Val-de-Travers mieux armé pour l`action concrète

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Val-de-Travers mieux armé pour l`action concrète
FUSIONS
Val-de-Travers mieux armé
pour l’action concrète
Les fusions de communes sont dans l’air du temps, pas du goût de tous, là refusées à une
majorité écrasante, acceptées ailleurs au terme de débats âpres. En contraste, Val-de-Travers (NE),
fusion de neuf communes concrétisée le 1er janvier 2009, livre, après trois ans d’existence,
l’image d’une dynamique très forte installée en douceur.
Neuchâtel a vu en 2011 deux nouvelles
fusions acceptées: Val-de-Ruz massivement plébiscité par 15 communes, et
Milvignes de justesse par trois. Ces deux
entités rejoignent Val-de-Travers, acceptée à une belle majorité le 24 février 2008
par neuf communes regroupant près de
11 000 habitants. Son exécutif se félicite
aujourd’hui d’un processus réussi. «Un
travail inouï accompli en peu de temps»,
appuie Claude-Alain Kleiner, en charge
de l’enseignement, de la culture, des
loisirs et des sports, et qui présidera
quelques mois encore «cette rencontre
heureuse des bonnes personnes au bon
endroit», ainsi qu’il qualifie le premier
exécutif professionnel du «Vallon».
La géographie, la sociologie
et les finances sont décisives
Oublié le contretemps de 2007, le projet
de fusion à onze rejeté aux Verrières et à
La Côte-aux-Fées. Jean-Nathanaël Karakash, à la tête du Dicastère de l’économie et des finances, le souligne: «Une
fusion doit correspondre à une réalité
géographique et sociologique» – une
étude a montré a posteriori des habitudes différentes chez les deux communes restées hors fusion, par ailleurs
en altitude à l’ouest du district. Pour
le reste, Val-de-Travers constitue un
espace cohérent, étroite plaine entre
deux plis de Jura boisés, se resserrant
à l’est et à l’ouest, avec huit villages
et bourgs charmants au milieu des
champs, plus, sur un relief à l’ouest, les
Bayards. «Mais des fusions refusées
ailleurs montrent que ces éléments ne
suffisent pas», ajoute le directeur des
finances, pointant cet autre ingrédient
propre à donner sens et consistance à
une fusion: une solidarité économique.
Avec les crises horlogères répétées, et à
Couvet la faillite de l’entreprise de mécanique Dubied en 1988, ou encore la
baisse des cours du bois, toutes les
communes du district ont rencontré des
problèmes financiers pesant sur l’entretien et le développement des infrastructures, ou le fonctionnement de certains services …
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Le Val-de-Travers, vrai «berceau naturel» pour une fusion, vue de l’ouest: au premier plan
Fleurier, puis Môtiers et Boveresse, à gauche, Couvet.
Photo: Jean-Luc Renck
Quand la voie des syndicats
intercommunaux atteint des limites
Pour remédier, des syndicats intercommunaux d’élus avaient été créés pour la
gestion des déchets ou de l’eau, la police, les pompiers, l’aide sociale. «Cette
voie peut s’avérer suffisante», commente Pierre-Alain Rumley, président
de Val-de-Travers entre 2010 et 2011, en
charge de l’urbanisme et du développement durable. Très favorable aux fusions communales, l’ancien directeur de
l’Office fédéral du développement territorial invite néanmoins à ne pas surestimer celles-ci: «Elles ne sont pas une nécessité si les syndicats fonctionnent.»
Mais dès lors que les syndicats tiennent
les investissements au plus bas à seule
fin de maintenir des taxes peu élevées,
que le personnel est insuffisant pour
mettre en œuvre leurs décisions, que
leurs débats publics sont désertés par
les citoyens, etc., il faut un autre souffle.
«L’aide sociale mobilisait sept ou huit
délégués pour des discussions interminables. Le service communal compétent fait aujourd’hui le tour des dossiers
en une heure hebdomadaire.» La ges-
tion de l’eau aussi, toujours plus complexe en raison des législations qui s’y
appliquent, a largement profité d’une
approche communale professionnalisée.
Le traitement des déchets aurait pu évoluer lui aussi en douceur, en concrétisant l’introduction de la taxe au poids
préparée par le syndicat intercommunal. Mais en raison d’engagements pris
tardivement par celui-ci, le nouvel exécutif a dû assumer début 2009 des choix
problématiques qu’il n’aurait pas faits.
«Bien des administrés ont cru la fusion
responsable des difficultés», regrette
Pierre-Alain Rumley. Val-de-Travers n’en
poursuit pas moins aujourd’hui son
expérience-pilote de taxation des déchets au poids, qui intéresse le reste
du canton, passé en janvier 2012 à la
taxation au sac.
Au cœur des villages, conserver
des écoles souvent en difficulté
Claude-Alain Kleiner a pour sa part conduit – autre première neuchâteloise –
l’introduction du concordat romand
HarmoS, visant à harmoniser la scolaCommune Suisse 5/12
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rité obligatoire. Professionnalisation là
encore: une direction unique a été mise
en place pour les onze niveaux prescrits. La fusion a permis une action d’ensemble. «Dans chaque village, les premiers niveaux au moins sont maintenus. Sans la fusion, trois ou quatre villages n’auraient pu conserver leur école,
élément de vie important.» Une même
vue élargie s’applique aux transports
scolaires.
Le poids nouveau apporté par la fusion
a contribué par ailleurs à obtenir la réouverture d’une classe de première année pour l’«antenne» à Fleurier du Lycée de Neuchâtel. Symbole fort pour
une région qui avait perdu par le passé
plusieurs écoles techniques et commerciales!
Dynamique et image nouvelles,
entreprises en confiance
Quand bien même une fusion ajoute
quelques coûts nouveaux à ceux qui
préexistaient, la réduction attendue des
charges est effective: «Nous économisons 2 millions de francs, sur un budget
de 50 par rapport à la situation antérieure», précise Jean-Nathanaël Karakash, «alors que les travaux publics ont
été améliorés pour plusieurs communes, et que les impôts ont baissé dans
toutes, sauf Fleurier.»
Un tissu fort d’industries locales est évidemment déterminant pour les finances publiques. Le secteur privé avait
soutenu la commune fusionnée, dont il
attendait de meilleures garanties au
plan des infrastructures. Un signe parmi
d’autres de cette confiance renouvelée:
l’ouverture à Couvet d’un centre d’apprentissage en polymécanique que les
quatre entreprises majeures du Vallon –
ses «Quatre Fleurons» – financent intégralement. Significative tout autant,
l’implantation annoncée d’une grande
marque horlogère à Couvet, sur les terres de l’ancienne Dubied: «Cette entre-
prise n’aurait pas choisi ce lieu avant la
fusion, Couvet seule n’avait plus les
moyens d’équipement», insiste JeanNathanaël Karakash.
Très attentive à entretenir cet élan, Valde-Travers joue des outils nouveaux et
de la réactivité que lui permettent un
territoire plus vaste et un nombre d’intervenants réduit. «Une grande entreprise installée à Môtiers doit s’étendre.
Le mieux serait qu’elle bénéficie de superficie sur son site actuel. Ce qui implique de relocaliser trois entités voisines:
la pisciculture cantonale, un abattoir et
une entreprise. Une administration
communale unique, mieux pourvue
pour acquérir des terrains, rend plus facile ce qui aurait été avant un sac de
nœuds engageant plusieurs communes
et entreprises, plus le canton.» Même
accélération dans les relations interrégionales: «On ne s’épuise plus à s’accorder entre conseils communaux, et
on a plus de temps pour l’action concrète avec les régions voisines de l’Arc
jurassien suisse et français.»
Quant aux rapports avec le canton,
«nous avons été d’emblée reconnus
comme une ville, dynamique, engagée
dans des projets pionniers à suivre», se
félicite Jean-Nathanaël Karakash. Qui
sourit à s’imaginer «dans un champ entre Môtiers et Boveresse, au … centreville»!
Entre commune et villages,
un équilibre vite trouvé
Pour sa part, Claude-Alain Kleiner, ancien citadin, voit les villages de Val-deTravers «comme des quartiers». Leur
beau lot d’architectures passées, les
ambiances champêtres préservées séduisent depuis longtemps – songeons à
Rousseau. Aujourd’hui, Val-de-Travers
les valorise comme un tout dans un développement touristique durable, en
partenariat avec des acteurs privés –
une démarche unifiée traduite notam-
ment par un titre journalier donnant accès à tous les transports (depuis Neuchâtel) et à l’éventail des animations locales. «La commune unique est aussi
mieux armée pour aider au développement des infrastructures touristiques»,
remarque Jacques Hainard, ancien conservateur des Musées d’ethnographie
de Neuchâtel et Genève, revenu dans
son Val-de-Travers natal – où il est conseiller général – avec «la curiosité de
l’ethnologue». Il commente ainsi d’expertise cet enjeu des fusions de communes: ne pas se heurter aux identités
villageoises d’avant. «Même avec les
nouvelles armoiries, celles des anciennes communes vivent par les 130 sociétés locales – fanfares, clubs sportifs … –,
ces dernières inchangées sauf à partager parfois de meilleures installations,
stands de tir par exemple. Et chaque village accueille à tour de rôle les séances
publiques du Conseil général.» Et aussi,
les services administratifs même centralisés délèguent un fonctionnaire à
domicile si nécessaire …
Bien sûr, les manifestations villageoises
d’avant demeurent, plus une communale «Fête de la Fusion» chaque 24 février, qui consacre une cuvée d’absinthe et un citoyen d’honneur – le premier a été Jacques-André Steudler, des
Bayards, ex-enseignant, écrivain savoureux, défenseur des traditions … et de la
fusion.
Les citoyens môtisans, covassons, fleurisans, etc., de Val-de-Travers ont juste
pris soin de rejeter à 75%, lors d’un référendum, le nom collectif que leur souhaitaient les autorités: ils ne seront ni
Valtraversins ni Vautraversins. Ce seul
élan d’humeur d’importance suite à la
fusion laisse à penser que celle-ci a,
pour le reste, convaincu …
Jean-Luc Renck
Informations: www.val-de-travers.ch
Les villages Travers, Môtiers et Boveresse (de gauche à droite) composent avec Buttes, Couvet, Fleurier, Les Bayards, Noiraigue et Saint-Sulpice la Commune de Val-de-Travers.
Photos: Roland Zumbühl
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