Je ne cherche plus de travail

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Je ne cherche plus de travail
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Etre correspondante de presse locale.
Je vais écrire au fil de la plume car cette journée ne va pas s’éterniser. J’ai 53 ans
aujourd’hui. Pourtant ce moi qui a pris de l’âge est le même qu’avant. Il n’est pas
tout à fait le même ni tout à fait un autre. Il y a quelque chose de moi qui reste, qui
perdure, qui traverse le temps. Alors, comme je suis incapable de répondre
simplement à la question « Qu’est-ce que le moi et qu’est-ce que le temps ? », j’en
resterai là pour cette impression d’étrangeté à être et ne pas être tout à la fois.
Sanseverino dans une chanson écrit « On ne devrait pas mettre des miroirs » ; j’ai
53 ans dans les yeux des autres. Concrètement, ça ressemble à ça : « Au revoir,
Madame » alors que je me sens une enfant. Si chaque mot appartient à une classe et
a une fonction dans la phrase, je dirais pour ma part que je suis non pas sans classe,
mais déclassée et que je ne sais plus aujourd’hui (au sens large) quelle est ma
fonction. 53 ans, correspondante de presse locale, le titre est presque pompeux,
noble pour ceux qui ne connaissent pas la réalité de ce travail. Je ne me plains pas,
c’est déjà ça. J’ai exercé tous les métiers, comme beaucoup d’écrivains qui se
cherchent, eux ont trouvé. J’ai exercé disons de multiples métiers, pour lesquels
j’étais plus ou moins bien formée, apte, je vais les énumérer dans l’ordre, y compris
les petits boulots qui ont duré quelques jours, il se peut que j’en oublie : caissière
dans une boulangerie industrielle, femme de ménage dans des bureaux, stagiaire en
taille de pierre, baby-sitter, vendeuse en charcuterie, vendeuse de chaussures,
caissière dans un Félix Potin, agent des services hospitaliers, caissière-vendeuse à la
Samaritaine, formatrice pour adultes en difficulté d’insertion, documentaliste dans
une école des hôpitaux de Paris, documentaliste, puis iconographe, commerciale
dans une grande agence photo parisienne. À mon arrivée sur la région toulousaine :
auto-entrepreneuse en télémarketing, rédactrice dans un journal communal,
vendeuse de livres dans un cinéma, animatrice périscolaire et enfin correspondante
de presse locale. Parfois, surtout ces dernières années j’ai cumulé en même temps
plusieurs activités, sans compter les actions bénévoles : constitution d’une
bibliographie de romans policiers, interviews de personnalités locales (mais pas des
notables).
Si j’énumère mes formations je vais lasser, j’ai suivi plusieurs formations
diplômantes ou donnant droit à un certificat de stage au long de mon parcours
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professionnel, j’ai cumulé 2 maîtrises, une en sociologie, l’autre en sciences de
l’information et de la documentation à 7 ans d’intervalle, un master 2 en sciences
de l’éducation en 2013, un cap de projectionniste de film en 2011, un Bafa en 2009
une formation de formatrice en 1991 une formation à la création de site en 2001,
une formation à la taille de pierre en 1980. J’ai passé mon bac, après avoir
interrompu mes études durant plusieurs années, au Lycée Autogéré de Paris lors de
sa première année d’ouverture en 1982-83. Je l’ai eu du premier coup tout en
travaillant à temps plein comme agent des services hospitaliers à Saint-Cloud.
Les années d’études ont été des années heureuses, je travaillais à mi-temps, j’avais
souvent faim, mais plein d’amis. Après la maîtrise de sociologie, j’ai fait l’erreur de
vouloir arrêter mes études car je ne me croyais pas capable d’aller au-delà. Fille
d’ouvrier algérien et de mère française qui a un petit métier, je n’ai pas appris à
développer ma confiance en moi. Maintenant que mon fils a 13 ans, je voudrais
qu’il comprenne que la connaissance est ce que l’être humain doit atteindre. Le
métier importe peu, j’allais dire au contraire, libérer l’esprit dans un métier manuel
c’est garder sa force pour une intelligence plus humaine.
À trop travailler du chapeau on finit par ne plus savoir où on en est. Je pense que
mon cas n’est pas unique, je fais partie de la communauté humaine aujourd’hui – et
je crois que tout le monde est un peu perdu. C’est tant mieux, à avoir trop de
certitudes on finit par penser tous pareil, chercher, chercher ça vaut la peine. Mon
fils veut être ingénieur en robotique, mais avoir les mains dans le cambouis, manuel
et intellectuel – le must ! Avant mes études de sociologie je savais faire mille choses
de mes mains. J’ai réappris petit à petit, le métier d’animatrice pour enfants est
pour cela très formateur.
Je ne cherche plus de travail. Je cherche la vérité de mon être et le sens de ma vie.
Œuvrer avant de mourir, telle est la seule préoccupation qui me maintient. Il me
manque le rire, le rire partagé dans l’amitié, le groupe, l’ivresse, l’oubli. Les fêtes de
Noël vont arriver, la joie. Je me rends compte que mon texte est très triste. Avoir
53 ans aujourd’hui. Vers où diriger mes pas ? Parfois la politique me tente, le
militantisme, une émission à la radio, un reportage à la télé, la lecture d’un journal
et mon cœur bat, je veux en être, faire partie du monde, aller de l’avant, alors je lis,
alors j’écris. Mais il est 7h05 les autres vont se lever, mon compagnon et futur
mari, qui sait ? Et mon fils et mon devoir m’attend.
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