lecture_files/Le tampon vert

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Le Tampon vert
de Aziz Chouaki
www.azizchouaki.com
Scène un
Salon marocain, poufs, oreillers, petite table, grande bouteille de Pepsi.
Côté cour, un paravent. Entrent, Zora, dans les vingt ans, et Anissa, la
quarantaine, elles sont en noir. Anissa passe derrière le paravent. Elle
se déshabille et met une djellaba. Zora fait valser ses souliers et passe
derrière le paravent, elle en ressort avec juste un large T-shirt
américain, les jambes nues.
Anissa Tu vas pas rester comme ça, Zora ? Je veux dire les jambes à
l’air ? N’importe qui peut débarquer chez nous, aujourd’hui, tu le sais
bien.
Comme si elle n’avait pas entendu, Zora se rue vers le frigo.
Zora J’avais laissé un yaourt, là, ce matin. C’est toi qui l’a pris ?
Anissa Un yaourt ? Mais j’en sais rien, moi. Peut-être, je sais pas….
Zora Non, mais dis-moi vrai, je veux savoir
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Anissa Attends, d’abord j’ai pas la tête à ça, s’il te plaît. Avec tout ce
qu’on s’est…
Zora Ce yaourt, c’est toi?
Anissa Fous-moi la paix, Zora Pourquoi ce yaourt, qu’est ce qu’il a de
spécial, c’est grave ?
Zora Très grave, Anissa. Je veux que tu me dises. Est- ce que c’est toi
qui l’a bouffé ce putain de yaourt !?
Anissa Écoute, arrête Zora. Si tu veux, je descends tout de suite t’en
acheter, des yaourts, de la même marque, en plus.
Zora Non, ça remplacera jamais l’autre. C’est lui que je rêvais de
bouffer pendant toute cette matinée de merde.
Anissa Tu es vraiment chienne. La mort de Papa, t’as pas honte, c’est
comme ça que tu en parles ?
Zora (aparté) Vers seize ans dans le bus parking du Château de la
Napoule Jacquot colonie de vacances des houillères grand rouquin
musique de fanfare dehors le berlingot hop sauté son truc à Jacquot
tout poilu de saucisson et moi jusqu’au ciel ouverte à lui qui han
encore han et moi le Maroc qui explose dunes et plages dans ma tête
les villes et les yeux palmiers de maman dans le même ciel justement
qui roule de ses gros yeux ronds mes cuisses écarboussées et Jacquot
et la pluie tout d’un coup à verse qui et ma culotte perdue à jamais et
les moniteurs qui font l’appel coups de sifflets les gens de la mine et
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Jacquot
et
moi
trempés
jusqu’aux
os
cheveux
aux
joues
rassemblement tous en rang sur la place du château. Le lendemain,
j’ai appris à jouer aux échecs, je suis imbattable aujourd’hui. C’est
moi qui lui ai appris, à Anissa. Les échecs. Je lui ai filé mes débris de
Maroc, celui explosé que Jacquot dans mon âme, oui, encore, oui.
C’est moi, c’est pour ça que cette grosse conne est toujours vierge, à
quarante-quatre ans.
Anissa Et ton portable ce matin, trrrt, trrrt, à l’hôpital, trrt, ttrrt, à
sonner tout le temps. Et les gens, t’a même pas remarqué, hein, à nous
regarder de travers. Et toi, en plus, avec ta cigarette ….
Zora Quoi, ma cigarette ?
Anissa Eh ben, la cigarette quoi, fais pas semblant, tu sais c’est h’ram
chez nous, pour les femmes. Au moins tu fais ça en cachette.
Zora Toujours en cachette, ça c’est le vrai h’ram pour moi. De vraies
pauvres taupes, voila ce que vous êtes. Vous méritez pas le soleil.
Anissa Tu mélanges tout, de quoi tu parles ? Qu’est ce qu’il vient
faire ici, le soleil. Je te parle de vraies choses, moi, des choses de tous
les jours : la cigarette devant les gens c’est ...
Zora Et papa, il fumait pas du kif ? Quand toi et Farida, chaque soir
après le dîner, à gentiment lui poser la pipe sur la table, monsieur
papa, la petite boîte en métal avec le kif dedans, les allumettes, le
jasmin, le thé. .
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Anissa Mais… le kif… c’est pas pareil, Zora, au Maroc, la tradition,
c’est pas pareil, tu sais bien là-bas tous les hommes ils…
Zora Ici en France ça s’appelle de la drogue. Alors et mon yaourt ?
Anissa Tu mélanges tout.
Zora Faut que je me casse d’ici. Même les yaourts sont en danger
avec vous.
Elle sort quelques secondes et revient une brosse à dents à la main
Zora Il est ou le dentifrice ?
Anissa Le dentifrice c’est terminus : il est à mes dents, les tiennes je
m’en fous. Chacun ses dents, t’as qu’à t’en acheter, du dentifrice.
Zora Ca va, ça va, j’avions compris. Ah, faut que je me dévisse d’ici
vite fait.
Anissa Et ben ouf pars, allez bon débarras.
Zora Ah non, eh eh, partir c’est clair, mais dès que tout sera réglé. On
attend Farida, d’ailleurs, qu’est ce qu’elle fout (elle regarde sa
montre).
Le téléphone, Anissa décroche.
Anissa Allo, oui, Didi Malek, oh ça va, merci , merci. Oui, sur Casa,
dis à la famille que tout est réglé ici, le cercueil, l’avion. On vous
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rappelle pour l’heure, oui Farida. C’est ça, je vais lui dire, oui c’est un
coup dur, Mektoub, Zora ? (elle fait signe à Zora de prendre le
combiné, celle ci refuse d’un geste ) euh, elle est sortie ? je lui dirais,
encore merci, au revoir.(elle raccroche) Pourquoi tu veux pas parler,
c’est ton oncle, Didi Malek? Le frère de papa ?!
Zora Le frère de papa ou le Pape en short, je veux parler qu’à moimême, aujourd’hui. La douleur de papa, je veux la partager avec
personne.
Anissa On t’a jeté un sort, toi, ma parole, j’ai jamais vu ça. C’est pas
possible. Que Dieu…
Zora Ça te bouffe ton yaourt, en cachette, nous y voilà, et ça te parle
de Dieu, nom de Dieu ?! Ah, ça, ça me met les abeilles!
Anissa Et ben va-t’en, chiche qu’est ce que tu attends, allez va t’en !
Zora Et pourquoi moi va t’en ? Pourquoi pas toi et Farida ‘va t’en ?
C’est encore la baraque de papa à cette seconde. J’y ai encore droit,
mon amour. En attendant Farida, le testament. A voir ce que ce joli
papa a laissé à ses fifilles chéries.
Anissa (aparté)J’aurais dû, plus vite là. Chipie de douze ans, à Liévin,
dans la baignoire. La tête sous l’eau, je lui ai mis à Zora, je chantais
fort, couvrir ses cris. Et papa il ouvre la porte, dommage, et moi je
chante plus fort, et lui, lui, il cherche sa ceinture en cuir, il entre,
dommage, je la lâche, elle respire, dommage. Plus vite, j’aurais dû,
plus profond, cette peste. J’ai déchiré ses poèmes, j’ai fait caca dessus
aussi. Maman, l’accouchement, à hurler, les voisines, les serviettes
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mouillées sur son front, la pluie de rage, des chiens dehors, à hurler
maman, son cri dans les rues de Liévin, puis les routes de France, la
mer jusqu’à Ouarzazate l’écho, bâton entre les dents, maman, cette
chienne sort, le cordon, maman, zac coupé, maman morte. C’est Zora
qui a tué maman. (pause)J’ai tout vu de mes yeux, j’ai barré la femme
de moi depuis, c’est pour ça. À Essaouira, petons dodus nus de mes
deux ans sur le sol la braise en été, la place du village, tout le monde :
le tampon vert, tous à crier, le tampon vert, le tampon vert,le tampon
vert !Et papa tout fier beau, il revient d’Ourzazate, sur la place du
soleil tout fier beau, entouré de tous,il ouvre papa, tout fier, sa
chemise, montre sa belle poitrine velue frappée, papa, beau, le tampon
vert brillant émerveillés les visages. Et les femmes, les filles qui
cardent la laine en chantant (à la criée)le tampon vert ! Le tampon
vert ! Berceuse miel et berbère au ciel. Les yeux palmiers de maman
dans le même ciel d’ailleurs.
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Scène deux
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Entre Farida, la cinquantaine fatiguée. Essoufflée, elle pose des
sachets de courses par terre. Les deux autres sœurs s’approchent.
Farida
Ouf, tracasses, que des tracasses, les papiers. Que des
tracasses.
Anissa Ca y est, tu as tout réglé ?
Farida Ca y est. Heureusement Rachid il est gentil, tout il a tout fait,
le pauvre Rachid, la tracasse, l’hôpital, l’imam, la morgue, les papiers,
même le chèque de la sécurité sociale. Tout il a fait, la vérité, Rachid
(elle éclate en sanglots) Papa, tu es parti, tu nous laisse toutes seules,
qu’est ce qu’on va devenir !
Anissa l’enlace, pleure un peu en la consolant. Zora est de marbre,
regardant le sol.
Anissa Courage, Farida, Mektoub, papa il est avec maman
maintenant, allez courage, il va plus souffrir.
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Farida s’essuie les yeux
Farida (vers Zora)Donne moi à boire de ma bouteille, Zora, ma
chérie. Demain c’est ta bouteille, souviens, hier Anissa, aujourd’hui
moi, demain toi, comme ça ça tourne.
Zora (froide)C’est toi qui a mangé mon yaourt ?
Farida Quel yaourt, de quoi qu’elle parle celle-là ? Et c’est quoi
cette… mets une quelque chose chose sur les jambes, on dirait les
filles là de canal plus, Dieu il nous garde. Allez, couvre tes fesses, les
gens ils vont… et ton père à peine il est mort ce matin (elle essuie ses
larmes)
Anissa Laisse, Farida, discute pas avec elle, cette fille est cinglée, tu
vois pas? Attends, je vais te ramener à boire.
Zora Le yaourt dans le frigo, nature, bleu et blanc.
Farida la regarde comme une zombie.
Farida Bleu et blanc?
Zora Ce matin je l’avais mis, pour que maintenant je me le mange.
L’une de vous deux l’a bouffé. Vous êtes pas très... sociables, vous
deux.
Farida C’est qui cet yaourt ? Papa il est mort aujourd’hui et toi tu
tortille le je sais pas…. Et avec ta cigarette de débauchée ce matin, au
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cimetière, que tout le monde il te voit, et ton walkman ou je sais pas
de portable moi, il a sonné la honte. Et tu me dis yaourt ?
Anissa donne un verre de Pepsi à Farida.
Zora Et je dis yaourt.
Anissa Ne lui réponds pas, Farida, laisse là, il lui manque une case, tu
le sais bien. Bon et alors, on fait comment maintenant.
Farida fouille dans son sac et sort une sacoche en cuir
Farida Tout il est dedans, c’est Rachid le pauvre, Allah il le bénit.
Tout il a fait, tout il est dedans, les passeports, les billets d’avion, tout.
Après on voit combien chacun on partage. Regarde toi Anissa, les
papiers tout ça. Tu sais je sais pas lire, moi.
Anissa sort des papiers d’une sacoche, elle prend les billets d’avion.
Anissa C’est pour après-demain, vol de 15 h. Faut rappeler Didi
Malek, pour l’heure, ils viennent nous attendre à l’aéroport.
Farida Fais moi le téléphone, je vais parler à lui. (Anissa compose le
numéro et lui donne le combiné) Allo, Didi Malek… oui, c’est terrible
(entrecoupé d’arabe) Hier il était bien, la vérité, je lui ai pris des
fleurs, oui à l’hôpital. Devant la télé, je l’ai trouvé, bien je te jure,
devant Michel Drucker, il était bien vraiment. Eh puis pouf … oui,
Mektoub… oui, après-demain l’avion, on part à trois heures.. voilà...
embrasse tout le monde. (elle raccroche et se met à pleurer).
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Anissa (aparté) Farida aussi, je lui ai fait caca, sur ses Louis d’or.
Quand Mustapha printemps endimanché a demandé ma main, quand
elle a persuadé papa de dire non. A ma porte rien n’a toqué depuis.
Alors voilà. Parce que c’est comme ça, et au Maroc aussi, ma chaîne
en argent, pendant la sieste, une fois, elle me l’a volée, je dormais
d’un oeil, je l’ai vue, j’y croyais pas. L’épicier du village, elle lui a
vendu, j’ai appris plus tard. La femme de moi s’est allumée, toute
scorpion rien à faire, alors. Dans le bus, retour de Marrakech, soleil
qui grille je lui en ai glissé un, dans son sac, de scorpion, s’en est
sortie la salope, une semaine de bras enflé. Mustapha printemps que
jamais plus rien du tout d’endimanché à jamais depuis. Fils de mineur
aussi, peuple des fosses 11, des cages, des briquets, du gris de
Sallaumines, froid de musette au museau le matin, des plein de sansterre, aussi. Les enfants du tampon vert. Avant que les mines elles
ferment, avant le grand soir noir. C’est pourquoi maintenant, les crocs
et les griffes, (pause) il fait si froid dehors.
Farida J’ai croisé M. Guérin, avec un chien, sur la vie de papa et
maman la photocopie de mon Sultan, tu sais comme ça le même
marron et blanc, que Dieu ait son âme.
Anissa Oui, je l’ai déjà vu, ce chien. On dirait Sultan, tu as raison.
Farida Oui mon pauvre Sultan. Je disais, M. Guérin, oui, ce matin,
devant la poste, ses petites lunettes, brave élégant de monsieur, dans la
même équipe que papa toujours. Au début ils étaient la fosse 9, tous
les deux à Oignies, après je crois c’est la 12…
Anissa Non, la 11/19. La 12 elle avait fermé, éboulement, douze
morts.
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Farida Oui, la 11/19, tu as raison Anissa, à Loos, ensemble doigts de
la main, avec M. Guérin, les deux à les voir. Eh, la mine,(soupir) c’est
elle il a tout donné, la mine, la vérité : le manger, les habits, l’école
pour toi Zora,toi un peu Anissa, les stages, c’est la mine la maman de
tous. Maintenant toutes elles sont fermées, la mine, c’est plus pareil et
triste, Mektoub. Il m’a montré des photos, M. Guérin, avec papa (elle
renifle) devant l’église, 14 juillet à Liévin, avec Maurice et le petit
rouquin Jacquot, tu connais à l’école toi Zora, Jacquot le rouquin?
Zora Berlingot.
Farida C’est quoi ce ‘berlingot’.
Zora Un berlingot c’est une délicieuse friandise qui se suce profond
et qui a un goût de yaourt.
Farida Espèce de sauvage de fille. Ton cœur c’est comme le
plastique, toi, ou le Sopalin, oui, il prend des ordures dans ta bouche
comme des couteaux le pain. Saloperie, va..
Zora C’est qui les ordures dans la bouche. Je te parle berlingot, moi,
yaourt.
Anissa Tu arrêtes un peu, Zora ?! On peut plus réfléchir, là. Alors on
fait quoi ?
Zora (aparté)Jamais l’amour à dire, papa, jamais un mot, toujours
grognon gris silence à laper la chorba, père arabe du Larousse, vrillé
viril tu sais, plein de mystères crépus. Trois filles, trois flèches, papa,
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de honte. Dès la froide aube, pendant vite 30 ans, les trois huit, les
fosses, cœur de houille bleutée. Son doux regard sur moi, souvenir de
présence,jusqu’au jour. Où mes seins, pop, ont jailli au jour. Plus
jamais, doux regard, papa s’est depuis fermé à lui. Cette serpente de
Farida, mes premières lettres d’amour, François le bel aux yeux
romarins, déchiquetées chaque fois. Je l’ai vu Sultan. C’était après
Jacquot, berlingot. Je lui ai donc appris à jouer, à Farida, aussi. Aux
échecs. Deux ans après son mariage, répudiée, parce que stérile. La
serpente chienne. Plus de mec, idem pour Anissa, l’autre siamoise
pute de grosse vache, jamais de mec. Tous les mecs du monde sont
entre mes jambes, depuis.
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Scène trois
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Farida se lève, passe derrière le paravent et en ressort vêtue d’une
robe d’intérieur arabe.
Farida Bon, maintenant faut les préparer les cadeaux, et les choses
tout le village il attend là bas. Et faire le grand couscous. Didi Malek
c’est lui il s’occupe, il a dit au village.
Anissa Ok, on va faire une liste, et demain on fait les courses, on
partage par trois.
Zora Non par deux, c’est romanesquement plus singulier, je trouve.
Les deux autres sœurs ne comprennent rien
Farida Sacré… tu peux pas le parler comme tout le monde il parle la
français ? Toujours pas pareille, zâama, toi, t’es une fanfaron, toi.
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Anissa Qu’est ce que tu veux dire… deux ?!. Tu ne paies pas avec
nous les cadeaux ?
Zora Non, c’est beaucoup plus fun que ça. Extrêmement plus marrant.
C’est tout le côté ethnoïde de l’affaire qui se zappe, d’un coup.
Farida Allez parle au lieu de charabia là…
Zora Le truc complet de l’affaire, c’est que je ne viens pas avec vous.
Au Maroc. C’est simplement tout. Voila.
Les deux sœurs sont abasourdies.
Farida Quoi, comment ?
Anissa Tu es complètement folle, Zora.
Zora Je veux juste donner de la respiration à mon libre-arbitre, deux
secondes. Et là...
Anissa C’est pas possible ? L’enterrement de papa, tu te rends
compte, toute la famille, Didi Malek, tata Amina, les enfants, Youcef
et Fatima ta cousine, tout le village sera là, tout le Maroc, et toi…
Zora Tout ce Maroc c’est fini pour moi, parti avec papa, bye bye
hombre. Je suis faite de Navarre, aussi, très beaucoup. Alors donc, le
mien, de Maroc… pouvez pas comprendre, mesdames.
Farida Attends, attends, comment ça tu viens pas ? Bien sûr tu vas
venir, obligé tu vas venir.
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Zora T’as dis quoi là, Farida ? Voilà, tu as dit le mot exact, ma chérie.
C’est cet ‘obligé’, ce Maroc de l’obligé’ que je pisse dessus, moi.
Farida lui lance une pantoufle que Zora esquive de justesse.
Farida Satan il t’a avalée ça y est, ordure, que tu insultes ton pays,
que c’est de ton père de l’honneur que dedans la boue tu traînes. On
va enterre ton père dans ton pays, ton père c’est ta viande, il faut que
tu est là.
Anissa Oui, Zora, réalise, t’est complètement dingue ? Imagine, tu
seras grillée du village, à jamais, de la famille…
Zora éclate d’un fou rire. Elle manque de s’étouffer, tend le bras vers
la bouteille de Pepsi. Farida l’en dissuade violemment.
Farida Touche pas à ma bouteille, saloperie, va, que tu me donne la
honte je sais plus les gens comment je vais les regarde demain.
Anissa Tu n’as pas peur, Zora, je sais pas, moi,euh… le bon Dieu,
tous ces trucs, je veux dire c’est très Hr’am ce que tu vas faire là.
L’Islam il a dit…
Zora Le père Noël aussi… il a dit.
Farida En plus, tu es une …
Zora Courgette farcie berlingot au yaourt. Romarin de rouquin, c’est
ça le tableau, les meufs.
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Farida Ma parole il faut tu vois le docteur, toi, qu’il voit la mécanique
elle est détractée tout dans ta tête. Tu es folle
Anissa Fais pas attention, Farida, elle est que dans la frime, c’est du
cinéma, cette fille.
Farida (Aparté) Au début… mais après tout il s’est… parce que…
l’intégré d’accord, mais qui c’est il va… il... les figuiers de
Ouerzazate dans le soleil du brûle et puis vite tout de suite dans l’hiver
congélateur à Sallaumines, le ramadan et la noël tu fais le tchik tchik,
comme au casino, le cocktail. Tu a aussi dans l’intégré les robes y en
a la solde en ce moment, moderne traditionnelle, un peu un peu. Et le
formage,j’aime le formage beaucoup mieux dans la promotion, le
roquefort beaucoup. La micro-onde aussi, et tous ceux-là d’Internet
que je croyais que c’était une laverie, et la culture, parce que c’est la
télévision la vérité, il faut civiliser, Michel Drucker, Claire Chazal et
les nouveaux choses là, « Qui veut gagner des millions ». L’autre jour
j’ai pleuré sur la vie de ma mère, j’ai pleuré, un pauvre l’autre à
petites moustaches, il a raté, eh ben moins cinq le pauvre, moins cinq,
j’ai pleuré la vérité pour lui, le pauvre. C’est ça il est pour moi
l’intégré, c’est ça veut dire propre dans la rue, pour les courses ou
faire la travail, pas comme ces sales là les bosniens ou je sais pas la
croiyassie, ou de truc, robes déchirées, des mendiants. Non, l’intégré
c’est le parler la France, ah oui, moi l’école il a raté pour moi, c’est
papa il a dit non, mais ça va maintenant, je me dégourdille . Et c’est
tout il te s’ouvre après, je te jure, le parler la France. Ah, oui tout de
suite ça y est ! comme des lunettes propres. « Excusez-moi, oh je vous
en prie ». Mon chien Sultan le beau, comme les Françaises, je le
sortais avant que…(elle sniffe une larme) Au Maroc, c’est pas pareil,
non, Ouarzazate, tu peux pas s’habille l’européenne, non. Là-bas, c’est
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les chèvres, le feu à souffler, la galette sur la braise, c’est ça … et la
terre à bêcher, elle est dure, elle donne pas beaucoup, c’est comme
moi mon ventre, pas d’enfants, potager sans courgettes, Mektoub. Les
deux chiennes, dans mon dos elle m’ont fait le sortilège avec le
talisman un jour j’ai trouvé dans mon lit. C’est elles, le malheur, tout
dans la famille, c’est elles. C’est elles elles ont fait que tout il est
tordu, c’est elles.
Anissa Bon. On fait quoi, Farida ?
Farida Le notaire il va dire tout l’héritage, papa il a laissé. Après je
reste le Maroc, j’en ai marre la France, c’est triste pour moi ici, trop.
Je fatiguer trop de la France je rentre de bon toute ça y est cette fois.
Anissa Moi je sais pas. Rester un bout de temps peut être, mais pas
pour toujours… essayer les grandes villes, Casa, Tanger. Je pourrais
pas pour de bon, je crois, trop pris de plis, ici.
Zora Voilà bien les fifilles à papa.
Farida C’est quoi tu dis là? Voila encore le sale il va sortir de sa
poubelle de bouche, celle là.
Zora Je dis papa c’était un gros macho, c’est tout. Juste à vous voir, le
résultat.
Anissa T’as pas le droit de dire ça.Il a jamais trompé maman, il a
toujours été...
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Zora Pourquoi il t’a jamais mise à l’école, Farida, hein ? Et pourquoi
il t’a fait quitter l’école au CM2, toi Anissa ? Parce que tu avais des
nichons et que...
Anissa Arrête ! C’était pour aider maman, elle était tout le temps
malade, tu t’en souviens pas, trois fausses couches !
Zora Et pourquoi il débranchait le téléphone et il le prenait avec lui au
boulot ?
Farida Eh ben, euh… c’est pour pas qu’on nous embête, c’est tout.
Qu’est ce tu vas chercher dans les poux, toi ?
Zora Et les raclées avec la grosse ceinture en cuir, comme ça, pour
rien, la Loi.
Anissa Eh ben, c’est normal, c’est papa, qu’est ce que tu veux faire,
on faisait des bêtises, quoi. Ah c’est toi qui aurais dû en prendre des
raclées... t’étais trop petite alors, salope de hyène.
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Scène quatre
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Klaxon. Farida se lève.
Farida Ça il est Rachid, c’est sûr, le pauvre gentil. Il a dit il ramène
des affaires à papa de l’hôpital. Je vais chercher.
Elle sort
Anissa Alors c’est décidé ? Tu viens pas au Maroc ? Tu veux pas
réfléchir ?
Zora Oh, y a pas de quoi chier une mosquée ? je veux plus en
entendre parler, du Maroc.
Zora prend un paquet de biscuits, Anissa le lui arrache des mains.
Anissa Touche pas à ces putains de biscuits. C’est mes biscuits, c’est
moi qui les ai achetés.
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Zora Bon, bon réfléchissons, réfléchissons.
Anissa Tu... pour le Maroc, tu réfléchis ?
Zora Non, je réfléchis à ce que je pourrais bien bouffer et qui
m’appartient, vu que ce putain de yaourt... Ah, ça y est ! Du fenouil,
c’est moi qui l’ai acheté le fenouil pour le dîner, hier. Donc, c’est mon
fenouil, je vais en manger.
Elle mâchouille une branche de fenouil.
Anissa Franchement, Zora, tu devrais pas déconner, pour le Maroc, je
te parle de sœur à sœur, c’est important, il faut que tu viennes. Tu...
veux un biscuit ?
Zora J’hallucine, l’autre, elle veut m’acheter avec un biscuit. Le
Maroc contre un biscuit, faites vos jeux mesdames messieurs.
Anissa Qu’est ce que tu vas chercher. Non, c’est juste comme ça...
c’est mieux que le fenouil.
Zora Garde le ton putain de biscuit. Ca sent trop le fenouil, justement.
Oui, le chantage au Maroc. Je préfère mon fenouil libre. Un biscuit, tu
te rends compte ? C’est pour ça que les Arabes...
Anissa Eh, mais t’es une arabe, toi aussi ! De quoi tu parles, ma
parole, on dirait que t’es devenue… raciste.
Zora Non, c’est juste que j’ai envie de me sniffer de l’oxygène, un
coup. J’irais un jour si j’ai envie, au Maroc. Au bon vouloir de mon
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propre gré. Mais en vacances et comme il faut. Le village, les ânes, les
moustiques tout ça, non merci.
Anissa Tu vas trop loin, là, Zora. Irrécupérable.
Farida revient, un sac dans les bras.
Farida Voilà ce qu’il avait, papa, tout sur lui, à l’hôpital, le pauvre.
On va voir.
Elle déballe des affaires.
Anissa Oh, sa montre, il l’avait gagnée au stand de tir à la kermesse, à
Liévin.
Zora (à voix basse) Le 12 décembre 1985.
Anissa Ca c’est sa chaîne en or.
Farida Cadeau de Didi Malek ; pour l’Aïd. Elle est jolie, avec le petit
Coran, il est vraiment écrit, tous les versets tout tout tout petit dedans
quand tu l’ouvrir.
Anissa Pantalon, souliers, ceinture en cuir, mouchoir, chemise,
pyjama, linge de corps. Voilà ce qui reste de papa.
Farida Faut attendre le notaire il dit le testament quoi il y a dedans.
Mais je crois il y a cette maison ici, et deux autres au Maroc, la vieille
au village et la nouvelle d’Agadir.
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Zora Qui n’est pas finie, et qui ne finira jamais de finir, la nouvelle
d’Agadir.
Farida tente de la pincer
Farida Tais-toi, la peste. Bon, et ... Anissa, c’est quoi il a fait papa le
chose là de l’associé avec Boudjemaa ?
Anissa Oui, le restaurant avec Boudjemaa, papa était associé, on a les
papiers. Et puis, il y a les terres au Maroc, on pourra les vendre, les
oliviers, les figuiers.
Farida Jamais de la vie, ma fille, vendre la terre ! La terre c’est ça il
est ton corps, il donne à manger, la terre, il guérit, il fait le bonheur, il
est c’est ça le Maroc. Tous nos parents ils sont enterre là bas, c’est eux
après leurs corps il donne les courgettes, la menthe et tout ce qu’on
mange et qu’on devient Marocain. Jamais la terre on la vend..
Anissa Bon, et ça, ses affaires, qu’est ce qu’on en fait ?
Elle trie les effets du père.
Farida Ca il est pas besoin de le notaire, je crois Anissa. Regarde, on
partage tout seuls, c’est facile juste entre nous. Chacun il prend une
chose. Moi c’est la chaîne avec le tout petit Coran, la vérité c’est ça il
me plait le plus.
Zora est en retrait, elle a un regard méprisant.
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Anissa Elle est belle, tu as raison, mais la montre aussi. Si on faisait
un tirage au sort ?
Farida Oui, avec une fourchette, tu sais, tu tourne comme ça et là où
elle tombe tu gagnes. Bonne idée.
Anissa On va faire ça, tu vas voir.
Elle se lève, prend une fourchette qu’elle pose sur la table.
Farida Allez, voila,fais la tourner bien. Attention, on commence par
la chaîne.
Anissa fait tourner la fourchette qui s’arrête sur Zora.
Anissa Tu as de la chance, allez la chaîne c’est pour toi, Zora. On
passe à la montre, maintenant.
Elle fait tourner la fourchette,qui s’arrête de nouveau sur Zora
Farida Cette diablesse elle est de la chance, aujourd’hui.
Anissa tend à Zora la chaîne et la montre.
Anissa Tiens, c’est encore pour toi.
Zora Merci, j’en veux pas, vous pouvez vous le garder.
Anissa Quoi, tu refuses ? C’est à papa, ça ?!
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Zora Non, je vous laisse la chaîne et la montre. C’est autre chose que
je voudrais.
Farida C’est quoi que tu veux,parle !
Zora Je veux le slip de papa.
Anissa Quoi ? T’es une malade, toi. Sale... pute, va.
Farida se lève et lui saute dessus en l’étranglant
Farida Sorcière, tu mets papa dans l’ordure, toi hein, je vais te
montrer, moi papa qui c’est.
Zora se défend en la mordant, mais Farida reprend le dessus, elle
l’étrangle de plus belle, assistée par le regard complice d’Anissa.
Anissa Oui, vas y, c’est tout ce qu’elle mérite, cette merde. Serre, oui,
oui, jusqu’au bout, vas y Farida. Attends je vais t’aider
Anissa s’y met, elle maîtrise Zora, que Farida étrangle. D’une ruade,
Zora réussit à se libérer. Elle sort et revient avec un long couteau de
cuisine.
Zora Approchez, batardes, je vais vous enculer avec ça. (elle fait des
moulinets, les deux sœurs sont collés l’une à l’autre) Vous faites
moins les zouavettes, hein ? On va lui changer son mode à la
conversation, maintenant. Bon, voyons voir (elle regarde les affaires
du père)Je vous laisse la quincaillerie, même la ceinture en cuir et je
prends… (de la lame du couteau,elle soulève le slip et le porte à ses
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dents)… ça. Mm, l’odeur, je viens de là, vous aussi. Je vais me lécher
ça toute seule.
Noir progressif et complet.
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Scène cinq
________________________________________________________
Les trois sœurs sont debout face public, apartés alternés, elles ne se
regardent jamais.
Anissa Non, c’est pas moi, je l’ai pas tué, Sultan. Je lui ai mis une
fois, de la mort aux rats dans sa pâtée
Farida C’est Zora, elle a tué maman.
Anissa Il a vomi, mais il s’en est sorti. Non c’est pas moi.
Zora Je suis née dans la mort de maman. C’est tout ce qu’il y a à dire.
Farida Mes Louis d’or, caca dessus, l’une des deux.
Anissa Moi je suis la vierge des trois, pas de mémoire d’homme ma
peau. Pourtant, soleil aveuglant dans mes quatre ans à Fez avec ma
mère et des tantes dans la médina, ce parfum qu’un marchand m’a
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donné, pour la Grâce de mes joues d’alors, que Dieu vous la bénisse.
Une semaine après, disparu, le flacon.
Zora On a crié en même temps, maman et moi. Elle la mort, moi la
vie. je suis née de France, grandie de France, j’ai la France dans mes
gencives.
Anissa Aveuglant soleil de mes 4 ans, à Fez, grâce de mes joues,
Zora Mon yaourt bordel de bordel.
Farida De Maroc, je préfère moi, les légumes,les courgettes.
Zora Mes premiers poèmes, déchirés ;c’est l’une des deux, caca
dessus.
Anissa . Le marchand, le flacon de parfum disparu.
Zora Les échecs, je leur ai appris, à ces vipères.
Anissa Je l’ai retrouvé, vidé, remplacé par de l’urine. De deux choses
l’une.
Farida Les lettres, je sais pas lire. Je sais rien lire, moi. C’est Anissa
elle m’a dit pour Zora, les lettres de garçon
Zora Terminus les hommes, le paradis, pour elles. Guenons de
salopes.
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Anissa Non, Sultan c’est pas moi, au printemps je suis sage, parce que
mon endimanché Mustapha.
Farida Alors zzt , j’ai déchiré les lettres, c’est h’ram, la fricoter avec
le garçon. Maman elle est morte, alors c’est moi je remplace.
Zora (elle casse l’aparté)Il est mort quand, Sultan ?
Farida Le 12 décembre 1985, jamais de la vie j’oublie, jamais de la
vie.
Anissa(elle reprend l’aparté)C’est Zora qui a tué maman. C’est le
pipi de Farida dans le flacon. Je l’ai vue Zora, avec le chien. Il y a
toujours des printemps au Maroc.
Farida Papa, le tampon vert, il veut dire il est bon pour les travails
dans les mines. L’embauche, ça veut dire, il fait l’émigré.
Zora Le 12 décembre 1985, j’ai tout compris, en voyant Sultan.
Anissa C’est moi qui lisais les lettres d’amour de cette Zora de
chienne, à Farida.
Farida Le tampon rouge, il veut dire c’est le pas d’embauche, il fait
pas l’émigré dans les mines.
Zora J’ai vu dans sa gueule, le chien, des morceaux de papiers j’en ai
recollé quelques-uns.
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Farida Papa, lui, c’est le vert, l’espoir, la couleur du Coran. C’est ça
papa.
Toutes les trois Le Tampon Vert.
Zora François le bel aux yeux romarins, son écriture toute en déliés.
J’avais compris.
Farida Sur la poitrine, il est mis la tampon. Quand c’est vert il ouvre
la chemise il montre. Quand c’est rouge, il ferme, la honte.
Anissa A voix haute, en changeant des passages, pour la couler cette
peste de Zora. Les lettres d’amour.
Farida Quand c’est rouge, il ferme, la honte.
Zora J’ai pris le pilon, je l’ai bien regardé dans les yeux le Sultan de
chien.
Anissa Pour : « j’ai envie de caresser tes cheveux » je disais « je brûle
d’envie de t’enculer »
Zora Il avait les yeux de Farida, à me fixer, le clébard, pendant que je
recollais les morceaux de l’amour.
Farida L’une des deux.
Anissa Rester au Maroc ?
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Zora A me regarder, le chien, j’ai pris le pilon le 12 décembre 1985,
et je lui ai fracassé son putain de crâne, le chien, sa cervelle a volé en
éclats, comme la lettre, confettis olé jusqu’à Casablanca.
Farida C’est la mine il a tout donné, la vérité. Ah moi je dis, c’est la
mine.
Anissa Je l’ai vue Zora, traîner le chien,par la queue. J’ai ri des yeux
en pensant à Farida, la gueule qu’elle allait faire. Le parfum, le
Printemps, mon endimanché Mustapha.
Noir plusieurs secondes, tic tac de pendule. La lumière revient, elles
vaquent dans le salon. Une lettre monte du sol et s’immobilise. Elles
entourent la lettre.
Zora Ca y est , c’est le testament , on va enfin savoir.
Elle tend la main pour la prendre et reçoit une claque de Farida qui
prend la lettre.
Farida Touche pas à papa, sorcière de chèvre. Allez, tiens (elle donne
la lettre à Farida) ouvre, Anissa, et lis, vas y, dis nous ce qu’il a
laissé, ce pauvre papa.
Anissa ouvre la lettre et commence à la lire à voix basse. Elle devient
livide au fur et à mesure qu’elle lit.
Farida Qu’est ce qu’y a, dis, allez lis la lettre, elle va pas te manger,
non ?
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Anissa Papa… oh papa… il ….
Zora Allez vas y crache. (elle lui arrache la lettre et continue à lire
à haute voix) voyons voir hm… ‘… dettes de jeu… prêts bancaires…
découvert … hypothèques… faillite…’ en bref les filles, c’est Tintin,
c’est marron. Pas un rond, il nous a laissées. Que des dettes. …
Silence.
Anissa Il faut décider, maintenant.
Elles s’avancent face public, l’une après l’autre.
Farida Le tambour, le bendir d’Agadir, d’ici j’entends, il m’appelle le
bendir, et les danseurs, la transe, les couteaux dans le ventre, et leurs
yeux blancs, des éclairs dedans. Les chèvres, c’est pas bon, les racines
des oliviers elles mangent tout le temps, c’est pas bien, après la récolte
elle est trop petite. C’est pour ça, mieux pour moi, là bas , garder les
chèvres, un peu de galette aux herbes, des figues sèches dans de
l’huile d’olive, ah je te jure, mieux que le Macdonald et tout ce que tu
veux, de grec, ou de Panini. Alors, pour moi tout il est décidé. Ah ça y
est, je pars, définitif, le Maroc, c’est ma tombe.
Zora Moi, jeune greffon de France, les centres aérés, des lundi au
soleil, tout ce qui république quoi, à flâner flipper, bar d’émigrés qui
l’ont saumâtre, l’exil, rosé mon cochon, rosé, poulette de grain, de
cette douce France, mère de toutes les carte de séjour, mes yeux à moi
c’est cette ligne là, bleue et coq, sans culotte et à bas le roi, qu’on lui
coupe le chef, derechef et ainsi chût le chef du chef déchu. Parce que
mes bancs d’école, cours de géo, à rêvasser Périgord et Franche-
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Comté, pas du tout l’intention de quitter le Loft. J’y suis, c’est bon,
j’y reste donc.
Anissa Moi, ç'est comme la pizza Japonaise, le couscous Ecossais, la
tequila
Ukrainienne,
le
champagne
Nigérien,
les
spaghettis
Guadeloupéens. Même la nuit, le lait est blanc, ça je le sais, donc t’as
beau faire… Je l’entends, ben oui, moi aussi, d’ici, tonner le bendir
d’Agadir, je les sens, han, mes mains dans la pâte de la galette aux
herbes. Et dehors ce Maroc aux yeux couchant, les braises à tenir
vivantes, et les odeurs du suc du jour, le marché aux légumes, les
charmeurs de serpents. Mais ici aussi, sur ma peau tatoué, Mylène
Farmer, le pain perdu, les Restaus du cœur, les soirs de Nöel, la
France des femmes, qu’elles soient nues ou en burkas, la liberté c’est ,
oui, voilà,j’ai enfin trouvé, la liberté c’est la vraie clef des songes.
C’est pour ça que… entre le bendir et ma peau, la galette aux herbes et
le pain perdu, à vrai dire, (pause) je ne sais pas encore.
Noir progressif.
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