Pétrole: un monde de brut - Graduate Institute of International and

Transcription

Pétrole: un monde de brut - Graduate Institute of International and
Pétrole: un monde de brut !
Cours donné par le Prof. Jacques Grinevald à l’Institut Universitaire d’Etudes du Développement
(IUED) les 14 décembre 2000 et 18 janvier 2001. Retranscrit par Pascal van Griethuysen
Les ressources minérales, qui constituent des stocks de matière-énergie accumulée par le
passé par des organismes vivants et minéralisée au sein de la lithosphère, ont permis à la fois
l'industrialisation du monde occidental et l'expansion de ce mode de développement à un
niveau mondial, au travers des activités des nations industrialisées et des multinationales. La
concentration énergétique de ces ressources non renouvelables a permis aux activités
économiques de répondre à la pression temporelle des relations de crédit (pression à la
croissance).
Les deux ressources qui ont joué un rôle clé dans le développement industriel sont le charbon
et le pétrole. Dès la fin du XVIIIème, l'utilisation du charbon comme énergie dans la
métallurgie et la sidérurgie a initié le processus de développement industriel;
l'industrialisation a conduit à l'exploitation du pétrole, et le pétrole a permis une accélération
sans précédent du processus d'industrialisation.
Le charbon
Grâce aux fossiles trouvés dans les roches de charbon, on sait dès le XIXème siècle que le
charbon est une roche d'origine végétale. Jusqu'au milieu du XXème siècle, l'usage du
charbon est massif. Mais le charbon est lourd et volumineux. C'est pourquoi il n'a pas joué un
grand rôle dans le commerce international. En outre, en raison des impuretés qu'il recèle
(comme le souffre), le charbon pollue énormément, et cela à tous les stades (extraction,
transport, consommation). Les effectifs négatifs (accidents, pollution urbaine, pluies acides,
etc.) du charbon ont toujours été connus. C'est pourquoi on cherchait des alternatives. Dans ce
contexte, et grâce à ses propriétés exceptionnelles, le pétrole allait devenir la ressource du
XXème siècle.
Le pétrole
Dès les années 1860, le pétrole est exploité aux USA, en Russie et dans une moindre mesure
en Roumanie. En 1920, les USA produise la ½ de la production mondiale. Dans l'entre-deux
guerres, des gisements sont explorés au Moyen-Orient. Mais ce n'est que dans les années 50
que ces gisements commencent d'être exploités. Dès 1960, de nouveaux acteurs, comme le
Venezuela et le Nigeria, rejoignent le groupe des producteurs. Cette période coïncide avec un
boom de la production mondiale, boom rendu possible par les faibles coûts d'exploitation
(coûts du travail notamment) et qui s'est manifesté dans des prix très bas. La croissance
annuelle de la production s'élève à quelque 4% dans la période de 1950 à 1970, ce qui
représente une courbe de croissance exponentielle.
Le premier choc pétrolier (1973-1974) correspond à la guerre du Kippour, qui donne
l'occasion aux pays de l'OPEP (fondée en 1961) de concrétiser des objectifs stratégiques
(boycott de certains pays, augmentation forte et concertée des prix du brut, etc.).
L'augmentation des prix se poursuivra lors du second choc pétrolier (1979-1980) qui suit la
révolution islamiste en Iran et la guerre Iran-Irak, et lors duquel les prix augmentent encore
davantage. Depuis les années 70, de nouveaux gisements ont été exploités (Mer du Nord,
Alaska). Toutefois, cette exploitation se fait à un coût beaucoup plus élevé, et entraîne des
impacts écologiques énormes. Parallèlement, des pays fortement dépendants du pétrole
1
(Europe et plus encore le Japon) lancent des programmes de rationalisation de l'usage de
l'énergie, avec un succès certain1.
La période 1985-1998 correspond à des prix bas, permettant à de nouveaux acteurs d'entrer
dans le processus d'industrialisation (Brésil, Inde, Chine). Depuis 1998, les prix ont triplé. La
demande mondiale est devenue telle qu'elle est sur le point de dépasser l'offre. De nombreux
scientifiques s'accordent à dire que nous vivons actuellement la période du maximum de
production: l'offre mondiale est encore en mesure de satisfaire quasiment n'importe quelle
demande (formule 1, jet-ski, etc.) à un prix abordable. Toutefois, du fait que la demande
augmente sans cesse, du fait aussi que les réserves s'épuisent irrémédiablement2, on peut
s'attendre à voir des périodes de troubles liés à l'évolution à la hausse des prix du pétrole (voir
les mouvements de grèves en Europe d'une opinion désinformée des enjeux réels de la
dépendance de la société industrielle à l'égard du pétrole).
Les propriétés du pétrole en font une ressource unique et exceptionnelle. Sa qualité
énergétique est supérieure à celle du charbon. Contenant moins d'impuretés, c'est une
ressource moins polluante. En outre, il est relativement facile à extraire, il est transportable et
peut être stocké.
Le pétrole constitue une ressource énergétique de très haute qualité qui est à la source de
différents types de produits. Elle constitue avant tout le carburant "idéal" pour les moteurs à
explosion (technologie issue de la révolution thermo-industrielle et développée dans les
années 1880); le pétrole est à la base de différents types de carburants (kérosène, diesel,
essence, gasoil, mazout) qui permettent à l'homme de se mouvoir sur terre, sur mer et dans les
airs. Mais le pétrole permet également la fabrication des plastics (produits nouveaux), de
cosmétiques (origine végétale de ses molécules) et de nombreux produits synthétiques
(combinaison de molécules n'existant pas à l'état naturel sur notre planète).
Le pétrole est à l'origine de la plus grande industrie du monde (l'industrie pétrolière dont
dépend la civilisation de l'automobile), des plus grandes fortunes du monde (des individus
souvent partis de rien –processus similaire dans l'industrie informatique). Le pétrole est la
marchandise la plus échangée au monde (commerce international ↑). Le commerce du pétrole
nécessite les plus gros bateaux du monde construits dans d'immense chantiers navals (activités
industrielles ↑). Pour faire face aux risques d'accidents statistiquement inévitables avec de tels
masses, les compagnies pétrolières génèrent un marché important d'assurance et de
réassurance (activités de service ↑). En outre, en raison des rendements par hectare plus
élevés que les ressources minérales permettent, de nombreux produits pétroliers entrent dans
l'agriculture (agro-industrie et mécanisation de l'agriculture ↑).
Le pétrole est une ressource essentielle pour le maintien des forces armées modernes: les
chars, avions, porte-avions, et dans une moindre mesure les sous-marins nécessitent du
pétrole pour fonctionner. Les services informatiques dépendent également de l'industrie
pétrolière (notamment pour la fourniture d'électricité à bas prix dont ~30% provient de
combustibles fossiles, mais aussi pour la construction et la maintenance de l'infrastructure
1
2
L'efficacité énergétique augmente, mais cette évolution va de pair avec des modifications technologiques.
Au total, l'évolution technologique permet une accélération des activités industrielles, mais cette accélération
se fait au prix d'une croissance supplémentaire de l'entropie générée par le système économique industriel.
Distinguons les réserves, qui correspondent à des quantités disponibles avec la technologie actuelle et à un
coût du même ordre de grandeur que ceux du système actuel, des ressources, qui correspondent à de grandes
quantités de pétrole actuellement inaccessibles pour différentes raisons: la technologie n'est pas au point,
l'infrastructure nécessaire à l'exploitation (ports, pipelines, etc.) n'est pas disponible, les zones de sécurité
nécessaire à son établissement non plus (en raison du risque d'attentats terroristes, il convient de s'assurer le
soutien des gouvernements locaux, voire des guérillas – il faut donc compter avec le coût politique).
2
nécessaire –allant de la construction des chips à la mise en place des réseaux de fibres
optiques). Pour toutes ces raisons, le pétrole constitue une ressource stratégique. On le voit à
la place qu'a pris le Moyen-Orient dans la géopolitique mondiale dès la seconde moitié du
XXème siècle. Relevons deux aspects: d'une part, la dépendance de la société industrielle à
l'égard du pétrole a permis aux pays de cette région de s'enrichir considérablement; d'autre
part, la nécessité d'entretenir des rapports de dépendance mutuelle avec ces pays a entraîné
leur sur-militarisation.
L'enrichissement des pays du Golfe a eu des conséquences importantes pour le
développement mondial. Alors que ces pays voulaient prendre des participations dans les
entreprises européennes et américaines, ils se sont vu refuser l'accès à ces marchés; les
banques, à la recherche d'autres débouchés pour les pétrodollars, ont accordé d'importants
prêts au pays du sud, sans se préoccuper ni des garanties qu'offraient les débiteurs, ni de
l'affectation des fonds. Avec la pléthore de pétrodollars, l'argent était bon marché, les taux
d'intérêt étaient donc bas. Mais lorsque les pays industrialisés ont eux-mêmes cherché des
capitaux (par exemple les USA en pleine phase de militarisation), les taux sont montés et les
problèmes d'endettement chronique sont apparus.
La nécessité de ne pas dépendre unilatéralement des pays producteurs de pétrole s'est
manifestée dans les échanges de pétrole contre des armes: avec ce type d'échange, non
seulement on s'assure l'approvisionnement en pétrole, mais en outre, on rend les régimes
concernés dépendants de l'évolution de l'armement. Cette stratégie a conduit à la militarisation
du Moyen-Orient en quelques dizaines d'années. Cette évolution est sans précédent dans
l'histoire de l'humanité; même le réarmement de l'Allemagne entre les deux guerres mondiales
n'a pas été aussi massif et rapide. Ainsi, comme conséquence de la dépendance des pays
industrialisés envers le pétrole, les pays du Moyen-Orient sont devenus de puissantes
machines de guerre, et la région est devenu un pôle d'instabilité et de conflits potentiels.
Indépendamment de l'instabilité sociale qu'elle entraîne, la dépendance de la société
industrielle à l'égard du pétrole est soumise à deux limites: (1) en amont: stock limité d'input;
(2) en aval: l'output affecte les cycles naturels. Ainsi, les pollutions engagées par la
consommation des ressources minérales entraînent des impact durables sur l'environnement
dont les effets, cumulatifs, vont se manifester pendant longtemps3.
Après la période du pétrole abondant et bon marché, que va-t-il se passer ? L'extrapolation des
courbes actuelles est envisageables sur une période de 20 ans, mais si on prend un horizon de
100 ans (période extrêmement courte à l'échelle géologique, mais aussi à l'échelle humaine), il
est évident que les tendances actuelles ne peuvent être poursuivies. Non seulement les
réserves ne suffiront pas à alimenter la demande, mais les impacts environnementaux seront
tels qu'il mettront en danger les sociétés humaines (air irrespirable, climat en mutation
continue, etc.). Le mode de développement industriel n'est donc pas durable (les réserves
s'épuisent irrémédiablement) ni soutenable (les déchets produits dépassent les capacités
naturelle d'absorption).
3
Les émissions anthropiques de gaz carbonique se chiffrent en milliards de tonnes par an (même ordre de
grandeur que les quantité échangées naturellement), Les capacités d'absorption naturelles des émissions
anthropiques sont limitées: elles reposent à la fois sur une transformation physico-chimique du CO2 qui se
dissout dans l'eau de mer (mais la capacité d'assimilation par dissolution est moins bonne lorsque l'eau se
réchauffe), et sur les échanges bio-chimiques résultant de la photosynthèse du phytoplancton (cette "pompe
biologique" accélère son activité, mais elle est délicate; du fait qu'elle est dépendante de nombreux facteurs
eux mêmes perturbés par les activités humaines, on ne sait rien de son évolution future). En mesurant la
concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère, les scientifique constatent que près de 3 milliards de
tonnes s'accumulent chaque année dans l'atmosphère, renforçant, parmi d'autres effets, l'effet de serre
naturel.
3