou « faux » amis, mais il retrace avec sensibilité le parcours d’une adolescente consciente qu’elle existe, qu’elle soit ou non populaire dans une monde virtuel. ■ Sophie Lartigue Réseau de lecture : On pourra voir The Social Network de David Fincher, adaptation du récit de Ben Mezrich, La Revanche d’un solitaire (J’ai lu), retraçant l’histoire du fondateur de Facebook et de la naissance du réseau social. 53 Genre Théâtre Mots clés Espace public Réseaux sociaux Deuil 20 I Les Landes d’Âmevignes. Le Pays des morts, T. 1 Roger, un orphelin de 15 ans, n’est pas un garçon ordinaire : il peut voyager au pays des morts (les landes d’Âmevignes). Son oncle, qui l’élève, exploite ce talent consideré comme une malédistion par le jeune homme lui-même. Anna Kendall, dont c’est le premier roman, offre un récit initiatique bien mené et rythmé par de nombreux coups de théâtre, mais elle parvient surtout à mêler un scénario fantastique et une intrigue politique assez fine. En effet, Roger se retrouve à la cour du Reinaume, où son don particulier l’amène à prendre part aux intrigues du palais et à découvrir, par amour, les secrets de l’au-delà. L’auteur se plaît à égarer le lecteur dans cet univers sombre, s’interrogeant sur la frontière ténue entre le Bien et le Mal. Anna Kendall construit un récit complexe et fascinant dont on espère qu’il continuera à s’étoffer dans les tomes suivants de la trilogie. ■ Nicolas Beaujouan Anna Kendall Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Guillaume Le Pennec Bragelonne, 2012 (Castelmore) 382 p. 15,20 € 978-2-36231-040-9 Genre Fantasy Mots clés Intrigue de Cour Voyage initiatique 21 I Le Béton qui coule dans nos veines En 1982, Prince G., graffeur de talent, meurt dans les tunnels du métro new-yorkais. Si l’enquête de police conclut au suicide, ses amis (un rappeur, un DJ et la danseuse Queen Divine) ne s’expliquent pas sa mort. Dix ans après, au moment où il devient père, le rappeur se remémore les moments passés avec son « posse » et revit toute l’histoire du hip-hop. Comme dans tous les titres de la collection, fiction et histoire musicale s’entrecroisent. Les personnages se mêlent aux artistes réels, comme Tupac. À l’image du rap, les mots filent et claquent pour donner un véritable rythme au texte. La narration polyphonique et les différents points de vue enrichissent l’intrigue. Celle-ci est évidemment au service du sujet sans être mièvre et attendue. On peut reprocher à ce docu-fiction un côté artificiel mais les auteurs réussissent à retracer l’histoire du rap en évitant de limiter ce mouvement musical à sa caricature commerciale. Les néophytes découvriront les origines du rap, issu de la misère sociale et de la musique noire tandis que les amateurs du genre apprécieront l’évocation de la guerre entre « west coast » et « east cost ». Lecture Jeune - juin 2012 Laurence Schaack Nathan, 2012 (Backstage) 236 p. 10,50 € 978-2-09-253214-0 Genre Docu-fiction Mots clés Rap Musique Histoire 54 Et après La dernière partie de l’ouvrage, très documentée, donne des pistes pour se plonger dans cet univers musical : une chronologie, un index, des personnages réels et une playlist permettent d’approfondir le sujet. ■ Marilyne Duval Réseau de lecture : On peut lire sur le même thème Hip hop connexion, de Karim Madani (Sarbacane « Exprim’») et voir, parmi les nombreux films consacrés au rap, BoyzN the hood de J. Singleton, dont la bande originale est devenue un classique du rap, Menace II Society de A. Hughes ou 8 Mile, de C. Hanson qui mêle lui aussi histoire du rap et fiction. 22 I Reste avec moi Jessica Warman Trad. de l’anglais (États-Unis) par Michelle Charrier Fleuve Noir, 2012 (Territoires) 476 p. 17,50 € 978-2-265-09302-7 Genre Thriller Mots clés Fantôme Enquête La nuit de ses 18 ans, Elizabeth se réveille sur le bateau où a eu lieu la veille sa fête d’anniversaire. Intriguée par des bruits contre la coque, elle découvre le cadavre d’une jeune fille : le sien. Elizabeth comprend avec horreur qu’elle vient de mourir noyée et qu’elle est devenue son propre fantôme sur terre. Aidée d’Alex, un lycéen mort un an auparavant, elle va devoir enquêter pour découvrir ce qui s’est réellement passé ce soir-là. En plus d’être un fantôme, l’héroïne de Reste avec moi est touchée par une amnésie partielle : le lecteur reconstitue donc en même temps que la narratrice le puzzle de sa vie. Les flash-backs et les souvenirs des deux fantômes rythment la narration avec un suspense bien dosé. L’intrigue mêle thriller, fantastique et enquête policière. Un titre à conseiller aux jeunes adultes à qui cette nouvelle collection des éditions Fleuve Noir est destinée. ■ Aurélie Forget Réseau de lecture : On retrouve « d’autres narratrices fantômes » dans Souvenez-vous de moi, de Christopher Pike (Pocket, 1998) ou, plus récemment, dans Tu es moi de Sarah Shepard (2012) également dans la collection « Territoires ». 23 I La Chienne de l’ourse Catherine Zambon Actes Sud Junior, 2012 (D’une seule voix) 57 p. 7,80 € 9-78-2-330-00570-2 Genre Roman psychologique Mots clés Amour Homosexualité Corps Dans ce récit à la première personne, une jeune fille revient crûment sur la perte de son enfance, le poids de son « physique d’ourse », le verrouillage de son monde intérieur et la naissance de son désir pour son amie Liv. La narratrice évoque un père aimable, un entourage bienveillant mais elle ne supporte pas cet amour naissant qui la laisse étrangère à elle-même. Alors, un soir de fête, elle rompt avec son amie et part rejoindre une vieille femme revêche et sa chienne, Diane. Là, la narratrice se confiera, formulera son désir pour Liv, mettant un terme à son monologue et à sa solitude. Outre la question de l’homosexualité féminine, l’auteur analyse la construction de la vie affective à l’adolescence. Elle rend compte des renoncements, des hésitations ou des ambivalences qui peuvent apparaître face à des désirs émergents. L’écriture directe et rythmée permet à l’adolescente d’exprimer son mal-être face à son obésité. Lecture Jeune - juin 2012 Littératures Catherine Zambon décrit avec justesse les émotions de cette jeune fille dont l’humeur oscille entre joie et mélancolie. ■ Sophie Lartigue Réseau de lecture : On pourra mettre ce court roman en parallèle avec 50 minutes avec toi, de Cathy Itak, paru en 2010 dans la même collection, même si, dans La Chienne de l’ourse, la difficulté n’est pas tant d’imposer ses choix sexuels et affectifs que les accepter soi-même. Lecture Jeune - juin 2012 55 56 Parcours de lecture Et après BD 24 I L’Odyssée de Zozimos, T. 2 Christopher Ford Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Sidonie Van den Dries Ça et là, 2012 236 p. 14 € 978-2-916207-66-7 Mots clés Mythologie Humour Aventure Réjouis-toi, Ô lecteur impatient, car Zozimos le voyageur au long cours, poursuit sa trépidante aventure ! Sous les conseils malveillants de son oncle, Zozimos cherchait à reprendre le trône de Sticatha après avoir vengé le meurtre de son père. Il ne se doutait pas que cette entreprise le mènerait de Charybde en Scylla. S’il a déjà triomphé de rudes épreuves dans le premier volume, il doit encore passer par bien des tribulations pour pouvoir régner paisiblement sur son île. Ce deuxième tome le suit d’un bout du monde à l’autre, flanqué de ses deux acolytes, Atrukos à la tête de grenouille et Praxis le costaud, pour son ultime quête – trouver la Plume d’Or. Multipliant les rebondissements désopilants et les blagues de potache, le volume conclut l’odyssée facétieuse de ce jeune prince couard et colérique. On y retrouve avec le même plaisir le rythme haletant et l’humour décomplexé du premier opus remarquablement servis par des dessins très stylisés : les personnages esquissés d’un simple trait semblent les petites marionnettes des dieux et du fatum antique. Comme le précédent album, cette tragédie clownesque se savoure de 7 à 77 ans. « Par les genoux flasques de Zeus », il semblerait que ses dernières pages annoncent un troisième tome ! Zozimos l’étourdi pourrait bien aller y rechercher sa bien-aimée, oubliée au royaume des morts... ■ Sonia de Leusse-Le Guillou 25 I Ghostopolis Doug TenNapel Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Touboul Milady Graphics, 2012 272 p. 22,90 € 978-2-81120607-9 Mots clés Maladie Fantastique Fantôme Le jeune Garth est certes atteint d’une maladie incurable mais il est envoyé avant l’heure vers Ghostpolis, le pays des morts, par Franck Gallow, un chasseur de fantômes négligent. Pour réparer son erreur, Gallow est sommé de s’infiltrer à Gosthopolis et de ramener Garth chez lui. Or le jeune garçon se découvre des pouvoirs magiques dans ce nouvel univers et de nouveaux ennemis : les hautes autorités du monde des spectres sont également à sa recherche. L’américain Doug TenNapel, créateur du délirant jeu vidéo Earthworm Jim, signe ici un conte d’épouvante – mais nullement morbide – très réussi, qui rappelle les meilleures productions du studio Amblin fondé par Spielberg (Les Aventures de Tintin ou Cheval de Guerre). Le comique naît de dialogues finement ciselés, de personnages délicieusement caricaturaux et de trouvailles scénaristiques habiles. Le récit est mené à grand rythme grâce à un découpage des planches très aéré (on compte rarement plus de 5 cases par page) et le dessin brut, à la limite du crayonné, traduit avec énergie les situations les Lecture Jeune - juin 2012 57 plus fantastiques. Ce roman graphique est une excellente introduction à la bande dessinée pour adolescents, tout en présentant de solides qualités pour les lecteurs plus chevronnés. ■ Pierre Pulliat Réseau de lecture : Doug TenNapel est auteur de livres pour enfants, travaille pour le cinéma et la télévision, etc. Retrouvez-le sur son site : tennapel.com Lecture Jeune - juin 2012 58 Parcours de lecture Et après Documentaire 26 I T’as la tchatche Sylvie Baussier Ill. d’Anne Rouquette Gulf Stream éditeur, 2012 (Et Toc !) 240 p. 12 € 978-2-35488-151-1 Mots clés Langage Linguistique Mots En cinquante entrées, ce petit documentaire aborde de multiples questions relatives au langage et aux langues. Sylvie Baussier expose aussi bien des concepts savants (théories de Saussure ou de Jakobson, classement des familles de langues) que des questions culturelles – expliquant par exemple comment des peuples soumis ont créé des langues utilitaires –, ou des problèmes linguistiques (questions de traduction, contamination entre idiomes). Les questions historiques sur l’origine des langues ou leur disparition sont traitées, comme les recherches actuelles sur leurs évolutions (une entrée est consacrée au « globish ») ou le fonctionnement du cerveau. Le lecteur peut parcourir l’ouvrage à sa guise ou se laisser guider par les suggestions faites en bas de page ; les explications sont rédigées dans un style clair et précis qui s’harmonise parfaitement avec les illustrations d’Anne Rouquette. Cette première approche est complétée par une courte bibliographie et une sitographie qui permettent d’approfondir les thèmes abordés. ■ Colette Broutin Lecture Jeune - juin 2012 59 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Littératures 27 I Le Conteur Au XVIIIe siècle, la ville de Dehli est envahie par les troupes afghanes, poussant à la fuite un poète et conteur à qui il ne reste plus que « les mots et la liberté ». Son errance le conduit pourtant vers une propriété pachtoune, ennemie, où la Bégum, maîtresse des lieux, lui offre l’hospitalité en échange d’un conte. Ainsi débute une joute entre deux personnages que tout oppose mais que la parole rapproche. Chacun répond en effet au récit de l’autre, tressant une histoire sans fin, enrichie et renouvelée, dans un duel qui devient amoureux. Dans ce contexte de guerre, les deux protagonistes font renaître les thèmes universels de l’amour et de la trahison, du pouvoir et de l’ambition célébrant l’imagination et la créativité poétique. Ce texte inspiré de la tradition orientale est en marge de la production éditoriale actuelle mais il renouvelle le genre du contre et offre plusieurs niveaux de lecture. Ainsi est-il accessible aux lecteurs adolescents comme aux jeunes adultes. ■ Marie-Françoise Brihaye Omair Ahmad Trad. de l’anglais par Françoise Nagel Picquier, 2011 (Inde/Pakistan) 238 p. 13,50 € 978-2-8097-0289-7 Genre Conte Mots clés Création Amour Récit enchâssé 28 I Les Guichets du Louvre 16 juillet 1942. Le narrateur, un jeune étudiant, s’apprête à quitter Paris pour rejoindre ses parents à Bordeaux. Mais, à la demande d’un camarade, il accepte de retarder son départ pour venir en aide aux Juifs que la police et la gendarmerie françaises sont sur le point d’arrêter. Il doit leur proposer de le suivre sur la rive gauche de la Seine en passant par les guichets du Louvre. L’entreprise est difficile : il faut non seulement échapper aux forces de l’ordre qui quadrillent Paris mais aussi vaincre la méfiance de ceux à qui il offre son secours, comme cette jeune fille à qui il suggère de jouer les amoureux pour la protéger sans finalement parvenir à la mettre à l’abri. Au long de cette terrible journée de la rafle du Vel’d’hiv’, le jeune homme assiste, impuissant, à l’arrestation des Juifs étrangers vivant dans la capitale. En quelques heures, il est confronté à la violence antisémite, à la lâcheté et à l’ignominie et poussé à s’interroger sur ses propres valeurs. Ce témoignage a été rédigé vingt ans après les faits tant il était difficile à son auteur de recoller « le miroir brisé » de sa mémoire et tant il était impossible alors de rappeler cet épisode de la collaboration. Après une première publication dans les années 60, ce récit a fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Michel Mitrani en 1974 et a été réédité en 1999. Ce texte restitue les émotions, l’incompréhension et les remords qui dominent alors un jeune homme idéaliste. ■ Colette Broutin Lecture Jeune - juin 2012 Roger Boussinot Gaïa, 2012 (Réédition) 160 p. 16 € 978-2-84720-225-0 Genre Témoignage Mots clés Antisémitisme Shoah Rafle du Vel d’Hiv Mémoire 60 Lecteurs confirmés 29 I La Terre de l’impiété Jean-François Chabas L’École des loisirs, 2012 (Médium) 2012 165 p. 9,70 € 978-2-211-20813-0 Genre Roman psychologique Mots clés Guerre d’Algérie Harkis Mysticisme Deux hommes âgés, liés par une amitié indéfectible forgée pendant la guerre d’Algérie, vivent isolés dans la montagne. Ils ont tous deux combattu, l’un, Philippe de Sainties, comme officier de l’armée française, l’autre, Abdelhamid, comme harki. La sale guerre et les trahisons politiques ont fait d’eux des êtres ayant perdu toute confiance en l’homme et toute foi. Rachel, elle, marche vers le sommet de la montagne, guidée par son désir de Dieu : elle se sent appelée par des visions merveilleuses. Sans savoir pourquoi, Abdelhamid suit à la jumelle le parcours de cette petite fille lancée dans une ascension dangereuse. Ce roman se singularise par la beauté d’un style exigeant qui charme et invite toujours à la réflexion. Le lecteur donnera sens au récit en s’interrogeant sur la possibilité d’une rédemption, sur la part irréductible d’humanité de chaque individu, en interprétant l’isolement de la petite fille, étrangère à la société matérialiste qui l’entoure ou en questionnant sa quête de spiritualité et son mysticisme. Ce livre s’adresse à de bons lecteurs car il suppose une certaine connaissance de la guerre d’Algérie. ■ Colette Broutin 30 I L’insolente de Kaboul Chékéka Hachemi Anne Carrière, 2011 230 p. 18,50 € 978-2-8433-7570-5 Genre Témoignage Mots clés Afghanistan Droit des femmes Régime autoritaire Chékéba Hachemi, 11 ans et 11 frères et sœurs, fuit clandestinement l’occupation soviétique en Afghanistan pour gagner la France. Cette traversée périlleuse bouleverse la fillette en lui révélant l’horreur de la guerre. Mais cette épreuve marquante n’est que la première étape d’un parcours pour le moins atypique. Chékéba, dont on découvre le quotidien afghan à travers des flashback, vit désormais en France avec sa mère et quelques membres de sa famille. Reçue au bac en 1992, la brillante élève entre dans une école de commerce et gagne sa vie grâce à des « petits boulots », tout en essayant de se plier au mieux aux normes qui régissent la vie domestique des femmes afghanes – prendre à sa charge les tâches ménagères et servir les hommes de la maison. Jonglant entre les exigences presque schizophréniques de la sphère privée et de sa vie à l’extérieur, la narratrice retrace les étapes qui la menèrent par sa volonté et sa persévérance, de la création en 1996 de l’association « Afghanistan libre », à la rencontre du Commandant Massoud ou à Bruxelles. Chékéba Hachemi y devient en effet la première diplomate afghane avant d’être nommée conseillère auprès du vice-président de Kaboul, puis ministreconseiller en France. Fidèle à ses engagements, elle démissionne en 2009, constatant l’immobilisme de la situation. Loin du sensationnalisme de certains témoignages, ce livre donne le point de vue engagé d’une immigrée œuvrant concrètement pour la reconstruction de son pays natal et la cohésion de la diaspora afghane. Malgré une naïveté parfois lassante, ce récit expose avec sincérité une destinée hors du commun amorcée Lecture Jeune - juin 2012 Littératures pourtant très modestement. Son contexte historique, politique et les questionnements de la narratrice dans sa vie de femme le réservent à des lecteurs mûrs et ayant quelques connaissances des principaux événements ou personnages marquants de l’histoire afghane, même si une carte et une chronologie introduisent de façon très pertinente l’ouvrage. ■ Sonia de Leusse-Le Guillou Réseau de lecture : Vous pouvez consulter le site de l’association : www.afghanistan-libre.org/ 31 I La Dame en noir Jeune notaire londonien, Arthur Kipps est envoyé à Crythin Gifford, dans le nord du pays, pour régler la succession d’une vieille femme. Alice Drablow laisse derrière elle de nombreux papiers à trier et un sombre manoir cerné de marais envoûtants supposés hantés. Arthur lui-même croit apercevoir à plusieurs reprises une étrange dame en noir au visage émacié. Mais il constate vite que les habitants n’ont pas l’intention de lui fournir la moindre explication. Dans la tradition des maîtres du frisson du XIXe siècle, Susan Hill entraîne le lecteur dans un univers fantomatique, l’intrigue rappelant les contes fantastiques de Maupassant. La réussite du roman tient davantage à son atmosphère victorienne qu’à son rythme : les dialogues sont rares et les descriptions nombreuses. Aussi, séduirat-il davantage les amateurs de romans d’ambiance que les lecteurs friands de rebondissements et d’hémoglobine. ■ Colette Alves Réseau de lecture : Ce roman publié pour la première fois en 1983 a été adapté au cinéma en 2011 par James Watkins. Arthur Kipp est incarné par Daniel Radcliffe, rendu célèbre par son interprétation du personnage de Harry Potter dans les films éponymes. Susan Hill Trad. de l’anglais par Isabelle Maillet L’Archipel, 2012 216 p. 18,80 € 978-2-8098-0573-4 Genre Roman fantastique Mots clés Fantôme Mystère 32 I Vers la mer À 19 ans, Laure décide de rejoindre Nice pour s’embarquer pour un long voyage. Catherine, sa mère, qui a entrepris plus jeune la même aventure, décide de l’accompagner. Le long trajet depuis Paris est jalonné de haltes qui sont autant d’occasions de rencontres et de dialogues entre mère et fille. Au fil de la route, par la parole autant que par les silences, les deux femmes partagent leurs souvenirs, leurs doutes comme leurs envies et apprennent à se découvrir. Nice sera la ville de la séparation. Ce voyage vers la mer (réelle ou psychanalytique) est écrit tout en nuance, le lecteur étant davantage invité à suivre une quête intérieure qu’une escapade mouvementée. Ce premier roman intimiste d’AnneSophie Stefanini évoque la relation entre mère et fille avec justesse et élégance. ■ Marie Françoise Brihaye Réseau de lecture : Métal Mélodie de Maryvonne Rippert (Milan Jeunesse, « Macadam ») aborde la question des relations mères-filles dans un roman qui s’adresse aux jeunes adolescents. Lecture Jeune - juin 2012 Anne-Sophie Stefanini J.C. Lattès, 2011 233 p. 17 € 978-2-7096-3554-7 Genre Roman intimiste Mots clés Relation mère/fille Voyage initiatique 61 62 Lecteurs confirmés 33 I Vie animale Justin Torres Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux Éditions de l’Olivier, 2012 18 € 141 p. 978-2879298207 Genre Roman psychologique Mots clés Marginalité Famille Écriture Aux Etats-Unis, une fratrie de trois garçons totalement livrés à euxmêmes survit soudée dans une relation fusionnelle. Leurs parents, mère blanche et père portoricain, n’étaient que des adolescents à la naissance de leur premier enfant et sont restés aussi immatures et imprévisibles qu’alors. Au quotidien, tandis que « Ma » travaille de nuit, « Pa » tente de trouver du boulot et distribue les coups à sa femme et à sa progéniture. Les enfants qui ne mangent pas tous les jours, dorment dans le même lit pour se réchauffer. Le bruit et le désordre submergent leur existence chaotique. Les courts chapitres du roman se suivent à un rythme haletant, de la perte de l’innocence du narrateur à l’âge de 7 ans, jusqu’à « la rupture » avec ses aînés qui adoptent la violence du père. Le jeune garçon se réfugie dans les mots et l’écriture. Le récit s’achève dans une brutalité inouïe. La traduction littérale du titre, Nous, les animaux, aurait rendu plus évident le ton percutant du roman, écrit dans un registre familier et narré par le plus jeune des enfants. Ce dernier, dont on ignore le prénom, livre son récit familial sans misérabilisme et sans fard. Ce roman magnifique par son écriture et sa sincérité laisse le lecteur abasourdi. Il est à réserver à des lecteurs avertis. ■ Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2012 63 Parcours de lecture Lecteurs confirmés BD 34 I La Chambre de Lautréamont Le sous-titre accrocheur présente l’ouvrage comme « le premier roman graphique publié en 1874 enfin dans son édition originale » – ce qui bouleverserait toute l’histoire de la bande dessinée ! – dont les auteurs seraient un certain Auguste Bretagne, obscur feuilletoniste, et le peintre Eugène de T.S. Tous deux fréquentent les milieux artistiques parisiens, bohêmes et contestataires, dans le Paris d’après la Commune. Le groupe « zutiste » et ses blagues délirantes ainsi que l’usage du peyotl incitent Bretagne à croire que l’esprit d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, hante toujours la chambre qu’il loue rue du Faubourg Montmartre et dans laquelle le poète est mort. Dans cette pièce chargée de mystère, Bretagne va découvrir un septième Chant de Maldoror que Lautréamont et le jeune Rimbaud auraient écrit au cours d’une nuit hallucinée et un appareil d’enregistrement, inventé et caché par Charles Cros. La Chambre de Lautréamont est une mystification habilement construite, pour lecteurs avertis : il y a un réel plaisir à retrouver des citations des Chants de Maldoror ou du Bateau ivre, des références à Edgar Allan Poe ou à Villiers de l’Isle Adam. Le graphisme comme la palette de couleurs aux tons glauques et passés s’accordent parfaitement à cette atmosphère hallucinée et mystérieuse. Les textes d’introduction et de conclusion qui « authentifient » l’œuvre retrouvée ou la critiquent jouent habilement entre réalité et fiction. ■ Colette Broutin Corcal Ill. d’Edith Futuropolis, 2012 125 p. 20 € 9782754803526 Mots clés Fantastique Poésie 35 I Nous n’irons pas voir Auschwitz Martin et Jérémie Dres se rendent en Pologne en 2010, un an après la mort de leur grand-mère Terma avec laquelle ils avaient des liens affectifs très forts. L’auteur veut comprendre ce qui fait l’identité juive dans la Pologne contemporaine. Il s’agit pour lui de découvrir ce que fut le pays pour les Juifs avant la Shoah et ce qu’il est depuis. Le titre du livre, pourrait sembler provocateur mais prend sens car ils « ne vont pas voir Auschwitz », préférant se tourner vers l’avenir. Ce roman graphique dessiné d’un trait simple, un peu naïf, s’adresse à un large public. L’auteur témoigne de son expérience avec distance et humour. Il honore la mémoire familiale et l’Histoire sans occulter aucune des tensions qui subsistent entre les Juifs et la Pologne. À travers une multitude de rencontres avec la jeune génération d’artistes polonais à Varsovie, un rabbin progressiste américain ou encore l’historien Jean-Yves Potel – spécialiste de l’Europe Centrale, c’est une image moderne et contrastée de la nouvelle communauté juive de Pologne qui émerge de ce récit intimiste. ■ Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2012 Jérémie Dres Cambourakis, 2011 208 p. 19,30 € 978-2916589763 Mots clés Famille Pologne Mémoire Shoah 64 Lecteurs confirmés 36 I A. D. La Nouvelle-Orléans après le déluge Josh Neufeld La Boîte à bulles, 2011 (Contre-cœur) 207 p. 18 € 978-2-84953-130-3 Mots clés Témoignage Ouragan Nouvelle-Orléans Au mois d’août 2005, l’ouragan Katrina a balayé les Bahamas, Cuba, une partie du sud-est des États-Unis et en particulier la NouvelleOrléans. Le bilan est très lourd : près de 2 000 victimes, des quartiers dévastés et une reconstruction extrêmement difficile. A.D. La NouvelleOrléans après le déluge suit l’itinéraire de sept habitants, de milieux sociaux et culturels différents mais tous liés par un même attachement à leur ville. Si les uns décident de la quitter, d’autres choisissent de rester, par bravade ou par nécessité. Angoisse, peur, découragement, optimisme invétéré : tous vivront, selon leur personnalité et leur propre perception du phénomène, une épreuve forcément marquante. Ce roman graphique s’appuie sur l’expérience de l’auteur, volontaire dans les équipes de secours de la Croix Rouge dans l’état du Mississippi, également touché par l’ouragan, et sur les témoignages qu’il a lui-même recueillis. La narration chronologique est rythmée par l’alternance des différents récits, les planches bicolores donnent de l’intensité à un dessin précis et expressif. Une longue postface précise les événements et explique la genèse de l’œuvre. Josh Neufeld a construit un récit très humain et sensible du drame qu’ont vécu les habitants de la Nouvelle-Orléans. ■ Benoît Petit Réseau de lecture : Sur le même sujet, nous conseillons la lecture du roman de Laurent Gaudé, Ouragan (Actes Sud), dans lequel le lecteur suit le parcours d’habitants de la Nouvelle-Orléans alors que Katrina déferle sur ville. A conseiller à des lecteurs avertis. 37 I Une métamorphose iranienne Mana Neyestani Trad. de l’anglais par Fanny Soubiran Çà et Là, 2012 200 p. 20 € 9-78-2-916-20765-0 Mots clés Iran Exil Régime autoritaire « Tout a commencé avec un cafard », une illustration de Mana Neyastani publiée dans un hebdomadaire jeunesse, représentant un garçon de 10 ans se confrontant à cet insecte qui prononce un mot azéri. Les azéris – une communauté minoritaire d’origine turque opprimée par le régime iranien –, voient dans ce dessin une provocation supplémentaire et se soulèvent. Les manifestations s’étendent dans ce pays où les droits de l’homme sont bafoués. L’auteur sera condamné pour troubles à l’ordre public. Ce cafard est aussi un symbole kafkaïen des complexités de l’administration iranienne. Comment ne pas finir « broyé » par un système qui encourage la corruption des fonctionnaires ? Après deux mois de détention, l’ultime solution de Mana Neyestani sera l’exil sans retour possible. Ce dernier se livre sans occulter les angoisses et les attentes interminables, en prison, dans les aéroports, chez lui. S’il a peu connu de violences physiques, il révèle le harcèlement, la brutalité du régime iranien. Le dessin en noir et blanc et le ton de la bande dessinée, évoquent l’illustration de presse satirique. Ce traitement graphique intensifie un propos sobre et distancié. L’auteur, en révélant son parcours, s’inscrit dans la veine de la bande dessinée Lecture Jeune - juin 2012 BD documentaire touchant un large public sur des faits d’actualité. Si l’ouvrage ne nécessite pas de connaître les enjeux politiques de l’Iran, il reste néanmoins adressé à de très bons lecteurs. ■ Anne Clerc Lecture Jeune - juin 2012 65 66 Parcours de lecture Lecteurs confirmés Documentaires 38 I Parlons immigration en 30 questions François Héran La Documentation française, 2012 (Doc en poche, entrez dans l’actu) 97 p. 5,90 € 978-2-11-008788-1 Mots clés Immigration Débat de société Intégration François Héran, démographe et directeur de recherches à l’INED, aborde en trente questions le thème de l’immigration en France. Dès l’introduction, il met en évidence la complexité du sujet en prenant pour exemple l’accès au marché du travail pour les étudiants étrangers. Les questions clairement annoncées dans le sommaire permettent d’aborder tous les aspects du sujet : définitions des notions, statistiques récentes et commentées sur les flux migratoires, données juridiques sur le droit d’asile et celui de la nationalité, analyse économique de l’immigration, choix politiques, situation dans d’autres pays… Toutes les données sont mises en perspective. Pour comprendre ce thème, le lecteur peut lire l’ouvrage d’une traite ou sélectionner les questions selon ses centres d’intérêts. Ce documentaire dense mais clair est une très utile synthèse. Il permet de fonder une réflexion citoyenne sur un sujet qui met en jeu la cohésion de la société. Les questions abordées peuvent toucher un public très large dès le lycée. ■ Marie-Françoise Brihaye Nouvelle collection : Lancée en février 2012, à la veille des élections présidentielles, la collection « Doc’en poche/ Entrez dans l’actu » n’a rien perdu de son actualité. Comme sa présentation l’indique, elle « s’adresse au plus grand nombre : le grand public à la recherche d’informations fiables, les néophytes ou non connaisseurs d’un thème d’actualité traité dans les médias et les gens pressés qui, sans gaspiller ni temps ni argent, veulent se faire efficacement une idée sur un sujet. » Les cing premiers titres disponibles concernent le nucléaire, l’immigration, les impôts et le rôle du Président de la République. La collection devrait compter une dizaine de titres par an. 39 I France 2012. Les Données clés du débat présidentiel Collectif La documentation française, 2012 (Doc’en poche/Entrez dans l’actu) 139 p. 5,90 € 978-2-11-008784-3 Comment se repérer dans le débat politique et comprendre les enjeux économiques et sociaux dont s’emparent régulièrement les médias ? À l’occasion de l’élection présidentielle, l’ouvrage de la Documentation Française se veut impartial. 24 thèmes sont traités. En économie, sont évoquées les questions d’emploi, de croissance, de finances publiques y compris du point de vue de la fiscalité et du commerce. Sans surprise, les questions sociales abordent la santé, l’enseignement Lecture Jeune - juin 2012 es 67 et l’environnement. Deux chapitres traitent des institutions et de la décentralisation. Plus largement, une synthèse est proposée sur les questions de fond de la société : laïcité, égalité homme-femme, justice, délinquance, culture, immigration, dépendance, logement. À l’international, trois chapitres abordent la mondialisation, l’Union européenne et la présence française dans le monde. Les grands thèmes sont analysés et déclinés sur une double-page : les questions et des réponses concises sont confrontées à des données statistiques permettant des comparaisons avec d’autres états, à des définitions ou à des rappels des lois récentes et de leurs effets (loi TEPA ou loi DALO, par exemple). Cet ouvrage donne certes des clés pour mieux comprendre l’actualité et décrypter les discours des principales formations politiques mais son intérêt documentaire perdure au-delà des échéances électorales. ■ Laurence Guillaume et Colette Broutin Lecture Jeune - juin 2012 Mots clés Débat de société Lois Statistiques 68 Parcours de lecture Ouvrages de référence 40 I MetaMaus. Un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes Art Spiegelman Trad. de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard Flammarion, 2012 300 p. + 1 DVD 30 € 978-2080689672 Genre Biographie Mots clés Témoignage Roman graphique Shoah Paru en 1986 aux États-Unis, Maus : un survivant raconte a valu à son auteur le prestigieux prix Pulitzer, décerné pour la première fois à une bande dessinée. Avec Metamaus, Art Spiegelman revient sur cette œuvre majeure et répond aux questions qu’elle a suscitées : pourquoi la Shoah, pourquoi les souris, pourquoi la bande dessinée ? Sous la forme d’un entretien, qui rend le texte très vivant, Spiegelman raconte la genèse de son œuvre, née de ses longues conversations avec son père Vladek. L’auteur rappelle l’histoire de sa famille – la déportation à Auschwitz de ses parents, la mort de leur premier enfant, le suicide de sa mère, Anja, en 1968 – et il analyse aussi la façon dont le souvenir de la déportation hante la génération suivante (c’est d’ailleurs un des grands mérites de Maus de montrer cette transmission de la douleur) et ses rapports avec la famille qu’il a lui-même fondée. Spiegelman se penche également sur l’élaboration graphique de son œuvre, la replaçant dans son parcours d’artiste, de l’underground américain des années 70 à son travail contemporain.. L’ouvrage est accompagné d’un DVD qui, outre la version intégrale numérisée de Maus, offre de nombreux et précieux suppléments : enregistrement des entretiens avec Vladek, archives familiales, carnets de croquis, sources documentaires… Le lecteur adulte trouvera dans ce livre les clés de ce roman graphique autobiographique qui a donné au genre une forme de légitimité. Il sera plus facile pour un médiateur, bibliothécaire ou enseignant, d’expliquer la démarche de Spiegelman aux adolescents et de présenter son parcours personnel et créatif. Ce making-of éclaire une œuvre devenue classique tout en dévoilant les arcanes de l’art de la bande dessinée. ■ Cécile Robin-Lapeyre Lecture Jeune - juin 2012 69 41 I Je cherche un livre pour un enfant. Le guide des livres pour les 8/16 ans Que proposer à un jeune qui commence à lire tout seul ? Que lire en fantasy après Harry Potter ? Qu’est-ce que la littérature fantastique ? Autant de questions que se posent les prescripteurs ou les parents qui souhaitent accompagner les jeunes dans leur parcours de lecture. Quatre chapitres structurent cet ouvrage et multiplient les pistes d’entrée pour sélectionner « le » texte le plus approprié aux envies de l’adolescent. La première partie propose une sélection d’ouvrages en fonction des compétences de lecture de l’enfant. La deuxième porte sur les différents genres littéraires et une section importante porte sur les « littératures de l’imaginaire ». La troisième aborde les thèmes et les sujets les plus susceptibles de séduire les jeunes gens : les récits de vie, les relations amoureuses, l’humour, etc. Enfin, la dernière partie de l’ouvrage propose des index et de nombreuses ressources pour mieux cerner « l’univers » du roman pour adolescents en présentant ses principaux éditeurs ou les structures vers lesquelles se tourner. Une chronologie rappelle entre autres les grandes dates de l’histoire de la littérature jeunesse, des sites à consulter, des ouvrages de référence. Ce documentaire fera le bonheur de tous les bibliothécaires ! Outre des présentations succinctes des titres retenus, des encadrés mettent en exergue des collections ou interrogent sur la place de la lecture à une heure où les jeunes sont présents sur les réseaux sociaux. La structure impeccable du documentaire permet de croiser différents critères (âge, niveau de lecture, thématiques, genres littéraires, etc.) pour proposer le titre le plus adapté. Aussi les médiateurs peuvent-ils prolonger l’exercice en établissant d’autres paramètres pour compléter ou enrichir ces sélections d’ouvrages. Les titres provenant de collections pour adolescents sont largement représentés, mais le théâtre, les documentaires, les albums et les bandes dessinées sont également conseillés. Les interrogations épineuses sur les « bons » et « mauvais » livres ou encore sur la lecture des mangas sont soulevées et dressent un panorama complet des enjeux de la lecture chez les adolescents. Les ouvrages suggérés, les conseils et les pistes de réflexions sont des outils précieux pour tous ceux qui veulent susciter le plaisir de la lecture chez les jeunes. ■ Anne Clerc Tony Di Mascio Gallimard Jeunesse/ Editions de Facto 146 p. 19,50 € 9-78-2-070-64350-9 Mots clés Littérature jeunesse Sélection 42 I Les Teen Movies American Pie, Clueless, 30 ans sinon rien, etc. Autant de teen movies qui laissent le spectateur adulte perplexe. Souvent dénigrés et perçus comme un segment éminemment marketing, les films pour adolescents sont l’objet de cet essai qui nous éclaire sur leurs sources et leur diversité. Entre les franches comédies et les films d’auteur, les teen movies ont pris leur essor dans les années 80, comme le démontrent Adrienne Boutang et Célia Sauvage. Depuis, le genre et ses codes Lecture Jeune - juin 2012 Adrienne Boutang et Célia Sauvage Vrin, 2011 135 p. 9,80 € 978-2-7116-2396-9 70 Ouvrages de références Genre Essai Mots clés Cinéma Adolescence n’ont cessé de se renouveler. Si les stéréotypes sont à l’œuvre dans certaines productions, les auteurs affirment également, arguments solides à l’appui, que ces films sont plus complexes qu’il n’y paraît : « tous se font l’écho d’une période complexe, à la fois mauvais moment à passer et source de plaisir et de jouissance. C’est là tout le paradoxe de l’adolescence – et du teen movie. » En 135 pages, le panorama des films de ce genre est complet et les analyses précises et pertinentes. De nombreux parallèles peuvent s’opérer avec les teen books dans la construction des intrigues, l’attribution des rôles, les enjeux liés à la sexualité, etc. Ainsi, cinéma et littérature se font écho et s’inspirent mutuellement dès lors qu’il est question d’adolescence. Il en résulte que sous des aspects « grossiers » et « sexistes », les teen movies sont plus moralisateurs et conservateurs qu’il n’y paraît et aménagent de nombreux compromis afin d’être acceptés… par les adultes. ■ Anne Clerc Lecture Jeune - juin 2012 En savoir plus Formations Index page 72 page 74 72 En savoir plus Formations Lecture Jeunesse Programme Second semestre 2012 Nos stages et journées d’étude se déroulent à Paris à des dates prédéterminées. Les rencontres d’auteurs et d’éditeurs sont organisées dans le cadre de nos formations et sont désormais ouvertes à un large public. Les journées d’étude abordent des problématiques professionnelles et de société, croisant les regards de spécialistes de la jeunesse et de la lecture, ainsi que les créateurs. Les programmes détaillés seront annoncés sur notre site Internet www.lecturejeunesse.com, notre blog http://bloglecturejeune.blogspot.com/ et Facebook. Journée d’étude ● Accueillir des adolescents en bibliothèque Espaces, collections, services, ● Comités de lecture/prix littéraires : médiations retour sur des pratiques de bibliothécaires Problématique Problématique Les prix littéraires pour/par des jeunes se répartissent sur le territoire tandis que les comités de lecture d’adolescent(e)s sont toujours à l’honneur dans les bibliothèques. Quelles pratiques diverses le terme de « comité de lecture » englobe-t-il ? Quels sont les objectifs de ces manifestations ? Quelles innovations peut-on faire émerger ? Quelles évaluations sont-elles proposées ? Comment les prescripteurs sélectionnent-ils leurs titres ? A quelles maisons d’édition appartiennent les primés ? Ces manifestations font-elle lire les ados ? Quels livres plébiscitent-ils ? C’est à quelques-unes de ces questions et à bien d’autres que cette journée d’étude tentera d’apporter des réponses en analysant comités de lecture et/ou prix littéraires adolescents en France et/ou à l’étranger. Dates : 22 novembre 2012 L’adolescence est un moment de passage à prendre en compte et à accompagner. La fréquentation des bibliothèques par ce public constitue une problématique singulière. Comment considérer les besoins des jeunes pour en améliorer l’accueil et répondre à leurs attentes ? Dates : 26-27-28 septembre 2012 Clôture des inscriptions : 12 juillet 2012 ● Les adolescents et Internet : la culture numérique en bibliothèque Problématique Internet a bouleversé notre société et en particulier notre rapport au savoir et à l’information. Les adolescents se sont emparés de l’outil pour inventer pratiques et usages. Comment mieux appréhender cette « culture numérique », la prendre en compte ou l’accompagner en médiathèque ? Dates : 3-4-5 octobre 2012 Clôture des inscriptions : 3 septembre 2012 Stages ● Les romans Accompagner les parcours de lecture des jeunes Problématique Comment se repérer dans la production d’ouvrages de fiction pour proposer aux jeunes des livres adaptés à leurs parcours de lecteurs ? Dates : 12-13-14 septembre 2012 Clôture des inscriptions :10 juillet 2012 ● Les romans pour jeunes adultes/ young adults Quelles passerelles de la littérature « pour » adolescents à la littérature générale ? Problématique On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un nouveau « segment de marché » : les young adults – pour reprendre le terme anglo-saxon – sont courtisés par les éditeurs. Derrière la stratégie Lecture Jeune - juin 2012 73 Inscriptions Catherine Escher Tél. : 01-44-72-81-50 [email protected] Tarifs des stages de 3 jours 410 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 305 € TTC (Prise en charge personnelle) Tarifs des stages de 2 jours Renseignements pédagogiques 275 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 205 € TTC (Prise en charge personnelle) Sonia de Leusse-Le Guillou Tél. : 01-44-72-81-52 Anne Clerc Tél. : 01-44-72-81-53 65 € TTC (Prise en charge de l’employeur) 35 € TTC (Prise en charge personnelle) 15 € TTC (étudiants) Tarifs des journées d’étude Tarifs des formations sur site Nos formations peuvent être organisées sur site (devis à la demande). commerciale, quelles sont les spécificités de ces titres ? Quels sont les livres que l’on peut qualifier d’ouvrages « passerelles » ? Comment susciter les passages d’une littérature de jeunesse à une littérature adulte ? ● Les documentaires Quelle place pour les ouvrages documentaires dans la construction des savoirs à l’heure d’Internet ? Dates : 17-18-19 octobre 2012 Clôture des inscriptions : 10 juillet 2012 Problématique ● Les littératures graphiques Romans graphiques, albums, bandes dessinées, mangas… Problématique Les adolescents d’aujourd’hui ont une culture de l’image très étendue. Ils sont lecteurs de mangas et de bandes dessinées. On voit se développer dans le secteur de l’édition des formes hybrides : romans graphiques, récits illustrés, albums… Fondées sur la force et la singularité du rapport entre le texte et l’image, elles offrent des pistes d’entrée dans la lecture riches et étonnantes. Comment leur faire découvrir et apprécier ces nouvelles formes visuelles dans le domaine du livre ? Quels liens tisser entre ces littératures graphiques ? Dates : 14-15-16 novembre 2012 Clôture des inscriptions : 17 septembre 2012 Nouveau ! ● La fantasy et les littératures de l’imaginaire Problématique Souvent considérée par les adultes comme une littérature de niche voire une paralittérature, la fantasy et plus largement les littératures de l’imaginaire séduisent les jeunes lecteurs. De plus en plus de livres brouillent les limites entre les genres ou les âges. La fantasy semble ignorer les frontières entre littérature jeunesse et générale... Comment se repérer dans cette production méconnue ? Pour leurs recherches scolaires, les adolescents utilisent Internet avant de se tourner vers le livre documentaire, oubliant qu’il peut constituer une étape du repérage tout en suscitant le plaisir de la lecture. Comment prendre en compte la demande de renseignements scolaires et le besoin de découvertes personnelles dans la constitution d’un fonds qui soit à la fois cohérent et repérable ? Dates : 12-13-14 décembre 2012 Clôture des inscriptions : 12 novembre 2012 ● Concevoir et animer un projet en direction des adolescents en bibliothèque Problématique Les adolescents représentent un public – ou un « non public » – aux attentes et pratiques parfois déroutantes. Comment instaurer une relation de confiance avec les jeunes pour les intéresser aux fonds et actions proposées par la bibliothèque ? Comment mettre en œuvre des projets de médiation en direction de ce public ? Dates : 20-21 décembre 2012 Clôture des inscriptions : 20 novembre 2012 Dates : 29-30 novembre 2012 Clôture des inscriptions : 29 octobre 2012 Lecture Jeune - juin 2012 74 En savoir plus Informations Prix Lecture Jeunesse • Le prix Ados Rennes-Ille-et-Vilaine 2012 est attribué à Oksa Pollock, l’inespérée. La majorité des 2066 jeunes des collèges d’Ille-et-Vilaine a voté pour ce livre écrit par Anne Plichota et Cendrine Wolf. Site Internet : www.bibliotheques.rennes.fr/fr/actusbibli/prix-ados-2012.html Page Facebook : www.facebook.com/prixados Suivez l’actualité de Lecture Jeunesse sur Internet et les réseaux sociaux ! • Le prix Imaginales des Collégiens 2012 a été attribué à Charlotte Bousquet, pour Nuit tatouée. La Peau des rêves (L’Archipel, 2011), par un « grand jury » de 35 collégiens représentant plus de 450 collégiens de Lorraine. Jean-Luc Marcastel est arrivé second, avec Le Dernier hiver (Hachette, 2011). Notre site Internet : www.lecturejeunesse.com Notre blog : bloglecturejeune.blogspot.fr/ Notre page Facebook : www.facebook.com/lecture. jeunesse Notre compte Twitter : twitter.com/Lecturejeune Notre revue de presse sur Scoop-it : www.scoop.it/t/ lecture-jeunesse Nos publications accessibles en ligne sur Issuu (le catalogue des formations, le catalogue de la revue Lecture Jeune, nos coups de cœur et nos sélections, etc.) : issuu.com/lecturejeunesse • Le prix Imaginales des Lycéens 2012 a été attribué à Stéphane Beauverger pour Le Déchronologue (Folio SF, 2011), par un « grand jury » de 35 lycéens représentant plus de 400 lycéens de Lorraine. David S. Khara, avec Le Projet Bleiberg (Editions Critic, 2010) est arrivé en seconde position. Site Internet : www.imaginales.fr Page Facebook : www.facebook.com/imaginales Lecture Jeune - juin 2012 Index Auteurs page 76 Titres page 77 Genres et mots clés page 78 76 Index Auteurs A Ahmad, Omair Angelini, Josephine B Baussier, Sylvie Bossard, Florent Bousquet, Charlotte Boussinot, Roger Boutang, Adrienne notice 27 1 notice 26 11 14 28 42 C notice Caillet, Marie 15 Cassim, Shaïne 2 Chabas, Jean-François 29 Corcal34 D David B. Di Mascio, Tony Doctorow, Cory Dres, Jérémie notice 9 41 16 35 E notice Edith34 F Fargetton, Manon Fombelle (de), Timothée Ford, Christopher Fullman, Joe G Groison, David H Hachemi, Chékéba Hajaji, Kamel Hartley, Matt Héran, François Hill, Susan K Kendall, Anna M Martin, Edwige Mauri, Christophe N Neufeld, Josh Neyestani, Maya P Pitcher, Annabel notice 3 17 24 12 R Reynès, Mathieu Rouquette, Anne S Sauvage, Célia Scarrow, Alex Schaack, Laurence Schouler, Piérangélique Spiegelman, Art Stefanini, Anne-Sophie notice 10 26 notice 42 7 21 13 40 32 T notice Tanquerelle9 TenNapel, Doug 25 Torres, Justin 33 V Vernay, Valérie Viozat, Sébastien W Warman, Jessica Witek, Jo Z Zambon, Catherine notice 10 11 notice 22 8 notice 23 notice 13 notice 30 18 19 38 31 notice 20 notice 4 5 notice 36 37 notice 6 Lecture Jeune - juin 2012 77 Index Titres A A.D. La Nouvelle-Orléans après le déluge Abeille (L’) B Béton qui coule dans nos veines (Le) notice 36 19 notice 21 C notice Chambre de Lautréamont (La) 34 Chienne de l’ourse (La) 23 Conteur (Le) 27 D Dame en noir (La) notice 31 F notice Faux-visages (Les) : une vie imaginaire du Gang des Postiches 9 France 2012. Les données clés du débat présidentiel39 N Nous n’irons pas voir Auschwitz O Odyssée de Zozimos (L’), T. 2 Oh ! L’antiquité Oh ! Les sciences Ours-Lune (L’). Fort Sutter, T. 1 H Héritage des Darcer (L’). Allégeance, T. 2 T T’as la tchatche Teen-movies (Les) Terre de l’impiété (La) Time Riders I Insolente de Kaboul (L’) notice 30 J notice Je cherche un livre pour enfant 41 Jolène2 June. Le Souffle, T. 1 3 notice 24 12 12 11 R notice Récit intégral (ou presque) d’une coupe de cheveux ratée 8 Reste avec moi 22 S Starcrossed. Amours contrariés, T. 1 15 35 P notice Paris inch’Allah 18 Parlons immigration en 30 questions 38 Peau des rêves (La). Nuit tatouée, T. 1 et Nuit brûlée, T. 2 14 Prises de vues. Décrypter la photo d’actu 13 G notice Ghostopolis25 Guichets du Louvre (Les) 28 notice notice V Vango. Un prince sans royaume Vers la mer Vie animale notice 1 notice 26 42 29 7 notice 17 32 33 L notice Landes d’Âmevignes (Les). Le Pays des morts, T. 1 20 Little Brother 16 Luxomania : confidences d’une vendeuse dans l’univers secret du luxe 4 M notice Ma sœur vit sur la cheminée 6 Mathieu Hidalf, T. 1 et T. 2 5 Mémoire de l’eau (La), T. 1 et T. 2 10 MetaMaus. Un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes 40 Métamorphose iranienne (Une) 37 Lecture Jeune - juin 2012 78 Index Genres et mots clés Genres B notice Biographie40 C notice Conte27 notice D Docu-fiction21 E notice Essai42 F Fantasy notice 3, 5, 15, 20 G notice Guide41 J Journal intime R Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman notice 8 notice d’amour 2 d’aventure 17 fantastique 1, 31 intimiste 32 post-apocalyptique 14 psychologique 6, 23, 29, 33 social 18 S notice Science-fiction16 T notice Témoignage 4, 28, 30 Théâtre19 Thriller22 U notice Uchronie7 Mots clés A notice Actualité13 Adolescence42 Afghanistan30 Amour 1, 2, 27 Antiquité12 Antisémitisme28 Aventure 3, 5, 7, 10, 15, 24 C notice Cinéma42 Corps23 Création27 D Débat de société Destin Deuil Droit des femmes notice 38, 39 1, 3 2, 6, 19 30 notice E Écriture33 Enquête 17, 22 Espace public 19 États-Unis11 Exclusion14 Exil37 F Famille Fantastique Fantôme notice 6, 33, 35 10, 25, 34 22, 25, 31 G Guerre d’Algérie notice 29 H notice Harkis29 Histoire21 Homosexualité23 Humour 5, 8, 24 I notice Immigration38 Intégration38 Intrigue de Cour 15, 20 Iran37 L notice Langage26 Lecture d’image 13 Légende11 Linguistique26 Littérature jeunesse 41 Lois39 Luxe4 Lycée8 M notice Magie 3, 5, 15 Maladie25 Malfrat9 Marginalité33 Mémoire 28, 35 Misère18 Mode4 Monde du travail 4 Mots26 Musique 2, 21 Mystère 11, 14, 31 Mysticisme29 Mythologie 1, 24 N notice Nouvelle-Orléans36 O notice Ouragan36 P notice Paris17 Photographie13 Poésie34 Polar9 Pologne35 Lecture Jeune - juin 2012 Q Quête d’identité notice 14, 18 R notice Rafle du Vel d’Hiv 28 Rap21 Récit enchâssé 27 Régime autoritaire 16, 30, 37 Relation mère/fille 32 Réseaux sociaux 19 Révolte16 Roman graphique 40 S notice Science12 Sélection41 Shoah 28, 35, 40 Statistiques39 T notice Témoignage 36, 40 Terrorisme16 Tunisie18 V notice Vie affective 23 Voyage dans le temps 7 Voyage initiatique 17, 20, 32 79 Ours Lecture Jeune 190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47 Courriel : [email protected] Site : www.lecturejeunesse.com Directrice de la publication Bernadette Seibel Directrice de la rédaction Sonia de Leusse-Le Guillou (81-52) Rédactrice en chef Anne Clerc (81-53) Administration Catherine Escher (81-50) Conception Réalisation Isabelle Dumontaux Correction Caroline Gaume Illustration de couverture Flickr/Ownipics/Elliot Lepers/www.viteungraphiste.com Ont collaboré à ce numéro Colette Alves, Mélanie Archambault, Thomas Bailly, Nicolas Beaujouan, Cyrielle Bonnot, Marie-Françoise Brihaye, Colette Broutin, Anne Clerc, Marilyne Duval, Sébastien Féranec, Aurélie Forget, Guilhem Gautrand, Laurence Guillaume, Marion Jagu, Marianne Joly, Soizik Jouin, Sophie Lartigue, Léa Lefèvre, Frédéric Leray, Sonia de Leusse-Le Guillou, Amélie Mondésir, Benoît Petit, Cécile Robin-Lapeyre, Caroline Rouxel. Impression L’Artesienne - Dépôt légal : juin 2012 Tél. : 03 21 72 78 90 I.S.S.N. 1163-4987 C.P.P.P. n° 1112G79329 Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974 Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sports le 27/01/1977 – N° 94.155 Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris L’Association reçoit le soutien de la Fondation Blancmesnil. Lecture Jeune - juin 2012 Bulletin Parcours de lecture Abonnement commande 2012 80 80 Livres accroche Littératures Nom, prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fonction : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Organisme : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Code postal : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Email : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2012 - Abonnement pour 4 numéros (Numéros 141 à 144) France : 42 € TTC (41,14 € HT) Autres pays et DOM TOM : 46 € TTC Vente au numéro : 14 € TTC Merci de retourner votre bulletin à : Lecture Jeunesse Service Abonnement 190, rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris (45,05 € HT) (13,71 € HT) Paiement par chèque joint Pour les organismes, facture en ….. exemplaires ■ ■ ■ ■ ■ Pour adhérer à l’association Lecture Jeunesse @ Je désire adhérer à l’association Lecture Jeunesse et soutenir son action en qualité de : Membre adhérent : 25 € ■ Membre bienfaiteur : 45 € et + ■ www.lecturejeunesse.com Date et signature " Lecture Jeune - juin 2012