I/ Les entraves à l`essor des investissements méditerranéens associés
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I/ Les entraves à l`essor des investissements méditerranéens associés
LES INVESTISSEMENTS EUROPÉENS DANS LES PAYS MÉDITERRANÉENS ASSOCIÉS BASSEM KARRAY L’émergence des zones d’intégration régionale de par le monde a eu pour effet de déplacer le champ de concurrence d’un cadre interétatique à un cadre inter-régional. L’interdépendance est la dominante d’une économie mondiale ouverte, de plus en plus dématérialisée et dont l’essor est fonction de l’internationalisation des investissements. Puissant vecteur de la mondialisation, l’investissement est plus qu’une opération économique permettant de réaliser un gain en capital ; il est, en réalité, porteur d’attitudes, de comportements et de valeurs1. La promotion des investissements internationaux résulte d’une combinaison de facteurs qui s’articulent autour de l’élimination des restrictions de quelle que nature que ce soit. La libéralisation des investissements internationaux est impérative parce qu’il ne peut y avoir ni libre circulation du capital ni libre circulation du travail s’il n’y a pas libre circulation de l’investissement2. Les sociétés contemporaines éprouvent un besoin vital de l’investissement international. L’attraction de ce dernier est une contrainte impérieuse pour pallier à la rareté des ressources, tant publiques que privées, allouées au financement de la croissance et au développement et à la faiblesse de l’épargne3. Tel est le cas des pays méditerranéens associés dont le développement nécessite 1 Ces aspects expliquent les réticences à l’égard de l’investissement étranger, « …l’investissement privé était contesté dans son essence, parce qu’il est supposé être porteur de dépendance, de néocolonialisme, de profits excessifs et des maux les plus divers dont souffrent les pays en développement ». F. HORCHANI, « Le règlement des différends dans la législation tunisienne relative à l’investissement », RTD, 1992, p. 138. 2 D. CARREAU et P. JUILLARD, Droit international économique, LGDJDELTA, 1998, p. 397. 3 D. GUERRAOUI, « Rapport introductif », in Les investissements directs étrangers, facteurs d’attractivité et de localisation, sous la direction de D. GUERRAOUI et X. RICHET, l’Harmattan et édition Toubkal, 1ère éd., 1997, p. 7 et 8. 523 l’amélioration de leur capacité captive des ressources extérieures. Les dix pays méditerranéens associés4 sont en quête d’un statut plus avantageux que l’actuel. Concurrencés par les dix pays de l’Europe centrale et orientale5, admis à la Communauté en 2004, les pays associés, dont le niveau de développement est différent, sont à la croisée de chemins, entre l’approche régionale globale et l’approche bilatérale. Les stratégies de promotion des investissements sont définies par des instruments bilatéraux portant exclusivement sur l’investissement ou par des instruments de portée globale. Les investissements européens proviennent soit de fonds publics soit de fonds privés. Les premiers prennent la forme de prêts consentis par les institutions européennes, en particulier la banque européenne d’investissement ; alors que les seconds prennent la forme d’investissements directs étrangers (IDE) et d’investissements en porte feuille. L’IDE est une opération par laquelle un investisseur installé dans un pays (pays d’origine) acquiert une part d’actif dans le capital d’une entreprise majoritaire sise sur un autre pays (pays d’accueil). Lorsque sa participation est majoritaire, l’investisseur étranger serait capable d’assurer durablement le contrôle de ladite entreprise6. Quant aux investissements en porte feuille, ils constituent des placements purement financiers, généralement à court terme7. 4 Ces dix pays sont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Egypte, la Syrie, le Liban, la Turquie, Israël, la Palestine et la Jordanie. 5 Le commerce des marchandises de l’Europe occidentale avec les économies en transition a été en 2003 l’élément régional le plus dynamique des exportations et des importations de la région puisqu’il a augmenté de plus de 10 pour cent. Les échanges de l’Union européenne avec cette région atteignent presque maintenant le niveau total des échanges avec l’Afrique, le Moyen orient et l’Amérique latine. (In OMC, statistiques du commerce international, 2003, p. 9) 6 A. AKARI, « IDE et développement : l’expérience tunisienne », in Les investissements directs étrangers, facteurs d’attractivité et de localisation, sous la direction de D. GUERRAOUI et X. RICHET, l’Harmattan et édition Toubkal, 1ère éd., 1997, p. p. 265. 7 A. AKARI., « IDE et développement: l’expérience tunisienne », article précité, p. 265. 524 Les investissements provenant de fonds privés sont plus profitables pour les pays méditerranéens associés puisqu’ils créent des ressources complémentaires de financement, sans toutefois aggraver la dette extérieure qui asphyxie les finances des Etats. Pilier fondamental dans les relations nord-sud de la méditerranée, les investissements européens ne se limitent plus aux secteurs industriels; ils s’étendent de plus en plus sur le commerce des services. L’ouverture progressive des pays du sud à la concurrence européenne a favorisé la diversification des investissements européens, lesquels demeurent en deçà des attentes des sociétés riveraines de l’Europe. Une analyse du rythme d’évolution au cours des dix dernières années permet de dégager un bilan mitigé8. Quels sont les moyens qui doivent être mis en place en vue de promouvoir les investissements européens dans une zone à composants particulièrement hétérogènes et dans laquelle les obstacles sont autant variables que multiples? La pénurie des grands capitaux9 s’explique par les entraves qui caractérisent la région méditerranéenne (I). L’hétérogénéité de ces entraves appelle la mise en place d’une action renforcée en vue de stimuler l’investissement (II). 8 Au cours des dix dernières années, les pays méditerranéens n’ont accueilli en moyenne annuelle que 4 % des flux d’investissements directs étrangers (IDE) destinés aux pays en développement (PED), in « Les IDE en méditerranée : les potentialités de renforcement, le rôle du partenariat euromed », MINEFI, DREE, accessible sur le site internet : www.commerce-exterieur.gouv.fr Voir par exemple pour le cas tunisien : N. BACCOUCHE et I. BEN HAMDEN, « L’investissement : cadre juridique et tutelle administrative en question, Etudes juridiques, revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, 1997, n° 5, p. 10 et s. Ces deux auteurs ont relevé l’inadaptation du régime juridique de l’investissement en Tunisie qui est caractérisé par la complexité, la portée limitée des avantages fiscaux et la curieuse pénalisation des entreprises organisées et dotées d’une gestion transparente 9 Les IDE n’avaient apporté en Tunisie et au Maroc en 2001 qu’une valeur de 3489 millions d’Euro, in Direct investment in MNMCs reporting country 19922001, eurostat. 525 I/ Les Entraves aux Investissements Européens Dans les Pays Méditerranéens Associés Les entraves à l’essor des investissements européens sont de deux types au moins. Il s’agit, d’une part, des variables politicoéconomiques qui atténuent l’effet d’amont des investissements européens (A). Il s’agit, d’autre part, des instruments bilatéraux et nationaux qui sont, eux même, insuffisants pour drainer les capitaux (B). A- La faible méditerranéen attractivité politico-économique du marché La décision d’investir est généralement prise en fonction de la rentabilité économique du projet, qui elle-même fonction de l’importance de la sécurité juridique et de l’inexistence ou du moins de la faible probabilité du risque. L’évaluation du risque est basée principalement sur des indicateurs d’endettement extérieur, sur une appréciation des facilités d’accès du pays aux marchés internationaux de capitaux et sur la prise en compte des risques politiques10. Un investisseur vigilant ne décide de mobiliser ses fonds qu’au prix d’une étude du marché et de son environnement. On entend par un environnement de marché « l’ensemble forcément complexe de déterminants qui entourent une entité et qui sont en perpétuel changement et en perpétuelle interaction»11. Les variables juridiques, politiques, économiques et sociales s’entrecroisent et se convergent mutuellement pour déterminer en fin de compte le tableau de bord d’un marché quelconque. Cette imbrication infaillible de facteurs, de par leur nature hétérogène, démentie toute décision d’investissement reposant sur chacun des facteurs pris isolément. L’attractivité du marché est tributaire d’un 10 W. ANDREFF, « Les firmes multinationales et les pays associés à l’Union européenne, évaluation d’attractivité effective des investissements directs étrangers », in Les investissements directs étrangers, facteurs d’attractivité et de localisation, sous la direction de D. GUERRAOUI et X. RICHET, l’Harmattan et édition Toubkal, 1ère éd., 1997, p. 49 et 50. 11 N. BACCOUCHE, « L’environnement fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : le cas tunisien », études juridiques, n° 10, revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, 2003, p.77. 526 « climat favorable » offrant le plus haut degré de rentabilité à moyen et à long terme12. Le marché méditerranéen est formé, à mauvais escient, par des micromarchés cloisonnés et faiblement intégrés. Les pays méditerranéens associés peuvent former ensemble un espace de l’ordre de 300 millions consommateurs s’ils mettent en œuvre un programme de démantèlement des obstacles douanières, fiscales et techniques. La persistance de ces obstacles fige les marchés dans l’étroitesse. La modestie de leur taille en terme de consommateur et de pouvoir d’achat limite considérablement l’attractivité de capitaux européens13. Les pays méditerranéens ne peuvent drainer des capitaux européens que s’ils réalisent une intégration conduisant à surdimensionner la taille de leur marché. Ils doivent remettre leur pendule à l’heure de l’internationalisation des échanges qui se profile à travers l’ouverture intra-zone14. L’intégration commerciale entre les pays méditerranéens associés doit reposer sur la diminution des tarifs douaniers et des obstacles non tarifaires, l’harmonisation des cadres réglementaires et la mise en place d’infrastructures transversales. 12 D. GUERRAOUI, « Rapport introductif », in Les investissements directs étrangers, facteurs d’attractivité et de localisation, sous la direction de D. GUERRAOUI et X. RICHET, l’Harmattan et édition Toubkal, 1ère éd., 1997, p. 12. 13 Les pays méditerranéens ne captent que 6% des IDE européens destinés aux PED, part inchangée depuis 1994. Cependant, la part de l’Amérique latine s’élève à 44% et de l’Asie à 25%, in « Les IDE en méditerranée : les potentialités de renforcement, le rôle du partenariat euromed », MINEFI, DREE, accessible sur le site internet : www.commerce-exterieur.gouv.fr 14 Les échanges intra-branches sont très faibles entre les pays méditerranéens associés. De même, les échanges intra-zones ne représentent qu’une part dérisoire de la totalité de leurs échanges, alors que l’UE apparaît comme un partenaire commercial incontournable, in « Les IDE en méditerranée : les potentialités de renforcement, le rôle du partenariat euromed », MINEFI, DREE, accessible sur le site internet : www.commerce-exterieur.gouv.fr 527 L’acquis communautaire a certainement été exporté par le biais des accords d’association conclus séparément avec chaque pays15. En plus, des limites inhérentes à cette approche, la méditerranée est une zone géopolitiquement à fort risque. Une comparaison selon le critère du risque pays et du niveau de compétitivité de la région méditerranéenne révèle une forte disparité, même entre des pays ayant un niveau de développement comparable16. L’instabilité, caractéristique attrayante depuis des années, empêche la mobilisation de grands capitaux. Encore faut-il rappeler que le conflit israélo-arabe a constitué un goulot d’étranglement du processus de Barcelone. Conscients de l’engouement d’une approche globale pour la zone méditerranéenne, les partenaires euro-méditerranéens ont lancé une stratégie d’association renforcée entre les cinq pays du Sud-ouest et Nord-ouest de la méditerranée lors du sommet tenu à Tunis en décembre 2003. Ce projet permettrait de réduire considérablement le handicap de l’exiguïté du marché17. Néanmoins, même si les obstacles à cet échelon infrarégional sont moins aigus, ils sont, toutefois, difficiles à surmonter. Le conflit algéro-marocain et le retard économique de la Mauritanie bloquent les ambitions lancées lors du sommet de Tunis 5+5. 15 Voir sur l’acquis communautaire I. FRIKHA, « La projection de la mondialisation à travers l’association », in Droit communautaire et mondialisation, sous la direction de Y. BEN ACHOUR et S. LAGHMANI, CPU, 2003, p. 30. 16 Selon la publication du Middle East and North Africa « MENA Report » pour l’année 2002 sur le risque pays, la Tunisie est classée deuxième meilleur pays de la région (risque 6.5), le Maroc (risque 6), l’Egypte (risque 5.8), la Jordanie (risque 5) et l’Algérie (risque 3.3). Quant au classement en matière de compétitivité, la Tunisie occupe la 38ème place à l’échelle mondial selon l’indice de compétitivité globale ; alors que le Maroc et la Turquie occupent respectivement la 61ème et la 65ème place. Selon l’indice de compétitivité microéconomique, la Tunisie occupe la 33ème place, le Maroc la 49ème et la Turquie la 52ème. Voir le rapport annuel sur la compétitivité globale 2003-2004 élaboré par le forum mondial de Davos et l’université américaine Harvard. 17 A. AKARI, « IDE et développement, l’expérience tunisienne », article précité, p. 277. 528 Il ne reste ainsi que de développer une intégration pilote entre deux pays ayant un intérêt suffisant et des indices de développement comparables18. A titre d’exemple, au lieu que la Tunisie et le Maroc se fassent concurrence pour drainer le maximum de capitaux, une stratégie d’intégration du marché marocain et tunisien permet d’augmenter leur taille respective et d’accroître leurs opportunités d’investissement19. La réussite d’une telle entreprise encourage les autres Etats de la zone à y adhérer. L’harmonisation des politiques d’incitation entre les pays demandeurs permettra de ne pas se livrer à une surenchère en offrant le système fiscal le moins disant20. Tout récemment, quatre pays arabes méditerranéens (l’Egypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie21) ont conclu le 25 février 2004 une convention visant l’établissement d’une zone de libre échange conformément à la déclaration d’Agadir du 8 mai 2001. En plus de ces variables politico-stratégiques, la défaillance et le manque de modernité, voire l’obsolescence des réseaux d’infrastructure de transport et de communication défavorise la situation concurrentielle des pays méditerranéens. La lenteur du mouvement de démantèlement de monopoles étatiques des grands services publics a conduit à un détournement de flux vers d’autres zones plus libérales. La forte centralisation des pouvoirs érige des obstacles indésirables et renforce une bureaucratie déjà établie22. 18 Voir « 5+5 », l’ambition d’une association renforcée étude faite par 13 économiste français, in l’entreprise et le partenariat euro-méditérranéen, publication de l’Institut arabe des chefs d’entreprise, IACE, 12 et 13 décembre 2003, p. 242. 19 Cette concurrence prend essentiellement un aspect fiscal, voir : N. BACCOUCHE, « L’environnement fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : le cas tunisien », article précité, p.74. 20 VADCAR, « Le projet d’Accord multilatéral sur l’investissement: Problématique de l’adhésion des pays du sud ». JDI, n°1, 1998, p. 26 21 Ces quatre pays possèdent les niveaux de commerce intra-branches avec les autres pays méditerranéens les plus élevés, in « Les IDE en méditerranée : les potentialités de renforcement, le rôle du partenariat euromed », MINEFI, DREE, p. 7 (accessible sur le site internet: www.commerce-exterieur.gouv.fr) 22 A. AKARI, « IDE et développement, l’expérience tunisienne », article précité, p. 277. 529 L’adoption des législations internes fortement incitatives et la conclusion d’accords d’intégration régionale n’avaient pas permis la promotion des investissements européens. Les pays méditerranéens associés n’attirent cependant pas des investissements à la mesure de leurs ambitions à la fois légitimes et mesurées compte tenu des efforts consentis en matière de développement social ainsi que des sacrifices fiscaux déjà consentis23. B- Le faible apport des instruments nationaux et bilatéraux Bien qu’il soit inscrit parmi les grands vecteurs de stimulation de la croissance dans l’espace euro méditerranéen, l’investissement ne jouit pas d’un cadre juridique étoffé dans les accords d’association. L’objectif tracé, à cet égard, se limite à créer un climat favorable aux flux d’investissement. Les moyens d’action pour la réalisation de cet objectif sont vaguement formulés. Il s’agit d’établir des procédures harmonisées et simplifiées, des mécanismes de coinvestissement (en particulier entre les petites et moyennes entreprises), ainsi que des dispositifs d’identification et d’information sur les opportunités d’investissement24. A cela s’ajoute, le cas échéant, la mise en place d’un cadre juridique favorisant l’investissement par la conclusion entre les pays méditerranéens associés et les Etats membres, des accords de protection des investissements et des accords destinés à éviter la double imposition25. Ces mécanismes sont, en réalité, en faveur des pays tiers méditerranéens dont le tissu commercial est essentiellement formé par des petites et moyennes entreprises. Mais ce plan d’action constitue tout simplement un préalable au co-investissement et non 23 N. BACCOUCHE, « Regards sur le code d’incitations aux investissements de 1993 et ses démembrements », RTD, 2000, p. 44 24 Voir la lettre (a) de l’article 53 de l’accord d’association Tunisie Communauté européenne. 25 Voir la lettre (b) de l’article 53 de l’accord d’association Tunisie Communauté européenne. Pour aller plus loin : F. HORCHANI, « Quelques réflexions sur la politique législative en matière d’investissement », RTD, 1991, p. 296. 530 un dispositif réellement adapté pour la promotion et la protection des investissements. Aussi paradoxal que cela puisse paraître les accords d’association euro méditerranéens inscrivent la promotion et la protection des investissements comme un levier de coopération, mais sans qu’ils prévoient de mécanismes appropriés qui permettent de stimuler les flux d’échange26. L’absence de définition de règles de traitement, de protection et de garantie atténue l’apport de ces mécanismes. D’ailleurs, les accords d’association marquent la défaillance de l’approche régionale globale en matière de protection des investissements en encourageant explicitement les pays associés à conclure des accords en la matière avec les Etats membres de la Communauté pris séparément. Ces conventions portent sur l’élimination de la double imposition, l’admission des travailleurs et le transfert de capitaux. Leur démultiplication verticale (des pays membres vers les pays associés) peut contribuer à la création et à l’accroissement des investissements, mais sous réserve qu’elles soient conclues suivant un modèle unique. Mais quoiqu’il en soit la décision d’investir, synonyme d’apport de technologie et de modernité27, revient exclusivement aux acteurs du secteur privé. L’octroi de fonds publics communautaires ne suffit pas à satisfaire les enjeux économiques tant que la zone méditerranéenne demeure en pénurie de grands capitaux. Les moyens d’action privée, mis par les investisseurs européens, n’ont pas conduit, eux aussi, à l’essor des flux d’investissement28. Selon la CNUCED, les IDE européens apparaissent inégalement 26 P. JACQUET soutient que les accords d’association signés et mis en œuvre avec les pays de la zone euro-méditérranéenne « n’ont pas eu l’effet d’entraînement attendu sur les flux d’investissement direct étranger », accessible sur : www.sceco.univ-aix.fr 27 F. HORCHANI, « Quelques réflexions sur la politique législative en matière d’investissement », article précité, p. 296. 28 La valeur des IDE a atteint en Tunisie le volume de 843 millions d’euro en l’an 2000 pour chuter à 466 millions d’euro en 2001. La valeur enregistrée en 2001 est proche de celle de 1992 qui était à l’ordre de 450 millions d’euro. Alors qu’au Maroc l’année 2000 a enregistré 281 millions d’euro. Cependant cette valeur a augmenté à 3023 millions d’euro en 2001, in Direct investment in MNMCs reporting country, 1992-2001, eurostat 531 répartis au sein de la zone euromed29. Demandeurs d’investissements industriels, lesquels permettent l’entrée de la haute technologie du savoir faire et de l’emploi, les pays tiers méditerranéens ne reçoivent, en réalité, que des investissements commerciaux non porteurs de grands capitaux30. Les pays développés n’encouragent que l’investissement commercial qui n’a pas d’incidence sur l’équilibre de la balance des paiements puisqu’il n’entraîne pas une sortie importante de capitaux. Cependant, l’investissement industriel peut provoquer une fuite non négligeable de capitaux et peut créer un courant de réimportation vers la Communauté européenne par l’effet de la délocalisation industrielle31. Les pays méditerranéens ont, eux même, contribué à l’avènement d’investissements commerciaux et non industriels à travers la création de zones franches, essentiellement tournées aux activités de services. Conscients de l’importance des flux d’investissement à l’essor de leur économie, les pays méditerranéens associés se sont progressivement dotés d’un cadre juridique incitatif à l’investissement international32. Ils accordent ainsi un traitement national à l’investisseur étranger soit en le traitant sur le même pied d’égalité que le national soit en lui accordant un traitement préférentiel. Dans la première hypothèse, les avantages liés à l’investissement seront invariablement accordés à tout postulant 29 Israël a reçu 24% du taux global des IDE européens, l’Egypte 19%, la Turquie 17%, la Tunisie 13%, le Maroc 9%..., source CNUCED wir, 2003, accessible sur le site www.commerce-exterieur.gouv.fr 30 Les IDE se concentrent, par exemple, en Tunisie sur les secteurs textile/habillement, les industries de cuir mais se diversifient lentement vers les industries mécaniques et électroniques. Accessible sur le site www.commerceexterieur.gouv.fr 31 D. CARREAU et P. JUILLARD, Droit international économique, op. cit., p. 507. Les experts européens en économie ne cachent pas leur crainte de fuite des grands capitaux de l’Europe de l’ouest vers l’Europe de l’est suite à l’adhésion des pays de l’Europe centrale et oriental où les charges sociales sont moins pesantes. 32 Voir à titre d’exemple pour le cas tunisien, F. HORCHANI, «Le code tunisien d’incitation aux investissements », in JDI, 1998, n° 1, p. 67 et s. N. BACCOUCHE, « L’environnement fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : le cas tunisien », article précité, p.79. 532 abstraction faite de sa nationalité. Dans la deuxième hypothèse, l’investisseur étranger bénéficie d’un traitement juridique privilégié soit en lui accordant des incitations par rapport au droit commun (allègements fiscaux, dégrèvements d’impôts directs ou indirects, régimes dérogatoires en matière de recrutement ou de licenciement de personnels…) soit en mettant en place un droit spécial à côté du droit commun ; ce statut spécial correspond à la création d’une zone spéciale33. Conçues comme une pièce maîtresse pour l’attraction des capitaux européens, les législations incitatives sont devenues communes à tous les pays suite au dépérissement des législations de dissuasion ou de contrôle. Les dispositions internes d’incitation, qui sont de plus en plus généralisées, ne constituent plus un facteur attrayant de capitaux. Ainsi, les pays demandeurs d’investissements européens s’acharnent à consentir aux plus importantes concessions pour tailler la part de lion des flux. Néanmoins, ce sont les situations économiques -plus que les codes des investissements- qui influencent sur la répartition des investissements34. « Certes, les règles juridiques ne créent pas, à elles seules, la richesse »35. Compte tenu de ces entraves, une action visant le renforcement des instruments d’action semble être impérieuse. Le rôle des institutions communautaires et des opérateurs privés européens est capital dans la promotion des investissements dans la méditerranée. II/ Les impératifs de renforcement des instruments d’incitation La Communauté a récemment décidé de rénover sa politique d’appui financier à travers la mise en place d’un programme dans le cadre de la BEI (A). Cette action doit être accomplie par une 33 Voir, D. CARREAU et P. JUILLARD, Droit international économique, op. cit., p. 475. 34 C. VADCAR, « Le projet d’Accord multilatéral sur l’investissement : problématique de l’adhésion des pays du sud », article précité, p.26. 35 N. BACCOUCHE et I. BEN HAMDEN, « L’investissement : cadre juridique et tutelle administrative en question », article précité, p. 27. Ces deux auteurs ont mis l’accent sur la défaillance de l’appareil administratif. Interventionniste et rigide, l’administration « grève la compétitivité et le caractère attractif de l’économie tunisienne ». 533 redéfinition du cadre juridique relatif à l’investissement afin d’encourager les investisseurs privés à investir dans cette zone (B). A- La rénovation des instruments d’appui financier de la Banque européenne d’investissement (BEI) La banque européenne d’investissement apporte un soutien financier aux pays partenaires sous forme de contrat de prêt. Elle a signé en 2003 des prêts d’un montant de 42332 millions d’Euro, mais les pays partenaires n’ont acquitté qu’une modeste part qui s’élève à 3556 millions d’Euro36. Voulant créer un climat propice à l’investissement privé aux pays méditerranéens associés, le Conseil européen tenu à Barcelone en mars 2002 a confié à la BEI la mission de renforcement de la composante financière du partenariat euro méditerranéen37. Faisant suite aux conclusions du Conseil européen, la BEI a créé un programme connu sous le nom de « facilité euro méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP) ». L’objectif de ce programme est d’appuyer les efforts de modernisation économique et sociale et de réussir, par conséquent, l’intégration régionale, dans la perspective de zone de libre échange euro méditerranéenne. L’accent est particulièrement mis sur le développement du secteur privé, générateur de richesses et d’emploi et la promotion des investissements dans le capital humain. La BEI projette, d’ici 2006, d’investir entre 8 et 10 milliards d’Euro sous diverses formes : prêts, capitaux à risque provenant du budget de l’Union, aide à l’assistance technique et aide à l’investissement. Une structure administrative a été créée dans le cadre de ce programme pour permettre une participation intensive des pays méditerranéens associés dans la définition des orientations de la FEMIP. Ces structures sont au nombre de deux, le comité 36 La part de l’Union européenne est 34.187 millions d’Euro et celle des pays adhérants est de 4.589 millions d’Euro. Accessible sur: www.bei.org 37 La BEI a alloué aux pays méditerranéens associés des prêts à hauteur de 12.6 milliards d’Euro entre 1974 et 2001. Accessible sur: www.bei.org 534 ministériel de la FEMIP, qui se réunit une fois par an, et les bureaux régionaux ouverts dans les pays du Maghreb et du Machreck. Réuni à Alexandrie le 7 juin 2004, le comité ministériel de la FEMIP a réitéré l’engagement fort des Etats membres de la Communauté et des pays partenaires méditerranéens en faveur du programme. Ce dernier comporte un volet d’assistance technique permettant de renforcer l’impact sur le développement à travers l’amélioration de la qualité des prêts. Les activités d’assistance technique sont destinées à aider les pays associés de la FEMIP et les promoteurs privés à mieux préparer, gérer et superviser leur opération d’investissement. Le programme FEMIP constitue un pilier fondamental pour l’essor des activités d’investissement dans les pays méditerranéens associés. Le montant de prêts alloués, à ce titre, s’élève à 2.1 milliards d’Euro en 200338, la moitié de ce montant a servi à promouvoir directement la croissance des entreprises privées, les investissements étrangers directs (Egypte, Tunisie et Turquie), les financements destinés aux PME (Syrie, Tunisie et Turquie) et la création d’un fonds régional de capital-risque. Lors du sommet d’Alexandrie, les partenaires se sont convenus à renforcer le FEMIP à travers le remplacement des réunions semestrielles du comité de coordination et de dialogue économique par une réunion annuelle du comité ministériel. Ce dernier est en passe de devenir le conseil ECOFIN de la méditerranée. Les moyens d’action dans le cadre de ce programme ont été renforcés par la mise en place d’une enveloppe spéciale FEMIP dans le budget de la BEI destinée à accroître les opérations de prêts au secteur privé et la création d’un fonds fudiciaire afin de soutenir les activités relevant des secteurs prioritaires. 38 Voir l’Europe et la Méditerranée, le partenariat financier renforcé, Document de BEI, accessible: www.bei.org 535 B- La nécessaire redéfinition des instruments juridiques En l’absence d’un accord multilatéral sur l’investissement et l’exclusion des pays en développement des négociations conduites sous l’égide de l’OCDE, la Communauté européenne et les pays méditerranéens se devaient de créer un instrument juridique permettant de tracer le cadre d’expansion des investissements européens. Un futur accord euro méditerranéen sur l’investissement doit contenir « des mesures contraignantes visant à créer des conditions favorables à l’investissement de la part d’investisseurs d’un des Etats signataires sur le territoire de l’autre, en assurant, sur une base réciproque le traitement le plus favorable aux investisseurs et en garantissant la protection et la totale sécurité des investissements déjà réalisés, ce qui implique notamment l’impossibilité par les deux Etats de procéder à des nationalisations à des expropriations ou à toutes autres mesures similaires, sauf dans des cas d’utilité publique, sous réserve d’une compensation adéquate, rapide et effective, ainsi que de respect des procédures en la matière prévues par l’ordre juridique national »39. La zone euro méditerranéenne a besoin d’un instrument de libéralisation et non d’un simple accord destiné à empêcher les distorsions dans le traitement des investissements, à garantir l’application de la clause de la nation la plus favorisée, comme ce fut le cas de l’accord sur les mesures concernant les investissements liées au commerce des marchandises de l’OMC40. Les Etats méditerranéens doivent au préalable harmoniser leur législation nationale autour des principes directeurs de non discrimination. Compte tenu de la disparité des conditions sociales dans la même zone, un label euro méditerranéen relatif aux normes de travail et de sécurité sociale permettrait de contrecarrer toute forme de concurrence injuste entre les pays qui la constituent. 39 Avis du Comité économique social (CE). L’uniformisation à l’échelle mondiale des règles applicables à l’investissement direct, CES 290/96 Bruxelles, 28/02/96. 40 C. VADCAR, « Le projet d’Accord multilatéral sur l’investissement: problématique de l’adhésion des pays du sud », article précité, p.15. 536 L’action en matière d’investissement est, par définition, globale. L’accord doit couvrir également les trois phases de l’opération d’investissement : la phase pré investissement, la phase durant l’opération d’investissement et la phase post investissement. Par phase pré investissement, on désigne les opérations d’études et de création d’entreprises ou de simple participation. Par phase durant l’opération d’investissement, on entend les opérations effectuées au titre d’exploitation et de réinvestissement. Par phase post investissement, on désigne les exigences conséquentes à l’extinction de l’investissement, comme, par exemple, le rapatriement de capital investi et des bénéfices réalisés. L’accord doit définir extensivement les types d’investissement couverts par ces dispositions. Ces types peuvent être la création d’entreprises ou d’établissements à l’étranger, les acquisitions de certaines valeurs du capital des sociétés étrangères déjà établies, les bénéfices réinvestis par les filiales ou les succursales et les opérations réalisées entre les sociétés mères et leurs filiales. L’approche de libéralisation doit atteindre progressivement ses plus hauts degrés pour concerner les investissements en portefeuilles et en joint venture. A ce volet de libéralisation doit se greffer tout naturellement un dispositif visant l’adoption des mesures de sauvegarde liées à la balance des paiements et à la politique monétaire et une mise en place de structures ou de mécanismes de garantie permettant de couvrir les risques non commerciaux encourus de l’activité d’investissement. Etant assez multiples, ces risques ne peuvent pas être énumérés dans une liste fermée. Il peut s’agit notamment: - - des risques de transfert du produit de l’investissement, des pertes occasionnées suite à l’adoption par l’Etat d’accueil de mesures gouvernementales d’ordre intérieur privant l’investisseur de certains droits sur son capital ou d’une part importante des avantages découlant de son investissement, de l’absence ou de l’insuffisance de garanties juridictionnelles permettant à l’investisseur de défendre ses intérêts lorsque l’Etat d’accueil renonce ou manque à son 537 - engagement contractuel. Les droits de l’investisseur peuvent être gravement touchés « dans le cas où l’investisseur ne dispose pas de voies de recours, judiciaires ou arbitrales, ou ne peut obtenir une décision dans un délai raisonnable ou l’exécution d’une décision définitive en sa faveur »41. La modernisation et l’impartialité du système juridictionnel constituent les plus importantes exigences de la Communauté européenne42, des risques résultant des crises sociales et des troubles populaires et de tout risque résultant de pratiques étatiques privant l’investissement étranger du traitement national. L’ensemble de ces risques doit être couvert par l’agence qui serait également appelée à étudier tout autre risque revendiqué par l’investisseur. Les investisseurs habilités à revendiquer la couverture contre ces risques non commerciaux doivent être nécessairement des ressortissants de l’un des Etats méditerranéens. La garantie ne sera pas systématiquement accordée, elle est soumise à une étude préalable et à un examen d’opportunité. L’opération sollicitée doit contribuer au développement économique du pays d’accueil. Il faut qu’il soit un projet économiquement justifié. Une étude d’impact de l’environnement juridico-économique permet à la future agence euro méditerranéenne de se prononcer sur son appui. La détermination de l’étendue des pouvoirs de l’Etat d’accueil s’agissant de l’admission des investissements ou du traitement qu’il 41 I.F.I. SHI HATA, « L’agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) », AFDI, vol. 33, 1987, p.605. Voir également F. HORCHANI, « Une projection universelle d’une convention régionale arabe sur la garantie des investissements contre les risques non commerciaux : la convention MIGA du premier octobre 1985 », in le système régional arabe sous la direction de M. FLORY et P.S. AGATE, CNRS, 1989. 42 Déclaration de l’Union européenne lors de la quatrième session du Conseil d’association UE-Tunisie tenue à Bruxelles le 30/09/2003. L’Union a réitéré l’importance de la justice dans la promotion des investissements. « …L’indépendance de la justice et le libre exercice de la profession de magistrat et d’avocat sont les garants de l’Etat de droit et nécessaires pour créer un climat de confiance pour les investisseurs », p. 2. 538 faudra leur accorder constitue une garantie contre l’imprévisibilité des manœuvres gouvernementales. Outre cette fonction centrale de couvrir les risques, ces structures de garantie peuvent être chargées de fonctions d’études et de recherches en offrant aux Etats des recommandations sur les actions à entreprendre en vue d’améliorer les conditions d’attractivité des investissements étrangers européens sur leur sol. En définitive, les instruments juridiques et les actions publiques et privées commentaires demeurent largement insuffisants tant que les pays méditerranéens associés ne réussissent pas à monter un projet d’intégration sud-sud. L’intégration européenne peut se servir comme un exemple en vertu duquel l’économie avait peu à peu conduire à la réunification de l’Europe de l’après guerre. Il ne faut pas attendre que les conflits politiques soient résolus pour mette en œuvre une intégration économique. L’économie doit piloter le politique. 539