Limitation des mandats en electifs en Afrique: cas du Burkina

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Limitation des mandats en electifs en Afrique: cas du Burkina
« La limitation du nombre de mandats présidentiels en
Afrique : le cas du Burkina Faso »
Avertissement : Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement le point de vue du Conseil
d’administration du CGD et doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Résumé
Au Burkina Faso, la limitation du nombre de mandats présidentiels fait partie de la
tradition constitutionnelle burkinabè. A l’exception de la Constitution de la 1e république,
toutes les autres Constitutions ont consacré la clause limitative du nombre de mandats
présidentiels, même si elle n’a jamais été respectée en pratique, soit du fait de la succession
des coups d’Etat qui ont mis fin aux régimes constitutionnels des 2e et 3e Républiques, soit du
fait des manipulations constitutionnelles sous la 4e République.
Pourtant, l’analyse des données des enquêtes Afrobaromètre montre que les Africains
en général et les Burkinabè en particulier sont majoritairement favorables à la limitation du
nombre de mandats présidentiels. Ce constat empirique va à l’encontre du discours dominant
véhiculé par certaines personnes selon lesquelles les Africains, en raison de leur culture
politique s’accommoderaient davantage de Chefs aux pouvoirs illimités. Plus
particulièrement, la majorité des Burkinabè ne souhaite pas que la Constitution de juin 1991
soit modifiée pour permettre au président Blaise Compaoré de se présenter à un nouveau
mandat au-delà de 2015.
1
Introduction
En Afrique, la plupart des Constitutions des années 90 ont consacré la clause
limitative du nombre de mandats présidentiels. Pour des raisons tactiques, plusieurs présidents
africains, dont certains sont parvenus au pouvoir à la suite de coups d’Etat militaire, ont
concédé, bon gré mal gré, le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels au
moment de l’établissement des nouvelles Constitutions.
Au Burkina Faso, à l’exception du régime monopartiste et présidentialiste de la 1e
République (1960-1966) où le Président de la République était indéfiniment et
immédiatement rééligible (article 9 de la Constitution), tous les autres régimes
constitutionnels qui se sont succédés ont institué la limitation du nombre de mandats
présidentiels. Ainsi, sous la 2e République, l’article 25 de la constitution de juin 1970
disposait que « le président sortant est rééligible ; toutefois, il ne peut exercer plus de deux
mandats successifs sans discontinuité ». Sous la 3e République, l’article 14 de la constitution
de novembre 1977, plus précis, disposait que « le Président sortant est rééligible. Nul ne peut
exercer plus de deux mandats consécutifs. En tout état de cause, nul ne peut postuler à un
troisième mandat qu’après une interruption effective de cinq ans ». C’est donc dans cette
continuité que s’inscrira le constituant burkinabè de la 4e République. En effet, la limitation
du nombre de mandats présidentiels est une règle prévue par l’article 37 de la Constitution du
2 juin 1991 interdisant à un Président qui a déjà exercé deux (2) mandats, de se présenter de
nouveau comme candidat à un 3e mandat consécutif.
En France, la Constitution de 1958 actuellement en vigueur ne prévoyait pas à
l’origine de clause limitative du nombre de mandats présidentiels. Cela a souvent servi de
prétexte pour certains présidents africains pour dire qu’une telle clause était antidémocratique. Mais depuis la révision constitutionnelle de 2008, la France a rejoint bon
nombre de pays africains. Désormais, la Constitution française prévoit qu’aucun président ne
peut exercer plus de deux (2) mandats consécutifs de cinq (5) ans, même si dans la pratique,
aucun président français n’a pu exercer plus de deux mandats.
Dans plusieurs Etats africains, après l’expiration des premiers mandats présidentiels
exercés sous l’empire des nouvelles Constitutions, on va assister à une remise en cause des
clauses gênantes pour les présidents sortants. Le Burkina Faso est le premier pays africain à
s’être illustré par cette pratique depuis la vague de démocratisation survenue en Afrique à la
fin des années 80, avec la révision constitutionnelle de janvier 1997. Mais trois ans plus tard,
la clause limitant le nombre de mandats présidentiels a été rétablie par le pouvoir en place, sur
recommandation du Collège des sages. Désormais, aucun président ne peut exercer plus de
deux (2) mandats consécutifs. Malgré cela, le Conseil constitutionnel a décidé en octobre
2005 que le président Compaoré pouvait encore être candidat pour deux nouveaux mandats,
retardant ainsi les effets de la clause limitative. Réélu en novembre 2005, ce dernier est
rééligible pour un dernier mandat en 2010. S’il est élu, il ne pourra plus juridiquement se
présenter à l’élection présidentielle de 2015.
Mais depuis la tenue en juillet 2009 d’un congrès du parti au pouvoir, il est question
d’une révision de la Constitution burkinabè. Certes, la suppression de la clause limitative du
2
nombre de mandats présidentiels n’a pas été mentionnée expressément. Cependant, depuis
quelques mois, certaines voix appellent plus ou moins ouvertement à sauter le verrou de la
limitation du nombre de mandats présidentiels. Pourtant, les expériences africaines
démontrent à souhait que la clause limitative est non seulement soutenue par les Africains en
général et les Burkinabè en particulier (I), mais également un mécanisme de consolidation de
la gouvernance démocratique (II) qui doit être défendu par tous les démocrates.
I UNE CLAUSE MAJORITAIREMENT SOUTENUE PAR LES POPULATIONS
1. Sources de données et rappel méthodologique
Afrobaromètre est un réseau d’institutions de recherche couvrant une vingtaine de
pays africains et qui mène des recherches sur les opinions des Africains face aux problèmes
économiques, politiques et sociaux en Afrique sub-saharienne. Les enquêtes du réseau
consistent à recueillir les points de vue des citoyens ordinaires sur la gouvernance, la
démocratie, la réforme économique, la société civile et la qualité de vie dans leurs pays
respectifs. L’édition 2008 (round 4)1 des enquêtes Afrobaromètre au Burkina Faso a été
conduite par le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) avec l’appui technique du
réseau Afrobaromètre, plus particulièrement avec l’appui de l’Institut de Recherche
Empirique en Economie politique (IREEP) basé à Cotonou (Bénin) mais aussi avec celui de
l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD) du Burkina Faso, en ce qui
concerne le tirage des zones de dénombrement et l’accès à sa base cartographique. L’enquête
a été réalisée sur un échantillon aléatoire de 1200 individus ayant plus de 18 ans et résidant
dans les treize régions du pays. Les interviews ont été menées en face-à-face dans la langue
parlée par l’interviewé2.
L’enquête réalisée comporte deux atouts majeurs :
La représentativité de l’échantillon au niveau national, régional, provincial, suivant le
milieu de résidence et la parité homme/femme. Cette caractéristique permet de
présenter des résultats valides qui reflètent l’opinion de l’ensemble de la population
burkinabè.
Le caractère standard du questionnaire avec un mode d’échantillonnage analogue à
ceux des autres pays offre les possibilités d’une analyse comparative dans l’espace
puisque la même enquête est menée dans les autres pays membres du réseau.
Les caractéristiques de l’échantillon se résument dans le tableau ci-après :
1
Les enquêtes Afrobaromètre sont à leur quatrième édition (round 4). Cependant le Burkina Faso n’a intégré le
réseau qu’en 2008. Le pays est donc à sa première enquête Afrobaromètre. Celle-ci a été conduite par le CGD,
sous la supervision directe du réseau.
2
Quatre langues ont été retenues pour les enquêtes Afrobaromètre round 4 au Burkina Faso. Il s’agit de la langue
officielle, le français et de trois langues nationales : le mooré, le dioula et le fulfuldé.
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Tableau n°1 : Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon du Burkina Faso
Variables
Catégories
Milieu de résidence Urbain
Genre
Age
27
Rural
73
Homme
50
Femme
50
Moyen
37
Médian
33
18-34 ans
51
35-54 ans
31
55 ans et plus
18
Niveau d’éducation Pas d'enseignement formel/enseignement informel
Région
Pourcentage (%)
61
Primaire
18
Secondaire
18
Universitaire
3
Boucle du Mouhoun
9,9
Cascades
3,3
Centre
14,0
Centre-Est
8,1
Centre-Nord
8,7
Centre-Ouest
8,0
Centre-Sud
4,7
Est
7,3
Hauts-Bassins
11,3
Nord
8,0
Plateau Central
4,7
Sahel
7,3
Sud-Ouest
4,7
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008/CGD
4
2. Les opinions sur la limitation du nombre de mandats présidentiels
Les enquêtes par sondage montrent que les opinions africaines contemporaines sont
majoritairement favorables à la limitation du nombre de mandats présidentiels (graphique
n°1) ; ce qui va à l’encontre des idées reçues selon lesquelles une telle limitation serait
contraire à une prétendue tradition ou culture africaine selon laquelle un chef africain exerce
un pouvoir à vie.
A l’instar des enquêtés des autres pays africains où une enquête Afrobaromètre a été
conduite en 2008, il était demandé aux enquêtés burkinabè de choisir parmi les deux
affirmations ci-après, celle qui se rapprochait le plus de leur opinion :
- « La Constitution devrait limiter l’exercice de la fonction de Président de la
République [du Faso] à deux mandats » ;
- Il ne devrait pas avoir de limite constitutionnelle au nombre de mandats du Président
du Faso.
Graphique 1 : Opinions Afrobaromètre sur la limitation du nombre de mandats
présidentiels en Afrique(en %).
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008
Dans la vingtaine de pays africains couverts par l’enquête, la majorité des répondants
est favorable à la limitation. En moyenne, plus de deux répondants sur trois y sont favorables.
5
Dans la région ouest-africaine, les Burkinabè y sont également favorables dans l’ensemble
(53%) même si c’est à un niveau moindre que leurs voisins du Ghana (73%), du Bénin (75%)
ou du Mali (78%), comme le montrent le graphique 1 ci-dessus et le graphique 2 ci-dessous.
Graphique 2 : Opinions sur la limitation du nombre de mandats présidentiels au
Burkina Faso.
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008/ CGD
Comment expliquer que les Burkinabè soient relativement moins nombreux que leurs
voisins à plébisciter la limitation du nombre de mandats présidentiels ? L’une des réponses
possibles pourrait être le leadership exercé par le président Compaoré sur la scène politique
burkinabè depuis pratiquement un quart de siècle ; ce qui finit par lui donner une image
d’homme providentiel, indispensable. Compte tenu de ce leadership, il nous a paru pertinent
de spécifier la question sur la limitation du nombre de mandats présidentiels. C’est pourquoi
nous avons introduit dans le questionnaire standard d’Afrobaromètre la question spécifique
suivante : «en application de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels, le
président Blaise Compaoré ne pourra plus se présenter en 2015 pour un autre mandat. Seriezvous d’accord ou en désaccord que la Constitution soit modifiée pour lui permettre de se
présenter à un nouveau mandat ? ». Le but est de savoir si les Burkinabè, favorables dans le
principe à la limitation du nombre de mandats présidentiels, y seraient opposés si la clause
limitative venait à s’appliquer à « l’homme providentiel ».
L’analyse des résultats montre que dans l’ensemble, la tendance majoritairement
favorable à la limitation du nombre de mandats présidentiels subsiste, quoiqu’elle passe en
dessous de la barre des 50%. Plus exactement, 46% des répondants sont hostiles à une
révision constitutionnelle qui permettrait au président Blaise Compaoré de se présenter en
2015 pour un autre mandat, contre 40% d’opinions favorables. On observe également que la
proportion des indécis augmente, passant d’environ 8% à environ 11%. Dans un pays où la
6
succession du président constitue un tabou, une telle question peut être perçue par les
enquêtés comme sensible ou comportant des risques. Ce qui peut conduire ces derniers à
dissimuler par prudence ou par peur, leurs véritables opinions, soit en se réfugiant dans les
« sans opinions » soit en exprimant une opinion favorable au maintien au pouvoir du président
Compaoré. En dépit de la sensibilité de la question, on observe que la proportion des
Burkinabè hostiles à un « tripatouillage » de la Constitution est relativement plus forte (6% de
différence).
En croisant ces données avec les variables sociodémographiques, l’on constate les
tendances suivantes :
-
les hommes (54%) sont plus favorables au principe de la limitation que les femmes
(46%)3 ;
-
les citadins (63%) plus que les ruraux (49%)4 ;
-
les instruits5 (66%) plus que les non-instruits (48%)6 ;
-
les jeunes7 (56%) plus que les plus âgés (51%)8.
Graphique 3. : Opinions sur la limitation du nombre de mandats présidentiels au
Burkina Faso selon les catégories sociodémographiques (en %).
3
35% des hommes sont opposés à la limitation et 38% des femmes y sont opposées.
27% des citadins sont contre et 40% des ruraux sont contre.
5
Les instruits sont les répondants disposant d’un niveau d’instruction supérieur ou égal à l’enseignement
primaire, par opposition aux non-instruits qui sont les répondants n’ayant pas reçu d'enseignement formel ou
ayant bénéficié juste d’un enseignement informel.
6
29% des instruits sont opposés et 39% des non-instruits sont contre.
7
Les jeunes sont les répondants âgés d’au plus 34 ans.
8
36% des jeunes sont contre et 37% des plus âgés sont contre.
4
7
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008/ CGD
L’analyse des données croisées montre les mêmes tendances lorsque la clause est
appliquée au président Compaoré :
-
les hommes (50%) demeurent plus hostiles à une révision constitutionnelle qui
permettrait au président de se présenter à un nouveau mandat en 2015 que les femmes
(43%)9,
-
les urbains (54%) plus hostiles que les ruraux (44%)10
-
les instruits (62%) plus que les non-instruits (41%)11
-
les jeunes (50%) plus que les plus âgés (45%)12.
Graphique 4: Opinions sur l’éventuelle candidature anticonstitutionnelle de Blaise
Compaoré à l’élection présidentielle de 2015.
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008/CGD
Quelle que soit la variable sociodémographique utilisée pour le croisement, le nombre
de Burkinabè favorables au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels est
supérieur au nombre de Burkinabè qui y sont opposés, même si chez les ruraux et chez les
non-instruits, l’écart se resserre (écart de 9% en faveur de la limitation). L’écart se resserre
9
40% des hommes sont favorables à une révision constitutionnelle et 41% des femmes y sont favorables.
34% des citadins sont favorables à une révision constitutionnelle et 43% des ruraux y sont favorables.
11
31% des instruits sont favorables à une révision constitutionnelle et 44% des non-instruits y sont favorables.
12
41% des jeunes sont favorables à une révision constitutionnelle et 39% des plus âgés y sont favorables.
10
8
davantage lorsque la clause limitative est appliquée au président Compaoré, notamment chez
les femmes (43% d’opinions hostiles à la révision contre 41% d’opinions favorables) et chez
les ruraux (44% d’opinions hostiles à la révision contre 43% d’opinions favorables). Mais
surtout c’est chez les non-instruits où la proportion des répondants favorables (44%) à une
révision constitutionnelle permettant au président Compaoré de se présenter en 2015 à un
nouveau mandat dépasse légèrement celle des répondants qui sont hostiles à une telle
éventualité (41%).
Graphique 5 : Opinions (selon les catégories sociodémographiques) sur l’hypothèse
d’une candidature de Blaise Compaoré à l’élection présidentielle de 2015.
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008/ CGD
Sept régions du Burkina Faso sur les treize sont les moins favorables à l’hypothèse
d’une suppression de la clause limitative. En effet, dans les régions de la Boucle du Mouhoun,
du Centre, du Centre-Ouest, du Centre-Sud, de l’Est, des Hauts-Bassins et du Sahel, plus d’un
citoyen sur deux est favorable à ce que la Constitution limite l’exercice de la fonction de
Président du Faso à deux mandats13. Les régions les plus enclines à une extension de cet
exercice à plus de deux mandats sont celles des Cascades, du Centre-Nord et du Sud-Ouest.
Ainsi, trois répondants de la région des Cascades sur cinq, plus de la moitié des répondants
des régions du Centre-Nord (54%) et du Sud-Ouest (52%) sont défavorables à la limitation du
nombre de mandats présidentiels.
Lorsqu’on fait référence à la modification de la Constitution en 2015 pour permettre
au président Blaise Compaoré de se présenter à un nouveau mandat, la région du Sud-Ouest
13
Respectivement, environ 61% des habitants de la région de la Boucle du Mouhoun, environ 67% des habitants
de la région du Centre, environ 65% des habitants de la région du Centre-Ouest, environ 61% des habitants de la
région du Centre-Sud, environ 53% des habitants de la région de l’Est, environ 57% des habitants de la région
des Hauts-Bassins et la moitié des habitants de la région du Sahel sont d’accord que la Constitution devrait
limiter l’exercice de la fonction de Président du Faso à deux mandats.
9
est la seule région où nous avons au moins la moitié des habitants (50%) qui est d’accord
qu’elle soit modifiée pour lui permettre de se présenter à un nouveau mandat. Les régions les
plus défavorables à ce « tripatouillage constitutionnel » où plus de la moitié des habitants est
en désaccord que la Constitution soit modifiée en 2015 pour lui permettre de se présenter à un
nouveau mandat sont celles du Centre, du Centre-Nord, du Nord et du Sahel où nous avons
respectivement, environ 57%, 51%, environ 65% et environ 53% des habitants qui rejettent la
modification de la constitution en 2015. Les habitants des régions de l’Est et du Plateau
Central sont ceux qui semblent les plus indécis face à cette question (Voir graphique 6). Ainsi,
dans ces deux régions, plus d’un habitant sur quatre affirme ne pas savoir s’il faut ou s’il ne
faut pas modifier la Constitution pour permettre au président actuel de briguer un nouveau
mandat en 2015 (28% des répondants de l’Est et 34% des répondants du plateau central).
Graphique 6 : Opinions dans les 13 régions sur l’hypothèse d’une candidature de Blaise
Compaoré à l’élection présidentielle de 2015.
Source : Enquête Afrobaromètre, Round 4, Burkina 2008/ CGD
10
II UN MECANISME DE CONSOLIDATION DE LA GOUVERNANCE
DEMOCRATIQUE
Quels sont les fondements de la limitation de nombre de mandats présidentiels ? Quels
en sont les avantages et inconvénients ? Ce sont là autant de questions auxquels nous
tenterons d’apporter des réponses.
1. Pourquoi doit-on limiter les mandats présidentiels ?
Le débat sur le bien-fondé du principe de la limitation du nombre de mandats
présidentiels doit être situé dans une perspective historique, car il n’est ni spécifiquement
africain encore moins burkinabè, ni particulièrement contemporain. Ce principe a pour
corollaire la rotation des postes, c’est-à-dire l’obligation pour le détenteur d’un poste de le
quitter après une certaine période. Il a été théorisé et pratiqué par les démocraties antiques, et
revisité par les pères fondateurs de la démocratie représentative moderne. La notion de
rotation aux postes, dont le pendant moderne est la limitation du nombre de mandats électifs,
est profondément enracinée dans la pensée politique républicaine classique. A Athènes, la
plupart des fonctions que n’exerçait pas l’Assemblée du peuple étaient confiées à des citoyens
de plus de trente ans, candidats, tirés au sort, pour un mandat d’un an, renouvelable une seule
fois14. La rotation était également pratiquée à Rome et dans les cités-Etats de Venise et de
Florence de la Renaissance. A travers les écrits de Machiavel et d’autres commentateurs du
XVIe siècle, le principe et la pratique de la rotation seront introduits dans la pensée politique
anglaise et américaine des 17e et 18e siècles.
En Afrique, les peuples africains ont été conduits à limiter le nombre de mandats
présidentiels en tirant les leçons du passé. L’absence de limitation est en effet associée aux
abus de pouvoir et aux longues dictatures qui ont sévi sur le continent africain dans les années
60 à 90. Sous prétexte de terminer des « chantiers », sous prétexte qu’en Afrique les chefs et
les rois exercent un pouvoir à vie, de nombreux chefs d’Etat africains se sont accrochés au
pouvoir pendant 20, 30, voire 40 ans ! Avec un bilan désastreux en terme d’aggravation de la
pauvreté, de violation massive des droits de l’homme, de conflits de succession, voire de
guerre civile. L’expérience de ces Chefs d’Etat a ainsi montré de manière éloquente qu’audelà de dix ans, les hommes sont fatigués, atteints par l’usure du pouvoir et ne peuvent plus
innover dans la résolution des problèmes de leurs peuples. Les présidents africains bénéficiant
de larges pouvoirs face à la faiblesse du parlement, du pouvoir judiciaire, des partis politiques
et de la société civile, leur réélection plusieurs fois de suite risque de les conduire à confisquer
le pouvoir du peuple et de se prendre pour des dieux ou des gens indispensables. C’est pour
cela que les peuples ont jugé plus sage de limiter le nombre de mandats présidentiels pour
limiter les « dérives » du pouvoir présidentiel dans le temps, et éviter à leur pays la dictature
de « l’homme providentiel » davantage préoccupé à s’accrocher au pouvoir et à ses privilèges
qu’à renforcer les capacités de l’Etat à promouvoir le développement et la démocratie. La
limitation permet de préserver les présidents de l’obsession de s’accrocher au pouvoir, ce qui
les obligent à consacrer toutes leurs énergies à la résolution des problèmes du pays. Elle
renforce aussi la distinction entre l’Etat et la personne qui a été élue comme Chef d’Etat, ce
14
Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Champs, Flammarion, 1996, p. 23 et ss.
11
qui permet d’éviter ou du moins de limiter la confusion entre le domaine de l’Etat et le
domaine de la personne qui a été élu à la tête de l’Etat.
2. Quels sont les avantages de la limitation du nombre de mandats présidentiels ?
Au Burkina Faso, le collège des sages, mis en place par le président Compaoré afin de
lui proposer des pistes de sortie de crise politique consécutive à l’assassinat du journaliste
Norbert Zongo, avait recommandé de « revenir sur la modification de l’article 37 de la
Constitution et y réintroduire le principe de la limitation à deux mandats présidentiels
consécutifs. En effet, sa révision en 1997, quoique conforme à l’article 164 alinéa 3 de la
Constitution, touche à un point capital pour notre jeune démocratie : le principe de
l’alternance politique rendu obligatoire par le texte constitutionnel de 1991 ». En réalité, la
limitation du nombre de mandats présidentiels n’entraîne pas nécessairement l’alternance,
comme le pensent certains détracteurs ou partisans de cette limitation, même l’expérience de
certains pays comme le Ghana suggèrent une forte corrélation entre les deux phénomènes. En
effet, l’alternance suppose un transfert de rôles entre l’opposition et la majorité, à la suite
d’une élection remportée par l’opposition et perdue par le pouvoir. On peut donc imaginer
qu’un même parti reste au pouvoir malgré l’application de la clause limitative si les électeurs
ne veulent pas d’une alternance.
En fait, plus que l’alternance, la limitation du nombre de mandats présidentiels a
pour principal effet de favoriser la circulation des élites, y compris au sein du parti au
pouvoir ; ce qui constitue l’un de ses nombreux avantages. Limiter à deux le nombre de
mandats qu’un président peut exercer, c’est favoriser le renouvellement de l’élite dirigeante,
c’est permettre à d’autres citoyens compétents, issus du parti au pouvoir ou des partis
politiques de l’opposition d’accéder à la fonction présidentielle et de mettre ainsi leurs
compétences au service du pays. C’est donc un bon moyen de favoriser l’innovation, le
changement et l’émergence de nouvelles idées dans la quête du développement et de la
démocratie dans un pays, face à la fatigue et l’usure qui frappe tout homme qui reste au
pouvoir trop longtemps. Enfin, la limitation du nombre de mandats présidentiels permet
d’assurer des successions plus ouvertes et plus pacifiques. Dans les pays africains où la règle
de la limitation est respectée, la compétition électorale est plus ouverte, plus équitable,
compte tenu du fait que le président sortant, qui a tendance à utiliser les moyens de l’Etat,
n’est plus éligible. Au contraire, quand un président dure longtemps au pouvoir, sa réélection
devient automatique, ce qui enlève toute signification au vote des électeurs. Pire, l’expérience
des pays africains montre qu’à la fin d’un long règne d’un président, son pays court le risque
de basculer dans la violence ou le coup d’Etat (Côte d’Ivoire, Togo, Guinée, etc.).
La limitation du nombre de mandats présidentiels est aussi un moyen de
promouvoir la bonne gouvernance. On sait en effet que toute personne qui a du pouvoir
aura tendance à en abuser. Les présidents de tous les pays n’échappent pas à ce risque. En
restant au pouvoir longtemps, ils risquent donc de s’identifier à l’Etat et de confondre le
patrimoine de l’Etat avec leur propre patrimoine. La clause limitative permet d’atténuer les
effets pervers du « présidentialisme négro-africain », qui bouleverse la séparation et
l’équilibre des pouvoirs en conférant aux présidents africains des pouvoirs exorbitants. En
limitant le nombre de mandats présidentiels cela permet de leur rappeler qu’ils ne sont pas
propriétaires de la fonction présidentielle, qu’ils ne pourront bénéficier indéfiniment de
l’impunité et qu’ils doivent s’appliquer à bien exercer leur fonction dans l’intérêt du peuple, à
donner le meilleur d’eux-mêmes au cours de leur mandat limité, sous peine d’avoir à rendre
12
compte au peuple à la fin de leur mandat. Au contraire, l’absence de limitation favorise la
réélection automatique et la corruption des présidents, compte tenu des avantages et
ressources de l’Etat qu’ils ont tendance à utiliser pour convaincre, manipuler ou corrompre les
électeurs, les pauvres, analphabètes qu’ils sont les seuls à pouvoir diriger le pays. C’est pour
cela que la limitation du nombre de mandats présidentiels permet de limiter des abus du
pouvoir et donc de favoriser la bonne gouvernance dans un pays.
Il n’est guère étonnant que beaucoup de présidents africains et leurs entourages soient
opposés à la limitation du nombre de mandats présidentiels. Ils savent en effet qu’après deux
mandats, ils deviendront des citoyens ordinaires comme tout le monde, sans possibilité
d’utiliser à leur profit les moyens et les ressources de l’Etat. Et cela, beaucoup de présidents et
leurs entourages ne le supportent pas.
3. Y a-t-il des inconvénients à limiter le nombre de mandats présidentiels ?
Lors de la révision constitutionnelle de 1997, les initiateurs de la révision avaient
soutenu que la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels se justifiait
par la nécessité d’éviter que la fonction présidentielle ne soit assurée par des personnalités
médiocres. Devant le tollé suscité par une telle argumentation, ils ont avancé une autre
justification, à savoir qu’il s’agit d’une mesure qui limite arbitrairement la jouissance des
droits politiques par le citoyen alors que la volonté d’une meilleur jouissance des droits civils
et politiques est proclamée par l’article premier de la Constitution qui interdit les
discriminations. En réalité, cet argument rejoint le premier en ce sens qu’il vise à défendre la
cause d’une seule personne, le président sortant.
Les adversaires de la limitation du nombre de mandats présidentiels avancent aussi
d’autres arguments :
-
Ils affirment que c’est une atteinte à la souveraineté du peuple et que si le peuple
décide de confier son destin à une même personne tout le temps, pourquoi l’en
empêcher ?
-
D’autres ne craignent pas d’affirmer qu’en dehors du président sortant, personne
d’autre ne peut bien diriger le pays
-
Certains encore affirment que le président sortant a commencé des chantiers de
développement qu’il n’aurait pas terminé en dix ans et souhaitent par conséquent qu’il
reste au pouvoir.
A ces arguments on peut opposer les objections suivantes :
-
Certes la limitation du nombre de mandats présidentiels empêche le président sortant
de se présenter à un troisième mandat consécutif après dix ans au pouvoir. Mais cette
restriction comporte plus d’avantages que d’inconvénients comme on l’a indiqué plus
haut.
-
L’organe qui a établi la Constitution étant souverain, le peuple ayant de surcroît ratifié
la Constitution par référendum, c’est donc volontairement qu’il accepte de limiter à
deux le nombre de mandats présidentiels, et donc de limiter l’éventail de son choix.
D’ailleurs, les résultats des enquêtes Afrobaromètre menées dans plusieurs pays
13
africains dont le Burkina Faso montre que tous les Africains sont en grande majorité
favorables à la limitation du mandat présidentiel ;
-
Ceux qui se plaignent de la restriction de la liberté de choix du peuple méconnaissent
la réalité de ses conditions de vie. Le peuple étant majoritairement analphabète et
pauvre, sa liberté de choix est conditionnée par les pressions, les manipulations et la
corruption du pouvoir ; ce qui le conduit à des réélections automatiques des présidents
sortants. Si on observe bien la scène politique, on constate que ceux qui soutiennent
que la limitation du nombre de mandats présidentiels est une insulte à l’intelligence du
peuple sont souvent ceux-là qui, au lieu d’éduquer ce peuple, profitent de l’ignorance
et de la pauvreté pour manipuler les électeurs par l’argent ou par les autorités
coutumières ;
-
Il est ridicule de soutenir qu’une seule personne peut diriger le pays. Que se passera- t
il s’il en était ainsi lorsque cette personne venait à disparaître tôt ou tard ?
-
Il est tout aussi ridicule de prétexter la nécessité de terminer des chantiers. L’Etat est
une continuité. Il a existé avant l’élection du président et continuera de fonctionner
après lui. Comme le dit l’adage, « les individus passent mais l’Etat demeure ». Par
conséquent, ce qui est nécessaire, c’est de renforcer la capacité de l’Etat à continuer de
promouvoir le développement et la démocratie, au-delà de la personne même du chef
de cet Etat.
En confrontant les avantages et les inconvénients de la clause limitative du nombre de
mandats présidentiels, chacun peut objectivement comprendre pourquoi il existe en Afrique
une corrélation entre régimes constitutionnels démocratiques et respect de cette clause d’une
part, et à l’inverse, régimes constitutionnels autoritaires et absence de limitation du nombre de
mandats présidentiels d’autre part. Dans ces régimes autoritaires, les manipulations
constitutionnelles visant à supprimer la clause limitative sont en général précédées de
mouvements de populations manipulées exprimant leur soutien à « l’homme providentiel » et
réclamant son maintien au pouvoir. Pourtant, les enquêtes Afrobaromètre menées dans une
vingtaine de pays africains démontrent que les Africains sont majoritairement en faveur de la
limitation du nombre de mandats présidentiels.
Conclusion
Les manifestations publiques organisées ça et là en Afrique pour justifier les
manipulations constitutionnelles sont loin d’être spontanées. Mais ce qui est moins évident
c’est l’attachement des Africains à la clause limitative du nombre de mandats présidentiels,
contrairement aux idées reçues. Les données empiriques démontrent clairement que les
opinions africaines sont sans équivoque favorables à cette clause, alors que ceux qui
proclament le contraire n’ont aucune preuve empirique de leurs prétentions. La grande
majorité des Africains a en effet fait le choix de la République, et même ceux qui aspirent à la
monarchie semblent hésiter à la proclamer, alors qu’ils en ont les moyens juridiques et
politiques. Le défi à relever est donc d’œuvrer à ancrer dans les pratiques et les mœurs
politiques les valeurs républicaines et démocratiques proclamées par la Constitution, trop
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souvent bafouées au nom d’une prétendue tradition à laquelle ne se reconnaît pas l’Afrique
contemporaine. Ce défi doit être relevé par tous les démocrates par l’éducation, la
sensibilisation des populations dont l’ignorance ou la méconnaissance des valeurs
démocratiques est exploitée par des élites prédatrices pour conserver leur mainmise sur l’Etat
et ses ressources.
Comment expliquer qu’au Burkina Faso la clause limitative du nombre de mandats
présidentiels soit, par la volonté de certaines personnes, supprimée en 1997 et rétablie en 2000
par les députés, repoussée à 2015 par la volonté du Conseil constitutionnel, et qu’elle fasse
encore l’objet de tentative de manipulation depuis le mois de juin 2009 ? Les citoyens pétris
des valeurs démocratiques peuvent passivement laisser faire? N’est-il pas temps de s’engager,
ouvertement à titre individuel ou collectivement avec d’autres citoyens ou citoyennes dans le
cadre des partis politiques ou de la société civile, pour promouvoir ou défendre une clause
limitative conforme au bien commun, à l’intérêt général ?
Ce n’est pas parce que l’article 37 de la Constitution est révisable qu’il faut le réviser à
chaque fois qu’un président sortant amorce un dernier mandat électif. Au Bénin, la limitation
du nombre de mandats présidentiels ne fait pas partie des matières insusceptibles de révision
constitutionnelle. Cela n’a pas empêché la société civile béninoise à s’opposer avec succès et
à empêcher sa suppression face aux partisans du président Mathieu Kérékou. Dans ce pays, la
Cour constitutionnelle a censuré une loi constitutionnelle prolongeant le mandat des députés,
malgré le vote de ladite loi par la quasi totalité des députés béninois. Beaucoup d’ennemis de
la démocratie parviennent au pouvoir de manière démocratique, en respectant les procédures
constitutionnelles. Le débat actuellement lancé autour de l’article 37 de la Constitution n’est
donc pas une question juridique mais politique. Ce n’est pas une question de respect de
procédure mais une question de valeur. Quelles valeurs défendent les uns et les autres ?
Pourquoi à chaque fois changer les règles du jeu au cours du jeu ? Pourquoi à chaque fois
qu’il s’agit d’appliquer la règle, certains s’évertuent à inventer des stratagèmes pour éviter de
l’appliquer ? Où étaient ces courageux plaideurs de la non limitation en 2000 lorsque les
députés, en particulier les députés du parti majoritaire, ont rétabli la clause limitative sur
recommandation du Collège des sages ? Pourquoi n’ont-ils pas fait valoir leurs arguments à ce
moment là ? Peut-on continuer ainsi à soumettre notre Loi fondamentale aux aléas de la
conjoncture politique, selon qu’elle est favorable ou défavorable aux uns et autres ?
S’adressant aux Chefs d’Etat et de gouvernement africains, l’ancien Secrétaire général des
Nations Unies Kofi Annan soutenait qu’« il n’est pas de plus grande sagesse, de marque plus
évidente du sens de l’Etat que de savoir, le moment venu, passer le flambeau à la génération
suivante. Et des gouvernements ne devraient pas manipuler ou modifier la Constitution pour
se maintenir au pouvoir au-delà des mandats prescrits qu’ils ont acceptés lorsqu’ils ont pris
leurs fonctions… Les Constitutions existent pour servir les intérêts à long terme des sociétés
et non les objectifs à court terme des dirigeants»15.
Par conséquent, les citoyens, les démocrates du parti au pouvoir et de l’opposition
doivent se mobiliser pour exiger le respect de la règle de la limitation du nombre de mandats
15
Voir Sidwaya n° 5044 du Mardi 13 juillet 2004, p. 2.
15
présidentiels et s’opposer à sa suppression, compte tenu des avantages de cette règle. Pour
cela :
-
-
Les parlementaires ou les citoyens burkinabè (au moins 30.000 électeurs) peuvent
protéger la clause limitative du nombre de mandats présidentiels, en initiant une
révision constitutionnelle consistant à ajouter cette clause à la liste des matières pour
laquelle il est interdit de réviser la Constitution
Les parlementaires de la majorité et de l’opposition peuvent aussi refuser de voter
toute révision constitutionnelle ayant pour objet de supprimer cette clause
Tous les démocrates, citoyens ordinaires, partis politiques, organisations ou leaders de
la société civile, syndicalistes, journalistes, intellectuels, etc. doivent aussi se mobiliser
pour faire échec à toute tentative de remise en cause de la limitation du nombre de
mandats présidentiels.
Il en va de l’avenir même de la démocratie dans notre pays.
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