mezza voce zelmira à lyon

Transcription

mezza voce zelmira à lyon
Dell'uso della mezza voce: Rossini, Zelmira
(extrait de Musica Falsa N°8, avril/mai 1999, p.56 )
"Le père détrôné a dû se cacher, l'époux est parti guerroyer; les usurpateurs s'empressent,
maniant le feu, le fer et la calomnie: Zelmire prend donc en mains le sort de son pays et des siens. Seule;
vraiment seule car, accusée des crimes qu'elle a déjouées, acculée par un époux qu'angoisse le doute, elle
ne peut s'expliquer. L'héroïque fille, épouse, mère et princesse vaincra-t-elle l'adversité?"
Avec une très agréable pointe d'humour, c'est ainsi que le programme nous renseignait sur cette
banale intrigue héroïque dont était encore "friand" le public à l'époque de Rossini! Des sujets qui ont fait
les "beaux jours" de l'opéra séria, qui serait un exemple d'impérialisme culturel occidental? - se
questionne Geneviève Lièvre, l'infatigable "éminence grise" des beaux programmes lyonnais - (p. 10).
Mais oui! Zelmira, selon les conventions de l'époque (un final gai!), arrivera au bout de ses
adversités, "victorieuse"! Enfin, que de pères reconnaissants, que de fi-filles émues, que d'époux rassurés
au bout de l'écoute de cette leçon à la fois d'amour, d'intégrité et de ruse... Un concentré de "Dallas"
d'époque qui satisfait à une demande à laquelle en Italie on répondait par l'Opéra! L'inspirateur? Dormont
de Belloy qui écrivit une tragédie qu'Andrea Leone Tottola, librettiste, reprend, réduit et déforme sans
scrupules!
Le sujet sérieux reste dans le sillage de l'opéra seria, mais la facture musicale évolue nettement.
Rossini est en pleine effervescence musicale, et pour clore les sept ans de règne napolitain (la direction
musicale des théâtres royaux) qui ont vu la naissance de 10 oeuvres du compositeur, nous offre des
ensembles de plus en plus riches, des récitativi accompagnati de grande respiration, mais aussi des élans
mélodiques qui sonnent parfois étrangement dans son écriture.
On croit rêver tout de même lorsque l'on apprend que cette oeuvre était considérée de "facture
allemande"; peut-être à cause du "polissage" musical auquel il s'est adonné pour cette oeuvre d'adieux qui
voulait charmer un public international. Pensait-il peut-être au public germanique qui allait découvrir son
opéra en même temps qu'il savourait le "Freischütz", singspiel de K.M. von Weber...
Pour le Paris Match de l'époque, Zelmira est aussi l'opéra qui marque plusieurs évènements
importants dans la vie de Gioachino: il quitte Naples le 7 mars 1822 avec Isabella Colbran la célèbre
cantatrice avec laquelle il se marie le 16 mars et s'installe à Bologna, nouvelle ville d'adoption. Cette
dernière représentation se fera en présence des souverains (6 mars) qui viennent saluer le départ de la
"troupe" pour Vienne, où ce spectacle sera présenté ensuite avec succès. Domenico Barbaja, le célèbre
imprésario des théâtres royaux napolitains part aussi s'installer à Vienne.
Un "style" envoûtant...
Le "style Rossini" continue de fasciner un public de plus en plus stimulé aux découvertes et
revivals. Les qualités "rythmique et mélodique" de sa musique, en dépit d'une élaboration harmonique et
contrapuntique souvent "pauvre"1, atteignent facilement "les trippes" d'un public avide d'expériences
musicales sensuelles. Rossini est maître absolu en cela. Dans l'obscurité des théâtres, sa musique entraîne
les auditeurs dans une frénésie musicale qui déclanche les applaudissement, unique défouloir d'une "quête
1 Des caractéristiques plutôt généralisées dans le répertoire de l'opéra italien...
de mouvement", après tant de délire vocal auquel on assiste inertes et excités, tels des "voyeurs" cloués au
fauteuil...
L'écriture de Rossini marque en quelque sorte la fin d'une grande époque dite de "bel canto" à
laquelle appartient parmi d'autres le compositeur Haëndel. Comme pour ce dernier, l'écriture rossinienne
demande à la fois une grande virtuosité vocale et un sens très développé du legato et du cantabile,
complétés par une bonne déclamation, indispensable soutien des nombreux récitatifs qui constellent leurs
oeuvres... Ces éléments, à des "dosages" différents, accompagnent bien sûr l'histoire de l'opéra occidental,
mais chez ces compositeurs ils trouvent un "équilibre" formateur dans l'expérience vocale d'un chanteur.
Haëndel et Rossini, deux compositeurts majeurs, représentants d'un style qui devrait être maîtrisé
par tout jeune chanteur, car cette écriture vocale est la seule qui peut prouver des "vraies" capacités
techniques d'un chanteur. Le répertoire du XIXème cherchera plutôt les "gosiers" exceptionnels qui
peuvent supporter une écriture de plus en plus lourde. La couleur vocale singulière et la puissance seront
de plus en plus recherchées. Naîtront alors des termes comme "soprano drammatico di agilità", "lirico
spinto", etc..., des classifications terribles qui cachent le massacre qu'ont subi des voix magnifiques, mais
peu résistantes2...
Le belcanto rossinien possède le secret de la santé et de la longévité de l'appareil vocal. Il contient
les ingrédients d'une succulente recette qui permet l'acquisition d'une bonne technique vocale. La mezza
voce (chanter à mi-voix!) en est l'élément de base. C'est elle qui permet de mémoriser une place vocale
très riche: celle qui guide le "suono filato", celle qui permet un parfait legato, une diction claire, une place
confortable pour les vocalises rapides. En effet, toutes les parties virtuoses de l'écriture Rossini que de
nombreux chanteurs refusent d'aborder, prétextant une voix lourde ou trop dramatique , doivent
s'exécuter à partir de la mezza voce, faute de quoi elles deviennent inutilement "fatiguantes" et de plus
imprécises. La "clarté" et la précision d'une "vocalise", l'agilité et la souplesse de son articulation
imposent le volume vocal de la mezza voce.
Et lorsque cette mezza voce était utilisée, les interprètes de Zelmira étaient "sauvés": dans le trio
"Oh grato momento"; dans le duo Ilo Zelmira (A che quei tronchi accenti); mais aussi dans le "tutti"
typique: "La sorpresa, lo stupore". Le reste du temps on naviguait dans l'à peu près...
La "Colbran" de cette production était Mariella Devia (Zelmira), chanteuse que j'admire; connue
pour sa voix "douce", parfaitement maîtrisée techniquement, pour son sens rythmique, pour son phrasé
raffiné, pour ses variations... Ses mezza voce sont aussi très célèbres. Mais ils n'étaient pas toujours au
rendez-vous. Le jour où je l'ai entendue à Lyon, elle "souffrait" d'une voix qu'elle grossissait souvent,
surtout au début de l'ouvrage. Un rôle trop grave?
La récente fréquentation d'un répertoire plus lourd (entre autre ses récentes Traviata) mettent
probablement en danger ses moyens techniques exceptionnels. Heureusement l'écriture rossinienne était
là pour l'aider dans les moments difficiles: son aigu et suraigu éblouissants, faciles, "naturels", ont
souvent replacé le médium grâce à la mezza voce dont elle sait se servir. Les nuances "piano" qu'exige
l'écriture vocale rossinienne allaient aussi dans le même sens, et faisaient jaillir une voix légèrement
retenue qui s'épanouissait dans la souplesse.
2 On pourrait énumérer les nombreux chanteurs qui ont bien chanté non pas grâce à une bonne technique vocale, mais à une voix à toute
épreuve. Parmi les sopranos, Gwinet Jones par exemple, ou la plus récente Maria Guleghina (somptueuse Lady Macbeth de Verdi à l'Opéra
Bastille!), en sont un exemple. Les courtes carrières de nombreux autres chanteurs qui ont tenté le même chemin, sont là pour confirmer la
règle!
Ce n'était pas le cas des deux ténors de cette même production, qui ont montré combien nous
manquons d'artistes capables d'assumer pleinement et/ou "longuement"3 ce type de rôles. Chez eux on
sentait l'impossible cohabitation entre deux types de ténor qui sont désormais représentés mythiquement
par Adolphe Nourrit et Gilbert Duprez. Le premier, qui possédait la technique adéquate au style Rossini,
s'était pourtant suicidé, paraît -il, pour l'incapacité à acquérir une technique convenable de l'ut de poitrine
que son rival Duprez avait acquise en Italie: un artifice qui tient plus de la "prouesse vocale" que d'une
véritable technique de chant! Paul Austin Kelly (Ilo), pas assez "Nourrit", et Charles Workman
(Antenore), qui est plutôt dans le "chemin Duprez", caricaturaient les deux ténors "historiques". Mais
cette fois-ci pas question de suicide, on préfère tuer les oreilles des auditeurs avertis, avec surtout une
tessure aigüe très mal controlée, et en général, avec une émission inadéquate avec cette écriture vocale.
Paul Austin Kelly a une charmante voix de tenore di grazia qu'il pousse au-delà de ses limites
(avec pourtant un émission de fausset facile, mais mal homogénéïsée), et tombe souvent dans une
caricature de la "copertura vocale".
Charles Workman malmenait son beau timbre et, comme son collègue, confondait souvent la
"voce in maschera" (voix dans le masque!) avec la voix dans le pif! Son italien de plus était souvent
alourdi par des prononciations heureusement de plus en plus désuètes: an(e)tico, pren(e)ce, rin(e)chiuda,
non(e)posso, ou ces inutiles "e" alourdissaient la musique de ces mots, mais aussi les nombreuses fautes
d'accent dans les récitatifs exécutés souvent à la va vite. Enfin l'hybride Nourrit/Duprez n'est vraiment pas
né! Impossibilité ou incapacité?
Sonia Ganassi (Emma), mezzo soprano italienne au timbre riche et chaud, connaît toutes les ruses
des cantatrices de bel canto, et séduit le public, particulièrement dans son air (Ciel pietoso) ou tous les
"effets" sont au rendez-vous, à la limite d'un "mauvais goût" jamais franchi.
Une mention particulière pour les choeurs (dont le choeur féminin magnifiquement chanté au
début du 2nd acte), mais aussi pour des second rôles plutôt bien servis: la basse René Schirrer dans
Leucippo et l'italien Lorenzo Regazzo qui avec un timbre émouvant accompagnait le personnage de
Polidoro.
La production, "proprette"(de 1995), était bien conçue pour un public italien (!), surtout celui de
Pesaro qui n'aime pas trop les "innovations"; mis à part le "cocorico" des versions Urtext, à la mode
même dans le répertoire Rossini, et qui sont les bienvenues lorsqu'elles sont au service d'un esprit ouvert:
qu'il soit musicologue ou "chef" de toute sorte... Dans un décor "à la Pizzi" d'une blancheur chantilly
digne des plus belles pièces montées, les chanteurs voltigent, sans véritable direction d'acteurs, tout en
essayant de faire avancer une action dramatique affaiblie par le livret de Tottola. En haut de cette pièce
montée aurait pu trôner l'enfant de Zelmira qui portait une couronne tout fraîchement volée à une galette
des rois d'époque. La direction "senza infamia e senza lode" du chef routinier qu'est Maurizio Benini ne
dérangeait pas trop les chanteurs, mais ne les aidait pas non plus à s'épanouir. L'orchestre sonnait précis,
mais avec peu de souplesse. Benino 4 insomma , pas plus!
La réaction du public lyonnais m'a fait penser au public viennois...de l'époque de Rossini qui
avait bien accueilli l'oeuvre. Les applaudissements, excessifs surtout pour les deux ténors, faisaient
sûrement honneur à une musique qui est faite pour susciter l'enthousiasme, coûte que coûte!
Paolo Zedda
3Il parait qu'il y a quelques années ces deux ténors affichaient de bonnes performances dans ce même répertoire vocal, notamment à Pesaro?
4 "à peu près bien, en somme"...!