J`ai déjà commencé à écrire dans le cahier rouge à anneaux puis je

Transcription

J`ai déjà commencé à écrire dans le cahier rouge à anneaux puis je
Mémoires d’Adrien 1
J’ai déjà commencé à écrire dans le cahier rouge à anneaux, et
maintenant, je suis obligé de continuer à dire. J’ai dû commencer
trop tard à écrire. Dans ce cahier là, j’ai quelques pages qui
décrivent un peu ce qu’a été mon enfance jusqu’à l’âge de 15 ans.
Je ne me souviens pas trop de ce que j’ai dit là-dedans. Je vais
reprendre certains points, au fur et à mesure que je vais me
souvenir, puis s’il y a quelque chose que j’ai dit deux fois, vous
n’en tiendrez pas compte 2 .
Je suis né le 23 février 1910. Voici ce qu'on m'a raconté
concernant le cheminement qui a abouti aux épousailles de Isidore
et Émilie, qui se sont mariés le 15 février 1909, dont je fus le
premier enfant.
Isidore et Émilie
À l'est de la route du quai, demeurait Lévi Guité, marié à Théotiste
Cyr. Il était cultivateur. Il habitait une grande maison quelque peu
semblable à celle de Ludger Lucier, dont la construction devait
remonter au début du 19e siècle. Elle avait, semble-t-il, remplacé
la première maison des Guité, construite un peu plus près de la
mer, avec façade au sud est. La route suivait alors le rivage
jusqu'au bout du banc où, à marée basse, on traversait à gué
l'embouchure de la rivière Verte.
Lévi et Théotiste avaient eu six enfants : Ernestine, Émilie, AnneMarie, Charles, Arthur et Antoinette. Émilie était née le 5 juin
1886. En septembre 1904, Lévi décédait à Québec dans un hôpital
psychiatrique, où il était interné depuis quelques mois, à la suite
d’une détérioration constante de son état de santé général depuis
quelques années. Théotiste restait seule avec ses six enfants.
1
J’ai donné comme titre à ces mémoires de papa « Mémoires d’Adrien » en
référence évidente (une sorte de clin d’œil) à l’œuvre célèbre de Marguerite
Yourcenar. Mais dans son cas, les « Mémoires d’Hadrien » nous renvoient à
l’empereur Romain qui lui, écrivait son nom avec un « H ». Papa n’aurait
évidemment jamais eu cette fantaisie. Ce qui me met à l’abri d’un possible
plagiat dans le titre choisi pour les mémoires de « notre Adrien ».
2
J’insère ici l’écrit du cahier rouge à anneaux.
Mémoires d’Adrien
2
Ernestine avait alors vingt ans, Émilie dix-huit et Antoinette, le
bébé, sept ans.
Théotiste avait quarante-six ans. Il faut croire qu'elle ne songea
pas au remariage.
Elle aurait plutôt été préoccupée par
l'exploitation de la ferme qui apportait le pain quotidien, car il lui
fallait encore nourrir les trois plus jeunes.
À l'ouest de la paroisse, environ un kilomètre à l'est de la première
côte des Caps de Maria, vivait la famille de Narcisse Bernard et
Domitille Audet. Elle comptait onze enfants vivants sur 15
naissances : sept garçons et quatre filles. Isidore, né le 10
septembre 1882, était le sixième. C'était aussi une famille de
cultivateurs. Il était impossible pour un père de 11 enfants de
songer à établir fils et filles, sauf celui ou celle qui, les
circonstances s'y prêtant, serait appelé à prendre la relève sur le
bien paternel. Les autres auraient à voir eux-mêmes à établir leurs
pénates selon leurs convenances et possibilités.
Arrivé à l'âge où à cette époque il n'était que normal qu'un jeune
homme subvienne à ses propres besoins, Isidore qui, après avoir
suivi les classes de l'école du rang, avait pu bénéficier d'une année
de collège chez les frères au collège St-Aimé 3 (les Frères des
écoles chrétiennes, je crois) possédait un degré de scolarisation (7
ou 8e année) très supérieur à la moyenne des garçons à l'époque.
Comme premier travail rémunérateur, âgé de 17 ou 18 ans, il
travaille dans des moulins de sciage à Campbellton et aux
3
Je ne peux pas localiser St-Aimé; je l'ai oublié, si je l'ai déjà su. (Note de papa).
J’ai fait quelques recherches de ce côté. Il y trois St-Aimé au Québec : StAimé-des-Lacs (Charlevoix), St-Aimé-du-Lac-des-Îles (Laurentides) et St-Aimé
(en Montérégie). Voici ce qu’on trouve dans l’histoire de ce dernier St-Aimé
(plus précisément St-Aimé de Massueville, dans le Bas-Richelieu en
Montérégie) : « Le 2 octobre 1860, le collège commercial de St-Aimé était donc
fondé et, à 8 heures du matin, il ouvrait ses portes à 102 élèves, qui furent
inscrits dès le premier jour. » C’est le seul collège St-Aimé que j’ai trouvé.
Cependant, ce ne sont pas les Frères des écoles chrétiennes, mais les Frères de
la Congrégation de Sainte-Croix qui furent chargés de ce collège. Est-ce bien là
qu’Isidore aurait terminé ses études, vers 1896 ou 1897 ? (JMB)
Mémoires d’Adrien
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environs, où il accompagne son frère Alphonse de 5 ans plus âgé
que lui.
Après deux ou trois ans de travail dans les moulins, soit vers 1906,
il partit pour l'ouest canadien avec son grand ami et cousin,
Alphonse Porlier, frère de Bernard. Les deux aventuriers avaient
l'intention de s'installer sur des fermes en Saskatchewan, dans la
région de Vonda. La providence en décida autrement.
À leur arrivée dans l'Ouest, ils travaillèrent aux récoltes. À
l'époque et pour plusieurs années, beaucoup de Québécois allaient
travailler à la récolte des céréales dans les provinces des prairies.
Les compagnies de chemin de fer, CN et CP, organisaient à cette
fin des excursions à prix très réduit pour faciliter le transport de
ces travailleurs dont l'Ouest avait grandement besoin.
Les récoltes terminées, Isidore et Alphonse installèrent leur
quartier d'hiver avec l'intention de se procurer, dès le printemps, le
quart de section (homestead) qui leur permettrait de démarrer leur
profession agricole dans l'Ouest canadien.
Au cours de l'hiver, une épidémie de typhoïde s'abattit sur la
région. Isidore et Alphonse furent frappés. Alphonse mourut,
mais Isidore s'en tira, on ne sait ni pourquoi ni comment. La mort
de son ami et compagnon le laissa désorganisé et mit fin au projet
agricole pour l'ouest canadien. Il résolut de revenir au Québec.
Entre-temps, à Maria, certains événements, à l'insu de tous,
préparaient son avenir. Ernestine, la sœur aînée d'Émilie épousait
Bernard Porlier. Émilie, courtisée par Valmore Cyr, avait rompu
ses fréquentations, en acceptant les avances que lui faisait un
certain monsieur Langelier, fils d'un industriel qui avait construit
une scierie au « bout du banc » et acquis une ferme sur les bords de
la rivière Skimmenac, en arrière de St-Jules (La ferme Langelier
où on allait parfois pique-niquer dans notre jeunesse et encore dans
les années 1960).
Émilie croyait avoir trouvé l'homme de ses rêves et entrevoyait
l'avenir avec bonheur. Mais quelle déception! Un jour, sans
explication, sans adieu, le beau chevalier Langelier quitta Maria
sans tambour ni trompette et disparut, laissant Émilie le cœur brisé,
Mémoires d’Adrien
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pleurer seule un amour trahi. Jamais par la suite elle n'eut de
nouvelles soit directement ou autrement de cet « amour fugitif ».
Que s’était-il passé? C'est pour nous un secret qui ne nous fut
jamais divulgué.
La préoccupation de Théotiste concernant l'exploitation de la
ferme s'aggravait. Le plus vieux des fils, Charles, s'était envolé à
l'aventure vers l'ouest, rejoindre un oncle et une tante célibataire
(Sylvestre et Thérèse Cyr) vivant à St-Paul de Métis en Alberta.
Elle ne pouvait plus compter sur lui.
Y eut-il consultations matrimoniales entre Théotiste, Émilie,
Ernestine et Bernard ainsi que Anne-Marie, alors courtisée par Noé
Ménard de New-Carlisle ? On peut le supposer. Théotiste offrit à
Isidore la main d'Émilie à laquelle elle attachait la ferme avec
toutes les dépendances. Isidore accepta un marché qui eut l'heur
de lui plaire. Et le 15 février 1909, on célébrait le mariage de Noé
et Anne-Marie et de Isidore et Émilie, à Maria (par le curé de
New-Carlisle).
Isidore et Émilie se connaissaient d'assez longue date, mais il ne
semble pas qu'ils se soient courtisés sérieusement préalablement à
la démarche de grand-mère Théotiste. Ils vécurent tout de même
ensemble 55 ans, mirent au monde neuf enfants et malgré de
grandes divergences de caractères, aucune dissension profonde, en
aucun temps ne menaça leur union qui dura jusqu'au 17 février
1964, date du décès d'Émilie après 55 ans de vie conjugale.
Isidore lui survécut 14 ans. Il décéda le 3 mars 1978.

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