date et lieu de la manifestation

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date et lieu de la manifestation
DATE ET LIEU DE LA MANIFESTATION
SOMMAIRE
Discours d’ouverture........................................................................................................3
Yves DUBIEF ...............................................................................................................3
Introduction ......................................................................................................................5
Marc DUFAU................................................................................................................5
Recyclage textile : où en sommes-nous ? .......................................................................7
Jean-Luc BARTHARES ...............................................................................................7
Du prêt-à-porter au prêt-à-recycler ................................................................................10
Présentation de The Second Life Collection .................................................................16
Construction et décoration d’intérieur, quand recyclage
rime avec performance et durabilité ..............................................................................17
Echanges avec la salle ..................................................................................................20
Et si la commande publique s’engageait ? ....................................................................22
Echanges avec la salle ..................................................................................................25
Discours de clôture ........................................................................................................27
Baptiste LEGAY .........................................................................................................27
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DISCOURS D’OUVERTURE
YVES DUBIEF
Président de l’Union des Industries Textiles
Je suis très heureux de vous accueillir nombreux à ce colloque sur le recyclage dans le
domaine des textiles. Votre présence est un succès pour nous tous. Mes premiers mots de
remerciement s’adressent aux organisateurs de ce colloque, qui ont mené un important travail collectif
depuis plusieurs semaines. Je remercie également la Direction Générale des Entreprises (DGE),
fidèle au secteur textile, et tout particulièrement Annie Calisti et Fabrice Leroy, qui nous ont
accompagnés récemment dans notre tour de France du plan industriel stratégique. Je remercie
également la Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR), avec laquelle nous venons de
conclure, à l’issue d’un long débat, le nouvel agrément de notre éco-organisme. Je n’oublie pas
Eco TLC et son équipe, animée par Alain Claudot, ni bien sûr le réseau de l’Union des Industries
Textiles (UIT), en particulier la Fédération de la Maille et de la Lingerie, l’UIT Nord, Unitex et la FACIM
qui se sont mobilisées avec enthousiasme pour préparer le colloque de ce jour.
Pourquoi ce colloque aujourd'hui, et pourquoi une telle mobilisation sur le recyclage du textile ?
J’y vois trois raisons essentielles :
Tout d’abord, le cadre législatif et réglementaire français est fortement incitatif. Notre
éco-organisme, Eco TLC, vient d’être agréé pour une nouvelle période de six ans, avec des priorités
ambitieuses tant au plan quantitatif – 300 000 tonnes de déchets textiles collectés – que qualitatif –
davantage de recyclage et moins de réemploi. En outre, le plan national de prévention de la
production de déchets, volontariste, assigne des objectifs précis à chaque filière. Par ailleurs, le logo
Triman figurera sur tous les produits soumis à la responsabilité élargie du producteur (REP), dont le
er
textile fait partie, à compter du 1 janvier 2015. Enfin, nous bénéficions d’une longue expérience de
partenariat avec l’Ademe, qui sait accompagner les projets innovants.
En outre, les acteurs de la collecte, du tri, du recyclage, de la distribution et du luxe, sont
prêts à dialoguer et à s’engager dans des projets collaboratifs. Ils sont également prêts à
s’investir dans les équipements matériels de recyclage, mécaniques ou chimiques, mais aussi dans
l’innovation, la recherche et le développement. Votre présence aujourd'hui en témoigne : nous
sommes un peu plus de 200 personnes. Nous avons tous la volonté d’améliorer la collecte, de lever
les freins technologiques existants – par exemple la séparation des fibres -, et de fabriquer de
nouveaux supports textiles à partir d’une matière recyclée qui soit appréciée et désirable aux yeux les
consommateurs. Comme vous le savez, un plan industriel stratégique « Textiles techniques et
intelligents » a été lancé dans le cadre de la Nouvelle France industrielle au mois de septembre 2013.
Son premier axe porte sur la production de fibres biosourcées et l’économie circulaire.
Ces deux priorités pourront prétendre à des financements publics sous différentes formes
(subventions, avances remboursables, participations aux fonds propres d’entreprises innovantes ou
montées en capital au sein de consortiums). Le ministre de l’Industrie, Emmanuel Macron, a
récemment confirmé une enveloppe totale de vingt millions d'euros. Si l’on divise ce montant par trois
– étant donné que ce plan comporte trois axes – on peut penser que la première priorité bénéficiera
d’une affectation de près de sept millions d'euros.
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Pour mémoire, les deux autres priorités sont les textiles instrumentés et connectés et l’usine
textile du futur. Vous avez sans doute remarqué que le textile est souvent mentionné parmi les 34
plans de la Nouvelle France industrielle. Le Premier ministre Manuel Valls, dans son discours lors du
vote confiance à l’Assemblée nationale, avait illustré son propos en citant le textile.
Enfin, le marché est demandeur en France et en Europe. Du côté des consommateurs de
mode, il existe une appétence indéniable pour les vêtements fabriqués à partir de fibres recyclées.
L’IFM nous donne à cet égard quelques chiffres : 9 % des consommateurs ont déjà acheté pour euxmêmes des vêtements à base de textiles recyclés et 7 % en ont acheté pour leurs enfants. Les plus
séduits par cette démarche sont les personnes âgées de 25 à 34 ans, sans discrimination de pouvoir
d’achat et avec une représentation forte des femmes.
Du côté des acheteurs professionnels, qu’ils soient publics ou privés, la demande existe et
connaît une croissance importante, notamment dans la plasturgie, la construction ou la décoration
intérieure. Les matériaux textiles recyclés sont en train d’obtenir les certifications techniques
indispensables à la généralisation de leur emploi sous forme d’isolants, de géosynthétiques ou de
compounds pour la plasturgie. L’industrie textile française est en plein rebond. Elle est forte de 65 000
salariés. Son chiffre d’affaires s’élève à 12,5 milliards d'euros. L’année 2014 s’achève sur une
progression de ce chiffre d’affaires et des exportations de l’ordre de 3 %. L’innovation et
l’internationalisation sont les deux leviers principaux de cette renaissance industrielle. En cette
période de fin d’année, je forme le vœu que le recyclage textile devienne rapidement un troisième
facteur clé de succès pour notre filière.
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INTRODUCTION
MARC DUFAU
Direction Générale des Entreprises – Ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique
Je commencerai par une information complémentaire à l’exposé de Monsieur Dubief. Outre le
plan industriel stratégique « Textiles techniques et intelligents » évoqué à l’instant, un second plan est
susceptible d’intéresser votre secteur parmi les 34 plans de la Nouvelle France industrielle. Il s’agit du
plan « recyclage et matériaux verts », piloté par Antoine Frérot, PDG de Veolia Environnement.
Certes, les axes prioritaires de ce plan ne font pas apparaître les déchets textiles. Néanmoins, le
projet de loi sur la transition énergétique prévoit la réorientation des flux de déchets depuis les centres
d’enfouissement vers les industries dédiées au tri et au recyclage. Cet objectif, qui soulève la question
de la mise en œuvre effective d’une industrie du recyclage, est susceptible d’intéresser la FNADE et
FEDEREC. Il pourrait avoir des répercussions au niveau du maillage territorial, mais aussi en termes
de massification des flux ou d’augmentation des capacités de tri. Il soulève également des enjeux
techniques. A mon sens, des projets textiles pourraient être présentés dans le cadre de ce plan et
trouver un financement, notamment grâce à l’Ademe. Outre les financements, l’Etat peut contribuer à
dynamiser les filières REP par une simplification administrative. Ainsi, un certain nombre de
dispositions réglementaires pourraient être modifiées, en particulier concernant les combustibles
solides de récupération (CSR) ou la sortie du statut de déchet (SSD).
Comme vous le savez, le Conseil national de l’Industrie a été mandaté pour initier, mettre en
œuvre et suivre une dynamique d’économie circulaire auprès de ses 14 comités stratégiques de
filières (CSF). L’opération ne concerne pas uniquement la filière textile. Elle concerne les filières
concernées par l’économie circulaire, comme la filière chimie et matériaux, mais aussi la filière
numérique. Chaque CSF doit s’approprier la thématique de l’économie circulaire et inscrire dans son
contrat de filière un état des lieux et des parcours de progrès en matière d’économie circulaire.
Aujourd'hui, il n’existe pas de définition officielle de l’économie circulaire au niveau national.
Néanmoins, certaines voies de convergence émergent, et des critères reviennent de manière
récurrente. Pour l’ensemble des filières industrielles, la création de valeur ajoutée, y compris en
termes d’emploi et de chiffre d’affaires, constitue une composante essentielle de l’économie circulaire.
Dans un état des lieux, le CSF Mode et Luxe évoque le recyclage des matières textiles, en
énumérant un certain nombre d’enjeux techniques et industriels, et en demandant un certain nombre
de modifications réglementaires. L’incorporation de matières premières recyclées dans l’élaboration
de produits finis constitue un enjeu fort de la filière des TLC, et la dynamique existe. Dans d’autres
filières, tout reste à mettre en œuvre sur cet enjeu, qui nécessite des investissements assez lourds.
C’est la raison pour laquelle nous avons inclus, dans la réglementation, la mention « autant que
possible ». La démarche des parcours de progrès vise à inciter les industries à s’engager de manière
volontaire vers des objectifs susceptibles d’être quantitatifs. Nous pouvons imaginer, par exemple, des
objectifs en termes de taux d’incorporation de matière recyclée.
Plus généralement, la DGE suit une logique de concertation et de compromis avec les autres
acteurs publics ou privés. A cet égard, il convient de rendre hommage au travail du ministère de
l’Ecologie sur les filières REP, qui poursuit une logique de concertation dans le cadre des
commissions consultatives d’agrément (CCA).
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Si la DGE souscrit pleinement à l’application du principe pollueur-payeur et au caractère
vertueux de la structuration des filières REP, son rôle consiste également à insuffler, dans les
discussions interministérielles, un principe de réalité. Il s’agit de rappeler le contexte industriel
national, difficile dans certaines filières. Certains industriels sont confrontés à de réelles difficultés en
termes de pérennité de leurs entreprises. Cet élément doit être pris en compte. Par ailleurs, la DGE
veille à ce que l’impact économique des mesures environnementales soit systématiquement pris en
compte. Ainsi, dans le cas de l’incorporation des matières recyclées, il s’agit de se demander si
l’industrie confrontée à cette incitation est en capacité de le faire. La DGE fait en sorte de tenir compte
de la taille des acteurs, en aménageant des délais, ou en privilégiant l’incitation par rapport à
l’obligation.
Le cahier des charges annexé à l’arrêté relatif à la filière des TLC prévoit que « l’obligation
principale du titulaire consiste à contribuer financièrement au tri des déchets TLC en vue de leur
valorisation ». Il s’agit ici d’un enjeu fort. En effet, dans les CCA, il est beaucoup question de collecte
et de tri. Si ces derniers sont essentiels, le recyclage à proprement parler, qui intervient plus en aval,
est moins évoqué.
Pour monter une industrie du recyclage au niveau national, il conviendra de faire le lien avec
des débouchés effectifs. Si l’export a toute sa place dans le dispositif, il convient également de
travailler sur une industrie du recyclage au niveau national.
Enfin, l’investissement en R&D est nécessaire pour créer une véritable industrie du recyclage
au niveau national. La DGE peut y contribuer à travers un système d’aides publiques. Toutefois, il
convient de ne pas concentrer les aides uniquement sur les enjeux technologiques. Il s’agit également
de bien identifier les besoins, d’ajuster les enjeux en termes de tri et d’assurer une cohérence entre
l’amont et l’aval au sein de la filière industrielle.
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RECYCLAGE TEXTILE : OU EN SOMMES-NOUS ?
JEAN-LUC BARTHARES
Directeur R&D et Relations adhérents, Eco TLC
Eco TLC est l’éco-organisme de la filière des textiles, du linge de maison et des chaussures,
créé par les metteurs en marché en réponse à une obligation légale il y a six ans. Société de droit
privé, elle regroupe 29 associés issus de toutes les catégories de metteurs en marché : industriels,
commerçants, importateurs, etc. Elle est régie par une loi, un décret d’application et un agrément. Ce
dernier vient d’être renouvelé pour une période de six ans. Eco TLC fait état de ses travaux deux à
trois fois par an devant la commission consultative d’agrément (CCA), présidée par les pouvoirs
publics.
Eco TLC compte environ 5 000 adhérents contributeurs. Au total, 2,5 milliards de pièces sont
mises en marché et déclarées chaque année à l’éco-organisme, dont 2 milliards de pièces issues du
textile et de l’habillement, 300 millions de paires de chaussures et 200 millions de pièces de linge de
maison. Sa représentativité est estimée à environ 94 % par l’Institut Français de la Mode (IFM).
Le recyclage textile concerne à la fois les acteurs du tri et du recyclage, mais également les
metteurs en marché, qui ont un rôle essentiel à jouer par des politiques d’éco-conception, et les
consommateurs, qui interviennent par le geste de tri et par l’accueil qu’ils réserveront aux nouveaux
produits que sont les textiles recyclés. Le recyclage constitue par conséquent un enjeu majeur pour la
filière.
La quantité de textiles recyclés a doublé au cours du premier agrément, passant de
70 000 tonnes à 150 000 tonnes entre 2008 et 2013. L’objectif fixé dans le nouvel agrément est
d’atteindre 300 000 tonnes de TLC triés et valorisés à l’horizon 2019, avec un taux de valorisation de
95 %, sans dépasser 2 % de déchets ultimes. A ce jour, le taux de réemploi représente 60 % des
textiles valorisés. Si ce taux devait se maintenir à l’horizon 2019, les 40 % de TLC restants, soit
potentiellement 120 000 tonnes de TLC, devront trouver des solutions de recyclage.
Pour atteindre ces objectifs, la filière devra agir sur trois axes :
•
Conforter et développer les débouchés existants
Il existe déjà des solutions de recyclage pour les textiles en fin de vie, essentiellement les
chiffons d’essuyage et les applications d’effilochage. Cet axe devra être approfondi, même si certains
estiment que ces débouchés ont atteint leur plus haut niveau.
•
Encourager les applications émergentes
Des applications très prometteuses apparaissent. Le rôle d’Eco TLC consiste bien sûr à les
accompagner et à les encourager.
•
Explorer la voie de la valorisation énergétique
L’utilisation de déchets textiles en combustibles solides de récupération (CSR) constitue une
piste incontournable. La filière doit étudier ce sujet rapidement.
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Dans ce contexte, les moyens d’actions d’Eco TLC sont au nombre de trois :
•
Le soutien à des projets innovants de R&D
Eco TLC a mis en place il y a quatre ans un comité scientifique chargé de piloter le soutien à la
R&D. Ce comité lance des appels à projets, sélectionne des projets et les accompagne dans la durée.
A ce jour, quatre appels à projets ont eu lieu et un cinquième est en cours de délibération.
L’enveloppe annuelle allouée par Eco TLC s’élevait initialement à 250 000 euros. Elle a été doublée à
compter de 2014, dans le cadre du nouvel agrément.
Les quatre premiers appels à projets ont donné lieu à l’accompagnement de treize projets sur
les TLC. Deux de ces treize projets portaient sur les chaussures. Les projets textiles ont été regroupés
en trois catégories : les projets dits « en boucle fermée » consistant, à partir de TLC en fin de vie, à
fabriquer de nouveaux TLC ; les projets dits « en boucle ouverte » consistant à fabriquer des matières
pour d’autres secteurs industriels ; enfin, les projets axés sur des techniques de séparation ou de
préparation, qui n’offrent pas, dans l’immédiat, de perspectives de débouchés. Les applications en
boucle ouverte sont les plus nombreuses et présentent peut-être le potentiel le plus fort, en termes de
tonnage, à court et moyen terme.
•
La réalisation d’études
L’une des principales études a été menée par le cabinet Terra pour le compte d’Eco TLC
auprès de six centres de tri, soit 200 tonnes de textiles. Elle visait à caractériser les TLC à l’entrée et à
la sortie du centre de tri, en tant que déchets ultimes. Afin de connaître la nature des déchets ultimes
qui ne trouvent pas de débouchés, pour savoir de quoi il s’agit et quelles sont les solutions qu’on
pourrait envisager. La proportion de déchets ultimes est passée en 6 ans de 12% à 8%, l’objectif du
nouvel agrément étant à 2%. Les résultats font apparaître que les produits mono-matière représentent
plus des deux tiers des tonnages de déchets ultimes à la sortie des centres de tri. Ce résultat nous
interpelle. Les textiles en mélange, qui posent pourtant davantage de problèmes sur le plan technique,
dans la mesure où ils requièrent une séparation de matières, ne représentent que 30 % du poids total
des déchets ultimes textiles. Les principaux sont les mélanges de matières artificielles et synthétiques.
•
L’éco-modulation de la contribution des metteurs en marché
Il y a deux ans, alors que le premier agrément était encore en vigueur, il a été décidé
d’introduire une première étape de modulation du barème amont pour encourager les metteurs en
marché à utiliser de la matière issue du recyclage des TLC en fin de vie. Cette éco-modulation
concerne l’ensemble des articles, y compris les chaussures. La condition simple et unique est la
suivante : ces articles doivent contenir au moins 15 % de matière d’origine recyclée issue de la filière
des TLC. Le barème éco-modulé correspond à un abattement de 50 %, quelle que soit la pièce
concernée, soit, en moyenne, 0,3 centime d’euros par pièce.
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Après deux années d’application, le bilan de cette éco-modulation est en demi-teinte. Certes,
les quantités déclarées au barème éco-modulé ont doublé d’une année sur l’autre. Toutefois, sans
grande surprise, ce barème bénéficie essentiellement aux textiles, et quasiment pas à la chaussure.
En outre, il concerne quasi exclusivement de très petites ou petites pièces. Il n’existe en effet
quasiment pas de metteurs en marché incorporant des matières recyclées dans les grandes pièces.
Si environ 550 000 pièces sont concernées, les volumes correspondants restent donc à ce jour très
limités. De même, ce dispositif ne concerne qu’une quinzaine d’entreprises. En effet, certaines
entreprises ne recourent pas à cette éco-modulation, considérant qu’elle ne vaut pas la peine. Il sera
donc fondamental de suivre l’évolution des volumes concernés par le dispositif.
Le nouvel agrément prévoit la mise en place d’autres niveaux d’éco-modulation du barème.
Ainsi, une éco-modulation sera fixée selon un critère de durabilité, et une autre en fonction de la
notion de perturbateur ou facilitateur de tri. Une étude menée par l’École Nationale Supérieure des
Arts et Industries Textiles (ENSAIT) a permis de cerner le sujet et de caractériser la notion de
facilitateur et de perturbateur de tri. Il appartiendra au groupe de travail mis en place sur la base de ce
rapport d’examiner les critères pertinents pour l’introduction d’un nouveau niveau d’éco-modulation du
barème.
Le recyclage textile est une obligation, un défi, mais également une chance. Il est source de
réduction des déchets et permettra de transformer ces déchets en nouvelles matières premières. Il est
par ailleurs créateur de valeur pour les entreprises. En revanche, concernant les applications en
boucle fermée, il convient de poser la question de l’évolution des matières premières. Le cours du
pétrole n’a jamais été aussi bas au cours des cinq dernières années. Ces perspectives donnent un
coup d’arrêt à certains projets, ce qui est très préjudiciable. De même, la détente des cours du coton
est susceptible de freiner certains projets, en réduisant leur rentabilité économique de court terme.
Enfin, les produits recyclés ne décolleront que si la mode s’en empare. Les consommateurs
n’achèteront jamais un produit au seul motif qu’il est recyclé. Ils tiendront avant tout compte du look et
du design, ainsi que du prix. Ces produits se doivent donc d’être attractifs.
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DU PRET-A-PORTER AU PRET-A-RECYCLER
Intervenants :
Eric BOËL, Altertex
Raffaele DUBY, Décathlon
Arielle LEVY, L’Herbe Rouge
Serge CRUTEL, Textel, les Filatures du Parc
Christèle MERTER, Happy Chic
Les débats sont animés par Olivier BERUT, Katalyz.
OLIVIER BERUT
Les enjeux du recyclage relèvent d’une réflexion responsable et raisonnable. Ils touchent au
temps long. Or, le monde du prêt-à-porter et de la mode renvoie à la durée courte et à l’éphémère.
Dès lors, comment ces univers peuvent-ils être compatibles ? Je vous propose d’explorer cette
question au cours de cette première table ronde.
RAFFAELE DUBY
Je suis en charge de l’éco-conception pour Décathlon. Je vous expliquerai en quoi consiste
cette démarche et en quoi elle influence, mais aussi utilise, le recyclage.
Vous avez évoqué l’évolution des matières premières en ouverture de ce colloque. Nous
sommes en effet confrontés à des variations des prix des matières premières. S’il est vrai qu’une
baisse des prix peut rendre le recyclé moins attractif, l’évolution globale reste une complexification des
approvisionnements en matières premières, en particulier en coton. Les fortes augmentations
survenues depuis plusieurs années nous ont incités à diversifier nos sources d’approvisionnement.
Nous avons par ailleurs constaté que les agriculteurs sont confrontés à une compétition accrue
concernant l’allocation des sols entre l’alimentaire et le coton, dans un monde où la population est de
plus en plus forte.
Ce contexte bénéficie par conséquent à la filière du recyclé. Pour nous, le meilleur des cotons
aujourd'hui est celui que l’on ne produit pas. En outre, Décathlon vise à rendre accessible au plus
grand nombre les plaisirs et les bienfaits du sport. Il s’agit par conséquent de proposer des produits
les moins chers possible pour que tout le monde puisse en bénéficier. Dans ce contexte, nous
sommes extrêmement attentifs aux prix des matières premières. Nous devons penser « écolonomie »,
et le recyclé constitue à cet égard une bonne solution.
Par ailleurs, nous sommes confrontés à la question de l’augmentation du prix de la main
d’œuvre à l’étranger. En tant qu’industriel français, cette question peut s’avérer bénéfique, dans la
mesure où elle mène à envisager la solution de la relocalisation.
Depuis sept ans, nous avons réduit l’impact environnemental de nos produits. Pour en informer
les clients, nous avons opté pour l’affichage environnemental, revenant à noter les produits selon un
barème A, B, C, D et E pour montrer l’avantage d’un produit.
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Le recours aux matières recyclées permet d’améliorer ce type de notations. Nos études clients
ont montré que le client est en attente de matières recyclées. Parmi les critères de choix des clients, il
convient bien sûr de noter le prix, l’utilisation et la qualité. L’environnement est une valeur de plus en
plus portée par les clients. Ainsi, 88 % des clients indiquent ne pas vouloir acheter un produit noté E
sur le plan environnemental au profit d’un autre produit. Il s’agit d’une évolution non négligeable du
marché.
Enfin, les attentes des pouvoirs publics sont importantes. Dans un contexte de maîtrise des
budgets, les mairies et collectivités cherchent à réaliser des économies sur les déchets, qui
constituent un poste de coûts important. Décathlon est fortement sollicité à cet égard, et se trouve
face à des gisements de plus en plus importants. Nous réfléchissons à des applications pour recycler
ces gisements, en lien avec Eco TLC.
SERGE CRUTEL
Les Filatures du Parc, situées dans la région de Castres, réalisent un chiffre d’affaires annuel
d’environ trois millions d'euros et emploient 40 personnes. Elles produisent aujourd'hui une tonne de
fils par jour, dont 30 % de fils recyclés. Si leur activité concerne principalement le secteur privé, elles
souhaitent également se développer sur les marchés publics.
L’entreprise a déposé un brevet il y a sept ans concernant une technologie de défibrage de
maille. Cette technologie permet de préparer la matière à la filature cardée, procédé historique des
Filatures du Parc. Pour que les matériaux soient réutilisables, ils doivent être préparés de manière à
être réintroduits dans la filature conventionnelle. L’investissement de la société est donc intervenu sur
l’amont. La société a ainsi démontré de manière opérationnelle qu’il était possible de réutiliser et de
filer à nouveau la fibre recyclée. La démarche est importante, dans la mesure où il existe, sur le plan
technique, une différence fondamentale entre l’effiloché et le défibré. Ce dernier permet de récupérer
une matière dans son état d’origine. Un appel à projet d’Eco TLC a d’ailleurs permis de fabriquer des
tissus avec des résultats d’abrasion de 3 sur une cotation de 5, à partir d’un fil 100 % recyclé. La
partie relative au développement des fibres longues est donc achevée. La démarche actuelle vise à
développer une technologie adaptée au défibrage de la fibre plus courte, c'est-à-dire du coton, voire
de mélanges de coton et de polyester. L’objectif, là encore, est de préparer la matière en amont de la
filature. L’investissement matériel prévu pour le développement de cette solution représente environ
dix fois l’investissement consenti en termes de R&D. Il représentera également une augmentation
d’environ 10 % de la masse salariale. Le tri doit donc être performant et la caractérisation des
matières est essentielle. Sans ces deux éléments, le recyclage ne pourra pas se développer.
CHRISTELE MERTER
La société Happy Chic regroupe les enseignes de distribution de prêt-à-porter Jules, Brice et
Bizbee. Je suis en charge du projet « Gentle Factory », consistant à vendre des produits à la fois
mode et responsables au sein de chacune de nos marques.
Notre démarche a commencé en 2009. Nous avons d’abord réalisé un bilan carbone sur
l’ensemble du périmètre de l’activité de notre entreprise. Pour ne pas nous limiter à un seul indicateur,
à savoir les émissions de gaz à effet de serre, nous avons mené parallèlement des analyses de
cycles de vie. Nous avons estimé qu’il serait intéressant de récupérer les vêtements de nos clients et
de les transformer en matières premières.
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En 2009, nous avons mené un projet dans ce sens, avec la totalité des retours qualité de nos
jeans. Sur cette base, nous avons fabriqué un premier pull, commercialisé en 2012. Sur le plan
technique et qualitatif (résistance au boulochage, stabilité au lavage, etc.), ce premier essai était
satisfaisant. En revanche, les ventes n’ont pas été au rendez-vous. Nous nous sommes aperçus que
le produit doit avant tout être séduisant aux yeux du client. Son caractère recyclé ne constitue pas une
clé d’entrée d’achat pour le client. Il s’en est suivi deux années de traversée du désert, au cours
desquelles nous avons retravaillé sur la qualité des intrants, sur la sélection des couleurs. Notre
nouvelle collection, fabriquée à partir de jeans, a été commercialisée fin 2013. Notre but était que le
client ne se rende pas compte que le produit était recyclé. Par la suite, les clients ont été interrogés
sur leur perception. Le premier critère qu’ils mettent en avant est le coup de cœur. Le geste pour
l’environnement intervient comme un deuxième bénéfice pour eux. Cette approche a été utilisée
comme vecteur de communication. Notre communication, très simplifiée, consiste à présenter le geste
pour l’environnement comme un plus.
Il reste du travail à mener pour obtenir des numéros métriques plus fins, conférant au vêtement
un toucher plus agréable. Enfin, s’agissant de l’intérêt du client pour le recyclé, un travail très
important reste à mener. Les clients sont plus de 60 % à citer la fabrication locale comme critère
prioritaire d’achat. Le recyclé n’arrive qu’en dernière position avec 12 % des clients interrogés. Il
convient donc de mener un travail pour accroître l’attractivité de la filière du recyclage.
Enfin, le dernier enjeu porte sur le prix. En effet, aujourd'hui, si l’on compare deux pièces
équivalentes en jersey, fabriquées en France, l’une en coton biologique et l’autre en coton recyclé, le
coût de la filière recyclée reste supérieur de 30 %.
ARIELLE LEVY
La marque de prêt-à-porter L’Herbe Rouge, créée en 2008, vise à repenser le paradigme du
textile et de la mode. Elle respecte la santé humaine et environnementale. A ce titre, le recyclage est
inscrit dans notre ADN. Je porte aujourd'hui un produit conçu par l’Herbe Rouge et réalisé avec le fil
« Eco planète » des Filatures du Parc, dont nous sommes partenaires depuis près de cinq ans.
Aujourd'hui, quel que soit le secteur économique où l’on se trouve, le défi consiste à concilier
développement économique, équilibre écologique et cohérence éthique. Le textile n’a jamais joué un
rôle anodin dans les mutations industrielles traversées au cours des décennies. Ce constat s’avère
encore beaucoup plus vrai dans le contexte actuel.
La démarche de l’Herbe Rouge est une démarche globale. Nous avons assisté à la
désindustrialisation du textile, en particulier dans le nord, à la perte de ses emplois, à la perte de ses
savoir-faire, à l’augmentation des déchets, et parallèlement à la baisse de la qualité. Notre démarche
vise à réfléchir en amont sur une autre manière de créer pour répondre aux attentes des clients, à
travers l’éco-design, l’éco-fabrication et l’éco-distribution. Nous menons une expérimentation par
l’incrémentation.
Notre constat a été le suivant : la filière textile étant très polluante, il est nécessaire de changer
de modèle. Dès lors, nous faisons une mode post-carbone. A ce titre, la fibre recyclée fait partie de
notre modèle. Nous n’utilisons que des matières naturelles et de la fibre recyclée, de la conception à
la distribution en passant par la fabrication et les partenariats industriels. Nous avons repensé
l’ensemble de la filière. Notre axe de travail consiste à faire « moins mais mieux ». Nous commençons
par travailler en aval et nous nous concentrons sur la qualité.
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C’est en travaillant sur des matières plus identifiées, avec des procédés industriels innovants,
que nous pourrons accomplir un acte de création fort et permettre la revalorisation de ces déchets. La
question de la qualité doit être soulevée dès le moment de l’acte de création. Il en va de même pour la
question de la teinture. Le créateur doit anticiper l’acte de revalorisation de son textile, en modélisant
le vêtement et en évitant que des parties non recyclées interviennent dans son textile. Nous
essayons, en suivant ce modèle, de montrer qu’il est possible de produire autrement. Cette démarche
ne nous empêche pas de proposer des produits de qualité à des prix accessibles.
Dans ce contexte, je vous invite à jeter un coup d’œil aux pièces de la Baronne Fauchée
exposées ici même. Le recyclage devient un acte de création collectif. Rachel Hardouin et Kristian von
Forselles ont travaillé à partir de nos produits invendus ou ayant rencontré un incident de production
pour recréer des vêtements. Nous avons aussi collaboré avec l’opération « Chaussettes orphelines »,
consistant à récupérer ces chaussettes, à les mélanger avec du fil nouveau et à fabriquer du fil
français.
Les enjeux de la filière sont donc pour nous les suivants :
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Travailler sur la qualité en amont ;
Orienter nos productions vers le bien-être et la santé.
Mesurer les impacts des pièces textiles sur l’environnement à tous les stades de leur cycle de
vie ;
Former les nouveaux créateurs aux enjeux du développement durable et du recyclage ;
Faciliter la collecte et le retraitement, notamment sur nos lieux de distribution.
En résumé, il nous revient de faire travailler toute la filière ensemble : l’agriculture, les
créateurs, les industriels, les distributeurs, les entreprises solidaires, les consommateurs, pour aller
vers une économie circulaire.
OLIVIER BERUT
Concernant la création d’emploi et le combat autour de l’enjeu du textile en France, Eric, vous
êtes porteur de plusieurs projets passionnants.
ERIC BOËL
Je dirige une PME appelée les Tissages de Charlieu, dans le département de la Loire, en
région Rhône-Alpes. Nous sommes en outre fondateurs de l’association Altertex, qui regroupe une
quarantaine d’industriels textiles français. Notre conviction est la suivante : nous fabriquons en France
les textiles les plus propres, tant d’un point de vue environnemental que social. Notre mission est
d’accompagner les PME pour qu’elles le fassent savoir.
Je porte une veste recyclée. Vous voyez également ces deux sacs. L’un est fabriqué en fil
recyclé selon une méthode « open end » dans une filature espagnole. L’autre, qui nous a été
commandé par le ministère du Développement durable, est fabriqué avec du fil des Filatures du Parc,
cardé, recyclé, et portant une indication sur son impact environnemental. Ces sacs et cette veste
représentent l’expression concrète de l’économie circulaire. Le processus a été long et quelque peu
difficile à de nombreux points de vue. Nous avons mis en place un partenariat un peu particulier avec
Happy Chic. Les difficultés rencontrées ont créé un lien fort.
13
Nous avions également le sentiment de concourir à un objectif commun, susceptible de faire
progresser de manière globale la filière vers un textile propre. La démarche a été transparente à tous
les stades de production. Nous avons maintenu un haut niveau d’exigence.
En effet, le
consommateur doit acheter un produit attractif et abordable, et bénéficier de la même qualité de
produit et de service avec un produit biosourcé.
Comme je vous le disais, la France produit les textiles les plus propres de la planète. Ce
constat a été vérifié au cours de l’expérimentation menée sur l’affichage environnemental. Aujourd'hui,
la fabrication de tissu dans la zone Euromed ou en France a un impact environnemental deux ou par
trois fois moindre que la fabrication dans un circuit low cost. Au sein de la filière recyclée, les impacts
sont encore divisés par deux. Les leviers environnementaux sont donc très forts.
De nombreux industriels considèrent le cadre environnemental et social français comme une
contrainte. Dans ce contexte, l’affichage environnemental constitue une opportunité historique de
montrer que les processus de production vertueux ont une valeur et sont objectivement valorisables.
Nous avons la chance, en France, de disposer d’une filière complète, de l’amont (filature,
tissage, ennoblissement, tricotage) à l’aval (distributeurs). La création de lien entre les acteurs peut
donner un nouveau souffle à l’industrie française.
OLIVIER BERUT
La situation évolue rapidement et les progrès sont rapides. Vous êtes également confrontés à
des difficultés. Quelles sont-elles ?
ERIC BOËL
Comme cela a été évoqué précédemment, la mode est en train de s’emparer du recyclé.
Aujourd'hui, les deux premiers pays créateurs de tissu et de maille sont l’Italie et la France. Nous
détenons encore une puissance créative exceptionnelle. Nous sommes au service de la mode.
Toutefois, le secteur textile est comparable à la cuisine : plus les ingrédients sont nombreux, plus on
peut faire des gâteaux différents. Ainsi, plus on dispose de fils différents, plus on pourra proposer des
produits variés. Or, aujourd'hui, l’offre de fils reste relativement étroite. Notre entreprise, Tissages de
Charlieu, compte 400 fils en référence hors coloris. Alors que le biosourcé représente 25 % de notre
chiffre d’affaires, seuls 11 de nos 400 fils sont recyclés, soit seulement 3 %. Nos stylistes se
mobilisent pour concevoir des vêtements attractifs, mais avec de l’eau et de la farine, on ne fait pas
des gâteaux très complexes. Il est essentiel d’effectuer un tri suffisamment fin pour disposer d’un
panel de fils recyclés suffisamment large. Alors, nous pourrons faire notre métier d’industriel européen
en mettant sur le marché, en « juste-à-temps », une vaste gamme de produits différents.
ARIELLE LEVY
Nous luttons avant tout pour la qualité. Celle-ci s’améliorera grâce à la traçabilité du recyclage,
à travers un travail amont sur l’identification des matières utilisées. La problématique des teintures
devra être prise en considération. Nous devons former les héritiers de la création française, à travers
les écoles comme l’ENSAIT ou l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs. Il s’agit de susciter des vocations
pour réinventer l’acte de création textile. Il s’agit également de montrer qu’il existe des exemples
probants d’économie circulaire, comme celui de l’Herbe Rouge ou d’Happy Chic, et que ces initiatives
créent, pas à pas, des emplois.
14
CHRISTELE MERTER
Nous sommes une entreprise de mode, ce qui implique de travailler en « juste-à-temps ». Nous
sommes en train de lancer une nouvelle gamme recyclée, pour laquelle nous avons besoin de fils
blancs, noirs et bleus. Même si nous avons noué un partenariat avec un acteur de la collecte de
vêtements, il n’est pas toujours simple de disposer rapidement de la quantité de vêtements usagés de
la couleur nécessaire pour coller à la demande au moment adéquat. Nous avons donc lancé un
chronomètre afin d’observer le temps nécessaire pour rassembler les vêtements adéquats. Une autre
difficulté tient au fait que chaque essai porte sur une tonne de textile, ce qui nécessite par la suite de
l’écouler.
SERGE CRUTEL
A mon sens, il importe avant tout de relier davantage les acteurs de la filière de l’amont à l’aval.
En outre, la problématique des entrants est centrale. Le tri se doit d’être extrêmement performant. Il
doit être adapté et orienté en fonction de la technologie aval. A cet égard, nous pouvons nous réjouir
que le nouvel agrément d’Eco TLC prenne en compte cette partie cruciale du recyclage. Enfin, il me
semble essentiel que l’amont prenne davantage en compte la caractérisation des matières. Cette
dernière conditionne la qualité avale des matières. Cela requiert du temps et de l’argent. C’est
pourquoi les pouvoirs publics doivent soutenir les PME dans leurs démarches de développement en
ce sens. Concernant les teintures, seul le travail en proximité permettra de mieux maîtriser la
problématique.
RAFFAELE DUBY
Les problématiques des industriels seront les problématiques des concepteurs par la suite, et
donc des distributeurs. En d’autres termes, les problèmes rencontrés au niveau du tri se répercutent
sur l’ensemble de la filière. Il convient donc de régler les problèmes ensemble. Dans ce contexte, le
rôle de l’UIT est de mettre en valeur les actions menées pour qu’un concepteur, où qu’il soit, puisse
identifier l’existence d’un savoir-faire en matière de composants recyclés. En outre, pour que les
consommateurs s’y retrouvent, il est indispensable que tous les concepteurs et distributeurs emploient
le même langage.
ERIC BOËL
En France, nous avons une tendance à l’auto-flagellation. Je voulais donc vous lire une petite
phrase prononcée par Antoine Riboud, fondateur de Danone, en 1972 : « Conduisons nos entreprises
autant avec le cœur qu’avec la tête. Et n’oublions pas que si les ressources de la terre ont des limites,
celles de l’homme sont infinies s’il se sent motivé ». Il reste donc beaucoup à faire en matière de
recyclage. Concernant l’amont de la filière, nous avons la chance d’avoir des acteurs incroyables,
comme Laroche, premier fabricant mondial de machines de recyclage, mais aussi des effilocheurs de
taille importante très innovants, ou les Filatures du Parc qui ont mis au point le seul procédé au
monde permettant de conserver la longueur des fils et d’éviter le boulochage. Enfin, nous avons
encore une industrie textile et des distributeurs. Tous les acteurs sont donc présents en France. Il ne
nous reste plus qu’à créer des synergies.
15
PRESENTATION DE THE SECOND LIFE COLLECTION
RACHEL HARDOUIN
L’idée de The Second Life Collection est née, il y a un an et demi, d’un constat pluriel : nous
sommes des « surconsommateurs » de mode textile, nous sommes surexposés aux soldes, ventes
privées, déstockages, etc. Dès lors, nous avons eu envie de dire : « Consommons moins,
consommons mieux ». A ce constat s’est ajoutée mon expérience professionnelle. J’ai travaillé cinq
ans aux côtés de Chantal Thomass, qui faisait alors partie du groupe Sarah Lee, devenu aujourd'hui
le groupe Chantelle. J’ai également travaillé avec de nombreux jeunes créateurs et designers
impliqués dans une autre approche de la mode et dans des séries courtes, afin de ne pas avoir à
gérer la problématique des déstockages. Il s’agit en effet de la problématique centrale : nous devons
produire un minimum de quantités, ce qui ensuite nous laisse sur les bras des quantités de modèles à
déstocker. La Baronne Fauchée constitue une première collaboration avec un designer d’origine
suédoise, Kristian von Forselles, et aujourd'hui d’autres créateurs travaillent à d’autres projets dont la
colonne vertébrale est The Second Life Collection.
La démarche repose sur trois fondamentaux. Le premier vise à promouvoir nos talents en
régions et à faire connaître nos manufactures en France, en Europe et à l’international. Par exemple,
la robe présentée aujourd'hui a été réalisée à la main avec des chutes de dentelle de Calais mises à
disposition par la Maison Lucien Noyon. Présentée dans différents salons en Europe, elle joue un rôle
de faire-valoir des talents français.
Par ailleurs, la démarche porte sur la transformation des vêtements. La marque L’Herbe Rouge
a ainsi proposé une douzaine de modèles aux créateurs de The Second Life Collection, qui les ont
transformés. Le tailleur présenté aujourd'hui a été réalisé à partir de chemises pour hommes et de
jeans.
Enfin, le projet vise à introduire dans la mode des matériaux inattendus. Ainsi, The Second Life
Collection a créé un tailleur d’inspiration Chanel, tricoté avec de la chambre à air de vélo.
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CONSTRUCTION ET DECORATION D’INTERIEUR, QUAND
RECYCLAGE RIME AVEC PERFORMANCE ET DURABILITE
Intervenants :
Franck BERREBI, Recyc Matelas Europe
Jean-Christophe MINOT, Minot Recyclage Textile
Patrick POLLET, Laroche
Mehdi ZERROUG, Eco Textile / Framimex
Les débats sont animés par Olivier BERUT.
OLIVIER BERUT
Changeons à présent d’univers pour découvrir la construction et la décoration d’intérieur, où
nous allons retrouver un certain nombre de réussites et de questions. Comme pour la précédente
table rond, j’invite les intervenants à se présenter brièvement, avant d’entrer dans le vif du sujet.
MEHDI ZERROUG
Je représente les sociétés Eco Textile et Framimex, respectivement opérateur de collecte et
opérateur de tri de textiles usagés.
En France, aujourd'hui, on collecte environ 150 000 tonnes de textile usager sur un potentiel
estimé de 600 000 tonnes. A titre de comparaison, l’Allemagne collecte aujourd'hui 800 000 tonnes de
textiles. Il reste donc un important travail à mener. En matière de valorisation des textiles usagés, la
filière se distingue par son ancienneté et sa capacité à valoriser une part importante des gisements
hors incinération. Aujourd'hui, 90 à 97 % des gisements collectés et triés sont valorisés hors
valorisation thermique et énergétique. La filière du tri se distingue également par un fort taux de
réutilisation, ce dernier s’élevant à 60 % des gisements.
Le tri précédant la réutilisation relève d’un processus très sophistiqué, tant en termes d’effectifs
que d’outils. Les gisements triés en réutilisation représentent plusieurs centaines de produits après tri,
destinés à être revendus sur un marché national et international de vêtements usagés. Ils répondent à
un cahier des charges bien particulier en fonction de chaque pays. Il convient donc d’adapter le tri, ce
qui rend le processus complexe en comparaison avec d’autres filières de déchets.
Les gisements restants, qui représentent 40 % des tissus collectés, deviendront des chiffons
d’essuyage ou seront effilochés. Le chiffon d’essuyage concerne davantage les matières
cotonneuses, qui doivent subir une coupe, donc une préparation des matières pour un marché
national. L’effilochage consiste davantage en une transformation de matières laineuses ou
cotonneuses épaisses pour l’isolation.
17
Ces filières fonctionnent. Il existe des potentiels pour demain. L’enjeu consiste à préserver la
chance que nous avons de disposer d’une filière capable de produire un taux de réutilisation très
élevé. Il convient en outre de travailler sur l’amélioration des gisements essuyage et effilochage des
matières cotonneuses et laineuses pour en améliorer les débouchés. Enfin, la R&D doit mener des
réflexions pour conduire la filière à atteindre le zéro déchet, soit 100 % de valorisation.
JEAN-CHRISTOPHE MINOT
Minot Recyclage Textile est une entreprise située dans le nord et existe depuis 1870. J’ai la
chance d’être le détenteur d’un savoir-faire transmis par les générations qui m’ont précédé. Il serait
dommage de vouloir recréer quelque chose qui existait déjà hier. Il suffit de se parler et de créer une
continuité. Notre savoir-faire consiste à récupérer un textile et à le remettre en fibres. Pendant des
années, nous avons parcouru la planète pour récupérer des déchets textiles. Nous connaissons la
filature, qu’elle soit open end ou cardée. Nous travaillons avec des machines Laroche. Nous avons
également travaillé pour la papeterie, en participant notamment à la fabrication des billets de banque.
Je vous rappelle que l’ancêtre du non tissé est le papier. Il s’agit d’une méthode consistant à lier des
fibres entre elles. Enfin, nous nous sommes récemment associés avec Le Relais et Métisse pour
fabriquer la matière première d’un feutre isolant d’excellent qualité. Certes, son utilisation reste
microscopique par rapport à la fibre de verre. Pourtant, en termes d’isolation thermique et phonique, il
s’agit d’un produit tout à fait novateur.
Nous sommes donc engagés dans l’économie circulaire. Nous détenons toutes les clés pour
aller plus loin. Dès lors, pourquoi les donneurs d’ordre ne sont-ils pas plus nombreux à s’engager
dans la voie du recyclé ?
PATRICK POLLET
La société Laroche a commencé son activité en 1926 dans la fabrication de machines de
recyclage textile. Elle compte aujourd'hui plus de 2 000 machines et installations de recyclage dans le
monde. En France, il reste très peu d’effilocheurs. Une machine d’effilochage moderne traite environ
8 000 à 10 000 tonnes de textile par an. Sur les 150 000 tonnes de déchets textiles actuellement
récupérées chaque année en France, environ 20 000 tonnes sont effilochées en France, soit
l’équivalent de seulement deux machines. Vous imaginez bien que ces quantités ne suffisent pas à
faire vivre l’entreprise Laroche. De fait, Laroche réalise 90 % de son chiffre d’affaires à l’export. Notre
PME, emploie une centaine de personnes et détient un grand savoir-faire et une haut niveau
d’innovation technologique. Laroche ne se limite pas à refaire de la fibre à partir de textiles. Elle a
également mis au point, depuis 1999, des machines permettant de transformer les fibres en produits
semi-finis voire finis, tels que des produits d’isolation ou d’ameublement, en particulier pour les
matelas. Environ cinq millions de matelas sont mis sur le marché chaque année en France, ce qui ne
représente que 1 500 tonnes de fibres constitutives de matelas. Il convient donc de trouver d’autres
débouchés pour ces fibres.
Le bâtiment offre un premier débouché potentiel important. Dans l’isolation du bâtiment, les
fibres naturelles, incluant les fibres recyclées, ne représentent aujourd'hui que 5 à 7 % du marché
français. Les principaux problèmes auxquels nous nous heurtons sont l’agrémentation et l’évolution
constante des référentiels et des normes. En outre, face aux petits producteurs, le marché est dominé
par deux mastodontes, qui disposent en plus de l’ensemble des moyens de distribution.
18
Enfin, le recyclage du textile peut jouer un rôle important dans le domaine de la plasturgie, en
tant que renfort technique et mécanique des polymères. Des travaux sont d’ailleurs menés à cet
égard.
OLIVIER BERUT
Franck Berrebi, votre expérience est intéressante concernant l’enjeu des débouchés. Ces
derniers restant insuffisants en France, vous êtes allé les chercher au niveau européen.
FRANCK BERREBI
Exactement. L’entreprise Recyc Matelas Europe est spécialisée dans le recyclage de matelas.
Créée début 2010, elle contribue aujourd'hui à recycler 90 % d’un matelas.
Lorsque nous avons créé l’entreprise, l’enjeu ne consistait pas à savoir démanteler les produits,
même si nous avons développé un process mécanisé pour y parvenir, mais à trouver des débouchés
pour les matières obtenues à la suite du démantèlement des matelas en fin de vie. Nous avons
commencé à travailler avec l’entreprise Minot, qui a été un acteur important pour nous au démarrage
de notre entreprise. Nous avons également travaillé avec les Filatures du Parc. Toutefois, nous avons
rapidement constaté que les débouchés pour ces matières étaient assez faibles en France,
principalement en raison de la qualité du gisement trié en amont. Il importe donc, comme cela a déjà
été dit, de bien caractériser les gisements et d’effectuer un tri fin de manière à optimiser la
valorisation.
Aujourd'hui, nous mettons environ 6 000 tonnes de matières recyclées sur le marché, dont la
moitié de matières textiles telles que coton, laine, polyester, etc. En raison du faible nombre
d’effilocheurs et d’utilisateurs de ces matières, il n’existe quasiment pas de solutions en France pour
recycler ces 3 000 tonnes de textiles. Nous recyclons donc environ 15 % de ces 3 000 tonnes sur le
territoire français. Nous avons été contraints d’aller chercher plus loin des filières de valorisations,
notamment en Belgique, aux Pays-Bas et en Amérique du Nord.
Nous avons toutefois souhaité trouver des débouchés sur le territoire pour éviter les longs flux
routiers, les flux par avion ou par bateau. Nous avons donc noué un partenariat avec une jeune
entreprise, Innortex, dans le cadre d’un consortium soutenu par les investissements d’avenir de
l’Ademe. Il s’agit de faire émerger un pilote industriel en France, près d’Angers, capable de recycler à
la fois des matières textiles, mais aussi des matières alvéolaires, destinées à être utilisées à la fois
dans l’isolation, le bâtiment, mais également en boucle fermée, au sein de la filière REP de
l’ameublement. Le premier pilote devrait être opérationnel en mai 2015. Il s’adressera à
l’ameublement, pour la fabrication de lames de matelas en mousse et textile, mais aussi au bâtiment
et à des équipementiers automobiles dans d’autres pays européens.
L’enjeu essentiel est de proposer une matière aux propriétés équivalentes à celles d’une
matière première noble. Enfin, le dernier enjeu concerne le prix : nous nous devons d’être attractifs
pour les filières de valorisation. Nous avons construit un modèle économique permettant une
économie de 10 à 15 % pour nos acheteurs, en comparaison avec des matières de première main, y
compris dans un contexte de baisse des prix du pétrole.
19
ECHANGES AVEC LA SALLE
MARIE APRIL, ADEME
Je suis en charge des filières TLC et ameublement à l’Ademe. Depuis ce matin, j’ai beaucoup
entendu parler des investissements d’avenir. J’attire votre attention sur deux appels à manifestation
d’intérêt (AMI) susceptibles d’intéresser votre filière. Le premier porte sur l’économie circulaire, et est
ouvert jusqu’au 16 janvier 2015. Tous les projets liés au recyclage sont les bienvenus. Il devrait être
poursuivi en 2015. Un autre AMI est en cours dans le domaine du bâtiment. Il se poursuivra jusqu’en
2016 et comporte un axe sur l’incorporation de matières recyclées dans les produits de la
construction. N’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés.
ALAIN CLAUDOT, ECO TLC
Je suis heureux de voir à cette même table ronde la filière ameublement et la filière textile.
Lorsque j’entends parler de bâtiment ou d’automobile, il me semble clair que nous ne devons pas
travailler en vase clos, mais au contraire croiser nos expériences. Les tonnages de papier et de
matelas récupérés seront amenés à créer du textile. Certains d’entre vous participent au comité « tri
matière » créé au sein d’Eco TLC. A votre avis, dans le cadre de ce groupe de travail, qu’est ce qui
nous permettra d’apporter des réponses aux défis qui se présentent ? Et si vous ne voyez pas
d’éléments d’accélération, quels sont selon vous les freins ?
JEAN-CHRISTOPHE MINOT
Il nous manque une volonté de la part des acheteurs, qui ne parlent que du prix, alors que nos
prix sont déjà attractifs. Il convient de faire émerger une volonté de créer une filière autour du bâtiment
et de l’industrie automobile. La préparation des TLC usagés est essentielle pour la suite des
opérations. Si elle comporte une dimension technologique, elle sera également créatrice d’emplois. Il
existe des millions de mètres carrés à isoler. Dès lors, un soutien des pouvoirs publics est
indispensable, peut-être sous la forme d’une labellisation, pour que cette isolation soit produite en
France.
DE LA SALLE
Je suis membre de la Fédération française pour les sciences de la Chimie. Je m’aperçois que la
chimie n’a presque pas été évoquée ce matin, à l’exception des colorants et de la plasturgie. A mon
sens, il existe des synergies importantes. Nous organisons d’ailleurs un colloque, en mars 2015, sur
les apports de la chimie dans le processus du recyclage et de l’éco-conception.
OLIVIER BERUT
Plusieurs de nos intervenants mènent d’ailleurs des projets de R&D qui touchent au champ de
la chimie.
20
DE LA SALLE
Il existe deux approches du recyclage : une première consiste à voir le recyclage par la fibre en
externe. Mais il convient aussi de considérer le recyclage du point de vue du polymère que représente
le textile, comme le polyamide et le polyester. Cette approche est très importante car elle renvoie à
d’autres opportunités industrielles. Seule la diversification permettra à l’activité de se développer.
PATRICK POLLET
La chimie et la plasturgie renvoient à l’origine, et donc pour ainsi dire à la « pureté » de la
matière. Pour faire de la chimie, il conviendra de faire un tri et de séparer les matières pour revenir à
la matière première, c'est-à-dire au polymère. Dès lors, le prix de cette matière sera fixé par rapport à
la matière vierge, donc par rapport au prix des ressources actuelles en pétrole, en coton, etc.
ISABELLE TALABARDON
Je souhaiterais vous poser une question de la part de l’une des entreprises membres de notre
pôle de compétences, le Pôle Textile Alsace. Existe-t-il une cartographie par régions des acteurs du
recyclage ? En effet, de nombreuses entreprises se disent intéressées par le recyclage, mais ne
savent pas à qui s’adresser.
JEAN-CHRISTOPHE MINOT
La Fédération du recyclage FEDEREC peut vous communiquer toutes les informations que
vous souhaitez.
FRANCK BERREBI
Je pense aussi que la France dispose d’un réel savoir-faire. Hélas, elle ne sait pas le mettre en
avant. Notre problème relève davantage du marketing et de la commercialisation de nos produits.
Nous avons un réel progrès à faire dans ce domaine pour nous développer et gagner de nouveaux
débouchés.
MEHDI ZERROUG
Nous sommes en train de mettre en place, dans le cadre du Bureau international du Recyclage,
un observatoire de la R&D et du recyclage textile. Cette structure, à ce stade franco-anglaise,
permettra un échange d’informations. De nombreuses autres structures nationales ont manifesté leur
intérêt pour y participer. L’objectif sera de disposer d’un observatoire des bonnes pratiques de R&D à
l’échelle européenne.
MARC DUFAU
J’entends dire que les acteurs travaillent trop en silo. Il s’agit en effet d’une réalité. J’ai évoqué
ce matin les comités stratégiques de filières. Je ne saurais qu’inciter votre filière à se rapprocher des
référents des autres filières, comme la chimie ou la plasturgie. Avant de proposer une cartographie
des acteurs de la R&D, il convient de savoir si tous les acteurs parlent le même langage. Le CSF
Chimie a ainsi travaillé sur un glossaire, avec les industriels, pour définir clairement le recyclage et
ses acteurs. Par ailleurs, dans d’autres filières, en particulier dans le CSF Chimie ou au sein du
Comité stratégique Eco-industries (COSEI), des réflexions ont lieu sur les délais de paiement, les
mécanismes assurantiels et la garantie des approvisionnements afin de lisser les effets de marché
liés aux fluctuations des cours des matières premières. Or, comme le montrent vos échanges, ces
questions sont transversales.
21
ET SI LA COMMANDE PUBLIQUE S’ENGAGEAIT ?
Intervenants :
Didier BUTOR, Verne et Clet
Alain CHANOIS, FACIM
Christophe LAMBERT, TDV Industrie
Lieutenant-colonel Laurent LANGELIER, Service de l’Achat, des Equipements et de la Logistique de
la Sécurité Intérieure (SAELSI)
Les débats sont animés par Olivier BERUT.
OLIVIER BERUT
Le secteur du recyclage textile compte d’importants potentiels et savoir-faire, qu’il reste encore
à faire connaître. Dans ce contexte, la commande publique peut jouer un rôle. Je vous invite à vous
présenter pour montrer la diversité des institutions que vous représentez, puis à indiquer, à l’aune de
votre expérience, le rôle que la commande publique peut jouer sur les initiatives en matière de
recyclage textile.
DIDIER BUTOR
Verne et Clet est une entreprise de fabrication de tissus pour chemises, située dans le
Beaujolais. Nous fabriquons en France des tissus destinés aux grands acheteurs publics, mais aussi
des tissus pour le vêtement d’image, pour des grandes entreprises de transport aérien, maritime,
ferroviaire, ou des chaînes de restaurants. Nous avons développé trente offres de tissus équitables,
biosourcées et à base de fils polyester recyclés. Nous détenons également une usine de teintures et
apprêts, qui traite ses effluents elle-même par des procédés biologiques et avec une totale traçabilité.
Les boues extraites de nos teintures sont en effet utilisées pour de l’épandage agricole. Notre
entreprise fait partie du groupement Altertex évoqué par Eric Boël précédemment.
La commande publique joue un rôle déterminant. L’acheteur public s’est montré le plus motivé
par notre proposition de tissu éco-conçu et utilisant des matières recyclées. Nous avons des clients
leaders dans la démarche d’achat responsable, notamment la Mairie de Paris. Nous travaillons
également avec le ministère de la Défense, qui a évolué dans ses achats vers une utilisation plus écoconçue. La sensibilité des acheteurs publics à ces questions contribue à maintenir la valeur de nos
outils. La définition de cahiers des charges prévoyant des exigences élevées nous permet d’espérer
fabriquer ces produits durablement. Le plus grand péril pour l’industrie nationale alimentant la
commande publique est la perspective de l’achat « sur étagères », qui représente certes des
potentiels de baisse de prix, mais consiste à faire mourir la production locale. Aujourd'hui, la
démarche de produits éco-conçus s’oriente au contraire vers une recherche de produits de valeur
supérieure, à un niveau de prix compétitif.
CHRISTOPHE LAMBERT
TDV Industrie fabrique des tissus pour vêtements professionnels et des tissus techniques à
Laval, en France. Chaque année, nos tissus, après confection, habillent environ trois millions de
professionnels, civils ou militaires.
22
TDV Industrie détient une expérience forte dans la fabrication de tissus répondant à des cahiers
des charges exigeants. L’entreprise a la particularité d’intégrer sous un même toit tous les métiers de
la transformation textile : filature, tissage, teinture et finition. Elle poursuit une stratégie conquérante
en investissant 5 % de son chiffre d’affaires annuel dans du matériel textile pour son usine. Elle est en
relation directe avec les grands acheteurs de l’administration civile et militaire, mais aussi avec des
prescripteurs. Elle est également innovante et engagée. Le recyclage constitue une partie de son
engagement RSE. Il s’articule autour de trois axes :
•
En amont : nos déchets de fabrication ou d’emballage sont recyclés à hauteur de 75 %, soit
environ 275 tonnes de matières qui retrouvent une nouvelle vie : intérieur de matelas, cotons
d’essuyage, serpillères, mais également des palettes et des plastiques. Nous travaillons aussi sur
le recyclage de la soude et sur l’eau. Le recyclage intervient donc dès le stade amont de la
fabrication de nos tissus.
•
Nous proposons, en partenariat avec Max Havelaar, des tissus à base de coton biologique et
équitable africain, alliés avec des polyester recyclés. L’indice carbone de ces tissus est inférieur
de 40 % à celui d’un textile conventionnel. L’utilisation d’eau est également très fortement réduite.
Aujourd'hui, nous proposons, pour tous nos tissus, un affichage environnemental sur les
paramètres carbone et eau à destination de nos clients.
•
Nous avons enfin l’ambition de récupérer les vêtements professionnels fabriqués avec nos tissus,
pour fabriquer du fil.
TECHNIMAT est un projet de recherche collaborative initié à Lyon. Il regroupe douze
entreprises, laboratoires et institutions techniques. Il vise à transformer des textiles en fin de vie en
créant des matériaux innovants à usage technique, pour lesquels deux orientations de revalorisation
sont prévues : de nouveaux matériaux pour la plasturgie à partir de textile 100 % polyester ; des
matériaux isolants thermiques ou phoniques à partir de textiles naturels ou mélangés.
ALAIN CHANOIS
La FACIM est une fédération dont la raison d’être est la commande publique. Nous
rassemblons environ 50 professionnels de l’ensemble de la filière, intervenant dans la fabrication de la
fibre jusqu’à celle du produit fini. Nos entreprises livrent en particulier le ministère de la Défense, les
pompiers et les collectivités locales.
En préambule, je rappelle que la commande publique est soumise au Code des Marchés
publics, ce qui exige un important travail en amont à la FACIM. Pour un acteur public, lorsqu’il est
question de développement durable ou de recyclage, tout doit être caractérisé de façon précise dans
le contrat. Il existe toujours un risque juridique. Par ailleurs, l’acheteur ne dispose pas forcément
toujours d’une méthode de contrôle et de suivi. Il en résulte parfois un problème de confiance dans les
capacités du prestataire à remplir les exigences du donneur d’ordre. Enfin, l’acheteur peut penser que
les exigences de développement durable sont génératrices de coûts plus élevés. Il convient donc de
démontrer le contraire.
La FACIM a pour mission première de rendre visibles les entreprises qu’elle représente. La
disparition des très grands groupes de fabrication textile exige la mise en réseau d’une communauté
de techniques et de savoir-faire.
23
La FACIM poursuit par ailleurs un objectif de mise en relation des acteurs. Se trouvant à la
charnière entre les marchés publics et les fournisseurs, elle vise à faire avancer les acteurs dans la
compréhension de leurs problématiques respectives. Aujourd'hui, la commande publique adopte une
approche beaucoup plus ouverte. En amont des consultations, qui sont bien sûr très encadrées, un
véritable dialogue a lieu, ce qui permet des avancées productives.
Enfin, les industriels de la FACIM se sont regroupés en un réseau d’innovation pour faire
connaître les nouveaux produits et les nouvelles technologies à leurs donneurs d’ordre, et collecter les
besoins de ces derniers de manière précise. Une telle démarche permet de trouver des solutions
communes et de progresser dans l’éco-conception.
LAURENT LANGELIER
Le bureau de l’Habillement du SAELSI est responsable de l’habillement d’un peu plus de
250 000 agents et militaires. Il pilote en particulier les marchés de la police nationale et de la
gendarmerie nationale, mais également une partie de l’équipement des personnels de la sécurité
civile.
La prise en compte du développement durable au ministère de l’Intérieur en est encore à ses
balbutiements. Elle a davantage consisté à travailler sur le réemploi des produits que sur la matière en
elle-même. A titre d’exemple, sur l’année 2013, le réemploi des produits – c'est-à-dire la récupération
de vêtements dans le cadre d’une collecte et leur remise en distribution après nettoyage – a
représenté, pour le marché de la gendarmerie, un peu plus d’un million d'euros en comparaison avec
des produits neufs, sur un total de 30 millions d'euros de dépenses d’habillement.
La difficulté rencontrée sur les uniformes est liée à un effet d’image. En effet, le réemploi d’un
uniforme n’est possible qu’en interne. Il convient donc de mener un travail en amont sur la manière
dont on confère une image au produit : l’idée serait d’anonymiser le produit pour lui donner une
seconde vie en externe.
Le ministère de l’Intérieur a également un rôle à jouer au niveau de la collecte. S’il est donneur
d’ordre, il est aussi utilisateur. Il convient de mettre en place un flux logistique permettant de récupérer
les vêtements usagés de la police et de la gendarmerie. De nouveau, il existe une difficulté liée à la
dispersion des 2 800 points de vente répartis sur le territoire métropolitain. Si cette mise en place
représente un coût sans que l’Institution y trouve une contrepartie, l’intérêt sera faible.
En tant que prescripteur, le ministère est bien sûr intéressé par toutes les propositions des
industriels, à condition que le produit recyclé présente les mêmes niveaux de qualité qu’un produit
neuf. Un travail commun doit être mené, à la fois sur le développement des produits et la manière
dont le produit, une fois distribué sur le terrain, peut revenir à l’industriel pour se voir confier une
deuxième vie.
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ECHANGES AVEC LA SALLE
SERGE CRUTEL
Concernant le vêtement professionnel, la principale difficulté tient à la récupération.
Actuellement, une opération est en cours de développement avec la RATP. Les donneurs d’ordre
peuvent jouer un rôle de catalyseur des opérations de collecte.
CHRISTOPHE LAMBERT
Il n’y a qu’en France que les clients publics attachent beaucoup d’importance à la question du
recyclage et ont des attentes en matière de RSE et de traçabilité. Nous devons saluer ce constat.
CATHERINE MONCEL, MAGAZINE « RECYCLAGE RECUPERATION »
Ma question porte sur les vêtements professionnels, qui comportent souvent des textiles dits
« techniques ». Le recyclage peut-il se développer sur ce type de produits ?
CHRISTOPHE LAMBERT
Tout dépendra de la fonctionnalité du textile. Ainsi, les fonctionnalités ignifuges peuvent
présenter des difficultés particulières pour la séparation des fibres. Toutefois, il n’y a aucune difficulté
qui ne puisse être résolue.
HATEM SEDKAOUI, NEXT TEXTILE, GROUPE SITA, SUEZ ENVIRONNEMENT
Je préside la branche textile de FEDEREC, qui a pris en charge la thématique du vêtement
professionnel. Ce dernier, à l’inverse des autres vêtements, ne fait pas l’objet d’une éco-contribution.
Les acteurs de la filière doivent donc se prendre en charge par des actions concrètes. Les acteurs
publics ont pris conscience de l’importance de la démarche du recyclage. Ils l’intègrent déjà dans
leurs cahiers des charges. La dynamique consiste à présent à mettre en place des flux logistiques
pour la récupération de ces vêtements particuliers et de créer une filière capable de valoriser les
produits techniques. L’équilibre économique pour le collecteur et le recycleur n’intervient que lorsqu’il
existe un équilibre entre la part réutilisable et la part recyclable des vêtements.
La question du prix est l’une des composantes essentielles de la mise en place de la filière.
Nous menons un débat depuis plus de cinq ans à cet égard.
LAURENT LANGELIER
Nous souhaitons prendre en compte le recyclage dans notre cahier des charges dès le
lancement du marché. Nous tenons compte des contraintes liées à certains vêtements, comme leur
image ou leur caractère technique, qui peuvent avoir un impact sur l’équilibre économique de la filière.
Il existe donc un fossé entre la volonté de s’inscrire dans un dispositif d’économie circulaire et la
réalité. A l’avenir, il conviendra d’intégrer le recyclage dès la conception des uniformes, pour que ces
derniers puissent facilement être réutilisés.
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COMMISSAIRE
LANGELIER, RESPONSABLE DE L’ACHAT DE L’EQUIPEMENT,
L’HABILLEMENT ET DU CAMPEMENT AU SERVICE DU COMMISSARIAT DES ARMEES
DE
Nous sommes de plus en plus engagés dans un achat tenant compte du développement
durable et de l’éco-responsabilité. Certes, nous prêtons attention au prix. Toutefois, dans nos marchés
publics, le critère prépondérant est la qualité des produits, mais également l’éco-responsabilité. Il pèse
pour 70 % dans notre choix. Le développement durable pèse pour 5 % dans notre pondération. Le
reste porte sur le prix. Par ailleurs, le lavage des vêtements constitue pour nous un point essentiel.
Nous consentons à des efforts pour éviter les techniques de lavage nocives pour l’environnement.
Concernant le réemploi, nous avons trouvé une entreprise pour recycler la partie souple des gilets
pare-balles, pour en faire des matériaux d’isolation. En revanche, nous n’avons pas trouvé de filière
pour recycler les plaques dures. Nous avons donc développé notre propre système en interne, qui
sera mis en place à partir de janvier 2015. Nous allons nous approprier la technique, dans la
perspective de l’externaliser. Nous avons procédé de la même manière pour les chaussures. J’en
appelle donc aux sociétés intéressées.
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DISCOURS DE CLOTURE
BAPTISTE LEGAY
Direction Générale de la Prévention des Risques – Ministère de l’Ecologie, du Développement
Durable et de l’Energie
Je me félicite, et je vous félicite de l’intérêt porté au recyclage des textiles. Comme l’ont montré
vos échanges ce matin, nous nous trouvons dans une période enthousiasmante sur ce sujet, offrant
de nombreuses opportunités. La thématique est également très relayée au niveau du gouvernement
et du ministère de l’Ecologie, en accord complet avec le ministère de l’Industrie. Comme vous le
savez, la loi de transition énergétique, sur le point d’être adoptée, propose d’ancrer la logique de
l’économie circulaire dans la loi française. Elle fixe des objectifs ambitieux en matière de recyclage et
de diminution la mise en décharge. Il s’agit de faire de nos déchets des ressources. La logique
d’économie circulaire vise à la fois une amélioration de la qualité de l’environnement, mais également
la création et le maintien de filières industrielles, de savoir-faire, d’emplois locaux et pérennes.
La logique des filières REP sera réaffirmée au sein de la loi. L’association des acteurs et le
partage d’objectifs communs ont vocation à se poursuivre dans les années à venir. Cette approche
est particulièrement vraie dans le domaine du textile. De nombreuses avancées ont été réalisées en
termes de réutilisation ou de recyclage. L’action doit se poursuivre et se structurer. Le récent réagrément d’Eco TLC contient un certain nombre de dispositions visant à favoriser le recyclage,
notamment :
•
les modulations l’éco-contribution pour favoriser la production de vêtements contenant des fibres
recyclées ;
•
l’organisation de la R&D sous l’égide d’Eco TLC ;
•
le soutien au tri matière et l’amélioration des conditions de tri, de manière à faciliter le recyclage.
J’insisterai par ailleurs sur les partenariats. Les parties prenantes à la filière sont nombreuses.
Elles interviennent sur une chaîne de production, allant de la conception jusqu’à la récupération des
produits en collecte, tri, recyclage et réutilisation. La filière fait également intervenir les acheteurs des
produits issus de ces déchets. Dans le nouvel agrément d’Eco TLC, les pouvoirs publics ont souhaité
conférer une place à chacun de ces acteurs, mais aussi attribuer un rôle important à Eco TLC pour
fédérer les différents acteurs, organiser le dialogue et s’assurer que tout le monde avance dans la
même direction. A titre d’exemple, seul un éco-organisme fort peut porter l’intérêt général et
coordonner le maillage territorial des points de collecte, encore inégal à ce jour.
Enfin, la filière textile n’a pas attendu la mise en place des filières REP pour exister. La
réutilisation et le recyclage des textiles remontent en effet à des siècles. Toutefois, nous nous
trouvons aujourd'hui face à une nouvelle donne. La filière REP créée en 2007 parvient peu à peu à
maturité. Les défis qui l’attendent sont encore nombreux. Ainsi, aujourd'hui, seul un quart des textiles
mis en marché est collecté. Le nouvel agrément a pour ambition de doubler ce taux de collecte. Il
s’agit donc d’un véritable défi. Les acteurs doivent se mettre en ordre de bataille pour y parvenir.
L’enthousiasme ne manque pas, comme le démontre le colloque qui vous réunit ce matin. Cela étant,
la confiance dans le professionnalisme d’une filière ne naît pas instantanément, elle doit se construire
peu à peu. Nous devrons donc avancer collectivement sur l’ensemble de ces défis.
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