La culture au coeur des territoires

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La culture au coeur des territoires
Entretiens territoriaux de Strasbourg – 2 et 3 décembre 2009
Les conservateurs, des professionnels au service des collectivités
Julie FAURE
Conservateur du patrimoine, service patrimoine et inventaire, Conseil régional d’Ile-de-France
Au centre des politiques des collectivités, la culture permet la construction et le maintien des relations
sociales. C’est pour cette raison que ces préoccupations doivent être confiées à des professionnels, les
conservateurs, chargés de valoriser et de diffuser la culture. Ces professionnels représentent une
véritable valeur ajoutée pour les collectivités.
Un Mahzor pour tous les Montpelliérains
Michael DELAFOSSE
Délégué à l’action culturelle, à la culture scientifique et technique, commune de Montpellier
Mon expérience récente m’a montré à quel point un conservateur peut accompagner un élu. Un mois et
demi après ma prise de fonction, le directeur des archives municipales m’a alerté sur la tenue d’une vente
aux enchères chez Sotheby’s, à Londres. En effet, on y vendait un Mahzor du 14e siècle, c’est-à-dire un
livre de la liturgie juive qui atteste de la présence d’une communauté à Montpellier, alors que
l’intolérance régnait de manière générale. Une enveloppe de 80 000 euros a donc été débloquée pour en
faire l’acquisition ; il nous a coûté 70 000 euros, ce qui prouve bien l’intérêt de certains investisseurs
privés.
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Entretiens territoriaux de Strasbourg – 2 et 3 décembre 2009
La grande différence est que nous avons la possibilité de le valoriser. Les chercheurs ont débuté des
recherches à partir de l’ouvrage, qui a par ailleurs été présenté lors des Journées du patrimoine. Pour ces
dernières, nous avons tenu à ce qu’aucun élément de « distinction »1 ne s’introduise dans la démarche.
Ainsi, nous avons construit un parcours qui, en partant du bureau du maire, a attiré de nombreuses
personnes jusqu’à la médiathèque Zola où le livre a été présenté. Il nous semblait important de pouvoir
expliquer les raisons pour lesquelles nous avions réalisé un tel investissement.
Les élus ont certes des idées, mais seul le conservateur peut les aider à les structurer pour le public. Tout
cela se déroule dans un cadre culturel nouveau, marqué par trois bouleversements :
- technologiques, avec les changements des disciplines et des comportements (arrivée du Kindle, un
lecteur de livres électroniques…)
- financiers et notre capacité à trouver des synergies pour pouvoir innover
- des pratiques, avec des changements pour certains métiers (Peut-on être le même libraire qu’hier
quand seuls 10 % des 15-25 ans ont un rapport régulier à la lecture ?).
Pour finir, il me semble que les universités de France ont des collections exceptionnelles qui, faute de
moyens, dépérissent. Les collectivités doivent créer une synergie, entre autres entre elles, pour amener
intelligemment les publics à la culture. En dernier lieu, je dirai qu’un conservateur de qualité doit avoir
des capacités de veille, d’expertise et d’innovation.
Julie FAURE
La conservation doit aussi permettre un lien avec l’éducation. Car il ne s’agit pas uniquement de valoriser,
nous devons aussi éduquer les publics.
Dynamiser l’ensemble d’un territoire grâce au conservateur
Étienne ACHILLE
Directeur général adjoint des services, chargé de l’unité société, Conseil régional d’Ile-de-France
Le conseil régional d’Ile-de-France a opté pour une politique culturelle forte. En 1998, le budget alloué à
la culture s’élevait à 15 millions d’euros ; il est aujourd’hui de 90 millions d’euros. Alors que le patrimoine
a été envisagé lors du processus de décentralisation, la culture en a été la grande absente.
Concernant l’inventaire du patrimoine, la Région ne peut s’insérer que dans les interstices laissés par
l’État, la Ville de Paris et les grandes villes franciliennes. C’est pourquoi, nous nous sommes beaucoup
occupés du patrimoine qui n’était pas identifié en tant que tel. Je pense aux petits éléments de
patrimoine vernaculaire qui ne sont généralement pas perçus comme tel. Il convient de les connaître, de
les protéger, de les entretenir et de les valoriser.
Le conseil régional est passé de cinq agents à la culture en 2000, à dix huit en 2004. Il faut souligner le
choc culturel qu’il y a eu entre des agents transversaux, sans formation culturelle initiale, et des
scientifiques hyper spécialistes arrivés grâce à l’Inventaire du patrimoine. Il faut ajouter à cela l’asymétrie
entre l’envie politique et les moyens matériels pour la réaliser. De plus, les réformes à venir nous obligent
à nous interroger sur la pérennité de ces métiers.
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Terme de Pierre Bourdieu qui élabore une réflexion sociologique à partir des goûts et des styles de vie de ce qu’il appelle les
« agents sociaux ». Ouvrage de référence : La Distinction. Critique sociale du jugement
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Entretiens territoriaux de Strasbourg – 2 et 3 décembre 2009
Pour structurer ces métiers qui dynamisent les territoires, nous avons utilisé quatre leviers :
- des partenariats avec d’autres collectivités locales (visite virtuelle de la cathédrale en partenariat avec la
ville de Meaux)
- l’ouverture de nos travaux au public (création d’un centre de documentation du patrimoine)
- la photographie et une vaste entreprise de numérisation de nos archives pour simplifier les recherches
- une politique de publication du travail scientifique, qui nous permet de renforcer la visibilité de nos
actions (ouvrages sur les Grands Moulins de Pantin, sur la cité universitaire de Paris et sur les escaliers
de la capitale).
Pour conclure, le conservateur est un acteur de dynamisation des politiques régionales, des
partenariats avec d’autres collectivités et donc du territoire dans son ensemble. Je soulignerai
tout de même qu’il existe un problème sémantique, notamment pour le grand public. Les termes
« conservateur » et « conservation » ne recouvrent pas tout à fait les réalités de ces personnes.
Julie FAURE
Pour éventuellement trouver une dénomination plus juste, nous devons interroger nos métiers et nous
adapter à l’évolution du monde et des pratiques.
Conservateur, un métier aux très nombreuses fonctions
Bénédicte JARRY
Directrice du développement culturel et de la médiathèque, commune de Suresnes
Les notions d’expertise et de connaissances professionnelles très pointues sont souvent associées à
l’image du conservateur. Il me semble que les conservateurs contribuent aujourd’hui à de nombreux
volets des politiques publiques, et notamment grâce à leur capacité à inscrire leurs projets dans les
projets de ville (éducation, formation, bibliothèques…). Par exemple, le positionnement du bibliothécaire
se joue dans sa relation avec le public. Dans ces lieux dédiés à l’autoformation et à l’accès aux savoirs, il
doit travailler à la conception de programmes pédagogiques. Dans le cas de Suresnes, nous bâtissons des
programmes de formation de relais tels que les enseignants, les auxiliaires de puériculture ou les
animateurs de centres de loisirs. De plus, nous tentons d’accompagner les publics par le biais de
médiations diverses. Le livre n’est pas le seul outil à notre disposition, la médiathèque de Suresnes
organise également des cycles de conférences. Notre objectif est de donner au public les outils de
compréhension du monde contemporain.
La fonction de conservateur est en outre une fonction de développement du lien social. En
effet, la bibliothèque est un lieu ouvert dans lequel il est possible d’entrer gratuitement et anonymement.
Le simple fait d’y croiser différentes personnes implique la création de lien social.
Nous travaillons actuellement à la rénovation du musée d’histoire de la ville de Suresnes. Nous souhaitons
centrer le propos de ce musée sur la période de l’entre-deux-guerres. Il s’agira d’un outil d’interprétation
du patrimoine architectural et urbain en deux temps : à la fois sur la ville et son évolution, mais aussi
dans la ville, avec un parcours dans les rues de Suresnes. En communiquant sur l’identité de cette ville,
nous contribuons au rayonnement du territoire et au fait d’attirer de nouveaux publics.
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Entretiens territoriaux de Strasbourg – 2 et 3 décembre 2009
Au cœur de l’activité des conservateurs, on retrouve les projets d’établissement comme les politiques
d’éducation, de formation, les projets d’urbanismes ou les aspects sociaux. De plus, le conservateur est
un chef de projet, qui doit s’interroger sur les questions de ressources humaines et de management
opérationnel. Faire émerger un projet avec une équipe nécessite des qualités de dialogue,
d’écoute et d’intelligence des organisations. En analysant son environnement et ses missions, il doit
aussi se pencher sur la question du management stratégique.
Pour finir, je pense qu’un profil aussi intéressant que celui du conservateur doit davantage être intégré
dans les équipes de direction des collectivités. En effet, il contribue largement à bâtir la symbolique et
l’identité du territoire.
Échanges avec la salle
De la salle (Ville de Suresnes)
Pour lutter contre le consumérisme culturel, le rapport à l’usager doit être construit dans la proximité. Il
est vrai que les gestionnaires ont parfois du mal à donner du sens aux actions. Ce sont les gens qui
travaillent dans des structures telles que les musées ou les bibliothèques qui font le mieux participer les
citoyens.
De la salle (élève conservateur)
Dans votre travail, quelle place donnez-vous aux associations ?
Bénédicte JARRY
Localement, les situations peuvent être très différentes. Dans le cas de Suresnes, le tissu associatif n’est
pas suffisamment développé dans ces domaines.
Étienne ACHILLE
Le conseil régional aide les associations qui s’engagent dans le champ culturel, social et dans celui de la
démocratie participative. Pour ce qui est du développement de la vie citoyenne, de l’aide à projets
citoyens ou du soutien aux réseaux des associations pour l’éducation populaire, la culture est
généralement un formidable levier.
Julie FAURE
Nous travaillons avec les associations et les considérons à leur juste valeur ; leurs membres sont des
personnes ressources qui connaissent le territoire, ont réalisé des recherches et possèdent parfois des
documents intéressants.
Michael DELAFOSSE
Même dans le cas de pratiques amateurs, les institutions doivent soutenir les gens passionnés par le
patrimoine. Les passionnées sont en effet des relais intéressants et leur existence dépend bien souvent
du soutien financier des collectivités. Nous devons travailler avec ces associations et construire des
synergies, même si nos fonctionnements sont très différents. La création de ce que j’appelle une
« coalition de conviction » permet de donner du sens à la question de la culture sur les territoires.
La construction d’une politique culturelle qui s’appuie sur de multiples partenariats permet de « tirer les
gens vers le haut » et de les amener à s’intéresser à des domaines plus pointus. Par exemple, nous
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organisons chaque mercredi des conférences scientifiques et gratuites ; nous devons refuser l’entrée à
certaines personnes tant il y a de monde. Même si le sujet est difficile, les gens se pressent pour profiter
d’un bon dispositif.
Julie FAURE
Il faut rappeler que nos métiers ont pour vocation de favoriser le jugement critique.
De la salle (élève conservateur)
Je pense aussi que le terme de « conservateur » véhicule une mauvaise image. Comment réaliser des
partenariats avec les universités, quand les responsables de collections ont l’impression que nous allons
les empêcher de faire des recherches et tout mettre sous cloche ?
Michael DELAFOSSE
Toutes les universités recèlent d’un abondant patrimoine scientifique et technique. Mais c’est un combat
de tous les instants pour réussir à recenser et à valoriser ces ressources. Il est impératif de trouver des
alliés au sein de l’Université qui puissent comprendre qu’il s’agit de valorisation et non de captation. Sans
arrogance, il faut mettre en place les conditions du respect et du dialogue pour aboutir à un dialogue
partagé.
Dans le cas du plan Campus, les collectivités territoriales abondent dans le budget des universités. Nous
avons donc engagé un dialogue contractuel avec elles et leur avons demandé de faire des efforts pour
protéger un important patrimoine qui, pour l’heure, est menacé. Nous allons donc nous doter de lieux
d’exposition car nous sommes disposés à exposer leurs collections. Ce sera surtout l’occasion de montrer
leur travail au grand public.
De la salle (élève conservateur)
Pour en revenir à la lutte face aux crises, quel rapport devons-nous entretenir avec la culture ?
Étienne ACHILLE
Je crois que la première méthode pour lutter contre la crise est de ne pas désarmer budgétairement. En
effet, il peut sembler évident à certains de prendre un million d’euros sur le budget culture – considéré
comme un poste de dépenses et non de recettes – pour le déplacer vers le budget des transports. Plus
que jamais, il faut prouver que ces métiers de la conservation ont beaucoup de valeur et qu’ils ont un
impact sur le territoire.
Ce document est une synthèse de conférence, les propos des intervenants ne
sont pas repris dans leur intégralité mais condensés.
Réalisation de la synthèse – www.averti.fr
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