Intervention de Joyce Harris, SCSL

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Intervention de Joyce Harris, SCSL
Rencontre de la CRC – Saskatoon, SK – Mai 2013
Mon cheminement dans la vie religieuse
Présentation à la table ronde par Joyce Harris, SSA
Mon cheminement dans la vie religieuse, placé sous le signe de la foi, a été exigeant. À
l’âge de 17 ans, toute frêle et menue, j’entrais chez les Sœurs de Sainte-Anne à Victoria
pour en sortir, à 27 ans, essentiellement secouée dans ma foi. J’étais pénétrée de
l’esprit de Vatican II, comme ma congrégation, mais j’avais du mal avec les structures
de l’Église et il me semblait pouvoir suivre le Christ plus entièrement comme laïque
engagée. Ma sortie m’a donné l’occasion d’obtenir un diplôme universitaire, de faire du
plaidoyer pour les droits de la personne avec l’ONU et de militer pour la paix et la justice
en Amérique centrale et au Canada. En Amérique centrale, j’ai été bouleversée par la
souffrance des gens et par les traumatismes qu’ils vivaient (j’ai rencontré des enfantssoldats, par exemple), à tel point que l’action sociale ne me suffisait plus. Seules la
prière profonde et une grande conversion du cœur pourraient venir à bout de tous ces
systèmes et de toutes ces structures d’oppression.
Cet incroyable « chemin de Damas » m’a fait répondre à un appel à la prière
contemplative et je suis entrée chez les Clarisses. Après m’être plongée pendant
plusieurs années dans la richesse de cette tradition, j’ai vécu une intégration personnelle
qui m’a poussée de nouveau à suivre le Christ dans le ministère apostolique. Les Sœurs
de Sainte-Anne me connaissaient et elles ont jugé que mon parcours n’était pas affaire
de caprice ou d’instabilité, mais répondait à un profond désir de fidélité à ma
compréhension progressive de l’appel du Christ en moi.
L’an dernier, je participais à une rencontre régionale de Kairos, et Sarah Stratton, de
l’équipe nationale, nous a posé la question suivante : Pour vous, l’Église est-elle un
monument ou un mouvement? Reprenons la même question : est-ce que nous vivons la
vie religieuse comme un monument ou comme un mouvement?
Comme plusieurs d’entre vous, j’ai été plongée dans une vision de la vie religieuse qui
gémit, gronde et galope à travers les innombrables défis, changements et soubresauts
plus ou moins chaotiques déclenchés par l’Esprit dans le puissant déversement d’amour
et de dynamisme qui a marqué Vatican II.
« Des outres neuves pour le vin nouveau »
Les questions, des questions profondes, ne manquaient pas. Qui sommes-nous? Quel
est notre charisme? Comment être une communauté apostolique dans le monde
moderne? Nous avons travaillé sans relâche à répondre à ces interrogations, mais nous
avons bientôt découvert que notre vision du monde et notre société changeaient à vue
d’œil et qu’il nous fallait « des outres neuves pour le vin nouveau ». L’Esprit, qui
« soufflait sur toute la terre », éveillait une créativité sans précédent en science, en
cosmologie et en technologie de sorte qu’il nous faudrait de nouvelles lunettes pour
reconnaître cet univers christocentrique tout d’évolution et de relations. Vous le savez,
nombre de théologiennes et de théologiens, de religieuses et de religieux écrivent et
discourent aujourd’hui sur ces mouvements.
Religieuse engagée pour la justice, la paix et l’intégrité de la Création, j’aimerais vous
dire comment cette expérience d’apprentissage et de découverte au 21e siècle affecte
mon vécu et m’ouvre à l’avenir!
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Rencontre de la CRC – Saskatoon, SK – Mai 2013
La première invitation que Dieu me fait, c’est de reconnaître l’évolution de Sa présence
dans l’univers, dans le monde et dans la vie religieuse. Ce n’est pas la science, la
technologie, la théologie ou quelque autre « -logie » qui nous ont donné ce moment de
l’histoire, mais l’amour créateur de Dieu incarné dans toute la création, en Jésus Christ
et, par Jésus Christ, en nous qui continuons de faire des découvertes et de participer à
la créativité même de Dieu!
Je suis donc appelée à embrasser ce moment, ce kairos, non seulement comme Année
de la foi, mais comme l’occasion de vivre la fidélité, d’incarner passionnément l’amour
du Christ aujourd’hui. Nous nous efforçons de vivre avec passion notre rôle prophétique
dans l’Église et le monde, en réponse au Christ qui est la Vie. Et cette « passion » n’est
pas réservée aux jeunes. Elle est de tout temps le fait des prophètes, jeunes et vieux.
L’attitude prophétique s’incarne dans les relations, nos relations à Dieu, nos relations
entre nous et nos relations avec la création.
Entre autres orientations pour 2012-2014, le conseil d’administration de la CRC est
convenu que pour « contribuer à bâtir une Église de communion », elle resterait
« attentive aux enjeux de justice sociale et de respect de la création ». La justice, la paix
et l’intégrité de la création forment notre lorgnette évangélique. Le kairos que vit notre
société nous demande d’être à la fois des modèles et des guides en matière de relations
équitables, dans un monde fracturé par l’abus de pouvoir, la violence, la division, la
convoitise, le fondamentalisme et le terrorisme.
Qui sont les marginalisés?
J’avais commencé à réfléchir à cet exposé avant l’élection du pape François. Vous
imaginez bien que son élection m’a remplie d’espérance. L’invitation qu’il nous lance à
toutes et à tous de proclamer l’Évangile par notre vie, de protéger celles et ceux qui sont
marginalisés et vulnérables, de préserver la création de Dieu et d’accueillir les gens
avec miséricorde, amour et compassion traduit certainement l’appel de l’Esprit à
répondre aux signes de notre temps. Nous nous posons la question : qui sont les
marginalisés dans notre société? Le pape François signale les personnes âgées.
Dans notre province de l’Ouest, ma communauté, comme plusieurs des vôtres, a connu
de profonds changements ces dernières années. Nous avons vendu nos grandes
résidences et notre maison de retraites, et nous avons installé dans des établissements
publics nos sœurs aînées qui ont besoin de différents niveaux de soins. À un certain
niveau, nous faisons encore le deuil de ces pertes, mais nous sommes plusieurs à
accueillir ce passage comme un nouvel élan de prophétisme : l’occasion de vivre la
compassion les unes envers les autres comme à l’égard des autres résidents avec la
générosité dont faisait preuve notre fondatrice, la bienheureuse Marie-Anne Blondin.
Dynamisées par leur relation personnelle au Christ, nos sœurs aînées continuent de
cultiver la communauté et de donner espoir aux autres, qui sont seuls, stressés et
fragiles. N’est-ce pas là le visage de la justice?
Le pape François nous rappelle l’omniprésence, dans notre société, de l’inégalité et des
structures inéquitables qui maintiennent hommes, femmes et enfants dans la pauvreté.
Je suis convaincue que nous avons énormément à donner à l’échelle internationale,
nationale et locale. Nous avons lieu d’en être fiers, les autorités de la CRC ont écrit au
gouvernement fédéral pour appuyer Développement et Paix et pour demander des
comptes à nos dirigeants sur leurs politiques nationales et internationales. Au niveau
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local, il est important d’encourager la participation à Développement et Paix, à Kairos et
aux programmes de justice diocésains.
Faire une vraie différence
Même peu nombreux, les religieuses et les religieux qui collaborent entre eux et qui
œuvrent en partenariat avec d’autres peuvent vraiment contribuer à changer les choses.
Plusieurs de nos congrégations sont reconnues comme ONG aux Nations Unies. Les
religieuses continuent de faire pression sur les États pour endiguer la vague de violence
contre les femmes et les enfants, en particulier sur le front de la traite des personnes.
D’autres mettent leurs efforts à promouvoir de grands traités internationaux de
protection de l’environnement.
Il y a beaucoup d’agitation dans notre monde, car peuples et nations luttent pour une
véritable égalité et une vraie démocratie. Au Canada, le mouvement Idle No More s’en
prend aux inégalités dont sont victimes chez nous les Premières Nations. Nous
demeurons sérieusement engagés à progresser avec nos sœurs et nos frères
autochtones vers la pleine égalité.
Plusieurs congrégations militent pour la responsabilité sociale des entreprises. Notre
province fait partie de SHARE, organisme qui fait des recherches et qui écrit en notre
nom aux entreprises pour les inciter à un comportement plus responsable et plus
éthique.
Il est urgent pour nous, partout dans le monde, de protéger notre planète, de préserver
notre environnement et de nous intéresser au progrès technologique.
Nous avons l’occasion de donner l’exemple d’une utilisation responsable de la
technologie, avec l’Internet, par exemple. Nous faisons partie d’une communauté et
nous attachons du prix aux relations. Que nous vivions seul-e-s, que nous habitions une
résidence communautaire ou que nous soyons rattaché-e-s à des grappes d’individus et
de petites communautés, nous cultivons les rapports entre nous et nous pouvons
donner à la société un exemple de relations équitables. Nous travaillons à pratiquer
entre nous une communication positive non violente et nous communiquons ce savoirfaire aux gens qui collaborent avec nous. Comme le pape François, nous pouvons ainsi
provoquer de changements importants. Cet homme-là est un vrai modèle. « J’aime bien
le pape François, confiait dernièrement une Argentine, il est avec les gens et il boit la
même bière que moi. »
Au sujet de l’environnement, il revient aux religieuses et aux religieux d’apporter leur
sagesse, leur mentorat et leur enthousiasme quand ils s’associent à d’autres pour
protéger la création de Dieu. Nous savons maintenant que l’empreinte humaine
contribue grandement au réchauffement climatique et à la destruction possible de notre
Terre.
Ce n’est pas sans appréhension que je m’imagine rendre compte à notre Dieu-Amour de
ma négligence à l’égard de Ses pauvres et de Sa création!
Être des phares
Pour moi, notre mission comme religieuses et religieux, c’est d’interpeller la société du
21e siècle et son désordre, et de proclamer le Règne de Dieu. Comme le disait Coretta
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King, nous sommes là pour être des phares, pas des feux de position. Nous sommes
appelés à être mystiques, à reconnaître avec les yeux de Dieu ce qu’il y a de mieux
dans chaque culture. En un sens, nous devons être un levain multiculturel, pas contreculturel. S’opposer, être contre n’apporte pas d’espoir, mais déborder de vie et de
passion comme artisans de justice et de paix, en sachant apprécier la présence de Dieu
dans les différentes cultures, voilà une vocation qui en vaut le coup. Les « phares » que
nous sommes n’ont pas à craindre de critiquer les structures et les institutions qui
soumettent les gens et notre Terre à une nouvelle forme d’esclavage.
Certaines communautés diminuent, d’autres accueillent de nouveaux membres. Mais
nous sommes toutes et tous engagés dans l’œuvre de Dieu, quel que soit notre
apostolat.
Malgré les problèmes qui s’annoncent, je vis comme un privilège le fait d’être
passionnément engagée dans le ministère de Jésus Christ comme Sœur de SainteAnne.
Que je sois assise avec ma consœur et amie victime de la maladie d’Alzheimer, à
laisser l’éclat de son sourire et la douceur de son toucher sécher mes larmes, ou que je
sois dans la rue à tenter de sensibiliser le public à l’urgence d’un Plan de réduction de la
pauvreté en Colombie-Britannique, ou que je rencontre des députés provinciaux en tant
que membre d’une équipe « Faith-in-Action» pour parler de logement abordable, ou que
j’aille à l’Assemblée législative avec les Premières Nations et d’autres militants pour
protester contre la venue de pétroliers sur nos côtes, ou que j’anime des sessions sur
l’abus sexuel d’enfants par des membres du clergé, je suis pressée d’agir par Celui dont
l’amour pour chaque être humain et pour toute la création me donne le courage et
l’espérance nécessaires.
Résolus à promouvoir, à refléter et à incarner la justice créatrice de Dieu dans notre
expérience vécue, nous formons un « mouvement » dont l’engagement intrépide
renouvellera la face de la Terre ! Religieuses et religieux, nous prenons le présent à
bras-le-corps pour cocréer l’avenir! !
J’aimerais terminer par une citation d’une amie à moi, la Dre Denise Doyle. Voici le
message qu’elle adressait aux nouveaux diplômés de son université : « Lancez-vous,
lancez-vous toujours plus, et encore un peu plus; ne perdez pas de vue vos rêves et vos
espoirs; croyez passionnément en quelque chose! »
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