05 bis - Vincent van Gogh - Petites histoires d`artistes

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05 bis - Vincent van Gogh - Petites histoires d`artistes
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VINCENT VAN GOGH (1853-1890)
Des soleils plein la tête
Arles, 1888. Le chemin de Van Gogh s’est arrêté à Arles, dans la lumière du midi…
L’œil et la main. Rien que l’œil et la main. Se vider la tête. N’être plus qu’un pinceau, qu’un brin d’herbe, qu’une
gerbe d’avoine, qu’une pierre, qu’une poignée de terre. N’être plus qu’un rond dans l’eau…
- Je ne bougerai pas tant que je n’aurai pas trouvé l’absolue simplicité de cet instant de lumière. Il faut oublier
les ombres et les modelés, que la couleur soit toute la nature à elle seule.
A teintes plates, franches, lumineuses…
Vincent van Gogh :
Autoportrait au chevalet, 1888.
Le pont de Langlois 1888.
A grands coups de brosse, Vincent van Gogh zébrait la toile d’éclats de couleur pure. Des bleus, des jaunes, des
verts, des rouges, sortis du tube. Le geste rapide, le regard sûr, il décomposait en milliers de signes la lumière du
midi, et chaque signe prenait une place unique qui s’inscrivait dans l’espace coloré.
Sous le soleil matraquant du mois de juin, debout depuis le lever du jour, il travaillait sauvagement, frénétiquement,
avec cette excitation fébrile qui le prenait devant la toile, comme si c’était son dernier tableau, comme si le pont de
Langlois allait disparaître demain. Pourtant, il l’avait déjà peint plusieurs fois, ce petit pont de bois, avec ses
lavandières. Mais chaque fois, c’était comme un nouveau défi, comme une urgence vitale. Porter la couleur à son
maximum d’intensité, accuser la forme, faire naître le rythme, d’un seul geste du poignet, d’une seule trace du
pinceau…
Copyright : Sylvie Léonard – Petites histoires d’artistes – 2012
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…Vincent s’arrêta. Il avait l’impression que le soleil lui mangeait les yeux.
Il faisait chaud et lourd. Dans le champ d’à côté, les blés étaient déjà coupés et les moissonneurs s’étaient arrêtés
pour se reposer. L’intense bleu du ciel vibrait à la surface de la terre et colorait de mauve chaque parcelle d’ombre.
Toute la gamme des jaunes éclatait au soleil. Depuis qu’il était arrivé en Provence, Vincent ne vivait plus que pour
cette couleur, cet éblouissement de la lumière. Et il savait que la peinture ne serait jamais plus, pour lui, que cette
flaque de lumière colorée dans laquelle il baignait sans cesse.
Vincent van Gogh :
La méridienne, 1889.
La moisson, 1888.
Camp de Bohémiens, 1888.
Il mâcha une poignée de grains de blé pour calmer sa faim. Il n’avait rien mangé de la journée. Pas le temps. Et pas
l’argent, aussi. Il n’avait souvent rien d’autre à se mettre sous la dent qu’un peu de brouet clair que lui apportait la
femme du facteur. Il faudrait qu’il demande à son frère de lui envoyer un peu d’argent pour payer sa chambre, mais
il répugnait toujours à le faire, et reculait jusqu’au dernier moment.
Vincent marchait à grands pas. La semelle de ses souliers foulait les restes des épis coupés, traçant dans la terre
sèche un sillon rouge. Il arriva en haut de la colline. Devant lui, la plaine de la Crau s’étendait à perte de vue sous le
ciel devenu opaque, avec ses haies de roseaux, ses prairies fraîches, ses charrettes bleues et ses immenses étendues
de blé. Au loin, dans le vallon, un camp de Bohémiens s’était installé près d’un mas.
Vincent sentit soudain peser sur lui toute la fatigue de la journée et les sombres pensées qu’il avait repoussées tout le
jour en peignant remontèrent à la surface. Il se sentait parfois dans une atroce solitude.
Lorsqu’il était parti de Paris en février, son ami Gauguin lui avait promis de venir le rejoindre à Arles, mais l’été
approchait et Gauguin n’était toujours pas là…
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Un champ de tournesols, au détour d’un chemin, l’accueillit de ses mille regards, comme mille soleils hallucinés.
Vincent se baissa pour en ramasser une brassée.
Vincent van Gogh :
Les tournesols, 1888.
Le facteur Joseph Rolin, 1888.
Paul Gauguin :
Van Gogh peignant des tournesols,
1888.
-
Demain, je les peindrai, se dit-il. Et après-demain aussi. Et le jour d’après encore. J’en ferai douze tableaux.
Ce sera une symphonie de bleus et de jaunes. Je travaillerai tous les matins au lever du soleil, avant que les
fleurs ne se fanent. Il faudra faire vite et peindre l’ensemble d’un seul coup. J’essaierai de peindre chaque
pétale d’un seul geste, d’un seul signe, comme les artistes japonais.
Et quand Gauguin arrivera, la maison jaune sera superbe avec tous ces tableaux. On l’appellera « l’Atelier du
sud ». Et à nous deux, on réinventera la peinture. Une peinture pleine de couleurs et de joies, si belle et si
jeune qu’elle deviendra la peinture de l’avenir.
Le soleil était bas, maintenant et projetait sur le chemin les ombres violettes des premières maisons de la ville.
Quand Vincent arriva devant chez lui, le facteur Rolin l’attendait avec une lettre de Paul Gauguin.
Il lui annonçait son arrivée pour la fin de l’été. Enfin !
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