Venezuela : et si Chavez réussissait

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Venezuela : et si Chavez réussissait
Sous la direction de Christian Harbulot
AUBINEAU Adeline
BAILLAIS Matthieu
ESCARABAJAL Fabian
MOUCHE Fabrice
REGNIER Youri
Pour le 15 Décembre 2006, rendu le 01 Décembre en prévision
des élections présidentielles du 03 Décembre au Venezuela.
« Depuis son indépendance, l’Amérique Latine a souffert d’interminables guerres
civiles qui l’ont fragmentée, laissant la direction des sociétés aux mains d’aristocraties
vernaculaires qui n’ont jamais eu la vision d’un bloc unitaire comme projet continental
mais qui se sont enrichies au détriment de leurs peuples » Marcelo Colusi, UNESCO.
Comptant avec le Venezuela et la Bolivie, première et deuxième puissance
d’Amérique Latine en terme de ressources naturelles, ce continent reste néanmoins la
région la moins égalitaire de la planète et présente la plus grande concentration de
richesses dans les mains d’une minorité. Fort de ce constat et étant donné les différences
économiques et sociales explosives qui épuisent le continent, s’impose la nécessité de
renforcer et de rendre plus efficace le fonctionnement des Etats pour apporter une
réponse aux multiples problèmes actuels.
Selon Janette Habel, secrétaire générale adjointe de la Fédération Internationale
des Droits de l’Homme et chargée de l'Amérique Latine, « 56,3% de la population pense
que le développement économique est plus important que la démocratie et 54,7% se
déclarent prêts à appuyer un gouvernement autoritaire si celui-ci apportait une solution
aux problèmes économiques de leur pays ». Dès lors, depuis une dizaine d’années, on
assiste à des bouleversements politiques importants dans plusieurs pays du souscontinent et même si ces changements ne s’inscrivent pas nécessairement dans la même
ligne politique, le sous-continent est en train de remettre en question le vieux principe
impérialiste qui fait de lui «l’arrière-cour» des États-Unis.
Aussi, depuis sept ans, le système Chavez a affronté le patronat, résisté au Fonds
Monétaire International (FMI), nationalisé l’industrie, revu les contrats avec les
entreprises pétrolières étrangères, noué des alliances avec Cuba, modifié la Constitution,
entrepris des réformes nationales colossales, et finalement porté le Venezuela sur le
devant de la scène internationale. Chavez, bien qu’ayant fait de son programme
présidentiel 2007 l’anti-américanisme, l’anti-mondialisation et la lutte contre l’exclusion,
a cependant réussi à séduire les plus puissants du Cône Sud et les faire adhérer à son
plan d’Intégration (ALBA) et donc de renoncer ouvertement au projet Américain (ALCA).
Incarnation vivante de l’emblématique Simon Bolivar et profitant de l’ébullition
politique au sein du continent, Chavez a-t-il réellement les atouts nécessaires pour
fédérer les nations d’Amérique Latine ? Et de la même manière, quelles autres grandes
puissances tireraient leur épingle du jeu ?
Mais qui est vraiment Chavez ?
D’une famille modeste, diplômé de l’Académie Militaire du Venezuela et de
Sciences Politiques, Chavez se fait officiellement connaître le 4 février 1992 suite au coup
d’état qu’il organise avec le Mouvement Révolutionnaire Bolivarien 200. Emprisonné
après avoir dénoncé la corruption des élites du pays lors d’un discours télévisé, son
incarcération prend fin en 1994 grâce au nouveau président Rafael Caldera.
Le discours bolivarien est l’inspiration idéologique de Chavez. Ce mouvement
idéalise l’action de Simon Bolivar « El Libertador », dont la lutte se centrait sur l’égalité
entre les classes basses et la bourgeoisie venue d’Espagne. Le mouvement bolivarien de
Chavez adapte ce discours vers l’organisation d’un régime révolutionnaire qui aura
comme objectif de réaliser des changements profonds pour le progrès économique et
social des classes populaires. Dans la lignée de Bolivar, Chavez œuvre activement à la
création d’un état fédéral sud-américain.
Avec son parti politique, Mouvement pour la Cinquième République, Chavez
remporte les élections présidentielles de 1998 avec 56% des voix. Lors de cette première
présidence, il modifie complètement le système politique vénézuelien en commençant
par sa constitution. Suite à un premier referendum, le système électoral remanié permet
alors au MVR de remporter 95% des sièges à l’Assemblée Constituante.
Lors d’un second référendum et avec 55% d’abstention, Chavez met en place sa
nouvelle constitution bolivarienne qui apporte toute une série de nouveautés :
• Nouveau nom pour le pays : « Républica Bolivariana de Venezuela ».
• Abolition du Sénat.
• Mandat de 6 ans.
•
Annonce d’un référendum pour l’année 2010 avec comme objectif de pouvoir
multiplier indéfiniment le nombre de mandats présidentiels.
En 2000, « El Gorilla » est réélu avec 59,5% des voix ; parce qu’il veut s’engager
dans la réalisation « d’un socialisme du XXIème siècle », commence alors une période
beaucoup plus mouvementée qui débouchera sur le premier coup d’état du 12 avril 2002.
La popularité du président vénézuélien n’a jamais cessé d’augmenter auprès des
couches sociales défavorisées. Prenant très à cœur les maux dont souffre son pays,
Chavez a mené une vraie « révolution sociale » en appliquant une politique de fermeté
calquée sur le modèle de Cuba… et force est de constater que ses méthodes payent.
Dans un continent ou près de 53 millions d’habitants n’ont pas accès au minimum vital
quotidien et ou près de 9 millions d’enfants âgés de moins de cinq ans souffrent de
malnutrition, un rapport de la Commission Economique Pour l’Amérique Latine et les
Caraïbes (CEPAL) de mai 2006, mentionne que le Venezuela figure parmi les trois
meilleurs élèves de l’Amérique Latine avec un taux de malnutrition de 4,4% (derrière
Cuba, 4,1%, et le Chili, 0,8%) et affiche les indicateurs de croissance les plus élevés
(17,9% en 2004 et 9,4% en 2005). Grâce aux revenus du pétrole qui alimentent la
croissance depuis 2004, le chômage est descendu à 10,9 % en 2005, l’inflation ralentie
significativement même si elle demeure très importante (17,3% en 2004 et 13,5% en
2005) et les réserves de devises internationales n’ont cessé d’augmenter.
Le point d’orgue de l’action de Chavez est la mise en place depuis 2003 de
dizaines de misiones, programmes sociaux non institutionnels en faveur des classes
populaires, qui touchent des domaines aussi variés que la santé, l’éducation, ou les
infrastructures. Il est difficile de mesurer quantitativement l’impact de ses missions, mais
plusieurs études montrent qu’elles ont permis une hausse du niveau de vie des classes
populaires. Les exemples de réussite à travers les misiones ne manquent pas :
• Au niveau de la criminalité, le gouvernement de Chavez a eu des effets très
positifs puisqu’ entre 2004 et 2006, le taux de délinquance a été réduit de plus de
50% selon le Ministère de l’Intérieur et de la Justice (MIJ).
• Au niveau de l’éducation, près de 1,5 millions de Vénézueliens ont appris à lire
grâce à la campagne d’alphabétisation, nommée Mission Robinson I. En décembre
2005, l’UNESCO a décrété que l’illettrisme avait été éradiqué au Venezuela. La
Mission Robinson II a été lancée afin d’amener l’ensemble de la population à
atteindre le niveau du collège.
• Au niveau de la santé, le système national public de santé a été remanié afin de
garantir l’accès gratuit aux soins à tous les Vénézueliens. Lancée il y a 3 ans, la
Mission Barrio Adentro a eu des résultats exceptionnels puisque près de 17
millions de personnes ont ainsi pu être soignées alors qu’auparavant, moins de 3
millions de personnes avaient un accès régulier aux soins.
La révolution sociale du président Chavez est sans précédent en Amérique Latine et
ses résultats sont aussi spectaculaires qu’inattendus. En se mettant du côté du peuple et
en oeuvrant activement à l’amélioration de ses conditions de vie, Chavez savait qu’il
trouverait là de solides appuis pour mener à bien sa « révolution bolivarienne »...
Une idéologie controversée.
Chavez clame inlassablement la mise en place de l’Alternative bolivarienne pour
les Amériques (ALBA), processus d’intégration visant au développement de « l’Etat social,
non dans l’intérêt des élites mais dans l’intérêt des peuples ». En prônant « le droit du
peuple de jouir de sa terre et de ses richesses », Chavez ne fait plus l’unanimité dans son
pays en se mettant à dos l’oligarchie (et l’Eglise) et en se montrant incapable de
rassembler les différentes forces de gauche latinos et les forces progressistes
internationales.
Depuis novembre 2001 et la signature de 49 décrets économiques interdisant,
entre autres, à une entreprise étrangère de détenir plus de 49% d’une société locale, les
révoltes sont fréquentes. L’opposition s’organise progressivement autour de la
Coordination Démocratique qui regroupe 13 partis politiques et 25 associations civiles
d’opposition, parmi lesquelles la puissante organisation patronale Fedecamara et la plus
importante centrale syndicale, CTV. Les médias privés, l’ordre des médecins et même
policiers et militaires viennent grossir les rangs de l’opposition ; le CD et l’ONG Sumate
iront jusqu’à tenter un coup d’état le 11 avril 2002 en plaçant Pedro Carmona (ex
président de Fedecamara) à la tête du gouvernement intérimaire. Mais à la surprise
générale, des milliers de militaires et de citoyens issus des barrios descendent dans la
rue pour demander le retour de Chavez et obtiennent gain de cause.
Toutefois, l’opposition ne desserre pas l'étau et organise une grève générale (63
jours) entre décembre 2002 et janvier 2003. De violentes manifestations éclatent, le
pays est au bord de la récession, mais Chavez tient bon et ne cède pas à la tentation
d’envoyer l’armée déjouant ainsi la stratégie adverse… mais laissant de graves séquelles.
Les élections législatives de décembre 2005 sont boycottées (75% d’abstention) par
l’ensemble des partis d’opposition laissant ainsi Chavez s’emparer de tous les sièges de
l’assemblée.
Très populaire dans les couches sociales défavorisées (l’émission Alo Presidente
est un moyen pour le président d’être à l’écoute des disfonctionnements du système), il
ne l’est plus auprès des élites politiques qui s’en méfient et ne reconnaissent pas son rôle
d’autorité. La personnalité du leader vénézuelien est jugée trop ambiguë donnant
l’impression d’une confusion idéologique ; son positionnement, fondé sur l’antilibéralisme
et l’antiaméricanisme s’avère très limité.
Les principales critiques qui lui sont faites concernent son incompétence en
matière de politique économique, son rapprochement avec le modèle castriste (dérive
autoritaire), la forte délinquance (le Venezuela reste le pays le plus violent d’Amérique
Latine) et le manque de transparence et de contrôle des comptes publics. De même, son
soutien présumé aux guérilleros colombiens et la remilitarisation récente ravivent les
angoisses. Malgré les différentes tentatives de renversement, Chavez est toujours là et
les élections approchent. L’opposition a choisi comme représentant Manuel Rosales,
gouverneur de l’Etat de Zulia, principale région pétrolière.
Dès lors, ce qui a fait sa force en 1998 peut-il causer sa perte en 2007 ? Les
sondages actuels sont en faveur de Chavez (55% des suffrages contre 30% pour
Rosales), mais ces chiffres sont à prendre avec précaution tant l’instabilité est grande et
la manipulation de l’information constante en période électorale au Venezuela. Nul doute
que l’opposition, brimée depuis huit ans, compte prendre sa revanche en s’appuyant sur
de solides soutiens (médias, patronat et financement américain).
Au-delà de ces considérations idéologiques, ce sont désormais les pays
périphériques comme le Mexique, le Pérou, la Colombie, l’Equateur et le Nicaragua, qui
se retrouvent plongés dans la tourmente politique. Le couple Chavez-Morales renoue
avec l’espoir de libération nationale et sociale créant un dilemme pour ces pays, partagés
entre leur cœur latin et leur portefeuille américain.
Volonté d’intégration de l’Amérique Latine
L’intégration du Venezuela dans le MERCOSUR
Au terme de 14 ans d’existence, le bilan du MERCOSUR est mitigé car l’alliance
des 4 pays du Cône Sud (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) semble ne pas avoir
réussi a surmonter les inégalités régionales qui les séparent, bien au contraire,
ralentissant ainsi le développement de la région.
Ne souhaitant plus traiter avec la Colombie et le Pérou en raison de leurs accords
de libre échange maintenus avec les Etats-Unis, Chavez a annoncé officiellement, le 19
avril 2005, le retrait du Venezuela de la Communauté Andine des Nations (CAN),
plongeant ainsi dans la crise ce bloc politico commercial de cinq pays (Venezuela,
Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie) qui représente 1/3 du commerce sud-américain.
Grâce aux politiques commerciales signées avec l’Argentine et le Brésil, le rôle du
Venezuela dans le MERCOSUR apparaît comme salvateur pour re-dynamiser la région ce
qui risque bien de redessiner la carte géopolitique de l’Amérique Latine.
En effet, afin de gommer les asymétries entre les 2 frères ennemis qui ont
profondément marqué le continent entre 1999 et 2001 (le Brésil a profité de la crise
argentine pour noyer son marché tout en raflant 95,5% des investissements directs
étrangers), Chavez propose son aide à l’Argentine afin de relancer son économie critique
tout en signant des accords de développement commun avec le Brésil.
Avec l’Argentine, Chavez souhaite transformer complètement l’échelle des
échanges qui était modeste jusqu’à présent (1% du PNB de l’Argentine et était inférieure
à 0,5% du PNB du Venezuela). Le commerce entre les 2 pays repose principalement sur
l’essence, le pétrole, la technologie satellite, les produits agricoles, les médicaments, les
co-investissements et les accessoires pour l’entreprise PDVSA, la société pétrolière
nationale du Venezuela. En parallèle de ces transactions estimées à plusieurs milliards de
dollars sur les 5 prochaines années, Chavez s’est également engagé à acquérir au moins
500 millions de dollars de la dette argentine, ce qui peut contribuer à surmonter
l’étranglement qu’imposent les 1,7 milliards de dollars qu’elle doit payer au FMI avant la
fin de l’année 2006. Plus révélateur encore, le méga projet du gazoduc reliant le
Venezuela à l’Argentine (et desservant le Brésil) peut être considéré comme une pièce
stratégique de l’Intégration des pays du Sud (projet sur 10 ans à compter de 2007 pour
un montant sous-évalué de 20 milliards de dollars).
Dans ce contexte, les 2 pays ont tout a y gagner : d’une part, le Venezuela assure
à l’Argentine d’être le frein modérateur face à un Brésil dévastateur et de l’autre,
l’Argentine assure à Chavez son soutien dans son plan d’intégration des pays du Sud. De
la même manière, le rôle in fine du Venezuela va être de relancer la Communauté Sud
américaine des Nations (CSN), projet à l’initiative brésilienne mais qui, pour des
querelles de leadership entre le Brésil et l’Argentine, n’a jamais pu être vraiment mis en
action.
Les accords signés entre Chavez et Lula sont tout aussi ambitieux et prometteurs
que ceux convenus avec Kirchner mais s’articulent autour d’un autre registre. « Notre
intégration ne peut pas signifier une spécialisation où un pays croît au niveau industriel
et un autre dans le rôle de fournisseur de produits agricoles » (Lula en parlant de
l’Argentine) ; le Brésil, accusé de vouloir étendre son hégémonie sans tenir compte des
problèmes économiques de ses voisins, trouve donc en Chavez un allié de marque dans
son projet d’intégration des pays du Sud.
Les accords signés portent sur le développement commun :
• Partenariat initié entre les entreprises pétrolières PDVSA (Venezuela) et
PETROBRAS (Brésil). Les accords du traité portent sur une coopération
scientifique, le développement du projet Mariscal Sucre, un projet sur les rives de
l’Orinoco, des activités de coopération dans la production et la distribution de
lubrifiants, dans le raffinement, le commerce et le transport maritime.
• Identification conjointe des opportunités d’affaires en matière d’hydrocarbures
dans le golfe du Venezuela (projet Plataforma Deltaza) en incluant un accord de
confidentialité pour le développement d’opportunités d’affaires entre PDVSA et
PETROBRAS (la société vénézuelienne PEQUIVEN a également signé des accords
avec PETROBRAS).
• Le Venezuela et le Brésil ont souscrit un accord pour éviter la double imposition et
l’évasion fiscale en matière d’impôts sur la rente permettant de cette manière le
renforcement des relations économiques et commerciales entre les deux pays. Ils
ont signé un Memorandum d’Entente pour la coopération dans les sciences et la
technologie.
• Promesse réciproque d’échange d’informations stratégiques ainsi que l’analyse et
le pronostique des mass média des 2 pays. Le partenariat porte également sur la
diffusion des informations officielles des 2 gouvernements, les activités culturelles,
touristiques, historiques ; l’interaction des échanges des contenus scientifiques,
académiques et universitaires vise à renforcer les relations bilatérales entre les 2
pays.
Bien plus qu’un simple partenariat économique entre les 2 pays, il s’agit là d’un
développement stratégique commun, symbole de la mise en marche de « l’Alternative
Bolivarienne pour les Amériques ». Au moment ou les Etats-Unis annoncent une
diminution de 1.7 milliard de dollars d’aide à l’Amérique Latine, Chavez a promis 3.7
milliards de dollars à ses voisins. Le Venezuela, tel qu’il se montre actuellement au
travers de ses relations avec l’Argentine et le Brésil, a donc un double rôle : d’une part,
un rôle de moteur et de tampon car il régule les relations politiques et commerciales du
Cône Sud, et de l’autre, il apparaît aux yeux des peuples du sous-continent comme la
seule alternative capable d’envisager de nouvelles politiques pour sortir du néolibéralisme
de Washington.
L’axe Cuba-Venezuela-Bolivie au travers du TCP
Dans la lignée du leader vénézuélien, la victoire d’Evo Morales à la présidence de
la Bolivie marque également un tournant décisif sur la scène politique sud-américaine.
Cet indien d’origine Aymara, président des six fédérations de planteurs de coca,
principal dirigeant de la première force politique du pays, le Mouvement vers le
Socialisme (MAS), a su rassembler autour de lui métis, couches populaires et
intellectuels. Sa lutte contre l’oppression et son désir de changement lui a permis de faire
tomber 2 présidents (Gonzalo Sánchez de Lozada le 17 octobre 2003 et Carlos Mesa le 6
juin 2005) et de remporter les élections présidentielles au premier tour avec près de
52% des voix (sur 60% des suffrages). L’actuel leader du pays le plus pauvre d’Amérique
Latine a appelé son peuple à « refonder le pays » en « redonnant un sens au mot
dignité »… tout comme un certain président brésilien qui avait fait de la lutte contre la
faim le fer de lance de sa campagne présidentielle en promettant « 3 repas par jour au
plus démunis ». Les leaders politiques d’Amérique Latine savent que pour mener à bien
de grands projets internationaux, ils doivent d’abord redonner confiance et espoir à leur
peuple.
C’est dans cette démarche qu’a été annoncée la nationalisation des hydrocarbures
et qu’a pu être signé (le 29 avril) le Traité de Commerce des Peuples (TCP) entre la
Bolivie, le Venezuela et Cuba. Ce traité, bien plus politique que commercial, est la
première pierre à l’édifice de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) lancée
par Hugo Chavez pour s'opposer à l'ALCA (appellation espagnole de la Zone de Libre
Echange pour les Amériques). Il était important de rassurer la Bolivie après la crise
engendrée par la sortie du Venezuela de la CAN et le TCP permet d’inclure durablement
Morales dans le projet ALBA. Sur le principe du troc, « Pétrole contre Services », l’accord
garantit à la Bolivie l’achat de sa production de soja ainsi que l’envoi de médecins
cubains tout en assurant sa sécurité énergétique par la livraison de pétrole vénézuélien.
Dans ce contexte d’entraide, la Bolivie et le Venezuela ont signé 8 accords qui concernent
plus de 200 projets différents (domaines de l’énergie, des mines, de l’éducation, des
sports et des échanges culturels). Le Venezuela a accepté d’investir plus d’un milliard de
dollars pour aider à industrialiser la production de gaz naturel de la Bolivie ainsi que la
construction d’un complexe pétrochimique. Enfin, le Venezuela est également en train de
signer un accord financier dont l’objectif est de soutenir les systèmes bancaires et
monétaires boliviens afin de renforcer la position de Morales dans son rapport de forces
avec les institutions financières états-uniennes et européennes (fin mars 2005, le
gouvernement de Morales a annoncé qu’il ne demanderait pas de nouveaux emprunts au
FMI).
Ainsi, comme le fait remarquer Santos Ramirez, président du Sénat bolivien : « la
Bolivie et l’Amérique Latine ne sont plus des démocraties serviles qui tolèrent la pauvreté
et le renoncement à la souveraineté (…) la Bolivie a besoin du monde et produira pour le
monde ». Morales a fait clairement comprendre que le « pillage de nos ressources
naturelles par des entreprises étrangères est arrivé à son terme », et trouve donc un allié
de choix en la personne de Chavez, lui-même soutenu par le fleuron de l’antiimpérialisme, Fidel Castro. Le Traité de Commerce des Peuples creuse donc le fossé entre
la gauche "castriste" et "chaviste" (Cuba, Venezuela, Bolivie) et la gauche "socialedémocrate" (Brésil, Argentine, Chili). Cet « espace d’intégration des peuples » pose la
première pierre du projet ALBA dont les objectifs idéologiques et commerciaux sont
clairement affichés et revendiqués : contrer l’hégémonie américaine.
Le combat du requin contre la sardine : ALCA contre ALBA
Première puissance mondiale avec un PIB de 11,25 milliards de dollars par an, les
Etats-Unis sont intouchables, leur économie étant la plus développée du globe. Cherchant
à créer des zones de domination qui leur permettraient de conserver leur rôle
hégémonique, Washington tente difficilement de mettre en place le projet ALCA même si
d’importantes étapes ont déjà été accomplies en ce sens (mise en place de l’Accord de
Libre-Echange Nord-Américain, 1994, et du CAFTA-RD). Comme le résume efficacement
Colin Powell : « Avec l’ALCA, notre objectif est de garantir aux entreprises américaines le
contrôle d’un territoire allant de l’Arctique à l’Antarctique et le libre accès, sans aucun
obstacle ou difficulté, à nos produits, nos services, nos technologies et nos capitaux dans
tout l’hémisphère. Les pays qui y adhèreront devront constitutionnaliser les accords »
voyant ainsi leur capacité de négociation affaiblie et se verront donc obligés de renoncer
à leur souveraineté pour la mise en oeuvre de politiques de développement… en d’autres
termes, captifs de la géostratégie de domination de Washington, les pays d’Amérique
Latine et des Caraïbes seront les grands perdants de l’ALCA.
Comparée à la doctrine Monroe de 1823, Chavez enfonce le clou : « l’ALCA est un
projet destiné à voler la souveraineté des Etats nationaux » ; dès lors, pourquoi les
Etats-Unis se montrent-ils si pressés de mettre en place ce projet alors que cela fait plus
de 10 ans que l’ALENA fonctionne ? Parce que la situation politique en Amérique Latine
est en pleine ébullition, l’urgence d’imposer cet accord se base sur la nécessité de
profiter de la fragile intégration régionale afin de bénéficier de l’avantage que leur
confèrent leurs stratégies d’influence.
Partant de cette considération, il est donc absolument impossible de mettre en
oeuvre de vraies politiques cohérentes pour combattre la pauvreté, le retard et
l’exclusion. Selon les principes d’un véritable développement humain, surgit donc la
proposition de l’ALBA, Alternative bolivarienne pour l’Amérique Latine et les Caraïbes,
présentée officiellement par Chavez à l’occasion du IIIe sommet des chefs d’Etats et des
gouvernements en décembre 2001. L’ALBA, véritable processus d’intégration populaire et
solidaire, constitue une tentative ambitieuse d’intégration régionale échappant à la
logique du marché.
En effet, l’ALBA se fonde sur la création de mécanismes visant à créer des
avantages coopératifs (et non comparatifs) entre les nations qui permettraient de
compenser les asymétries existantes. Ce projet se base sur la création de fonds
compensatoires pour corriger les disparités qui placent en désavantage les nations les
plus faibles face aux principales puissances ; l’ALBA accorde la priorité à l’intégration
latino-américaine et à la négociation en blocs sous-régionaux en cherchant à identifier,
non seulement des espaces d’intérêt commercial, mais aussi des points forts pour
construire des alliances sociales et culturelles. C’est pourquoi, la proposition alternative
de l’ALBA, basée sur la solidarité, tente d’aider les pays les plus faibles et d’effacer les
inégalités qui les séparent des pays les plus puissants en cherchant à corriger ces
asymétries. Chavez résume son projet en une simple métaphore : « Le politique
comme locomotive, le social comme drapeau, l’économique comme rail, et la
culture comme combustible ». Dès lors, afin de rivaliser contre « le requin
(américain) », « la sardine (latino-américaine) » a conclu d’importants projets
significatifs en matière d’intégration.
• Nouvelle banque mondiale : en retirant ses investissements américains
(réserves estimées entre 25 et 30 milliards de dollars) pour les placer dans des
banques européennes, Chavez mène depuis octobre 2005 une guerre économique
et financière là ou les Etats-Unis sont le plus sensible. Chavez souhaiterait créer à
terme une « banque centrale continentale » dont l’objectif serait de fournir des
fonds de développement aux pays d’Amérique Latine et pourrait, par la suite,
s’ouvrir aux pays asiatiques et africains. Faut-il voir dans cette démarche la
volonté de création d’une nouvelle banque mondiale et donc de contre pouvoir ?
• Gazoduc du Sud : selon le président brésilien : « Ni le Brésil, ni l'Argentine, ni le
Venezuela, ni la Bolivie, ne recherchent l'hégémonie. Ils veulent être des associés.
Nous construirons une alliance continentale dans ce sens ». Ainsi, le méga projet
de construction d’un gazoduc reliant le Venezuela à l’Argentine en passant par le
•
•
Brésil, est la première concrétisation de l’ALBA. Planifié sur 10 ans à compter de
2007, le Gazoduc du Sud est estimé à un montant sous-évalué de 20 milliards de
dollars.
PetroAmerica : sur le même modèle que le gazoduc, Chavez souhaite également
créer un géant pétrolier afin de contrecarrer la suprématie énergétique
américaine. Des accords sont déjà signés entre les sociétés vénézuéliennes et
brésiliennes et Chavez a confirmé l’investissement de 600 millions de dollars que
réalisera PDVSA en Uruguay auprès de son homologue uruguayen ANCAP,
spécialisé dans le raffinage.
Telesur : pour Andres Izarra, président de Telesur et ministre vénézuélien de la
Communication, les objectifs de cette nouvelle chaîne télévisée consistent à
« promouvoir l'intégration latino-américaine, préserver l'identité régionale et
combattre l'impérialisme sous toutes ses formes ». Telesur est donc une
concurrente directe de la chaîne télévisée américaine CNN et rejoint du point de
vue idéologique la chaîne qatariote Al Jazira. « Projet politique et stratégique (…)
visant
l’intégration
latino-américaine
afin
de
contrer
l’hégémonie
communicationnelle et culturelle », Telesur est définie par Chavez comme « la
jolie fillette de l’intégration ». D’un montant supérieur à 10 millions de dollars, ce
projet associe donc le Venezuela (51% du capital), l'Argentine (20%), Cuba
(19%) et l'Uruguay (10%) ; la couverture visera progressivement l'Amérique du
Sud, l'Amérique centrale, les Caraïbes, l'Amérique du Nord, l'Europe occidentale et
l'Afrique du Nord.
Fort du constat de ces projets manifestant une réelle ambition commune de
développement, la lutte pour la Liberté menée par Chavez n’est-elle pas, en somme,
qu’une autre manière de contester la taille de la cage ? Dès lors, le discours unificateur et
populiste de Chavez n’aurait-il pour but d’assurer l’hégémonie vénézuélienne ?
Les courants d’opposition
Cependant, plusieurs politiques internes menacent la République bolivarienne en
divisant la gauche latino-américaine :
• Le Mexique est tiraillé entre les Etats-Unis avec lesquels il qui effectue 90% de ses
échanges, et les Zapatistes qui se mettent au service de « ceux d’en bas » et
critiquent les compromissions de la gauche institutionnelle de Lopez Obrador.
• La « gauche sociale-démocrate », incarnée par le président brésilien Lula, qui
choisit la voie des réformes, le compromis et la négociation. Même s’il s’engage à
côté de Chavez, Lula ne prêche pas la séparation mais la modération avec
Washington.
• Quelques pays du Cône Sud (Pérou, Colombie), naturellement acquis à la cause
américaine en raison de leurs dépendances économiques.
Dès lors, depuis l’ascension de Chavez à la tête du Venezuela et plus encore
depuis la série de mesures économiques favorisant les nationalisations et la distribution
des richesses, Washington a en tête de renverser “el Gorilla” pour des raisons d’ordre
politique et économique.
Porte-parole du discours bolivarien prônant l’unification des pays d’Amérique
Latine à travers l’ALBA et grand ami de Fidel Castro, les américains, opposants de
toujours au modèle castriste, voient d’un mauvais oeil l’émergence de celui que l’on
nomme déjà « le nouveau Fidel ».
Le Venezuela, 5ème pays exportateur de brut fournit actuellement 15% de la
consommation américaine (4ème fournisseur de pétrole aux Etats-Unis) et possède les
plus grandes réserves du globe. A l’heure où les Etats-Unis souhaitent diversifier leurs
approvisionnements du fait des tensions grandissantes dans les pays du Proche-Orient, la
nationalisation croissante des richesses vénézuéliennes est mal appréciée. D’autant plus
que Chavez étend sa politique aux pays voisins (cas récent de la Bolivie). Les Etats-Unis
craignent qu’une grande politique de nationalisation les empêche de garder la mainmise
sur les richesses de leur « arrière cour ».
Afin de renverser Chavez et de le remplacer par un de leurs partisans, les EtatsUnis financent depuis 2002, au travers de la NED (National Endowment for Democracy),
les groupes d’oppositions au régime. La NED, financée en partie par l’USAID, a versé
depuis 2002 plusieurs millions de dollars à 19 organisations vénézuéliennes parmi
lesquelles :
• Fedecamara (syndicat patronal),
• CTV (syndicat des travailleurs)
• L’ONG Sumate, responsable de l’organisation de l’opposition.
La NED, crée en 1983 par Ronald Reagan, est réputée conduire des opérations de
déstabilisation autrefois menées par la CIA. La NED et l’AEI (Albert Einstein Institute),
interviennent dans plus de 70 pays pour défendre les intérêts américains ; ils sont entre
autres les initiateurs du mouvement Otpor en Serbie et de la révolution orange
Ukrainienne. La tactique utilisée par les américains est de décrédibiliser Chavez en
assimilant son régime à une dictature militaire. Le plan d’action consiste à créer une
situation de chaos en faisant croire à l’opposition qu’elle est majoritaire et en poussant
Chavez à utiliser l’armée, légitimant ainsi une intervention américaine.
C’est pourquoi, lors du référendum de 2004, la NED a mis en place le « Plan
Consenso Pais » regroupant les différentes forces d’opposition et menant une véritable
guerre de l’information. De même, lors du coup d’état de 2002, CNN et les médias privés
vénézuéliens déclarait que Chavez avait démissionné et que le peuple avait mis Carmona
au pouvoir, niant ainsi l’exacte nature des opérations. En 2003, Intesa (société
américaine assurant la direction informatique de PDVSA), rattachée à la SAIC (Science
Applications International Corporation dont la plupart des dirigeants travaillent pour la
défense américaine ou les services secrets), avait largement contribué à la crise
économique en sabotant l’activité de la firme pétrolière vénézuélienne. Pour favoriser le
chaos et pousser Chavez à la faute, les Etats-Unis financent également l’armée
colombienne afin de repousser les guérilleros vers le Venezuela, espérant ainsi un
affrontement militaire. Cette tactique est pour l’heure inefficace.
A l’approche des élections, le plan d’action américain et de l’opposition locale
consiste une nouvelle fois à manipuler l’information. Les sondages relayés dans les
médias privés annoncent un duel très serré entre Rosales et Chavez (hors Chavez devrait
normalement remporter les élections avec 60% des voix, contre 30% pour Morales).
L’objectif est de persuader l’opposition qu’elle est majoritaire pour engendrer un climat
de révolte et de boycott à l’issu du scrutin. De plus, fort de ses victoires en exYougoslavie et en Europe de l’est, l’AEI a fabriqué de toute pièce une organisation de
jeunesse contestataire connue sous le nom de « Plan V » ; la mise en place d’une telle
organisation pour simuler la force de l’opposition correspond d’ailleurs au point N° 36 du
« manuel du coup d’état réussi » rédigé par l’AEI.
En dépit de la manipulation informationnelle, des financements accordés à
l’opposition, du soutien logistique et de la mise à disposition d’une stratégie de
renversement, les Etats-Unis n’ont pas réussi pour l’heure à se débarrasser de Chavez.
Nul doute qu’ils déploieront encore tout leur arsenal pour créer le chaos, seul phénomène
susceptible de mettre en péril l’administration chaviste.
Quel rôle pour le reste du monde ?
Pour contrer l’hégémonisme américain, Chavez multiplie les initiatives en faveur
d’un nouvel ordre économique mondial, ou de ce que Bolivar appelait « l’équilibre de
l’univers »… Le 14e sommet des non alignés qui s’est tenu à la Havane en septembre
2006 a ainsi accueilli les représentants d’une centaine de pays qui se sont accordés pour
dénoncer « l’unipolarisme et les visées de domination hégémonique dans les relations
internationales », de même que « les modèles néolibéraux imposés dans la cadre de la
mondialisation en cours ». Chavez s’affirme comme l’un des chefs de file de ce
mouvement et cherche à associer d’autre pays dans son combat contre l’hégémonie
américaine et pour un monde multipolaire. Le projet ALBA participe de cette dynamique,
mais Chavez ne s’arrête pas là. Il a conclu plusieurs alliances stratégiques notamment
avec les nouvelles puissances que sont la Russie, l’Iran, la Chine…
Des liens privilégiés avec la Russie
De nombreuses alliances stratégiques ont été nouées ces dernières années entre
Chavez et Poutine : 37 accords et 11 lettres d’intention. Les accords portent notamment
sur le domaine énergétique. Gazprom va ainsi participer au projet de "Gazoduc du Sud",
à travers l’installation au Venezuela d’une usine de tuyauterie, qui fonctionnera avec
l’acier vénézuélien et la technologie russe. Mais la coopération entre les deux pays ne se
limite pas à la sphère économique : un accord a été conclu concernant l’achat d’armes
russes par le gouvernement vénézuélien. Suite à l’embargo américain sur la vente
d’armes au Venezuela, Chavez a choisi de remplacer ses vieux F-16 américains (devenus
hors d’usage, faute de pièces détachées) par des Sukhoï-30 et d’acheter 100 000 fusils
Kalachnikov. La commande aux Russes inclurait aussi 53 hélicoptères, et même un sousmarin, pour un montant de trois milliards de dollars sur un an et demi. Washington a
vivement protesté contre ces ventes d’armes, mais la Russie est restée inflexible. Par
ailleurs, la Russie a soutenu la candidature du Venezuela à un siège de membre non
permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU (en vain, puisque c’est le Guatemala qui a
remporté ce siège).
L’alliance entre la Russie et le Venezuela est plus géopolitique que politique.
Poutine cherche à ménager les susceptibilités des Etats-Unis et prend soin de ne pas
s'aligner sur le discours « anti-impérialiste » de Chavez : « la coopération entre la Russie
et le Venezuela n'est dirigée contre personne », s’est-il empressé de déclarer suite à la
vente d’armes au Venezuela. La Russie cherche avant tout à redevenir une grande
puissance. Elle tisse donc sa toile sur le nouvel échiquier géopolitique, grâce à ses deux
atouts majeurs : l’énergie et l’armement. Son positionnement en Amérique Latine
participe de cette dynamique.
Le soutien de la Chine
La Chine fait partie des pays qui ont été visités par Hugo Chavez lors de son tour
du monde au mois de septembre dernier. La Chine n'a pas hésité à apporter son soutien
au président vénézuélien. L'attitude de la Chine s'inscrit dans une logique de stratégie de
puissance qui a pour but de concurrencer, voire de dépasser les Etats-Unis d'Amérique.
Les chinois n'hésitent donc pas à profiter des moindres faiblesses politiques ou
économiques des américains, voire des européens, pour tenter de s'approprier un
marché tel que l'Amérique du Sud ou l'Afrique. La volonté affichée par la Chine de noningérence dans les politiques intérieures des pays lui permet d'appliquer une stratégie qui
consiste à passer des accords commerciaux, afin dans un premier temps de s'assurer de
sources d'approvisionnement sûres et diversifiées de matières premières, et dans un
deuxième temps de pouvoir bénéficier de marchés d'exportation pour ses produits.
Réduire la politique extérieure de la Chine à une simple boulimie croissante de matières
premières serait une erreur. Le dernier sommet sino-africain, qui s'est tenu à Pékin les 4
et 5 novembre 2006, est un exemple révélateur qui montre que la Chine œuvre sur le
long terme. L'anti-américanisme affiché d'Hugo Chavez est une aubaine pour les chinois
qui peuvent ainsi se fournir en pétrole, forger des accords et s'implanter localement à
l'image des instructeurs chinois entraînant les forces spéciales du Venezuela depuis 2005.
L’alliance idéologique avec l’Iran
L’Iran s’inscrit lui aussi comme un contrepoids à la puissance américaine. Même
s’il est vrai que les accords économiques entre le Venezuela et l’Iran se multiplient, c’est
plus dans une logique de contre-pouvoir et de confrontation avec les Etats-Unis que
Chavez et Ahmadinejad se retrouvent. La relation entre les deux nations s’est consolidée
pendant la réunion de l’OPEP à Caracas en 2000, à la suite de laquelle, différents accords
furent signés entre Chavez et Jatami (dans les secteurs de l’énergie, du BTP, de la santé,
de l’agriculture et des transferts de technologie,…). Avec l’arrivée au pouvoir du nouveau
président, la position de l’Iran s’est radicalisée et Ahmadinejad s’est rapproché encore un
peu plus des gouvernements « populaires » d’Amérique Latine, notamment du
Venezuela. Chavez a défendu avec véhémence le programme nucléaire iranien et dans le
même temps le président du parlement iranien a déclaré, lors d’une visite à Caracas en
février dernier, que l’Iran serait prêt à aider le gouvernement vénézuélien à développer
des technologies nucléaires.
Les deux pays se sentent proches sur le plan idéologique. Chavez a ainsi évoqué
la proximité entre les deux révolutions : « Nous sommes arrivés à un point de non
retour : la révolution bolivarienne et la révolution iranienne (…). Nous sommes Frères et
serons toujours unis ». De son côté, le président iranien n’a pas manqué de souligner
que le Venezuela et l’Iran sont deux peuples frères. Les deux alliés ont d’ores et déjà
déclarés qu’ils seraient solidaires en cas d’attaque des Etats-Unis. Chavez est présent sur
tous les fronts, mais le moment venu, il devra choisir entre son projet latino-américain et
son projet global, ou il perdra le soutien de nombreux pays d’Amérique de sud.
Un rapprochement avec les pays africains
Traditionnellement, le Venezuela a toujours eu des liens avec plusieurs pays
africains, principalement dans le cadre de l’OPEP. Avec l’arrivée de Chavez au pouvoir,
cette relation s’est intensifiée. À la fin de la conférence ministérielle de l’OPEP à Caracas
en juin dernier, Chavez a déclaré que l’OPEP était une « organisation anti-impérialiste ».
En tant qu’homme fort du nouveau mouvement des non alignés, Chavez appelle à une
nouvelle relation Sud-Sud (qui inclurait donc les pays africains), notamment dans les
domaines universitaires, agricoles et énergétiques. Chavez voudrait également parvenir à
une implantation de PDVSA sur le continent africain pour diversifier les
approvisionnements et les débouchés.
Et l’Europe alors ?
Mais que fait l’Europe ?! Il semble que les pays européens soient touchés de
paralysie quand le nom d'Hugo Chavez est mentionné. L'Europe donne l’impression de ne
vouloir irriter personne, que ce soit le président vénézuélien ou les USA. Or pendant ce
temps là, la Chine, la Russie et même l'Iran adoptent, en fonction de leurs ambitions
respectives, des positions définies vis-à-vis d'Hugo Chavez. L'annulation récente du
contrat entre le Venezuela et EADS portant sur la livraison d'avions de transport militaire
et de patrouille maritime souligne à nouveau la dépendance de l'Europe vis-à-vis de l'Etat
américain et de son marché intérieur. L'Europe a, à l'image de cette affaire, subi de plein
fouet la guerre que se livrent les USA et Hugo Chavez. Cette situation apparaissait
néanmoins comme une occasion supplémentaire pour plusieurs pays européens de
prendre position sur ce marché de l'Amérique Latine par le biais du Venezuela.
L'ensemble des entreprises européennes pourrait ainsi profiter d’un marché en pleine
mutation politique, idéologique et donc économique, à l'image de groupes pétroliers
comme Total ou Repsol qui auraient dès lors l'opportunité de négocier et non pas de
subir. La visite d'Hugo Chavez en France en octobre 2005 avait pourtant laissé augurer
un partenariat économique renforcé entre les deux pays. Nous pouvons dès lors nous
demander ce qu'attendent des pays comme la France ou l'Espagne pour prendre position,
pour se démarquer d'une Italie ouvertement pro américaine, pour afficher une véritable
stratégie de puissance, et sortir l'Europe de son marasme.
Et finalement…
A la lumière de ces considérations, il apparaît que le Venezuela répond à différents
facteurs de puissance. Matériellement, le Venezuela est le cinquième pays exportateur de
pétrole et possède les plus grandes ressources d’Amérique latine ; le territoire est
également riche en minerais et autres ressources naturelles (gaz, fer, etc.).
Chavez, incarnation vivante de Simon Bolivar, suscite une forte cohésion nationale et
facilite le rayonnement culturel de son pays (accords sur le développement culturel avec
le Brésil).
De même, Chavez joue un rôle important au sein de la communauté
internationale en s’affichant comme l’homme fort du « mouvement des non-alignés ».
Chavez réussit là où beaucoup d’autres ont échoué en refusant l’hégémonie américaine.
Il trouve alors dans ce combat de nombreux appuis en Iran, en Chine et en Russie, qui
lui permettent d’offrir une réelle alternative à la vision américaine de la « démocratie ».
Chavez a saisi l’importance de la société de l’information et de la production de
connaissance (échange d’informations stratégiques avec le Brésil et partenariats
universitaires). Telesur s’inscrit clairement dans cette logique en véhiculant l’idéologie
chaviste.
Chavez a donc les cartes en main pour mener à bien sa stratégie de puissance.
Cependant, un doute subsiste : Chavez, qui fait l’objet d’un véritable culte de la
personnalité, est-il dans une logique d’unification de l’Amérique Latine ou purement
individuelle ?
Quoi qu’il en soit, « El Gorilla » est en passe de se faire réélire et de mettre en
place une réforme afin d’être réélu à vie. Chavez a pour l’heure le peuple derrière lui :
son charisme, ses initiatives à l’égard des plus défavorisés, son indépendance vis-à-vis
des Etats-Unis, et sa volonté d’unification de l’Amérique Latine font de lui le moteur d’une
alternative géopolitique grandissante… c’est pourquoi Chavez sera réélu le 3
décembre prochain.
CARTOGRAPHIE GEOPOLITIQUE
NICARAGUA
CHILI
EUROPE
G auche social-démocrate
EQUATEUR
PEROU
URUGUAY
G auche social-démocrate
Allié Allié
Indecis
Indecis
Indecis
Accord de libre échange avec les USA maintenu
ALBA
Allié
BRESIL
ALBA
Gauche social-démocrate
COLOMBIE
Accord de libre échange avec les USA maintenu
Allié
ALBA
VENEZUELA
Tentative de renversement
TCP
Coalition
ARGENTINE
G auche social-démocrate
ETATS-UNIS
Allié
TCP
Coalition
Allié
Allié
Mouvement des non alignés
BOLIVIE
G auche castriste
TCP
CHINE
CUBA
Gauche castriste
IRAN
AFRIQUE
RUSSIE
LE VENEZUELA FACE AU MONDE
Coalition + TCP
Pays Alliés + ALBA
Pays Alliés
Pays Ennemis
Alliés potentiels
Pays Indécis
Sources
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• Latin Reporters : http://www.latinreporters.com/amlateco23112004.html
• L'Humanité, 6 novembre 2006, Tapis rouge chinois pour les dirigeants africains
• Le Figaro, 9 septembre 2006, Energie : la boulimie de la Chine inquiète l'Europe
• Intelligence Online, 23 décembre 2005, 500 commandos chinois au Venezuela
• Air & Cosmos, 27 octobre 2006, Le Pentagone prive le Venezuela de C-295
• Le Journal des Finances, 3 novembre 2006, Pourquoi l'action Total dispose encore
d'un bon potentiel de hausse
• La Tribune, 28 novembre 2006, Les majors pétrolières perdent la deuxième
manche en Equateur
• Perspective, Université de Sherbrooke :
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=50
• Analitica.com Venezuela, 29 juillet 2006, Chávez, Putín y Ahmadinejad al ataque,
Alberto Garrido
• AFP, 17 septembre 2006, Les Non-Alignés rejettent à La Havane un monde
dominé par les USA
• AFP, 28 juillet 2006, Gazprom (Russie) participera au "gazoduc du Sud" impulsé
par Caracas
• Le Figaro, 28 juillet 2006, Hugo Chavez s'arme à Moscou
• Libération, 28 juillet 2006, Chavez et Poutine à tu et à toi
• AFP, 27 juillet 2006, Poutine : la coopération de Moscou avec Caracas "dirigée
contre personne »
• AFP, 27 juillet 2006, Chavez à Moscou pour renouveler son arsenal et un
partenariat énergétique
• Le Figaro, 19 septembre 2006, Ahmadinejad et Chavez prennent la tête des nonalignés
• AFP, 11 septembre 2006, Les Non-alignés à la recherche d'un nouveau souffle
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• Risal, 4 mai 2004, L’Argentine et le Venezuela peuvent changer le monde.
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• Le Monde Diplomatique, lignes de fracture en Amérique Latine.
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Entrevista con Marta Harnecker
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Gobernabilidad Democracia y Conflictividad en Venezuela.