Souffrance psychique chez l`adolescent:

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Souffrance psychique chez l`adolescent:
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VENDREDI MATIN
ATELIER A4
Par Anne-Marie
Baqué-Gensac,
MG, 66110 Amélieles-Bains,
SFDRMG/
UNAFORMEC ;
Thomas
Sedaghat, MG,
66300 Thuir,
UNAFORMEC.
[email protected]
thomas.sedaghat@
wanadoo.fr
2006
Souffrance psychique
chez l’adolescent :
comment la repérer ?
L’adolescence est marquée par d’importantes transformations physiques, psychiques et sociales. C’est
aussi une période de grande vulnérabilité où la souffrance psychique est cachée dans des attitudes
de déni ou de banalisation. Quatre-vingts pour cent des adolescents sont soignés par un médecin
généraliste1 qui est de ce fait directement concerné par le repérage de cette souffrance psychique.
LE REPÉRAGE, UN ENJEU MAJEUR
Les résultats des enquêtes épidémiologiques sur la santé des
jeunes sont édifiants.
Le résultat d’une enquête1 nous apprend que sur 12 000 adolescents scolarisés de 9 à 19 ans près d’un quart d’entre eux
ont pensé au suicide, et 7 % des adolescents de 11 à 19 ans
ont déjà fait une tentative de suicide, soit 2 élèves dans
chaque classe.
Le suicide est la deuxième cause de mortalité des adolescents,2 après les accidents. Et si, en France, les statistiques
font état d’une baisse du nombre de décès par suicide ces
dernières années, on estime à 20 % leur sous-estimation.2 De
plus, de nombreux accidents de circulation concernant cette
tranche d’âge sont tout à fait assimilables à des comportements suicidaires.
Parmi les adolescents décédés par suicide, 60 % en ont parlé
avant et 1/3 avaient déjà fait une tentative de suicide (après
une tentative de suicide, le risque de récidive est de 40 à
60 % dans l’année).3
ASPECTS PARTICULIERS
DE LA SOUFFRANCE PSYCHOLOGIQUE
Consommation de substance psycho-actives
Il convient de faire la distinction entre les modalités de cette
consommation qui vont de l’expérimentation à la dépendance toxicomaniaque. La prise simultanée de plusieurs
produits concerne plus de 50 % des jeunes à partir de 17 ans,
avec par ordre décroissant : l’alcool, le tabac, le cannabis, les
produits chimiques psychotropes.
Pour la consommation de cannabis, la France est au premier rang
de l’Europe et, dans la tranche d’âge de 14 à 18 ans, la moitié
des jeunes en ont déjà fumé. Cette proportion augmente
régulièrement.
Pour le tabac, l’enquête Escapad indique qu’à 17 ans, sans
distinction de sexe, 4 jeunes sur 10 ont fumé quotidiennement
au cours du dernier mois. Le repérage précoce de cette
consommation permet de mettre en place très tôt des
Atelier
stratégies de prise en charge, car un tabagisme actif à
UNAFORMEC
l’adolescence est aussi associé de façon significative
« Pour un repérage
à certains symptômes dans le registre de la santé
de la souffrance
mentale.
psychique
chez l’adolescent »,
Pour l’alcool, si 87 % des 13 à 20 ans en ont déjà
animé par Anne-Marie
consommé, seulement 1 % des jeunes de 17 à
Baqué-Gensac
19 ans boivent tous les jours une boisson alcoolisée.
et Thomas
Comparée aux jeunes Européens et, contraireSedaghat,
ment à ce que l’on observe chez les adultes, la
le vendredi
13 octobre
proportion de jeunes Français consommateurs
de 11 h
e
d’alcool est en 8 position, et pour l’ivresse ces mêmes
à 12 h 30.
2
jeunes Français se situent en dernière position.
Pour la consommation de tranquillisants et de somnifères dans la
population scolarisée, la France occupe encore la première
place des pays européens. Cette consommation a aussi
une valeur d’alerte, car elle est plus fréquente parmi les
personnes ayant fait une tentative de suicide ou ayant des
idées suicidaires.
Ces chiffres démontrent la problématique de la consommation de produits
chez les adolescents, dans la mesure où cette consommation
évolue dans un contexte de réelle vulnérabilité propre à cet
âge de la vie. Ils conduisent à s’interroger sur une certaine
forme d’acceptation sociale de la prise de substances psycho-
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actives : l’usage du cannabis étant connu du groupe social,
il a tendance à ne plus faire l’objet de motifs de consultation
chez les adolescents ; de même, on assiste à une certaine tolérance de l’usage de l’alcool, initié en famille « à l’ancienne », puis
qui se transforme en mode de consommation différente. À
l’inverse, on constate une certaine focalisation sur le tabac,
alors que l’usage détourné des psycho-tropes et l’accroissement
des drogues illicites sont sous-estimés.4
Autres expressions de la souffrance
psychologique
Attitudes oppositionnelles, atteintes aux droits d’autrui, agressivité, prise de risques… avec le plus généralement un cortège
de facteurs favorisants personnels à l’adolescent et (ou) lié à
son environnement (échecs scolaires, troubles spécifiques du
développement dans le langage écrit et oral, déficits des capacités cognitives, baisse de l’estime de soi avec éléments
dépressifs…).
Globalement, si l’on s’intéresse aux différents indicateurs pris
ensemble chez le même jeune entre 16 et 18 ans, on s’aperçoit que 10 % des jeunes cumulent au moins 4 problèmes
(prise d’alcool, ivresse, tabac, drogue, bagarres fréquentes,
troubles psychosomatiques, de l’humeur et du sommeil,
idées dépressives et suicidaires, nervosité…) et que leur association avec des troubles oppositionnels, des troubles des
conduites avec atteintes aux droits d’autrui et aux normes
sociales ont régulièrement augmenté au cours des dernières
décennies.
LE GÉNÉRALISTE, UN INTERLOCUTEUR
DE CHOIX
Trois quarts des adolescents consultent un médecin généraliste au moins une fois dans l’année. Mais, a contrario, moins
de 14 % des adolescents choisissent leur médecin de famille
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prioritairement pour parler de leurs problèmes de santé, et un
sur deux déclare ne pas savoir où consulter sans que ses
parents le sachent.5
Les adolescents ne sont pas des patients comme les autres ; ils
ne sont plus des enfants et ne sont pas encore tout à fait des
adultes. L’intimité, la confidentialité revêtent pour eux une très
grande importance; il faut savoir instaurer ce climat pour réussir
la rencontre et le repérage de leur souffrance. La timidité et la
pudeur les rendent gauches à parler d’eux-mêmes et à expliquer leurs problèmes.
On comprend que face à un adolescent, tout praticien peut
avoir une certaine difficulté pour amorcer le dialogue ; il faut
dépasser le motif premier de la consultation, en utilisant au
besoin les outils élaborés pour aider à l’entretien et au repérage
de la souffrance psychologique que l’adolescent a du mal à
exprimer.
Des propositions portant sur le dépistage individuel chez l’enfant
de 7 à 18 ans, destinées notamment aux médecins généralistes, ont été élaborées par la Haute Autorité de santé. Elles
recommandent de dépister les différentes situations à risques
à l’aide d’outils dont le test TSTS-CAFARD. Ce questionnaire,
simple d’utilisation, est composé de 4 questions complétées
par 5 items clés de gravité ; il met suffisamment à l’aise l’adolescent et le praticien pour permettre d’aborder la question du
suicide en cours de consultation.
Un deuxième outil a été mis en lumière dans ces propositions ;
il s’agit du questionnaire ADOSPA (ADOlescents et Substances
Psycho Actives). Simple d’utilisation, il se compose de 6 questions à choix fermé, binaires (oui/non), et permet un dépistage
assez rapide, pour être systématique, des consommations
nocives. L’analyse des résultats de ce test permet de déterminer
trois niveaux de risque : faible, intermédiaire et élevé, et oriente
la prise en charge.2
CONCLUSION
Nous proposons, au cours de cet atelier, après une analyse et
une mise en commun des pratiques des participants, de
présenter les points clés du rapport de la HAS sur ce sujet et les
principaux tests de dépistage retenus.
■
Références
1. Choquet M, Ledoux S. Adolescents, analyses et prospective. Enquête nationale. Paris: Inserm; 1994.
2. HAS. Propositions portant sur le dépistage individuel chez l’enfant de 7 à
18 ans, destinées aux médecins généralistes, pédiatres et médecins scolaires.
Rapport de synthèse. Septembre 2005.
3. Ladame F, Wagner P. Adolescence and suicide: an update of recent literature.
European psychiatry 1994;9:211-7.
4. Gautier A, Baudier F, Léon C. Synthèse des résultats nationaux, In : Guilbert P,
Gautier A, Baudier F, Trugeon A, ed. Baromètre santé 2000. Les comportements
des 12-25 ans. Synthèse des résultats nationaux et régionaux. Paris: INPES;
2004, p.18-103.
5. Alvin P. Relation de soins en médecine généraliste avec l’adolescent. In : Alvin
P, Marcelli D, Médecine de l’adolescent, 2e éd. Paris: Masson; 2005, p.57-69.
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