Les Français n`ont pas confiance dans leur justice. C`est ce que
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Les Français n`ont pas confiance dans leur justice. C`est ce que
Audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Paris Discours de Monsieur Jean-Claude Magendie, premier président vendredi 9 janvier 2009 à 11 heures Les Français n’ont pas confiance dans leur justice. C’est ce que confirme le sondage réalisé en 2007 à la demande du Conseil Supérieur de la Magistrature. Nous, les magistrats, ne saurions nous contenter d’en prendre acte tout en le déplorant, ni d’en tirer seulement dépit ou découragement. La seule attitude adaptée ne consiste-t-elle pas, de notre part, à remettre en cause tout ce que nos pratiques conservent d’archaïsme pour nous mettre dans la situation de rendre des comptes au peuple français au nom duquel nous rendons la justice, afin d’en être mieux compris ? Renforcer la légitimité et l’efficacité de la justice en la mettant davantage au service des citoyens passe par la restauration de la confiance qu’elle leur inspire. dddd Cela suppose déjà le respect mutuel entre tous les acteurs du procès. L’éthique doit demeurer, au sein du palais, la valeur la mieux partagée. Cela suppose aussi que la justice et le politique, rompant avec une longue tradition historique, cessent de s’observer, de se mesurer et de prétendre exercer une autorité sans partage. Il nous faut passer de la défiance au dialogue, pour construire ensemble une démocratie respectueuse des libertés. Nous devons revisiter, chacun à la place qui est la nôtre, les droits fondamentaux dont nous sommes les garants et s’agissant du juge - le rempart. dddd Nous ne pouvons faire l’économie d'une redéfinition de l’identité professionnelle du juge, ni d’une réflexion sur son rôle. Sa place dans la société et sa légitimité professionnelle se recomposent aujourd’hui en intégrant des principes d'action autrefois étrangers à sa culture : l'attention portée non seulement à la qualité de la décision rendue, mais aussi au fonctionnement global de l'institution judiciaire et la sensibilité aux attentes des justiciables. La perception par le magistrat de son rôle est en train de changer par la prise de conscience du fait que l’institution judiciaire fonctionne comme un “système”. Acteur parmi d'autres dans l’élaboration des décisions judiciaires, il doit agir en tenant compte des interdépendances entre son activité et celle des autres acteurs, ainsi que de la demande sociale qui s'adresse à lui. L'efficacité et l'efficience, comme le passage à une logique de résultats, constituent d'importants moyens de légitimation du travail du juge, dans la mesure où les défaillances de l'institution et sa lenteur contribuent au manque de confiance dans la justice. L’indépendance juridictionnelle ne s’en trouve nullement atteinte, dès lors que l’administration des juridictions relève de magistrats qui bénéficient des mêmes garanties que leurs collègues, partagent les mêmes valeurs et qui, parce qu’ils continuent à rendre la justice, en ont une connaissance intime. Contester ce rôle aux chefs de juridictions présenterait le risque d’ouvrir la voie à une administration autonome de type technocratique, avec les dangers considérables qu’un tel choix emporterait pour l’indépendance au regard du lien étroit entre organisation et fonctionnement. dddd L’institution judiciaire ne peut s’exclure de la réforme de l’État ; il lui faut adapter ses structures et moderniser ses procédures. Mais la confiance nécessite aussi son ouverture sur notre société et sur l'Europe. C'est autour de ces trois impératifs que j’ai souhaité expliquer les orientations de la cour en 2008 et ses projets pour 2009. L’adaptation des structures, d’abord. L'introduction de logiques gestionnaires transforme la rationalité classique de notre institution et vient bouleverser les habitudes des professionnels du droit. Les réformes de l'administration et de la justice répondent à des préoccupations communes : optimisation de l'allocation des moyens, réduction des délais dans le traitement des dossiers, maîtrise des coûts, responsabilisation des gestionnaires, etc. Une telle révolution de la culture judiciaire ne va pas sans susciter des résistances au changement. D’inévitables tensions en résultent. 2 À la crainte d'une exigence de productivisme exacerbé s'ajoute la peur d'une banalisation et d'une désacralisation de la justice. La gestion des ressources humaines est parfois considérée comme attentatoire à l’indépendance des magistrats conçue comme intégrant l’inamovibilité dans leurs fonctions ; conception erronée de l’indépendance, sauf à considérer qu’il existerait une hiérarchie dans la noblesse entre les divers contentieux traités, ce qui serait gravement injurieux pour les justiciables : certains d’entre eux seraient-ils donc plus intéressants que les autres, au regard de la nature juridique du contentieux qui les concerne ? En vérité, les grands principes européens comme le droit de chaque justiciable à être jugé dans “dans un délai raisonnable” sont porteurs d’une dimension managériale. La prise en compte de cette réalité m’a conduit à réfléchir à une rénovation complète des structures de la cour pour lui permettre de mieux répondre à ses missions. Force est de constater que le découpage des chambres finissait par ne plus présenter de véritable cohérence. Des compétences étaient venues s’ajouter ou se surajouter, telles des sédiments, au fil des besoins et des ans, provoquant un émiettement du contentieux et la création de frontières dans les attributions des différentes formations de jugement. Ces structures, devenues obsolètes, constituaient un obstacle à la bonne articulation de la cour avec les juridictions du ressort ; elles favorisaient l’isolement du juge alors même que la complexité des questions qui leur sont soumises impose que les magistrats appelés à traiter de contentieux de même nature se rencontrent pour en débattre ensemble. Passer d'une logique individualiste à une approche collective des contentieux, n’est-ce pas précisément ce que propose, dans son dernier rapport d’activité, le Conseil Supérieur de la Magistrature, en déplorant que “bien des décisions de justice d’importance restent trop souvent rendues par une personne isolée, sans concertation ni réflexion préalable en commun”? L’organisation précédente se caractérisait par un cloisonnement trop rigide entre les magistrats d’un côté, les greffiers et fonctionnaires de l’autre ; elle constituait un obstacle à un véritable travail d’équipe. Il s’agit maintenant, par la mutualisation des moyens de certaines chambres regroupées autour de compétences complémentaires, de passer d'une logique de dossiers à une logique de flux, d’assurer la cohérence de la jurisprudence et par là une meilleure sécurité juridique. 3 Il s’agit aussi, par une plus grande fluidité de l'emploi des ressources, de favoriser l’égalité de tous devant la charge de travail et de parvenir à une efficacité accrue en conciliant la nécessaire spécialisation des magistrats avec une ouverture à des disciplines voisines ou complémentaires de leur spécialité. La nouvelle organisation entrera pleinement en vigueur le 30 mars prochain. Un audit du projet permettra d’ici là d’apporter les modifications qui s’avéreraient nécessaires. La Chancellerie a bien voulu dégager des moyens en greffiers et fonctionnaires pour permettre à cette transition de se dérouler dans les meilleures conditions ; je l’en remercie vivement. La cour sera alors constituée de huit pôles de compétence : - le - le - le - le - le - le - le - le pôle procédure et droit international privé, pôle personnes, pôle famille, pôle biens, immobilier, environnement et consommation, pôle de la vie économique, pôle social, pôle des chambres de l’instruction, pôle de la grande criminalité organisée. Le chantier, ouvert au printemps dernier, s’est révélé d'une ampleur inédite ; les débats, parfois passionnés, ont été à la hauteur des enjeux. Le dialogue, notamment au sein des instances représentatives, a permis de faire évoluer considérablement le projet initial. La nouvelle organisation que j’ai - dans le cadre de mes responsabilités arrêtée au terme d’une concertation de près de six mois, permettra - j’en suis sûr - à chacun d’acquérir le sentiment d’appartenir à une véritable communauté de travail. La réforme des structures est en outre de nature à renouveler profondément le dialogue social. Ce lien étroit a été mis en lumière par Monsieur Serge Vallemont. Ce grand serviteur de l’État avait remis au Garde des sceaux un rapport remarqué sur le renouveau du dialogue social dans les juridictions. Il a bien voulu, à la demande de Monsieur le Procureur Général et de moi-même, étudier pendant six mois et, je tiens à le dire, de manière parfaitement désintéressée - les relations professionnelles et humaines. 4 Son constat est celui de l’isolement, de la parcellisation des tâches, de l’absence de communication, sources de mal-être, d’incompréhension et de relative inefficacité. Ses propositions sont fondées sur un changement de logique managériale, par le passage à la notion de services ou de pôles, permettant les évolutions nécessaires des pratiques et des relations professionnelles au sein de la cour. Les nombreuses préconisations du Rapport Vallemont, largement discutées à l’occasion d’une assemblée plénière de la cour, seront mises en place tout au long de l’année 2009. L'indispensable modernisation des procédures, ensuite. Les justiciables ont droit à un procès équitable qui implique que leur soient offertes les garanties procédurales de publicité, de contradiction, de célérité, de loyauté, d’égalité des armes. Toutes les démocraties connaissent ce mouvement de procéduralisation de la justice : l’essentiel du procès réside tout autant dans les formes procéduralement utilisables que dans le droit substantiel ; ce processus valorise l’autonomie des sujets et impose une recomposition du rôle du juge et une redéfinition de l’intervention des parties. L’appel civil est considéré comme participant des droits de la défense ; il contribue à la qualité de la justice. Son exercice doit être dès lors être préservé, mais en veillant à ce qu’il ne soit pas détourné de son but à des fins dilatoires, ni à ce que la procédure suivie génère des délais non conformes au procès équitable. Moderniser l’appel en veillant à ce qu’il ne constitue pas une seconde première instance correspond à une démarche entreprise par nos plus proches voisins : l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne, chacun avec son génie propre. Madame le Garde des sceaux m’avait fait l’honneur de me confier la mission de réfléchir aux modifications susceptibles d’améliorer la procédure d’appel en matière civile. Elle a exprimé sa volonté de mettre en oeuvre la plupart des préconisations retenues dans le rapport que je lui ai remis en juin 2008. Il ne saurait être question de les développer ici ; je souhaite seulement souligner qu’elles ont fait l’objet d’un très large consensus au sein de la Mission composée de magistrats, de professeurs de droit, d’avoués, d’avocats et de greffiers. Sans attendre, en novembre dernier, la cour a signé avec le président de la compagnie des avoués et la directrice de greffe, un protocole de procédure prévoyant notamment une meilleure structuration des écritures des parties et une communication des pièces plus performante. Cela représente un pas de plus vers un procès de qualité. 5 Il importe maintenant que la communication électronique structurée puisse être totalement mise en place. J’ai également souhaité engager une réflexion sur la procédure devant les chambres sociales, dont le contentieux représente une part importante de l’activité de la cour et que la situation économique présente rend plus stratégique encore. Le traitement des affaires prud’homales apparaît problématique lorsque l’on sait que le stock d’affaires est de l’ordre de 15 000 et les délais moyens de traitement de dix-huit mois dans un domaine qui requiert, au regard des intérêts en question, une grande célérité. Malgré un travail sans relâche des magistrats et du greffe, les améliorations obtenues risquent d’être perpétuellement remises en cause si la procédure d’appel reste inchangée. Le caractère oral de celle-ci ne permet pas de respecter, à la cour, comme il conviendrait, le principe de contradiction ; l’oralité génère de nombreux renvois, source d’allongement des délais. Un groupe de travail mis en place au sein de la cour réunit autour de moi des magistrats - dont le Doyen Philippe Waquet que je remercie de son engagement -, un professeur de droit et un ancien bâtonnier de Paris. Ces connaisseurs du droit du travail et de la procédure font des propositions de réformes très précises que je soumettrai prochainement à la Chancellerie et qui seraient de nature, j’en suis sûr, à réduire considérablement les délais de jugement qui deviennent insupportables au regard des situations humaines qui sont en jeu et sont de nature à engager la responsabilité de l’État pour non respect du délai raisonnable. Le domaine du droit du travail devrait être de nature à permettre une diversification des réponses judiciaires. La médiation participe de cet enrichissement de la justice à travers un mode alternatif de règlement des conflits qui responsabilise les parties, lesquelles, sous l’égide d’un médiateur, vont progressivement renouer le dialogue et dégager elles-mêmes une solution à leur litige. Parce qu’elle pacifie les relations humaines, parce qu’elle retisse le lien social rompu par un individualisme effréné, la médiation doit être favorisée dans tous les domaines où sa logique a sa place. La cour a organisé une réflexion approfondie avec tous ceux qui, en France, se sont investis dans la mise en oeuvre de ce processus. Un rapport suivi d’un important colloque a présenté les préconisations qui seront mises en oeuvre en 2009 à la cour et dans les juridictions du ressort, l’ambition étant de permettre à ce mode alternatif de règlement des litiges de prendre progressivement sa place dans l’univers judiciaire. C’est avec plaisir que j’ai constaté que plusieurs tribunaux du ressort se sont déjà engagés dans cette voie. 6 La modernisation du fonctionnement de la justice passe aussi par une réflexion sur l’expertise. L’enjeu est considérable tant il apparaît que la confiance dans la justice passe par la confiance dans l’expertise. Des progrès significatifs ont déjà été accomplis, grâce aux décrets de 2004 et de 2005 et à divers protocoles passés avec le barreau et les experts au stade de la première instance. Il reste cependant des marges importantes d’améliorations possibles, notamment dans la phase conclusive. C’est la raison pour laquelle il m’a semblé opportun de lancer une réflexion sur cette question avec les experts, les magistrats, mais aussi les avocats et les greffiers. Les recommandations du groupe de travail, qui vont prochainement faire l’objet de protocoles entre les juridictions et les compagnies d’experts, ont pour ambition de rendre plus féconde la discussion technique et de conférer davantage d’efficacité au rapport. L’une des préconisations phares vise à permettre que ce soit d’abord et avant tout devant l’expert que les parties débattent des questions techniques soumises à l’arbitrage du juge. L'ouverture de la justice, enfin. Les modifications que je viens de brosser à grands traits représentent les conditions nécessaires mais non suffisantes de la confiance des justiciables. Ayons le goût de nous ouvrir sur la société et sur l’Europe ! Des groupes de travail “justice entreprise” et “justice médias” ont été constitués voici un an. La qualité de la réflexion qui s’est instaurée permet d’attendre beaucoup des colloques qui, cette année, en feront la synthèse. Mais, dès à présent, nous pouvons nous réjouir que des juges, des avocats, des chefs d’entreprise, des syndicalistes et des journalistes aient ainsi pris l’habitude de discuter ensemble sur des thèmes tels que la responsabilité de l’entreprise ou le secret des sources des journalistes. Cette ouverture favorise la transparence d’une institution à laquelle il appartient de faire comprendre sa logique et de rendre compte de son action. Dans ce même souci de renforcer le dialogue au sein de la juridiction, un cycle de conférences a été organisé à la cour autour des grandes questions d’actualité en matière politique, économique et sociale. 7 La première rencontre nous a procuré le plaisir d’accueillir Monsieur Antoine Sfeir, journaliste et écrivain, éminent spécialiste du Proche Orient, qui a évoqué la question de l’Islam et de l’islamisme en France aujourd’hui. Le souci d’atteindre le niveau de professionnalisme requis d’une cour comme celle de Paris m’a conduit à organiser des formations destinées aux magistrats qui s’intéressent au droit de la concurrence et au droit boursier. La chaire de régulation économique de Sciences Po, dirigée par Madame le professeur Marie-Anne Frison-Roche, accueille ainsi régulièrement une trentaine d’entre nous à des formations validées par l’ENM. Des formations en droit international privé et en droit de l’arbitrage vont débuter dans les prochaines semaines. Je remercie le Président de la compagnie des avoués, Maître Jacques Pellerin, d’avoir répondu à mon initiative. Il s’agit de permettre à la cour de jouer pleinement le rôle qui est le sien dans l’élaboration du droit français de l’arbitrage pour qu’il continue à rivaliser avec les places de Londres et de Genève. La présidence française de l’Union Européenne assurée par la France au deuxième semestre de 2008 a offert à la cour d’appel de Paris l’occasion de créer un réseau européen de cours capitales en organisant, au mois d’octobre, une rencontre inaugurale avec les vingt-six autres cours d’appel capitales de l’Union européenne. Ensemble, nous avons réfléchi, à travers la procédure d’appel, à la qualité de la justice, et nous sommes convenus de donner suite à cette initiative. Rendez-vous a été pris pour nous retrouver à Rome en 2009, dans le souci de favoriser l’entraide judiciaire, pour développer l’accès au droit et la protection des victimes et pour accroître l’effectivité de la décision de justice sur le territoire européen. dddd Vous l’avez compris : la justice, comme toutes les institutions, doit inspirer confiance pour que la République soit forte dans un monde en pleine mutation. La magistrature s’efforce - je pense l’avoir démontré - de trouver en ellemême l’énergie de cette ambition. Son indépendance, qui ne doit pas être appréhendée comme un privilège du juge mais comme un droit des citoyens, n’en sera que mieux comprise et défendue comme un pilier de notre démocratie. 8