Dimi mint Abba, sa musique, son pays

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Dimi mint Abba, sa musique, son pays
Dimi mint Abba, sa musique, son pays
Jemila Sedena
En 1976, une jeune inconnue de 18 ans remporta le concours de Radio - Mauritanie, du
nom du pays tout aussi inconnu qu’elle représenta au Festival d’Oum Kelthoum à
Carthage la même année, carrefour de toutes les civilisations et de tous les âges. Elle a été
récompensée pour sa voix dont la force et la profondeur semble être une allégorie du
Désert. Dimi, c’est l’histoire du pays baigné dans la modernité sur fond de musique
superbe. Incarnation de la musique arabe mauritanienne, Dimi mint Abba s’est éteinte le 5
juin 2011, mais la voix de l’art demeurera à jamais.
« Quand les visions se brouillent, quand l’imagination s'épuise, quand l’aspiration
s’enlise dans le territoire de l’impossible, la chanson prend des ailes, et en toute ivresse, nage
dans le défilé des espoirs …en nous interpellant, tidinit à l’appui, si notre existence a,
réellement, un sens quand elle ne comprend pas la vocation et la compétence artistique ? »1
C’est avec ces majestueux vers d’Ahmedou Ould Abdel Ghader que s’est illuminée pour la
première fois l’étoile Dimi.
En 1958, elle naquit dans un campement de griots (iggawan) quelque part entre les
dunes du Tagant (région du centre). Cette caste avait, à l’origine, comme fonction sociale de
servir les guerriers pour chanter leurs louanges (et-theidin), conter leur histoire, et leur écrire
des poèmes. Les Iggawan, leur musique et leurs poèmes sont donc l’une des rares traces de
l’histoire de ce pays. A titre d’exemple, la musique traditionnelle mauritanienne suit un
mouvement ternaire appelé « noir » ( lakhal ), « teinté » ( zzraag) et « blanc » (labyad ) qui
n’est pas sans rappeler les composantes Arabe, Berbère et Noir de la société mauritanienne.
Accompagnée du Tidinit (luth masculin à 4 cordes) et de l’Ardin (harpe féminine à 12
cordes), c’est par la force de la transmission orale que la tradition musicale demeura des
siècles durant, faisant de Dimi l’héritière d’une grande lignée. Celle-ci commença avec le
formidable Sedoum ould Ndiartou dont le « diwan »2 est une clé de l’Histoire de notre pays.
1
2
Traduction approximative d’un extrait du poème d’Ahmedou ould Abdel Ghader Sawtu el venni
Diwan : Recueil de poèmes. Le plus connu des Mauritaniens est celui de Sedoum ould Ndiartou.
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Son petit fils, Sidati ould Abba composa au début des années 1960 la version instrumentale
de l’hymne national de la Mauritanie. Porte-voix de la naissante République dans un pays où
80% de la population était nomade ou rurale, il a su faire accepter l’entrée du pays dans la
« modernité » dans les campements les plus réticents. Jadis au bas de l’échelle sociale, c’est
pourtant ces griots qui ont écrit, chanté, dansé, loué, pleuré et perpétré l’histoire de la culture
mauritanienne.
Dans un pays dont l’indépendance même était tout aussi surprenante qu’une pluie du
mois de juin dans le désert, la composition ethnique de cette construction post-coloniale était
encore plus étrange. Peuplé d’Arabo-berbères et de Négro-africains, le pays devait obtenir un
soutien fraternel des pays d’Afrique de l’Ouest qui le considéraient arabe, et des pays du
monde Arabe qui le considéraient comme Noir. Dimi, à elle seule, obtiendra des frères Arabes
la reconnaissance du caractère arabe de la société car la poésie mauritanienne, c’est une
imagination sans limite qui permit de préserver un arabe classique aux mille et une allégories
célébrant la grandeur de la société.
Du Maroc à l’Iraq, en faisant un petit détour par l’Afrique du Sud, Dimi Mint Abba a
su faire entendre sa voix. Ses voix. Celle de l’indépendance qu’elle chanta (Ya Mouritan
alik Mbarek lastklal)… Celle des sans voix dont l’illustration parfaite résultait de son
impeccable réquisitoire contre l’Apartheid ( ya rabi lapartayd ta3tih 6yah mtin), une
imploration sacrée contre l’injustice, le racisme, l’intolérance et l’oppression.
Avec un immense talent, la voix de l’art, sut réunir autour de son chant la masse et
l’élite. Elle sut, aussi, couvrir avec le voile de la beauté ( Qoul limalhati dhati al khimari al
asouadi) la laideur de nos faubourgs et la misère de nos jours. Elle sut, encore, allier le sacré
et le profane, en chantant l’abreuvoir du prophète (Hodh nabi) au bord duquel se ressent la
forte envie d’entendre la mélodie qui coule, sensiblement, dans les veines (Muchtag al
hassan hag al hol). Enfin, la voix de l’art chanta l’amour, exaltant chez chaque mauritanien
ses sentiments les plus inavouées, dans une société où la pudeur est d’or.
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Quelques dates importantes
1977: Performance au Festival de la Jeunesse Arabe (Irak)
1978: Performance au Festival de Timgad (Algérie)
1986: Performance au Festival d’Agadir
1989: Tournée européenne
1990: Sortie de Moorish Music from Mauritania
1992: Sortie de Musique & chants de Mauritanie
1993: Tournée aux Etats-Unis
1996: Récompense à l’African-Arab Exhibition à Johannesbourg
1999: Récompense à l’African-Arab Exhibition à Dakar
2000: Performance au Festival Gnawa d’Essaouira
2002: Performance au Festival Gnawa d’Essaouira et au Festival des Musiques Sacrées de Fès
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