La psychologie face aux dérives sectaires
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La psychologie face aux dérives sectaires
LES SEC TE S La psychologie face aux dérives sectaires Enjeux et problèmes Psychoscope 2/2015 Il n’existe pas de psychologie des sectes à proprement parler. Mais les victimes de dérives sectaires ont, lorsqu’elles se sont libérées des mécanismes d’emprise, souvent besoin de l’aide et du soutien de professionnels. DAN IÈL E MULLE R T ULLI, F R AN C ELIN E JAMES, C ATAR IN A P ER EIR A D’un point de vue étymologique, le mot « secte » vient du latin « secta », qui signifie « une voie que l’on suit ». Un terme dérivé du verbe « sequi », qui signifie « suivre ». Il a d’abord désigné un ensemble d’individus partageant une même doctrine philosophique, ésotérique ou religieuse. Ou un groupe plus ou moins important de fidèles qui se détachent de l’enseignement officiel d’une Église et qui créent leur propre doctrine, comme le fut par exemple le christianisme par rapport au judaïsme. Une secte peut aussi désigner une branche d’une religion, une école particulière. En ce sens, le mot n’a rien de péjoratif. Sur le plan juridique, l’Union Européenne (UE) ne définit pas de délit de secte. Ce sont les règles qui garantissent la liberté de religion, la liberté de conscience et le droit d’association qui s’appliquent, des principes constituant le fondement de nos démocraties. Dans le langage courant, le terme de « secte » désigne de nos jours un groupe ou une organisation, le plus souvent à connotation religieuse, dont les croyances ou le comportement sont jugés obscurs ou dangereux pour le reste de la société. Les responsables de ces groupes sont d’une part souvent accusés de bafouer les libertés individuelles, de porter atteinte aux Droits de l’homme, ainsi que de manipuler mentalement leurs « disciples » afin de s’approprier leurs biens et de les maintenir sous emprise. Ils sont d’autre part accusés d’être une menace pour l’ordre social. Cette lecture négative du terme de « secte » est récusée par les groupes visés, ainsi que par nombre de sociologues qui préfèrent au terme de « secte » celui de « nouveau mouvement religieux » (NMR). Cette expression ne couvre toutefois pas toutes les catégories des groupes que l’on nomme aujourd’hui « à dérives sectaires ». Bildlegende Bildlegende Bildlegende LES SEC TE S Le premier mouvement à « séduire » de jeunes français fut la secte Moon (Eglise de l’Unification), arrivée en Europe dans les années 1970, venant des EtatsUnis à travers l’Allemagne. Son objectif avoué était d’unifier les chrétiens. En réalité, ses buts étaient aussi très politiques : faire la chasse au communisme. A la suite de Moon, de nombreux groupes se sont implantés en Europe de l’Ouest. Aujourd’hui, dans une Suisse frileuse quant à l’appellation de ces mouvements, on peut considérer qu’environ 1 % de la population serait concernée à différents degrés. Pour repérer ces groupes, les spécialistes en la matière se basent sur une série de critères dont la rupture avec les liens antérieurs, la toute-puissance du leader, la pensée unique, la vérité dans le groupe, le refus des lois et la menace à l’ordre social, l’exploitation financière, l’exploitation sexuelle et la déstabilisation mentale. La difficulté d’en sortir n’est pas la moindre des caractéristiques de ces groupes, qui profèrent souvent des menaces aux apostats. Le groupe, constitué autour du leader, vit dans un monde culturel fermé, avec son langage propre et ses rituels particuliers. Ce monde clos permet au leader de modeler le psychisme des adeptes suivant sa propre pensée, d’y entrer « par effraction » et d’en prendre le contrôle. Ce sont du moins des témoignages de ce type que recueillent les associations de défense des victimes. Des victimes qui, une fois libérées de l’emprise de leur gourou, viennent demander aide et soutien dans l’espoir de retrouver leur personnalité d’avant la secte. La psychologie des victimes de dérives sectaires Il n’y pas à proprement parler de psychologie des sectes : l’expression est inappropriée pour décrire son objet. Même s’il était possible de décrire en termes psychologiques le fonctionnement de groupes plus ou moins importants relevant de cette définition, on n’arriverait pas à cerner le noyau de la question, à savoir les mécanismes qui font que des individus se retrouvent dans de tels mouvements. Plutôt que de « psychologie des sectes », nous parlons donc de « procédures sectaires », fondées sur des mécanismes d’emprise, qu’il s’agit alors de décrire en termes d’interaction entre un groupe et un individu donné. Nous ne parlons pas davantage de « psychologie des adeptes ». N’importe qui 21 Les mécanismes d’emprise sont sont difficiles à définir. Psychoscope 2/2015 LES SEC TE S Bildlegende Bildlegende Bildlegende Bildlegende Bildlegende Bildlegende Bildlegende Bildlegende Bildlegende peut se retrouver dans un mouvement sectaire. Il n’est pas possible de définir un profil-type de personnalité susceptible de se retrouver sous l’emprise d’un mouvement. Cliniquement, c’est à la psychologie des victimes de dérives sectaires que nous avons à faire. Aider des victimes, et non des malades, contraint à s’intéresser au dedans et au dehors : à la personne traumatisée, et à l’agent humain traumatisant. La thérapie porte donc sur l’effraction qui s’est produite : les failles des enveloppes psychiques qui l’ont permise, la décontamination du sujet qui avait été envahi par l’agent traumatisant et la ré-affiliation du sujet transformé par cette expérience. Vingt ans après les massacres perpétrés par l’ordre du Temple solaire (OTS) en 1994, le risque d’autres drames existe toujours. Les mouvements sectaires exigent potentiellement de leurs adeptes un dévouement sans limite, une obéissance aveugle, jusqu’à la mort s’il le faut. Comme en témoigne une ex-adepte par rapport au mouvement d’obédience chrétienne dont elle est sortie après des années : « On vivait sans cesse avec la pensée de l’au-delà, la mort était magnifiée comme une apothéose : aller au Paradis. Mais ce n’est pas " la mort " sordide ! Toute " attaque " par le monde extérieur réactualise ce à quoi tend tout le mouvement, cet au-delà parfait au nom duquel on n’est jamais dans le présent. On est sans cesse " boosté " pour cette autre dimension, manipulable, tantôt maltraité tantôt récompensé en vue de cette entrée prématurée au Paradis ». Il n’y a pas, à notre avis, « sectes et sectes ». Mais plutôt divers degrés de dérive vers un tel fonctionnement. Les personnes que nous recevons en consultation ont subi des tentatives délibérées de destruction psychique, au même titre que les victimes de viol ou de torture. Ce qui nous permet d’affirmer qu’elles sortent bien d’une secte. 22 LES AUTEURES Danièle Muller Tulli, Franceline James et Catarina Pereira font partie d’un groupe de co-thérapeutes qui s’occupe depuis 2006 de victimes de dérives sectaires dans le cadre de l’Association Genevoise pour l’Ethnopsychiatrie. Cette consultation fonctionne selon les mêmes principes théoriques et cliniques que celle d’ethnopsychiatrie ouverte en 1990 et destinée aux patient-e-s migrant-e-s. Leur groupe est indépendant, les co-thérapeutes y travaillent de manière bénévole et ne sont rattachés à un aucun autre groupement, parti, mouvement ou institution. CONTACT [email protected] www.ethnopsychiatrie.ch