Au cimetière des éléphants du web - Haut
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Au cimetière des éléphants du web - Haut
Q VENDREDI20FÉVRIER2015 P ZOOM P 2 SOCIÉTÉ Plus de 43 millions d’internautes en France selon une étude publiée hier Ce qu’internet a changé en vingt ans Plus rapide, plus présent, mais aussi plus surveillé : en vingt ans, internet a énormément changé. Mais surtout, il a bouleversé notre vie quotidienne, notre économie et nos pratiques culturelles. L’ACTIVITÉ DES INTERNAUTES R éserver un billet d’avion, chercher un numéro de téléphone, se documenter avant un voyage ? On peine à mesurer le temps que prenaient, avant l’avènement du web, ces démarches aujourd’hui à portée de clic. Vidéos Q 10,2 millions d’internautes français regardent chaque jour des vidéos (+13% en un an). Le temps moyen passé à les regarder est de 29 minutes. Deux tiers de ce temps est consacré aux players des portails vidéo des chaînes de télé. Q Le monde au bout de la souris Mais même au début de l’internet, ce n’était pas forcément gagné : dans les années 90, seuls quelques pionniers (dont les DNA, en ligne depuis 1995) osaient plonger dans le bain numérique. Il faut attendre 2006 pour que la moitié de la population française soit connectée. Aujourd’hui, le nombre de domaines en .fr dépasse 2,8 millions, et 34,6 millions de Français achètent en ligne. Et surtout, les usages se sont modifiés. Le navigateur n’est plus l’unique porte d’entrée. Avec les smartphones et les tablettes, l’internet est devenu mobile, jusqu’à se faire totalement oublier dans les objets connectés. Q Révolution économique et sociale Après la révolution industrielle, la révolution numérique. En faisant entrer l’information dans l’ère de l’abondance et de la libre circulation, internet bouscule les modèles. Disquaires et vidéoclubs ont été parmi les premiers à en faire les frais : disques, films, livres et jeux transitent maintenant sans intermédiaires par le réseau — légalement ou pas. Le courriel continue de grignoter, année après année, l’activité courrier de La Poste (-5 % par an sur 10 ans en moyenne). Réseaux sociaux Q Les internautes sont de plus en plus nombreux à les utiliser, notamment pour commenter les programmes de télévision. Twitter enregistre une forte progression (+ 9 points). C’est le sport qui est le plus commenté. Jeux Q La catégorie « jeux en ligne » dépasse désormais en temps les blogs et les sites communautaires : les internautes y ont consacré en moyenne un peu plus de 8 heures par mois en décembre 2014. Actualité Il aura fallu une vingtaine d’années à internet pour s’imposer. Aujourd’hui, plus de 8 Français sur 10 sont connectés. Écrasée par Wikipédia et ses millions de contributeurs bénévoles, l’Encyclopédie Universalis a déposé le bilan. De nouveaux emplois remplaceront les anciens, clament les optimistes. Oui, mais dans quelles proportions ? Q Culture geek Le geek, c’est chic, mais ça ne l’a pas toujours été. Internet n’a pas seulement permis de décloisonner la connaissance : il a aussi légitimé des pratiques culturel- Au cimetière des éléphants du web COMPUSERVE, Club-internet, Altavista, AOL… Autant de noms familiers des premiers adeptes français du web, et qui ont aujourd’hui largement disparu des écrans radar. Certains ont été absorbés, à l’image de Club-internet et d’AOL France, refondus dans Neuf Cegetel, lui-même avalé par SFR quelques années plus tard. Les « portails » ont résisté diversement. Yahoo est resté un poids lourd : outre-Atlantique, il est toujours le 4e site le plus visité. De Lycos ne subsiste en revanche plus qu’un moteur de recherche minimaliste. Quant à son célèbre service de messagerie Caramail, il est toujours accessible, mais sous la bannière du groupe allemand GMX. Modes et technologies passent très vite, et une fois évaporée leur base d’utilisateurs, la notoriété de leur nom est souvent l’unique valeur des sites les plus populaires. Grandeur et décadence MySpace, déserté par les musiciens et le public, en a fait l’amère expérience. Le pionnier des réseaux sociaux, valo- risé jusqu’à 65 milliards de dollars en 2007, a été racheté quatre ans plus tard pour… 35 millions par une régie publicitaire. Il n’en poursuit pas moins ses activités, tout comme Second Life, dont les univers virtuels faisaient les gros titres de la presse mondiale au milieu des années 2000. Toujours accessible, le « metavers » a désormais des allures de continent fantôme… Mais ses créateurs parient sur la déferlante de la réalité virtuelle, peut-être attendue cette année, pour le remettre en selle. La plupart des pionniers du web auraient donc sombré ? Pas tout à fait. Lancés en 1999, Free et l’hébergeur OVH font partie des belles success-stories à la française. Et à y regarder de près, les géants d’aujourd’hui ne sont pas toujours les jeunots qu’on l’imagine. La disparition de Club-internet, en 1998, devance de peu le lancement par Google de son moteur de recherche. Et il était déjà possible de commander ses livres sur le web en 1995 auprès d’un petit libraire en ligne baptisé… Amazon. J.-M. L. R les jusqu’alors réputées marginales. Voici une quinzaine d’années, un adulte pratiquant les jeux vidéo ou lisant des mangas s’exposait aux quolibets. Aujourd’hui, le jeu vidéo est pratiqué par 53 % des Français, et la « culture internet » a pignon sur rue. Mais à en croire certains auteurs, le réseau aurait aussi modifié notre façon de penser, forçant notre cerveau à se reconfigurer pour traiter un flux incessant d’informations, au détriment de notre capacité de concentration. CAZENEUVE FACE AUX GÉANTS DU NET Bernard Cazeneuve l’avait promis après les attentats de janvier : il se rendrait aux États-Unis pour discuter avec les géants du web du blocage de contenus faisant l’apologie du terrorisme. Le ministre de l’Intérieur, qui a participé hier à un sommet à Washington, est attendu aujourd’hui dans la Silicon Valley. Sera-t-il entendu par Google, Facebook, Twitter et consorts ? Depuis des années, schématiquement, deux conceptions d’internet s’affrontent : celle des pionniers du net et des hacktivistes, favorables à la liberté de circulation de l’information et à la neutralité des réseaux, et celle des gouvernements et de certaines entreprises qui, pour des raisons variées, voudraient un contrôle des flux et contenus. Par conviction ou par intérêt, les géants du net ont tendance à se ranger dans le premier camp. En France, la loi de programmation militaire adoptée en décembre dernier permet aux ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Finances à demander l’accès aux communications électroniques et aux données des internautes. La loi antiterrorisme de novembre 2014 autorise également le blocage administratif de sites. Une mesure qui, comme l’ont relevé ses détracteurs, est contournable en… moins d’une minute. Q Outil citoyen ou de surveillance ? Les hackers (pirates) en ont toujours eu conscience, le grand public moins : internet est éminemment politique, et cela d’autant plus qu’il réunit aujourd’hui trois milliards d’êtres humains, et plus seulement une poignée de technophiles. Conséquence : jamais il n’a été aussi facile de fédérer des millions de personnes autour d’une même cause, qu’il s’agisse PH. J. PELAEZ de signer des pétitions en ligne ou de s’engager dans des opérations de guérilla (parfois illégales) sous la bannière Anonymous. Mais jamais non plus, comme l’a révélé E dward Snowden, il n’a été aussi facile pour les États de placer sous surveillance tout ou partie de leur population. La liberté ou la sécurité ? Internet, par essence, a toujours privilégié la première. Beaucoup voudraient désormais lui imposer la seconde… JEAN-MICHEL LAHIRE R Q Les internautes plébiscitent l’actualité sur Internet. Plus de 11,3 millions d’internautes ont visité un site d’actualité le 23 mars 2014 : c’était le lendemain du premier tour des élections municipales. C’est un record absolu. Un autre record a été battu l’an dernier : celui du nombre d’internautes regardant une vidéo d’actualité. C’était le 4 février 2014 : 1,6 million de personnes ont regardé une vidéo en lien avec l’avis de tempête dans le sud-ouest. Q Source médiamétrie L’AVIS DE «On transforme le web en super-minitel» Laurent Chemla Cofondateur de Gandi et activiste (*) Rétrospectivement,pouvait-ons’attendre àuntelsuccès ? En2000,quelesgenssemettraientquasimenttousà utiliserinternetétaituneévidence,maislafaçondont ilsallaientyvenirétaitimpossibleàprédire.Ilya quinzeans,personnenepensaitqueGoogleallait devenircequ’ilestaujourd’hui.Leurcoupdegénie,ça aétédefairebosserleursutilisateursàlaplacede leursalgorithmes. Selonvous,qu’estcequialepluschangé depuisledébutd’internet ? Lacentralisation.Audépart,internetétaitfaitpour quechacunpuissemontersonserveurdanssoncoinet publierducontenu,etc’estdevenuuntruccentralisé danslesserveursdequelquesgrossesentreprises.On transformepetitàpetitlewebenunesortedesuperminitel.Ensoi,lacentralisationnemenacepasla libertéd’expression,maisc’estdangereuxdansla mesureoùçafacilitelasurveillanceoulacensurepar lesgouvernements. C’est-à-dire ? Nospolitiquessontdesgensquisontcoupésduquotidien.Ilsn’ontpasletempsnil’envied’allersurlenet, d’autreslefontpoureux.Leseulmomentoùilss’y intéressent,c’estquandonparled’eux.Manquedebol, commelescritiquessontlibres,onneparleengénéral pasd’euxenbien.Leurobjectifestdereprendrele contrôlesurl’expressionpublique.Mais80%dela populationaapprisà s’exprimerlibrement surlenet,çavaêtre durdeluiretirer…Ce qu’onalongtemps espéré,c’estd’avoir unemassedela populationsuffisante surinternetpour évitercegenredeprisedecontrôle.Sionn’avaitpas cettecentralisation,onnecourraitaucunrisque. Alorsilneresteriendel’espritduwebdesorigines ? Tantqu’ilresteradesgensquicréerontleursite,pas pourfairedublémaispourpartagerdesopinions,des indignations,descontenus,tantqu’ilresterades gaminsquidécouvrentlewebetsedisent« tiens,je vaismonterunsitesurSpiderman »,si,l’espritinitial dunetserapréservé.Touslesjoursjedécouvrede nouveauxblogs,denouveauxsites,mêmes’ilssontun peunoyésdanslamasse.Maiscequiatendanceà disparaître,c’estlacapacitéàdébattre,commeonle faisaitsurusenet.Onpeutdonnersonopinionsur Facebookmaisseulssesamisréagissent,surTwitter en140signesc’estimpossible,etlaplupartdesblogs sontmodérésassezsévèrement. PROPOS RECUEILLIS PAR J.-M. L. Q (*)ConfondateurdeGandi(hébergeuretgestionnaire denomsdedomaine),membredeLaQuadratureduNet TTE-LII 01