Télécharger la biographie de Claude Nobs

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La musique pour moteur : la carrière de Claude Nobs, directeur du Festival.
Ce garçon n’était pas fait pour devenir boulanger, ça ne fait aucun doute. Se lever aux aurores
n’était pas son fort et il n’était pas un écolier particulièrement zélé. Ainsi, peu après son 17ème
anniversaire, Henri Nobs, père de Claude et boulanger expérimenté gérant son propre commerce,
lui posa un ultimatum : soit il choisissait un apprentissage, soit il quittait le domicile familial.
Désarmé, Claude Nobs se décida pour une place de cuisinier.
Le Buffet de la gare de Spiez ne présentant aucun défi culinairement parlant, le Vaudois opta pour
le célèbre restaurant de l’Hôtel Schweizerhof à Bâle, où il se familiarisa avec la maîtrise parfaite des
ustensiles de cuisine. De plus, bien qu’ayant grandi entre une mère zurichoise et un père bernois, il
avait grand besoin de rafraîchir son suisse allemand.
Tous les soirs en rentrant du travail, il prit l’habitude d’écouter l’émission de radio : « Pour ceux qui
aiment le jazz » sur Europe 1. Les commentaires des animateurs Frank Tenot et Daniel Filipacchi à
propos du Blues, du Jazz et du Rhythm & Blues furent pour Claude Nobs une véritable école de
musique. C’est d’ailleurs par cette émission qu’il apprit à mieux connaître Ray Charles, John
Coltrane ou encore Joe Turner.
Deux ans et demi plus tard, il termina son apprentissage et reçut la distinction de meilleur jeune
cuisinier de sa volée. Il commença ensuite à travailler au Centre des Congrès de Zurich où, entre
deux plats, il se faufilait dans les coulisses de la salle de concert encore vêtu de son tablier. De là,
son oreille indiscrète écoutait Duke Ellington, Count Basie ou Ella Fitzgerald, ces artistes géniaux
qu’il avait découvert enfant grâce aux disques que son père achetait au kilo. A six ans déjà, il
attribuait des étoiles à ses vinyles préférés et les albums de jazz se révélaient sans conteste les
plus étoilés.
A vingt ans, ses économies en poche, Claude Nobs regagna la Suisse romande et commença une
formation à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Désireux d’approfondir ses connaissances dans la
finance, il travailla ensuite dans une banque et durant son temps libre s’investit dans la création de
la section locale des scouts.
Raymond Jaussi, à l’époque directeur de l’Office du Tourisme de Montreux, remarqua ce jeune
homme travailleur et lui proposa un emploi dans le développement touristique. Claude Nobs se
décida pour l’agence de Paris mais revint peu de temps après à Montreux pour reprendre le poste
de comptable. Raymond Jaussi nourrissait cependant d’autres projets pour Claude Nobs, dont il
avait très tôt reconnu la capacité à s’imposer et l’esprit novateur. Fasciné qu’il était par un tout
nouveau média, la télévision, le mentor de Claude Nobs décida, en coopération avec le directeur
de la télévision suisse Marcel Besançon et le directeur des programmes Edmond Haas, de
produire la première retransmission d’une émission télévisée à l’échelle européenne. C’est ainsi
qu’en 1954, la « Fête des Narcisses » fut diffusée sur les écrans de télévision de huit pays. Et ce
n’était qu’un début : en 1961 se tint pour la première fois à Montreux la remise internationale des
prix du secteur audiovisuel, alors en plein essor, baptisée « Montreux Television Symposium and
Rose d’Or ». La cérémonie était conçue comme un véritable programme de divertissement et
Claude Nobs était évidemment présent, lui qui avait déjà organisé plusieurs concerts de blues très
réussis.
En 1964, Claude se rendit à l’aéroport au volant de sa vieille voiture pétaradante pour chercher les
artistes de la soirée qu’il organisait, des jeunes gars qui se faisaient appeler « The Rolling Stones »
et qui se produisaient, ce soir-là, pour la première fois hors de leur Angleterre natale. Cette soirée
de concerts, comptant avec la présence de Petula Clark, était coproduite avec ITV Network et
retransmise en direct. Peu de temps après, Claude Nobs quitta son poste de comptable pour se
consacrer pleinement aux différents événements organisés à Montreux.
En 1965, Claude prit l’avion pour la première fois dans le cadre d’une mission confiée par
Raymond Jaussi consistant à examiner de plus près l’hôtellerie de luxe de New York. Grâce aux
contacts qu’il avait noués lors de l’organisation des concerts de blues, il atterrit chez le musicien
Willie Dixon. Ce dernier l’accompagna dans les meilleurs clubs de jazz de la ville où le Suisse se
retrouva souvent le seul blanc parmi le public. Lors de ce séjour américain, Claude décida
spontanément de frapper à la porte de son label préféré, Atlantic Records. Il se présenta à la
réception et demanda à voir les frères Ertegun, dont il avait remarqué le nom sur les couvertures
des disques. La secrétaire lui fit comprendre que, sans rendez-vous, il n’avait aucune chance.
Cependant, Claude Nobs insista, arguant qu’il avait fait le voyage depuis la Suisse. L’argument
fonctionna puisque Neshui Ertegun accepta de le recevoir. « Grüezi ! », quelle surprise, l’Américain
d’origine turque salua en suisse allemand un Claude Nobs perplexe. En effet, Nesuhi Ertegun était
le fils d’un ambassadeur turc et sa famille avait vécu plusieurs années dans la capitale suisse. A
l’idée de créer un festival de jazz à Montreux, Ertegun se montra très enthousiaste et assura
Claude Nobs de son soutien. Ce moment décisif dans l’histoire du festival marquait également le
début d’une grande amitié.
En 1967, la première édition du Montreux Jazz Festival fut organisée avec un modeste budget de
tout juste 10'000 francs et des artistes tels que Charles Lloyd ou Keith Jarrett. Grâce à un
partenariat avec la radio suisse, les concerts furent enregistrés et la couverture médiatique
importante. Le Festival remporta un grand succès. En parallèle, Claude Nobs continua d’organiser
des concerts pour la Rose d’Or et d’autres événements à Montreux. A l’occasion de la cérémonie
télévisée de remise des prix de 1968, il fit même venir de Londres la comédie musicale « Hair »,
incluant les décors, acteurs et techniciens. La même année, Bill Evans enregistra pendant le
festival son album live qui reçut un Grammy et sur la couverture duquel figurait le Château de
Chillon. L’année suivante, Claude Nobs engagea pour la première fois un groupe de rock, « Ten
years after ». Cette ouverture musicale suscita instantanément l’ire des puristes. Lors de cette
édition 1969, Eddie Harris et Les McCann apportèrent pour ainsi dire une contribution musicale
au débat avec « Compared To What ». Cet enregistrement live, terminé en seulement six mois et
intitulé « Swiss Movements », fut l’album de jazz qui connut le plus grand succès commercial.
Rapidement, Claude Nobs se mit à organiser chaque mois des concerts avec des artistes tels que
Pink Floyd, Chicago ou Santana faisant ainsi de Montreux un haut lieu de la musique pop. En
1971, durant le concert de Frank Zappa, un fan survolté alluma un feu d’artifice qui mit le feu au
toit du Casino. Les spectateurs et les employés des cuisines du sous-sol purent être évacués de
justesse. Le Casino de Montreux, par contre, fut réduit en cendres et s’évapora dans un nuage
noir s’étendant lentement sur le lac. Quelques membres de Deep Purple, qui souhaitaient
enregistrer leur nouvel album à Montreux, faisaient partie des spectateurs. Le studio ayant
également été victime des flammes, les rockers prirent leurs quartiers dans le Grand Hôtel de
Territet. Inspirés par l’événement spectaculaire qu’ils venaient de vivre, ils composèrent « Smoke
on the Water », morceau dépeignant l’incendie dévastateur et « funky Claude » en pleine opération
de sauvetage. Un an plus tard, le morceau qui se hissa dans les hits parades du monde entier,
devint LE grand succès du rock.
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En 1973, Claude Nobs fut nommé directeur de la section suisse de WEA, regroupant les labels
Warner, Elektra et Atlantic. La même année, il fit la connaissance de Miles Davis au Newport Jazz
Festival et l’invita à Montreux. Au milieu des années 70, la diversité musicale demeurant la bête
noire de beaucoup de puristes, Claude Nobs décida de renommer le Festival, « Montreux
International Festival ». Mais le public continua à le désigner sous l’appellation « Montreux Jazz », le
terme jazz figura donc à nouveau sur l’affiche de 1978. Grand amateur de musique latinoaméricaine, Claude Nobs débuta une collaboration avec le Festival de Sao Paulo qui, grâce entre
autres à Gilberto Gil, amena la Bossa Nova et la Samba à Montreux. La musique brésilienne se fit
sa place au sein du Festival, qui devint rapidement une référence dans sa lointaine patrie.
S’ensuivirent d’innombrables collaborations avec des Festivals internationaux tels qu’Atlanta,
Détroit, Tokyo ou encore Monaco. En 1982, l’affiche du Montreux Jazz Festival fut créée par
l’artiste suisse Jean Tinguely, qui le dota ainsi par la même occasion de son logo. A sa suite, de
nombreux artistes renommés concevront les affiches de la manifestation : Keith Haring, Andy
Warhol, Niki de Saint-Phalle, Toni Ungerer, Julien Opie, John Armleder ou encore David Bowie et
Phil Collins.
A la fin des années 80, Claude Nobs rencontra le jeune Français Thierry Amsallem, tous deux
tombèrent amoureux et officialisèrent leur union vingt ans plus tard. Thierry Amsallem dirige
actuellement l’entreprise Montreux Sounds qui gère les archives du festival et qui, à travers un
projet de digitalisation initié en 2008, a pour objectif de mettre l’intégralité de ces archives à la
disposition des générations futures. En 1991, deux événements importants ont marqué l’histoire
du festival : la coproduction avec Quincy Jones et les premiers enregistrements de concerts en
haute définition, vingt ans avant que le format digital ne soit rendu accessible à tous. D’un point de
vue technologique le Festival a ainsi souvent fait figure de pionnier. En 2010, des concerts y ont
même été filmés pour la première fois en 3D.
Dans le courant des années 90, la manifestation devint de plus en plus populaire et battit, en 1999,
tous les records de fréquentation avec plus de 220'000 visiteurs. La même année, Claude Nobs
développa l’engagement pédagogique du Festival en fondant le Concours de piano solo,
rapidement reconnu au niveau international. Aujourd’hui, la « Fondation Montreux Jazz 2 »
perpétue cet esprit en organisant des ateliers et des concours de musique, pour promouvoir
l’échange culturel entre les artistes et le public et encourager les jeunes talents dans les premières
étapes de leurs carrières musicales. Après que le festival eut déménagé dans le nouveau Centre
des Congrès en 1993, des concerts furent à nouveau programmés au Casino entre 2001 et 2006.
A l’occasion des 40 ans du festival, Claude Nobs organisa deux concerts en hommage aux frères
Ertegun.
Durant sa carrière, Claude Nobs a reçu d’innombrables prix et distinctions, parmi lesquels
l’ « European Hero » du Time Magazine en 2004 et le titre académique de Docteur Honoris Causa
décerné par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne en 2006. Il a également été le premier
Européen à obtenir le « Downbeat Lifetime Award » pour sa contribution au développement et à la
reconnaissance du jazz. En 2007, il a reçu l’Ordre français de « Commandeur des Arts et des
Lettres ». Depuis qu’il s’est retiré des affaires courantes de la Warner suisse en 2001, il s’est
consacré uniquement au Festival. En 2010, il en a délégué la direction opérationnelle et s’occupe
désormais, depuis son chalet du Picotin, des projets et concerts spéciaux qui lui tiennent
particulièrement à cœur. Durant son temps libre, il aime profiter de la nature en compagnie de ses
bouviers bernois et cuisiner pour ses musiciens et amis. Ainsi, il est toujours parvenu avec
beaucoup d’aisance à associer les liens profonds qu’il entretient avec sa région natale à sa soif
d’activités et à un réseau international. Rien d’étonnant donc à ce que son sens de l’accueil soit
reconnu loin à la ronde. Tant qu’il pourra, année après année, accueillir à bras ouverts des invités
de tous horizons, gageons que Claude Nobs, amoureux, corps et âme de la musique, le fera.
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