Le policier et la fille de pierre
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Le policier et la fille de pierre
Livres Hebdo numéro : 0757 Date : 05/12/2008 Rubrique : avant critiques Auteur : Jean-Maurice de Montremy Titre : Norma Huidobro 8 janvier > ROMAN Argentine Le policier et la fille de pierre Un village au nord-ouest de l’Argentine. Un policier venu de Buenos Aires recherche une jeune femme et veut faire parler sa meilleure amie. C’est compter sans le soleil, l’ombre et la géométrie silencieuse d’un « lieu perdu ». Longtemps spécialisée dans la littérature pour la jeunesse, Norma Huidobro (née dans la province de Buenos Aires en 1949) n’a pas tout de suite songé au livre pour Le lieu perdu. Elle envisageait un scénario de film, ce dont ce beau roman porte la trace : un montage calme et toujours plus serré des scènes, une extrême qualité de la description – on pourrait presque dire : de l’image. De retouches en retouches, les années passant, l’écriture s’est imposée. Voulant rompre avec sa réputation d’auteure pour enfants, Norma Huidobro envoie directement son texte au prix Clarin qu’elle reçoit en 2007, suscitant des commentaires élogieux de Rosa Montero, José Saramago et Alberto Manguel. Voici donc, en janvier 1977, Villa del Carmen, un village du nord-ouest de l’Argentine. Il y fait très chaud, très net, mais l’ombre et les nuits restent fraîches. Ferroni, un policier subalterne, débarque, mécontent, dans ce « lieu perdu », implacablement silencieux et presque abstrait. Il doit retrouver la trace d’une certaine Matilde Trigo. Comme beaucoup d’habitants du village, cette jeune femme est partie chercher du travail à Buenos Aires. Fascinée par la grande gare de Constitucion et ce quartier de la ville, elle y a rencontré un cheminot qui passe pour être un « subversif ». C’est l’époque de la dictature. La police recherche le « subversif » disparu sans laisser de traces. Pour le dénicher, Ferroni veut capturer Matilde Trigo, qui semble elle aussi s’être évanouie dans la nature. Il ne dispose que d’un indice : une lettre adressée par Matilde à sa meilleure amie restée au village : Marita Valdivieso. Ferroni semble avoir de la chance. A peine débarqué dans Villa del Carmen, il choisit un restaurant presque toujours vide, simple, frais et propre dont l’unique serveuse se trouve être précisément Marita. Il suffira, pense-t-il, d’obtenir les lettres que la serveuse a reçues de Matilde et, les lisant, de se remettre sur la piste du « subversif ». C’est compter sans la mystérieuse personnalité de cette fille au regard dur et magique, bientôt surnommée « la fille de pierre ». On verra plus tard, dit-elle. Qu’il attende. Les plans s’enchaînent et se recoupent : le face-à-face entre Ferroni et Marita dans le restaurant ; l’errance de Ferroni désœuvré sous le soleil dans le labyrinthe de couleurs franches et nues qu’est Villa del Carmen ; quelques incursions du côté de Buenos Aires ou dans une ferme des environs, refuge de Marita… Il n’y a que ces décors, la fille intraitable et les vieilles qui l’entourent, impitoyables, magiciennes ou sorcières. A l’impossible interrogatoire, s’ajoutent les souvenirs qui peu à peu reviennent à Ferroni. Les portes closes de Villa del Carmen, parfois à peine entrebâillées sur quelques détails de l’une ou l’autre courette, le reconduisent à son enfance lointaine et ses propres souffrances. Si bien que le tortionnaire se révèle complexe, détruit par ses propres engrenages psychiques. La tension s’accroît insensiblement tout au long des scènes dans l’admirable et net dénuement de Villa del Carmen. La chute sera d’une extrême et violente brièveté, comme il se doit pour une tragédie. Ainsi s’affirme d’emblée le talent accompli de Norma Huidobro. J.-M. M. Norma Huidobro Le lieu perdu LIANA LEVI TRADUIT DE L’ESPAGNOL (ARGENTINE) PAR DOMINIQUE LEPREUX TIRAGE : 7 000 EX. PRIX : 18 EUROS ; 220 P. ISBN : 978-2-86746-498-0 SORTIE : 8 JANVIER