(2015). An introduction to the work of Florence
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(2015). An introduction to the work of Florence
Florence Jung [email protected] XXII Text Rosalie Schweiker Schweiker, R. (2015). An introduction to the work of Florence Jung. [Unpublished manuscript]. XXI Text Sophie Lapalu Lapalu, S. (2015). Jung36. Marges, 21, pp. 146-147. Paris: Presses universitaires de Vincennes. XX a/b Text Madeleine Amsler Amsler, M. (2015). Florence Jung, Jung41. In Twisting Crash. [Exhibition text]. Geneva: LeCommun, BAC. XIX a/b Text Séverine Fromaigeat Fromaigeat, S. (2015). L’art de Florence Jung est une énigme. In Stipendium Vordemberge-Gildewart. [Exhibition text]. Biel/Bienne: Centre Pasquart. XVIII Text Madeleine Amsler Amsler, M. (2015). Devine ce que je vois. Le Phare, 21, p. 6. XVII Text Alice Henkes Henkes, A. (2015). Kunst wie geschmiert. AC-Zeitung, p. 3. Bern: BKG. XVI Text Helen Hirsch Hirsch, H. (2015). Förderpreis: Florence Jung. In Jurybericht AC-Stipendium 2015. [Exhibition text]. Thun: Kunstmuseum. XV Text Sophie Lapalu Lapalu, S. (2015, March 6). À la recherche de Florence Jung. Le Quotidien de l’Art, pp. 10–11. XIV Text Isaline Vuille Vuille, I. (2015, March 5). Artiste sous couverture. Le Courrier, p. 12. XIII Text Juliette Zeller Zeller, J. (2015). Les court-circuits de Florence Jung. Article60, 3, pp. 12–14. XII Text Camille Paulhan Paulhan, C. (2015). Que l’on m’excuse de commencer ce texte sur l’exposition de Florence Jung à Circuit en évoquant un autre lieu d’art que je connais bien. Lausanne: Circuit. XI a/b Text Sophie Lapalu Lapalu, S. (2014). Je n’ai pas trouvé le féminin d’imposteur. Rien n’est vrai, tout est permis, pp. 3–4 and 16–17. Geneva: Piano Nobile. X Text Agnieszka Sosnowska Sosnowska, A. (2014). Zur Ausstellung Vanishing Point trägt Florence Jung mit der Performance jung34 bei. In Vanishing Point. [Exhibition text]. Basel: Ausstellungsraum Klingental. IX Text MAC/VAL Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. (2014). Florence Jung. In Que s’est-il passé ? [Exhibition text]. Vitry-sur-Seine: MAC/VAL. VIII Text Madeleine Amsler Amsler, M. (2013). Luky Luke tire plus vite que son ombre. In Staging Point II. [Exhibition text]. Geneva: Piano Nobile. VII a/b Text Anja Wernicke Wernicke, A. (2013, September 28). Performancepreis Schweiz 2013 – Florence Jung: jung24. Retrieved March 23, 2016, from http://performanceartaward.ch/inhalt/download/2013_FlorenceJung_AnjaWernicke_D.pdf [DE] http://performanceartaward.ch/inhalt/download/2013_FlorenceJung_AnjaWernicke_F.pdf [FR] VI a Text Gioia Dal Molin Dal Molin, G. (2013). Florence Jung fertigt keine bleibenden künstlerischen Werke, keine Skulpturen, keine Gemälde. [Unpublished typescript]. VI b Text Aoife Rosenmeyer Rosenmeyer, A. (2013). I don’t think I’ve ever experienced Florence Jung’s work. [Unpublished typescript]. V Text Andreas Vogel Vogel, A.(2013). Die Ausstellung Werk- und Atelierstipendien 2013 beginnt mit einer das Format sowohl kritisierenden. In Werk- und Atelierstipendien der Stadt Zürich. [Exhibition text]. Zurich: Kulturförderung der Stadt Zurich. IV Text Sébastien Gokalp Gokalp, S. (2013). La rumeur désinvolte. In 58e Salon de Montrouge, p. 129. Montrouge: Salon de Montrouge. III Florence Jung and Nicolas Leuba Jung, F. and Leuba, N. (2013). jung&leuba. Novembre Magazine, 7, pp. 179, 318, 336. II Text Daniel Morgenthaler Morgenthaler, D. (2012). Wenn jemand Ihre künstlerische Arbeit überschwänglich lobt, sollten Sie vorsichtig sein. In Nach dem Spiel is vor dem Spiel, p. 10. Zurich: Helmhaus. I Text Gioia Dal Molin Dal Molin, G. (2012). Florence Jung’s creative strategy is subtle and blurs the boundaries between work and viewers. In ZHdK master degree show, p. 14. Zurich: ZHdK. XXII XXI XX a/b XIX a/b XVIII XVII XVI XV XIV ARTICLE 60 – N°3 XIII FÉVRIER 2015 POSTER LES LES COURT-CIRCUITS COURT-CIRCUITS DE FLORENCE JUNG DE FLORENCE JUNG « Il a fallu une époque de profonde décadence de la vie sociale pour que l’art soit enfermé dans les cages des musées. Maintenant, il a pour champ d’action la vie entière », énonçait l’historien de l’art Nikolaï Taraboukine en 1922. Florence Jung l’a pris au pied de la lettre. Et de se «promener Il a fallu dans une époque de profonde de la vie le paysage artistique décadence pour le modifier de sociale pour que l’art soit enfermé dans un les terrorisme cages des l’intérieur, le pirater subtilement, effectuer musées. il aquasi-silencieux pour champ d’action la vie délicat, unMaintenant, détournement mais salvateur entière », énonçait de Florence l’art Nikolaï Taraboukine pour autant qu’on l’historien sache le voir. Jung est de ceux en Florenceles Jung l’a prisetau pied de la d’en lettre.garder Et de se qui1922. ont compris enjeux, ont décidé le promener dans le paysage pour le modifier de « jeu ». Jouer semble être unartistique trait fondamental de son tral’intérieur, le pirater vail : jouer et déjouer.subtilement, effectuer un terrorisme délicat, quasi-silencieux salvateur Avec un unedétournement réflexion riche et intelligente,mais l’artiste rend pour qu’on le voir. Florence Jung estgrattant de ceux ainsi autant à l’art ce qui sache lui appartient : de la légèreté, qui ont compris les enjeux, et ont décidé d’en garder le les couches de faux-semblants et de fausseté, les déta«chants jeu ». Jouer semble être unettrait fondamental son trapour les manipuler, ridiculiser le côtédeemplâtré vail et de déjouer. d’un: jouer monde l’art qui, à l’image d’un mur trop souvent Avec aune réflexion et intelligente, l’artiste rend repeint, perdu toute sariche simplicité et sa rugosité naturelle. ainsi à l’art qui luiinstitutionnels, appartient : de elle la légèreté, grattant Loin des ce carcans fait en sorte de les couchesledespectateur faux-semblants et de fausseté, les détaconfronter et les artistes à leur réalité et à chants pour les manipuler, ridiculiser le côté leurs propos, à leur identitéetconstruite selon des emplâtré schémas d’un monde de l’art qui, à l’image d’un mur tropdes souvent parfois sclérosés, pour faire ressortir le ridicule situarepeint, perdu toute simplicité et sa rugosité tions. Learésultat reste sa souvent confidentiel, voirenaturelle. invisible, Loinsont desceux carcans institutionnels, elle faitdeenl’existence sorte de et peu qui peuvent avoir conscience confronter spectateur etd’y les avoir artistes à leurderéalité et à même d’unelepièce à moins regardé plus près. leurs propos, à leur identitéde construite desun schémas Qui remarquera la présence fermièresselon portant discret parfois pourd’un fairemusée ressortir le ridicule parfumsclérosés, au vernissage jurassien des des arts,situad’un tions. Le àrésultat reste proposant souvent confidentiel, voire invisible, vendeur la sauvette des souvenirs estampillés et peu sont ceux quiles peuvent conscience de l’existence Monte Verita dans rues deavoir Locarno et Lugano ? même d’uneréalité pièce àest moins d’y avoir regardé de plusPhilip près. « Notre criblée de fuites », disait Qui remarquera la présence de fermières portant unen discret K. Dick, romancier américain, et Florence Jung proparfum vernissage d’un musée jurassien des arts, d’un fite pouraus’y immiscer et l’arranger. Elle met en place vendeur à la sauvette proposant des souvenirs des situations faussement habituelles, et ne estampillés révèle que Monte Verita les rues de et Lugano ? rarement ses dans impostures, ne Locarno donne pas de justification, « Notre pas, réalité est criblée de aux fuites », disait Philip n’explique laissant le visiteur prises avec sa perK. Dick,son romancier Florence proception, ressenti américain, et son vécu.etCar le but iciJung n’estenpas de fite pour s’y immiscer et l’arranger. Elle met propose en place: mettre l’accent sur la pièce, mais sur ce qu’elle des situations habituelles, et ne révèle que ses œuvres sontfaussement des pistes pour voir, et surtout pour perrarement impostures, donnemais pas de cevoir l’artses autrement. Ellene aiguille, ne justification, désigne pas, n’ explique laissant le visiteur auxles prises avec saetperprenant le pas, rôle de l’enfant qui agence situations fait ception, sonpersonnages, ressenti et sondont vécu. le but ici n’est de avancer les lesCar jouets n’ont pas àpas avoir mettre l’accent sur mécène, la pièce,tantôt mais sur ce qu’elle propose conscience. Tantôt metteur en scène, mais: ses œuvresà sont des pistes pour voir, surtout pour perrarement la « place de l’artiste », elleet détourne les rôles cevoir l’artde autrement. et les jeux pouvoir. Elle aiguille, mais ne désigne pas, prenant le rôle de l’enfant quiactrices agence les fait En demandant ainsi à des de situations séduire lesetvisiavancer dont les jouets n’ont pas à avoir teurs en les sonpersonnages, nom, leur susurrant des chansons d’amour, conscience. mécène, tantôt scène, mais ou une autreTantôt fois, dialoguant avecmetteur le publicend’un vernisrarement la « place de l’artiste », elle détourne rôles sage pour àtenter d’orienter leur jugement sur lesles œuvres et les jeux de pouvoir. En demandant ainsi à des actrices de séduire les visi- exposées, elle pointe le pouvoir contagieux du goût légitime et les rapports d’influence du jeu social qui entoure la célébration de l’art. En offrant un prix à chaque participant du salon de Montrouge, grâce aux fonds récoltés par la location de son propre stand, elle remet en question la exposées, elleprix, pointe le pouvoir contagieux du goût mais légivaleur de ces le bien-fondé de leur attribution, time les rapports d’influence du jeu social entoure aussi et le système concurrentiel lui-même, pris àqui contre-jeu. la célébration l’art. Enélément offrant un prix à les chaque particiComme unde tout petit grippant rouages mal pant salon de Montrouge, grâce aux fonds récoltéspour par huilésdudu système, elle engage parfois des acteurs la location de son propre ellepublic, remet des en question prendre physiquement la stand, place du curateursla; valeur de ces prix, le bien-fondé de leurplace, attribution, mais leur laisse même occuper sa propre puisqu’elle aussi le système lui-même, pris contre-jeu. demeure jusqu’àconcurrentiel présent invisible au sein deàses propres Comme un le tout petit élément les rouages mala œuvres. Pour Prix Suisse de lagrippant performance, qu’elle huilés du système, engage parfois des performeuse acteurs pour remporté, Florenceelle Jung demande à une prendre la place du public, freak quiphysiquement se plante des lames dans les jouesdes et curateurs des serin-; leur même occuper sa propre place,nepuisqu’elle gues laisse dans les bras, de se produire à sa place, révélant à demeure jusqu’àl’imposture présent invisible sein de ses propres aucun moment au jury.au Les mécanismes sont œuvres. Pour le continuent Prix Suissede detourner. la performance, qu’elle a mis à mal, mais remporté, Florence Jung demande à une performeuse Aucun imbroglio pourtant ici ; son travail est plutôt freak qui se plante des lamesretrouvée. dans les joues et des un symbole de la simplicité Ancrée desserindeux gues dans de se à sa place, ne révélant pieds dansles labras, réalité, elleproduire est ce genre d’artiste qui vousà aucun moment l’imposture au jury.jouer Les mécanismes sont fait comprendre que vous pouvez avec les convenmis à de mal, mais continuent tourner.de nouvelles règles. tions l’art et de la vie voiredeinventer Aucun imbroglio pourtant ici ; son Remettant en question les priorités, elle travail proposeestunplutôt open un de la simplicité retrouvée.auAncrée deux barsymbole aux visiteurs d’une exposition centredes d’art de pieds danssi,laetréalité, elle est ceassument genre d’artiste qui vous Neuchâtel seulement si, ils totalement leur fait comprendre que vous jouer avec les choix du social plutôt que pouvez de l’art en portant un conventampon tions de l’art et de voireOu inventer de elle nouvelles règles. bien distinctif surlalavie main. encore, kidnappe le Remettant enexposition question les priorités,pour elle propose open public d’une parisienne une nuitun improbar visiteurs d’uneLorraine, exposition au les centre d’art deà viséeaux dans la campagne pour confronter Neuchâtel si, et seulement si, ils assument totalementainsi leur l’esprit d’aventure qu’ils revendiquent, transformant choix du social en plutôt que de l’art ens’ils portant un tampon les spectateurs acteurs, comme vivaient à l’intébien sur la main. Car Ou Florence encore, elle kidnappe le rieur distinctif d’un énorme roman. Jung ne donne public exposition parisienne une nuit pas und’une contenu fictif à ses œuvres,pour son travail estimprojustevisée la campagne ment dans d’inventer la réalité.Lorraine, pour les confronter à l’esprit d’aventure revendiquent, transformant A la façon d’un qu’ils magicien qui dévoilerait les secretsainsi des les spectateurs en acteurs, s’ilsmais vivaient à l’inté-à tours les plus connus de sacomme profession seulement rieur d’unsauraient énorme vraiment roman. Car Florence Jung ne donne ceux qui regarder, Florence Jung utipas unrumeur, contenudes fictif à ses œuvres, son travaille est justelise la scénarios, des impostures, risque et ment d’inventer réalité. le bluff. Puisque la dans l’art l’on peut parfois avoir le sentiA laque façon qui dévoilerait les secrets des ment toutd’un a étémagicien fait et démontré, elle décide qu’il peut tours les plusdeconnus de sa mais seulement être l’heure démonter et profession de reconstruire. Par le secretà ceux sauraient vraiment regarder, Jung utiet unequi pointe de tricherie calculée, elleFlorence s’immisce dans le lise la rumeur, scénarios, des impostures, le risque et système de l’artdes et le re-programme. le bluff. dansetl’art l’on peut parfois avoir lede sentiBien Puisque que légères souvent drôles, certaines ses ment tout a été fait et démontré, elle décide qu’illepeut piècesque touchent néanmoins au sens politique : c’est cas être l’heureparodie de démonter et de reconstruire. Paroccidenle secret lorsqu’elle l’opportunisme des artistes et uneexposants pointe deàtricherie calculée, elle s’immisce dans le taux la Biennale de Shanghai, en engageant système de l’art et le re-programme. Bien que légères et souvent drôles, certaines de ses 17 de jeunes occidentales qui proposent au public de tester Opium, le parfum interdit en Chine, devenu ici un symbole ironique de la récupération d’une cause. C’est encore le cas lorsqu’elle donne à entendre des chants de femmes immigrées des Balkans dans les rues de Berne pour palde occidentales au lapublic de tester lierjeunes au silence habituel qui queproposent leur impose barrière de la Opium, le parfum en remettre Chine, devenu ici situation un symlangue. Ici encore, interdit il s’agit de la vie en bole ironique de le la récupération d’une cause. et d’en montrer ridicule, de mettre le doigtC’est sur encore ce qui le cas lorsqu’elle donne à entendre des chants de femmes pourrait être autrement. immigrées des Balkans dansparaître les ruespeu de Berne pour palSes œuvres pourraient accessibles car lier au silence discrètes. habituel que leursiimpose barrière de la radicalement Mais, ce n’estla effectivement langue. Ici encore, il s’agitqui deimporte, remettreimpossible la vie en situation pas l’esthétique formelle cepenet d’en montrer ces le ridicule, de mettre doigt sur cepur qui: dant d’aborder pièces sous l’angleledu concept pourrait êtreréside autrement. leur intérêt dans leur réalisation, leur confrontaSesavec œuvres pourraient paraître peu accessibles car tion la réalité. radicalement discrètes. si ce n’est effectivement Florence Jung inventeMais, ses propres règles pour corpas l’esthétique formelle importe, cepenrompre l’art et son travailqui constitue uneimpossible nouvelle concepdant d’aborderprenant ces pièces sous l’angle du concept d’un pur : tion artistique, la forme d’un court-circuit, leur intérêt leur réalisation, leur confrontabug qui ne réside détruitdans rien, mais nous procure la petite tion avec le la petit réalité. secousse, décrochage, le petit moment de dysfoncFlorence parfois Jung invente ses propres pour cortionnement nécessaire pour querègles nos cerveaux se rompre l’art et ce sonqui travail constitue une nouvelle réapproprient se déroule et remettent tousconceples élétion artistique, la forme d’un d’un ments, enfin, enprenant place dans l’ordre descourt-circuit, choses. bugL’exposition qui ne détruit rien, mais nous procure personnelle que lui offre Circuitlaà petite partir secousse, le petit le petit moment dysfoncdu 14 février seradécrochage, encore une fois l’occasion de de s’immerger tionnement nécessaire pour que cerveaux se dans l’une deparfois ces situations imaginées parnos Florence Jung, réapproprient ce qui se déroule et remettent les diséléoù il faudra saisir et décoder les indices laisséstous à notre ments, place dans l’ordre positionenfin, pouren la compréhension dedes sonchoses. univers qui n’est, L’exposition lui offre Circuit à partir finalement, rienpersonnelle d’autre que que le nôtre. du 14 février sera encore une fois l’occasion de s’immerger dans l’une de ces situations imaginées par Florence Jung, JULIETTE ZELLER où il faudra saisir et décoder les indices laissés à notre disposition pour la compréhension de son univers qui n’est, finalement, rien d’autre que le nôtre. JULIETTE ZELLER XII Que l’on m’excuse de commencer ce texte sur l’exposition de Florence Jung à Circuit en évoquant un autre lieu d’art que je connais bien : il s’agit de l’espace Louis Vuitton, confortablement installé au dernier étage de l’immeuble qui accueille une des enseignes de la boutique de luxe sur les Champs-Élysées. À chacune de mes visites, l’hôte ou l’hôtesse qui m’escortait vers la sortie au sein de l’ascenseur confiné d’Olafur Eliasson se voyait systématiquement opposer une réponse négative à la question obligatoire « Voulez-vous ressortir par la boutique ? ». Donc, je ressortais toujours par l’entrée de l’espace d’art, comme si de rien n’était, et comme si les étalages de sacs et autres bibelots griffés, situés derrière la cloison, n’existaient pas. Je me vantais même n’avoir jamais mis le pied dans la boutique. Puis vint un jour où, pour une fois, je n’étais plus seule dans l’ascenseur. Deux visiteurs s’étaient greffés au voyage, et trépignaient à l’idée de ressortir de l’exposition via la boutique après un séjour dans le noir de la cabine d’ascenseur. Comme j’étais de toute évidence en minorité — l’hôtesse me fit savoir qu’elle se devait de demeurer neutre — je dus me plier à ce souhait. Difficile de décrire ici l’intérieur de la fameuse boutique, mais me revint rapidement la première phrase d’Yves Michaud dans son essai L’art à l’état gazeux : « C’est fou ce que le monde est 2 beau »1. Je n’ai absolument aucun souvenir des sacs (alors même que c’était bien là le but), en revanche me revient une sensation confuse face à cet étalage de vitrines clinquantes, sourires cosmétiques et luminosité accrue par un abus certain des surfaces réfléchissantes. Comme cliché du genre, on n’aurait guère fait mieux, mais enfin, je n’invente rien. Mes attentes en termes de kitsch, d’absence de poussière et de monotonie ne furent pas contrariées, à ma grande déception. Sans doute, dans ma lutte pour trouver la sortie, ai-je croisé des sacs semblables à ceux que présente aujourd’hui Florence Jung au sein de Circuit, dans une immense structure tapageuse2. Il est également probable que ce jour-là, je ne me suis pas arrêtée pour les 1 Yves Michaud, L’art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, Paris, éd. Hachette, 2003, p. 7. 2 Certains visiteurs se diront peut-être qu’à défaut de voir des objets réalisés par Florence Jung dans l’exposition, la structure rouge vif a peut-être été patiemment dessinée et assemblée par elle. Las, l’artiste a encore une fois doucement échappé aux contraintes que sa condition « d’artiste » devrait lui imposer. Un designer, Lucas Uhlmann, a été dûment mandaté pour concevoir et réaliser le tout. 3 regarder, ne faisant pas plus la différence entre deux sacs Vuitton de modèles différents (et a fortiori entre un modèle Vuitton et sa copie contrefaçonnée) qu’entre deux mous de veau, l’un de bonne qualité, l’autre médiocre. Lorsque Florence Jung m’a contactée en prévision de cette exposition, elle a précisé : « Mes pièces ne se situent pas dans le domaine visuel ». En bonne historienne d’art, et habituée à utiliser mes yeux avant de brandir mon stylo, je me suis alors bêtement demandé dans quel domaine pouvait bien se situer son œuvre. Ce qui nous ramène aux mous de veau ou, si l’on préfère, aux sacs Vuitton. Je ne sais s’il se trouvera au cours de l’exposition des visiteurs suffisamment aguerris pour avoir envie d’observer de plus près les sacs exposés. J’espère en secret qu’au moins l’un d’entre eux aura l’envie de les scruter à l’aide d’une loupe (mais toujours derrière la vitrine, un rien autoritaire). Florence Jung avait toutefois raison de me prévenir : en effet, son travail n’a rien à voir avec le visuel. La contemplation est définitivement refoulée hors des murs. Je suis même à peu près sûre que rien ne viendra vraiment documenter cette exposition quelque 4 peu ostentatoire de sacs Vuitton, si ce n’est une forme de rumeur ou de bruissement discret. Le travail de Florence Jung me rappelle lointainement celui d’un artiste confidentiel, Günter Saree, qui en 1970 réserva un billet d’avion (en charter) pour le mot « idée » en direction de Majorque, fit enregistrer l’Océan Atlantique comme résident munichois et deux ans plus tard proposa d’anesthésier des visiteurs de la documenta 5 au risque de leur faire perdre la vie3. Mais les rumeurs non documentées de Florence Jung sont loin d’être tragiques comme celles de Saree, qui alla jusqu’à réussir à mythifier sa propre mort ; tout au plus sont-elles empreintes d’une ironie douce en regard de la brutalité des financements et des modes de légitimation de l’art contemporain. Comme paradigme d’une première exposition personnelle exemplaire de « jeune artiste », on pourrait difficilement dire que Florence Jung a dérogé à la règle, avec ses objets présentés dans un white cube comme dans un écrin. Mais elle l’a 3 Je renvoie à l’excellent article d’Irmeline Lebeer sur cet artiste rare, « Günter Saree : vivre sa mort », L’art vivant n° 54, décembre 1974 — janvier 1975. 5 légèrement détourné au point de retourner la proposition sur elle-même, image parfaite et glacée de ce qu’on attend de son stéréotype. Une dernière remarque en forme d’interrogation concernant le travail de Florence Jung, qui se développe au moment où la fondation Vuitton vient d’être inaugurée à côté de Paris dans un bâtiment tape-à-l’œil révélant les vitrines rouges de l’artiste comme une version low cost de l’enrobage décoratif. Florence Jung pourraitelle à l’avenir être collectionnée par la fondation Vuitton ? On pourrait répondre avec malice que le mécénat de luxe cherchant à tout prix à faire oublier son fond de commerce maroquinier par l’achat d’œuvres — une sorte de art washing permettant judicieusement de défiscaliser certains revenus — il serait bien en peine face à ces propositions. La parodie du mécénat d’art, dénoncé en son temps par Hans Haacke avec un certain moralisme, est ici plus dépassionnée. Vuitton rachetant des sacs Vuitton ? Délicieux paradoxe. Et pourquoi pas imaginer la marque, mue par un incohérent souci de transparence, décrochant de sa fondation ses Stella et ses Richter, pour leur substituer ce qu’elle sait et aime vendre avant tout ? 6 Il est bien évident que le « coefficient d’art » de Marcel Duchamp4 se situe ici moins dans le sac lui-même que dans les potentialités mises en branle par une telle exposition, bien impertinente en ces temps où le président d’un grand centre d’art parisien n’hésite pas à parler « d’art de la conversation » ou de « compagnonnage » avec les « marques »5. Alors, ce n’est plus pour reprendre les mots de Jules Verne, « Regarde de tous tes yeux, regarde », mais plutôt : « Use bien de ton cerveau ». Et jusqu’à la corde, encore. Camille Paulhan 4 Marcel Duchamp, « Le processus créatif », 1957, reproduit dans Duchamp du signe, Paris, éd. Flammarion, 1994, p. 189. 5 Jean de Loisy cité par Martine Robert, « L’art, nouvelle âme du luxe ? », Les Échos, 14 février 2014, et par Valérie Abrial, « Quand le Palais de Tokyo prend des allures de start-up », La Tribune, 20 juin 2014. 7 Camille Paulhan est historienne et critique d’art, elle vit et travaille entre Paris et Bayonne. Florence Jung Circuit, centre d’art contemporain, Lausanne Du 15 février au 14 mars 2015 XI a XI b X IX VIII VII a VII b VI a It’s all in the detail / Florence Jung [Unveröffentlicht] Florence Jung fertigt keine bleibenden künstlerischen Werke, keine Skulpturen, keine Gemälde, sondern sie arrangiert subtile, ephemere Interventionen im öffentlichen oder im halböffentlichen Raum. Hierfür braucht sie keine Wand und keinen Sockel, keine Farbe und keine Leinwand. Ihr künstlerisches Material sind vielmehr die orts- und kontextspezifischen Geschichten, die Gerüchte, Regeln oder Vorstellungen. Für die Ausstellung im Kunsthaus Baselland greift Florence Jung gezielt auf die mitunter ebenso konstruierten, wie identitätsstiftenden Animositäten zwischen den beiden Basler Kantonen und ihren Kunstinstitutionen zurück. Dem Gerücht folgend, das gekränkte Kunsthaus Baselland habe für It is all in the detail. gezielt mit der konkurrierenden Zürcher Hochschule der Künste zusammengespannt, weil ihm die Hochschule für Gestaltung und Kunst Basel die Zusammenarbeit verweigerte, will Florence Jung diese Verbitterung im wahrsten Sinne des Wortes wegwaschen. So instruiert sie eine Gruppe von Zürcher Jugendlichen, in nächtlichen Aktionen die Kunsthausfassade mit einer Mischung aus einem baselstädtischen und einem basellandschaftlichen Bier reinzuwaschen. Während Florence Jung für die eben beschriebene Arbeit jung21 bestimmte ortsspezifische Vorkommnisse fruchtbar macht, greift sie in anderen Aktionen gezielt die kunstsystemimmanenten Bedingungen auf. So instruiert sie für jung13 (2012) eine Schauspielerin, das Vernissage Publikum anlässlich der Diplomausstellung der Zürcher Kunsthochschule negativ beziehungsweise positiv zu beeinflussen; in jung17 (2012) bietet sie den Besucherinnen und Besuchern des Centre d’art de Neuchâtel an, durch das Verzichten auf den Ausstellungsbesuch freien Zugang zur Museumsbar zu erhalten. Die anlässlich einer Ausstellung im Zürcher Helmhaus durchgeführte Intervention jung18 (2012) verweist auf die Funktionsweisen und Blickregimes einer Ausstellungsinstitution. Die Sicherheitsangestellten seien, so wird informiert, in Detektiv- und Spionagetechniken ausgebildet; das (vermeintlich) beobachtete Ausstellungspublikum beobachtet nun seinerseits das Aufsichtspersonal. Aus kunsthistorischer Perspektive entziehen sich die unbetitelten, streng durchnummerierten Arbeiten einer eindeutigen Kategorisierung, sind mal Performances, mal Happenings. Florence Jung schafft mit ihrer künstlerischen Strategie eine präzise Versuchsanordnung, der tatsächliche Verlauf ist jedoch unvorhersehbar und gründet nicht nur auf dem Agieren der einzelnen Akteure, sondern auch auf der Einbindung des Publikums. In diesem Kontext ist das Wissen beziehungsweise das Nicht-Wissen der Betrachterin, des Betrachters ein entscheidender Faktor. Während manche Interventionen einer strikten Geheimhaltung unterliegen und gezielt auf die feine Verschiebung herkömmlicher Regeln oder Codes setzen, spielen andere Aktionen bewusst mit dem Aspekt der irreführenden Information oder greifen kursierende Gerüchte und Halbwahrheiten auf. Gemeinsam ist den Arbeiten, dass ihnen das Flüchtige, das Vergängliche anhaftet und sie undokumentiert bleiben. Ihre Nachhaltigkeit erfahren sie primär in der Weitererzählung: Das Darüber-Sprechen wird zum genuinen Bestandteil der Arbeit. Diese diskursive Form aktiviert die subjektive Ebene der Rezeption und befragt letztlich nicht nur den Werkstatus, sondern auch die Strukturen des Kunstsystems schlechthin. Gioia Dal Molin, 2013 VI b It’s all in the detail / Florence Jung [Unpublished] I don’t think I’ve ever experienced Florence Jung’s work. I may have, but I can’t be sure and I don’t want to be presumptuous. I cannot check the pictures – there aren’t any. But it seems likely that I was observed by the plainclothes security the artist had trained in surveillance in order to realise the work jung18 (2012) for the Helmhaus exhibition «Nach dem Spiel ist vor dem Spiel». Maybe one of the actors instructed to influence public opinion regarding Jung’s 2012 MFA degree exhibition positively or negatively – for the works jung13(1) and jung13(2) respectively – approached me and struck up a conversation. I probably thought they were being pushy and gauche, not versed in the aloof manner of the art professional. Had I been at another exhibition I could have been approached by a young woman who would have sung a love song quietly in my ear, for jung16 (2012). Had I gone to hear Jung’s talk about her work at the offspace Dienstgebäude I could have encountered an imposter, a serious Chinese woman adopting authorship of Jung’s work for jung19 (2013). «I created condescension, contempt and exasperation,» said the actress, in character, though not all interactions are negative – delight and laughter result too. Jung supplies her players with considered rules of interaction, but allows room for manoeuvre, so the engagement is very much of the moment and entirely ephemeral. Not only does Jung confound our expectations of perceptible (and ideally saleable) art objects, she even coopts her audience into the realisation of her work. There is an expectation of how an artist should act today too: frantic networking; painstaking documentation; selfpromotion whenever possible, but Jung declines that role, using these opportunities to propose alternative models. Jung’s gossamer work exists in the art world but resists being swallowed up too easily by the art market, it even resists being noted for the art record. Its currency is the intangible stuff of crossing glances, gut instinct and curiosity. And, in the work she proposes for the Kunsthaus Baselland, loyalty, rivalry and maybe even appeasement. jung21 is inspired by what Jung understands as enmity between the Kunsthaus Baselland and the art school in the neighbouring Canton of Basel City, which led to the Kunsthaus hosting this exhibition from a further flung art school. During the exhibition, teenagers from Zurich will visit in the night, in secret, and shoot a blend of two beers, i.e. «Warteck Pic» (from the Canton of Basel City) and «em Basler sy Bier» (from Basel-Landschaft) at the façade of the Kunsthaus with powerful water pistols. This attack of sorts should leave a lingering, bitter aroma. Could this acrid assault to visitors’ noses bring reconciliation between the neighbouring cantons? Aoife Rosenmeyer V IV III II I