Le personnage du fou dans La nuit des Rois
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Le personnage du fou dans La nuit des Rois
Distinguer chez Shakespeare, le clown (acteur: William Kemp) et le fool (acteur Armin) plus subtil. 1. Le fou-sage. - Les aphorismes. Le personnage du fou énonce au cours de la pièce un certain nombre de vérités générales. Il est dénué d’esprit, mais pas de sagesse, et comme il le dit en V, 1 « Mieux vaut un fou doué d’esprit qu’un bel esprit pétri de niaiserie ». Sa lucidité sur la folie est mise en valeur pas ces aphorismes : « la folie, Monsieur, fait le tour du monde, comme le soleil. (III, 1 p213 »). Il est aussi lucide sur le pouvoir du langage : « une phrase n’est qu’un gant de chevreau pour un esprit alerte : en un clin d’œil on vous l’a retournée du mauvais côté. » Viola elle-même a bien conscience de cet aspect du personnage et le valorise (III, 1 p215) : « voilà quelqu’un d’assez d’esprit pour faire un fou (…) C’est là un art aussi méticuleux que le métier de sage : car folie sagement maniée a son prix, mais sagesse en folie abdique tout esprit. » Elle insiste d’ailleurs dans cette même tirade, sur son rôle de commentateur, et c’est bien le cas, car Feste apporte une vérité sur les autres personnages. Il fait preuve d’adresse verbale, et du sens du paradoxe et du retournement: on peut se référer à I,5, lors de son échange avec Olivia. - Lucidité sur les personnages. La sagesse du fou s’exprime aussi dans sa lucidité sur les autres personnages. En I, 5 le fou montre à Olivia que c’est elle la folle. Son deuil est une folie, il n’est pas raisonnable, il ne reflète pas ce qu’elle est vraiment. De même, il demande une barbe pour Viola (I, 3 p213), ce qui est une façon de montrer qu’il n’est pas dupe des apparences, comme en témoigne sa réplique dans l’acte IV, scène 1 : « rien de ce qui est ainsi est ainsi. » En cela le personnage du fou suit une tradition bien ancrée à la Renaissance, celle de la folie porteuse de sagesse. Cela confère une certaine gravité au personnage, et l’on peut se demander s’il tient son rôle comique dans cette comédie. 2. Un personnage comique ? - Comique de gestes, de mots ? Dans la pièce, ce n’est pas le fou qui fait les calembours, dit les obscénités… Ce rôle est dévolu à Tobie. Le seul moment qui relève réellement de ce type de comique est quand le fou se déguise en prêtre. L’assistance admire le fait qu’il est un bon imitateur. (IV, 2 p319). Le comique repose ici sur l’inversion des valeurs (carnavalesque) : le discours religieux est trompeur. C’est la seule scène de farce où le fou est un rôle, or c’est déjà une forme de comique assez subtil… Comique de caractère et de situation quand il chasse Olivia - L’esprit. En fait, c’est son esprit (il est spirituel) qui séduit. Il fait des réparties avec aisance. Il convainc et retourne tous les personnages : Olivia, Orsino et Viola. Ses raisonnements spécieux lui permettent de retourner la situation (I, 5 p81). Il joue sur les mots et leur pouvoir trompeur. (III, 1 p209 et suivantes.) C’est donc un personnage au comique subtil, qui n’a pas un rôle de clown. C’est un personnage qui pousse à la réflexion et qui finit par paraître sortir de l’intrigue. Madame Potter-Daniau – année scolaire 2014-2015 Première Le personnage du fou dans La nuit des Rois C’est donc un personnage à part, issu de la tradition du fou-sage d’Erasme, un fou carnavalesque conscient de sa folie, lucide, qui met en valeur la folie des autres et l’illusion jusqu’à nous faire prendre nos distances avec la comédie elle-même, espace et temps de folie volés à la réalité de la vie. Madame Potter-Daniau – année scolaire 2014-2015 Première 3. Un médiateur. - Son rôle dans l’intrigue. Il n’a pas de rôle dans l’intrigue. Pour l’intrigue principale, c’est l’arrivée de Sébastien qui permet le dénouement, et pour l’intrigue autour de Malvolio, c’est lui qui apporte la lettre à Olivia mais à la demande de Malvolio. Son détachement, dans ces intrigues lui permet de jouer le rôle de médiateur entre les personnages et nous. - Entre les personnages et nous. C’est lui qui nous aide à comprendre les personnages et les enjeux de la pièce. C’est bien ce que montre la chanson finale : elle nous permet de revenir à la vie quotidienne, à la réalité du mariage, à la pluie nuit et jour. Il montre que la comédie est une fête, dans un temps de fête (le carnaval) qui n’est pas la réalité. Il nous ramène en douceur à la vie quotidienne, il montre que la pièce est un répit salutaire que l’on s’accorde, libérateur et tonique, mais qui n’est pas « la vraie vie »… Brise la convention théâtrale.