Eloge de la Cacadémie

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Eloge de la Cacadémie
24/06/2015
Eloge (funèbre?) de la Sainte Cacadémie des Chiants
Editorial trouvé dans Çachihebdo, revue du XXIème siècle
En France, parmi nos glorieuses institutions scientifiques, issues d'une épopée millénaire, nous
avons la chance d'avoir la Cacadémie des Chiants. Rien qu'à l'évocation de ce nom, tous les
scientifiques, pourtant, ont les poils qui se dressent et les yeux qui se tournent vers le Ciel pour
implorer. Pitié, pas ça! Pas la suprême humiliation! Pas la Cacadémie des Sciences! "Je n'ai rien fait
de mauvais, ni bourde ni entourloupe! J'ai pas mérité ça!" N'est-ce pas ce qui nous guette tous, nous
les scientifiques, ce cauchemar vécu encore et encore? La terrible angoisse, pire que le cancer ou la
maladie d'Alzheimer: l'annonce d'être appelé, non pas dans le Royaume de Dieu, mais au Pinacle de la
Débâcle?
Alors que la Cacadémie est supposée être l'Accomplissement Ultime! Le Temple Sacré des
Sciences! L'Assemblée des Elus! En tout cas, pour respecter l'inexorable évolution des choses, il
faudrait dire maintenant la Cacadémie des Chiants et des Chiantes. Il y en effet maintenant, à notre
époque très éclairée, des Cacadémiciens et des Cacadémiciennes. Alors qu'il y a cent ans, la
Cacadémie n'a pas trouvé la nommée Marie Curie, pétasse même pas française, digne d'être admise en
son sein, elle accueille désormais, parité oblige, la première Bécassine venue; il n'est pas du tout
nécessaire qu'elle ait produit une découverte scientifique de premier plan; il suffit qu'elle ait fait
semblant de faire quelque chose, qu'elle ne pose pas de questions, qu'elle fasse ce qu'on lui demande,
qu'elle ne mette pas trop de maquillage, et voilà, le tour est joué. Les choses sont devenues vraiment
incroyables à notre époque bénie. Ainsi soit-il.
Et nous, peuple bienheureux, nous jouissons du bonheur de savoir qu'ils sont toujours là. Là
pour nous rassurer, là pour être auprès de nous, peut-être, le jour du Jugement Dernier? Car pour
l'instant, Dieu nous préserve, pas de fin du monde, et pas de Cacadémiciens pour nous aider non plus.
Mais est-ce leur rôle de servir ou même de servir la Science? N'est-ce pas trop demander alors qu'ils et
elles sont si occupés par la lourde tâche de se servir eux mêmes et elles mêmes, et leurs ouailles,
cousins, cousines, petits-neveux et tutti quanti, c'est sans fin ce que ces pauvres hères doivent faire
entre deux siestes et deux banquets.
On se demande comment ils et elles sont là, mais le fait est qu'ils et elles sont là, et que la
Cacadémie existe encore malgré la dépravation des moeurs. Alleluia. Mais que font les
Cacadémiciens et les Cacadémiciens? Il arrive, en effet, qu'ils et elles se rencontrent le mardi, paraîtil. Pour faire quoi? Le premier soin d'une Cacadémie, en tout cas, c'est de prendre soin d'elle-même. Il
s'agit en effet de délibérer longuement de la désignation des nouveaux membres et, dans le temps qui
reste, des promotions. Il y a en effet des Cacadémiciens débutants, des Cacadémiciens cacacochymes,
et des papas cacas et des cacas pas papas, des cacas gagas et des gagas pas cacas, des cacas pipis, etc..,
c'est très compliqué et incompréhensible aux scientifiques non élus.
Le deuxième soin de la Cacadémie, c'est encore de prendre soin d'elle-même, de se regarder, de
s'admirer, de se congratuler, de se peigner, de se coiffer, et aussi de toutes les autres ablutions, passons
ici sur les détails. Le troisième soin de la Cacadémie des Chiants, comme les autres Cacadémies qui
composent l'Institut dit de France, c'est encore de prendre soin d'elle-même. Défense de rire, il s'agit
en effet d'attribuer les prix de la Cacadémie, qui ont des montants exorbitants, qui peuvent s'élever
jusqu'à deux ou trois clopinettes, mais auxquels les Cacadémiciens tiennent beaucoup car c'est ainsi
qu'ils entretiennent, grâce à moult promesses et tours de magie, leurs clientèles de courtisans. En effet,
chaque Cacadémicien est un petit monarque, avec carrosse, valetailles, écuries, vacheries et ferme-la.
Tout ce petit monde ne pouvant être rémunéré, il faut bien distribuer indulgences et petites vanités
diverses qu'on s'arrache par force manoeuvres pas propres. Les Cacadémiciens, dans leur noble
appareil, accordent aussi beaucoup d'importance au protocole, non pas des expériences - cela fait bien
longtemps qu'ils n'en font plus -, mais aux règles de bienséance et de préséance. C'est un sujet grave,
car, sans cela, on pourrait confondre les membres de l'Institut avec des instituteurs et des institutrices.
Tout ceci est très important et pas du tout du temps perdu.
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La Cacadémie est, avant tout, (il ne faut pas le répéter car c'est un secret) une usine de
neutralisation. La recette est connue, pratiquée, et pervertie depuis le dix-neuvième siècle. Ceux que
les agents du développement industriel et financier ne musèlent pas par la contemplation du Saint
Nombril et la Gloire de Soi, ils les achètent avec deux trois dessous de table quelconques, pas la peine
de se fouler. Et quand on tombe sur un scientifique récalcitrant ou une garce sceptique de trottoir, on
essaie l'accident de vélo, la glissade dans le métro, ou, mieux encore, on s'arrange pour brandir ce
qu'ils croient être la menace suprême: qu'il ou elle ne soit jamais élu ou élue dans le Cénacle Divin, et
demeure dans leur université un clochard ou une clocharde que personne ne remarquera.
La Cacadémie, Lumière de la Ville, est vraiment un monde extraordinaire. C'est un monde qui
croit exister mais dont il faut faire l'éloge car, hélas, c'est à craindre, cette illusion n'intéresse plus
personne en dehors du petit personnel du Quai Conti. D'ailleurs, qui sont-ils ces gens? Quand ils ou
elles sont jeunes, les Cacadémiciens et les Cacadémiciennes s'intéressent à la science, tout de même,
espérons, au moins pour l'apparence. Même si, tout de même, le fric, la légion d'honneur et les tours
de couillon, c'est tout de même plus amusant; il faut jouer le jeu, et participer aux réunions où on prie
le dieu des Sciences, faire les signes de croix, et d'addition, soustraction et de division, et réciter à tuetête le quantique "Par Terre Notre Terre" et tout le bataclan de l'environnement. Mais attention, sans
jamais aller trop loin et surtout sans jamais prendre la moindre décision qui pourrait faire passer la
Cacadémie pour un repère de bitnicks écolos. En effet, cela pourrait nuire au prestige des groupes
d'influence, dont le total apparaît à la fin du mois sous forme de subsides, et pourrait laisser penser
que la Cacadémie pourrait servir à quelque chose. Cela pourrait en effet être dangereux. Moins on
parle de la Cacadémie, mieux ça vaut. Les Cacadémiciens prennent soin des saintes reliques de la
science, on ne sait pas trop quoi, en fait, mais il faut faire cela avec distinction et discrétion. Le
meilleur moyen pour arriver à ce résultat, c'est d'en faire le moins possible, ou, encore mieux, de ne
rien faire du tout.
Certes, dans un pays riche comme le nôtre, il est parfaitement normal d'avoir de telles
institutions facultatives de petits vieux et de petites vieilles qui inspirent le respect, enfin à ceux et à
celles qui se rappellent vaguement des temps anciens. Lavoisier, Lagrange, Laplace, et tout et tout,
quelle lignée! Mais bientôt ces noms ne seront plus cités dans les manuels, vu que ces gens ne savent
pas jouer au foot, et le bon peuple ne les connaîtra plus. Hélas, qu'en sera-t-il alors de la si précieuse
Cacadémie? Cela fait frémir. Plus de velours, plus de marbres, plus de gâtisme péremptoire? On rigole
pourtant bien quand on les voit, surtout ceux et celles qui se prennent au sérieux. Ce spectacle nous
manquerait.
Et les Saintes Assemblées, tout de même, quelle grâce et quelle bénédiction sur Terre! Il est bien
connu, en effet, que tout scientifique impotent, touché par les écrouelles et autres incapacités non
guérissables par le viagra, devient un génie dès qu'il pose son humble postérieur sur un des fauteuils
de la Cacadémie, et que les idées en sciences jaillissent des travées poussiéreuses du Quai Conti. C'est
le miracle chaque fois renouvelé, et que de découvertes formidables apparaissent ainsi à chacune
réunion de l'Auguste Assemblée, comme le chemin des toilettes ou le numéro de téléphone d'un
usurier, ou une nouvelle combine indécryptable pour torpiller un ami ou caser la carrière du ban ou de
l'arrière ban. Que d'activité créatrice pour le bien de l'humanité, particulièrement les coups tordus!
Et que de perspicacité pour personnifier le rôle de la Science dans la société de demain! Que
d'imagination! Les Cacadémiciens sont en effet des précurseurs, et ne méritent pas les injustes
railleries dont on les accable parfois cruellement. Les scientifiques du futur, en effet, seront créés sur
ce modèle: ils seront devenus grabataires, dociles, complètement inutiles et complètement inoffensifs,
ouf, enfin. Ce fut dur, surtout au début, avec Pythagore et Anaxagore, on a commencé avec des
coriaces, il a tout de même fallu plus de deux mille ans pour arriver à neutraliser la secte. Mais c'est
fait, et bien fait, complètement réussi. Pas un, pas une, ne la ramène plus. Avec des honneurs
illusoires, des médailles en chocolat, quelques petits fours et des épées de pacotille, on fait taire mieux
qu'avec le fouet, le Goulag ou Cayenne, le résultat est impressionnant! A méditer comme thème de la
prochaine Assemblée de la Cacadémie des Chiants: De la Science à la Potiche décorative: le destin
des étoiles.
Traduit du franglais par Frédéric Perrier, journaliste au Papier Toilette
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