Médecine traditionnelle au Mexique

Transcription

Médecine traditionnelle au Mexique
Médecine
traditionnelle
au Mexique
des Aztèques à nos jours
Passionnée dès l’adolescence par les populations indiennes d’Amérique, Martine Pédron voit ses études
supérieures couronnées par un doctorat de 3e cycle
d’ethnologie, sa thèse portant sur « La vie cérémonielle
des Indiens Tarahumaras ». À partir de 1975, pendant
vingt ans, elle passe de trois à six mois par an dans la
sierra tarahumara mexicaine, à plus de 2 000 m d’altitude, dans une communauté isolée située à deux jours
de marche du premier village, authentique retour aux
sources d’une vie proche de la nature.
Elle s’initie alors aux rites curatifs des chamans et acquiert une parfaite
connaissance des plantes médicinales et des plantes alimentaires sacrées
dont les vertus se sont transmises traditionnellement depuis la civilisation
aztèque.
À partir de 1995, ayant développé son intérêt pour le chamanisme, elle
étudie les traditions des curanderos, guérisseurs de la selva de Los Tuxtlas,
dans la province de Veracruz. Dans une démarche écologiste exemplaire,
elle contribue à la défense des rares parcelles de forêt primaire mexicaine subsistant. Partageant l’intimité de ces guérisseurs, elle s’initie à leurs
techniques de guérison et à leurs rituels magiques honorant les divinités
protectrices de leur communauté.
Ethnologue unanimement reconnue pour ses connaissances approfondies
des médecines traditionnelles mexicaines, elle a publié nombre d’articles
faisant référence sur ce sujet, elle a animé de multiples conférences sur le
Mexique, et sur ses traditions, elle a aussi organisé des rencontres avec des
chamans et des danseurs aztèques.
ISBN : 978-2-7033-0783-9
© 2009 Editions Dangles,
une marque du groupe éditorial Piktos,
Z.I. de Bogues, rue Gutenberg - 31750 Escalquens
Bureau parisien : 6, rue Régis - 75006 Paris
Droits de reproduction, de traduction
et d’adaptation réservés pour tous pays.
Martine PÉDRON
Médecine
traditionnelle
au Mexique
des Aztèques à nos jours
Un ouvrage publié sous la direction de
Jean-Luc Darrigol
Remerciements
Je désire exprimer toute ma reconnaissance :
- à mes amis Tarahumaras et Huichols qui m’ont ouvert les portes du
savoir ancestral et des étoiles,
- à mes amis de l’État de Veracruz qui m’ont initiée aux secrets de la
forêt,
- à ceux qui m’ont encouragée et motivée pour réaliser ce livre.
« Réintégrer le temps sacré des origines,
c’est devenir le contemporain de Dieu. »
Mircea Eliade
« Les fleurs sont les yeux des plantes,
comme tes yeux sont les fleurs dans le jardin de ton visage.
Les plantes nous réjouissent et soignent l’âme des hommes. »
Jorge Miguel Cocom Pech
Table des Matières
La médecine chez les Aztèques
Tenochtitlán, la grande capitale des Aztèques
Le troc et les pochtecas
Un destin brisé : la conquête espagnole
L’écriture aztèque. Les codex : une source importante d’informations
Le bien-être chez les Aztèques : équilibre et harmonie
Le temazcal : le bain de vapeur pour le bien-être du corps et de l’esprit
Naître dans le bain de vapeur
Un régime alimentaire très équilibré
Des plantes alimentaires sacrées
Le maïs : la graine de la vie Le xoco-atl, la boisson divine Le maguey : le roi du monde végétal Le concept de la maladie chez les Aztèques et les différents spécialistes
Une pharmacopée puissante et variée Des plantes magiques et sacrées ! 1
1
2
4
6
8
8
9
10
13
13
15
17
19
23
23
La médecine traditionnelle des Indiens Tarahumaras
En marge du temps et de la « civilisation »
Une parfaite adaptation à leur environnement : des migrations saisonnières
Une grande connaissance des plantes médicinales Les plantes sauvages comestibles Les chamans tarahumaras « Danser pour ne pas mourir » Les rites curatifs Le rite du Dutuburi et Yumari La tesguïnada Le rite du peyote 31
31
32
33
35
36
39
40
40
42
42
La médecine traditionnelle des Indiens Huichols
Le maraakame huichol
Wirikuta : le pèlerinage à la terre sacrée Les différents rituels La récolte du Hikuri Le chemin du retour 47
48
49
50
51
52
La médecine traditionnelle dans la selva de Los Tuxtlas Veracruz
Une région d’une immense biodiversité Le berceau des Olmèques 55
55
57
La tradition du curanderismo Les différents thérapeutes traditionnels
Le concept de la maladie dans la région de Los Tuxtlas
Les maladies dites « surnaturelles » et leur traitement Le mal de ojo : le mauvais œil Le mal aire ou mal viento : mauvais vent ou mauvaise énergie
Le susto et l’espanto Les éléments du pouvoir magique Les objets du pouvoir magique
Le symbolisme des couleurs La classification chaud/froid dans le sud est du Mexique Rencontres avec des curanderos de l’État de Veracruz Rencontre avec Nicolas Chagala Ixba, un des nombreux curanderos de Catemaco Rencontre avec Gilberto Perez Rencontre avec Juan Ixtepan Rencontre avec José Maria Salazar, culebrero Rencontre avec Mario Gutierrez Hernandez 58
59
61
62
62
64
65
67
68
70
70
72
72
74
76
78
80
La persistance des traditions médicales ancestrales
Le temazcal : une tradition encore bien vivante
Le copal : nourriture des dieux
83
83
91
La connaissance des plantes médicinales mexicaines.
Les sources écrites du xvie siècle Des jardins d’Éden
95
97
La recherche scientifique sur les plantes médicinales mexicaines
Quelques plantes de santé et leurs usages Le nopal (opuntia ficus indica) : un cactus contre le diabète Barbasco ou yam : une liane contenant des stéroïdes Le tepezcohuite : pour soigner les brûlures
La spiruline : une algue bleue riche en vitamines Le zapote : un fruit qui induit le sommeil La papaye : un fruit qui soigne l’asthme et la bronchite
99
102
102
104
106
107
109
110
Quelques exemples de centres de médecine traditionnelle
113
Des passerelles entre les savoirs indigènes et la médecine moderne
117
Annexes
Les principales plantes en usage dans le sud-est du Mexique
Les principales plantes médicinales en usage dans le nord du Mexique
La santé par les pierres au Mexique
Les principales langues indigènes parlées au Mexique aujourd’hui
Lexique des principaux mots indigènes
125
127
135
139
145
147
Bibliographie
151
La médecine
chez les Aztèques
Tenochtitlán,
la grande capitale des Aztèques
« Tant que le monde durera,
jamais ne prendra fin, jamais ne s’éteindra,
la renommée et la gloire
de Mexico Tenochtitlán. »
Chimalpahin Quauhtlehuanitzin (historien indien)
S
ur le plateau de l’Anahuac, les Aztèques ou « Mexi-
cas » aperçurent enfin le signe qu’ils attendaient :
un aigle juché sur un nopal, dévorant un serpent.
La prophétie de leur dieu tribal Huizilopochtli s’accomplissait.
Dans ce lieu précis, au milieu d’un lac et de marécages, c’est
là qu’ils allaient établir leur capitale, cela après une longue
errance depuis la mythique terre d’Aztlan.
2 • Médecine traditionnelle au Mexique
Nous sommes en 1325. Au beau milieu du lac de Texcoco,
les Aztèques vont édifier Tenochtitlàn, une des plus belles villes du monde – avec ses nombreux palais, temples, demeures
de Prince. Au xive siècle, elle possédait 150 000 habitants.
Au centre se trouvait le très beau palais de l’empereur Moctezuma, le temple principal teocalli avec ses deux sanctuaires : celui de gauche dédié à Tlaloc, le dieu de la pluie et de
la fertilité, et celui de droite, dédié à Huizilopochtli, dieu du
soleil et de la guerre ; le temple circulaire de Quetzalcoatl et le
collège (calmecac) reservé aux nobles, ainsi qu’un jeu de balle
rituel (voir cahier couleur 1). Au sud-ouest du temple principal
s’étendait le grand marché de Tlatelolco où arrivaient toutes
sortes de produits. Le commerce se faisait au moyen du troc,
mais aussi avec des graines de cacao et des tuyaux de plumes
remplis de poudre d’or en guise de monnaie.
Le troc et les pochtecas
Cette abondance et surtout cette variété de nourriture étaient
dues au troc avec des régions très éloignées. Les routes les plus
fréquentées étaient les terres basses de Veracruz et Tabasco, la
vallée centrale de Mexico, les terres basses du Yucatán et le
Chiapas. Le Yucatán fournissait le sel, le miel et les coquillages ; du Tabasco venaient le cacao et l’achiote ; de l’État de
Oaxaca, la cochenille, pour teindre les vêtements en carmin, et
les poteries vernissées ; l’ambre de la Sierra Norte de Puebla
La médecine chez les Aztèques • 3
et les plumes et le jade du Chiapas... Ces transactions commerciales avaient lieu aux frontières des différentes aires culturelles. Ainsi, Xicalango, sur les côtes de l’État de Campeche,
servait de pont entre les pochtecas aztèques et les Mayas-Putunes. Parmi les autres lieux importants pour le troc, il y avait
Tuxtepec (Oaxaca), et Tehuantepec sur l’isthme.
Être pochteca (commerçant spécialisé dans le commerce
lointain) était un honneur, mais cela signifiait aussi souvent
risquer sa vie : en traversant des territoires où les Indiens
étaient hostiles aux Aztèques, les commerçants ambulants
souffraient également de fatigue (ils portaient toutes leurs
marchandises sur le dos retenues par un bandeau frontal). Ils
dormaient la plupart du temps dehors, en pleine campagne et
étaient ainsi à la merci des animaux sauvages (jaguars, coyotes
affamés...). Avant de commencer une expédition de troc vers
ces terres lointaines, ils consultaient les devins afin de savoir
quels étaient les jours favorables (en général c’était des jours
serpent, crocodile ou singe). Avant le départ, ils allaient prier
les dieux et leur faire des offrandes.
Le marché était immense et très bien organisé. D’un côté, les
vendeurs d’animaux vivants : chiens sans poils, lapins, tortues,
tatous… et aussi de superbes oiseaux venus des terres chaudes
de Veracruz ou du Chiapas : aras rouges, toucans, perroquets
jaune et vert ; à côté, il y avait les plumassiers qui fabriquaient
4 • Médecine traditionnelle au Mexique
les coiffes de plumes ; un peu plus loin, les marchandises – des
produits de la mer, venant du Yucatán, des poissons présentés
sur des feuilles de bananiers, des crustacés et des coquillages,
et aussi du miel et du sel venant de la côte du golfe du Mexique,
tous les fruits et légumes tropicaux : mangues, goyaves, avocats, toutes sortes de piments et du Tabasco, le fameux cacao.
Dans un autre coin du marché, de la nourriture toute préparée :
des tortillas de maïs, des frijoles, des tamales et de l’atole à la
vanille et au chocolat. Dans un autre secteur, on vendait de très
belles céramiques, des tissus, des pierres précieuses comme
l’or, du jade et l’obsidienne, des pigments et colorants naturels. Il y avait, enfin, toutes les herbes médicinales, onguents
et résine comme le copal.
Un destin brisé : la conquête espagnole
Au moment de la rencontre des deux mondes, la puissance
aztèque était à son apogée, et l’empereur Moctezuma régnait
sur un vaste empire constitué de près de 500 villes (incluant les
nombreux peuples conquis et soumis) ; ce territoire s’étendait
du Pacifique à l’Atlantique. Le 8 novembre 1519, le conquistador espagnol Hernan Cortés rencontre Moctezuma, à l’entrée
de la ville de Tenochtitlán. Invité avec ses soldats, dans le palais de l’empereur. Cortés ne cessera de s’émerveiller devant la
beauté et la parfaite organisation de cette ville du « NouveauMonde » qu’il nommera « la Venise aztèque ». Néanmoins, assoiffé par les richesses entrevues dans le palais de Moctezuma
La médecine chez les Aztèques • 5
et ne rêvant que de pouvoir et de reconnaissance, Cortés décide
de conquérir ce vaste empire. Il profitera malicieusement des
faiblesses des Aztèques en s’alliant avec leurs principaux ennemis (les Tlaxcatèques). Malgré une forte résistance de la part
des Aztèques, vaillants et courageux, la ville de Tenochtitlán,
assiégée pendant trois longs mois, finira par tomber le 13 août
1521. Un an plus tard, Cortés devient gouverneur général de
la Nouvelle-Espagne. Quelques temps après la conquête, des
missionnaires sont envoyés pour évangéliser les Indiens. Les
Aztèques n’ont plus le droit de pratiquer leur religion. Les statues des dieux sont détruites, nombre de manuscrits indigènes
brûlés.
Cependant, la culture aztèque n’a pas disparu. Elle a survécu, secrètement, en grande partie grâce à la tradition orale.
Il existait des prêtres-chamans « gardiens de la parole » dont
la seule et unique tâche était de mémoriser les textes sacrés
avant qu’ils ne soient détruits. Parmi ces textes, se trouvait
l’almanach sacré qui contenait toutes les informations nécessaire à la prévision du futur, aux rituels qu’il fallait effectuer à
une date précise. La transmission se faisait d’un homme à son
petit-fils qui aurait lui aussi, à son tour, la tâche de transmettre
ce savoir ancestral.
6 • Médecine traditionnelle au Mexique
L’écriture aztèque. Les codex :
une source importante d’informations
En plus des récits des différents chroniqueurs de la conquête espagnole (Bernal Diaz del Castillo, Diego Duran et Bernardino de Sahagun), les codex (manuscrits indigènes) sont
une des meilleures sources d’informations sur la vie quotidienne des aztèques, leur religion, leur cosmogonie et leurs
pratiques médicales. Il y aurait eu quelques 500 codex rédigés
par les Aztèques, mais beaucoup furent détruits au moment de
la conquête. Comprenant l’intérêt de ces manuscrits, le jeune
moine Bernardino de Sahagun, débarqué au Mexique en 1529,
ira apprendre le nahuatl (langue des Aztèques). Dans le collège
de Santa Cruz de Tlatelolco, il va recueillir patiemment, avec
les érudits aztèques ayant survécu, des témoignages directs sur
leur connaissance des sciences, de l’astrologie, de la médecine, et sur le pouvoir curatif des plantes. Il rédigera ainsi, entre
1558 et 1577, 12 volumes. Conservé à Florence, ce codex prit
le nom de « codex Florentinus ».
Les codex étaient fabriqués à partir de l’écorce d’un arbre
appelé amate, sorte de grand figuier. La fabrication du papier
était une tâche difficile : il fallait d’abord tremper l’écorce dans
de l’eau de chaux pour l’assouplir, puis la marteler pour séparer
les fibres ; la pulpe était ensuite mélangée avec de la gomme
et battue pour former de fines feuilles. Celles-ci étaient collées
ensemble pour constituer un livre en forme d’accordéon.
La médecine chez les Aztèques • 7
L’écriture des Aztèques était pictographique : ils employaient des glyphes (la simple représentation d’un objet) et
des idéogrammes. La parole était représentée, par exemple,
par de petits rouleaux sortant de la bouche de l’orateur.
C’était le travail des scribes ou Tlacuilos de dessiner, puis
de peindre en couleur les différents dessins. Les chiffres, eux,
étaient représentés par des symboles : des doigts pour les chiffres de 1 à 19 ; le chiffre 20 était symbolisé par un drapeau ;
400 par une plume. Certains codex sont historiques ou mythologiques d’autres sont des almanachs religieux contenant les
prophéties des devins qui désignaient quels étaient les jours
favorables pour les naissances, les travaux agricoles ou encore
les opérations guerrières. D’autres codex étaient entièrement
dédiés à des thèmes médicaux : méthodes pour diagnostiquer
une maladie, bains de vapeur, méthodes chirurgicales et de
nombreuses planches de botanique indiquant l’usage thérapeutique pour chacune des plantes citées (codex Badianus de
la Cruz, codex Nuttall, etc.) On considère, aujourd’hui, qu’une
quarantaine des plus fameux codex se trouvent hors du Mexique : quinze à Paris, quatre à Madrid, quatre au Vatican, six à
Oxford... Comment sont-ils arrivés là ? Il semblerait que Cortés les ait envoyés en cadeau à l’empereur Charles Quint qui,
à son tour, les aurait offerts à d’autres princes ou dignitaires
européens, aussi ignorants les uns que les autres de la réelle
signification et importance de ces manuscrits aztèques.
8 • Médecine traditionnelle au Mexique
Le bien-être chez les Aztèques :
équilibre et harmonie
La recherche du bien-être, était une préoccupation constante chez les Aztèques ; ils faisaient tout pour garder un corps et
un esprit sain. Il n’existait pas, dans la langue nahuatl, de mot
pour désigner la santé, mais plusieurs expressions se référant
au bien-être : cuali ni etoc (je vais bien) ou encore ni paqui
pahtoc (je suis contente, je suis saine).
Le temazcal : le bain de vapeur pour le bien-être du
corps et de l’esprit
Les Aztèques l’appelaient temazcal ou encore temazcalli,
littéralement « la maison des bains ». Les médecins le recommandaient en période de convalescence, mais aussi pour
soigner différentes maladies comme les rhumatismes, les maladies nerveuses, les problèmes de peau ; ils prescrivaient à
leurs patients la prise quotidienne d’un bain de vapeur.
Alors que les gens du peuple se baignaient dans les lacs et
rivières en se servant de certaines racines – comme l’amole –
en guise de savon, les familles un peu plus aisées possédaient
un petit bain de vapeur hémisphérique en pierres ou en adobe, construit en annexe de l’habitation. Un foyer était édifié
à l’extérieur et le feu y était maintenu constamment. Jacques
Soustelle, dans son ouvrage La vie quotidienne au temps des
Aztèques, décrivait ainsi le déroulement de ce bain : « L’Indien
La médecine chez les Aztèques • 9
se glissait dans le temazcal par une petite porte basse et jetait de
l’eau sur la paroi surchauffée. Il se trouvait alors entouré de vapeur et s’étrillait énergétiquement avec des herbes et brindilles.
Lorsqu’il s’agissait d’une personne malade, un curandero l’accompagnait (voir cahier couleur 2). On le frictionnait, puis on
lui donnait un breuvage à base de plantes médicinales. Après
quoi, l’usager s’étendait sur une natte pour laisser le bain de
vapeur faire son effet. »
Naître dans le bain de vapeur
Certaines femmes aztèques y mettaient au monde leurs
enfants (voir cahier couleur 3). Le travail de l’accouchement
était facilité, d’une part, par la chaleur du bain de vapeur, mais
aussi par l’absorption d’une décoction de la racine cihuapactli
ou encore par le jus de nopal (Opuntia Ficus Indica), ou une
tisane de Chia (salvia hispanica). L’accouchement se faisait
en présence d’une sage-femme. Dès sa naissance, l’enfant était
ainsi présenté à la déesse des eaux Chalchiutlicue. On faisait
une sorte de baptême rituel avec l’eau qui liait le nouveau-né
au bain de vapeur. Plus tard, le devin consultait l’almanach
sacré afin de déterminer le jour où l’enfant recevrait son nom ;
certains jours étant considérés comme défavorables, on changeait la date de naissance. L’important, pour les Aztèques,
étant que l’enfant soit fort et résistant.
10 • Médecine traditionnelle au Mexique
Le temazcal était aussi le lieu de pratiques religieuses.
À l’entrée, se trouvait une représentation de Temazcaltoci, la
grand-mère des bains ou de Yotalticitl, la déesse de la nuit.
Il était de coutume de lui faire des offrandes de fleurs ou de
copal, afin que celle-ci veille au bon déroulement du bain de
vapeur.
Un régime alimentaire très équilibré
Les Aztèques avaient une alimentation riche et variée ; ils
accordaient beaucoup d’importance à la préparation des repas,
aux différentes saveurs, mais encore aux couleurs des sauces
pimentées : sauces rouges, vertes ou marron.
Les Aztèques se nourrissaient d’une grande variété de légumes qui poussaient sur les chinampas (jardins flottants). L’aliment de base était le maïs, consommé sous forme de tortillas
(galettes) d’atoles (bouillies), de tamales (petits pains de maïs
cuits à la vapeur). Le maïs fournissait les carbohydrates et les
acides aminés. Les frijoles ou haricots rouges apportaient les
protéines. Il y avait aussi les courges, l’avocat (très riche en
vitamines A et B) ; d’autre part, il existait un très grand nombre
de plantes sauvages comestibles, communément appelées quelites, sortes d’épinards ou de pissenlits. On récoltait les feuilles
ou « raquettes » de nopal (cactus Opuntia) qui étaient préparées
en salade avec des piments. De plus, les Aztèques pouvaient
compter avec la récolte des fruits sauvages comme ceux des
La médecine chez les Aztèques • 11
cactus nopales et pitayas. Ils étaient aussi fervents d’aromates
tels l’épazote (Chenopodium ambrosoides), la coriandre et les
feuilles d’acuyo (Piper auritum), particulièrement recommandées pour les personnes manquant d’appétit.
Quant au piment, c’était l’aromate par excellence. Les Aztèques le nommaient chilli ; ils l’appréciaient énormément aussi
bien pour ses qualités nutritives (très riche en vitamine C)
que pour ses vertus médicinales : bon stimulant de l’appétit,
digestif, diurétique, fébrifuge (grâce à la transpiration qu’il
provoque lorsqu’on l’ingère). Les guérisseurs s’en servaient
comme analgésique et le recommandaient pour combattre les
infections, les inflammations et la toux. Il servait aussi à la purification d’un lieu et pour chasser les mauvaises énergies. Les
Aztèques consommaient les piments de différentes façons :
frais, séchés et réduits en poudre, en sauce (molli), en soupe.
Il en existe quelque soixante-dix variétés. Certains sont doux,
comme le chile verde, très parfumés, comme le chile chipotle,
très forts, comme le chile piquin ou chiltecpin, petit et rond
comme un petit pois ! Comme l’indique le codex Mendoza,
le piment faisait partie des tributs que les différentes régions
soumises à l’Empire aztèque devaient envoyer régulièrement
à Tenochtitlán.
La vallée de Mexico possédant un vaste réseau de lacs et
lagunes, on trouvait, dans ses eaux douces, quantité de pois-
12 • Médecine traditionnelle au Mexique
sons et crustacés, tels que crevettes, petites langoustes, crabes,
huîtres, et des batraciens – têtards et grenouilles – ainsi que des
tortues. Les mets les plus raffinés, comme 1’axolotl, animal
aquatique nu, délicieux batracien péché dans le lac de Xochimilco, étaient réservés à l’élite.
Les Aztèques chassaient les cerfs à queue blanche, les pécaris, faisans, canards, tourterelles et l’armadillo. Dans les cours
des habitations, ils élevaient des poules tottolin et des dindons
huaxolotl qu’ils appréciaient particulièrement.
À cela s’ajoutaient les insectes comestibles, riches en protéines : sauterelles ou chapulines consommées grillées et servies avec du citron vert et du sel, jumiles, sortes de punaises
des bois utilisées pour élaborer de délicieuses sauces à base de
tomates et piments. Ils se régalaient d’œufs de fourmis appelés
escamoles préparés avec une sauce pimentée. Il y avait aussi
les vers du maguey qui, une fois grillés, accompagnaient la
fameuse sauce à l’avocat ahuacamolli que nous connaissons
aujourd’hui sous le nom de « guacamole ».
Les Aztèques les plus fortunés se nourrissaient particulièrement bien et participaient à de véritables festins ! On raconte
que l’empereur Moctezuma avait, tous les jours, le choix entre
une centaine de mets différents.
1 - Maquette de la capitale aztèque Tenochtitlán avec ses palais, temple de Tlaloc et Huizilopochtli, son calmecac (collège) et jeu de balle
2 - Le temazcal illustré
dans le codex Magliabecchi
À la porte d’entrée du
temazcal, on peut voir
le visage de Tlazolteotl,
la déesse des naissances. Sur ce dessin, il y
a quatre personnages. À
gauche, une femme se
charge de mettre le bois
pour allumer le feu.
En bas, un indigène malade, représenté avec une
larme sur le visage ; à sa
gauche une curandera
lui offre une boisson
de plantes médicinales
avant qu’il n’entre dans
le temazcal. En haut,
à droite, un curandero
ou chaman prie pour la
guérison du malade.
3 - Représentation de l’accouchement
dans le temazcal (codex Nuttall)
4 - La déesse Mayahuel
La dame « Trois Silex » donne naissance à un enfant divin
Yei Tecpatl. Le nouveau-né
est encore relié à la mère par
le cordon ombilical. La délivrance a lieu en position accroupie. La mère entre dans
le temazcalli. Dans l’étuve,
elle est placée sous un grand
coquillage symbole de la matrice et de la génération. Les
femmes en couche étaient
considérées comme des guerriers livrant un combat. Elles
étaient bien assistées et entourées de soins particuliers.
5 - Une opération chirurgicale
chez les Aztèques
6 - Le pericon « yauhtli » dans un jardin botanique, de nos jours
7 - Las barrancas ou canyons. Ici, le canyon de Batopilas.
8 - Patricio et sa famille à Yerbabuena (région de Batopilas)

Documents pareils