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Quelques heures de la vie d’Isaac B.
« Isaac ! hurla madame B. en tapant au plafond avec son balai.
- Quoi ?
- Il est presque midi, on est samedi ! Qu’est –ce que tu fais ? Encore en train de t’astiquer !
- Hein ? Pas du tout ! J’arrive », grommela Isaac en reboutonnant son pantalon en velours. A
66 ans, Isaac B. vivait encore chez sa mère dans leur duplex de la rue Saint-Hyacinthe. Un
appartement aux murs jaunis payé par son père avant qu’il ne disparaisse « acheter des
clopes ». Visiblement très loin de son tabac habituel.
Malgré les objections de sa mère, Isaac B. avait décidé qu’il resterait ici avec elle.
« Tu n’es pas obligé ! lui avait-elle répondu affolée.
- Môman, c’est pour ton bien ! »
Issac B. avait connu un certain succès dans les années 70 avec un roman publié aux éditions
du Grivois. Manque de pot, selon lui, il était tombé à la mauvaise époque ! Tournier, Gary,
Gracq… Trop de monde ! Pour oublier, il passait ses journées à picoler. « Ce qu’est con, c’est
que plus tu bois, plus tu nous parles de ton fameux bouquin ! » disait son ami de comptoir
Lucien Snoul. Le camarade au nez vérolé du Ruby avait raison.
Et ce n’est pas la mère d’Isaac qui aurait dit le contraire. Surtout depuis qu’elle avait entendu
parler, par l’amie de la petite Crécy, d’un concours de nouvelles. « Isaac, c’est à ta portée !
Une page, il demande ! 2500 petits signes bon Dieu ! Ca te redonnera peut-être confiance »,
lui avait-elle répété.
En vain. Jusqu’à ce fameux samedi matin où elle menaça de le virer de l’appartement s’il
n’écrivait rien.
« On est le 24 septembre. Le concours se termine demain. Je veux ta nouvelle ce soir.
- Quoi ? Mais comment ?
- Ton ordinateur là ! T’es toujours fourré dessus ! Qu’il serve à quelque chose pour une fois.
- Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire ! Où je vais trouver l’inspiration ?
- Certainement pas dans ton slip, et encore moins au Ruby ! », conclut-elle en claquant la
porte.
Isaac fila au Ruby. Il y avait déjà foule. L’Anguille, Bobby, Le Caïman et Lucien en train de
draguer Molly, la petite serveuse irlandaise.
« Alors, Isaac, t’en fais une gueule !
- M’en parle pas. Faut que j’écrive une putain de nouvelle ! Sinon, ma mère me vire…
- Oh merde. T’as qu’à raconter la fois où tu t’es fait sauter par Noureev ! Ou quand tu as
vomi ton andouillette sur l’ambassadeur de Nouvelle-Guinée ! Qu’est-ce qu’on s’était
marré !
- Arrête tes conneries ! Molly, sers-moi un ballon !
- Bah, raconte ta journée. Ils font tous ça maintenant les auteurs ! »

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