Dictionnaire de l`histoire de France

Transcription

Dictionnaire de l`histoire de France
*Titre : *Dictionnaire de l'histoire de France / sous la direction de
Jean-François Sirinelli
*Éditeur : *Larousse (Paris)
*Date d'édition : *2006
*Contributeur : *Sirinelli, Jean-François (1949-....). Directeur de
publication
*Sujet : *France -- Histoire -- Dictionnaires
*Type : *monographie imprimée
*Langue : * Français
*Format : *1 vol. (1176 p.) : ill. en noir et en coul., couv. et
jaquette ill. en coul. ; 29 cm
*Format : *application/pdf
*Droits : *Droits : conditions spécifiques d'utilisation
*Identifiant : * ark:/12148/bpt6k12005115 </ark:/12148/bpt6k12005115>
*Identifiant : *ISBN 2035826349
*Source : *Larousse, 2012-129386
*Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40925123k
*Provenance : *bnf.fr
Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs.
En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique
par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux
de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %.
downloadModeText.vue.download 1 sur 975
downloadModeText.vue.download 2 sur 975
LISTE DES AUTEURS
et de leurs contributions à cet ouvrage
ADERHOLD (Carl) CFDT, CFTC,
dissuasion nucléaire, Juin, Marchais, Moch, Monnet, Rochet
(Waldeck), Touvier (procès), Zay
AGLAN (Alya) Belin, Charte du
travail, Défense de la France,
démarcation (ligne de), deuxième
division blindée, Dunkerque (bataille de), Frachon, FTP ou FTPF,
Gaillard, Gouin, GPRF, Jouhaux,
Lattre de Tassigny (de), Légion des
volontaires français contre le bol-
chevisme, Libération-Nord, Libération-Sud, Tessier
AGULHON (Maurice) Marianne,
RÉPUBLIQUE
ALEXANDRE-BIDON (Danièle) CHÂTEAU
ALLAL (Tewfik) ET BARNAY (Sylvie) francisque
ATLAN (Catherine) Abd el-Kader,
Agadir (crise d’), Alger (expédition d’), Algésiras (conférence d’),
Berlin (conférence de), Bugeaud,
bureaux arabes, Entente cordiale,
Fachoda
BARNAY (Sylvie) francisque,
goliards, héraldique, hérésie, indulgence, Louis d’Anjou, Louis Ier
le Pieux, Louis IV, Louis VI,
Louis VII, Louis VIII, loup, lys
(fleur de), monachisme, Mondeville, « Montjoie Saint-Denis ! »,
Mont-Saint-Michel, Nogaret,
Notre-Dame de Chartres, NotreDame de Paris, oriflamme, Paix
de Dieu, paroisse, Pierre l’Ermite,
René d’Anjou, Robert II, Rubrouck,
Sacré-Coeur (basilique du), SaintJacques (chemins de), saints (culte
des), sceau de majesté, Suger,
Urbain V, Vézelay, Yves (saint)
BARNEL (Christine) prostitution
BAURY (Roger) Bonneval Pacha,
Boulainvilliers, capitation, dérogeance, Gouberville, Grands Jours
d’Auvergne, NOBLESSE, noblesse de
cloche, réaction nobiliaire, SaintCyr, Saint-Simon (duc de)
1918, Chemin des Dames, Dardanelles, Grosse Bertha, GUERRE
MONDIALE (PREMIÈRE), Marne
(batailles de la), monuments aux
morts, mutineries de 1917, Onze
Novembre, poilu, Soldat inconnu,
Somme, tirailleurs sénégalais,
tranchées, union sacrée, Verdun,
Versailles (traité de)
BEAUNE (Colette) Moyen Âge,
NATION, ROI, sacre
BECKER (Annette) armistice de
BECKER (Colette) Zola
BELISSA (Marc) Aboukir (bataille
navale d’), Aboukir (bataille terrestre d’), Ami du peuple, Amiens
(paix d’), Arcole, Argenson (comte
de), Argenson (marquis d’), Bâle
(traités de), Campoformio, Constitutions consulaires et impériales,
Desaix, droit naturel, Famille
(pacte de), France (campagne de),
Friedland, frontières naturelles,
Grande Armée, Grouchy, Iéna, Indépendance américaine (guerre de
l’), Leclerc, Leipzig, Leoben, levée
en masse, Lunéville (traité de),
mamelouks, Monaco, Montbéliard,
Nice (comté de), paix perpétuelle
(projets de), Patrie en danger,
Pétion de Villeneuve, Pichegru,
Pillnitz (déclaration de), Plaine ou
Marais, prairial an III, Républiques
soeurs, Réveillon (affaire), Savoie,
Soissons (congrès de), Toulon
(siège de), Valmy, Varennes, Varsovie (grand-duché de), Volney,
Wagram, Wattignies
FRONDE, LOUIS XIII, LOUIS XIV,
Mazarin, Richelieu, Trente Ans
(guerre de), Utrecht (traités d’),
VERSAILLES (CHÂTEAU DE)
BELLU (Serge) Renault
BÉLY (Lucien) Ancien Régime,
BEN-AMOS (Avner) Panthéon
BERGOUNIOUX (Alain) socialisme
BERTON (Jean-Maurice) Action
catholique, Aumale (duc d’), aveu
et dénombrement, Bastiat, bénéfices ecclésiastiques, Berry (duchesse de), Broglie (duc de), Caulaincourt, Cavaignac (Godefroy),
Cavaignac (Louis Eugène), Chambord (comte de), Changarnier,
CIR, Code civil, Compagnie des
Indes, compagnies de commerce et
de navigation, comptoirs, Delcassé,
Delescluze, Diên Biên Phu, Dombasle, feu, FGDS, Floquet, gabelle,
Gamelin, Garnier, Gay-Lussac, Isly,
Jeunesse chrétienne, Joliot-Curie
(Irène et Frédéric), La Bourdonnais, La Chatolais, Lamoricière,
Lang Son, Ledru-Rollin, légitimisme, Lesseps, Marie de Bourgogne, Marshall (plan), matines
de Bruges, métropolitain, ministères, nucléaire (énergie), office,
opportunisme, orléanisme, pairs
(Chambre des), pairs de France,
Paris (traité de, 20 novembre
1815), Paris (traité de, 30 mai
1814), parlement provincial, parlements (exil des), Pereire (frères),
Phélypeaux, Premier ministre,
Presbourg (traité de), président de
la République, prêtres-ouvriers,
Prévost-Paradol, Rastadt (congrès
downloadModeText.vue.download 3 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
de), revanche (la), Rhin (Confédération du), Rif (guerre du), SaintArnaud, Sarrien, Saxe (Maréchal
de), Schneider, secrétaires d’État,
Tilsit (traités de), Tolentino (traité
de), Trocadero, Vienne (traité de)
BERTRAND (Anne) Montmartre
BONIN (Hubert) Banque de
France, Bourse, Citroën, Coeur
(Jacques)
BOSC (Yannick) Anciens (Conseil
des), Boissy d’Anglas, Cabarrus,
Cinq-Cents (Conseil des), Desmoulins, Dubois-Crancé, Maistre
(de), Merlin de Douai, Prieur,
Prieur-Duvernois, Tallien, Vergniaud
BOSSUAT (Gérard) européenne
(construction)
BOUCHERON (Patrick) baron,
bonnes villes, Calais (bourgeois
de), carnaval, CATHARES, communal (mouvement), confrérie, états
généraux, fabrique, France, franchises, Guillaume de Saint-Amour,
Huns, Sainte-Chapelle, villeneuves
et bastides
BOUCHET (Thomas) Albert
(l’Ouvrier), Arago, avril 1834, barricades, Barrot, Boulogne (affaire
de), Carrel, Enfantin, Fieschi
(attentat de), Garnier-Pagès,
Gavroche, Guizot, Juillet (colonne
de), Juillet 1830, juin 1832,
Lamarque, Louis-Philippe Ier, mai
1839, Mazas (prison), Molé, ordonnances de juillet 1830, Orléans
(duc d’), Pelletier (Madeleine),
Perier (Casimir), Pritchard (affaire),
Rambuteau, Raspail, Rémusat,
Seguin (Marc), Serre (lois), Vidocq
BOUTRY (Philippe) Affre, Angoulême (duc d’), anticléricalisme,
Bernadette Soubirous, Berryer,
CATHOLICISME, charbonnerie,
Charles X, CLERGÉ, Decazes (duc),
déchristianisation, Doctrinaires,
Dupanloup, ÉGLISE, Foucauld,
Jean-Marie-Baptiste Vianney, JUILLET (MONARCHIE DE), Lamennais,
Louis XVIII, Lourdes, Martignac,
Michelet, Montalembert, Mun,
Péguy, pèlerinage, Plombières (entrevue de), Polignac, Quinet, ralliement, Renan, RESTAURATION, Richelieu (duc de), romaine (question),
Sand, séparation des Églises et de
l’État (loi de), Thérèse de Lisieux,
Univers (l’), Veuillot, Villèle
BRIAN (Isabelle) catéchisme,
Chavatte, collège, Démia, Frères
des Écoles chrétiennes, Jean-Baptiste de La Salle, Thiers
BRUN (Christophe) académies
protestantes, Bonnot, Cassini
(famille), Chaptal, Conciergerie,
corvée royale, Décorations (affaire
des), Eau, Ems (dépêche d’), La
Pérouse, Luxembourg (palais du),
maîtresses du roi, montgolfière,
Necker, Oberkampf, Orry, Panamá
(scandale de), Perronet, physiocratie, Pilâtre de Rozier, poids et mesures, Pompadour, Ponts et Chaussées (école et administration des),
proto-industrie, Quesnay, révolution agricole, Rivarol, Saint-Gobain, Savary, Sèvres (manufacture
de), Silhouette, tabac, Temple (prison du), Terray, Trudaine, Tuileries
(palais des), Turgot, Vauban
BRUNEL (Françoise) montagnards, régicides, Septembre (massacre de), surveillance (comités
de), thermidor an II (journée du
9), thermidoriens, Tribunal révolutionnaire
BÜHRER-THIERRY (Gene-
viève) Aetius, Arbogast, Arles
(royaume d’), asile (droit d’), Bathilde, Boson, Caracalla (édit de),
Catalauniques (champs), chancelier, Clotaire Ier, Clovis II, comte,
Coulaines (assemblée de), duc,
Eudes, Flodoard, Geoffroi Ier Grisegonelle, Gondebaud, Grimoald,
Guillaume Ier le Pieux, Hincmar, Hughes le Grand, Lothaire,
Lothaire Ier, Quierzy (capitulaire
de), régale, Richard le Justicier,
Robert Ier, Roncevaux, Sigebert III,
Tertry, Thierry Ier, Vermandois
(maison de)
CABANES (Bruno) Assemblée du
10 juillet 1940, Baudin, Bazaine,
Belleville (programme de), Berthelot, Bidault, Cartel des gauches,
Cassin, CED, Conseil constitutionnel, Déat, Évian (accords d’),
février 1934 (journée du 6), Grenelle (protocole de), Haussmann,
Herriot, Lacordaire, Lavigerie, maisons closes, Marie et Barangé (lois),
Michelin, MRP, Orsini (attentat
d’), Pflimlin, Poincaré, Poujade
(mouvement), Rothschild (famille),
Sangnier, Schuman, Sétif (émeutes
de), Suez (expédition de), tripartisme, Troppmann (affaire), UDF,
Villermé, Viollet-le-Duc
CARON (François) CHEMIN DE FER
CARREZ (Maurice) anarchisme,
antiparlementarisme, Blanqui,
Brousse
CHADEAU (Emmanuel) Blériot,
Fresnel, Matignon (accords), planification, reconstruction
CHALLAMEL (Laurence) francoallemand (traité), Painlevé, Sarre
(question de la)
CHANET (Jean-François) alphabétisation, baccalauréat, Bert, Buisson, Duruy, ÉCOLE, écoles normales
d’instituteurs, Falloux (loi), Ferry,
instituteurs, laïcité, universités
CHARANSONNET (Alexis) Chambre
des comptes, Courtrai, Délicieux,
domaine carolingien, domaine
royal
COUDART (Laurence) accapareurs,
Allarde (loi d’), Ampère, Antraigues, août 1792 (journée du 10),
arbre de la Liberté, arc de triomphe
de l’Étoile, aristocrate, Armée
révolutionnaire, Armoire de fer,
assemblée des notables, assignats,
Augereau, Babeuf, babouvisme,
Bailly, Barbaroux, Barnave, Bastille, Batz (baron de), Beauharnais,
Billaud-Varenne, Blocus continental, Bonaparte (famille), Bonaparte
(Jérôme), Bonaparte (Joseph),
Bonaparte (Louis), Bonaparte (Lucien), Brissot de Warville, brumaire
an VIII (coup d’État des 18 et 19),
Brune, Brunswick (manifeste de),
Cabinet noir, Ça ira !, calendrier
républicain, Carmagnole, Carrier,
catéchisme impérial, Cazalès, CentJours, Champ-de-Mars (fusillade
du), Châteauvieux (affaire des
downloadModeText.vue.download 4 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
suisses de), chauffeurs, Chevaliers
du poignard (conspiration des),
Club monarchique, comité autrichien, Commune de Paris, Comtat
Venaissin, Condé (prince de), Corday, Courrier de Lyon (affaire du),
Couthon, Damiens (attentat de),
Daunou, David, Drouet, Ducos,
Dumouriez, Duport, Égaux (conjuration des), émigrés, Enghien (duc
d’), états généraux de 1789, Être
suprême, Eylau, Fabre d’Églantine,
Favras (conspiration de), fédéralisme, Fédération (fête de la), fermiers généraux (mur des), Fesch,
fêtes révolutionnaires, feuillants
(Club des), Fleurus (bataille de,
26 juin 1794), floréal an VI (coup
d’état du 22), Fontainebleau
(adieux de), Fontanes, Fouché,
Fouquier-Tinville, Frotté (comte
de), fructidor an V (coup d’État
du 18), Garde impériale, Garde
nationale, Gazette de France,
gazettes, germinal an III, Glacière
(massacre de la), Grande Peur,
Grégoire (abbé), Grenelle (affaire
du camp de), grognard, guillotine, Hanriot (François), Hébert,
incroyables, muscadins et merveilleuses, indulgents, Jalès (camp de),
Jéhu ou Jésus (Compagnies de),
Jemmapes, Jeu de paume (serment
du), Joséphine, Journal de Paris,
Journal de Trévoux, Journal des
débats, juin 1792, La Fayette, Law,
Le Chapelier (loi), livre (monnaie
de compte), livret ouvrier, Lyon
(conspiration de), Lyon (siège de),
mai-juin 1793, Malet, Marseillaise
(la), martyrs de la Liberté (culte
des), Maury, maximum (décrets
et loi du), Mercure de France,
Midi (conspiration du), monarchiens, Moniteur universel (le),
Montlosier, Nantes (noyades de),
otages (loi des), Panckouche, Père
Duchêne, Renaudot (Théophraste),
Révolutions de Paris, Soleil (compagnies du), Terreur blanche,
Théot (affaire Catherine), Toulouse
(comté de), tour de France, Touraine, tournoi, tournois, Tournon
(François de), Tourville, Toussaint
Louverture, Trafalgar (bataille de),
traite des Noirs, traites, Transnonain (massacre de la rue), Trappe
(la), Treilhard, Trente (combat
des), Tronchet, Turin (Comité de),
Vadier, veto royal (droit de)
COUTY (Daniel) Astérix, Bayeux
(tapisserie de), Chateaubriand,
Comédie-Française, Figaro (le),
Hexagone, préciosité, Staël (Mme
de), Tour de France, Tour de
France par deux enfants (le), tour
Eiffel
CROIX (Alain) Artagnan (d’),
Bretagne, cidre, crises démographiques, missions intérieures,
MORT, Papier timbré (révolte du),
peur, révoltes populaires, Siam
(ambassadeurs du)
CROUZET (Denis) Calvin, Catherine de Médicis, Charles IX, Guise
(Henri Ier de), Henri III, HENRI IV,
Ligue, Nantes (édit de), Réforme
(la), RELIGION (GUERRES DE), SaintBarthélemy, Sully
DARMON (Pierre) Charcot,
Schweitzer
DE BAECQUE (Antoine) académies
provinciales, droits de l’homme et
du citoyen (Déclaration des)
DEFLOU (Noëlle) antrustions,
Benoît d’Aniane, Clodomir, Ébroïn,
Germain (saint), ost, plaid, Tolbiac
DELON (Michel) Alembert (d’),
Beaumarchais, Diderot, Encyclopédie, Jaucourt, La Mettrie, libre-pensée, LUMIÈRES, Mably, Rétif de La
Bretonne, Rousseau, Sade
DELPORTE (Annie) Épinal (image
d’)
DELPORTE (Christian) Avenir
(l’), censure, Croix (la), Épinay
(congrès d’), Express (l’), France
Observateur, guerre froide, HauteVolta, Je suis partout, National (le),
PRESSE, Réforme (la)
DEMARTINI (Anne-Emmanuelle) Charivari (le), Durand
(Marguerite), Lacenaire, Nadaud
DEMOULE (Jean-Paul) acheuléen, âge du bronze, âge du fer,
Alésia, Ambiens, Argentomagus,
Arvernes, aurignacien, Avaricum,
azilien, Barnenez, Belges, Beuvray
(mont), biface, Bituriges, Boucher
de Perthes, Breuil, campaniforme,
cardial, Carnac, Celtes, chalcolithique, chasséen, chasseurs-cueilleurs, Chassey-le-Camp, Chauvet,
colonies grecques, Cosquer,
Cro-Magnon, Cuiry-lès-Chaudardes, dolmen, druide, Éduens,
Ensérune, Entremont, Eyzies-deTayac-Sireuil (les), Filitosa, GAULE,
Gaules (guerre des), Gaulois,
Gavr’inis, Gergovie, Gournay-surAronde, gravettien, Homo sapiens,
Jublains, Lascaux, Lassois (mont),
Locmariaquer, Madeleine (la),
magdalénien, Merveilles (Vallée
des), moustérien, Moustier (Le),
Narbonnaise, Néanderthal (homme
de), néolithique, Niaux, oppidum,
palafitte, paléolithique, PechMerle, Pincevent, PRÉHISTOIRE,
PROTOHISTOIRE, Rèmes, Ribemontsur-Ancre, rubané, Saint-Acheul,
solutréen, Solutré-Pouilly, Suessions, tardenoisien, Tautavel, Tène
(la), Vénètes, Vercingétorix, Vix
(tombe de)
DUCRET (Marie) Louis III,
Louis V, Valois
DUMOULIN (Olivier) Basch,
Durkheim, Lavisse, Le Play, Seignobos, Taine, Tocqueville
ECK (Jean-François) étalon or,
franc, MONNAIE
EL-KENZ (David) Académie des
sciences morales et politiques,
Bayle, Bérulle, bibliothèque bleue,
Condé (Louis Ier de Bourbon,
prince de), diable, duel, Écouen
(édit d’), faux sauniers, huguenots,
La Noue, « Le roi est mort, vive le
roi ! », L’Estoile, Loudun (possédées de), Louis-Marie Grignion de
Montfort, Lyon (traité de), Marie
Stuart, Oratoire de France, paulette
(édit de la), Poissy (colloque de),
politiques ou malcontents, Quatre
Articles (déclaration des), Ramus,
sel, sucre, Thou, Trente (concile
de), vénalité des offices
EMMANUELLI (François-Xavier) Corse, État, intendant, Languedoc, Provence
ENCREVÉ (André) PROTESTANTS
downloadModeText.vue.download 5 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
FACON (Patrice) Foch, Gallieni,
Joffre, Leclerc, Mangin, maréchal
de France, Normandie (débarquement de), Provence (débarquement
de), réparations, Tanger (crise de),
Weygand
FELLER (Laurent) Boniface
(saint), Capétiens, CATHÉDRALES,
champart, corvée, droits seigneuriaux, Éginard, faux-monnayeurs,
fidélité (serment de), fief, hommage, Jacquerie, lignage, précaire,
seigneurie, servage, Soissons (vase
de), vassalité
FERREYROLLES (Gérard) Bossuet,
Fénelon, François de Sales, Pascal
FLANDRIN (Jean-Louis) bière,
pain, pomme de terre, porc,
viande, VIN
FLORI (Jean) CHEVALERIE, CROISADES, FÉODALITÉ, hospitaliers,
templiers
FORGIT (Michel) Perrin (Jean)
FOURNEL (Jean-Louis) Amboise
(cardinal d’), Bayard, Bourbon (le
Connétable), Cateau-Cambrésis
(traités de), Charles VIII, Constantinople (capitulations de), Dame
(paix des), Estienne (famille),
FRANÇOIS Ier (ROI), ITALIE (GUERRES
D’), La Palice, Louis XII, Madrid
(traité de), Marignan, Montluc,
Montmorency (Anne de), Montmorency (famille de), Montmorency (François de), Montmorency
(Henri II, duc de), mousquet,
Pavie, Ravenne, Renaissance
GACON (Stéphane) Alger (bataille
d’), bagne, Blanc, camps de détention et de concentration, Charonne
(manifestation du métro), Decazeville (grève de), Déroulède, Draveil
et Villeneuve-Saint-Georges (grève
de), droits de l’homme (Ligue des),
exode, FLN, Gambetta, Henriot,
Kabylie (insurrection de), malgré-nous (les), Pelletan, porteurs
de valises, Salan, scélérates (lois),
Varlin
GASPARD (Claire) colporteurs
GAUDE (Murielle) Arras (traité
d’), Charles VII, couronne, Foix
(Gaston III, de), Grandes Chroniques de France, Guesclin (Bertrand du), Jean II le Bon, Montaillou, Rais (Gilles de), Troyes
(traité de)
GENGEMBRE (Gérard) Bonald,
Condorcet, honnête homme
GODINEAU (Dominique) bonnet
phrygien, citoyennes républicaines
révolutionnaires (Club des), cocarde, Code pénal, Comité de salut
public, Comité de sûreté générale,
Constituante, Constitutions révolutionnaires, Convention nationale,
départements, divorce, état civil,
fédérés de 1792, Gouges (Olympe
de), jacobinisme, jacobins (Club
des), Jeanbon, « Liberté, Égalité,
Fraternité », Madame Sans-Gêne,
Richard-Lenoir, Roland (Mme),
Roland de La Platrière, Saint-Antoine (faubourg), sans-culottes,
suffrage (droit de), suspects (loi
des), Théroigne de Méricourt,
tricoteuses, ventôse an II (décrets
de), volontaires nationaux
GOETSCHEL (Pascale) Aron,
Chantiers de jeunesse, gaullisme,
harkis, Lagrange, Manifeste des
121, Mayer, Mendès France, Michelet (Edmond), Mollet, surréalisme, Uriage (école d’)
GOLDZINK (Jean) Calas (affaire),
Deffand (marquise du), libertins,
Meslier, Montesquieu, salon, Voltaire
GOROCHOV (Nathalie) arts libéraux, béguines et bégards, Champagne (foires de), charivari, Collège de Navarre, Dame à la licorne
(tapisserie de la), harelle de Rouen,
Isabeau de Bavière, Juvénal des
Ursins, Lendit (foire du), Maillotins de Paris (révolte des), Marigny
(Enguerrand de), Molay (Jacques
de), Prince noir (chevauchée du),
tuchins, Villehardouin
GRISET (Pascal) Clavière, Laennec, Lakanal, Lenoir, Louis XVII,
marché noir, Poisons (affaire des),
Reubell, Saint-Germain (comte de)
GUÉNO (Jean-Pierre) poste,
timbre
GUILLAUME (Pierre) Aquitaine,
assurances sociales (loi sur les),
avortement, Bourgeois, exode
rural, Pasteur, Perdiguier, Sécurité
sociale
GUILLAUME (Sylvie) centre, CNI,
Pinay, Ramadier, Républicains
indépendants, RPF, Sarraut, UDR,
UDSR, UNR
GUISLIN (Jean-Marc) Constant,
Fallières, Kolwezi (expédition de),
Locarno (traité de), Loubet, Petite
Entente, plébiscite, président du
Conseil, Rivet (loi), Triple-Entente,
trois ans (loi de)
GUTTON (Jean-Pierre) ateliers de
charité
HAMON (Philippe) assemblée
du clergé, Bernard (Claude), Bernard (Samuel), Birague, Bourbon
(Charles de), Conseil du roi, écu,
Fontaine-Française (bataille de),
généralité, LOUVRE, privilèges,
rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris,
Trésor de l’épargne, Trois-Évéchés
(les), troisième force, Vaux-le-Vicomte
HAMOU (Philippe) Descartes
HILAIRE-PÉREZ (Liliane) Ader,
charrue, Jouffroy d’Abbans, Marly
(machine de), Papin, Vaucanson
HINCKER (François) finances publiques, impôt, Quatre Vieilles (les)
HUGONIOT (Christophe) aqueduc,
arc de triomphe, gallo-romain,
Lugdunum, Lyonnaise, Massalia, Seine (source de la), voies
romaines
ISRAËL (Stéphane) Affiche rouge
(l’), Astier de la Vigerie, barricades (semaine des), Brossolette
(Pierre), Collaboration, élections
présidentielles, ENA, épuration,
Exposition coloniale, Fould
(Achille), Front national (parti
politique), Maastricht (traité de),
mai 1958 (crise du 13), Milice,
Millerand (Alexandre), Monde (le),
downloadModeText.vue.download 6 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
Montoire (entrevue de), Munich
(accords de), nationalisation, OAS,
Oradour-sur-Glane, Petit-Clamart
(attentat du), privatisations, programme commun de gouvernement, PS, putsch des généraux,
Rocard (Michel), STO, Union
générale (krack de l’), Viviani
(René), Waldeck-Rousseau (Pierre
Marie René)
JEANJEAN (Caroline) Académies
royales, aides, Aiguillon (duc
d’), AIX-LA-CHAPELLE (TRAITÉ D’),
Albret (maison d’), Alençon (duc
d’), Anne d’Autriche, Arc-et-Senans, barricades (journée des),
Barry (comtesse du), Bart (Jean),
Bougainville, Cartier, Chambord,
Champlain, Cinq-Mars (marquis
de), Claude de France, Concini,
Concorde (place de la), Diane de
Poitiers, Dubois (Guillaume), Duguay-Trouin, Dupes (journée des),
Dupleix, Duquesne, Fleury (cardinal de), Fontenoy, Jeanne d’Albret,
La Salle (Cavelier de), Saint-Médard (convulsionnaires de), Semblançay, Unigenitus (bulle)
JESSENNE (Jean-Pierre) centralisation, monarchie absolue
JOSERRAND (Philippe) aides
(Chambre des), Angoumois (comté
d’Angoulême), Anjou, Anne de
Bretagne, Arthur III, Berry, Castillon, Dauphiné, Guillaume IV
Fierabras, Guillaume VIII, Henri Ier
Beauclerc, Ordonnances (Grande
et Petite)
KERBRAT (Pierre) Abélard, Académie des inscriptions et belleslettres, Académie des sciences,
Aix-la-Chapelle (chapelle palatine
d’), ampoule (sainte), Anagni
(attentat d’), Andorre, Angevins,
Antiquité, Antiquité tardive, apanages, Bibliothèque royale, coq
gaulois, coutume, cuissage (droit
de), Enfer, livre d’heures, Messmer,
nom de famille, Nominoë, PseudoDenys, salique (loi), Succession de
Bretagne (guerre de la)
KREBS (Constance) Barrès, Calmette, choléra, Crémieux, Hetzel,
Illustration (l’), Niepce, Petit Journal (le), Revue des Deux Mondes
LABADIE (Jean-Christophe) Bertin (Henri Léonard), Bertin l’Aîné,
biens communaux, cadastre,
compagnonnage, crises de subsistances, Fermat, fermier, francmaçonnerie, métayer, Parmentier,
registres paroissiaux ou registres de
catholicité
LABOURDETTE (Jean-François) COUR
LACOUTURE (Jean) GAULLE
(CHARLES DE)
LAMBIN (Jean-Michel) Flandre
LARGEAUD (Jean-Marc) Marrast,
Sergents de la Rochelle (affaire des
Quatre), Waterloo
LAURIOUX (Bruno) arbalète,
archers, écrouelles, épée, épices,
Guibert de Nogent, Héloïse, Hôtel
du roi, légistes, lèpre, marmousets,
Normandie (Échiquier de), parlement de Paris, somptuaires (lois),
Sorbonne, suzeraineté
LE BIS (Isabelle) Adalbéron
de Laon, Agobard (saint), Alamans, Alaric II, Alcuin, Aliénor
d’Aquitaine, Alphonse de Poitiers,
Amiens (traité d’), Anne de France,
Aquitaine (royaume d’), Armagnac
(comte d’), Armagnacs et Bourguignons, Artois, Artois (succession
d’), Austrasie, Avars, Azincourt, Bar
(duché de), Baudoin de Flandre,
Bedford (duc de), Bernard Gui,
Berry (duc de), Blanche de Castille,
Boucicaut (Jean II le Maigre), bourguignon (État), Bouvines, Briçonnet, Brunehaut, Cassel, Cauchon,
Champagne (comté de), Charles II
le Chauve, Charles II le Mauvais,
Charles III le Gros, Charles III le
Simple, Charles IV le Bel, Charles
le Téméraire, Charles Martel,
charte, Childebert Ier, Cité (Palais
de la), Clément V, Clément VII,
Clotaire II, Clotilde (sainte), Collier (affaire du), Crécy, empereurs
gaulois, Empire latin d’Orient,
Flote (Pierre), Foulques Ier le Roux,
Foulques III Nerra, Foulques IV
le Réchin, Franche-Comté, Frédégonde, Geoffroi V le Bel dit
Plantagenêt, Godefroi de Bouillon,
Grand Schisme, Henri Ier, Henri Ier
le Libéral, Henri II Plantagenêt,
Hugues de Semur (saint), Hugues
le Noir, Jean II, Jean IV le Vaillant,
Jean sans Peur, Jean V, Jean V
le Sage, Lotharingie, Louis Ier
d’Anjou, Louis Ier d’Orléans,
Louis II le Bègue, Louis X le
Hutin, Lusignan, Marcel (Étienne),
Navarre (royaume de), Neustrie,
Philippe Ier, Philippe III le Bon,
Philippe III le Hardi, Philippe V le
Long, Philippe VI de Valois, Pierre
de Dreux, Raimond IV de SaintGilles, Raimond V, Raimond VI,
Raimond VII, Raoul, Robert le
Fort, Taillebourg et Saintes, Thibaud IV, Thibaud le Grand, Vermandois (comte de), Wisigoths
LEBECQ (Stéphane) CAROLIN-
GIENS, CHARLEMAGNE, Clovis Ier,
Francs, INVASIONS BARBARES, MÉROVINGIENS
LECLERCQ (Patrice) Archives
nationales, Barras, Belgique (campagne de), Berezina, Bernadotte,
Berthier, Concordat de 1801,
conscription, Constitution civile
du clergé, Égypte (expédition et
campagne d’), Espagne (guerre d’),
Hoche, Italie (campagnes d’), Jourdan, Kellermann, Kléber, Marceau,
Marengo, Moreau, Pache, Pyramides (batailles des), Rabaut SaintÉtienne, réfractaires (prêtres),
Rivoli, Santerre, Surcoût
LE COUR GRANDMAISON (Olivier) Lameth (chevalier de),
Lameth (comte de), Raynal, triumvirat
LEGUAI (André) Bourbonnais,
CENT ANS (GUERRE DE), principautés territoriales
LEMAITRE (Nicole) gallicanisme,
jansénisme, jésuites, Réforme
catholique et Contre-Réforme
LEQUIN (Yves) grève
LEROY (Chantal) GOTHIQUE (ART),
ROMAN (ART), Saint-Denis (abbaye),
vitrail
LESCURE (Jean-Claude) associations (loi sur les), Bonnet, Cambon
(Jules), Cambon (Paul), Catroux,
démocratie chrétienne, drôle de
downloadModeText.vue.download 7 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
guerre (la), Dufaure, Dupuy, Étatprovidence, FEN, FNSEA, FO,
Genève (accords de), Haute Cour
de Justice, indigénat (Code de l’),
Journal officiel de la République
française, Laguiller, mer Noire
(mutinerie de la), OTAN, Poher,
PSU, Ribot, RPR, SMIC, Tirard,
Vendôme (colonne)
LETHUILLIER (Jean-Pierre) FÊTES
LE TROCQUER (Olivier) Allemane,
chauvinisme, Comte (Auguste),
Défense nationale (gouvernement
de la), Dupont de l’Eure, Favre,
Francfort (traité de), Grévy, MacMahon, mai 1877 (crise du 16),
Noir (Victor), positivisme, Samory
Touré, Schoelcher, Sedan, septembre 1870 (révolution du 4),
Simon, Trochu, Urbain (Ismaïl),
Valérien (mont), Waddington
LETT (Didier) Burgondes, cimetière, Cluny (abbaye de), écuyer,
Éloi (saint), évêque, excommunication, fou de cour, Julien l’Apostat,
Léger (saint), maires du palais, rois
fainéants, Sidoine Apollinaire
LÉVÊQUE (Pierre) Bourgogne,
DROITE, GAUCHE, libéralisme politique
LEVER (Évelyne) LOUIS XV,
LOUIS XVI, Marie-Antoinette, Orléans (duc d’, dit Philippe Égalité),
RÉGENCE
LIGNON-DARMAILLAC (Sophie) FRANCE (TERRITOIRE DE LA)
LOYER (Emmanuelle) anciens
combattants, Années folles, CNRS,
Combat, francophonie, GeorgesPompidou (centre), Gide, Malraux,
Paris-Soir, Saint-Germain-des-Près
LUC (Jean-Noël) lycée
LYON-CAEN (Judith) Anzin
(compagnie d’), Atelier (l’), Cabet,
Constitutionnel (le), Creusot
(le), Griffuelhes, Landru (affaire),
Leroux, Récamier (Mme), Saint-Simon (comte de), saint-simonisme,
Wendel (famille de)
MALLET (Anne-Marie) aînesse,
capitulaires impériaux, dot, propriété (droit de), scrutin, Sénat
MARCHAND (V.) Paris-Match
MARGAIRAZ (Dominique) corporations, foires et marchés
MARI (Pierre) Académie des
beaux-arts, Amboise (conjuration d’), Anciens et des Modernes
(querelle des), Atlantique (mur
de l’), Aubigné, Barbès, barricades
(journée des), Bèze, Bodin, Branly,
Brantôme, Brazza, Buchez, Budé,
Coligny, Collège de France, Considérant, courtisan, Curie (Marie
et Pierre), Cyrano de Bergerac,
Dolet, Dumont d’Urville, Élysées
(palais de l’), Éon (chevalier d’),
Erfurt (entrevue d’), folie, Fontainebleau (château de), François II
(roi), Guise (François Ier de), Guise
(maison de), Hachette (Jeanne),
Henri II, HUMANISME, JEANNE D’ARC,
La Vallière, Lefèvre d’Étaples,
L’Hospital, LOUIS XI, Lumière (les
frères), Malebranche, Marguerite
de Navarre, Marguerite de Valois,
Matignon (hôtel), Mirabeau, Montaigne, Nostradamus, Palissy, peste,
Philippe II Auguste, PHILIPPE IV LE
BEL, Placards (affaire des), Poincaré, Rabelais, reine, Satire Ménippée,
Serres (Olivier de), Ulm, Vienne
(congrès de), Wassy, Weil (Simone)
MARTIN (Jean) Abbas (Ferhat),
Acadie, Afrique-Équatoriale française, Afrique-Occidentale française, Antilles françaises, armées
catholiques et royales, Banque de
l’Indochine, Bao Dai, Blum-Viollette (projet), Bourguiba, Brazzaville (conférence de), Communauté, Comores, Congo français,
Destour, Djibouti, Éboué, France
(île de), Guadeloupe, Guyane, Hô
Chi Minh, Inde française, Indochine française, Istiqlal, Levant
(mandats du), Louisiane, Lyautey,
Madagascar, mandat (territoires
sous), Maroc, Martinique, Mayotte,
Nouvelle-Calédonie, outre-mer
(département et territoires d’),
parti colonial, Polynésie française,
Réunion (la), Saint-Domingue,
Saint-Pierre-et-Miquelon, Sénégal,
TAAF, Tunisie, Union française,
Wallis et Futuna
MARTIN (Jean-Clément) BarbéMarbois, Barthélemy, Cadoudal,
Cathelineau, Charrette de la
Contrie, chouannerie, colonnes
infernales, Contre-Révolution,
Danton, Directoire, Froment,
girondins, La Revellière-Lépeaux,
La Rochejaquelein, La Rouërie
(conspiration de), Mounier, peine
de mort, Puisaye (comte de), Quiberon (expédition de), RÉVOLUTION
FRANÇAISE, Robespierre, Stofflet,
Terreur, Thibaudeau, VENDÉE
(GUERRES DE)
MASANET (Philippe) Auriol, Barthou, Camus, CECA, Defferre (loicadre), Haïti, Houphouët-Boigny,
Kérilis, Le Pen, Loucheur (loi),
Messali Hadj, musulmans, piedsnoirs, Sarcelles, Senghor
MASSON (Philippe) artillerie,
blindés, cavalerie, École militaire
de Paris, fortifications, gendarmerie, infanterie, Légion étrangère,
Maginot (ligne), maréchaussée,
mousquetaires, service militaire,
troupes coloniales
MATTÉONI (Olivier) Amédée VIII,
Arras (traité d’), bailliage, connétable, Formigny, François Ier (duc
de Bretagne), François II (duc de
Bretagne), Guerre folle, Ligue du
bien public, Louis II de Bourbon,
Nancy (bataille de), Péronne (entrevue de), Praguerie (la), SainteFoy de Conques, Senlis (traité de)
MAURICE (Jean) chanson de
geste, Chanson de Roland (la),
Christine de Pisan, Commynes,
Froissart, Guillaume IX le Troubadour, Joinville, Roman de la Rose
(le), Roman de Renart, Strasbourg
(serments de), troubadours et trouvères
MAZEL (Florian) adoubement,
alleu, Ardents (bal des), bagaudes,
basoche, basque (Pays), Béarn
(vicomte de), Blois (comté de),
cabochienne (révolte), calendrier,
Carmel (le), Catalogne, Charles V,
Charles VI, Châtillon (maison de),
downloadModeText.vue.download 8 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
chevalerie (ordres de), Childéric Ier,
Chrodebang (saint), Colette de
Corbie (sainte), Colomban (saint),
Compagnies d’armes, Compiègne
(ordonnance de), concordat, Dagobert Ier, dominicains, droit romain,
enfants (croisade des), États latins
d’Orient, Eudes Rigaud, faide
royale, fédérés (peuples), flagellants, franciscains, Gascogne, Ge-
neviève (sainte), Gerson, Grégoire
de Tours, Guillaume Ier le Bâtard
dit le Conquérant, Guillaume V
le Grand, Guinegatte (bataille
de), Guyenne, Hugues Ier Capet,
immunité, Inquisition, Investitures
(querelle des), Jacques de Vitry,
Jean XXII, Jouarre (crypte de),
Joyenval (abbaye de), langue d’oc,
Limousin, Martin (saint), Mélusine,
millénarisme, ministériaux, missi
dominici, Monfort (Simon IV de),
Ordonnance de réformation du
royaume, papauté d’Avignon, Paris
(traité de, 1229), Paris (traité de,
1259), partages du royaume franc,
pastoureaux (croisade des), patronage, Pépin III le Bref, Philippe II
le Hardi, Pierre le Vénérable, Pierre
Lombard, Pippinides, Poitiers
(bataille de, 732), Poitiers (bataille
de, 1356), prévôté, Rashi, Robert
d’Arbrissel, Robert Guiscard,
Robertiens, Rollon, Saint-Clair-surEpte (traité de), Saisset (Bernard),
Sanche Sanchez, Saxons, Syagrius
Afranius, Toison d’or (ordre de la),
Verdun (partage de), Vincennes
(édit du Bois de), Vincent de Beauvais, Vouillé
MÉNAGER (Bernard) COMMUNE,
EMPIRE (SECOND), Faidherbe,
Fédérés (mur des), lois constitutionnelles de 1875, Napoléon (le
prince), Napoléon III, Persigny,
République (IIe), révolution de
1848, Semaine sanglante, Thiers,
Tiers Parti, Wallon
MERIA (Maria) Reynaud
MIGNOT (Claude) baroque
MINARD (Philippe) Boisguilbert,
cahiers de doléances, Calonne,
Canada, chocolat, Code noir, Colbert, commerce triangulaire, commission royale, contrôleur général
des Finances, croquants, despotisme éclairé, Dupont de Nemours,
Eaux et Forêts (administration
des), Ferme générale, Gobelins
(Manufacture royale des), Gournay
(Vincent de), grains (circulation
des), indiennes, La RochefoucauldLiancourt, Laffemas, Laverdy, libreéchange (traité de 1786), libre-
échange (traité de 1860), Loménie
de Brienne, Machaut d’Arnouville,
manufactures royales privilégiées,
Maupeou, mercantilisme, Montchrestien
MONIER (Frédéric) Ben Barka
(affaire), Briand, Canard enchaîné,
CGTU, Cinquième Colonne,
CNPF, Combes, Comité des forges,
Constitution de 1946, Deschanel,
Langevin, Leygues, Mata Hari (affaire), Merrheim, Ruhr (occupation
de la), SDN, Stresa (conférence de)
MORICEAU (Jean-Marc) famine,
PAYSANNERIE
MOUSSY (Hugues) Aragon
(Louis), Austerlitz, Berthollet,
Broussais, Buffon, Carnot (Lazare),
Coudray (Marguerite du), École
normale supérieure, famine (complot ou pacte de), Farines (guerre
des), Fourcroy (comte de), Goussier, Guyton de Morveau, hôpital général, Idéologues, Jussieu,
Lanthenas, Laplace, Lavoisier, Marat, Marseille (peste de), Ménétra,
Menou, Mercier (Louis Sébastien),
Monge, Murat, nourrice (mise en),
système métrique, Temps (le), tiers
état, Tuiles (journée des), variole,
Vicq d’Azyr, Vizille (assemblée de),
vol de l’Aigle
MUCHEMBLED (Robert) police,
SORCELLERIE, tribunaux
MURACCIOLE (Jean-François) Afrique du Nord (débarquement d’), armistice de 1940,
Bir-Hakeim, Combat, Comité
français de libération nationale,
Conseil national de la Résistance,
Darlan, défaite de 1940, FFI, FFL,
France libre, Frenay, Front national, Giraud, juin 1940 (appel du
18), Libération, maquis, Moulin,
OCCUPATION, OCM, Paris (protocoles de), RÉSISTANCE, Riom
(procès de), Vercors (maquis du),
VICHY (RÉGIME DE)
N’DIAYE (Pap) Laffitte, or
OFFENSTADT (Nicolas) antimilitarisme, Brétigny-Calais (traité
de), chroniques médiévales, Faure,
guerres privées, pacifisme, paix au
Moyen Âge, serment
PASSERA (Fabio) Aguesseau, Bernis, Bourbon (famille), Chevreuse
(Marie de Rohan-Montbazon),
Condé (Monsieur le Duc), Conseil
de conscience, Épée (abbé de l’),
Filles de la Charité, Fontenelle,
Héroard, polysynodie
PÉCOUT (Gilles) agrariens, anticolonialisme, banquet républicain,
Chemises vertes (les), commune,
Crimée (guerre de), Flourens, Méline, Premier Mai, Reclus (Élisée),
Solferino, Suez (canal de), Tristan
(Flora)
PÉCOUT (Thierry) Graufesenque
(la), missions, Trésor royal
PELLET (Rémi) Corps législatif,
Cour des comptes, Crédit agricole,
Crédit lyonnais, douane, droits de
l’homme (Société des), emprunts
russes, Gaudin, impôt sur le revenu, Législative (la), Marie (André),
Palais-Royal, Royer-Collard, Société générale, Talleyrand-Périgord,
Teilhard de Chardin, Tribunat
PERVILLÉ (Guy) Algérie, ALGÉRIE
(GUERRE D’), COLONISATION, DÉCOLONISATION
PETITEAU (Natalie) Allemagne
(campagne d’), Berry (assassinat du
duc de), biens nationaux, bonapartisme, Boulogne (camp de), Cambacérès, Cambronne, Chambre
introuvable, Chevaliers de la foi
(les), coalitions, Conseil d’État,
Courbet, Davout, décembre 1851
(coup d’État du 2), demi-solde,
domestiques, Junot, Lanjuinais,
Lannes, Lebrun, Lefebvre, Légion
d’honneur, maréchaux de l’Empire,
Marie-Louise, Masséna, Michel
(Louise), Midi viticole (révolte
du), Mollien, Napoléon II, Ney,
noblesse d’Empire, octobre 1789
downloadModeText.vue.download 9 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
(journées des 5 et 6), Ouvrard,
Portalis, prairial an VII, révolu-
tion industrielle, Roederer, Russie
(campagne et retraite de), SaintCyr (École spéciale militaire de),
Saint-Nicaise (attentat de la rue),
Saint-Ouen (déclaration de), Savary (Jean Marie René), Sieyès, Soult,
ultraroyalistes, vendémiaire an IV
PEVERI (Patrice) Cartouche,
lettre de cachet, Mandrin, mendicité (dépôts de)
PINOL (Jean-Luc) Grève (place
de), Hôtel de Ville de Paris, PARIS,
préfet
PLASSARD (Jean-Charles) Normandie
POISSON (Jean-Michel) CHÂTEAU
POUYFAUCON (Hélène) Barbie
(procès), Pleven, référendum
POZNANSKI (Renée) antisémitisme, Drancy (camp de), JUIFS,
Juifs (statut des), Struthof (camp
du), Vel’d’hiv (rafle du)
PREST (Véronique) Académie
française, Expositions universelles,
Lamartine, Loire (châteaux de la)
PRÉVOTAT (Jacques) Action française (l’), Maurras, nationalisme
PRIGENT (Michel) CLASSICISME
PROCHASSON (Christophe) Albert
(Marcelin), Amiens (Charte d’),
anarcho-syndicalisme, Bloc des
gauches, Boulanger, bourse du
travail, CGT, DREYFUS (AFFAIRE),
Drumont, Fort-Chabrol, Fourier,
Fourmies (fusillade de), Guesde,
Herr, Humanité, Internationale
(Ire), Internationale (IIe), Internationale (l’), JAURÈS, Lafargue,
Ligue de la patrie française, Ligue
des patriotes, Malon, Pelloutier, Picquart, Proudhon, SFIO,
Sorel (Georges), Thomas (Albert),
Vaillant (Édouard)
PUZELAT (Michel) almanach, Crémieu (édit de), don gratuit, Gévaudan (bête du), Grand Hiver, Grand
Trie, Habsbourg (lutte contre les),
« L’État c’est moi », lit de justice,
Maison du roi, Marie de Médias,
mazarinades, Meaux (cercle de),
Mercoeur, Moulins (ordonnance
de), Ormée (révolte de l’), Paris
(traité de, 1763), pays d’élections,
pays d’états, Préréforme (la),
présidiaux, Ravaillac, Succession
d’Autriche (guerre de la), Succession de Pologne (guerre de la),
Valois-Angoulême, Vergennes,
Versailles (traité de, 3 septembre
1783), vingtième
RICHARD (Jean) LOUIS IX
RICHE (Denyse) ABBAYES, bénédictins, Bernard de Clairvaux,
chartreux, cisterciens, cluniciens,
décime, Fontevraud, Hugues de
Die
ROCHEFORT (Florence) féminisme
RODRIGUES (Jean-Marc) BELLE
ÉPOQUE, Père-Lachaise (cimetière
du), Sanson, « Travail, Famille,
Patrie »
ROSA (Guy) Hugo (Victor)
ROSSELLE (Dominique) céréales
ROTH (François) Alsace-Lorraine
(question d’), franco-allemande
(guerre), Lorraine
SACQUÉPÉE (Benoîte) jeu de l’oie,
jeu de paume
SALVADORI (Philippe) Alès (édit
de grâce d’), Anjou (Philippe, duc
d’), Arnauld, Augsbourg (guerre de
la ligue d’), bâtard, Beaufort (duc
de), billets de confession (affaire
des), camisards (révolte des),
Cavalier (Jean), chasse, Corbie,
Croÿ, Denain, Désert (assemblées
du), Dettingen, Dévolution (guerre
de), dévot (parti), dragonnades,
Flagellation (séance de la), Fleurus (bataille de), Guyon (Mme),
Haye (Grande-Alliance de La,
1668), Haye (Triple-Alliance de La,
1673), Haye (Triple-Alliance de
La, 1717), Hollande (guerre de),
Hougue (la), Importants (cabale
des), Invalides (Hôtel des), Jean
Eudes, La Reynie, Lionne (Hugues
de), Louvois, Luxembourg (duc
de), Luynes (duc de), Mabillon,
Maintenon, Marguerite-Marie
Alacoque (sainte), Marie de l’Incarnation, Marillac, Mère Angélique,
milice royale, Monsieur (Philippe
de France, dit), Montpellier (paix
de), Nantes (révocation de l’édit
de), Neerwinden, Nicole, Nimègue
(traités de), Nouvelles ecclésiastiques, Olier, Orléans (Gaston, duc
d’), Péréfixe, Port-Royal, Pyrénées
(traité ou paix des), quiétisme,
Rastadt (traité de paix de), remontrances (droit de), Rethel, Réunions
(politique des), Rochelle (siège de
La), Rocroi, Rossbach, Rueil (paix
de), Ryswick (traités de), Saint-Cyran, Saint-Sacrement (Compagnie
du), Saint-Sulpice (Compagnie
de), Savoie (guerre de), Sept Ans
(guerre de), Soubise (Charles de
Rohan, prince de), Succession
d’Espagne (guerre de la), Suffren
de Saint-Tropez, suisses, Turenne,
Vervins (paix de), Vienne (traité
de), Villaviciosa, Villers-Cotterêts,
Vincent de Paul (saint), Westphalie
(traités de)
SANSON (Rosemonde) QUATORZE
JUILLET
SANSY (Danièle) antijudaïsme,
Bibliothèque nationale de France,
Château-Gaillard, Clermont
(concile de), enluminure, Normands, Reims (cathédrale de)
SIRINELLI (Jean-François) Chirac, Giscard d’Estaing,
INTELLECTUELS, Pompidou, RÉPUBLIQUE (Ve)
TÉTART (Philippe) Globe (le),
Guillaumin, Institut Pasteur, Midi
(canal du), Mitterrand, Montcalm
de Saint-Véran, Montesquiou-Fezensac, Nouvel Observateur (le),
Paré (Ambroise), Pâris (frères),
RÉPUBLIQUE (IVe), Sartre, Sorel
(Agnès), TRENTE GLORIEUSES (LES)
TULARD (Jean) Consulat, EMPIRE
(PREMIER), NAPOLÉON Ier
VANDENBUSSCHE (Robert) Constitution de 1958, Indochine (guerre
d’), radical (parti), républicain
(parti ou mouvement)
downloadModeText.vue.download 10 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
VAVASSEUR-DESPERRIERS
(Jean) Alliance républicaine
démocratique, Bloc national,
Blum, Cachin, Cagoule (la), Chautemps, Clemenceau, communiste
français (Parti), Coty, CRISE DES
ANNÉES TRENTE, Daladier, Duclos,
Fédération nationale catholique,
Fédération républicaine, Flandin,
FRONT POPULAIRE, Laniel, Laval,
ligues, Massilia (affaire du), Pétain,
PPF, RÉPUBLIQUE (IIIe), Salengro,
Thorez, Tours (congrès de), Union
nationale
VERGÉ-FRANCESCHI (Michel) Choiseul, Condé (le Grand
Condé), Condé (maison de), Conti
(prince de), corsaires et pirates,
Drap d’or (camp du), Estrées
(d’), Fouquet (Nicolas), galériens,
Grande Mademoiselle (la), La Barre
(chevalier de), Lally-Tollendal,
Lamballe (princesse de), Lamoignon (famille de), Le Tellier, Lenclos (Ninon de), Leszczynski (Stanislas), Malesherbes (Chrétien de
Lamoignon de), Marie Leszczynska, Marie-Thérèse d’Autriche,
MARINE, Masque de fer, Maurepas,
Mayenne (duc de), Montespan,
ordres (société d’), Palatine (la
princesse), Paoli, Régent (le), Retz
(cardinal de), Rochambeau, Roussillon, Sartine
VIAL (Éric) adresse, AiguesMortes (massacre d’), antifascisme,
Bayeux (discours de), Béranger,
Bergery, Brigades internationales,
Brisson, Broglie (duc de), Caillaux,
canuts, Carnot (Hippolyte), Carnot (Sadi), Casimir-Perier (Jean),
Champollion, Chant des partisans
(le), Charte constitutionnelle,
contraception, Courrières (catastrophe de), Couve de Murville,
Croix-de-Feu, deux cent familles
(les), Doriot, Doumer, Doumergue,
drapeau, Faisceau (le), fascisme
français, Faure, Fiches (affaire des),
franco-russe (alliance), franco-soviétique (pacte), Freycinet), Front
républicain, Galliffet, GouvionSaint-Cyr (loi), grippe espagnole,
IMMIGRATION, La Rocque, Lebrun,
Mandel, Manifeste des 60, Mersel-Kébir, Mexique (expédition du),
octobre 1961 (manifestation du
17), Ollivier, phylloxéra, Pierre
(l’abbé), Queuille, Ravachol,
Rochefort, Rossel, Rouvier, Stavisky (affaire), Tardieu, Vallès
WAHL (Alfred) Alsace, Coubertin, Scheurer-Kestner, Schnaebelé
(affaire)
WAHNICH (Sophie) amis des
Noirs (Société des), août 1789
(nuit du 4), Barère de Vieuzac,
Cabanis, Cambon (Joseph), Chaumette, Chénier, Cloots (Anacharsis), clubs révolutionnaires, Collot
d’Herbois, cordeliers (Club des),
enragés, exagérés, fédération, Gouvernement révolutionnaire, Lindet,
Paine, patriotisme, République
(Ire), Romme, Roux (Jacques),
Saint-Just, septembre 1793 (journées des 4 et 5), souveraineté
nationale
WEILL-PAROT (Nicolas) Ailly
(Pierre d’), Sylvestre II
WIEVIORKA (Annette) déportation, Papon (procès)
YON (Jean-Claude) Eiffel, Eugénie (impératrice), Morny, Rouher
ZANCARINI-FOURNEL (Michelle) gauchisme, mai 68, MLF
ZOMBORY-NAGY (Piroska) an mil,
Anselme de Cantorbéry, ban, dîme,
Pépin II de Herstal
downloadModeText.vue.download 11 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
Édition
Janine Faure, Carl Aderhold et Mathilde Majorel
Direction artistique
henri-françois Serres Cousiné
Réalisation graphique
Dominique Dubois et Didier Pujos
Recherche iconographique
Marie-Annick Reveillon et Valérie Perrin
Cartes
Laurent Blondel – CORÉDOC
Informatique éditoriale
Anna Bardon, Philippe Cazabet et Marion Pépin
Fabrication
Martine Toudert
Les cartes extraites du Grand Atlas Historique de Duby ont été
entièrement refaites pour cet ouvrage.
La première Édition, dont est issu le présent ouvrage, avait été publiée
en 1999 sous la direction scientifique de
Jean-François Sirinelli et le conseil éditorial de Daniel Couty.
© Larousse 2006
Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque
procédé que ce soit, du texte contenu
dans le présent ouvrage, et qui est la propriété de l’Éditeur, est
strictement interdite.
ISBN 2-03-582634-9
downloadModeText.vue.download 12 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
PRÉFACE
« TOUTE MA VIE, JE ME SUIS FAIT UNE CERTAINE IDÉE DE LA FRANCE » : ainsi
commence le premier
tome des Mémoires de guerre du général de Gaulle. Chacun de nous chemine
aussi, une vie
durant, avec son « idée » de la France. Tout être humain, en effet,
consciemment ou pas, se
situe dans la chaîne du temps, ressentant plus ou moins fortement le
poids du passé et se projetant dans
l’avenir. Cette perception varie avec l’éducation reçue et la culture
familiale transmise, et dans ces jeux
de miroirs, forcément déformants, l’historien occupe une place
particulière. À tout prendre, il apparaît
comme, tout à la fois, l’artisan et le gardien d’une sorte de mémoire
savante, celle que notre communauté
nationale donne d’elle-même. Et c’est une noble tâche, en vérité, que
celle de cette corporation d’artisans : il s’agit pour celle-ci de tenter d’exhumer, avec tout le soin
requis, les vestiges d’un passé aboli ou
encore tout proche.
C’est aussi une rude tâche. Car rien n’est plus difficile que de
redonner vie à un monde disparu. C’est
dire que le présent dictionnaire encyclopédique vient à son heure. D’une
part, il est sans équivalent dans
l’édition française ou étrangère. D’autre part, sa mise en oeuvre a été
permise par l’actuel rayonnement de
l’école historique française : il a été possible, en effet, de recruter
au sein de celle-ci une équipe d’historiens ayant le goût des entreprises collectives, le souffle pour des
synthèses de longue haleine et le talent
pour exposer le fruit d’une science avec toute la clarté souhaitable.
La réalité humaine étant multiforme, aucune sensibilité
historiographique ne peut en revendiquer
la clé unique d’interprétation, et l’on a veillé dans cet ouvrage à ce
qu’un pluralisme des approches soit
garanti. Par-delà un principe de simple équité, il y avait là un gage de
qualité et d’intelligence historique.
Intelligence historique ? Là est, au bout du compte, l’essentiel. Car si
la mission assignée à la discipline historique est, on l’a dit, d’exhumer les vestiges d’un passé
aboli, elle est aussi de leur donner sens.
Dans une telle perspective, la formule du dictionnaire encyclopédique
est précieuse. Un ouvrage de ce
type est avant tout, faut-il le rappeler, un instrument de transmission
et donc de culture.
Partie d’un constat, celui de l’absence d’une oeuvre de ce type dans le
paysage éditorial actuel, soustendue par une intuition, celle qu’il est désormais possible de combler
une telle lacune, portée enfin
par un double impératif de lisibilité et de sérénité, cette entreprise
s’inscrit aussi dans un cadre chronologique. Par-delà le caractère d’évidence d’une telle remarque, la
question qu’elle induit est loin d’être
simple : jusqu’où remonter pour étudier une entité – la France – qui ne
s’est dégagée que progressivement et, à l’échelle du temps, très lentement ? La réponse est, bien sûr
: le plus loin possible vers l’amont.
Seule une remontée vers la source permet de mettre en lumière le long
processus de gestation de notre
communauté nationale. Il y a bien là une lente alchimie, dont seul le
déploiement de la science historique autorise l’analyse. Si cette quête des origines est forcément
complexe – sans compter qu’elle n’est
pas toujours dénuée, dans le débat politique contemporain,
d’arrière-pensées partisanes –, l’ampleur
du dispositif intellectuel que constitue ce dictionnaire encyclopédique
ne peut qu’être un atout pour sa
mise en oeuvre.
Le rideau peut maintenant s’ouvrir sur l’histoire de la France et des
Français.
JEAN-FRANÇOIS SIRINELLI
downloadModeText.vue.download 13 sur 975
downloadModeText.vue.download 14 sur 975
A
Abailard ! Abélard
Abbas (Ferhat), dirigeant nationaliste algérien (Taher, Algérie, 1899 - Alger 1985).
Fils d’un caïd, Ferhat Abbas préside dans sa
jeunesse l’Association des étudiants musulmans d’Alger (AEMA). Installé comme pharmacien à Sétif, il milite pour l’assimilation,
réfutant dans ses écrits l’existence d’une nation algérienne. Mais, après l’abandon du projet Blum-Viollette (1936), il évolue vers des
positions autonomistes, qui prennent corps
au début de la Seconde Guerre mondiale. Il
est ainsi l’un des principaux rédacteurs du
Manifeste du peuple algérien (février 1943),
et de son Additif (mai 1943), qui réclame la
formation d’un « État algérien démocratique
et libéral » tout en reconnaissant à la France
un « droit de regard ». En mars 1944, Ferhat
Abbas fonde, avec Ahmed Francis, l’Association des amis du Manifeste et de la liberté
(AML). Emprisonné après les émeutes de Sétif
(mai 1945), puis amnistié, il siège à la deuxième Constituante (juin-novembre 1946) et
fonde, la même année, l’Union du Manifeste
algérien (UDMA), parti nationaliste modéré.
En avril 1956, il rejoint les dirigeants du Front
de libération nationale (FLN) au Caire et, en
septembre 1958, est porté à la présidence du
Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA). Il défend une ligne modérée qui lui vaut d’être destitué en avril 1961.
Élu président de l’Assemblée constituante au
lendemain de l’indépendance (1962), il démissionne en août 1963, avant d’être exclu
du FLN. Tour à tour déchu et réhabilité, il ne
joue plus, dès lors, de rôle politique notable,
mais publie la Nuit coloniale (1962), Autopsie
d’une guerre (1980), l’Indépendance confisquée
(1984).
l ABBAYES. À partir du IVe siècle, certains chrétiens, désireux d’approfondir leur
foi, et en quête d’ascèse, choisissent de se
retirer du monde, de devenir moines (du grec
monakhos, « solitaire »).
En Occident, la vie monastique, ou monachisme, privilégie le cénobitisme (du grec
koinobion, « vie en commun ») au détriment
de l’érémitisme (du grec erêmitês, « qui vit
dans la solitude », tiré de erêmos, « désert »).
La vie monastique est présentée comme un
modèle, un idéal pour la chrétienté. Ces communautés de moines s’installent dans des abbayes (monastères dirigés par un abbé), dont
la finalité religieuse n’exclut pas d’exercer
d’autres influences sur la société. Les abbayes
connaissent leur plus grand rayonnement au
Moyen Âge. C’est alors le temps des moines.
LES ABBAYES AU SERVICE DE LA FOI
• L’essor monastique. Les premières abbayes se développent à partir du IVe siècle.
Elles sont régies par des règles diverses, avant
que s’exerce, dans la Gaule mérovingienne,
l’influence du monachisme celtique, soumis à la règle de saint Colomban. Celle-ci,
qui insiste sur la prière et la mortification,
est éclipsée par une autre, plus modérée :
la règle bénédictine. Rédigée après 534 par
Benoît de Nursie pour l’abbaye du Mont-Cassin, qu’il a fondée vers 529, elle est adoptée
en Italie, avant que Benoît d’Aniane l’impose
dans l’Empire carolingien (capitulaires de
816 et 817). Les troubles des IXe et Xe siècles
entraînent de graves dommages pour les
abbayes (dévastation, mainmise des laïcs...),
mais ils ne remettent pas en cause leur existence. Les Xe et XIe siècles connaissent une restauration de la vie monastique, d’abord avec
Cluny (909), puis avec des fondations qui,
pour retrouver la vita apostolica, insistent sur
le renoncement au monde, préconisent une
plus grande austérité et une application stricte
de la règle de saint Benoît : La Chaise-Dieu
(1043), Grandmont (1074), Cîteaux (1098),
Fontevraud (1100-1101). La Grande-Chartreuse (1084) innove en alliant stabilité monastique et vie érémitique. Les difficultés des
XIVe et XVe siècles n’épargnent pas les abbayes,
qui souffrent, par ailleurs, du développement
de la commende (attribution d’un bénéfice ecclésiastique majeur à un clerc séculier ou à un
laïc qui en perçoit les revenus sans résider sur
place) : il en résulte une altération de l’idéal
et du mode de vie. En dépit de quelques tentatives de redressement au XVe siècle, l’institution monastique est mise en cause par les
humanistes et la Réforme. Les guerres de
Religion provoquent de nouvelles perturbations. Dans l’esprit du concile de Trente, le
XVIIe siècle est marqué par une réorganisation
du monachisme : les cisterciens adoptent la
règle de l’« étroite observance » (1618), et des
congrégations bénédictines sont instituées
(Saint-Vanne, 1604 ; Saint-Maur, 1621), qui
contribuent à la mise en oeuvre de la Réforme
catholique en France. Directement visées par
le décret de l’Assemblée constituante interdisant les voeux monastiques (février 1790)
et par la Constitution civile du clergé (juillet
1790), les abbayes connaissent un renouveau
après 1833 avec la restauration de Solesmes
par l’abbé Dom Prosper Guéranger et la fon-
dation de Sainte-Marie-de-la-Pierre-qui-Vire
(1850). Après les difficultés que rencontrent
les ordres monastiques à la fin du XIXe siècle et
au début du XXe (mesures hostiles aux congrégations, querelle des Inventaires), les abbayes
se repeuplent à l’issue de la Première Guerre
mondiale.
• Vivre selon une règle. Écoles d’ascèse et
de spiritualité, les abbayes ont des origines
différentes : fondations pieuses créées par
des laïcs, initiative de quelques personnes
en quête d’austérité, essaimage à partir de
monastères existants. Devenir moine, c’est
« se convertir », se séparer du monde, pour
s’astreindre à vivre, dans la solitude et le silence, selon une règle. Saint Benoît préconise
la modération, et il prévoit un équilibre entre
les offices, la prière, l’activité intellectuelle et
le travail manuel. L’accent est mis sur l’humilité, la pauvreté et la charité. Le travail manuel
constitue l’un des moyens de parvenir à l’humilité. Mais la règle n’édicte pas tout : ce sont
les coutumes qui organisent la vie quotidienne.
L’adoption de nouvelles coutumes traduit un
effort de réforme ; des liens entre les monastères se tissent, qui peuvent aller jusqu’à l’affidownloadModeText.vue.download 15 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
4
liation à un ordre. La diffusion des coutumes
témoigne du rayonnement et de l’influence
qu’exercent certains monastères.
Après avoir prononcé des voeux d’obéissance, de stabilité et de conversion des
moeurs, le moine est avant tout celui qui
chante la gloire de Dieu et prie pour le
salut des chrétiens, les vivants et les morts.
Une prière qui, soutenue par la méditation,
s’exprime lors des offices divins. Intercesseur
entre l’homme et le sacré, entre l’ici-bas et
l’au-delà, le moine recueille les bénéfices de la
« communion des saints » ; à cette médiation
participent les reliques dont les abbayes sont
dépositaires. Les fidèles recourent aux prières
des moines, considérées comme les plus efficaces, à l’égal de celles des pauvres. Entre les
monastères se constituent des associations
de prières ; une parenté spirituelle à laquelle
les laïcs peuvent adhérer. Les noms de morts
pour qui est chanté l’office sont alors inscrits
dans un nécrologe.
• Les habitants de l’abbaye. La communauté évolue sous la direction d’un supérieur :
l’abbé (certains ordres, par humilité, préfèrent
le terme de prieur). La règle bénédictine
prévoit son élection à vie, mais, selon les périodes, il est parfois désigné par les familles
aristocratiques qui avaient fondé l’abbaye, ou
par le roi, ainsi qu’en décida le concordat de
Bologne, en 1516. La tendance, au XVIIe siècle,
fut de limiter la durée de l’abbatiat, alors que,
sous la restauration monastique, au XIXe siècle,
le choix opposé prévalut.
L’abbé exerce des prérogatives spirituelles
et temporelles ; il doit être un père pour ses
moines (abba, « père »). Il est secondé par un
prieur (éventuellement deux : grand prieur
et prieur claustral), qui succède à l’ancien
prévôt, ou par un doyen (leurs attributions
varient en fonction des coutumes), et par différents officiers (chambrier, cellérier, sacriste,
chantre, aumônier, hôtelier, infirmier, maître
des novices...). Le Moyen Âge distingue les
moines profès, appelés également « moines
de choeur » (la plupart sont des prêtres), des
convers, qui ne sont pas astreints aux mêmes
obligations liturgiques, et dont le statut varie
selon les ordres. L’institution des oblats (enfants voués à la vie monastique) ayant décliné
dès le XIIe siècle, le renouvellement est assuré
par des novices qui, au terme d’une période
de formation, font profession, acte qui marque
leur admission au sein de la communauté. Le
monastère est organisé de manière à limiter
les recours à l’extérieur.
DES FOYERS DE CULTURE
• Un ensemble architectural. L’abbaye,
destinée à des hommes qui ont renoncé au
monde, est une anticipation de la vie céleste.
L’église préfigure la Jérusalem céleste. Élément
essentiel et symbolique par son orientation
et sa configuration, l’église, ou abbatiale, doit
s’adapter à la liturgie. La « cléricalisation » des
moines entraîne une multiplication des autels
dans les collatéraux et les chapelles absidiales.
Sans être uniforme, le plan des abbayes
présente des caractéristiques communes :
l’espace monastique est clos ; jouxtant l’église,
le cloître, lieu de silence et de méditation,
accueille, dans la galerie orientale, la salle
capitulaire où se rassemble la communauté
pour le chapitre quotidien ; les bâtiments
conventuels se répartissent entre le dortoir, le
réfectoire, le scriptorium (salle d’études et de
copie de manuscrits), le chauffoir, l’infirmerie, la cuisine et quelques annexes. Les hôtes
de passage, les pèlerins, sont reçus à l’hôtellerie ou à l’aumônerie. Convers et novices dis-
posent d’installations particulières. Dès la fin
du Moyen Âge, le recul de la vie communautaire se traduit par l’existence du logis abbatial
et par la généralisation de cellules pour les
moines. La vocation érémitique des chartreux
a conduit ceux-ci à opter pour de petites maisons avec jardin où les moines vivent seuls
durant la semaine, la vie communautaire se
limitant à l’église et à la salle capitulaire, tandis que les convers disposent de leur propre
bâtiment.
Le patrimoine foncier des abbayes est mis
à mal lorsque l’Assemblée constituante décrète, le 2 novembre 1789, que tous les biens
ecclésiastiques sont « à la disposition de la
Nation ». La survivance de nombreux édifices
n’est due qu’à leur transformation en pensionnats, ateliers, ou, sous l’Empire, en maisons
de détention (telle l’abbaye de Clairvaux, en
1808). Au début du XXe siècle, les lois sur les
congrégations entraînent la confiscation et la
liquidation des biens.
• Les arts et les lettres. Les abbayes
prennent une part active dans l’élaboration
des différentes formes d’art. Signes du renouveau que connaît l’Occident, les constructions
monastiques fleurissent à partir du XIe siècle
et diffusent d’abord l’art roman (Saint-Benoîtsur-Loire, Saint-Martial de Limoges, SainteFoy-de-Conques, Saint-Sernin de Toulouse,
Cluny, Moissac), puis l’art gothique avec
Saint-Denis, reconstruit par Suger. Pour ce
dernier comme pour les clunisiens, la beauté
de l’architecture et de l’ornementation est
mise au service de la louange divine : elle
permet à l’âme de s’élever jusqu’à Dieu. Cette
conception suscite une vive réaction chez les
cisterciens qui, à l’instigation de saint Bernard, refusent tout décor peint ou sculpté,
tout vitrail de couleur, car de nature à distraire l’esprit des moines. Dans les abbayes
cisterciennes se développe alors une esthétique imprégnée de rigueur, d’austérité, de
dépouillement, qui privilégie la pureté des
lignes (Fontenay, Sénanque, Le Thoronet).
Au fil des siècles, les bâtiments conventuels
seront souvent réaménagés, ainsi qu’en témoignent les constructions monumentales
du XVIIIe siècle. Ces disparités architecturales
attestent la pérennité de l’institution.
Jusqu’au XIIe siècle, les abbayes demeurent
les hauts lieux de l’élaboration et de la transmission de la culture savante, profane ou sacrée. Après avoir véhiculé l’héritage antique,
elles sont l’un des moteurs de la renaissance
carolingienne (avec l’adoption d’une nouvelle
écriture : la minuscule caroline). C’est dans
les scriptoriums que se développent la copie
des manuscrits et l’art de l’enluminure (Bible,
évangéliaires, sacramentaires). Les invasions
normandes, provoquant la fuite des moines,
sont à l’origine d’échanges entre différents ateliers d’enluminure. Les moines ne se limitent
pas à transmettre un savoir, mais ils élaborent
aussi une culture qui se nourrit de l’Écriture
sainte, des Pères de l’Église et de l’exégèse
biblique. En rédigeant annales, chroniques
et recueils de miracles, ils font oeuvre d’historiens. Foyers de culture religieuse, littéraire et
artistique, leurs bibliothèques se distinguent
par la richesse de leurs fonds. L’apport des
moines est également décisif dans le domaine
de la musique et du chant grégorien. Mais,
à partir du XIIe siècle, la culture monastique,
tout en demeurant vivante, n’est plus prépondérante. Les écoles, qui avaient atteint un très
haut niveau, déclinent ; désormais réservées
aux futurs religieux, ou inexistantes dans certains ordres (cistercien), elles sont concurrencées par les écoles cathédrales et, à partir du
XIIIe siècle, par les universités. À l’époque moderne, la congrégation de Saint-Maur renoue
cependant avec la tradition en accordant la
primauté au travail intellectuel.
ABBAYES ET SOCIÉTÉ
• Les aspects économiques. Nonobstant
l’interdiction de la propriété individuelle et
l’obligation de pauvreté pour les moines, les
abbayes disposent, grâce aux legs pieux, d’un
patrimoine temporel important : les ordres
deviennent de grands propriétaires fonciers.
Situées à l’écart des zones d’habitation, les
abbayes occupent une place importante dans
l’activité économique des campagnes : création d’aménagements (moulins, forges, travaux hydrauliques) et mise en valeur de terres
par défrichement, assèchement des marais ;
des travaux réalisés le plus souvent par les
convers. Aussi, du fait de leur rayonnement,
et en dépit de leur quête de solitude, certaines
abbayes sont à l’origine de la formation d’agglomérations. Les donations pieuses animent
un mouvement économique. Au Moyen Âge,
l’aristocratie laïque se dépouille au profit des
moines - aristocratie de l’Église -, soutenant
ainsi les réalisations de l’art roman. Parmi les
fonctions économiques qui incombent aux
monastères, l’une des plus importantes est la
charité envers les pauvres. L’aumône constitue une forme de redistribution de la richesse.
Aujourd’hui, de nombreuses abbayes développent des activités artisanales pour des raisons économiques, mais aussi pour que les
moines retrouvent pleinement leur vocation
initiale : prier et travailler de leurs mains.
• L’emprise sur le monde extérieur. Les
abbayes constituent, surtout au Moyen Âge,
des instruments et des enjeux de pouvoir.
Ainsi, certains rois francs les utilisent-ils pour
accroître leur influence. Parfois, même, le
monachisme est quelque peu détourné de sa
finalité : on assigne aux abbayes des fonctions
qui dépassent leurs attributions. Par exemple,
les Carolingiens, en confiant aux moines des
missions nouvelles - évangélisation, prédication, c’est-à-dire des fonctions qui incombent
aux évêques -, altèrent la structure du monachisme bénédictin.
Parfois soumises à l’autorité laïque, les
abbayes sont aussi, surtout au Moyen Âge,
détentrices de pouvoir et fort influentes. Elles
participent à la christianisation, encouragent
la pratique chez les fidèles et élaborent une
spiritualité. Dans une société rurale, l’Église
se recentre sur les monastères, qui sont les
principaux foyers religieux de la France aux
XIe et XIIe siècles. Ils savent attirer les membres
de l’aristocratie et gagner leur générosité. Les
downloadModeText.vue.download 16 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
5
« grands » souhaitent obtenir une sépulture
dans les cimetières monastiques, se convertissant parfois à l’heure du trépas. Mais la situation des abbayes vis-à-vis de l’ensemble de
la société est quelque peu paradoxale : bien
qu’ils soient retirés du monde, cloîtrés, voués
à l’ascèse, les moines prétendent exercer une
influence sur leurs contemporains, et ils y
parviennent, certes plus ou moins bien, selon
les époques. Au Moyen Âge, leur isolement ne
leur interdit pas de jouer un rôle économique,
ni même politique, comme ce fut le cas pour
certaines abbayes chefs d’ordre du Xe au
XIIe siècle. Grâce à leur hégémonie religieuse
et culturelle, les moines n’ont-ils pas tenté,
parfois, de modeler la société à leur image ?
Ainsi, le XIe siècle a placé son idéal dans les
principes mêmes du monachisme.
abbevillien ! paléolithique
Abd el-Kader (Mohieddine, dit l’émir),
en arabe Muhyiddin Abdul Qadir, émir arabe
d’Algérie (près de Mascara, Algérie, 1808
- Damas, Syrie, 1883).
Issu d’une famille maraboutique appartenant
à la confrérie musulmane des Qadiriyya, il
reçoit une éducation religieuse et guerrière
qui établit sa réputation en Oranie (Ouest
algérien). Lorsque la France occupe les côtes
algériennes, à partir de 1830, les tribus de
cette région le proclament émir et « envoyé de
Dieu » chargé de repousser les troupes françaises. Il s’impose rapidement par la mise au
pas de certaines tribus réfractaires et, surtout,
par le succès de ses opérations de guérilla
contre les Français. Harcelés militairement,
ceux-ci finissent par négocier avec lui dans
l’espoir d’instaurer un protectorat allié aux
confins des zones qu’ils occupent. Par le traité
signé avec le général Desmichels (1834), puis
par la convention de la Tafna (1837), négociée avec le général Bugeaud, la France reconnaît à l’émir un vaste territoire qui s’étend sur
les provinces d’Oran, d’Alger, du Titteri, et
jusque dans le Constantinois. Abd el-Kader
s’emploie à y construire un véritable État,
l’unifiant etle pacifiant par les armes, créant
une nouvelle administration sur des bases
islamiques, réformant l’impôt et la justice.
En novembre 1839, comprenant que le
temps risque de jouer en faveur des Français,
il reprend l’offensive, et dévaste les plaines
colonisées de la Mitidja. Commence alors
une guerre sans merci entre l’émir et les armées françaises, réorganisées et dirigées par
Bugeaud, lequel vise désormais la conquête
totale du territoire algérien. Après quelques
premiers succès, Abd el-Kader subit des
revers importants (prise de la Smala, en mai
1843). À la fin de 1843, il doit se réfugier au
Maroc, où il obtient le ralliement du sultan
Abd ar-Rah-man à sa cause. Mais, après la défaite de l’armée marocaine à la bataille de l’Isly
(14 août 1844) et le traité franco-marocain
de Tanger (18 septembre 1844), l’émir est
refoulé en Algérie. Isolé, pourchassé, il remporte cependant, avec une poignée de fidèles,
quelques ultimes succès (Sidi-Brahim, 23 septembre 1845), avant sa reddition finale au
général de Lamoricière le 23 décembre 1847.
Emprisonné en France pendant cinq ans,
il est finalement libéré et se rend à Brousse
(Bursa, Turquie), puis à Damas (Syrie), où
il se consacre à la méditation religieuse et à
la rédaction d’une oeuvre mystique. Il garde
toutefois de bons contacts avec la France, protégeant notamment les Européens de Damas
lors des émeutes antichrétiennes de 1860.
Abd el-Kader, qui fut tour à tour l’adversaire et l’ami de la France, aura forcé le respect de tous. Il est aujourd’hui célébré comme
l’un des pionniers de la lutte anticoloniale et
comme le fondateur de la nation algérienne.
Abélard ou Abailard (Pierre), philosophe et théologien (Le Pallet, près de Nantes,
1079 - près de Chalon-sur-Saône, 1142).
Pierre Abélard, né dans une famille de chevaliers, est l’un des esprits les plus brillants
de la première moitié du XIIe siècle. Son talent
se révèle rapidement, à Paris, dans les débats
(quaestiones) qui l’opposent à son maître
Guillaume de Champeaux, écolâtre de NotreDame et fondateur de la collégiale de SaintVictor. Chassé par Guillaume, Abélard fonde
sa propre école, à Melun, puis à Corbeil.
Dès cette époque, il est considéré comme un
maître, et adulé.
Après quelques années d’interruption due
à la maladie, il revient à Paris pour affronter
de nouveau le vieux Guillaume. Sa méthode
est la dialectique, confrontant les textes et les
idées contradictoires. Le terrain de l’affrontement est la logique ; le contenu du débat,
la querelle des universaux, où il oppose le
conceptualisme aux impasses du réalisme et
du vocalisme (une forme de nominalisme).
Délaissé par ses élèves, Guillaume se retire
à Saint-Victor, abandonnant la montagne
Sainte-Geneviève à Abélard. Logicien et philosophe reconnu, ce dernier décide alors de
s’attaquer à la théologie. Déçu par l’enseignement d’Anselme de Laon, il improvise un
commentaire sur Ézéchiel, en appliquant au
texte les méthodes mises au point dans ses
travaux de logicien. L’auditoire est enthousiaste, et de nombreux élèves quittent Laon
pour le suivre à Paris.
C’est alors que la vie d’Abélard connaît son
premier tournant : sa rencontre avec la jeune
Héloïse vers 1115, leur amour, la naissance
d’un fils, leur mariage secret et, pour finir, sa
castration et la claustration d’Héloïse. Malgré
leur séparation, ils restent en relation jusqu’à
la mort d’Abélard. Entré à Saint-Denis, ce
dernier poursuit son oeuvre théologique. Son
premier traité, sur la Trinité, est condamné et
brûlé au concile de Soissons (1121).
À partir de cette date, l’auteur doit faire
face à une farouche opposition de la part de
ceux qui refusent de voir le mystère chrétien
expliqué sur un mode rationnel : saint Bernard n’a de cesse de réduire cette nouveauté,
qui lui paraît vaine et blasphématoire. En
1122, Abélard s’enfuit du monastère dionysien et fonde, près de Nogent-sur-Seine, un
oratoire - le Paraclet -, où le rejoignent de
nombreux disciples. Après un abbatiat diffi-
cile dans un monastère breton, il est enseignant à Paris en 1136. Face au succès de son
rival, saint Bernard vient prêcher dans la ville,
mais ne parvient pas à conquérir les étudiants.
En 1140, la dispute organisée entre le moine
et le professeur à Sens se révèle être un piège :
Abélard se retrouve face à un concile chargé
de le juger. Malgré la réticence des évêques
réunis à Sens, saint Bernard arrache au pape
la condamnation de onze thèses extraites
d’oeuvres d’Abélard, qui sont brûlées. Le
philosophe, malade, est recueilli à Cluny par
Pierre le Vénérable. Il meurt le 21 avril 1142,
au couvent de Saint-Marcel.
Dans cette apparente défaite, il faut déceler
une victoire : les thèses d’Abélard seront unanimement acceptées dès la fin du siècle, ainsi
que sa méthode dialectique, exposée dans Sic
et non (1134 ou 1136). Avec Abélard est née
la scolastique.
Aboukir (bataille navale d’), combat
qui oppose, dans le cadre de l’expédition
d’Égypte, les flottes anglaise et française les
1er et 2 août 1798.
C’est le 19 mai 1798 que la flotte française,
composée de treize vaisseaux et de quatre
frégates, quitte Toulon sous le commandement du vice-amiral Brueys. Le 1er juillet, elle
débarque Bonaparte près d’Alexandrie, puis,
le 5, jette l’ancre dans la baie d’Aboukir. Pendant ce temps, Nelson, à la tête de quatorze
vaisseaux dont les équipages sont bien plus
expérimentés que les marins français, s’est
lancé à la poursuite de Brueys. Il arrive devant
Aboukir le 1er août, en début d’après-midi.
Brueys, persuadé que Nelson n’attaquera pas
immédiatement, et au risque d’être surpris par
la nuit, ordonne à la flotte de rester sur place et
de se préparer au combat. Mais l’Anglais veut
écraser les premiers vaisseaux de la ligne française avant que les autres aient pu réagir. Vers
6 heures du soir, la flotte anglaise s’avance.
Quand Brueys donne l’ordre de tirer, ses vaisseaux sont déjà sous la mitraille. Les combats
durent dix-huit heures et se soldent par un
désastre pour les Français : deux frégates et
onze vaisseaux sont détruits ; aucun chez les
Anglais. Les pertes en hommes sont importantes : Brueys est emporté par un boulet ; on
compte 1 700 tués et 1 500 blessés parmi les
Français. Les conséquences de cette défaite
sont considérables : le corps expéditionnaire
français en Égypte est isolé, la marine française en Méditerranée anéantie.
Aboukir (bataille terrestre d’), combat qui,
dans le cadre de l’expédition d’Égypte, oppose
l’armée turque commandée par Mustafa
Pacha et l’armée de Bonaparte, le 25 juillet
1799.
Après l’échec de son avancée sur Saint-Jeand’Acre, Bonaparte doit se replier sur Le Caire.
C’est là qu’il apprend le débarquement à
Aboukir d’une armée turque renforcée par une
escadre britannique. Les Turcs viennent rapidement à bout de la résistance des quelque
300 hommes du fort d’Aboukir et établissent
des lignes de défense. Bonaparte décide alors
d’attaquer immédiatement avec une dizaine de
milliers de fantassins soutenus par un millier
de cavaliers commandés par Murat. Le 25 juillet, l’assaut est donné ; la charge, conduite par
Murat à la mi-journée, décide du sort de la
bataille : le fort est investi, le commandant
Mustafa Pacha est fait prisonnier. Plusieurs
milliers de ses hommes, tentant de fuir, se
downloadModeText.vue.download 17 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
6
noient ou sont tués. Environ 2 000 Turcs se
barricadent dans le château d’Aboukir, mais, à
court de vivres, ils sont contraints de capituler
le 2 août. En sept jours de combat, les Français
n’ont perdu que 200 hommes !
En dépit de cette victoire, l’armée d’Orient,
toujours coupée de la France par la maîtrise
anglaise en Méditerranée, demeure piégée
en Égypte. Bonaparte, qui entend jouer les
premiers rôles à Paris, l’a bien compris : il
s’embarque pour la France le 23 août.
Académie des beaux-arts, société
artistique fondée le 1er février 1648 sous
le nom d’ « Académie royale de peinture et
de sculpture », et chargée notamment de
défendre les intérêts professionnels des artistes et de « fixer la doctrine » en matière de
beaux-arts.
Placée sous la protection de Mazarin, elle
voit le jour grâce aux initiatives conjointes du
sculpteur Sarrazin et des peintres Egmont et
Le Brun. C’est un lieu d’échanges, d’expositions et d’enseignement du dessin d’après le
modèle vivant. Dès 1655, elle exerce un monopole sur la vie des arts. En 1663, Colbert,
par un arrêt du Conseil royal, ordonne à tous
les peintres pensionnés de rejoindre l’Académie, sous peine de se voir retirer leur pension.
Dissoute en 1793, l’Académie est reconstituée
en 1795 et rattachée à la classe « littérature
et beaux-arts » de l’Institut de France, créé
le 25 octobre de cette même année. L’ordonnance royale du 9 juillet 1816 arrête le règlement de la nouvelle Académie des beaux-arts.
Confortée dans son autorité sur l’enseignement artistique et dans son rôle auprès du
gouvernement, elle est chargée de préparer
les Grands Prix de Rome. Elle est composée
de 55 membres répartis en 7 sections : peinture (10), sculpture (8), architecture (9), gravure (4), musique (8), section des membres
libres - écrivains d’art, critiques, amis des arts
(10), créations artistiques dans le cinéma et
l’audiovisuel (6), cette dernière section ayant
été ouverte depuis 1985.
Académie française, institution littéraire fondée par Richelieu en 1635, et qui
constitue aujourd’hui l’une des cinq classes
de l’Institut de France.
Officialisant l’existence d’un groupe de neuf
lettrés et écrivains qui se réunissent depuis
1629, Richelieu lui impose une mission d’utilité publique sous la protection et l’autorité
royales. « La principale fonction de l’Académie,
édictent les statuts, sera de travailler avec tout
le soin possible à donner des règles certaines
à notre langue, à la rendre pure, éloquente, et
capable de traiter les arts et les sciences. » Ce
dirigisme linguistique et littéraire s’inscrit dans
une politique centralisatrice : temple du « bon
usage » et de la promulgation de règles strictes,
instance de consécration des grands écrivains,
l’Académie est un instrument idéal de contrôle
de la langue et des productions de l’esprit.
Composée de 40 membres dès 1639,
l’assemblée s’assigne la tâche de réaliser un
dictionnaire lexicographique, dont la première édition ne verra le jour qu’en 1694.
Les Quarante s’attirent, dès le XVIIe siècle, les
railleries de ceux qui les taxent de purisme
excessif, mais ils parviennent à asseoir leur
autorité et leur prestige. Accueillant la plupart
des grands écrivains classiques - à l’exception notable de Molière -, l’Académie devient
un haut lieu de réflexion et d’échange où la
création littéraire acquiert un rayonnement
social. Installée au Louvre par Louis XIV, elle
décerne des prix, intervient dans les grands
débats littéraires et instaure la tradition du
discours académique. Le dynamisme de l’institution ne se dément pas durant le siècle des
Lumières. L’Académie française ne reste pas
étrangère au mouvement des idées nouvelles :
elle accueille Voltaire, Turgot, Condorcet et
d’Alembert. Elle n’en est pas moins supprimée
en 1793, accusée d’avoir « dirigé les littérateurs pour les corrompre et façonner par leurs
mains le peuple à la servitude ».
• De la norme à la référence. Napoléon la
fait renaître, en 1803, sous le nom de « seconde classe de l’Institut de France ». De cette
époque datent le fameux habit vert de ses
membres et son installation sur la rive gauche
de la Seine, dans l’ancien Collège des QuatreNations. En 1816, un décret de Louis XVIII
restaure toutes ses anciennes prérogatives :
l’Académie française retrouve son nom, sa
primauté, ses statuts originels, ainsi que la
protection royale.
L’institution est le théâtre, tout au long du
XIXe siècle, de véritables débats littéraires et
politiques, mais ses voies ne recoupent que
rarement celles des mutations et révolutions
esthétiques. Certes, elle accueille Victor Hugo
- après une élection des plus difficiles -, mais
elle repousse les candidatures de Stendhal,
Balzac, Baudelaire et Verlaine. Le XXe siècle
confirme ce compromis entre une relative
frilosité et des audaces mesurées : après
l’entrée inattendue de Ionesco sous la Coupole (1970), une première femme (Marguerite Yourcenar, 1980) et le premier écrivain
d’outre-mer (Léopold Sédar Senghor, 1983)
rejoignent les rangs des Immortels.
La structure et le fonctionnement de l’Académie n’ont guère changé depuis sa création :
un directeur, élu pour une brève période,
préside la séance hebdomadaire, tandis que
le secrétaire perpétuel, officier le plus important, a la charge de l’organisation générale des
travaux.
La question de l’utilité d’une telle institution est souvent posée aujourd’hui. Fleuron de
l’Académie, le Dictionnaire - dont la neuvième
édition est en cours d’élaboration - souffre
de lenteurs de procédure, qui risquent de
rendre le résultat caduc avant publication.
La vitalité de l’Académie se manifeste plutôt
dans ses actions multiformes en faveur de la
culture française : attribution de quelque cent
cinquante prix annuels (tous les genres littéraires sont concernés), subventions accordées
à des associations ou à des revues littéraires
qui contribuent à la diffusion de la langue et
de la pensée françaises. Souvent mal connue
par le public, victime de clichés simplistes,
l’Académie française a un statut paradoxal
dans l’opinion : le fréquent persiflage ou les
sarcasmes dont elle fait l’objet ne l’empêchent
pas de demeurer une référence prestigieuse.
Académie des inscriptions et
belles-lettres, académie héritière de la
Petite Académie, réunie par Colbert à partir
de 1663.
Celle-ci, entièrement vouée à la glorification
du Roi-Soleil, est chargée de rédiger les inscriptions destinées à orner les monuments,
ainsi que d’élaborer les allégories décorant les
médailles. Elle a un rôle consultatif et normatif, et contribue ainsi à définir l’art officiel. Dite
d’abord « Académie royale des inscriptions et
médailles » en 1701, elle prend son nom définitif en 1716. Dès cette époque, elle s’oriente
vers les travaux d’érudition historique. Mais
la loi du 8 août 1793, qui supprime toutes les
Académies royales, met un terme à son activité. Lors de la création de l’Institut de France
(25 octobre 1795), les membres relevant de
l’Académie sont dispersés dans différentes
sections de la deuxième et la troisième classe.
En 1803, la réforme de Chaptal redonne une
existence à l’Académie, qui constitue désormais la classe d’« histoire et de littérature
ancienne » de l’Institut. Elle retrouve son ancien nom par l’ordonnance royale du 21 mars
1816. Les activités de l’Académie sont orientées vers l’étude de l’Antiquité classique et de
l’histoire nationale, notamment de ses origines médiévales (Augustin Thierry et Prosper
Mérimée), mais aussi vers les études orientalistes (Champollion). Temple de l’archéologie
et de l’épigraphie – d’Antoine Jean Letronne à
Louis Robert –, elle reste, aujourd’hui encore,
un haut lieu de la science historique française.
Académie des sciences, société savante réunie à Paris en 1666 par Colbert, sous
le nom d’Académie royale des sciences, et qui
rassemble alors une vingtaine d’hommes de
science (astronomes, mathématiciens, physiciens, anatomistes, botanistes, zoologistes
et chimistes), parmi lesquels le Néerlandais
Huygens et l’Italien Jean Dominique Cassini,
attirés à prix d’or.
Les besoins en hommes et en moyens financiers de la science expérimentale du XVIIe siècle
rejoignent les préoccupations administratives
et le désir de gloire de Louis XIV. En échange
de rémunérations, d’investissements techniques, et forte du prestige lié à sa reconnaissance par l’État, la compagnie exécute
des programmes royaux tels que le relevé des
côtes, nécessaire à la sécurité de la marine,
ou l’adduction d’eau pour alimenter le château deVersailles et les bassins, fontaines et
jets d’eau de son jardin. Cette science appliquée, dont les résultats demeurent confidentiels, est couplée à un effort dans la recherche
fondamentale (création de l’Observatoire
royal de Paris, missions astronomiques en
France et à Cayenne) qui débouche sur des
publications par l’Imprimerie royale, mais
s’essouffle à la mort de Colbert, en 1683. En
1699, l’Académie s’installe au Louvre, reçoit
enfin un statut qui la répartit en sections et
hiérarchise ses 70 membres, et voit sa mission
redéfinie. Association d’hommes de science
plutôt qu’équipe de recherche, elle adjoint à
l’expertise administrative un rôle public que
symbolise l’habile vulgarisateur Fontenelle,
son secrétaire perpétuel de 1699 à 1740. Elle
oriente les recherches par les questions de
downloadModeText.vue.download 18 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
7
ses concours publics, examine les inventions,
rend compte chaque année de ses travaux
dans Histoire et mémoires de l’Académie royale
des sciences. Ses membres participent également à la rédaction du Journal des savants,
fondé en 1665, puis à l’Encyclopédie, dont
l’académicien d’Alembert est co-animateur.
Réformée en 1785 par Lavoisier, elle bénéficie
à la fin de l’Ancien Régime d’une telle renommée que, dans l’Europe des despotes éclairés,
des institutions fonctionnant sur son modèle
sont créées.
Supprimée par la Convention en 1793
après que ses membres eurent défini le nouveau système métrique, l’institution renaît en
1795. Elle occupe le premier rang en nombre
(60 membres) et en prestige au sein du nouvel
Institut. Si elle conserve au XIXe et au XXe siècle
sa fonction de reconnaissance sociale des activités savantes, l’Académie ne participe plus
à l’évolution des sciences par des recherches
propres. Elle se contente de susciter les initiatives (par des prix et des bourses), d’appuyer
certains scientifiques (en 1865, elle prend
parti pour Pasteur dans le débat qui l’oppose
à la Société de médecine à propos de la génération spontanée) ou d’enregistrer et de diffuser dans ses Comptes rendus hebdomadaires
(publiés depuis 1835) les découvertes et
inventions faites dans les laboratoires industriels et d’autres institutions, dont les facultés
des sciences ou le CNRS. Réformée en 1975,
puis en 2002-2003, elle travaille depuis dans
les domaines de l’application des découvertes
scientifiques et de l’éducation des sciences, et
entend faire figure d’autorité morale.
Académie des sciences morales
et politiques, l’une des cinq académies
composant l’Institut de France, créé le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795).
Contrairement aux deux autres classes de
l’Institut, celle-ci ne succède à aucune académie d’Ancien Régime. Elle prend la relève de
clubs plus ou moins éphémères, dont celui
de l’Entresol, auquel appartint Montesquieu,
ou s’inspire de l’esprit de certaines académies
provinciales. S’inscrivant dans le droit-fil de
la philosophie des Lumières, elle oeuvre à la
promotion, à côté des sciences exactes, des
sciences qui s’attachent à l’étude de l’homme,
de ses moeurs, de son organisation en société
et de son gouvernement. Cependant, par l’arrêté du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1803),
Bonaparte restructure l’Institut : les membres
de la deuxième classe sont répartis entre les
quatre classes nouvellement organisées. Volonté de réprimer la liberté de l’esprit et les
Idéologues ou simple réorganisation d’une
classe bien hétérogène ? En 1816, Louis XVIII
ne restaure pas l’Académie, institution républicaine. Il faut attendre 1832 pour la voir renaître, à l’initiative de Guizot. Sous le Second
Empire, elle est un pôle de l’opposition libérale, représentée par Tocqueville, Michelet,
Odilon Barrot, Thiers ou Auguste CasimirPerier. Son activité est alors intense : publication des comptes rendus de séance dans
la Revue de l’Académie des sciences morales et
politiques, production de nombreux rapports
sur l’état social de la France, dont celui de Villermé... Cette activité s’est maintenue même
si, au XXe siècle, l’influence de l’Académie sur
le monde politique et le mouvement des idées
tend à diminuer.
académies protestantes, instituts
protestants d’enseignement supérieur qui
prennent leur essor après la proclamation
de l’édit de Nantes (1598) et sont supprimés
après sa révocation (1685).
Leur finalité principale est la formation de ministres du culte. Des académies protestantes, au
nombre de huit, fonctionnèrent à Nîmes, Orthez, Sedan, Saumur, Montauban, Montpellier,
Orange et Die. Les trois premières sont créées
respectivement par la municipalité, par Jeanne
d’Albret et par Henri de la Tour d’Auvergne.
Les cinq autres le sont par les autorités synodales. L’académie de Nîmes est à l’origine de ce
développement. En 1582, sous l’impulsion de
Jean de Serres, le collège de Nîmes devient une
haute école d’humanités. Après un cycle obligatoire de huit années, l’élève assiste à des leçons
publiques libres de mathématiques et d’histoire,
une matière alors nouvelle dans l’enseignement.
À l’âge de 20 ans, il étudie le droit, la médecine
ou la théologie. Les académies contrôlées par les
synodes dispensent, quant à elles, une formation essentiellement pastorale. La dogmatique y
tient une place prépondérante. Après un cycle
de deux ans à la faculté des arts, les étudiants,
alors appelés « proposants », entreprennent un
cycle de théologie de trois à quatre années et
comprenant quatre enseignements : hébreu,
grec, théologie et controverse. À Saumur, l’académie la plus célèbre, on compte trois professeurs de théologie, deux de philosophie, un de
grec et un de mathématiques.
Les académies, inspirées par la rénovation
pédagogique introduite par Jean Sturm dans
sa Haute École de Strasbourg, valorisent les
classiques grecs et latins, à la différence des
établissements catholiques. Leur méthode
d’enseignement influence même ces derniers.
Sur le plan doctrinal, elles sont au coeur de
la querelle sur la prédestination : un courant
proche de l’arminianisme, qui soutient que
Dieu veut le salut de tous les hommes, se développe à Saumur. Cependant, les autres académies restent partisanes de l’interprétation
orthodoxe, dans la ligne de Théodore de Bèze
et de François Gomar, selon laquelle seuls les
élus sont concernés par le sacrifice du Christ.
L’académie de Montauban, la plus importante
par le nombre d’étudiants, est la gardienne
de cette orthodoxie. Néanmoins, une relative tolérance persiste, puisque l’académie de
Saumur, bien qu’inquiétée, ne sera jamais
condamnée. Malgré la réconciliation de 1649,
les proposants saumurois éprouveront des
difficultés à trouver un ministère dans les provinces du Sud-Ouest. En revanche, quelques
années plus tard, la tentative d’Huisseau et de
Pajon d’introduire le cartésianisme est fermement rejetée.
académies provinciales, sociétés savantes de province, très brillantes au XVIIIe siècle.
Au milieu du XVIIIe siècle, l’Académie française, symbole de la mainmise monarchique
sur la culture, est peu à peu gagnée par les
idées des Philosophes. À partir de l’élection de Jean d’Alembert, en 1754, la société
s’ouvre à l’esprit du temps. En 1760, un discours de l’académicien Lefranc de Pompignan
dénonçant les Philosophes et leur « liberté
cynique » soulève une tempête : une vague
de brochures et de pamphlets submerge le
défenseur de la religion traditionnelle. Les
Philosophes exploitent cette victoire acquise
devant le tribunal de l’opinion, et, en dix
ans, de 1760 à 1770, sur quatorze élections
en emportent neuf, dont celle de Marmontel.
Une institution qui sommeillait est devenue
en quelques années l’un des fers de lance de la
sociabilité éclairée. Suivant ce modèle, la vie
académique française se renouvelle.
Ce sont d’abord les autres institutions parisiennes qui se font l’écho de l’esprit nouveau :
l’Académie royale des sciences tient sa place
sur le devant de la scène intellectuelle, sous
l’impulsion de Fontenelle, Maupertuis, Réaumur ; l’Académie des inscriptions et belleslettres, réformée en 1701, acquiert un rôle
essentiel dans le renouvellement des travaux
historiques, archéologiques, linguistiques,
abordant des sujets souvent très sensibles qui
figurent au coeur des intérêts philosophiques.
• Le creuset des nouvelles élites. L’emprise des Lumières s’étend enfin à la France
entière, grâce au réseau des académies de
province : il s’agit sans doute là de l’un des
phénomènes culturels les plus importants du
siècle, ainsi que l’a montré Daniel Roche dans
une thèse pionnière publiée en 1978 (le Siècle
des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux, 1680-1789). On recense
ainsi 9 académies provinciales en 1710 ; 24
en 1750 ; plus de 40 en 1770. Les trois quarts
des villes de plus de 20 000 habitants en sont
dotées. Sociétés de savants placées sous la
protection des autorités publiques, elles sont
fondées, le plus souvent, sur le modèle des
académies parisiennes. L’honneur d’en être
élu membre est très recherché. Le recrutement social y rassemble les notables municipaux et fait siéger, côte à côte, les représentants de la noblesse urbaine, de la bourgeoisie
industrieuse en pleine ascension sociale, et
certains clercs et érudits locaux. L’académie
devient vite, à l’échelle régionale, « l’instance
privilégiée du compromis social, le banc d’essai d’une tentative de fusion où le savoir-faire
bourgeois et le savoir-faire nobiliaire s’associent dans une idéologie réconciliatrice de
service et de gestion » (D. Roche).
Après 1750, nombre de ces académies intègrent à leurs travaux une dimension scientifique : les discours, les poèmes, les traités,
reculent devant les mémoires de physique ou
de chimie, les plans d’agriculture, les ouvrages
d’histoire naturelle. Ce triomphe des sciences
fournit un autre indice du poids qu’ont pris
ces académies dans la culture du temps : l’esprit d’observation et d’expérimentation gagne
partout du terrain. En revanche, les académies
de province n’entendent guère le discours politique : elles vouent un culte au monarque
et ne sont pas le lieu d’un conflit ou d’une
réaction politiques contre la royauté.
Leur réputation est généralement liée aux
prix, fort courus, qu’elles décernent. L’on sait,
par exemple, le rôle tenu par l’académie de
Dijon dans la carrière de Rousseau en proposant, au concours, de savoir « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à
épurer les moeurs ». Ainsi vit le jour le DisdownloadModeText.vue.download 19 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
8
cours sur les sciences et les arts, couronné en
1750, révélation publique d’un nouveau philosophe. Ce genre de compétition culturelle
forme d’ailleurs une partie des futurs cadres
révolutionnaires. Robespierre, Cerutti, Roland de La Platière, l’abbé Grégoire, pour ne
citer qu’eux, ont suivi les étapes de cette sociabilité provinciale qui apparaît, malgré sa rhétorique monarchiste, comme l’un des creusets
privilégiés des nouvelles élites du pays.
Académies royales, sociétés artistiques ou savantes fondées par la monarchie
au XVIe siècle.
Venu d’Italie, le mouvement de création d’académies prend une réelle ampleur en France à
partir du moment où celles-ci sont parrainées
et contrôlées par le roi. En 1570, la première
Académie royale - l’Académie royale de poésie et de musique - est instituée, à la demande
de Charles IX, par Jean Antoine de Baïf, afin
d’organiser les divertissements de la cour. Elle
ne représente, toutefois, qu’une pâle ébauche
du système académique que Richelieu puis
Louis XIV vont mettre en place. En créant
l’Académie française (1635), le Cardinal entend
se doter d’un instrument de normalisation linguistique et de contrôle des productions intellectuelles. À sa suite, Louis XIV instaure des
académies dans chaque domaine artistique :
l’Académie royale de peinture et de sculpture
(1648), l’Académie des inscriptions et belleslettres (1663), l’Académie royale de France à
Rome (1666), l’Académie royale de danse
(1669), et l’Académie royale d’architecture
(1671). Les artistes les plus talentueux - Lully,
Le Brun, Racine, La Fontaine... - sont pensionnés par le roi et travaillent à sa gloire. Colbert
accordera d’importants subsides à l’Académie
royale des sciences, créée en 1666, car, à ses
yeux, la France doit être à la pointe du progrès
en Europe. Mais le coût des guerres menées par
Louis XIV met fin à ce mécénat royal. Toutefois,
l’utilisation des académies à des fins politiques
se répand dans toute l’Europe.
C’est sous Louis XV que les Académies
royales connaissent un renouveau, avec la
naissance de l’Académie de chirurgie (1731),
et de l’Académie de marine (1750), à Brest,
qui a pour vocation de promouvoir les études
scientifiques concernant la navigation. Parallèlement, les autres accroissent leur spécialisation : ainsi, des classes de physique générale
et de minéralogie voient le jour au sein de
l’Académie des sciences. Au XVIIIe siècle, elles
deviennent un lieu d’élaboration du savoir,
comme en témoigne l’abondante correspondance tenue entre les Académies royales et les
académies de province. Demeurant, aux yeux
des révolutionnaires, les symboles de l’autorité monarchique dans les domaines artistique
et scientifique, elles sont supprimées en 1793
par la Convention. Mais elles réapparaissent
dès 1795, sur proposition de Daunou, dans le
cadre de l’Institut de France, preuve qu’elles
avaient acquis, en un siècle, une véritable légitimité intellectuelle, malgré leur situation de
dépendance à l’égard du pouvoir politique.
Acadie, ancienne colonie située dans le
sud-est du Canada, française de 1604 ou 1605
à 1713.
La côte orientale du Canada est reconnue en
1498 par Jean Cabot, puis en 1524 par Verrazzano, qui lui donne le nom d’Acadie. Le
premier établissement est fondé en 1604 ou
1605 par le Normand Pierre de Monts, gouverneur d’Honfleur, qui le baptise « PortRoyal ». Mais les Anglais, installés au sud,
ne tardent pas à convoiter ce territoire : dès
1613, Samuel Argyll s’empare de certains
établissements français. En 1632, Isaac de
Razilly occupe à nouveau la colonie avec une
petite troupe de 300 hommes d’élite. Son
oeuvre est poursuivie entre 1635 et 1650 par
Charles d’Aulnay, qui fonde Pentagouet, La
Hève, Saint-Jean, Sainte-Anne, dans l’île du
Cap-Breton, avant que son rival, Charles de
Saint-Étienne de La Tour, ne livre le territoire
aux Anglais en 1654. Restituée à la France par
la paix de Breda en 1667, l’Acadie ne repasse
sous contrôle français qu’en 1670, et, en
1674, Colbert l’incorpore au domaine royal.
De 1674 à 1713, la colonie compte 40 gouverneurs, souvent âgés et peu compétents,
trop étroitement subordonnés aux gouverneurs généraux du Canada (Québec). Le
territoire est mal défendu par une garnison
de 200 hommes, et la population demeure
très peu nombreuse : 392 habitants en 1671,
1 088 en 1693, et 1 484 en 1707. Les colons,
qui ont noué de bonnes relations avec les
Indiens Iroquois et Micmacs, assèchent les
marais du bassin des Mines. L’agriculture
ainsi que les pêcheries de morue prospèrent,
notamment après la fondation de la Compagnie de pêche sédentaire des côtes d’Acadie
(1682).
En 1707, une escadre anglaise assiège PortRoyal. Jugeant cette colonie onéreuse et sans
intérêt, le ministre Pontchartrain n’envoie pas
de renforts au gouverneur Subercase, qui doit
capituler le 10 octobre 1710. En 1713, par
le traité d’Utrecht, l’Acadie est officiellement
cédée à l’Angleterre, en même temps que
Terre-Neuve et la baie d’Hudson, la France
ne conservant que l’île du Cap-Breton avec
Louisbourg. Mais les Acadiens, demeurés sur
leurs terres, refusent le serment d’allégeance
à la couronne d’Angleterre, et sont l’objet de
diverses tracasseries de la part des Anglais,
qui les appellent « Français neutres » (French
neutrals). En 1755, lors de l’épisode décisif du
Grand Dérangement, 7 000 d’entre eux (sur
15 000) sont expulsés et doivent s’établir dans
d’autres colonies ou en France.
accapareurs, nom donné, pendant la
Révolution, aux individus – cultivateurs, commerçants ou simples particuliers – stockant,
sans les mettre en circulation, des denrées de
première nécessité.
Lié au problème crucial des subsistances et
cause de nombreux troubles, l’accaparement est
sans cesse dénoncé par les milieux populaires,
qui lui imputent la rareté et la cherté des denrées. En fait, après 1790, l’émission indéfinie
d’assignats, qui se déprécient, et la guerre (commencée en 1792) sont responsables de l’inflation et de la pénurie. Cependant, faisant prévaloir le droit à la vie sur celui de la propriété, les
sans-culottes réclament une économie dirigée
et une législation répressive contre l’accapareur,
accusé de vouloir affamer le peuple.
Partisans du libéralisme économique, les
gouvernements qui se succèdent s’opposent à
la réglementation, mais, soucieux de faire cesser les troubles, les montagnards se résignent
finalement à appliquer une partie du programme des « enragés », qui bénéficient du
soutien populaire. Votée le 26 juillet 1793,
la loi contre l’accaparement contraint tous les
détenteurs de denrées à déclarer et à afficher
leurs stocks sous peine d’être punis de confiscation, voire de mort. Peu ou mal appliquée,
elle n’est qu’une satisfaction symbolique donnée aux sans-culottes. Après l’arrestation des
enragés et des hébertistes, le décret du 12 ger-
minal an II (1er avril 1794) adoucit la loi, supprime les commissaires aux accaparements et
ne maintient la peine de mort que pour les cas
avérés de liaison avec la Contre-Révolution.
acheuléen, terme désignant à la fois la
première civilisation préhistorique, reconnue comme telle par l’archéologie, et la plus
ancienne civilisation préhistorique attestée
en France.
Identifié dans les carrières de graviers de SaintAcheul, dans la Somme, l’acheuléen, industrie
dont les débuts sont datés de - 700 000 ans
environ, est associé à Homo erectus, premier
hominidé à avoir colonisé l’Eurasie, à partir de
l’Afrique, où cette industrie est attestée dans
le Nord, en Égypte, au Sahara et en Afrique
orientale. De fait, Homo erectus fut le premier
à maîtriser le feu. Ainsi, on a retrouvé à Lunel,
près de Montpellier, des foyers aménagés
datant de - 400 000 ans. Mais l’acheuléen se
caractérise surtout par les fameux bifaces en
pierre, jadis appelés « coups-de-poing », de
forme triangulaire ou ovale, et qui sont les
premiers objets symétriques et réguliers jamais fabriqués par l’homme.
Homo erectus occupait principalement des
campements de plein air, et plus rarement
des grottes, telle celle de Terra Amata, près de
Nice. Il vivait de la chasse aux grands mammifères, cervidés, éléphants, aurochs, etc.
Il n’enterrait pas ses morts. Principalement
attesté dans le Bassin parisien et en Aquitaine, l’acheuléen semble coexister avec des
civilisations à l’outillage plus sommaire, tels
le tayacien au Sud (grotte de Tautavel) ou le
clactonien au Nord. L’acheuléen débouche
sans rupture sur le paléolithique moyen, aux
alentours de - 250 000 ans environ.
Action catholique, ensemble des mouvements catholiques qui, au XXe siècle, visent
à relancer l’apostolat, notamment laïc, et à
influer sur l’organisation de la société par le
biais d’une pensée et d’actions cohérentes
inspirées de l’Évangile.
L’action catholique, somme de mouvements
riches par leur diversité plus qu’organisation
structurée, naît dès la fin du XIXe siècle d’une
volonté et d’une prise de conscience. Volonté,
en premier lieu, de peser, au moyen d’une
doctrine chrétienne, sur les débats contemporains ; l’heure est opportune : l’encyclique
Rerum novarum (1891) a doté l’Église d’une
doctrine sociale, et le pontife lui-même a
prôné l’acceptation du régime républicain.
Prise de conscience, ensuite, de la déchris-
tianisation des masses, phénomène connu
downloadModeText.vue.download 20 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
9
pour la classe ouvrière mais qui gagne aussi
le monde des campagnes. En 1886 est créée
l’Action catholique de la jeunesse française
(ACJF), qui, malgré son recrutement aristocratique et bourgeois, veille à promouvoir
parmi ses cadres des représentants ouvriers et
paysans. À l’extrême fin du siècle, le Sillon de
Marc Sangnier s’essaie à concilier catholicisme
et démocratie. Sa condamnation par Pie X,
qui l’accuse dès 1910 de se faire le fourrier
du socialisme, témoigne déjà des ambiguïtés propres à tous les mouvements d’Action
catholique, partagés entre l’apostolat et l’engagement politique, entre l’autonomie des laïcs
et la soumission à l’autorité de l’Église.
L’entre-deux-guerres donne lieu à une floraison de mouvements : la Jeunesse ouvrière
chrétienne (JOC), fondée en 1924 en Belgique
par l’abbé Cardijn, essaime en France dès
1926. Sur son modèle se créent bientôt la Jeunesse agricole chrétienne (JAC), la Jeunesse
étudiante chrétienne (JEC) et la Jeunesse indépendante chrétienne (JIC). Se développe
aussi l’Action catholique des adultes, qui deviendra le Mouvement populaire des familles,
puis le Mouvement de libération ouvrière,
avant qu’un rappel à l’ordre de la hiérarchie
ecclésiastique n’aboutisse à une refonte du
mouvement, qui se transformera en Action
catholique ouvrière. À cette époque se définissent les méthodes d’action tandis que les
organisations se structurent.
Les années cinquante, après l’épreuve de
la guerre et l’engagement de nombreux mouvements dans la Résistance, sont une période
de développement. L’épiscopat, qui a fait de
la France un pays de mission, lance l’expérience des prêtres-ouvriers, avant de se raviser
brutalement, apeuré par le poids croissant
de la politique dans l’action. Cette politisation n’épargne pas les mouvements laïcs, qui
connaissent, autour des grands débats de
l’heure, tels ceux suscités par la guerre d’Algérie, troubles et scissions, sanctionnés par une
reprise en main de l’autorité ecclésiale.
Malgré ces vicissitudes, l’Action catholique
intervient dans la vie de la nation : si elle
échoue à pénétrer profondément le monde
ouvrier, déjà structuré, elle joue un rôle im-
portant dans l’organisation des syndicalismes
agricole et étudiant. Au-delà du seul devenir
des mouvements, elle contribue à la formation intellectuelle d’une partie des élites de la
France des années soixante-dix.
Action française (l’), mouvement (né
en 1899), revue (créée la même année), ligue
(fondée en 1905) et quotidien (1908-1944) nationalistes.
École de pensée contre-révolutionnaire, l’Action française a exercé une forte emprise sur
la société française pendant près d’un demisiècle.
• Une école réactionnaire, nationaliste
et antirépublicaine. Née à la suite de l’humiliation de Fachoda (1898) et en pleine crise de
l’affaire Dreyfus (1894-1906), l’Action française apparaît comme une réponse de quelques
jeunes nationalistes exaspérés par l’évolution
du régime parlementaire et par les critiques
qui s’élèvent, dans le camp dreyfusard, contre
l’armée et la magistrature. Le ciment qui unit
ses fondateurs - Maurice Pujo, Henri Vaugeois
et Charles Maurras - associe deux éléments :
le rejet de l’« anarchie » individualiste héritée
de la Révolution française, d’une part ; une volonté de reconstruire la France à partir de nouvelles bases en tenant compte des intérêts du
« pays réel », d’autre part. Ainsi prend corps
la nécessité du retour à la « Mon-Archie »,
conçue par Maurras comme une « contre-révolution spontanée ». Celle-ci doit permettre
l’expulsion des « quatre États confédérés :
juifs, protestants, francs-maçons et métèques »
que la République, régime de l’étranger, a
laissé s’établir sur le territoire national.
La revue l’Action française est fondée le
10 juillet 1899 ; la Ligue naît le 15 janvier
1905, l’Institut d’Action française le 14 février
1906. Ce dernier entend, par l’enseignement,
procéder à la « régénération » de l’esprit
public et « nationaliser » l’idée de royauté.
L’indispensable propagande est assurée par
le journal, devenu quotidien le 21 mars
1908, que vendent les « camelots du roy »
(16 octobre 1908), également responsables
du service d’ordre dans les meetings. D’autres
personnalités rejoignent alors le mouvement : le tribun et écrivain Léon Daudet, fils
d’Alphonse Daudet, l’historien Jacques Bainville, l’historien d’art Louis Dimier, Léon de
Montesquiou, qui sera fauché par la Grande
Guerre en 1915.
• Les étapes d’une histoire. Pendant
quelque quarante ans, la Ligue combat ses
adversaires républicains. Ses incessantes polémiques lui attirent d’abord les sympathies des
catholiques, hardiment défendus lors de la
querelle des Inventaires au début du siècle,
puis celles des patriotes, que la situation internationale et les pronostics alarmistes de Daudet (l’Avant-guerre, 1913) inquiètent, et que
séduisent les vues antirépublicaines développées par Maurras. Dès le début de la Grande
Guerre, le patriotisme l’emporte : l’intérêt national exige l’« union sacrée ». L’Action française s’y rallie donc aussitôt ; elle va même
jusqu’à soutenir en 1917 son adversaire Clemenceau, parce que celui-ci révèle, face à la
crise, des qualités de chef.
L’hostilité au « mauvais traité » de Versailles vaut à la Ligue un grand prestige. Mais,
en 1924, la victoire du Cartel des gauches
marque une nouvelle étape : la Ligue est
concurrencée par la Fédération nationale
catholique (créée en 1924), tandis que l’avertissement puis la condamnation du quotidien
nationaliste par le pape Pie XI en décembre
1926 la privent de la part la plus importante
de sa clientèle. Dans les années trente, les dirigeants de l’Action française affrontent de nouveaux problèmes, que ni les pâles solutions
corporatistes ni les projets d’« union latine »
ne sont en mesure de résoudre. Le déclin est
amorcé, malgré le maintien des effectifs (entre
30 000 et 60 000 membres) et du tirage du
quotidien (variant de 40 000 à 90 000 exemplaires, selon les époques). La Seconde Guerre
mondiale va précipiter ce déclin, en dépit
d’un retour de faveur sous le gouvernement
de Vichy. Le soutien apporté à la « révolution nationale », qui peut être l’occasion de
restaurer un État « national », et la défense
de la « seule France » y afférente dissimulent
mal, sous l’apparence de la traditionnelle rhétorique antiallemande, une complicité de fait
avec l’occupant. L’engagement dans la Résistance de nombreux militants en rupture de
ban avec leurs dirigeants constitue, cependant, une réalité trop souvent minimisée par
les historiens.
L’idéologie de l’Action française a survécu à
la disparition du quotidien en 1944. Plusieurs
épigones ont repris le flambeau : en 1947,
Aspects de la France, fondé par Maurice Pujo
(qui redevient l’Action Française Hebdo en
1993) ; en 1955, la Nation française, créée par
Pierre Boutang. Au début des années quatrevingt-dix, de jeunes étudiants maurrassiens
fondent une revue – éphémère – Réaction,
dont le manifeste s’exprime ainsi : « En réac-
tion à l’atomisation de la société actuelle, le
nationalisme constitue la défense la plus sûre
de notre héritage charnel et spirituel. »
Adalbéron de Laon, évêque de Laon
(vers 947 - 1030).
Né dans une famille lorraine apparentée aux
Carolingiens, Aldabéron est élevé à l’abbaye
de Gorze, près de Metz, foyer de culture et
d’ascétisme qui bénéficie du renouveau monastique du Xe siècle. Fidèle du roi carolingien Lothaire, il devient son chancelier, puis
obtient de lui l’évêché de Laon, en 977. À la
mort de Lothaire, en 986, il prend parti pour
Hugues Capet : avec son oncle Aldalbéron, archevêque de Reims, il est l’un des promoteurs
du changement dynastique de 987 en faveur
des Capétiens. Mais il se dédit à plusieurs
reprises, complote avec Eudes de Blois contre
Hugues Capet, soutient le jeune Charles de
Lorraine, puis livre ce dernier à Hugues en
991, ce qui mettra fin à la dynastie des Carolingiens. Cette versatilité lui a valu, auprès de
ses contemporains et des chroniqueurs, une
solide réputation de traître.
Après l’an mil, Adalbéron de Laon est définitivement rallié aux Capétiens et soutient
Robert le Pieux, à qui il dédie, vers 1025, le
Poème au roi Robert. Sous la forme d’un dialogue avec le roi, Adalbéron décrit l’état de décrépitude du royaume et s’en prend vivement
à Odilon, abbé de Cluny, à qui il reproche de
s’être placé sous la tutelle directe du pape,
de commander à ses « abbayes filles » et de
contribuer au désordre ambiant. Pour Adalbéron, la paix nécessite que chacun connaisse
sa place, et il propose une partition de la société en ordres, déterminés par les différents
modes de vie. C’est ainsi que, le premier, il
distingue, en s’inspirant de saint Augustin,
ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux
qui travaillent. Les trois ordres ainsi définis
- clergé, noblesse et tiers état - demeureront
le fondement de la société française jusqu’à la
Révolution.
Adélie (terre) ! TAAF
Ader (Clément), inventeur (Muret, HauteGaronne, 1841 - Toulouse 1925).
Figure de l’inventeur héroïque et incompris,
Clément Ader n’est pas seulement ce pionnier
de l’aviation que la postérité a retenu. Technicien formé à l’École nationale des arts et métiers, d’abord au service des Chemins de fer du
Midi, il acquiert son indépendance, sa fortune
downloadModeText.vue.download 21 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
10
et sa notoriété à grand renfort de brevets, grâce
auxquels il exploite des inventions qu’il améliore (techniques télégraphiques et véhicules).
Il mène une vie sociale féconde, et participe à
l’Exposition universelle de Paris en 1900. Mais,
dans le domaine vierge de l’aéronautique, il
fait l’expérience de l’isolement, échouant à
convaincre les industriels, l’État et l’opinion
publique. En outre, étant à la recherche d’un
appareil plus lourd que l’air, il ne dispose pas
de modèle scientifique, et tâtonne. Il mobilise
toutes ses ressources : expérimentation, déduction, observation de l’anatomie et du vol des
oiseaux - d’où le terme d’« avion », du latin
avis, « oiseau ». Le 8 octobre 1890, son appareil, baptisé Éole I, décolle et parcourt une cinquantaine de mètres. Mais les essais de 1891
et 1897 se soldent par des échecs, et Clément
Ader retourne à des inventions plus rentables.
Il se retire à 64 ans et connaît alors une consécration nouvelle : l’armée de l’air, les hommes
politiques de la Haute-Garonne et les journalistes commencent à écrire la légende du « père
de l’aviation ».
adoubement, cérémonie d’entrée en
chevalerie au cours de laquelle le nouveau
chevalier reçoit solennellement les armes caractéristiques de sa fonction : l’épée, la lance,
l’écu, le heaume, le haubert et les éperons.
Cette remise d’armes s’accompagne de la collée, appelée encore « paumée » : un coup sur
la nuque, administré du plat de la main par le
parrain en chevalerie. Ce geste se transforme
à la fin du Moyen Âge (XIVe et XVe siècles) en
léger coup du plat de l’épée sur l’épaule.
D’origine laïque, la remise d’armes est
progressivement christianisée aux XIIe et
XIIIe siècles, ainsi qu’en témoignent les rituels liturgiques d’adoubement et les traités
de chevalerie composés par les clercs : à la
bénédiction préalable des armes, attestée dès
le XIe siècle, viennent peu à peu s’ajouter une
veillée de prières, un bain rituel et l’engagement moral du chevalier à protéger les opprimés et à défendre l’Église et la foi chrétienne.
Le chevalier reçoit parfois lui-même la bénédiction des mains d’un prêtre. L’adoubement
prend alors une dimension sacramentelle et
entraîne l’admission du chevalier dans un
ordre voulu par Dieu et béni par l’Église :
la chevalerie. La cérémonie devient, dans le
même temps, de plus en plus coûteuse et
prestigieuse : elle est souvent l’occasion de
fêtes somptuaires où sont célébrés l’honneur
aristocratique et les vertus chevaleresques. À
partir de la fin du XIIIe siècle, l’adoubement
devient ainsi un rite propre aux plus fortunés
des nobles.
adresse, réponse d’une assemblée au discours du trône ouvrant la session parlementaire, en usage en France de 1814 à 1848 et de
1861 à 1867.
Tradition anglaise adoptée par les assemblées
napoléoniennes dans leur réponse à la présentation de la Charte de 1814 « octroyée »
par Louis XVIII, elle devient un moyen de
pression sur l’exécutif, surtout en 1830 avec
« l’adresse des 221 » demandant un ministère qui ait la confiance des députés, point de
départ de la révolution de Juillet. Sous LouisPhilippe, elle bloque, entre autres, un projet
d’expédition coloniale à Madagascar, et, en
janvier 1848, sa discussion permet à l’opposition de dénoncer l’immobilisme de Guizot.
Sans objet sous la République, elle ne renaît
pas sous l’Empire autoritaire, où les députés
sont marginalisés. Mais le droit d’adresse est
rétabli par le décret du 24 novembre 1860,
fondant l’Empire dit « libéral ». Les débats
occupent alors un à deux mois par an et sont
le moment privilégié où s’expriment des oppositions internes au régime. Dès 1861, les
élus catholiques critiquent la politique menée
en Italie ; en 1864, 45 députés demandent un
« sage progrès » vers le libéralisme ; en 1866,
ils sont 63 à voter un amendement d’inspiration orléaniste.
Supprimée en 1867 et remplacée par l’interpellation, qui constitue un progrès en ce
qu’elle oblige les ministres à venir défendre
à tout moment leur politique devant la
Chambre, l’adresse n’est qu’une esquisse de
contrôle sur le gouvernement, mais, en tant
que telle, elle est une étape fondamentale sur
la voie du régime parlementaire.
A-ÉF ! Afrique-Équatoriale
française
Aetius, maître de la milice et patrice romain
(Durostorum, vers 390 - 454).
Fils du maître de la milice Gaudentius, Aetius
est envoyé comme otage vers l’âge de 15 ans à la
cour du roi des Huns, avec lesquels il établit de
solides liens d’amitié. Jusque vers 440, ces derniers lui fourniront les troupes d’appoint indis-
pensables à sa politique. En raison de ses succès
militaires contre les Wisigoths et les Francs, il
est nommé maître de la milice en 429. Grâce à
ses appuis chez les Huns, nul ne parvient à le
destituer, et il devient même patrice, c’est-à-dire
chef suprême des armées, en 434.
Aetius apparaît surtout comme le dernier
défenseur romain de la Gaule : en 436, il refoule
une attaque des Burgondes, dont le royaume
est entièrement détruit par les Huns, au point
qu’il peut transférer ce qui reste des populations
burgondes vers la région de Genève. Sa politique consiste à faire des peuples barbares des
« fédérés » de Rome, c’est-à-dire des alliés, tout
en les forçant à ne pas outrepasser les limites
des territoires qu’il leur a octroyés. Ainsi, en
451, il réunit une armée formée de Barbares et
de Gallo-Romains et vainc Attila aux champs
Catalauniques. Aetius atteint alors le sommet de
son pouvoir. Inquiet de sa puissance, l’empereur
Valentinien III l’assassine, peut-être de sa propre
main, le 21 septembre 454, avant de tomber à
son tour sous les coups des fidèles du patrice
en mars 455. La mort d’Aetius marque le déclin
irrémédiable de la puissance romaine en Gaule.
Afars et des Issas (territoire français
des) ! Djibouti
Affiche rouge (l’), affiche de propagande placardée par les Allemands à la fin
du mois de février 1944, présentant dix des
vingt-trois membres du groupe des FTP-MOI
fusillés le 21 février 1944.
Dans sa lutte armée contre l’occupant, le Parti
communiste clandestin maintient un groupe
réservé aux immigrés, la Main-d’oeuvre immigrée (MOI), rattachée aux Francs-Tireurs et
Partisans (FTP) en avril 1942. Souvent encadrés par des anciens des Brigades internationales, les FTP-MOI mènent une action de
guérilla urbaine contre les Allemands : en septembre 1943, ils exécutent, à Paris, Julius Ritter, bras droit de Fritz Sauckel, plénipotentiairechargé de la réquisition de la main-d’oeuvre
dans les pays occupés. Le travail de filature
organisé par la brigade spéciale de la police
parisienne aboutit, le 16 novembre 1943, à
l’arrestation de Missak Manouchian, ouvrier
arménien responsable de la MOI depuis l’été.
L’organisation des FTP-MOI de Paris est
alors démantelée. Du 15 au 18 février 1944,
vingt-quatre d’entre eux sont jugés par un tribunal militaire allemand. Sur les vingt-trois
condamnés, douze sont des juifs d’Europe
centrale. En effet, les jeunes juifs immigrés
forment la majorité des combattants de la
MOI. Désireuse de montrer aux Français que
la Résistance est aux mains de « bandits juifs
communistes », la propagande allemande
donne un écho particulier à ces exécutions.
Dans les années quatre-vingt, des polémiques ont mis en cause l’attitude du PCF
à l’égard du « groupe Manouchian » : si la
police française est bien à l’origine de la chute
du groupe, la direction du parti, engagée dans
une forte concurrence avec les gaullistes, avait
refusé de déplacer en province des combattants qu’elle savait très exposés à Paris. Ces
polémiques ont rappelé le prix payé par la Résistance juive et étrangère dans la lutte contre
l’occupant : l’Affiche rouge symbolise aujourd’hui un aspect original du creuset français, le sacrifice de ces immigrés « qui criaient
la France en s’abattant », comme l’exprima
Louis Aragon dans un poème qui fut chanté
par Léo Ferré.
Affre (Denis Auguste), archevêque de Paris
(Saint-Rome-de-Tarn 1793 - Paris 1848).
Fils d’un ancien parlementaire devenu magistrat à Rodez sous la Restauration, le futur
archevêque de Paris, est élevé au collège de
Saint-Affrique (Aveyron), puis au séminaire
parisien de Saint-Sulpice, où il adhère aux
doctrines gallicanes. Ordonné prêtre en 1820,
il occupe diverses fonctions dans les diocèses
de Rodez, Paris et Luçon, puis fonde avec
Laurentie le périodique la France chrétienne
(1821-1826). Vicaire général de Mgr de Chabons à Amiens (1823-1833), puis de Mgr de
Quelen à Paris (1834-1840), il acquiert une
réputation d’administrateur rigoureux et compétent, publie un important Traité de l’administration des paroisses (1827) ainsi qu’un
Traité de la propriété des biens ecclésiastiques
(1837). Pressenti pour devenir coadjuteur de
l’évêque de Strasbourg et sacré évêque in partibus de Pompeiopolis, il succède en 1840,
grâce à la protection de Thiers, au très légitimiste Mgr de Quelen, archevêque de Paris.
Ses huit années d’épiscopat dans la capitale (1840-1848) sont marquées par une
réorganisation administrative du diocèse.
Mgr Affre poursuit en particulier un effort de
renouvellement des études cléricales, publie
une importante lettre pastorale (Sur les études
downloadModeText.vue.download 22 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
11
ecclésiastiques, 1841), développe le collège-
séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet,
que dirige l’abbé Dupanloup, confie à l’abbé
Lacordaire les conférences de Notre-Dame de
Paris, réorganise la faculté de théologie d’État
à la Sorbonne, et crée aux Carmes une École
des hautes études ecclésiastiques (1845). Il
poursuit dans la capitale une pastorale active,
développe la catéchèse et les oeuvres d’assistance sociale et religieuse (Société de SaintFrançois-Xavier) ainsi que la presse catholique, malgré ses démêlés avec l’abbé Migne
et avec l’Univers de Louis Veuillot. Il se heurte
violemment à la monarchie de Juillet sur la
question de la liberté d’enseignement, et son
gallicanisme affiché lui vaut de nombreuses
difficultés avec les congrégations religieuses et
avec le Saint-Siège : ni Grégoire XVI ni Pie IX
ne le feront cardinal.
En février 1848, Mgr Affre se rallie ouvertement à la République. Il trouve la mort en
juin de la même année, au faubourg Saint-Antoine, en tentant courageusement de s’interposer entre les ouvriers insurgés et les troupes
du général Cavaignac.
Afrique du Nord (débarquement d’), débarquement des troupes américaines sur les
côtes de l’Algérie et du Maroc, le 8 novembre
1942, dans le cadre de l’opération « Torch ».
En juillet 1942, Churchill impose à Roosevelt
le principe d’un débarquement en Afrique du
Nord. À cause de l’anglophobie et de l’hostilité à la France libre de l’armée vichyste
d’Afrique, il est décidé que l’opération sera
dirigée par les Américains, sans en informer
de Gaulle.
Afin de susciter le ralliement de l’armée
d’Afrique, les Américains tentent d’obtenir
la caution d’un chef prestigieux. Weygand,
ancien délégué général en Afrique du Nord
du gouvernement de Vichy, s’étant désisté, ils
placent leurs espoirs dans le général Giraud,
récemment évadé d’Allemagne. Dans le même
temps, le consul Robert Murphy noue des
contacts avec la Résistance d’Afrique du Nord,
notamment avec le groupe des Cinq, réunion
de personnalités le plus souvent issues de
l’extrême droite. Pourtant, les équivoques ne
sont pas levées : Giraud croit que les Américains lui confieront le commandement de
l’opération, et il réclame un second débarquement en Provence. L’opération « Torch » se
déroule sans réelle coordination avec la Résistance locale. Les tentatives insurrectionnelles
des conjurés, menées dans l’improvisation,
échouent, et, à Casablanca, Oran et Alger, les
Alliés se heurtent aux forces de Vichy. Les
combats cessent à Alger dès le 8 novembre
au soir, mais ils continuent au Maroc jusqu’au
11. En outre, une série de facteurs imprévus
bouleverse le plan américain. On découvre
- un peu tard - que Giraud n’a aucune autorité sur les officiers vichystes d’Afrique du
Nord, qui lui reprochent sa « dissidence ».
En revanche, il apparaît que l’amiral Darlan,
ancien dauphin du maréchal Pétain, présent
fortuitement à Alger, est le seul à pouvoir les
convaincre. Dans un premier temps, Darlan
ordonne aux forces de Vichy de repousser les
« assaillants » ; mais, constatant la supériorité de ces derniers, il se résout à négocier.
Pragmatique, Roosevelt décide alors de traiter
avec lui. Les accords Darlan-Clark du 22 novembre placent l’Afrique du Nord sous une
quasi-occupation américaine et offrent le pouvoir à Darlan. Celui-ci, tout en maintenant la
législation de Vichy, entraîne l’empire (l’A-OF
se rallie rapidement) dans la guerre contre
les forces de l’Axe. Il se prévaut de l’« accord
intime » que, le 13 novembre, le maréchal
Pétain lui signifie par télégramme. En fait, il
semble que le fameux télégramme (cosigné
par Pierre Laval) se rapporte à la situation
des jours précédents et approuve la première
attitude de Darlan. Du reste, en public, Pétain
désavoue fermement l’amiral.
Le 11 novembre, en réaction au débarquement, les Allemands envahissent la Tunisie et
pénètrent en zone sud, anéantissant le semblant de souveraineté de Vichy et provoquant,
le 27, le sabordage de la flotte française basée
à Toulon, désarmée depuis l’armistice. La
position de Darlan est difficilement tenable :
les gaullistes et les résistants sont scandalisés
par l’intronisation de ce dignitaire de Vichy ;
le ralliement de l’armée d’Afrique est fragile,
et l’opinion américaine reste hostile. Finalement, le 24 décembre 1942, Darlan est assassiné par un jeune résistant, Bonnier de La
Chapelle. Giraud devient alors haut-commissaire de l’Afrique du Nord et, poursuivant la
politique de Darlan, refuse, dans un premier
temps, tout accord avec les gaullistes.
Afrique-Équatoriale française
(A-ÉF), groupement de quatre colonies, puis
de territoires d’outre-mer de la République
française en Afrique centrale (1910-1958).
Les explorations de Savorgnan de Brazza dans
le bassin du Congo sont à l’origine d’une
considérable extension des possessions françaises en Afrique équatoriale, qui se limitaient
jusque-là à la colonie du Gabon. En 1887,
Brazza est nommé commissaire général au
Congo avec Brazzaville pour résidence, la co-
lonie du Gabon étant confiée à un lieutenantgouverneur dépendant de son autorité. Le
29 décembre 1905 est fondée une troisième
colonie, l’Oubangui-Chari (ancienne région
du haut Oubangui). Quant au territoire militaire du Tchad, créé en 1901, après la destruction de l’empire de Rabah, il ne recevra le
statut de colonie qu’en 1920. En 1909, Martial Merlin prend le titre de gouverneur général du Congo français, et un gouvernement
général de l’A-ÉF est enfin institué en 1910.
Chaque colonie a à sa tête un lieutenant-gouverneur subordonné au gouverneur général.
En vertu de l’accord franco-allemand du
4 novembre 1911, consécutif à la deuxième
crise marocaine, le territoire de la Fédération
est amputé d’une bande d’environ 100 kilomètres de large (275 000 kilomètres carrés
au total) au profit de la colonie allemande du
Cameroun. Ce découpage implique un véritable démembrement de l’A-ÉF, qui se trouve
partagée en trois tronçons. Mais, dès 1916,
le Cameroun, conquis par les forces francobritanniques, est ramené à ses frontières antérieures à 1911. La Fédération s’étend alors sur
2,5 millions de kilomètres carrés. Sa conquête
n’a pas rencontré de véritable résistance en
zone forestière, mais les opérations de pacification se sont poursuivies assez longtemps
aux confins du désert, notamment au Tchad,
où elles ne prennent fin qu’en 1924. Certaines
populations musulmanes soutenues par la
confrérie sénoussie ont même opposé une
résistance tenace à la colonisation.
• L’A-ÉF, cendrillon de l’empire colonial ? Dans le domaine sanitaire, la puissance
colonisatrice introduit quelques progrès
notables : création de l’institut Pasteur de
Brazzaville en 1905, campagnes de vaccination antivariolique, succès du docteur Jamot
dans la lutte contre la maladie du sommeil.
L’hôpital de Lambaréné (Gabon), fondé par
Albert Schweitzer en 1913, a pu à bon droit
être considéré comme une réalisation remarquable. Toutefois, en 1938, l’A-ÉF ne compte
encore que 80 médecins. Dans le domaine
scolaire, les réalisations demeurent insignifiantes, sauf dans le Sud. On assiste en même
temps à un prosélytisme actif des missions
chrétiennes (surtout parmi les populations
des régions forestières du Sud) : en 1939, on
dénombre dans la Fédération 300 000 catholiques et 80 000 protestants. Les cultes
syncrétistes africains (matsouanisme, kimbanguisme) font parallèlement de nombreux
adeptes.
Décimée par les abus du travail forcé - les
travaux du chemin de fer Congo-Océan
coûtent la vie à des milliers d’Africains -, la
population, déjà très clairsemée à l’arrivée des
Français, atteint seulement 4 millions d’habitants en 1943. Le développement économique
demeure entravé par la pénurie de maind’oeuvre et l’insuffisance des équipements (le
chemin de fer Congo-Océan est inauguré en
1934, et en 1938 il n’existe que 40 000 kilomètres de routes et de pistes). La production
de caoutchouc décline, tout comme le commerce de l’ivoire. Le bois, provenant principalement du Gabon, forme la majeure partie des
exportations, qui ne s’élèvent qu’à 260 millions de francs en 1938. Au total, la Fédération se résume à un groupement artificiel
de colonies disparates, les unes tropicales et
forestières (Gabon), les autres en partie désertiques (Tchad), ne disposant que de maigres
ressources mal mises en valeur, d’où le qualificatif de « cendrillon de l’empire ».
• L’A-ÉF durant la Seconde Guerre mondiale. À la différence de l’A-OF voisine, l’AÉF se rallie à la France libre dès 1940, sous
l’impulsion du gouverneur du Tchad, Félix
Éboué, nommé gouverneur général (décembre 1940), et du colonel Leclerc. Ce ralliement, obtenu au prix de quelques combats
entre Français au Gabon, a des conséquences
importantes sur la poursuite des hostilités
en Afrique. En effet, le Tchad joue un rôle
stratégique en tant que base aérienne pour
l’acheminement des troupes et du matériel de
guerre alliés vers l’Égypte ; il est également le
point de départ de la division Leclerc (2e DB)
vers le front de Libye, Koufra et le Fezzan.
Le maintien des quatre colonies dans la
guerre se traduit pour les populations par
un alourdissement des corvées (cueillette du
caoutchouc, accroissement de la production
de coton). Éboué veille cependant à une promotion, limitée, des élites africaines : il promulgue le 29 juillet 1942 un « statut du notable évolué », qu’il attribue à 485 Africains,
et recrute quelques hauts fonctionnaires
downloadModeText.vue.download 23 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
12
autochtones. Il est l’un des principaux promoteurs de la conférence de Brazzaville qui se
tient du 30 janvier au 8 février 1944. Inaugurée par un discours demeuré célèbre du général de Gaulle, cette assemblée de gouverneurs
et de spécialistes jette les principes fondamentaux de la politique coloniale qu’elle entend
voir suivre par la IVe République. Elle se place
toutefois dans une optique jacobine et assimilatrice, et les thèses fédéralistes d’Éboué sont
mises en échec.
• L’A-ÉF sous la IVe République. En vertu
de la Constitution de 1946, les quatre colonies
de l’A-ÉF deviennent des territoires d’outremer représentés au Parlement par 6 députés
et 8 sénateurs, les élections étant organisées
dans le cadre d’un double collège selon un
mode de scrutin capacitaire, progressivement
élargi (110 000 électeurs en 1946 ; 784 000
en 1953). Chaque territoire est pourvu d’une
Assemblée, et un Grand Conseil de l’A-ÉF,
composé de 20 délégués issus de ces assemblées, siège à Brazzaville. On assiste dès lors
à l’éveil d’une vie politique dont les figures
marquantes vont être l’abbé Boganda, député
de l’Oubangui-Chari et fondateur du Mouvement pour l’évolution sociale de l’Afrique
noire (MESAN), Léon M’Ba (Gabon), JeanFélix Tchicaya, député du Moyen-Congo, et
Gabriel Lisette (Tchad). Les chefs traditionnels musulmans du Tchad conservent une
grande influence.
Sur le plan économique, les crédits du
Fonds d’investissement pour le développement économique et social (FIDES) permettent de financer des plans de développement et de réaliser des équipements :
achèvement du port de Pointe-Noire, barrage
hydroélectrique de la Doué, près de Brazzaville, lycée de Brazzaville, hôpitaux et écoles
de brousse. En 1956 est découvert le gisement
pétrolifère de Port-Gentil.
La même année, la loi-cadre, dite « loicadre Defferre », institue le suffrage universel (2 millions et demi d’électeurs) et dote les
quatre territoires d’un régime de semi-autonomie, avec une Assemblée représentative et
un Conseil de gouvernement. Mais les élus
du Gabon s’opposent à tout projet d’exécutif
fédéral, ce qui laisse présager le démembrement de l’A-ÉF. Deux ans plus tard, lors du
référendum de septembre 1958, les électeurs
de l’A-ÉF approuvent massivement le projet
de Constitution. Peu après, les quatre assemblées territoriales se prononcent pour le statut d’État membre de la Communauté, ce qui
implique la dissolution de la Fédération, parachevée en 1960 lors de l’accession de ces États
à l’indépendance. L’Oubangui-Chari prend
l’appellation de République Centrafricaine,
et le Moyen-Congo celle de République du
Congo-Brazzaville.
Afrique-Occidentale française
(A-OF), groupement de colonies, puis de territoires d’outre-mer de la République française
en Afrique de l’Ouest (1895-1958).
Dans les dernières années du XIXe siècle, l’extension des territoires conquis en Afrique de
l’Ouest à partir de la vieille colonie du Sénégal
et des établissements côtiers rend nécessaire
la constitution d’un groupement de colonies.
Le gouvernement général de l’Afrique-Occidentale française est ainsi créé par un décret
du 16 juin 1895. Il regroupe au départ quatre
colonies : Sénégal, Guinée, Soudan, Côted’Ivoire. Les fonctions de gouverneur général
sont assumées par le gouverneur du Sénégal,
auquel sont subordonnés les gouverneurs de
Guinée (Conakry), de Côte-d’Ivoire (GrandBassam) et un lieutenant-gouverneur pour
le territoire du Soudan et le Haut-Niger. Le
Dahomey, conquis et organisé en 1894, ne
fait pas initialement partie de l’A-OF.
Les structures administratives de la Fédération sont maintes fois remaniées, et les divisions territoriales subissent de nombreuses
modifications. Ainsi, en 1896, la Côte-d’Ivoire
est érigée en colonie indépendante de l’AOF, avant d’être réincorporée au sein de
l’ensemble en 1899, en même temps que le
Dahomey, tandis que le territoire du Soudan
est partagé entre le Sénégal, la Guinée et la
Côte-d’Ivoire. Le 1er octobre 1902, la charge
de gouverneur général devient distincte de
celle du gouverneur du Sénégal. Le Soudan
est reconstitué sous le nom de Territoire de
la Sénégambie et du Niger (1902), puis de
Haut-Sénégal et Moyen-Niger (1904), avant
de prendre celui de Soudan français en 1920.
Un protectorat des pays maures est créé en
1903, administré par un commissaire civil,
délégué du gouverneur général. En 1920, ce
territoire est érigé en colonie sous le nom de
Mauritanie. Une colonie de Haute-Volta est
fondée en 1919. Elle sera supprimée en 1932
en vertu de restrictions budgétaires, puis rétablie en 1947. Enfin, le IIIe territoire militaire
de l’A-OF (créé en 1901) prend en 1921 le
nom de territoire civil du Niger et devient
une colonie l’année suivante. Le territoire du
Togo, sous mandat de la Société des nations
(SDN), administré par la France, est dans les
faits rattaché à l’A-OF à partir de 1920.
• La Première Guerre mondiale et l’entredeux-guerres. La pacification ne s’achève
véritablement qu’en septembre 1898, avec la
capture du chef mandingue Samory Touré.
Menée par des soldats africains - les tirailleurs
« sénégalais » - encadrés par des Blancs, elle
est relativement peu meurtrière, malgré la
pratique de part et d’autre de la politique de
la terre brûlée : celle-ci entraîne cependant
des dommages économiques considérables et
la dévastation de régions entières. Des opérations ponctuelles se poursuivront, notamment en Mauritanie, jusqu’en 1934.
La Première Guerre mondiale est marquée par une importante participation des
Africains, qui fournissent 164 000 combattants dont 33 000 seront tués. Le député du
Sénégal Blaise Diagne (1874-1934), nommé
par Clemenceau commissaire général aux
troupes noires en 1917, encourage les engagements et stimule l’ardeur des populations.
Mais les abus de la conscription provoquent
des mouvements insurrectionnels tels ceux
qui se produisent au Soudan dans le cercle
de Dédougou (aujourd’hui Burkina Faso) à
la fin de l’année 1915 : les représailles, en
septembre 1916, font plusieurs centaines
de victimes. Au Niger, au printemps de la
même année, éclate la seconde révolte de
Firhoun, chef traditionnel des Touaregs
Oulmiddens, dont la répression inspirera
à l’écrivain nigérien Fily Dabo Cissoko un
recueil de poèmes, la Savane rouge.
En 1930, l’A-OF a une superficie de
4,46 millions de kilomètres carrés et regroupe
15 millions d’habitants. Les huit colonies
(Sénégal, Guinée, Côte-d’Ivoire, Dahomey,
Haute-Volta, Soudan, Niger, Mauritanie) sont
divisées en 118 cercles et 48 000 villages.
Les anciens États indigènes sous protectorat
ont été supprimés par un décret de 1904,
et leurs territoires, purement et simplement
annexés. Les chefs traditionnels, intégrés
dans les rouages administratifs, sont réduits
à un rôle d’auxiliaires (chefs de canton, chefs
supérieurs), et ils sont mal rémunérés. Les
commandants de cercle, administrateurs
coloniaux, sont les véritables « rois de la
brousse ». Si l’on excepte quelques milliers
d’Africains citoyens français - les « originaires » des quatre communes du Sénégal
qui élisent un député ou bien quelques militaires ou fonctionnaires ayant pu accéder à la
citoyenneté -, les indigènes ont le statut de
« sujet français », un statut qui leur reconnaît peu de droits et leur impose surtout des
devoirs. Ils sont assujettis à un régime judiciaire et fiscal particulier, défini par le Code
de l’indigénat.
• Enseignement et santé. Dans la pre-
mière moitié du XXe siècle, un important
effort est réalisé dans le domaine scolaire,
mais qui bénéficie surtout aux territoires
côtiers, où se forme progressivement une
élite francophone : ainsi, l’école normale de
Dakar devient-elle une pépinière de cadres
et de futurs dirigeants. Le Dahomey, pourvu
de nombreuses écoles publiques et privées,
surnommé « le Quartier latin de l’Afrique »,
fournit des fonctionnaires africains pour toute
l’A-OF. En revanche, la Mauritanie et les
colonies de l’intérieur (Soudan, Haute-Volta,
Niger) restent plutôt déshéritées sur tous les
plans.
Des progrès notables sont également accomplis dans le domaine médical. Les services
de l’Assistance médicale indigène (AMI), instituée en 1905, ouvrent des hôpitaux et des
dispensaires de brousse, tandis que l’école
de médecine de Dakar (1918) forme des
médecins africains. Les instituts Pasteur organisent des campagnes de vaccination. Celui
de Dakar, fondé en 1908, se spécialise dans
la lutte contre la fièvre jaune. C’est là qu’en
1935 le Dr Peltier met au point la méthode de
vaccination par scarification. Un institut de la
lèpre est ouvert à Bamako en 1924.
• Équipement et mise en valeur. Pendant
toute la période coloniale, l’arachide reste le
premier poste à l’exportation (60 % du total
en 1930), devançant de loin l’huile de palme
(Dahomey), le coton (en provenance de la
zone sahélienne) et les bois précieux de Côted’Ivoire. En 1938, la production de cacao
couvre 90 % des besoins de la métropole. La
vie économique de la Fédération est largement dominée par de grandes sociétés, dont
les principales sont la Compagnie française
de l’Afrique-Occidentale (CFAO), la Société
commerciale de l’Ouest africain (SCOA, qui
changera plusieurs fois de raison sociale tout
en gardant le même sigle) et, enfin, le trust
Unilever, spécialisé dans la commercialisation
downloadModeText.vue.download 24 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
13
des oléagineux. Les anciennes maisons bordelaises (Maurel et Prom, Peyrissac) conservent
un rang non négligeable, du moins au Sénégal. Dans le réseau bancaire, la Banque de
l’Afrique-Occidentale (BAO) s’est imposée à
la première place.
La constitution de ce groupement de co-
lonies - impliquant la solidarité financière
entre les territoires - permet de lancer des
emprunts et de financer des programmes de
grands travaux que les seuls budgets locaux
n’auraient pu assumer. Une infrastructure ferroviaire et routière est ainsi mise en place à
partir de la fin du XIXe siècle : la voie ferrée
Dakar-Niger (1 288 km), reliant le Sénégal à
Bamako et Koulikoro, est achevée en 1923
par l’ouverture du tronçon Thiès-Kayes et
devient le principal axe commercial de l’AOF ; en Guinée, la ligne Conakry-Kankan,
qui assure le débouché des productions du
Fouta-Djalon, est inaugurée en 1914 ; l’Abidjan-Niger, « le chemin de fer de l’arachide »,
construit à partir de 1908 afin de désenclaver la Haute-Volta, atteint Bobo-Dioulasso en
1947, mais n’arrivera à Ouagadougou qu’en
1954. Pendant l’entre-deux-guerres, l’apparition des camions de brousse est à l’origine de
l’aménagement d’un important réseau routier
(100 000 km en 1940, dont 32 000 de voies
permanentes). L’infrastructure portuaire reste
en revanche très insuffisante : Dakar est le
seul port correctement équipé, les autres villes
côtières n’étant pourvues que de wharfs et de
rades foraines. Un ambitieux programme d’irrigation du delta intérieur du Niger est conçu
par l’ingénieur Bélime sous l’égide de l’Office
du Niger (fondé en 1932), avec pour objectif
la mise en culture de près de 2 millions d’hectares et l’installation de 1 million de paysans
voltaïques. Mais, en dépit de la belle réalisation du barrage de Sansanding (Soudan français, aujourd’hui Mali), ce projet grandiose ne
connaît qu’un modeste début d’application.
• L’A-OF sous la IVe République. En 1940,
le gouverneur général de l’A-OF, le général
Boisson, refuse de se rallier à la France libre.
Une tentative de débarquement des forces
gaullistes à Dakar est repoussée par les batteries côtières (23-25 septembre 1940). Toutefois, au lendemain du débarquement allié en
Afrique du Nord, en novembre 1942, Boisson
doit se soumettre aux autorités d’Alger. En
1943, des troupes sont levées, qui rejoignent
la France combattante.
Au lendemain du conflit, diverses améliorations sont apportées au statut des autochtones, dans l’esprit de la conférence de Brazzaville : suppression du régime de l’indigénat,
abolition de la corvée. Par la suite, les crédits
du Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires
d’outre-mer (FIDES) permettent le financement de nombreux aménagements tels que
le percement du canal de Vridi, qui dote Abidjan d’un beau port en eau profonde (1951).
La Constitution de la IVe République
généralise le principe de la représentation
parlementaire des territoires d’outre-mer
(anciennes colonies), et l’A-OF se voit alors
attribuer 16 députés (élus au suffrage capacitaire et au double collège) et 20 sénateurs.
Chaque territoire est doté d’une Assemblée,
tandis que le gouverneur général est désormais assisté d’un Grand Conseil, organe de
coordination composé de délégués des assemblées territoriales. Lors des premières élections, la victoire revient au Rassemblement
démocratique africain (RDA), parti fondé au
congrès de Bamako, en octobre 1946, par
l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Sénégalais Gabriel d’Arboussier. Cette formation,
alors assez proche du parti communiste, est
vivement combattue par l’administration et se
heurte également à l’opposition des Indépendants d’outre-mer (IOM), regroupés autour
de Léopold Sédar Senghor. À partir de 1950,
un revirement se dessine dans l’attitude des
dirigeants du RDA (qui va subir un sévère
échec aux élections de 1951), dont la plupart
des membres rompent l’alliance avec les communistes pour se rapprocher d’une formation
centriste, l’Union démocratique et socialiste
de la Résistance (UDSR).
Au printemps 1957, l’entrée en vigueur
de la loi-cadre de juin 1956, dite « loi-cadre
Defferre », introduit d’importantes modifications institutionnelles : elle instaure le suffrage universel et dote chaque territoire de
l’A-OF d’un régime de semi-autonomie, avec
une assemblée représentative et un embryon
d’exécutif. La structure fédérale se trouve dès
lors hypothéquée, et, en dépit des voeux de
Senghor, la « balkanisation » de l’Afrique
française se profile, due pour l’essentiel aux
rivalités entre Senghor et Houphouët-Boigny,
aux aspirations à l’indépendance de certains
dirigeants locaux et à leurs craintes de subir la
domination des élites sénégalaises.
• 1958 : l’éclatement. L’avènement de la
Ve- République entérine la disparition de l’AOF, comme d’ailleurs celle de l’A-ÉF. Lors de
sa tournée africaine d’août 1958, le général
de Gaulle déclare que les résultats du référendum du 28 septembre seront comptabilisés par territoire, et que tout territoire où le
« non » l’emportera accédera aussitôt à l’indépendance, sans aucune garantie de coopération avec la France. Tel est le choix que font
les Guinéens, qui, à l’appel du dirigeant local
Sékou Touré, votent massivement « non ».
Dans les semaines qui suivent, les Assemblées
des autres territoires optent pour le statut
d’État membre de la Communauté, qui leur
est offert par la nouvelle Constitution. Les
organes fédéraux et les services du gouvernement général sont mis en liquidation.
Agadir (crise d’), crise diplomatique qui
opposa en juillet 1911 l’Allemagne et la France
à propos de la question marocaine.
Celle-ci, restée en suspens depuis la conférence d’Algésiras, met aux prises l’Allemagne,
désireuse de préserver le statut international
du Maroc, avec la France, qui cherche à y
établir un protectorat. Or les ambitions françaises se sont récemment concrétisées avec la
pénétration du colonel Lyautey dans la zone
des Confins et, en 1908, avec la prise de la
plaine de la Chaouïa. Aussi, lorsqu’en juin
1911 l’armée française occupe Fès et Meknès
pour secourir le sultan Moulay Hafid attaqué par les rebelles, l’Allemagne décide-t-elle
d’intervenir. Le 1er juillet 1911, elle envoie
la canonnière Panther devant le port sudmarocain d’Agadir. La réaction française et
internationale est immédiate. Tant au sein du
gouvernement français (dirigé par le pacifiste
Joseph Caillaux) que parmi les chancelleries
européennes, les partisans d’une politique de
guerre et ceux de la négociation s’opposent,
provoquant une crise qui va durer un mois.
L’appui résolu de la Grande-Bretagne à la
France permet de parvenir à un accord. Par le
traité du 4 novembre 1911, l’Allemagne laisse
à la France les « mains libres » au Maroc, ce
qui aboutira à l’établissement du protectorat
français en 1912, et reçoit en échange une
partie du Congo français. Cette crise témoigne
de l’exacerbation des tensions européennes ;
elle a elle-même alimenté la montée des nationalismes en Allemagne et en France, où elle a
entraîné la chute du cabinet Caillaux.
âge du bronze, période de la protohistoire, caractérisée par l’essor de la métallurgie et qui s’étend de 1800 à 750 avant J.-C.
environ.
Si la métallurgie du cuivre, la plus ancienne
avec celles de l’or et de l’argent, remonte
en Europe au Ve millénaire et en France au
IVe millénaire, le bronze - un alliage de cuivre
et d’étain - n’apparaît en France qu’au début
du IIe millénaire. Mais, comme le cuivre, il
reste longtemps une matière rare et précieuse
qui, plus que d’une révolution technique,
témoigne du développement de sociétés hiérarchisées : arme ou bijou, l’objet de bronze
est en effet essentiellement un objet de prestige, porté par les individus les plus riches et
déposé dans leur tombe à leur mort, ou, parfois, enfoui dans des « cachettes ».
En général, on divise l’âge du bronze en
trois périodes. Le bronze ancien, de 1800 à
1500 avant J.-C., est caractérisé par une métallurgie encore rudimentaire, où le bronze
proprement dit est assez rare. Les formes des
objets métalliques continuent d’imiter celles
des objets de pierre ou d’os : haches plates,
poignards plats et courts, épingles. De fait,
d’un point de vue social et économique, mais
aussi technique, cette période ne se distingue
guère de la précédente, le chalcolithique. En
France, on remarque à cette époque plusieurs
« cultures » différentes. Dans l’Est, c’est la
civilisation du Rhône, variante régionale de
la brillante civilisation d’Unětice, caractéristique de la Bohême et de l’Allemagne du Sud.
Dans l’Ouest, on trouve la spectaculaire civilisation des tumulus armoricains, apparentée à la culture britannique du Wessex. Cette
dernière est connue par ses tombes, parfois
encore de tradition mégalithique, recouvertes
d’un tertre de terre (tumulus), dans lesquelles
ont été trouvés des parures en or (pectoral
plat en forme de croissant), des vases en argent, mais aussi des pointes de flèche en silex
d’une très grande finesse, qui représentent paradoxalement l’apogée de la taille de la pierre.
Dans le Sud, l’âge du bronze se développe
à partir de la civilisation chalcolithique du
campaniforme. C’est au bronze moyen, entre
1500 et 1200 avant J.-C., que se développe
vraiment la métallurgie du bronze. Le nouvel
alliage permet de créer des formes impossibles
à obtenir jusqu’alors : longues épées, mais
aussi armes défensives (casques, cuirasses,
jambières). Ce nouvel armement va révolutionner les techniques de combat, même si les
downloadModeText.vue.download 25 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
14
armes de bronze restent le privilège de l’élite
guerrière. L’ouest de la France se caractérise
par une très belle métallurgie, celle du bronze
atlantique, avec ses grandes épées que l’on
trouve souvent enterrées dans des « dépôts »
ou bien jetées au fond des rivières, ce qui
suggère des rituels particuliers, offrandes ou
formes de compétitions entre chefs, comparables au potlatch des Indiens nord-américains. Dans l’est de la France, le rituel des
tumulus se répand ; c’est la civilisation de
Haguenau, avec ses vases aux décors gravés
et incrustés, dont le style se retrouve dans le
sud du pays.
Durant le bronze final, de 1200 à 750 avant
J.-C., la métallurgie se généralise et s’étend à
l’outillage des artisans (travail du bois, du
métal, etc.). L’orfèvrerie de l’argent, et surtout
de l’or, peut être spectaculaire. Dans l’organisation sociale, la hiérarchie tend à s’accroître,
aussi bien entre individus, comme en témoigne
le mobilier des tombes, qu’entre communautés : on distingue, dans leur habitat, toute
une gradation, depuis les simples fermes ou
hameaux isolés jusqu’aux bourgades fortifiées, juchées sur les hauteurs et ceintes de
remparts de pierre. La guerre semble devenir
plus fréquente, comme le suggère l’établissement de certains villages sur des presqu’îles
marécageuses au bord des lacs du Jura ou des
Alpes - dont la vase a particulièrement bien
préservé les vestiges, notamment en bois. Des
grottes servent d’abri, telle celle des Planches,
près d’Arbois (Jura), qui a livré les traces d’un
massacre. L’âge du bronze est suivi, sans rupture, par la première période de l’âge du fer, ou
« Hallstatt ».
âge du fer, dernière période de la protohistoire, entre 750 et 50 avant J.-C. environ.
Elle est caractérisée par le développement de
la métallurgie du fer, mais surtout par l’apparition de formes sociales de plus en plus complexes, entraînant finalement la formation de
véritables États. On distingue le premier âge
du fer, ou période de Hallstatt (du nom d’un
cimetière mis au jour en Autriche, près de
Salzbourg), qui s’étend jusqu’en 480 environ,
puis le second âge du fer, ou période de La
Tène (du nom d’un village suisse des bords du
lac de Neuchâtel). En France, l’âge du fer est
interrompu par la conquête romaine.
Le fer nécessite une métallurgie plus complexe que le cuivre (il fond à 1 500 oC), mais
il est plus répandu dans la nature et beaucoup
plus résistant. Si le fer météoritique est déjà
connu en Mésopotamie au IIIe millénaire, le
minerai de fer est travaillé chez les Hittites
à partir du IIe millénaire. Il se généralise au
Ier millénaire avec l’apparition des civilisations urbaines méditerranéennes de Grèce
et d’Italie. En Europe tempérée, et donc en
France, il est présent dès le VIIIe siècle avant
J.-C., mais il demeure réservé à l’élaboration
d’objets précieux pendant le premier âge du
fer : épées, mais aussi bracelets ou torques.
Le premier âge du fer ne marque aucune rupture historique avec l’âge du bronze final qui
le précède immédiatement. C’est cependant
durant cette période que l’on assiste, avec les
« résidences princières » du quart nord-est
de la France et du sud de l’Allemagne, à une
première tentative de constitution d’entités
étatiques. Ces bourgs fortifiés sont régulièrement espacés d’une soixantaine de kilomètres
et contrôlent toute une hiérarchie de villages
et de hameaux. Leurs chefs sont enterrés
avec un mobilier de luxe, souvent de provenance méditerranéenne. La sépulture la plus
célèbre en France est celle découverte à Vix.
De fait, ces potentats locaux contrôlent les
routes commerciales avec la Méditerranée,
et notamment celle qui, par la Seine, puis la
Saône, permet d’acheminer vers l’Italie ou la
Grèce l’étain de Grande-Bretagne. Pourtant,
à la suite de tensions économiques et politiques, ces résidences princières disparaissent
au début du Ve siècle.
Les relations, d’abord commerciales puis
guerrières, avec le monde méditerranéen sont
caractéristiques du second âge du fer. Les Grecs,
les Étrusques puis les Romains installent en effet
des comptoirs commerciaux le long des côtes
méditerranéennes, mais aussi des colonies de
peuplement, telle Marseille (Massilia), fondée
en 600 avant J.-C. Cette richesse supposée du
monde méditerranéen explique en partie le
déclenchement des invasions celtiques des IVe
et IIIe siècles, c’est-à-dire le mouvement, vers le
sud, des peuples supposés celtes, qui habitent
alors la moitié nord de la France, le sud de l’Allemagne et la Bohême. Ces émigrants atteindront
l’Italie centrale (c’est le fameux siège de Rome
par les Gaulois), l’ensemble de l’Europe centrale
et orientale, et s’implanteront même en Turquie,
créant l’éphémère royaume galate. Une fois ces
mouvements stabilisés, des formes protoétatiques apparaissent à nouveau, au IIe siècle, avec
de puissants royaumes gouvernés par une aristocratie guerrière et terrienne, tels ceux des Ambiens, en Picardie, des Arvernes, dans le centre
de la France, ou des Éduens, en Bourgogne.
Toutefois, ces royaumes se heurtent à l’expansionnisme de Rome. En 124 av. J.-C., c’est
d’abord le sud de la Gaule qui est conquis par
les armées romaines, qui fondent la province
de Narbonnaise. Puis, à partir de 58 av. J.-C.,
Jules Cesar, gouverneur avisé de la Narbonnaise, habile à jouer des rivalités entre peuples
gaulois, entreprend la conquête de l’ensemble
de la Gaule, se dotant par là même d’une
armée et d’un prestige qui lui permettront de
prendre le pouvoir à Rome, mettant fin à la
République. Dès lors et pendant quatre siècles,
l’histoire de l’actuel territoire français va se
fondre avec celle de l’Empire romain.
âge de la pierre polie
! néolithique
âge de la pierre taillée
! paléolithique
Agobard (saint), archevêque de Lyon (Espagne, vers 769 - Lyon 840).
Probablement d’origine wisigothique, Agobard
naît en Espagne au moment où Charlemagne
devient roi. Il est élevé dans l’entourage de l’archevêque de Lyon, Leidrade, à qui il succède
en 816. Dès lors, il est l’un des personnages les
plus importants du règne de l’empereur Louis
le Pieux, fils de Charlemagne. Héritier de la
première renaissance carolingienne, il se fait
le défenseur de la vocation universelle de la
royauté, de l’unité de l’empire et des peuples
que gouverne l’empereur. Au nom de ce dernier principe, il prend parti pour Lothaire,
fils aîné de Louis le Pieux, dans le conflit qui
l’oppose à son père sur la part d’héritage du
futur Charles le Chauve, né d’un second lit. En
prêtant son concours à la déposition de Louis
le Pieux, en 833, il va pourtant à l’encontre
de l’unité impériale. L’échec de Lothaire le
conduit à l’exil en Italie de 835 à 838. Théologien, il écrit contre les juifs, contre les superstitions et contre les hérétiques, notamment les
adoptianistes, qui soutiennent que le Christ
a été adopté et non engendré par le Père. En
défendant un pouvoir théocratique, Agobard
contribue fortement à la confusion entre action politique et pouvoir religieux.
agrariens, mouvements politiques qui
défendent les propriétaires terriens.
Selon Pierre Barral, la naissance de l’agrarisme
français date de « la victoire de la révolution
industrielle », en 1860, bien avant l’introduction de ce mot dans le lexique national
(1885). Le terme est utilisé d’abord pour
décrire des réalités politiques étrangères à la
France : le parti agrarien allemand, né des
réflexes protectionnistes des propriétaires,
ou les théoriciens agrariens américains prônant la redistribution des terres par l’État. Les
agrariens conjuguent la défense d’intérêts économiques, l’apologie du mode de vie harmonieux de « l’ordre éternel des champs », ainsi
que l’affirmation de la cohésion paysanne audelà des différences sociales et des clivages nés
de l’urbanisation et de la prolétarisation.
Des années 1860 aux années 1930, ils
développent des structures paternalistes pour
montrer que les campagnes ne sont ni dominées économiquement ni exclues du jeu politique. Après la naissance, en 1867, de la Société
des agriculteurs de France, les propriétaires
encouragent la création locale de sociétés de
cultivateurs. Avec la loi de 1884, qui légalise
les syndicats, une fédération organise ce syndicalisme agraire de notables : l’Union centrale
des syndicats agricoles, dont le siège est rue
d’Athènes à Paris, compte, en 1912, un million
d’adhérents, inégalement répartis dans le pays.
Face à la « Rue d’Athènes », qui se dit apolitique mais soutient les positions de la droite
conservatrice, le « Boulevard Saint-Germain »
(Paris) regroupe les syndicats agricoles républicains, rassemblés en 1910 dans la Fédération
nationale de la mutualité et de la coopération
agricoles. Dans les deux cas, il s’agit d’un syndicalisme interclasses qui s’oppose au socialisme.
Après 1930, les thèmes agrariens étant
désormais associés au recours à l’intervention de l’État, la défense du monde agricole
devient ouvertement celle des exploitants. La
direction de l’agrarisme échappe aux anciens
notables, et le progrès pour tous constitue un
argument de propagande pour la Confédération générale de l’agriculture (CGA). Dans les
années soixante, marquées par la crise agricole, ces agrariens - qui se veulent davantage
chefs d’entreprise que paysans - se partagent
en deux tendances principales : les conservateurs et modérés (FNSEA), et les tenants
d’une politique de réformes socio-économiques (CNJA). Entre le Second Empire et
la Ve République, les agrariens ont souligné,
grâce au mythe de l’unité paysanne, le poids
downloadModeText.vue.download 26 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
15
du modèle rural et la permanence des enjeux
politiques que représente une population
agricole pourtant vouée au déclin.
Aguesseau ou Daguesseau (Henri
François d’), homme politique et magistrat
(Limoges 1668 - Paris 1751).
Issu d’une famille de parlementaires, il est
le fils d’Henri, intendant du Languedoc et
conseiller d’État. Après une formation juridique, il devient avocat général au parlement
de Paris (1691), puis procureur général
(1700). Sa science du droit, son éloquence et
la qualité de ses interventions dans de nombreux domaines, entre autres ceux de la fis-
calité et du commerce, lui valent une grande
considération. Par sa défense pointilleuse du
gallicanisme, il devient un des adversaires les
plus redoutables de la politique catholique de
Louis XIV. Opposé à la publication de la bulle
Unigenitus (1713), il encourt même quelque
temps la disgrâce du roi.
En 1717, il est nommé chancelier par le
Régent. Son désaccord au sujet de l’adoption
du système de Law entraîne sa mise à l’écart.
L’échec de l’expérience provoque son rappel
en 1720, mais son hostilité au « principal ministre », le cardinal Dubois, lui vaut derechef
d’être privé des Sceaux en 1722. Il retrouve
la dignité de chancelier en 1737, avant de
démissionner en 1750.
D’Aguesseau fut un des meilleurs juristes
de son temps. Il s’est consacré à la réforme du
droit écrit, après une large consultation des
parlements, qui préfigure celle du Code civil.
Certaines de ses ordonnances, entre autres
celles sur les donations (1731), les testaments
(1735) et les substitutions (1747), inspireront
les législateurs du XIXe siècle. À ce titre, il se
trouve statufié, à côté de Michel de L’Hospital,
devant l’Assemblée nationale.
aides, impôts perçus au Moyen Âge, sous le
régime féodal, et sous l’Ancien Régime.
À l’origine, les aides sont dues par le vassal à
son seigneur dans quatre cas : paiement de
la rançon du seigneur s’il est fait prisonnier,
adoubement de son fils aîné, mariage de sa
fille aînée, départ en croisade. D’abord exceptionnel, l’impôt devient rapidement régulier,
et se transforme en taxe indirecte perçue sur
des biens de consommation - essentiellement
les boissons, les alcools et les textiles, mais
aussi le papier, le bois, le bétail, l’huile et le
savon. Son montant ne va cesser d’augmenter,
jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Le mode de
perception adopté est extrêmement complexe
jusqu’au XVIIe siècle, et nécessite la création
d’une cour, de corps de courtiers-jaugeurs,
d’inspecteurs... À partir du XVIIe siècle, cet
impôt est affermé, à l’instar de la taille. Toutefois, le mode de perception et le montant
varient selon les provinces, car, au XVe siècle,
certaines d’entre elles avaient racheté une partie ou l’intégralité des droits qu’elles devaient
payer. Ces inégalités régionales, qui illustrent
la très grande complexité du système fiscal
monarchique, contribuent à rendre cet impôt
très impopulaire, comme le montrent les cahiers de doléances de 1789. Les aides disparaissent sous la Révolution.
aides (Chambre des), instance judiciaire qui, à la différence de la Chambre des
comptes, en charge des affaires du domaine
et des finances ordinaires de la monarchie,
traite du contentieux relatif à l’assiette et
au prélèvement de l’impôt, défini au Moyen
Âge, en dépit de sa permanence croissante,
comme une ressource extraordinaire.
Le nom de cette institution dérive du terme
d’« aide », emprunté au vocabulaire féodal,
qui désigne dès le XIIIe siècle, mais surtout à
partir du XIVe, une imposition indirecte prélevée, pour la défense du royaume, sur la circulation et la vente de certaines denrées, telles
que le vin, les alcools et les textiles ; sa compétence s’étend également aux impôts directs
tels que la taille ou le fouage.
La Chambre des aides est née de la spécialisation judiciaire des neuf généraux des aides,
nommés par les états généraux de 1355 pour
administrer les subsides consentis à la monarchie. Constituée en une véritable cour en
1389, supprimée par le parti bourguignon en
1418, rétablie, puis divisée en deux organes
concurrents (Paris et Poitiers) au temps de
l’occupation anglaise, elle ne s’est imposée
qu’après 1438. Elle est alors organisée autour
de deux juridictions, Paris et Montpellier,
puis d’une troisième, installée à Rouen après
la reconquête de la Normandie. La Chambre
des aides juge en appel des tribunaux ordinaires du système fiscal et revêt pour la monarchie, à la fin du Moyen Âge et durant tout
l’Ancien Régime, un rôle essentiel de conseil
en matière de finances.
Aigues-Mortes (massacre d’), tuerie perpétrée contre des travailleurs immigrés des
salines de Camargue, les 16 et 17 août 1893.
Le bruit courant que trois Français auraient
été tués, les ouvriers saisonniers se lancent
deux jours durant dans une « chasse aux Italiens » extrêmement violente. Le bilan officiel fait état de sept morts - cinquante selon
le Times -, auxquels s’ajoutent des dizaines
de blessés. Seule l’intervention de la troupe
ramène le calme et permet le départ des
Trans alpins, dont les émeutiers ont obtenu le
licenciement massif. Arrêtés quelque peu au
hasard, jugés à Angoulême, loin des lieux du
drame, dix-sept prévenus sont acquittés par
un jury sensible à la xénophobie ambiante,
mais refusant aussi de les rendre seuls responsables d’une violence collective.
Ce massacre est le plus grave de toute une
série d’événements à relents xénophobes, des
« vêpres marseillaises » de 1881 aux agressions qui suivirent l’assassinat de Sadi Carnot,
en 1887, par l’anarchiste italien Caserio. Il
réveille la gallophobie en Italie, y accélérant
la détérioration des relations diplomatiques
avec Paris. Il s’explique cependant moins par
la situation internationale et l’hostilité envers
un pays allié de l’Allemagne que par la crise
économique et le ressentiment envers des
étrangers acceptant des salaires trop bas, Italiens au Sud, Belges au Nord. Enfin, le fait
que des agresseurs arborent le drapeau rouge,
conspuent l’armée en invoquant la répression
de Fourmies (1er mai 1891) ou se réclament
de l’anarchie montre les ambiguïtés d’un
mouvement ouvrier alors en cours d’organisation, et sa perméabilité au nationalisme.
Aiguillon (Emmanuel Armand de Vignerot du Plessis de Richelieu, duc d’), homme
d’État (Paris 1720 - id. 1788).
Fils d’Armand Louis de Vignerot du Plessis
de Richelieu et d’Anne de Crussol d’Uzès,
arrière-petit-neveu du cardinal Richelieu, il
entre en mai 1738 au service du roi comme
lieutenant en second et participe, dès 1740,
à la guerre de la Succession d’Autriche. Sur le
front italien, il se distingue par sa bravoure.
À la mort de son père, le 31 janvier 1750,
il devient duc et pair de France. En 1753, il
achète la charge impopulaire de commandant
en chef de la Bretagne. En 1758, il sauve ce
pays d’états d’une invasion anglaise à SaintCast. Pourtant, les faveurs que lui témoignent
Louis XV et la comtesse du Barry, ainsi que
son souci de lever les droits de ferme (1764)
exaspèrent les états de Bretagne. La Chalotais,
qui en est le procureur général, se fait le porteparole zélé de ces mécontentements. En 1764,
le commandant en chef de la Bretagne est
traduit devant le parlement de Rennes pour
abus de pouvoir. Louis XV réplique en faisant
emprisonner La Chalotais. En représailles, et
par solidarité avec le parlement de Rennes,
le parlement de Paris s’insurge et déchoit le
duc de ses charges. Tous les parlements, ou
presque, suivent progressivement l’exemple
de Paris. En 1770, Louis XV clôt l’affaire : La
Chalotais réintègre ses fonctions, et le procès
dirigé contre d’Aiguillon est arrêté.
Après la disgrâce de Choiseul, d’Aiguillon
forme, en 1771, avec Maupeou et l’abbé Terray,
un « triumvirat » qui se donne pour tâche la
restauration de l’absolutisme royal au détriment
des parlements. Secrétaire d’État aux Affaires
étrangères, puis chargé de la Guerre, il développe une politique de paix avec l’Angleterre. À
l’avènement de Louis XVI, en 1774, il est écarté
du pouvoir, de même que tous les protégés
de la comtesse du Barry. Il se retire alors et se
consacre à la mise en ordre de ses écrits.
La carrière à la fois militaire et politique
du duc d’Aiguillon est caractéristique de
celle d’un grand dignitaire de la noblesse
d’Ancien Régime. Le temps où le roi préférait
« cloîtrer » les grands du royaume à la cour
et confier le gouvernement de la France à la
« vile bourgeoisie » (Saint-Simon) semble en
partie révolu.
Ailly (Pierre d’), intellectuel et homme
d’Église (Compiègne 1350 - Avignon 1420).
D’origine roturière, Pierre d’Ailly poursuit ses
études au collège de Navarre, où il devient
docteur en théologie (1381), avant d’en être
nommé recteur (1384). Il défend alors l’idée de
l’Immaculée Conception. En mars 1389, il est
aumônier du roi Charles VI et, en octobre 1389,
chancelier de l’Université de Paris. Confronté
au problème de la division de l’Église (le Grand
Schisme, 1378-1417), il prend parti, dans un
premier temps, pour le pape Benoît XIII, qui le
nomme successivement évêque du Puy (1395)
et de Cambrai (1397), mais il prend ses distances d’avec lui vers 1407. Il est créé cardinal
en 1411, par la volonté du « pape de Pise »
Jean XXIII, qui en fait son légat pontifical en
downloadModeText.vue.download 27 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
16
Allemagne (1413). Le concile de Constance
(1414-1418) lui permet de donner la mesure
de son talent : il y joue un rôle de premier plan
pour mettre fin au Grand Schisme (il retire son
soutien à Jean XXIII et participe à l’élection du
pape Martin V) et pour obtenir la condamnation de Jean Hus.
Parallèlement à son action politique, Pierre
d’Ailly rédige nombre d’écrits. Dans ses ouvrages
philosophiques et théologiques, il se rattache
à l’occamisme (ou « nominalisme modéré »).
Dans son oeuvre ecclésiologique, il exprime des
vues conciliaristes, proposant de tempérer le
gouvernement du pape par celui des cardinaux
et du concile. Sa contribution scientifique, largement fondée sur la compilation, comprend,
entre autres, un projet de réforme du calendrier
julien, un traité cosmographique, Imago mundi
(lu, plus tard, et annoté par Christophe Colomb), et plusieurs écrits relatifs à l’l’étude des
astres, dans lesquels il entend montrer, notamment, que la théologie et l’histoire s’accordent
avec l’astrologie.
aînesse, priorité d’âge entre frères et soeurs
justifiant divers privilèges coutumiers apparus
entre le milieu du Xe et la fin du XIIe siècle.
Appelés aussi « droit d’aînesse », ces privilèges se fondent, d’une part, sur l’interdiction
féodale d’« abréger » le fief afin de préserver
la qualité du service militaire dû au seigneur
et, d’autre part, sur les valeurs sociales de
solidarité et de communauté qui rendent
inconcevable la perspective d’une division du
patrimoine familial à la mort de son chef. Ces
privilèges se sont maintenus jusqu’en 1789
en pays de coutume ; ailleurs, la liberté testamentaire permettait de « faire un aîné », car
l’aînesse flattait l’orgueil aristocratique ; elle
était « la clé de voûte et la principale colonne
de la famille ». Essentiellement nobiliaires,
ces privilèges s’appliquent pourtant aux successions roturières dans quelques coutumes
(Pays basque, Pyrénées, Manche). Ils gratifient alors l’enfant premier né.
Malgré la diversité coutumière de l’ancienne France, les privilèges d’aînesse des
successions nobles se définissent globalement
comme des règles applicables seulement en
ligne directe avec représentation, au profit du
fils premier né, légitime ou légitimé, sauf dans
les coutumes de l’Ouest, qui ne distinguent
pas selon le sexe. Le droit d’aînesse, dirionsnous aujourd’hui, est « d’ordre public » : il
s’impose aux parents, qui ne peuvent disposer
librement de leurs biens, ainsi qu’au bénéficiaire, qui ne peut y renoncer.
Ces privilèges sont honorifiques (port des
armes familiales, préséance...), mais surtout
utiles : l’aîné recueille un préciput, c’est-à-dire
les fiefs titrés, la principale habitation familiale
et ses dépendances, et, dans certaines coutumes, la « part avantageuse », portion plus
ou moins large des autres biens composant
l’hoirie. Investi de la majeure partie de l’actif
successoral, l’aîné devrait légitimement en assumer le passif ; mais, parce qu’en ancien droit
« meubles sont le siège des dettes », il ne lui
incombe qu’une part du passif, proportionnelle
à la quotité des meubles recueillie.
Abolis dans la nuit du 4 août 1789, leurs
effets annihilés par les décrets du 15 mars
1790 et du 8 avril 1791, ces privilèges
seront partiellement rétablis en 1808 par
Napoléon Ier avec les « majorats ». En 1826,
Charles X proposera en vain de renforcer la
situation patrimoniale de l’aîné. Les Républiques décideront d’en finir avec cet ultime
privilège successoral : une loi du 7 mai 1849
limitera les possibilités de transmission des
majorats ; une autre, en 1905, rachètera leurs
droits aux derniers titulaires.
Aix-la-Chapelle (chapelle palatine d’),
oratoire du palais de Charlemagne, construit
pour l’essentiel entre 794 et 798. Le mot chapelle vient du latin cappa (« manteau à capuchon »), qui désignait le lieu où était conservé
le manteau de saint Martin ; elle est le seul
élément du complexe palatial conservé dans
son élévation.
Vers 790, Charles Ier le Grand (Charlemagne)
décide de s’installer près des thermes d’Aquisgrana, et confie la réalisation d’un palais digne
de sa puissance à l’architecte Eudes de Metz.
La chapelle en est de forme octogonale, haute
de 30,55 mètres sous la voûte. Le bâtiment
est chargé d’une forte symbolique. Il se rattache directement aux monuments antiques :
colonnes apportées de Rome ou de Ravenne,
grilles de fer forgé antiquisantes réalisées par
des artisans italiens. Ainsi, le roi franc rivaliset-il avec l’empereur byzantin.
L’essentiel réside cependant dans le programme théologico-politique véhiculé par
la structure même de l’édifice. Le plan centré ainsi que les proportions donnent de la
chapelle une image de la Jérusalem céleste.
Au premier étage se trouve le trône royal,
réplique de celui de Salomon. Charlemagne
prend donc place entre le peuple, qui le voit
depuis le rez-de-chaussée, et le Christ en
majesté, que la mosaïque de la coupole représente adoré par les Vieillards de l’Apocalypse.
Avant même son sacre, en 800, s’affirme le
césaro-papisme, qui confie au roi le soin de
mener son peuple vers la cité céleste. Charlemagne est enterré dans la chapelle en 814.
L’empereur germanique Frédéric Barberousse
élève son corps en 1165, ce qui équivaut à
une canonisation. La relique se trouve depuis
1215 dans une châsse en or.
Aix-la-Chapelle (traité d’), traité de
paix signé le 28 octobre 1748, qui met fin à
la guerre de la Succession d’Autriche (17401748).
Après une série de défaites (1740-1744),
Louis XV remporte plusieurs batailles prestigieuses, dont celle de Fontenoy (1745),
et sort victorieux du conflit. En 1748, il se
trouve donc en position d’imposer ses condi-
tions aux vaincus. Pourtant, ce traité, signé
par la France et l’Espagne d’une part, l’Autriche, l’Angleterre, les Provinces-Unies et
la Sardaigne d’autre part, n’apporte rien à la
France : Louis XV, alors maître des Pays-Bas,
de Madras aux Indes, de Nice et de la Savoie,
restitue ces quatre territoires, respectivement,
à l’Autriche, à l’Angleterre et à la Sardaigne.
Quant à l’Espagne, elle reçoit deux duchés
italiens (Parme et Plaisance). Ainsi, le milliard
de livres tournois dépensé par le roi de France
pour mener cette guerre n’est pas remboursé,
malgré la victoire ; qui plus est, Louis XV
s’engage à expulser de son royaume le prétendant Stuart et à détruire les fortifications de
Dunkerque. Frédéric II, principal bénéficiaire
du traité (il obtient la Silésie en Autriche), ne
le ratifie pas davantage. Cette excessive modération du « Bien-Aimé » exaspère fortement
la population, pour laquelle Louis XV « a travaillé pour le roi de Prusse ».
Ce traité, qui met aussi fin au premier
grand conflit terrestre et maritime du siècle,
met en évidence l’affaiblissement de la France,
qui, bien que victorieuse, n’en tire pas le profit
qu’en aurait tiré un diplomate du XVIIe siècle.
Alacoque (Marguerite-Marie),
! Marguerite-Marie Alacoque
Alamans, groupement de tribus germaniques qui participent aux Grandes Invasions.
Apparus pour la première fois dans l’histoire
de l’Occident au IIIe siècle, les Alamans se
heurtent à l’Empire romain, qui les contient
derrière le Rhin, entre le Main et le lac de
Constance. Ils franchissent le Rhin lors de la
grande invasion qui débuta le 31 décembre
406. Implantés en Alsace, dans le Palatinat et
en Suisse orientale, ils cherchent, à la fin du
Ve siècle, à étendre leur royaume, et se heurtent
à leurs voisins francs et burgondes. Clovis, roi
des Francs, est vainqueur des Alamans à la
bataille de Tolbiac (aujourd’hui Zülpich) en
496. Cette bataille marque un tournant dans
le règne de Clovis, qui décide de se convertir au christianisme peu de temps après. Dix
ans plus tard, le roi des Francs remporte une
seconde victoire contre les Alamans, qui, dès
lors, paient tribut aux Mérovingiens.
Aux VIe et VIIe siècles, les Alamans constituent
un duché autonome, dont le duc est nommé par
le roi mérovingien d’Austrasie. Seul Dagobert,
roi mérovingien de Neustrie, renverse cette tradition. À sa mort, les Alamans se libèrent du
joug franc et reprennent leur autonomie. Au
VIIIe siècle, Charles Martel et ses descendants
doivent entreprendre de nouvelles campagnes
contre eux. Carloman, frère de Pépin le Bref,
met un terme aux soulèvements répétés des
Alamans en 746. Leur duché est alors intégré
au royaume des Francs, et divisé en deux comtés, confiés à des Francs. Convertis tardivement
au christianisme par des moines irlandais, les
Alamans du royaume franc conservent un sentiment particulariste, renforcé par la « loi des
Alamans », rédigée au cours du VIIe siècle et
demeurée longtemps en vigueur.
Au partage de Verdun de 843, les Alamans
passent sous la domination de Louis le Germanique. Ils sont désormais les voisins des
Francs, qui, par extension, donneront le nom
d’Allemagne à toute la Germanie.
Alaric II, roi des Wisigoths de 484 à 507 ( ?
- Vouillé 507).
Fils et successeur du roi Euric, Alaric II hérite
en 484 du royaume wisigothique, qui connaît
alors sa plus grande extension. La domination
des Wisigoths couvre, en effet, la péninsule
Ibérique (sauf le Portugal) et un bon tiers de
la Gaule, des Pyrénées à la Loire, de l’Atlantique au Rhône. Contemporain de Clovis,
Alaric II compose d’abord avec la nouvelle
puissance franque en lui livrant Syagrius,
downloadModeText.vue.download 28 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
17
dernier représentant de l’autorité romaine en
Gaule. Il lui faut encore manoeuvrer entre les
Burgondes et les Francs pour préserver son
autonomie. Mais, Barbare et arien (donc hérétique) dans un monde gallo-romain et nicéen
(catholique), il ne peut compter, contrairement à Clovis, sur le soutien des évêques et
des élites gallo-romaines. Cependant, il tente
de mener une politique de fusion des élites
et des populations. Aussi édicte-t-il en 506,
pour ses sujets gallo-romains, un ensemble
de lois - le Bréviaire d’Alaric - qui simplifie
le Code civil romain et jette un premier pont
entre loi romaine et loi wisigothique. Cet effort n’est pourtant pas suffisant aux yeux des
élites gallo-romaines catholiques, attirées par
le royaume franc de Clovis, baptisé dans la
foi nicéenne. De fait, la majorité des populations d’Aquitaine est ralliée à Clovis dès 500.
Menacé au nord par les Francs, à l’est par les
Burgondes, au sud-est par les Ostrogoths,
trahi de l’intérieur, Alaric II trouve la mort à
la bataille de Vouillé (507). Clovis, qui béné-
ficie de l’appui de tout le clergé de la Gaule,
conquiert alors avec ses Francs le royaume
des Wisigoths jusqu’aux Pyrénées. Ces derniers se retirent en Espagne. Seule demeure
en Gaule une poche wisigothique autour de
Narbonne et de Béziers, la Septimanie, qui
gardera longtemps le nom de Gothie.
Albert (Alexandre Martin, dit l’Ouvrier),
homme politique, militant socialiste (Bury,
Oise, 1815 - Mello, id., 1895).
Après avoir effectué son tour de France, Albert
exerce l’activité de mécanicien modeleur à
Paris, sous la monarchie de Juillet. Même s’il
compte dans les années 1840 parmi les cadres
du mouvement républicain en sa qualité de
dirigeant de société secrète, son entrée dans
le Gouvernement provisoire en 1848 peut
surprendre. Vice-président de la commission
du gouvernement pour les travailleurs (dite
« commission du Luxembourg »), il joue un
rôle politique limité dans le sillage direct de
Louis Blanc. La portée symbolique de sa présence est en revanche considérable : il est le
seul ouvrier d’un gouvernement bourgeois.
Élu à l’Assemblée constituante, il ne siège que
quelques jours : il se compromet lors de la crise
du 15 mai 1848, ce qui lui vaut la prison, puis
un procès en Haute Cour l’année suivante. À
la première audience, il arbore fièrement un
gilet blanc « à la Robespierre » et refuse de se
défendre. Condamné à la déportation - peine
maximale en matière politique -, il reste détenu
dix ans. À sa libération, il trouve une modeste
place d’employé du gaz. Il essuie deux échecs
électoraux sous la IIIe République, à l’Assemblée en 1871, puis au Sénat en 1879. Il meurt
à 80 ans. La République prend à sa charge les
frais de ses funérailles, qui sont suivies par des
milliers de personnes. Elle rend de la sorte
un ultime hommage à ce quarante-huitard
retombé dans un anonymat presque complet.
Albert (Marcelin), militant politique (Argeliers, Aude, 1851 - id. 1921).
Cet ancien vigneron, devenu cafetier dans sa
ville natale, incarne la révolte viticole de 1907.
Son charisme - Albert s’est autrefois adonné au
théâtre - lui confère un pouvoir de persuasion
exceptionnel, à défaut d’un sens politique. Rien,
dans les premières semaines du mouvement, ne
semble résister à la parole envoûtante du « chef
des gueux », du « rédempteur », de l’« apôtre »,
de ce « cigalou » qui, telle une cigale, grimpe
aux platanes pour s’adresser aux foules. Face à
la crise viticole, Albert crée un « comité d’initiative », en avril 1907, qui se dote d’un journal,
le Tocsin. Ce comité n’a qu’un objectif : mettre
un terme à la fraude (la chaptalisation des vins),
seule responsable de la mévente aux yeux des
vignerons. Dès le 5 mai, Marcelin Albert parvient à réunir 70 000 manifestants à Narbonne,
dont le maire socialiste, Ernest Ferroul, devient
le principal chef de file. La tension monte vite :
le 9 juin, on compte plus de 500 000 manifestants à Montpellier ; les 19 et 20 juin, la troupe
tire sur la foule et fait six morts. Albert, menacé d’arrestation, prend la fuite. Renonçant à
une action spectaculaire qu’il avait envisagée
- entrer soudainement à la Chambre, grâce à
l’appui d’un député de l’Aude -, il rend visite à
Clemenceau le 23 juin. Le président du Conseil
parvient facilement à discréditer son interlocuteur en lui payant son voyage de retour, et
en le faisant savoir. Le 26, Marcelin Albert se
constitue prisonnier à la demande du comité.
Ainsi s’achève sa fortune historique.
albigeois (croisade des) ! cathares
Albret (maison d’), famille gasconne issue
d’Amanieu Ier, sire d’Albret vers 1050. Elle
compte des hommes de guerre, des cardinaux, des rois de Navarre.
À partir du XIVe siècle, la maison d’Albret mène
une politique efficace d’expansion territoriale,
agrandissant ainsi le domaine d’origine, qui se
composait de la seigneurie d’Albret, du comté
de Dreux, des vicomtés de Tartas et de Gaure.
En 1470, Alain le Grand, sire d’Albret (14401522), épouse Françoise de Châtillon-BloisPenthièvre et obtient le comté de Périgord, le
vicomté de Limoges et la terre d’Avesnes. En
épousant Catherine de Foix (1484), Jean III
d’Albret ajoute à son domaine le vicomté de
Béarn, les comtés de Foix et de Bigorre et,
surtout, le royaume de Navarre. Enfin, par
l’union d’Henri d’Albret et de Marguerite
d’Angoulême (1527), le comté d’Armagnac
devient l’une des possessions de la famille,
qui détient dès lors tout le sud-ouest de la
France, c’est-à-dire le dernier grand fief du
royaume. C’est sous Jeanne d’Albret, épouse
d’Antoine de Bourbon, que le royaume de
Navarre acquiert des frontières stables et se
fonde sur une nouvelle religion d’État : le protestantisme. Le fils de la souveraine, Henri III
d’Albret, futur Henri IV, épouse en 1572 Marguerite de Valois et accède au trône de France
(1589). En 1607, le roi réunit ses territoires
de Navarre au royaume : la dernière grande
enclave seigneuriale en France disparaît.
Alcuin, en latin Albinus Flaccus, clerc
anglo-saxon (York, vers 735 - Tours 804).
Fils d’une famille de notables anglais, Alcuin est
l’élève, puis le maître, de l’école de la cathédrale
d’York, l’un des principaux foyers culturels de
l’époque. Lorsqu’il rencontre Charlemagne,
en 781, il est déjà un maître écouté, dont on
admire la piété et la sagesse. Cette réputation conduit le roi à l’inviter à la cour d’Aixla-Chapelle, dont il devient le « directeur des
études ». Dans l’Académie palatine, cercle de
lettrés rassemblés au palais, où chacun prend
le nom d’un auteur de l’Antiquité, Alcuin est
« Flaccus », prénom du poète Horace. Ami et
conseiller influent de Charlemagne, il met en
oeuvre la renaissance intellectuelle connue sous
le nom de renaissance carolingienne. En 796,
Charlemagne le nomme abbé de la prestigieuse
abbaye de Saint-Martin de Tours, où, jusqu’à la
fin de sa vie, il accomplit la partie de son oeuvre
qui passera à la postérité.
La renaissance carolingienne et l’oeuvre
d’Alcuin revêtent d’abord un sens religieux.
Tous les efforts accomplis tendent vers une
meilleure compréhension des Écritures, Ancien et Nouveau Testaments. À la demande
de Charlemagne, Alcuin rétablit, entre 797 et
800, le texte de la Vulgate, version en latin,
complète et unique, de la Bible, qui fait dès
lors autorité en Occident pour plusieurs
siècles. Pour transmettre sans erreur les textes
recopiés par les moines, il favorise l’emploi
de la minuscule caroline, écriture lisible qui
introduit la séparation des mots par des espaces. Pour améliorer la compréhension des
textes par les clercs, il se fait grammairien
et donne en exemple les oeuvres des auteurs
classiques ; c’est en partie grâce à lui que nous
sont parvenus les écrits de César ou de Cicéron. Surtout, il crée des ateliers de copie dans
les monastères, afin de remédier à la pénurie de manuscrits. Grammairien, théologien,
mais d’abord pédagogue, il fonde nombre
d’écoles.
Alcuin et les lettrés de son temps ont
redonné à l’Occident l’élan, les moyens et le
goût des études, mais il ne leur appartenait pas
de faire oeuvre créatrice, si bien que la portée
intellectuelle de la renaissance carolingienne
reste un sujet controversé pour les historiens.
Alembert (Jean Le Rond d’), mathématicien et philosophe (Paris 1717 - id. 1783).
Fils naturel de la chanoinesse de Tencin et
du chevalier Destouches, il est abandonné à
sa naissance, près de Notre-Dame, devant la
chapelle Saint-Jean-Le-Rond, dont il prend le
nom. Il bénéficie pourtant d’une rente qui lui
permet de suivre des études. Surmontant son
handicap social, il s’impose rapidement comme
mathématicien, reconnu par les institutions
culturelles de l’Ancien Régime. Successivement adjoint à l’Académie des sciences (1741),
puis associé (1746) et, enfin, membre titulaire
(1756), il est aussi élu à l’Académie française
et dans nombre d’académies étrangères. Ses
premiers ouvrages traitent de mathématiques
et de physique : mémoires sur le calcul intégral (1739) et sur la réfraction des corps solides
(1741), Traité de dynamique, où est énoncé ce
qu’on connaît désormais comme le principe
de d’Alembert (1743), Traité de l’équilibre du
mouvement des fluides (1744), Réflexions sur la
cause générale des vents (1746), Recherches sur
les cordes vibrantes (1747) et sur la précession
des équinoxes (1749), Essai sur la résistance des
fluides (1752), Recherches sur différents points
importants du système du monde (1754-1756).
Parallèlement à ces travaux strictement
scientifiques, il prend avec Diderot la tête de
l’entreprise encyclopédique et rédige un DisdownloadModeText.vue.download 29 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
18
cours préliminaire qui constitue à la fois une
histoire des progrès de l’esprit humain et un
manifeste de la philosophie nouvelle. Pour
l’Encyclopédie, il compose plusieurs articles
qui le placent au centre des polémiques idéologiques, que ce soit l’article « Collège », qui
dénonce l’ordre des Jésuites, ou l’article « Genève », qui critique l’interdiction des spectacles dans la république calviniste et auquel
Rousseau répond par la Lettre sur les spectacles
(1758). Après la crise de 1757, où le privilège
de l’Encyclopédie est mis en cause, il laisse à
Diderot la responsabilité de l’entreprise et se
tourne vers des combats plus feutrés, plus
institutionnels, pour assurer une majorité
philosophique à l’Académie française, dont
il devient secrétaire perpétuel en 1772. Avec
l’Essai sur la société des gens de lettres avec
les grands (1753), il théorise cette place de
l’intellectuel dans la mondanité. Il est alors
une figure familière des salons parisiens, un
correspondant privilégié de Voltaire et des
souverains acquis à la philosophie, tels que
Frédéric II ou Catherine II. Mais il élude les
invitations auxquelles répondent, à la même
époque, Voltaire partant pour Berlin ou Diderot pour Saint-Pétersbourg, préférant rester
auprès de Mlle de Lespinasse, à qui le lie une
amitié amoureuse. Il publie des Mélanges de
littérature, d’histoire et de philosophie (1753),
ainsi qu’un Essai sur les éléments de philosophie
(1759), qui marquent la diversité de ses intérêts et sa place éminente dans le mouvement
des Lumières. Il perpétue également le genre
de l’éloge académique, dont le modèle avait
été fourni par Fontenelle.
Alençon (François Hercule, duc d’), chef
des « malcontents » (Saint-Germain-en-Laye
1554 - Château-Thierry 1584).
Quatrième et dernier fils d’Henri II et de
Catherine de Médicis, cet « éternel frustré
de la famille de Valois » (Janine Garrisson)
profite des troubles religieux pour assouvir
sa soif de pouvoir politique. Ainsi, en 1573, il
prend la tête du parti d’opposition au roi, qui
rassemble des nobles catholiques (Montmorency) et protestants (Henri de Condé) : les
« malcontents ». Favorables à une politique
de tolérance religieuse à l’intérieur du pays, ils
sont pour la fermeté à l’extérieur et souhaitent
que le roi gouverne avec l’aide des états généraux : toutes idées qui s’opposent à la politique menée par Charles IX puis Henri III,
frères du duc d’Alençon, contre lesquels ce
dernier ne cesse de lutter. En 1574 commence
la « révolte des malcontents » - la cinquième
guerre de Religion -, caractérisée par une
offensive coordonnée des malcontents et des
armées des Pays-Bas. Pris de court, Henri III
accepte, en mai 1576, de signer l’édit de Beaulieu, qui donne satisfaction aux protestants et
accorde à d’Alençon le titre de duc d’Anjou,
que portait son frère Henri III jusqu’à son avènement. Mais d’Alençon ambitionne le trône
des Pays-Bas espagnols : s’alliant à Guillaume
d’Orange et à Élisabeth Ire d’Angleterre, il entreprend une expédition aux Pays-Bas, qui se
solde par un échec. Sa mort, à l’âge de 30 ans,
consacre son beau-frère Henri de Navarre
comme l’héritier direct du trône de France.
Alès (édit de grâce d’), pardon accordé par
Louis XIII le 28 juin 1629 aux protestants du
Midi révoltés.
L’édit de Nantes avait octroyé aux protestants des libertés religieuses, mais aussi des
privilèges politiques : des « assemblées politiques » et des places de sûreté fortifiées. La
reprise des hostilités contre les huguenots
du Midi, en 1620, visant à réduire leur poids
politique et à faire respecter partout le culte
catholique, s’était achevée par la paix boiteuse
de Montpellier (1622).
Dès 1627, la rébellion protestante reprend
autour de La Rochelle, dont le long siège ne
prend fin qu’en octobre 1628. En Languedoc,
l’assemblée d’Uzès (septembre 1627) désigne
comme général le duc de Rohan, qui traite
avec les Anglais, puis, en mai 1629, avec
les Espagnols. Libéré de la guerre de Savoie,
Louis XIII décide alors d’en finir, et vient
mettre le siège devant Privas, pointe orientale du croissant de villes huguenotes qui va
du Vivarais à Montauban. La ville se rend le
26 mai. Mais, à titre d’exemple, elle est livrée
au pillage et au massacre. Privés du soutien
anglais par la paix conclue entre Charles Ier et
Louis XIII, effrayés par l’avancée des troupes
royales, les délégués, réunis en assemblée politique à Anduze, poussent Rohan à négocier.
Présenté comme une grâce, et non comme
un traité entre le souverain et ses sujets, l’édit
d’Alès confirme les clauses religieuses de l’édit
de Nantes, mais en supprime les clauses politiques : les assemblées politiques et les places
de sûreté disparaissent, et les remparts de ces
dernières sont rasés. Henri de Rohan doit quitter la France, mais les révoltés sont amnistiés,
et les biens confisqués sont rendus. Le pardon
royal met fin au parti protestant, véritable État
dans l’État, et marque ainsi un progrès déterminant de l’absolutisme. Richelieu peut écrire
au roi : « Tout ploie sous votre nom. » Une
à une, les cités huguenotes s’ouvrent au roi
et à son ministre, qui y rétablissent le culte
catholique. Le Cardinal manifeste ce triomphe
symbolique par une entrée solennelle à Montauban, le 20 août 1629, entouré de deux
archevêques et de sept évêques. Sans remettre
en cause la tolérance et la coexistence de deux
religions dans le royaume - un fait unique en
Europe -, l’édit d’Alès fragilise cependant le
protestantisme en mettant sa survie entre les
mains du roi. Par la suite, les sujets protestants firent preuve d’un loyalisme sans faille
vis-à-vis de la monarchie. Ils ne profiteront
pas des troubles de la Fronde pour revendiquer leurs anciens privilèges politiques.
Alésia, place forte gauloise où, en 52 av. J.-C.,
se retrancha Vercingétorix avant d’être assiégé
par les armées de César et de s’incliner. Cette
reddition marque la fin de l’indépendance de
la Gaule.
L’oppidum (« place forte ») d’Alésia était la
capitale des Mandubiens, petit peuple gaulois dont le territoire est situé entre celui des
Éduens et celui des Lingons. Il était implanté
sur une colline, aujourd’hui appelée mont
Auxois, à Alise-Sainte-Reine (Côte-d’Or),
à 70 kilomètres à l’ouest de Dijon. Cette
butte calcaire, naturellement protégée sur
une partie de ses flancs par une falaise, do-
mine les cours de l’Oze et de l’Ozerain, qui
rejoignent peu après la Brenne. Les Gaulois
se sont contentés de renforcer ces défenses
naturelles, principalement dans la partie est,
pourvue d’un rempart continu où se trouve la
porte principale de l’oppidum. Le sommet de
la butte, de forme ovale et orientée est-ouest,
couvre une centaine d’hectares. Certains vestiges remontent au néolithique, mais l’occupation proprement gauloise, limitée à la seule
partie centrale de la zone, semble commencer
vers 70 av. J.-C. Elle a laissé des traces d’urbanisme : rues rectilignes, place et enclos, maisons de bois et de torchis, ainsi qu’un quartier
d’artisans bronziers et de forgerons.
C’est dans cette place forte mineure
que Vercingétorix se retrouve enfermé en
52 av. J.-C. En effet, après sept années de
campagnes militaires qui lui ont permis de
contrôler presque toute la Gaule, César voit se
lever contre lui une grande partie des peuples
gaulois coalisés, emmenés par le jeune aristocrate arverne Vercingétorix, qui applique une
tactique de « terre brûlée ». La prise de Cenabum (Orléans), puis d’Avaricum (Bourges)
permet d’abord à César de ravitailler ses
troupes, mais il est battu par Vercingétorix
devant Gergovie ; ses derniers alliés, Éduens
compris, l’abandonnent, et il doit battre en
retraite avec ses dix légions vers le sud. Vercingétorix commet alors l’erreur fatale de l’attaquer en rase campagne. César se défend et
enferme à son tour l’armée gauloise dans Alésia. Avec ses 50 000 hommes, il en organise
méthodiquement le siège, l’encerclant d’un
anneau de 15 kilomètres de fortifications :
fossés, rempart en terre surmonté d’une palissade renforcée de créneaux et de tours, pieux
à crochets, ou stimuli, trous en entonnoir
garnis de pieux pointus, ou lilia, branchages
obliques fichés dans le sol, ou cippi. Des pièces
d’artillerie, catapultes et balistes, complètent
le dispositif. Ces aménagements sont à la fois
tournés vers l’intérieur, afin d’interdire toute
sortie, et vers l’extérieur, afin d’empêcher le
ravitaillement et l’arrivée de renforts. De fait,
l’armée de secours, parvenue sur les lieux au
bout de quatre semaines, est mise en déroute
après plusieurs assauts infructueux, tandis
que Vercingétorix échoue dans sa tentative de
percer les défenses de César. La garnison, qui
avait déjà évacué les non-combattants, morts
de faim entre les lignes, doit se rendre. Vercingétorix est livré à César, conduit à Rome
et exécuté six ans plus tard. Malgré quelques
soulèvements sporadiques ultérieurs, la Gaule
est définitivement romaine. Alésia devient
une petite ville gallo-romaine avec maisons
de pierre, théâtre, forum, basilique et temple.
Le site est identifié dès 1839 par une inscription gauloise qui donne le nom de la ville.
Napoléon III fait entreprendre des fouilles
entre 1860 et 1865, qui permettent de retrouver les fossés du siège et d’exhumer de
nombreux objets (armes, monnaies, outils).
Les fouilles reprennent au début du XXe siècle,
cette fois sur la ville romaine. Depuis 1990,
elles se déroulent à une plus grande échelle.
Outre Alise, d’autres sites ont été proposés
pour Alésia : Alaise (Doubs), Izernore (Ain),
Aluze (Saône-et-Loire), ou encore Syam
(Jura), mais aucun n’a livré de traces de siège,
de combats, ni d’occupation gauloise.
downloadModeText.vue.download 30 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
19
Alger (bataille d’), épisode de la guerre
d’Algérie, de la fin de l’année 1956 à l’automne
1957, au cours duquel l’armée française est
chargée de mettre un terme aux actions terroristes du Front de libération nationale (FLN)
à Alger.
Adoptant une nouvelle stratégie, ce dernier décide d’étendre la guérilla aux zones
urbaines. Le FLN de la zone autonome
d’Alger (ZAA), dirigé par Larbi Ben M’Hidi,
organise des grèves et des attentats à partir
de l’automne 1956. La tension monte entre
les communautés européenne et musulmane,
et culmine le 27 décembre à l’occasion des
obsèques du représentant des maires d’Algérie, Amédée Froger, qui dégénèrent en ratonnades meurtrières. Robert Lacoste, ministrerésidant, confie alors, dans le cadre de la loi
sur les « pouvoirs spéciaux » de mars 1956,
une mission de « pacification » aux parachutistes du général Massu, qui sont investis des
pouvoirs de police. Aux attentats quotidiens
du FLN répondent, à partir du 7 janvier
1957, les perquisitions, les arrestations et les
interrogatoires menés par les parachutistes. La
torture, ponctuellement utilisée auparavant,
commence d’être pratiquée de façon systématique dans les centres de triage et de transit et
à la villa Susini. Grâce à ces méthodes, l’armée
réussit à briser la grève du 28 janvier et, surtout, à arrêter les principaux dirigeants de la
ZAA. Toutefois, les attentats reprennent début
juin sous la direction de Yacef Saadi. Cette
deuxième phase de la bataille d’Alger s’achève
avec la capture de Saadi le 24 septembre et
le démantèlement complet, pour plusieurs
années, de l’organisation clandestine d’Alger.
La bataille d’Alger marque une nouvelle étape
dans l’escalade militaire en Algérie. Elle suscite en outre - avec la question de la torture
- une controverse d’ordre éthique.
Alger (expédition d’), premier épisode
de la conquête de l’Algérie par la France
(25 mai-5 juillet 1830).
L’expédition a pour origine un contentieux
commercial entre la France et le dey d’Alger
(lointain vassal de l’Empire ottoman) et l’incident diplomatique du « coup d’éventail »,
infligé en avril 1827 par le dey Hussein au peu
scrupuleux consul général de France Pierre
Deval. Pour obtenir réparation de cette insulte,
le gouvernement de Charles X organise le blocus d’Alger, qui s’avère long et inefficace. Trois
ans plus tard, le roi décide de transformer
cette opération en intervention armée, sous
la pression conjointe des milieux d’affaires
marseillais et des ultras de son gouvernement.
Ces derniers estiment en effet qu’une expédition victorieuse redorerait le blason de la
monarchie et affaiblirait l’opposition libérale.
L’expédition débute le 25 mai 1830 : un corps
expéditionnaire de 37 000 hommes porté par
675 vaisseaux part de Toulon. Le 14 juin, il
commence à débarquer dans la baie de SidiFerruch, à l’ouest d’Alger, et, de là, gagne la
ville. Celle-ci se rend rapidement et est occupée le 5 juillet, tandis que le dey s’exile.
Cet épisode marque le point de départ
d’une présence française en Algérie, qui va
durer cent trente ans. Son importance n’a cependant pas été saisie par les contemporains :
à la veille du renversement du régime, l’opposition critique ce qu’elle considère comme
une coûteuse diversion aux problèmes politiques intérieurs ; et c’est sans enthousiasme
que la monarchie de Juillet reprendra ce « legs
onéreux de la Restauration ».
Algérie, pays de l’Afrique du Nord dont
l’histoire est particulièrement liée à celle de
la France, qui l’a occupé de 1830 à 1962.
Fondée par des corsaires turcs luttant contre
les Espagnols entre 1516 et 1529, la régence
d’Alger constitue, pendant trois siècles, un
État autonome au sein de l’Empire ottoman.
L’alliance franco-turque nouée entre François Ier et Soliman le Magnifique entraîne
une coopération navale et militaire contre
l’Espagne en Méditerranée occidentale, l’établissement de relations diplomatiques (consulat de France à Alger, 1564) et commerciales
(comptoirs et monopole de la pêche du corail
sur la côte du Constantinois). Pourtant, Alger
mène une guerre de course presque continue
contre les navires français entre 1603 et 1689,
provoquant des expéditions de représailles
conduites par Tourville et Duquesne. Enfin,
une « paix de cent ans » est signée en 1690,
puis renouvelée en 1789. Poursuivies durant
la Révolution, les relations pacifiques sont
rompues par l’expédition de Bonaparte en
Égypte (1798-1801), et plusieurs fois perturbées sous le Consulat et l’Empire. Dès 1808,
Napoléon confie au commandant Boutin la
tâche d’étudier un plan de débarquement à
Sidi-Ferruch, à l’ouest d’Alger. En 1815, la
France retrouve son consulat et ses comptoirs,
mais plusieurs contentieux continuent à troubler les relations entre les deux pays : créances
impayées au dey d’Alger pour des fournitures
de blé à la République, couverture de navires
étrangers par le pavillon français contre les
corsaires algériens pendant la révolte grecque
de 1821 à 1827, volonté de la France d’exercer sa souveraineté sur les comptoirs d’Afrique
et de fortifier ces derniers. En 1827, à la suite
d’une offense faite au consul de France Deval
par le dey Hussein (un coup d’éventail), Paris
rompt ses relations avec ce dernier et impose
en vain un blocus pendant trois ans. En août
1829, après une dernière tentative de conciliation, le gouvernement du roi Charles X
décide d’offrir Alger au pacha d’Égypte Méhémet-Ali, puis, le 31 janvier 1830, d’intervenir
directement.
• La conquête. Le vote d’une motion de défiance au gouvernement ultraroyaliste de Polignac par la majorité libérale de la Chambre
des députés (les « 221 »), puis la dissolution
de la Chambre, le 15 mai, font de « l’expédition liberticide » un enjeu majeur de politique
intérieure. Le gouvernement veut en effet
« demander des députés au pays, les clés d’Alger à la main ». Malgré la capitulation d’Alger
le 5 juillet, l’opposition est victorieuse. Les
quatre ordonnances prises par le roi contre
la nouvelle Chambre provoquent les Trois
Glorieuses (journées des 27, 28 et 29 juillet
1830) et l’abdication de Charles X.
La prise d’Alger n’implique aucun projet
particulier pour l’Algérie. La monarchie de
Juillet, issue de l’opposition à l’expédition,
veut éviter de renforcer les légitimistes en
abandonnant la conquête. Elle attend pourtant jusqu’au 22 juillet 1834 pour annexer officiellement les « possessions françaises dans
le nord de l’Afrique ». L’occupation restreinte,
limitée aux environs d’Alger et à quelques
ports, doit être complétée par la « domination
indirecte » de l’intérieur des terres par l’intermédiaire de chefs indigènes vassaux. Mais
l’indocilité du bey de Constantine Ahmed et
du jeune émir arabe de l’Oranie Abd el-Kader
incite les Français à étendre leur mainmise.
En 1840, il faut enfin choisir entre l’évacuation totale et la conquête totale. La première est jugée impossible, parce qu’elle
humilierait la France face à l’Angleterre et aux
autres grandes puissances européennes (qui
viennent de l’obliger à cesser de soutenir le
pacha d’Égypte Méhémet-Ali contre le sultan)
et parce qu’elle permettrait aux légitimistes et
aux républicains d’accuser le régime de sacrifier l’honneur national. La seconde implique
deux conséquences de taille, prévues par le
nouveau commandant en chef et gouverneur
général Bugeaud : un effort militaire sans
précédent (le tiers de l’armée française) pour
briser, par tous les moyens, la résistance des
partisans d’Abd el-Kader ; une colonisation
de peuplement massive afin de décourager
les révoltes et de transformer l’Algérie en une
province française. Manière de pérenniser la
conquête, la colonisation est également présentée comme le but positif qui manquait à
l’expédition. Le gouvernement général organise alors une colonisation militaire et s’intéresse à des expériences collectivistes (saintsimoniennes, fouriéristes). Mais les émigrants
veulent échapper à l’autorité militaire et jouir
des mêmes droits civils et politiques que les
Français de métropole, posant ainsi la question de l’assimilation.
• Quel statut pour l’Algérie ? Le Gouvernement provisoire de la IIe République décide
de répondre aux revendications des colons en
créant trois départements, divisés en arrondissements et en communes, représentés à
l’Assemblée nationale. Après les journées de
juin 1848, il relance la colonisation pour résoudre le problème du chômage. La Constitution de novembre 1848 consacre la conquête
en faisant de l’Algérie une partie du territoire
national.
Méfiant envers les Français d’Algérie, trop
républicains à son gré, Napoléon III hésite
entre la poursuite de l’assimilation et la recherche d’une autre politique. Après avoir
rétabli le pouvoir des militaires en 1852, il
rattache le pays à un ministère civil de l’Algérie et des Colonies (1858), puis l’en détache,
en 1860, et prétend constituer un « royaume
arabe » au lieu d’une colonie. Conscient que
le dynamisme démographique de la France
est insuffisant pour peupler l’Algérie, il veut
substituer une colonisation de capitaux à la
colonisation de peuplement pour mettre le
pays en valeur tout en respectant les intérêts
des indigènes. Mais il est vigoureusement
combattu par les « colonistes » et par tous les
opposants à l’Empire (républicains, libéraux,
catholiques). Dès mars 1870, le Corps législatif réclame le rétablissement du régime civil.
Durant toute la IIIe République (18701940), la politique d’assimilation est considérée comme un dogme républicain. L’Algérie
downloadModeText.vue.download 31 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
20
doit devenir, selon Prévost Paradol, « terre
française, peuplée, possédée et cultivée par
des Français » (la France nouvelle, 1868).
Pourtant, l’échec de ce programme est patent
dès 1930.
Les trois départements ont retrouvé leurs
députés dès 1871, mais la citoyenneté française reste le privilège d’une minorité, et la
législation française n’est jamais intégralement appliquée. L’Algérie, comme les autres
colonies, conserve un gouvernement général
particulier et est dotée, en 1900, d’un budget
propre, voté par des délégations financières
élues.
Le peuplement français est moins important que celui des étrangers venus surtout
d’Europe méridionale (Espagne, Italie, Malte).
La loi du 26 juin 1889 sur la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés en territoire français accélère la fusion entre les deux
populations au sein d’un nouveau « peuple
algérien » (tenté par l’autonomie entre 1895
et 1900) distinct des Français de France. Cependant, la population dite « européenne »
(qui inclut les étrangers non naturalisés et les
juifs algériens) reste toujours minoritaire par
rapport aux « indigènes » musulmans : elle ne
dépassera pas 14 % de la population totale en
1926, et retombera à 10 % (1 million d’habitants sur 10 millions) en 1954. En outre, elle
se replie sur les grandes villes côtières.
À l’inverse, la mainmise sur les ressources
du sol et du sous-sol s’intensifie. La colonisation officielle organisée par l’État et les
transactions privées facilitées par les lois
foncières entraînent le transfert aux mains
des Européens de plus du quart des terres
cultivables et de la majeure partie des pro-
ductions commercialisées. Dans les mines,
les transports, l’industrie, les banques, les
Français détiennent l’essentiel des capitaux et
des postes de direction ou d’encadrement. La
population musulmane, en rapide augmentation, peut de moins en moins subsister sur ses
terres et doit rechercher des emplois salariés
dans les grands domaines agricoles, les mines,
les chantiers, les villes, et jusqu’en métropole.
• Deux catégories d’Algériens. Le décret
Crémieux d’octobre 1870 a donné la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, malgré un
mouvement antisémite qui exige violemment son abrogation en 1898, et qui finira
par l’obtenir du régime de Vichy en octobre
1940. Quant à la très grande majorité de la
population musulmane, elle reste en dehors
de la « cité française ». Depuis le 14 juillet
1865, l’« indigène » musulman algérien est
de nationalité française, mais il reste régi par
la loi coranique (ou les coutumes berbères)
en matière de statut personnel, et demeure
assujetti à un régime disciplinaire d’exception (appelé « Code de l’indigénat » de 1881 à
1927). Il peut pourtant être admis individuellement à la citoyenneté française, à condition
d’en être jugé digne et de renoncer à son statut
personnel pour se soumettre au Code civil (ce
qui est considéré comme une apostasie par les
musulmans). Cette procédure, qualifiée à tort
de « naturalisation », ne concernera pas plus
de dix mille personnes.
Une autre solution est envisagée, depuis
Napoléon III, par les « arabophiles » : la citoyenneté dans le statut musulman. En 1912,
les intellectuels « Jeunes-Algériens » demandent
que les « indigènes » soient suffisamment
représentés dans les assemblées locales et au
Parlement français. Après la Grande Guerre,
la loi du 4 février 1919 définit des corps électoraux relativement larges, qui élisent des
représentants musulmans minoritaires dans
les conseils municipaux et généraux et les délégations financières, mais pas au Parlement.
En 1931, l’ancien gouverneur général Maurice
Viollette propose d’admettre dans le collège
des citoyens français, sans renonciation à leur
statut personnel, des individus détenteurs
de décorations, de diplômes, ou qui se sont
distingués dans l’exercice de fonctions politiques, administratives, économiques. Repris
en décembre 1936 par le gouvernement du
Front populaire, le projet Blum-Viollette suscite une telle opposition chez les élus français
d’Algérie qu’il n’est ni discuté par le Parlement
ni appliqué par décret. En fait, depuis juin
1936, il est déjà dépassé par la charte revendicative du Congrès musulman d’Alger, qui
réclame la « citoyenneté dans le statut » pour
tous les Algériens, dans le même collège que
les citoyens français soumis au Code civil
et dans une Algérie intégrée à la France. En
août de la même année, à Alger, Messali Hadj,
leader de l’Étoile nord-africaine, exige une
Assemblée constituante algérienne souveraine
élue au suffrage universel.
• La montée du nationalisme. Le nationalisme algérien est apparu tardivement,
d’abord en France avec l’Étoile nord-africaine,
association de travailleurs immigrés créée sur
l’initiative des communistes en 1926, puis
en Algérie avec l’Association des oulémas
(savants religieux), plus modérée, en 1931.
À partir de 1936, ces deux courants posent
publiquement la question nationale. Le Front
populaire réagit en interdisant l’Étoile, puis
son successeur, le Parti du peuple algérien. Le
régime de Vichy substitue à l’idéal républicain
d’assimilation son antisémitisme et un paternalisme autoritaire qu’il croit pouvoir faire
accepter à la population en rabaissant le statut
des juifs par rapport à celui des musulmans.
Mais, après le débarquement anglo-américain
du 8 novembre 1942, les anciens élus réunis
par Ferhat Abbas adoptent la revendication
d’indépendance dans un Manifeste du peuple
algérien (février 1943). Le Comité français
de libération nationale, présidé par le général de Gaulle, rejette le Manifeste et relance
la politique d’assimilation par un ensemble
de réformes politiques et sociales tendant à
réaliser rapidement l’égalité de droit et de fait
entre tous les habitants de l’Algérie. L’ordonnance du 7 mars 1944 consacre le principe de
la citoyenneté française dans le statut musulman, met en oeuvre le projet Blum-Viollette
en faveur de 65 000 membres de l’élite, admet
tous les autres musulmans dans un second
collège pour élire 40 % des membres des
assemblées locales. Ces réformes, et les mesures économiques et sociales qui les accompagnent, ne suffisent cependant pas à prévenir la révolte nationaliste qui éclate à Sétif et à
Guelma le 8 mai 1945, et qui sera impitoyablement réprimée. De même, les débats aux
deux Assemblées constituantes et le statut de
l’Algérie voté le 20 septembre 1947 n’ajoutent
guère aux réformes de 1944 ; le plan visant au
progrès économique et social ne réussit pas à
marginaliser les nationalistes, qui préparent
l’insurrection du 1er novembre 1954.
l ALGÉRIE (GUERRE D’). Du 1er novembre 1954 au 1er juillet 1962, la guerre d’Algérie a tenu la France en échec.
Les « événements », d’abord perçus comme
des actes de banditisme commandités par
l’étranger, sont devenus une véritable guérilla
opposant le principal mouvement nationaliste algérien, le Front de libération nationale
(FLN), à la France, bien que celle-ci n’ait
jamais voulu reconnaître l’état de guerre.
Ce conflit franco-algérien a induit d’autres
affrontements à l’intérieur de la société algérienne, comme entre Français. Il a provoqué
la chute de la IVe République et son remplacement par la Ve, ainsi que la révision déchirante
de la politique algérienne et de la politique
coloniale de la France. L’importance de ses
conséquences en fait l’une des trois grandes
guerres françaises du XXe siècle.
CAUSES ET BUTS DE LA GUERRE
La guerre d’Algérie a été déclenchée, dans la
nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954,
par une organisation jusqu’alors inconnue,
le Front de libération nationale (FLN), et sa
branche militaire, l’Armée de libération nationale (ALN), qui regroupait quelques centaines
d’hommes, principalement dans les Aurès et en
Kabylie. Mais ses origines sont plus anciennes.
• Des résistances anciennes. Sans remonter jusqu’aux résistances acharnées à la
conquête française (ininterrompues de 1830
à 1857), et aux nombreuses révoltes qui l’ont
suivie (la dernière, contre la conscription
dans le Sud constantinois en 1916-1917),
on trouve dès 1933 les premiers appels de
l’Étoile nord-africaine dirigée par Messali
Hadj invitant les Algériens à l’insoumission et
à la révolte contre l’impérialisme français en
cas de nouvelle guerre européenne. De 1938
à 1954, une fraction du Parti du peuple algérien (PPA, qui succède à l’Étoile) a poursuivi
la préparation d’une insurrection, encouragée
par l’affaiblissement de la puissance française
durant la Seconde Guerre mondiale. Le 8 mai
1945, les manifestations nationalistes de Sétif
et de Guelma ont déclenché des révoltes,
réprimées avec dureté ; un ordre d’insurrection générale a été lancé pour le 23 mai, puis
annulé au dernier moment. De 1947 à 1950,
le PPA, légalisé sous le nom de Mouvement
pour le triomphe des libertés démocratiques
(MTLD), s’est doté d’une Organisation spéciale (OS), paramilitaire et secrète. Démantelée par la police et dissoute par la direction du
parti nationaliste, elle se reconstitue en 1954,
quand celui-ci se divise en deux tendances :
les messalistes, fidèles au père fondateur Messali Hadj, et les centralistes, partisans de la
majorité du comité central. En octobre 1954,
la troisième force « activiste », composée de
jeunes éléments radicaux, fixe la date du pas-
sage à l’action armée.
• Le FLN. La proclamation du FLN et l’appel de l’ALN, datés du 31 octobre 1954,
exposent au peuple algérien et aux militants
nationalistes les causes et les buts de la guerre
downloadModeText.vue.download 32 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
21
déclenchée en leur nom par un groupe de responsables anonymes qui leur ordonnent de
les suivre ; en même temps, le premier texte
propose à la France des conditions de paix.
La guerre qui commence a pour cause l’oppression du peuple algérien par l’impérialisme
français et le refus de toute émancipation pacifique. Son but est « l’indépendance nationale
par la restauration de l’État algérien souverain,
démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». Le moment est favorable,
ajoutent les auteurs de la proclamation, parce
que, depuis 1945, le peuple algérien est prêt
à se battre pour son indépendance, et que,
depuis 1952, les partis frères de Tunisie et
du Maroc ont pris les armes avec l’appui de
l’Égypte nassérienne ; la crise du MTLD n’est
qu’une raison supplémentaire de refaire l’unité
par l’action. Les méthodes sont révolutionnaires : employer, pour atteindre le but fixé,
« tous les moyens » efficaces, à l’intérieur (où
cinq chefs politico-militaires autonomes se
partagent le pouvoir de décision) et à l’extérieur (le coordinateur du FLN-ALN, Mohammed Boudiaf, a retrouvé les trois délégués au
Caire de l’ex-MTLD, Ahmed Ben Bella, Hocine
Aït-Ahmed et Mohammed Khider). La fin de
la guerre peut être hâtée par une négociation
avec la France, pourvu que celle-ci reconnaisse
l’indépendance de l’Algérie afin de sauvegarder ses intérêts légitimes et ceux de ses ressortissants.
• L’enlisement du conflit. Ces déclarations
et propositions ne sont pas prises au sérieux
par le gouvernement de Pierre Mendès France,
qui, le 12 novembre 1954, réaffirme en des
termes apparemment définitifs le caractère
français de l’Algérie, condamne la « rébellion »
comme des actes de banditisme et dénonce
l’« inadmissible ingérence » de l’Égypte. Il
entend mener de front le rétablissement de
l’ordre et l’accélération des réformes poursuivies depuis 1944 en faveur des « Français
musulmans ». Le gouverneur général Jacques
Soustelle, nommé par Mendès France et
confirmé dans ses fonctions par son succes-
seur, Edgar Faure, se consacre à cette double
tâche de « pacification » et d’« intégration » ;
mais son échec dans la première, manifesté
par la sanglante insurrection du 20 août 1955
dans le Nord constantinois, le pousse à dénoncer de plus en plus la barbarie des fellaghas
(« brigands ») et l’agression de l’« impérialisme panarabe », qu’il identifie au nazisme.
Le socialiste Guy Mollet, successeur d’Edgar Faure à la présidence du Conseil, définit
le 31 janvier 1956 une nouvelle politique, qui
a pour but de concilier le respect d’une « personnalité algérienne » et le maintien de « liens
indissolubles » avec la France. Il organise des
contacts secrets avec les chefs de la délégation extérieure du FLN, au Caire, à Rome et
à Belgrade ; mais les pourparlers s’enlisent en
raison de l’intransigeance des chefs de l’intérieur, qui réaffirment le préalable de l’indépendance et lui ajoutent la reconnaissance du
FLN comme seul représentant du peuple algérien lors du congrès de la Soummam, réuni le
20 août 1956. Cependant, Guy Mollet et son
ministre-résidant en Algérie, Robert Lacoste,
renforcent la « pacification » policière et militaire, et mettent en accusation le panarabisme
du colonel Nasser, que Guy Mollet présente
comme un nouvel Hitler après la nationalisation du canal de Suez, le 31 juillet 1956.
Ni l’interception de l’avion marocain transportant les chefs du FLN extérieur à Tunis
le 22 octobre 1956 (initiative de l’état-major
d’Alger, couverte par Robert Lacoste et par le
secrétaire d’État à la Défense Max Lejeune) ni
l’expédition israélo-franco-britannique contre
le canal de Suez (30 octobre-6 novembre),
interrompue par l’ONU et par la « collusion »
des États-Unis et de l’URSS, ne découragent
les « rebelles » algériens.
Ayant échoué à mettre fin à la guerre d’Algérie, Guy Mollet se justifie en recourant à l’anticommunisme, invoquant l’appui décisif de
l’URSS à l’Égypte, celui des communistes algériens au FLN et la trahison du PCF. Pour le général Salan, nouveau commandant en chef en
Algérie et ancien chef de l’armée d’Indochine,
les conflits indochinois et algérien sont deux
batailles successives d’une même lutte pour la
domination mondiale, et relèvent d’une même
stratégie révolutionnaire ou subversive : depuis
1920, et surtout depuis 1945, l’Union soviétique et le communisme international ont pour
objectif de saper le monde capitaliste en provoquant la révolte des peuples colonisés, ces
derniers étant encadrés par des mouvements
révolutionnaires communistes ou nationalistes
qui utilisent la propagande anti-impérialiste et
le terrorisme. L’Algérie apparaît alors comme
l’ultime ligne de défense de l’Europe : son
éventuelle perte entraînerait à brève échéance
l’avènement du communisme en Algérie et en
France ; mais elle n’est pas inéluctable si les
responsables militaires et politiques font du
contrôle de la population l’enjeu de la guerre et
la clé de la victoire. Cette théorie, qui surestime
démesurément l’influence du communisme
sur le nationalisme algérien, vise à dramatiser
la guerre d’Algérie afin d’assurer l’armée française du soutien de la nation entière et de tous
ses alliés occidentaux (tentés de voir dans le
nationalisme arabe un barrage contre le communisme). Sa diffusion quasi officielle devient
vite un obstacle à la recherche d’une solution
politique négociée. Ce que prouvent, en 1958,
le renversement du gouvernement de Félix
Gaillard pour avoir accepté les « bons offices »
anglo-américains dans le conflit franco-tunisien dû au bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef (qui marque le début d’une internationalisation de la guerre d’Algérie) ; puis la prise de
position des chefs militaires d’Alger contre l’intention du président du Conseil désigné, Pierre
Pflimlin, de renouer les contacts avec le FLN
en vue d’un cessez-le-feu, et enfin, le 13 mai
1958, leur ralliement à la révolte des Français
d’Algérie contre l’investiture de celui-ci.
• Vers l’indépendance. Le retour au pouvoir
du général de Gaulle, souhaité par les généraux Massu et Salan ainsi que par les comités de salut public d’Algérie, semble d’abord
signifier la victoire définitive de la politique
d’intégration (bien que le Général évite d’employer ce mot). Mais il substitue rapidement
au dogme traditionnel de l’Algérie française le
principe de l’autodétermination des habitants
de l’Algérie. Implicitement, lors du référendum du 28 septembre 1958 ; puis explicitement, par le discours du 16 septembre 1959,
dans lequel il promet aux Algériens qu’ils ont
le choix pour leur avenir entre trois options :
la « francisation », impliquant l’égalité totale
des droits et des devoirs ; la « sécession, où
certains croient trouver l’indépendance »
dans la rupture totale avec la France ; et le
statut d’État autonome associé à celle-ci dans
la Communauté.
Cette troisième option, privilégiée par le
président de la République, devient l’« Algérie
algérienne », puis la « République algérienne »,
quand la Communauté franco-africaine se disloque durant l’été de 1960. Cette première victoire du FLN est incomplète, puisque de Gaulle
refuse jusqu’en novembre 1960 de reconnaître
en droit ou en fait le Gouvernement provisoire
de la République algérienne (GPRA), proclamé
au Caire le 19 septembre 1958. Il invite le
FLN à se reconvertir en un parti politique légal
après avoir dissous l’ALN et livré ses armes. Au
contraire, le Conseil national de la révolution
algérienne (CNRA), réuni à Tripoli en janvier
1960, adopte les institutions provisoires de
l’État algérien et les statuts provisoires du FLN,
parti révolutionnaire virtuellement unique.
Pour sortir de l’impasse, de Gaulle se résigne, au
début de l’année 1961, à renoncer à tout préalable pour discuter avec le seul FLN sur l’avenir
de l’Algérie et des relations franco-algériennes
(conformément aux suggestions des colloques
juridiques organisés par les forces de gauche
à Royaumont, Aix-en-Provence et Grenoble).
Après une longue et difficile négociation,
plusieurs fois interrompue, les accords signés
à Évian le 18 mars 1962 (suivis par le cessez-le-feu du 19 mars à midi) satisfont les
revendications essentielles du FLN en préparant la formation, dans les six mois, d’un État
souverain sur l’Algérie du Nord et le Sahara,
coopérant avec la France et garantissant les
droits des Français d’Algérie conformément
à la proclamation du 31 octobre 1954. Mais
la France ne reconnaît toujours pas le GPRA
comme interlocuteur : elle conserve sa souveraineté sur l’Algérie et la responsabilité
suprême du maintien de l’ordre jusqu’au référendum d’autodétermination qui doit ratifier
les accords d’Évian et fonder l’État algérien le
1er juillet 1962.
Ainsi, plus de sept années de guerre ont
obligé les gouvernements français à inverser
leur politique de novembre 1954. Mais leur
revirement a été plus lent et moins complet
sur la légitimité du FLN que sur le droit de
l’Algérie à l’indépendance.
• Algériens et Européens. En effet, dès le
début de l’insurrection, le point faible du FLN
a été sa prétention à représenter le peuple algérien sans l’avoir consulté. La proclamation du
31 octobre 1954 promet au peuple algérien et
aux militants nationalistes qu’ils seront appelés à juger les organisateurs du soulèvement et
se dit assurée de leur patriotisme, mais l’appel
de l’ALN menace les indifférents et les traîtres.
La volonté de rassembler tous les patriotes
dans un parti unique se manifeste de plus
en plus nettement à travers les programmes
successifs du Front. Or le peuple algérien
ne s’est pas rallié promptement et unanimement, pas plus que les partis nationalistes.
Durant sa première année, le FLN a su attirer
à lui plusieurs partis nationalistes considérés comme modérés : les centralistes de l’ex-
MTLD, l’Union démocratique du Manifeste
algérien (UDMA) de Ferhat Abbas et l’AssodownloadModeText.vue.download 33 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
22
ciation des oulémas. Leurs représentants ont
été admis par le congrès de la Soummam dans
les instances dirigeantes du Front, et même à
la présidence du GPRA (Ferhat Abbas de septembre 1958 à août 1961, puis le centraliste
Ben Khedda). Mais la réalité du pouvoir appartient toujours aux chefs politico-militaires
du FLN-ALN, anciens de l’OS. Le Parti communiste algérien (PCA, interdit en septembre
1955), après avoir tenté de participer pour
son propre compte à l’insurrection, a intégré
les membres de ses groupes armés dans l’ALN
en juillet 1956, mais a refusé de se dissoudre
dans le FLN. Le Mouvement national algérien
(MNA), nouveau parti fondé par Messali Hadj
après l’interdiction du MTLD, a essayé de se
rallier les chefs du FLN, puis les a affrontés
dans une sanglante guerre fratricide, en Algérie et en France, dont il est sorti vaincu.
Le peuple algérien ne s’est pas dressé
comme un seul homme au premier appel du
FLN-ALN, qui reconnaît avoir mis longtemps
à « tirer le peuple de sa torpeur, sa peur, son
scepticisme » (plate-forme du congrès de
la Soummam). Il lui a fallu deux ans pour
implanter sa hiérarchie politico-militaire
dans toute l’Algérie du Nord et encadrer la
majeure partie de ses habitants musulmans.
Cependant, les réfractaires ont été nombreux,
soit par loyalisme envers la France, soit par
refus d’une autorité imposée par la menace
ou la violence. Les autorités françaises en
ont profité pour recruter de nombreux soldats ou supplétifs musulmans, et pour nier la
représentativité des « rebelles ». Le nombre
des premiers a toujours dépassé celui des seconds, et l’écart s’est creusé à partir de 1958,
jusqu’à atteindre un rapport de 6 contre 1
au début de 1961 (210 000 contre 33 000
selon les archives militaires françaises). Mais
il convient de lire ces chiffres, apparemment
très favorables à la France, à la lumière de certains correctifs : pressions des autorités visant
à compromettre et à engager le maximum de
« Français musulmans », manque d’armes
de l’ALN, qui ne pouvait de ce fait mobiliser
toutes ses forces potentielles, pertes beaucoup
plus fortes et renouvellement beaucoup plus
rapide des effectifs de l’ALN (qui aurait totalisé 132 290 combattants de 1954 à 1962,
ainsi que 204 458 dans l’organisation civile du
FLN). Ainsi, les deux camps semblent avoir
mobilisé un nombre de partisans comparable,
ce qui dément leurs prétentions à représenter
la masse du peuple algérien. Celui-ci a en fait
été déchiré par une guerre civile inavouée.
Si le FLN a dès le premier jour offert aux
citoyens français d’Algérie d’opter pour la
nationalité algérienne, il n’en a séduit que
quelques dizaines, et n’a jamais prétendu
représenter leur majorité. Au contraire, la
masse des Français d’Algérie, y compris les
juifs algériens, citoyens français depuis 1870
et qui furent rejetés par le régime de Vichy de
1940 à 1943, préféra rester française dans une
Algérie française. Cette volonté les a conduits
à refuser la tendance croissante des gouvernements et de l’opinion publique métropolitaine à rechercher une solution de compromis
négociée avec le FLN. Ce refus, approuvé par
les cadres de l’armée d’Algérie et par une partie notable des élites politiques, économiques
et culturelles de la France, a entraîné une
succession d’épreuves de force (manifestation
algéroise du 6 février 1956 contre Guy Mollet,
attentat au bazooka contre le général Salan
le 16 janvier 1957, révolte du 13 mai 1958
contre Pierre Pflimlin, barricades du 24 janvier 1960 contre le rappel du général Massu,
manifestation du 9 décembre 1960 contre la
« République algérienne »), aboutissant à des
concessions provisoires du pouvoir sous la
IVe République, puis à un durcissement de sa
volonté d’en finir sous la Ve. Après l’échec du
putsch des généraux Challe, Zeller, Jouhaud
et Salan (avril 1961) visant à empêcher l’ouverture des négociations d’Évian, ce conflit
latent prend la forme d’une guerre civile inégale, opposant l’Organisation armée secrète
(OAS) des généraux Salan et Jouhaud à la
fois au FLN et au gouvernement légal de la
France, soutenu par la très grande majorité
de l’opinion métropolitaine. Les violences se
poursuivront après la fin de l’Algérie française
par des attentats visant le président de la République, jusqu’en 1965.
Ainsi, la guerre d’Algérie peut se définir
comme une guerre internationale opposant
à la France l’État algérien virtuel que veut
constituer le FLN, accompagnée de plusieurs
guerres civiles divisant les deux peuples
concernés.
LES MOYENS ET LA FIN
• Une guerre totale. La guerre d’Algérie est,
comme toute guerre, un affrontement entre
deux camps qui tentent, physiquement, de se
détruire ; mais c’est aussi un duel de propagande, chacun cherchant à discréditer l’autre
en l’accusant de crimes sans précédent. En
réalité, leurs méthodes se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne veulent l’avouer. Ainsi,
prétendant l’un et l’autre au monopole de
la souveraineté légitime sur l’Algérie et ses
habitants, ils doivent également protéger les
« bons » citoyens et punir les « mauvais ».
Toutefois, l’énorme inégalité du rapport des
forces impose une certaine dissymétrie, le
plus faible cherchant à compenser son infériorité par un surcroît de violence.
Les fondateurs du FLN avaient prévu d’employer « tous les moyens ». Cette formule
d’un pragmatisme absolu implique la subordination de la morale à l’efficacité, conformément aux « principes révolutionnaires », mais
pas une stratégie préconçue en détail.
La priorité fondamentale est de gagner
le soutien du peuple à l’insurrection pour
assurer le recrutement, le ravitaillement, les
liaisons et les renseignements des groupes
armés par l’intermédiaire d’une organisation
politico-administrative encadrant la population. Ce but a été atteint par trois moyens
principaux : la propagande faisant appel aux
sentiments patriotiques, anticolonialistes et
musulmans latents ; le terrorisme interne,
châtiant impitoyablement les réfractaires et
les « traîtres » en les déshonorant pour dissuader leurs proches de les imiter ; enfin, le
terrorisme externe, destiné à tuer des Français
pour venger les victimes de la répression ou
pour en provoquer d’autres, de façon à creuser un fossé infranchissable entre les deux
populations.
En même temps, l’ALN mène une guérilla de sabotages et d’embuscades contre
l’armée française, sans espérer lui infliger
une défaite décisive. Son objectif est de tenir
le plus longtemps possible. Le FLN compte
vaincre en exerçant une double pression sur
les dirigeants français : en décourageant l’opinion publique métropolitaine et en isolant la
France dans le monde par une habile propagande.
Cette stratégie simple, après les graves difficultés des premiers mois, remporta des succès
spectaculaires du milieu de l’année 1955 au
début de 1957, voire au début de 1958. L’ALN
réussit à s’établir dans toutes les régions montagneuses et à étendre son influence sur tout
le territoire de l’Algérie du Nord. Toutefois,
sa puissance militaire et son autorité régressèrent ensuite devant les offensives françaises
à l’intérieur des frontières. Divers facteurs
expliquent ce déclin. L’énorme disproportion
des forces et des richesses poussa de nombreux Algériens à se rallier à la France pour
éviter une mort violente ou la misère. Mais
aussi, souvent, l’abus de la violence comme
système d’exercice du pouvoir du FLN-ALN
multiplia le désir de vengeance contre lui.
De leur côté, les « forces de l’ordre »
mènent une double action : de guerre
contre les « rebelles », de « pacification »
de la population fidèle ou ralliée. L’armée
emploie des effectifs considérables (plus de
500 000 hommes à partir du printemps de
1956, grâce à l’envoi du contingent en Algérie, puis au recrutement intensif de supplétifs
musulmans), dix fois supérieurs en nombre
que ceux de l’ALN. La plupart des appelés
servent à des opérations défensives de protection des personnes et des biens contre les
sabotages et le terrorisme. Une minorité de
troupes d’élite (légionnaires, parachutistes,
commandos de chasse...) traquent les unités
de l’ALN dans leurs bastions montagneux
avec l’appui d’hélicoptères et d’avions d’assaut, ou les groupes terroristes dans les villes.
La marine, l’aviation mais aussi les barrages
électrifiés et minés construits par l’armée aux
frontières marocaine et tunisienne empêchent
les infiltrations de renforts et d’armes venus
de l’extérieur.
L’action proprement militaire se prolonge
par la recherche du renseignement auprès des
prisonniers et les tentatives d’obtenir des ralliements, la manipulation d’agents clandestins
ou la dénonciation de faux traîtres dans les
rangs du FLN-ALN. Les « rebelles », considérés comme des criminels de droit commun,
sont jugés et punis selon des procédures d’exception (état d’urgence d’avril 1955, pouvoirs
spéciaux de mars 1956, etc.), ou en tant que
« hors-la-loi », par des moyens illégaux, tacitement couverts par les autorités militaires et
civiles (torture, exécutions sommaires), voire
organisés et codifiés - c’est le cas de la torture
à partir de 1957.
• La pacification. La « pacification »
concerne surtout la population musulmane
restée fidèle ou ralliée. Les troupes de secteur
la protègent des pressions des « rebelles »,
au besoin en la regroupant dans des camps
ceints de barbelés. Les sections administratives spécialisées (SAS) leur fournissent des
aides matérielles (assistance médicale gratuite,
écoles, chantiers ou distribution de vivres...).
Les services d’action psychologique diffusent
downloadModeText.vue.download 34 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
23
une contre-propagande. Le but est d’isoler les
« rebelles » en les privant du soutien populaire et en obtenant des renseignements et des
engagements dans l’armée ou dans les formations supplétives (harkis, milices d’autodéfense...).
La logique de la guerre antisubversive
conduit les chefs militaires à tenter de dicter
leur politique au gouvernement et à revendiquer l’unité des pouvoirs militaires et civils.
Après leur victoire sur le gouvernement de
Pierre Pflimlin en mai 1958, ils l’obtiennent
momentanément du général de Gaulle, qui
nomme le commandant en chef Salan délégué
général du gouvernement en Algérie, avant
de le remplacer par le civil Delouvrier et le
militaire Challe en décembre 1958.
Trois étapes se distinguent dans l’évolution de la situation militaire. De novembre
1954 à janvier 1957, comme on l’a vu, malgré ses difficultés des premiers mois, le FLNALN réussit à s’implanter dans toute l’Algérie
du Nord et à y généraliser l’insécurité. Le
reflux commence en février 1957, à la suite
de l’intervention à Alger des parachutistes
du général Massu, qui oblige le Comité de
coordination et d’exécution (CCE) à fuir la
capitale ; puis il se généralise au printemps
de 1958, après l’échec de l’ALN basée en
Tunisie à franchir massivement la « ligne
Morice » (de février à mai 1958). De la fin
1958 à la fin 1960, l’ALN de l’intérieur,
privée d’une grande partie de son soutien
populaire, lutte pour sa survie contre le plan
Challe (ratissage systématique de tous les
bastions montagneux par les « réserves générales » puis par les commandos de chasse des
secteurs), pendant que la direction extérieure
du FLN, s’étant proclamée GPRA le 19 septembre 1958, tente de camoufler ses dissensions internes en portant la guerre en France
(attentats du 25 août au 27 septembre 1958)
et en intensifiant sa propagande à l’Est, à
l’Ouest et dans le tiers-monde. Enfin, à partir
de janvier 1961, la négociation s’engage avec
le gouvernement français et prend le pas sur
la lutte armée, sans que celle-ci s’interrompe.
Malgré l’échec militaire de l’ALN (qui a pourtant formé des bataillons nombreux et bien
équipés à l’extérieur des frontières), le FLN
sort vainqueur de la guerre le 18 mars 1962.
LE DÉNOUEMENT :
UNE VICTOIRE TRAHIE OU INUTILE ?
• Pourquoi cette issue paradoxale ? Les
partisans de l’Algérie française parlent d’une
victoire trahie : la guerre aurait été gagnée
en 1960 si de Gaulle n’avait pas fait échouer
une négociation séparée avec les chefs de la
IVe wilaya de l’ALN (Algérois) en lançant un
appel au GPRA, qui envoya une délégation
à Melun (juin-juillet 1960). De Gaulle luimême a parlé d’une victoire sur le terrain pour
justifier sa décision d’ouvrir des négociations
en position de force ; mais leur issue a rendu
cette victoire inutile.
En réalité, parler de victoire en 1960
est exagéré. Même si l’ALN de l’intérieur a
régressé à son niveau de 1955, le FLN dispose à l’extérieur d’une armée moderne, d’un
appareil administratif, diplomatique et propagandiste efficace, et de réserves considérables
dans la population algérienne immigrée en
France, dans les prisons, les camps d’internement et les familles des militants tués ou
emprisonnés en Algérie. La France aurait dû
poursuivre sans relâche son effort militaire et
financier pour éviter une nouvelle flambée.
L’exemple d’autres mouvements nationalistes
(palestinien, irlandais, basque) laisse penser
que la lutte aurait pu durer plusieurs décennies.
On peut davantage parler d’une défaite
politique de la France à partir de la reprise
des manifestations populaires nationalistes
dans les grandes villes en décembre 1960.
Toutefois, si ces manifestations ont influé sur
la décision du général de Gaulle de relancer
les négociations avec le FLN (interrompues
depuis l’échec de Melun en juillet 1960),
elles ont suivi son désaveu de la francisation
(14 juin 1960) et sa reconnaissance du droit
de l’Algérie à former un État souverain (4 novembre 1960).
Sa décision n’a pas non plus été imposée
par le coût économique et financier de la
guerre, très supportable en 1960, ni par une
pression extérieure irrésistible des États-Unis
ou des Nations unies, même si la guerre d’Algérie a limité la liberté d’action et l’influence
de la France dans le monde. De Gaulle a fait
son choix en fonction de ce qu’il a jugé être
l’intérêt de la France. Sa politique algérienne
a été mûrement réfléchie, depuis son séjour
à Alger en 1943-1944 jusqu’à son retour au
pouvoir en mai 1958. Dès 1947, ses déclarations sur le statut de l’Algérie montrent qu’il
ne croit plus à la possibilité de l’assimiler
entièrement à la France. En 1955, il confie à
plusieurs interlocuteurs que l’Algérie est destinée à l’indépendance ; il préconise pourtant dans une déclaration publique (30 juin
1955) son « intégration dans une Communauté plus large que la France » (mais non
dans la France elle-même) et laisse croire à
Jacques Soustelle qu’il approuve son action.
Rappelé au pouvoir en mai 1958 par les
partisans de l’intégration, il est obligé de leur
donner des gages verbaux (« Dix millions
de Français à part entière » à Alger, « Vive
l’Algérie française ! » à Mostaganem). Mais il
fait vite comprendre qu’il réserve à l’Algérie
une « place de choix » dans la Communauté,
cadre constitutionnel permettant une transition vers l’indépendance jusqu’à son éclatement en 1960. Ses raisons se résument, selon
des propos tenus à Alain Peyrefitte le 5 mars
1959, à l’impossibilité d’absorber dans la nation française « dix millions de musulmans
qui demain seront vingt millions et aprèsdemain quarante » sans ruiner la France et
altérer son identité nationale.
Le revirement public du général de Gaulle
a été accompagné par la majorité des forces
politiques. De novembre 1954 à mars 1962,
la France est passée d’un consensus favorable
à l’Algérie française (les communistes, alignés
sur les nationalistes algériens depuis 1946,
s’en excluaient) à un autre consensus pour
l’indépendance de l’Algérie (sauf l’extrême
droite, qui a saisi là l’occasion de prouver son
« patriotisme »). Pourtant, la guerre d’Algérie a divisé presque tous les partis : d’abord
les gauches au pouvoir, de 1956 à 1958,
avec Guy Mollet et Robert Lacoste, puis les
droites, de 1958 à 1962. De Gaulle a été
soutenu par tous ceux qui ont désiré une
solution de compromis négociée avec le FLN,
sans oser le dire par peur de l’armée et du
nationalisme présumé de l’opinion publique.
En réalité, les sondages publiés de 1956 à
1962 montrent que l’opinion de la métropole
(contrairement à celle des Français d’Algérie) a très vite évolué vers la recherche d’une
solution politique négociée, impliquant le
droit à l’indépendance. La IVe République n’a
pas été regrettée, précisément à cause de son
impuissance à terminer cette guerre. La force
du général de Gaulle fut de faire la politique
souhaitée par la grande majorité de l’opinion
métropolitaine, sinon de ses élites, nettement
plus partagées. En effet, à partir des années
1956-1957, les révélations sur l’emploi de la
torture déclenchèrent une « nouvelle affaire
Dreyfus », dans laquelle se sont affrontés intellectuels de droite et de gauche. Cependant,
leurs débats semblent avoir moins pesé sur le
cours des événements que la crainte générale
d’une guerre sans fin.
• Bilan mitigé. La paix d’Évian n’a pas tenu
ses promesses de réconciliation : cessez-lefeu, amnistie générale, respect des personnes
et des biens, constitution d’un État algérien
par des élections libres, avec représentation
proportionnelle des Français d’Algérie (bénéficiant d’une double nationalité pendant trois
ans), aide française conditionnée par le respect de leurs intérêts et de ceux de la France.
L’OAS tenta de rompre le cessez-le-feu par
des attentats visant les quartiers musulmans
d’Alger et d’Oran contrôlés par le FLN, et
les forces armées restées fidèles au gouvernement. Le FLN riposta par des enlèvements
de Français et d’Algériens compromis avec
la France. Après le référendum du 1er juillet
1962 ratifiant les accords d’Évian, et après
la transmission de la souveraineté française
à un exécutif provisoire algérien sans autorité, la lutte pour le pouvoir entre les diverses
factions du FLN et de l’ALN généralisa une
sanglante anarchie, qui précipita l’exode vers
la métropole de la quasi-totalité des Français
d’Algérie et de dizaines de milliers de Français
musulmans menacés de mort, puis d’Algériens privés de travail.
Pourtant, le gouvernement français a maintenu son aide financière et technique à l’État
algérien, bien que celui-ci ait poursuivi le démantèlement des accords « néocolonialistes »
d’Évian par des nationalisations, jusqu’à celle
du pétrole saharien en 1971. Il a poursuivi
la coopération scientifique et culturelle aussi
longtemps que l’Algérie l’a jugée utile. Mais,
la guerre civile algérienne, qui sévit dans les
années 1990 et au début des années 2000,
menace d’éliminer toute forme de présence et
d’influence françaises en Algérie.
Contrairement aux deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie a laissé en France
un souvenir flou : date de commémoration
officielle controversée et absence d’encouragement à la recherche historique, ignorance
des jeunes générations, affrontement des mémoires antagonistes des partisans de la décolonisation et de leurs adversaires (rapatriés,
harkis, militaires de carrière). Une histoire
dépassionnée du conflit est nécessaire pour
aider ceux qui l’ont vécu et leurs descendants
à vivre ensemble en paix, d’autant que le prodownloadModeText.vue.download 35 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
24
blème de l’intégration d’une population d’origine musulmane dans la nation française se
pose désormais en France même.
Algésiras (conférence d’), conférence
internationale tenue en Espagne de janvier
à avril 1906, destinée à régler les premiers
conflits d’intérêts entre nations européennes
au Maroc.
Au début du XXe siècle, le sultanat marocain, affaibli et endetté, suscite de multiples
convoitises. Aux intérêts allemands, espagnols et britanniques, essentiellement commerciaux, font face les ambitions de la France,
qui souhaite y établir un protectorat. L’Allemagne, au contraire, défend le principe de
l’internationalisation du Maroc : c’est l’objet
du discours prononcé à Tanger le 31 mars
1905 par Guillaume II, qui aboutit à la tenue
de négociations internationales à Algésiras.
Les treize puissances qui y participent (dont
le Maroc, les États-Unis et les grandes nations
européennes) adoptent deux décisions principales : la création d’une banque d’État du
Maroc, où la France, premier créancier, a une
position privilégiée ; la réorganisation de la
police des ports marocains, dont l’encadrement est confié aux Français et aux Espagnols.
Pour la France, c’est un succès diplomatique.
Bien que son ambition d’établir un protectorat
soit momentanément écartée, elle a su faire
jouer ses alliances multilatérales pour défendre
son point de vue face à l’Allemagne, et a obtenu
le contrôle de plusieurs ports dans l’Ouest
marocain. Cependant, la question marocaine
n’est pas réglée. Ce premier épisode annonce la
montée des tensions en Europe, et le rôle qu’y
tiendront les questions coloniales.
Aliénor d’Aquitaine, reine de France
de 1137 à 1152, puis reine d’Angleterre de 1154
à 1189 (Belin, Gironde, 1122 - Fontevraud 1204).
Fille aînée de Guillaume X, duc d’Aquitaine,
Aliénor est, à 15 ans, le plus beau parti d’Occident : elle est en effet l’héritière du duché
d’Aquitaine, qui comprend la Marche, l’Auvergne, le Limousin, le Poitou, l’Angoumois,
la Saintonge, le Périgord et la Gascogne. À la
mort de son père, en 1137, elle épouse l’héritier du roi de France, qui devient peu après
le roi Louis VII. L’histoire veut qu’Aliénor,
belle, vive et intelligente, ait été déçue par
un mari timide et très épris, qu’elle accompagne lors de la deuxième croisade, en 1147.
Prise au jeu de son oncle Raimond de Poitiers,
prince d’Antioche, elle suscite la jalousie de
Louis VII, provoquant une première brouille,
à laquelle le pape Eugène III met un terme.
Mais la mésentente du couple royal s’amplifie,
et Louis VII réunit en 1152, à Beaugency, un
concile, qui prononce la nullité du mariage.
Deux mois plus tard, Aliénor, âgée de 30 ans,
épouse Henri Plantagenêt, comte d’Anjou et duc
de Normandie, de dix ans son cadet. Lorsque
ce dernier devient roi d’Angleterre, en 1154,
les domaines des Plantagenêts s’étendent de
l’Écosse aux Pyrénées. À partir de 1169, son fils
Richard gouvernant l’Aquitaine, Aliénor réside
le plus souvent à Poitiers, d’autant que ses relations avec Henri II se dégradent. Mêlée à la
révolte de ses fils contre leur père, elle est arrêtée
et enfermée à Chinon à partir de 1174. Elle n’en
sort qu’en 1189, à l’avènement de son fils Richard Coeur de Lion. Elle retrouve alors un rôle
de premier plan : régente pendant la troisième
croisade, elle assure en 1199 la succession du
royaume à son second fils, Jean sans Terre, puis
se rend en Castille, en 1200, pour y chercher sa
petite-fille Blanche, destinée à l’héritier de Philippe Auguste, le futur Louis VIII. Sur le chemin
du retour, la vieille reine se retire définitivement,
jusqu’à sa mort, dans l’abbaye de Fontevraud.
À Poitiers, Aliénor d’Aquitaine a tenu une
cour brillante, inspirée de son grand-père
Guillaume IX le Troubadour. Elle a contribué largement au rayonnement de la littérature courtoise, protégé le troubadour Bernard
de Ventadour et favorisé la diffusion de la
légende de Tristan. Ses nombreuses filles ont
poursuivi ces activités de mécénat, et propagé
à leur tour la littérature courtoise en Castille,
en Bavière, en Provence et en Sicile.
« Monstre femelle » pour les clercs de son
époque, Aliénor a longtemps été considérée
par les historiens comme une fauteuse de
troubles, comme la cause, par son inconduite,
son divorce et son remariage, de trois siècles
de conflits avec l’Angleterre. Aujourd’hui,
on perçoit cette figure célèbre de façon différente : elle incarne la femme libérée du
XIIe siècle, symbole d’un Moyen Âge éclairé et
plaisant ; cependant, d’aucuns voudraient la
présenter comme l’archétype de la princesse
médiévale, plus à plaindre qu’à admirer. Si
Aliénor continue de susciter des prises de
position aussi tranchées, c’est parce qu’elle
reste avant tout une figure féminine centrale
de notre histoire.
Allarde (loi d’), loi votée le 2 mars 1791,
sur la proposition du député d’Allarde, qui, en
supprimant les corporations, jurandes et maîtrises, ainsi que les privilèges des manufactures, impose la libre entreprise en France.
Régissant le monde du travail dans les
villes, les corporations sont considérées, au
XVIIIe siècle, par les partisans des idées nouvelles du « laissez-faire » comme une entrave
à la libéralisation de l’économie. En effet, les
corps de métier soumettent à autorisation
toute ouverture de boutique, atelier ou manufacture. S’assurant un monopole, ils éliminent
la concurrence et mettent un frein à l’évolution des techniques. Une première fois abolies
par Turgot, mais aussitôt rétablies (1776), les
corporations sont à nouveau supprimées dans
la nuit du 4 août 1789, mais la mesure est
retirée des décrets d’application. Élaborée lors
du débat sur les patentes à la Constituante,
la loi d’Allarde autorise enfin tout citoyen à
exercer la profession de son choix à condition qu’il s’acquitte de cet impôt. Les ouvriers,
croyant que le droit d’association leur sera
accordé, ne s’y opposent guère ; mais ils vont
vite déchanter : quelques semaines plus tard,
la loi Le Chapelier leur interdit le droit de
grève et de coalition. Il en va de même pour
nombre de manufacturiers et de négociants,
qui voient les structures de production bouleversées. Malgré les résistances qu’elle rencontre, la loi d’Allarde libère la production et
devient, avec la loi Le Chapelier - son corollaire -, l’une des pièces maîtresses de l’édifice
libéral du XIXe siècle.
Allemagne (campagne d’), opérations militaires menées en Allemagne par les armées
napoléoniennes en 1813.
À l’issue de la retraite de Russie, et alors que
la Grande Armée n’est plus constituée que
de 10 000 hommes, une vague d’enthousiasme - aboutissement du courant national développé en Allemagne depuis le discours de Fichte en 1807 - déferle à Berlin :
la jeunesse universitaire, la bourgeoisie et
la noblesse réclament un « combat de libération ». La Prusse organise alors une armée
de 100 000 hommes, commandée par Blücher, Gneisenau et Clausewitz, et forme
avec la Russie la sixième coalition contre la
France. Cette dernière s’est redressée rapidement : elle reconstitue une armée de près de
500 000 hommes, qui comprend toutefois
une forte proportion de jeunes recrues inex-
périmentées.
En avril 1813 commence la campagne
d’Allemagne : en dépit du nombre croissant
des partisans de la paix dans son entourage,
Napoléon reprend les armes. Son objectif stratégique est d’installer son armée entre l’Elbe et
l’Oder afin de mener les combats loin du territoire français et de protéger la Confédération
du Rhin. La première phase des opérations est
marquée par les dernières victoires françaises,
à Lützen (2 mai 1813) et à Bautzen (2021 mai 1813). Mais la débâcle survenue en
Espagne et un armistice propice à la constitution de renforts encouragent l’Autriche, puis
la Suède à rejoindre la coalition soutenue par
la Grande-Bretagne. L’armée française résiste
encore deux mois durant, mais doit céder à
Leipzig (16-19 octobre 1813). Le Grand Empire est détruit, et Napoléon ne dispose plus
que d’une armée exsangue pour défendre le
territoire français envahi.
Allemane (Jean), militant socialiste (Boucou, près de Sauveterre, Haute-Garonne,
1843 - Herblay, Seine-et-Oise,1935).
Enfant, Jean Allemane gagne Paris, où il devient ouvrier typographe et se syndique à l’âge
de 18 ans. Lors de la guerre de 1870, il est
caporal de la Garde nationale. Après le 18 mars
1871, il met en pratique, à la mairie du Ve arrondissement, les résolutions laïques et anticléricales de la Commune. Arrêté le 28 mai, il est
condamné aux travaux forcés à perpétuité et
déporté en Nouvelle-Calédonie. Amnistié en
1880, il redevient typographe, fonde la Société
fraternelle des anciens combattants de la Commune (1889), dont il célèbre tous les ans l’anniversaire. Grâce au prestige d’ancien communard dont il jouit, il joue un rôle majeur dans
le développement du mouvement socia-liste,
au sein duquel il incarne, avec ses partisans,
les allemanistes, une tendance ouvriériste, antimilitariste, méfiante à l’égard du Parlement,
des « bourgeois » et des hiérarchies, favorable
à la grève générale. Il fonde le Parti socialiste
ouvrier révolutionnaire (PSOR) en 1890, puis
entre à la SFIO avec son parti (1905). Sans
renier ses idées, il siège à l’Assemblée nationale
entre 1901 et 1910, rédige ses Mémoires d’un
communard (1906), puis cesse son activité militante. En 1914, il approuve l’appui de la SFIO à
l’« union sacrée ». Il s’intéresse, sans y adhérer,
à la création du Parti communiste, en 1920.
downloadModeText.vue.download 36 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
25
Dès 1936, une place porte son nom, parmi des
rues dédiées à d’autres communards, à la citéjardin de la Butte-Rouge (Châtenay-Malabry,
Hauts-de-Seine).
alleu, terme d’origine germanique désignant, au Moyen Âge, les biens patrimoniaux.
À la différence de la tenure ou du fief, l’alleu,
qu’il soit nobiliaire ou paysan, ne relève pas
d’un seigneur : aucun service, aucune taxe ne
pèse sur lui. Du haut Moyen Âge à la fin du
Xe siècle, il est le mode de possession du sol
le plus répandu, en particulier dans le Midi,
le Centre et certaines régions de l’est de la
France. Mais, à partir du XIe siècle, les terres
allodiales se raréfient en raison de l’essor des
donations à l’Église, de l’extension du fief
et, surtout, de l’avènement de la seigneurie banale. Le phénomène revêt cependant
des formes différentes selon les régions. En
France du Nord, où l’adage « Nulle terre sans
seigneur » s’impose à partir du XIIIe siècle,
l’alleu disparaît complètement. En revanche,
dans le Midi, en Bourgogne et sur les terres
comprises entre la Meuse et le Rhin, il subsiste plus ou moins durablement. D’une part,
l’alleu nobiliaire, parce qu’il est fréquemment
le fondement même du pouvoir aristocratique, se maintient au moins jusqu’à l’affermissement de la puissance royale et princière
au XIIIe siècle. D’autre part, l’alleu paysan, à
l’occasion des défrichements et de la mise en
valeur de nouveaux terroirs, reprend parfois
vigueur, quoique momentanément. La disparition progressive de l’alleu est, en définitive,
l’un des principaux signes de l’affirmation de
la seigneurie entre le XIe et le XIIIe siècle.
Alliance républicaine démocratique, formation politique fondée en 1901 et
dissoute en 1978, et qui connut son heure de
gloire sous la IIIe République.
L’Alliance républicaine démocratique (ARD),
créée le 23 octobre 1901, mais dont l’ébauche
remonte au mois de mai de la même année,
regroupe les républicains de gouvernement.
Pour faire face à la poussée antiparlementaire
exercée par les nationalistes, ces modérés
soutiennent depuis 1899 le gouvernement de
Défense républicaine de Waldeck-Rousseau,
et forment, avec les radicaux et les socialistes,
le Bloc des gauches en vue des élections de
1902. Même si ces fervents laïques combattent
fermement le cléricalisme et défendent avec
ardeur le régime parlementaire, ils divergent
des radicaux sur des questions économiques
et sociales, puis sur la « loi des trois ans », à
laquelle ils se montrent favorables. À la veille
de la Grande Guerre, l’ARD a glissé du centre
gauche vers le centre : elle est devenue « le
pivot de toutes les combinaisons politiques »
(Jean-Marie Mayeur) et le vivier du personnel
gouvernemental du régime, comme l’attestent
les carrières de deux de ses plus illustres
dirigeants : Raymond Poincaré et Louis Barthou. Ce rôle se confirme durant les périodes
du Bloc national (1919-1924) et de l’Union
nationale (1926-1928). Au cours des années
1930, l’Alliance, qui passe sous la houlette
d’une nouvelle génération de dirigeants, tels
Pierre-Étienne Flandin et Paul Reynaud, est
rejetée vers la droite après la formation du
Front populaire. À la veille de la guerre, les
problèmes extérieurs la divisent : une majorité pacifiste et munichoise, menée par Flandin, s’oppose à une minorité favorable à la
fermeté, animée par Reynaud. Après 1945, la
formation ne retrouvera jamais son influence
d’antan.
Sous la IIIe République, l’ARD, composée
de « bons républicains » attachés à la laïcité et
au régime parlementaire, mais aussi au libéralisme économique, représente bien une force
du centre, qui va contribuer à « brouiller la
bipolarisation » (Rosemonde Sanson).
almanach, calendrier annuel ou pluriannuel, accompagné de renseignements variés,
et qui fut, du XVIe au XIXe siècle, un vecteur
important de la littérature et de l’imagerie
populaires.
Le terme, vraisemblablement d’origine arabe
(al-manah, du syriaque l-manhaï, « l’an prochain »), apparaît pour la première fois en
français en 1303 (« almenach »). En effet,
c’est du Moyen Âge que datent les premiers
almanachs : le Vray Régime et gouvernement
des bergers, de Jean de Brie (1379), et, surtout, le Grant Kalendrier et compost des bergers
avec leur astrologie et plusieurs autres choses,
ouvrage savant publié en 1491 et qui constituera le modèle du genre durant trois siècles.
L’invention de l’imprimerie va assurer aux
almanachs une large diffusion. Encore relativement coûteux au XVIe siècle, ils touchent un
large public lorsque la littérature de colportage s’en empare au XVIIe siècle. Une version
populaire du Grant Kalendrier des bergers est
publiée chez l’éditeur troyen Oudot en 1657,
dans la « bibliothèque bleue ». C’est avant
tout un ouvrage d’astrologie fournissant des
« pronostications » (« faire des almanachs »
signifie « faire des prévisions ») assorties de
conseils médicaux, culinaires ou horticoles,
en liaison avec les signes astraux.
À côté de ce modèle « standard », des
concurrents apparaissent (le Mathieu Laensberg ou le Messager boiteux), et de nouvelles
formules voient le jour : des calendriers annuels, à partir de 1647, ou des recueils de
prédictions valables pour quinze à vingt ans.
En même temps que la formule se diversifie,
le contenu évolue. L’astrologie conserve une
place non négligeable, mais le divertissement,
l’information ou un savoir plus technique sont
aussi développés : histoire, actualités, nouvelles de Paris, renseignements concernant les
foires et marchés, faits divers plus ou moins
fantaisistes, curiosités « naturelles » (comètes,
monstres), facéties, récits empruntés au folklore, etc. Littérature d’évasion qui propose
des réponses simples à la question du destin individuel et des solutions pratiques aux
problèmes de la vie quotidienne, l’almanach
constitue « le livre unique qui groupe l’essentiel de ce qui est utile au gouvernement de la
vie » (G. Bollème). Il rencontre un tel succès
qu’au XVIIIe siècle il devient un phénomène de
mode auprès des élites de la cour comme de
la ville. Ainsi paraissent un Almanach de la
cour, des almanachs littéraires (Almanach des
Muses, 1765) ou libertins (les Dons de Cérès,
le Bijou des dames).
À côté de ces livrets, un autre type de production se développe au XVIIe siècle : les almanachs muraux publiés par les éditeurs d’estampes ; placards de grand format où l’image
- édifiante, commémorative ou satirique,
accompagnée de brèves légendes explicatives
et de « vers de mirliton » - envahit la quasi-totalité de l’espace, réduisant le calendrier à une
simple vignette. Le rappel des événements de
l’année fournit l’occasion de mettre en scène
et de célébrer le pouvoir : victoires militaires
(le thème le plus fréquent sous Louis XIV...),
événements dynastiques, célébrations de la
religion, des arts ou des sciences, etc. Ainsi,
ces almanachs représentent une sorte d’art
officiel à l’usage d’un public populaire.
Diffusés par colportage et vendus très bon
marché (quelques sous), offrant la possibilité
de lire à ceux qui maîtrisent à peine la lecture,
les almanachs sont souvent les seuls ouvrages
qui pénètrent dans les milieux populaires
ruraux et urbains : ils constituent « le livre de
la classe la plus modeste, et qui lit peu » (le
Messager boiteux, 1794). Leur large diffusion
explique la surveillance dont ils sont l’objet,
notamment à l’époque de la Contre-Réforme,
en raison de leur contenu parfois sulfureux
(édits de 1560, 1579, 1620), mais aussi la
tentation du pouvoir royal d’y inscrire sa propagande.
Le succès des almanachs perdure au
XIXe siècle. Depuis la Révolution française, la
politique y a fait son entrée : aux almanachs
révolutionnaires (le Père Duchesne, 1791),
puis socialistes ou anarchistes (le Père Peinard,
1894), répondent les almanachs contre-révolutionnaires (Almanach de l’abbé Maury),
conservateurs ou cléricaux (Almanach du
pèlerin). Tandis que les almanachs spécialisés
(de mode ou de chansons, « calendriers gourmands », etc.) se multiplient, les almanachs
« généralistes » poursuivent leur carrière,
parfois jusqu’au XXe siècle (ainsi l’Almanach
Vermot, né en 1886, ou le toujours populaire
Almanach du facteur). Mais la concurrence de
la presse grand public et des autres médias
de masse leur ôte peu à peu leur caractère de
lecture privilégiée des milieux populaires.
alphabétisation. Ce néologisme, d’apparition assez récente mais d’usage universel,
pose des problèmes de définition qui tiennent
à l’évolution de la place et des fonctions de
l’instruction dans les sociétés avancées, mais
aussi à la diffusion des valeurs fondamentales
de ces sociétés dans l’ensemble des pays du
monde.
La colonisation a en effet éveillé, au cours du
XXe siècle, des aspirations nationales et sociales qui avaient auparavant conféré, dans les
pays développés, une importance primordiale
à l’accès des populations à la culture écrite.
• Polysémie d’un terme. Dans son Grand
Dictionnaire universel du XIXe siècle (1866),
Pierre Larousse fait figurer le verbe alphabétiser, ainsi défini : « lire, épeler l’alphabet ».
De cette définition du mot par l’apprentissage
qu’il désigne, on est passé, dans la seconde
moitié du XXe siècle, à une définition par l’enseignement que cet apprentissage suppose.
Et le Trésor de la langue française précise que
cet enseignement des « rudiments de la lecture et de l’écriture » s’adresse « à des couches
sociales ou à des groupes ethniques défavoridownloadModeText.vue.download 37 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
26
sés », tant la géographie et la sociologie actuelles de l’analphabétisme dans le monde en-
tretiennent de liens de causalité réciproques
avec celles du sous-développement. L’élargissement du contenu de l’alphabétisation,
dont témoignent les définitions des experts de
l’UNESCO en 1951 puis en 1962, indique le
moment de notre histoire où la promotion de
chaque homme a été jugée déterminante pour
le développement des peuples et des nations.
• La lecture : du religieux au politique.
C’est dire les difficultés que soulève l’emploi
rétrospectif du même terme par les historiens
lorsqu’ils abordent la question des lents progrès passés de l’instruction populaire. La situation particulière de la France ajoute encore
à ces difficultés de principe, dans la mesure
où la question, comme l’ont souligné François Furet et Jacques Ozouf, a longtemps été
liée aux enjeux essentiels de notre vie politique. Au lendemain de la défaite de 1871,
cause immédiate du grand élan qui a conduit
les républicains à placer l’enseignement primaire obligatoire en tête de leur programme,
le linguiste Michel Bréal, futur conseiller de
Jules Ferry, affirmait que l’enseignement primaire, partout où il s’était développé avant le
XIXe siècle, était fils du protestantisme. L’obligation de la lecture directe de la Bible, source
et aliment constant de la foi protestante, a en
effet ouvert et longtemps commandé le processus d’alphabétisation des Français. Car
elle a aussitôt fait naître une concurrence
féconde : pour triompher des protestants sur
leur propre terrain, les catholiques ont à leur
tour privilégié l’accès au texte sacré comme
instrument d’évangélisation.
De religieuse qu’elle était aux temps de
l’affrontement entre Réforme et Contre-Réforme, la question est devenue politique une
fois consommée la rupture de 1789. La philosophie des Lumières avait certes préparé
l’émergence des nouveaux termes du débat :
l’instruction ne devait plus seulement servir à former des croyants et des sujets, mais
éclairer les hommes et leur ouvrir les voies de
l’émancipation. Nul ne l’a mieux montré que
Condorcet : le remplacement de la monarchie
absolue par un régime fondé sur la souveraineté du peuple impose à l’État la formation de
citoyens proclamés libres et égaux. L’obligation nouvelle est de leur rendre intelligibles
non plus les dogmes de leur foi, mais leurs
droits et leurs devoirs. Dans une société désormais travaillée par les oppositions entre
traditionalistes et libéraux, en marche vers la
réalisation d’idéaux laïques et démocratiques,
le déplacement du conflit de la sphère religieuse sur le terrain politique a eu pour effet
de valoriser plus que jamais l’accès à l’instruction. La vie politique française à partir de
1789 le confirme constamment, et ce conflit
ne se distingue plus, dès lors, de celui qui
oppose Révolution et Contre-Révolution.
• L’enquête de Maggiolo : débats et
constats. Il est très significatif que l’enquête
fondatrice sur l’évolution historique de l’alphabétisation en France ait été lancée en 1877, au
moment même où se jouait l’avenir des institutions républicaines. Son initiateur, Louis
Maggiolo, ancien recteur de l’académie de
Nancy, obtient alors du ministère une mission de recherche sur l’état de l’enseignement
primaire avant 1789. La logique de ce projet
traduit les préoccupations du temps : l’alphabétisation n’est pas conçue indépendamment
de l’activité scolaire, dont elle est le signe et le
résultat, et il s’agit de comparer l’état de l’instruction populaire avant et après la Révolution.
Ni l’idée de cet inventaire ni le souci d’utiliser
des procédures statistiques n’étaient nouveaux.
L’État réunit des données chiffrées sur le degré
d’instruction des conscrits à partir de 1827,
sur les signatures au mariage à partir de 1854,
enfin sur le degré d’instruction des Français
dans les recensements de la population de
1866 et 1872, et de nouveau à partir de celui
de 1901. L’apport considérable de Maggiolo
tient à l’extension chronologique de son enquête et aux moyens qu’il a su se donner pour
la mener à bien. Près de 16 000 instituteurs ont
relevé pour lui, dans leur commune, les signatures des époux sur les actes de mariage pour
quatre périodes quinquennales : 1686-1690,
1786-1790, 1816-1820 et 1872-1876.
Les résultats ont inspiré quelques regrets
et critiques. Si loin qu’il soit allé en amont de
la Révolution, Maggiolo s’est résolu à laisser
dans l’ombre la période antérieure à 1686.
Mais il avait fallu attendre 1667 pour que la
signature des actes de mariage par les époux
et par quatre témoins fût officiellement obligatoire dans l’ensemble du royaume. Le cadre
départemental, retenu pour le classement
des chiffres, ne saurait valoir pour l’Ancien
Régime. En outre, les échantillons sont de
taille fort inégale suivant les départements,
et la plupart des sondages, effectués par
des maîtres d’école de village, affaiblissent
notablement la représentation des villes.
Depuis la redécouverte de cette enquête, à
la fin des années cinquante, l’essentiel du
débat a porté sur la pertinence de l’indicateur
choisi par Maggiolo : la signature peut-elle
être tenue pour un indice sûr de l’aptitude à
lire et à écrire ? On peut certes estimer, avec
Yves Castan, qu’elle n’est qu’un degré zéro de
la culture ou, avec J. Meyer, qu’elle doit être
considérée comme un degré intermédiaire
entre lecture et écriture. Or la pédagogie ancienne dissociait l’apprentissage de la lecture
et celui, jugé plus difficile, et pour cette raison
plus tardif, de l’écriture. Comme l’ont souligné Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia et Bernard Grosperrin,
les petites écoles de l’Ancien Régime ont produit plus de « lisants » que de « signants »,
dans une proportion que les historiens ne
peuvent mesurer. Pour la plupart, ils se sont
donc rangés au sage avis de Jean Quéniart : si
incertaine que soit l’interprétation des comptages de signatures, la pauvreté des moyens
dont ils disposent pour entrevoir la réalité
de l’alphabétisation ancienne leur interdit de
s’arrêter à leurs insuffisances.
Ces résultats font ressortir quatre types
de conditions qui ont contribué à prolonger
longtemps la sous-alphabétisation. Les cartes
dressées à partir des données chiffrées ont
confirmé, pour l’essentiel, la validité d’une
ligne continue reliant Saint-Malo à Genève,
identifiée dès 1826 grâce aux statistiques du
baron Dupin sur l’instruction populaire. Cette
ligne figure en quelque sorte la frontière entre
la « France obscure » de l’Ouest et du Midi et
la « France éclairée » du Nord et du Nord-Est.
D’autres oppositions apparaissent, entre les
riches et les pauvres, entre les citadins, plus
précocement alphabétisés, et les ruraux, enfin
entre les hommes et les femmes, très inégalement scolarisés.
En somme, le bilan n’est point si défavorable à l’Ancien Régime : à la fin du XVIIe siècle,
déjà près du tiers des hommes et un huitième
des femmes pouvaient signer leur acte de
mariage. Si la Révolution a préparé les irréversibles progrès du XIXe siècle, c’est par ses principes et ses projets plus que par ses mesures
effectives : d’après les évaluations de Maggiolo, le taux d’alphabétisation des hommes
est passé de 47,4 % en 1786-1790 à 54,4 %
en 1816-1820, et celui des femmes, dans le
même laps de temps, de 26,8 % à 34,5 %. Les
textes de 1881, 1882 et 1886 ont couronné
une législation à laquelle Guizot, en imposant
aux communes l’ouverture d’une école (loi de
1833), puis Duruy, promoteur de la gratuité
de l’instruction primaire et de la scolarisation
des filles (loi de 1867), avaient apporté des
contributions décisives.
• Alphabétisation d’hier et d’aujourd’hui.
Si l’on ne croit plus aujourd’hui que l’alphabétisation résulte exclusivement de la scolarisation, il ne reste pas moins qu’au XIXe siècle
l’alphabétisation des adultes n’a jamais été
envisagée autrement qu’en liaison étroite
avec l’instruction élémentaire des enfants.
En 1864, Duruy a même autorisé les instituteurs à ne faire que cinq heures de classe
aux enfants pour pouvoir donner ensuite
des cours du soir aux adultes. On rejoint ici
les problèmes sociaux et culturels posés par
l’alphabétisation dans le monde contemporain. La scolarisation élémentaire ancienne,
courte, légère, intermittente, échouait souvent à assurer l’accès définitif à la culture
écrite, l’enfant retombant vite, après avoir
quitté l’école, dans l’analphabétisme familial.
Cette fragilité de l’alphabétisation par la seule
école affecte encore couramment les sociétés
du tiers-monde. L’intégration des travailleurs
étrangers en France s’est heurtée à d’autres
obstacles, dont certains sont très comparables à ceux que rencontraient les maîtres
d’autrefois dans les écoles de campagne. La
règle d’alphabétiser ces populations dans une
langue qui n’est pas leur langue maternelle
ne va pas sans problèmes de conscience : ne
contribue-t-on pas par là au déracinement,
et donc à l’affaiblissement de la cohésion
sociale ? Ces questions, comme toutes celles
que pose la généralisation planétaire du primat conféré à la culture écrite, sont la rançon
de notre vision unitaire, sinon uniformisatrice, du progrès de l’humanité.
Alphonse de Poitiers, comte de Poitiers et de Toulouse ( ? 1220 - Savone, Italie,
1271).
Cinquième fils de Louis VIII et de Blanche de
Castille, frère de Saint Louis, Alphonse reçoit
en apanage le Poitou et la Saintonge, fraîchement ravis à l’Angleterre. En 1229, le traité de
Meaux-Paris, qui met fin à la guerre contre
les hérétiques du Midi, fait de lui le fiancé de
la fille de Raimond VII de Toulouse, Jeanne,
qu’il épouse en 1237. En 1241, Alphonse est
downloadModeText.vue.download 38 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
27
investi de son apanage. Les barons poitevins
lui prêtent d’abord hommage, mais se révoltent l’année suivante et sont soumis lors de
victoires royales de Taillebourg et de Saintes
en 1242. En 1249, à la mort de Raimond VII
de Toulouse, Alphonse devient comte de Toulouse. Il est fait prisonnier en Égypte lors de
la septième croisade. Après sa libération, il
revient en France, où il exerce la régence de
1252 à 1254. Il participe à la dernière croisade
de Saint Louis et meurt à Savone, au retour de
Tunis, quelques jours avant sa femme. Jeanne
de Toulouse et Alphonse de Poitiers n’ayant
pas d’héritier, leurs possessions reviennent au
domaine royal.
Miroir du siècle de Saint Louis, Alphonse
de Poitiers prend part à tous les mouvements
de son époque. Il se croise par deux fois et, à
l’instar de son frère, fait progresser l’administration de ses domaines, au point que les multiples enquêtes qu’il ordonne constituent aujourd’hui une mine de renseignements pour
les historiens. Mais l’homme lui-même reste
peu connu. Son action dans des territoires
récemment conquis a facilité leur intégration.
Pourtant, force est de constater que leur rattachement à la couronne relève plus d’accidents de l’histoire (mort de Raimond VII sans
autre héritier, et stérilité du couple Alphonse/
Jeanne) que d’un véritable calcul politique de
la part de Saint Louis.
Alsace, région de l’est de la France, séparée de l’Allemagne par le Rhin, et des autres
départements français par la ligne de crête
des Vosges.
Confinant à la Suisse, au sud, et au land de
Rhénanie-Palatinat, au nord, l’Alsace est à
tous égards un pays « d’entre-deux », soumis
à la double influence du monde germanique
et du monde roman. Longtemps écartelée
entre la France et l’Allemagne, qualifiée parfois de province peuplée d’Allemands, mais
perçue aussi comme un modèle de patriotisme, elle constitue aujourd’hui une région
formée de deux départements : le Haut-Rhin
et le Bas-Rhin.
Dès la fin du dernier siècle avant notre
ère, l’Alsace est le théâtre d’incessantes invasions qu’expliquent sa position frontalière.
L’invasion des Suèves, menés par Arioviste,
nécessite l’intervention victorieuse de Jules
César en 58 avant J.-C. Après une longue
période de paix romaine et de prospérité économique, la région est dévastée au IVe siècle
par les Alamans. Trois siècles plus tard, le
nom d’« Alesaciones » apparaît pour la première fois dans les textes ; aujourd’hui encore,
son origine reste obscure, et sa signification,
controversée. Conquise par les Mérovingiens,
puis par les Carolingiens, l’Alsace devient le
champ clos des guerres de succession : après
le serment de Strasbourg (842) et le traité de
Verdun (843), qui l’intègrent à la Lotharingie, le traité de Mersen (870) lie son destin
au futur Saint Empire romain germanique,
auquel elle restera attachée jusqu’en 1648.
• De l’Empire germanique au royaume de
France. Le Moyen Âge voit essor urbain et
avènement d’un mouvement d’autonomie politique coïncider : afin de résister au joug des
seigneurs et des évêques, dix villes d’Alsace
s’allient et constituent, en 1354, la ligue de la
Décapole. En dépit du morcellement féodal,
et grâce à sa position de carrefour, l’Alsace
connaît un brillant développement, tant économique que spirituel. Elle devient à la Renaissance l’un des hauts lieux de l’humanisme
- les savants affluent de toutes parts - et s’impose comme foyer de diffusion de la Réforme
(Johannes, dit Jean, Sturm). À l’issue des
guerres de Religion, les deux cinquièmes des
habitants sont de confession luthérienne. Pendant la guerre de Trente Ans, l’Alsace connaît
à la fois massacres, misère et dépeuplement.
En 1648, les traités de Westphalie marquent
le début du basculement de l’Alsace dans l’orbite de la France. Intendants et armées complètent l’annexion et l’achèvent par la prise de
Strasbourg (1681), tandis que l’introduction
du droit français unifie le pays. Au XVIIIe siècle,
l’influence française se renforce dans les villes
et auprès des 650 000 habitants, dont le
dialecte germanique, aux nuances infinies,
demeurait la langue. Durant ce siècle de
prospérité économique, l’Alsace s’industrialise (manufactures de textile à Mulhouse), et
l’agriculture connaît un remarquable essor,
mais le régime douanier demeure celui d’une
« province à l’instar de l’étranger effectif ».
La Révolution suscite, dans un premier
temps, l’adhésion de la population : celle des
protestants est telle que leur Église parvient,
dans un premier temps, à préserver ses biens.
À destination des habitants de Kehl - la ville
allemande qui leur fait face outre-Rhin -, les
Strasbourgeois placent la célèbre pancarte :
« Ici commence le pays de la liberté ». La
Marseillaise, composée à Strasbourg par Rouget de Lisle (1792), participe de la même ferveur. Mais la menace de l’invasion étrangère
et l’opposition du clergé catholique entraînent
les excès de la Terreur : Saint-Just assimile les
coutumes et l’idiome local à une trahison. Il
faut attendre la chute du gouvernement révolutionnaire pour que le climat social s’apaise
et que les églises soient rendues aux cultes
catholique et protestant. Sous l’Empire, le développement économique assure une popularité durable au régime, d’autant que Napoléon
laisse aux recrues l’usage de l’alsacien pourvu
qu’elles « salvent en français ». Après le déferlement des troupes alliées en 1814, les no-
tables protestants boudent la Restauration ...
mais soutiennent la monarchie de Juillet. L’esprit républicain progresse ; les élections au
suffrage universel, à partir de 1848, révèlent
une spécificité alsacienne qui durera plus
d’un siècle : les effets du clivage confessionnel. Les protestants votent alors « rouge », et
leurs élites sociales s’opposent à Napoléon III.
Mais la région se concentre avant tout sur son
essor économique : les industries textiles et
chimiques font de Mulhouse le centre le plus
important de France, tandis que le chemin de
fer de Mulhouse à Thann est l’une des premières lignes du pays.
• Une terre disputée entre l’Allemagne
et la France. Amputée, après la défaite de
1870, du futur Territoire de Belfort, demeuré
français, l’Alsace, annexée par le Reich allemand, forme, avec une partie de la Lorraine,
le Reichsland Elsass-Lothringen, directement
administré par Berlin mais appartenant à
tous les États confédérés du Reich. Ses élus
protestent d’abord auprès du gouvernement
français contre cet abandon (Bordeaux, 1871),
puis auprès du conquérant (Reichstag, 1874) :
protestation ambiguë, car les catholiques s’opposent surtout au Kulturkampf, alors qu’une
partie des protestants s’accommode des conséquences de la guerre. Un dixième des habitants quitte cependant la région pour s’installer en France ou en Algérie. Commence alors,
malgré des fluctuations et des éclipses, une
longue période durant laquelle l’Alsace occupe
une place privilégiée dans le coeur des Français. De la passion revancharde à la nostalgie
folklorique, toutes les attitudes se manifestent
et cristallisent les formes les plus diverses du
sentiment national. Littérature, dessin et caricature jouent un rôle essentiel dans ce processus : en témoignent, en France, la popularité
des récits et romans d’Erckmann-Chatrian
(l’Ami Fritz, Histoire d’un paysan) ainsi que
les illustrations naïves et satiriques de Hansi,
vecteurs d’une mythification des provinces
perdues. À partir des années 1880-1890, la
protestation recule. Tandis que les socialistes
privilégient les revendications sociales, le
temps et la germanisation des écoles érodent
peu à peu le souvenir de l’identité française.
Simultanément, le Reich concède aux Alsaciens une participation croissante au pouvoir
et octroie une Constitution et un Landtag,
dont la Chambre basse est élue au suffrage
universel (1911). La réforme ne débouche pas
pour autant sur l’instauration d’un État autonome, semblable aux autres États allemands.
Le système des partis est alors calqué sur celui
du Reich : un parti catholique, des courants
libéro-protestants, un parti social-démocrate
(SPD), et un conservatisme protestant très
faible. En une période où les Alsaciens sont
surtout soucieux de paix et ne remettent plus
en cause le fait accompli, plusieurs facteurs
semblent faciliter l’assimilation au Reich : la
naissance du mouvement culturel alsacien,
une législation moderne (y compris dans le
domaine social), ainsi qu’un développement
économique et urbain remarquable (Strasbourg passe de 85 000 habitants en 1871 à
178 000 en 1910).
Mais, en 1914, le comportement des armées à l’égard des civils dresse les Alsaciens
contre le Reich et annule les effets de la dynamique intégratrice. Accueilli avec ferveur en
1918, le retour des Français ne débouche pas
moins sur une incompréhension réciproque.
Le culte de l’Alsace-Lorraine ayant constitué,
pendant près d’un demi-siècle, le ciment de
la IIIe République et du patriotisme, les Français n’ont cessé de percevoir les « provinces
perdues » comme deux orphelines guettant
le retour de leur mère. Mais les Alsaciens et
les institutions qui régissent leur vie quotidienne ont changé dans l’intervalle. Paris évite
donc de toucher au « droit local », mélange
de textes d’avant 1871, souvent abrogés en
France, et de textes votés après l’annexion.
Reste que la substitution de fonctionnaires de
l’« intérieur » aux autochtones, l’imposition
de la langue française - désormais ignorée de
presque tous - et diverses mesures pénalisantes provoquent un indéniable malaise, qui
se transforme en rébellion des catholiques,
lesquels veulent croire que le Concordat et le
statut confessionnel de l’école sont menacés.
downloadModeText.vue.download 39 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
28
Des courants autonomistes de toutes
nuances prennent le relais : traditionalisme
catholique, communisme autonomiste, mouvements régionalistes attachés à la langue allemande, jusqu’à un extrémisme séparatiste et
pronazi qui fournit le contingent des ralliés
en 1940, au moment de l’annexion de facto
de l’Alsace au IIIe Reich. Ayant promis de germaniser la population en l’espace de dix ans,
le gauleiter de Bade-Alsace, Robert Wagner,
fait régner la terreur. Ce n’est pas la simple
collaboration qui est exigée, mais l’adhésion
sous peine de sanction : d’où l’élimination
de tous les signes qui rappellent la France,
y compris les prénoms et patronymes, qui
sont germanisés. Une résistance très précoce
s’organise, que l’incorporation forcée dans les
armées allemandes, à partir d’août 1942, ne
fait qu’intensifier. Exécutions et emprisonnements dans les camps se multiplient. En
additionnant les victimes de la Résistance et
des combats de la Libération aux 25 000 à
30 000 morts ou disparus parmi les 105 000
enrôlés de force (les « malgré-nous »), on obtient un taux de victimes de guerre bien supérieur à celui des autres provinces françaises.
La libération n’est définitive qu’en mars 1945.
Les exactions nazies ont rendu plus facile la
réintégration de l’Alsace dans l’ensemble français.
• L’Alsace au carrefour de l’Europe.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Alsace
connaît un remarquable essor industriel lié à
sa situation de carrefour : routes, réseau ferré
et voies navigables assurent l’implantation
des sites selon un axe européen qui va de
Karlsruhe à Bâle. Malgré un déclin qui frappe
aujourd’hui les vallées vosgiennes, la situation de l’emploi demeure moins dramatique
que dans le reste du pays, du fait des travailleurs frontaliers qui exercent leur profession
en Suisse ou en Allemagne. Région forte en
dépit de la crise, l’Alsace actuelle est tiraillée entre une vocation européenne - Strasbourg est le siège du Parlement européen et
Conseil de l’Europe - et un repli identitaire,
dont témoigne, aux scrutins présidentiels de
1995 et de 2002, le taux élevé de suffrages
en faveur du candidat du Front national.
Crispations autoritaires et ouverture à des
échanges transnationaux indiquent, sur des
modes opposés, que l’Alsace continue de tracer sa voie en cherchant à dépasser le cadre
français, voire à s’en détourner. L’Alsace
demeure donc bien une région d’entre-deux.
Alsace-Lorraine (question d’), ensemble des problèmes posés par l’annexion
de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine à
l’Empire allemand après la défaite militaire
de 1870.
Du traité de Francfort (10 mai 1871) à novembre 1918, le territoire correspondant aux
départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin
(Territoire de Belfort excepté), de la Moselle
(sauf le bassin de Briey) et à une partie de
la Meurthe est une propriété commune des
États allemands confédérés. Cette « terre
d’Empire » (Reichsland) est d’abord administrée depuis Berlin, puis, à partir de 1879,
passe sous l’autorité d’un gouverneur installé
à Strasbourg et d’un secrétaire d’État respon-
sable d’une administration dont la plupart des
postes clés sont confiés à des fonctionnaires
prussiens.
• D’une annexion à l’autre. Le traité de
Francfort est reconnu par les puissances européennes, mais la grande majorité des Alsaciens-Lorrains dénonce le principe de l’annexion : leurs élus protestent, à l’Assemblée
nationale puis au Reichstag, contre la violation du droit imprescriptible des peuples à
disposer d’eux-mêmes. Le traité de Francfort
autorisant les Alsaciens-Lorrains à se prononcer en faveur de la nationalité française avant
le 1er novembre 1872, plus de 200 000 d’entre
eux optent pour cette solution, et se réfugient
en France ou en Algérie. Jusqu’à la veille de la
Première Guerre mondiale, la politique allemande à l’égard de l’Alsace associe rigueurs
et concessions : l’allemand devient la langue
officielle, mais les lois françaises, notamment le Concordat de 1801, demeurent en
vigueur. En 1911, l’octroi d’une Constitution
dissimule mal l’échec relatif de la politique
de germanisation. Considérée comme nulle
et non avenue par l’opinion publique française, l’annexion de 1871 attise les ferveurs
nationalistes et pèse sur les rapports entre la
France et l’Allemagne. Cependant, l’esprit de
revanche connaît bien des fluctuations : la
nostalgie des provinces perdues, entretenue
par la littérature (les Oberlé, de René Bazin,
1901 ; Colette Baudoche, de Maurice Barrès,
1908), les récits de voyage et les chansons
(la Marche lorraine), s’exacerbe ou s’atténue
en fonction des préoccupations dominantes.
La politique des gouvernements français successifs est faite de prudence et de vigilance ;
la question d’Alsace-Lorraine interdit toute
réconciliation entre les deux pays ; il faut être
prêt au cas où... L’Alsace-Lorraine n’est pas la
cause directe de la Première Guerre mondiale.
Cependant, à peine celle-ci est-elle déclarée que le but premier de la France est la restitution des provinces perdues. À l’exception
de l’angle sud-est de l’Alsace, conquis en août
1914 par l’armée française, l’Alsace-Lorraine
reste allemande pendant toute la guerre et subit
une dure dictature militaire. Au lendemain de
l’armistice, l’Alsace-Lorraine redevient française sans qu’un plébiscite soit organisé. Clemenceau juge cependant impossible d’effacer
quarante-huit années de présence allemande.
Il faut conserver divers éléments de la législation allemande, le Concordat de 1801 toujours en vigueur, et coiffer le retour au système
départemental par un commissariat général et
un conseil consultatif. Ces deux organes sont
dissous en 1925, et les services sont transférés
à Paris pour former une direction d’Alsace-Lorraine. La réintégration est plus facile en Moselle qu’en Alsace où un courant autonomiste
trouve une certaine audience. En juin 1940,
Hitler annexe de facto l’Alsace et la Lorraine au
IIIe Reich sans reconstituer l’Alsace-Lorraine
antérieure à 1918. Pendant plus de quatre ans,
les populations subissent un régime totalitaire :
germanisation forcée, nazification, déportation
et expulsion de nombreux habitants, incorporation de force des jeunes gens (les « malgrénous ») dans le Wehrmacht.
• Un héritage juridique singulier. À la Libération, la législation républicaine n’est pas
rétablie purement et simplement dans les territoires recouvrés : on y maintient le Concordat, l’école publique confessionnelle et divers
textes de droit local relatifs aux cultes, à la
chasse, au régime de la Sécurité sociale. Quant
aux liens tissés entre la Moselle et l’Alsace, ils
se dénouent avec le rétablissement de la cour
d’appel de Metz (1972) et le détachement de
la Moselle de l’académie de Strasbourg.
Aujourd’hui, l’expression « Alsace-Lorraine » appartient à l’histoire. La seule formule
légale est celle d’« Alsace et Moselle ». Outre
les particularismes locaux, l’héritage le plus
important de l’Alsace-Lorraine est la structure
territoriale des départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin et de la Moselle, puisque les départements, tels qu’ils étaient découpés antérieurement à 1870, n’ont jamais été reconstitués.
Ambiens, peuple gaulois de la région
d’Amiens, qui a laissé son nom à cette ville.
Les Ambiens, ou Ambiani, sont l’un des peuples
belges, occupants de l’actuelle Picardie qui, au
cours du IIe siècle avant notre ère, y dominent
politiquement tout le nord-ouest de la Gaule.
Les photographies aériennes ont révélé tout un
tissu d’agglomérations gauloises, avec places
fortes, villages, fermes isolées. Des sanctuaires
sont également connus, le plus célèbre étant
celui de Ribemont-sur-Ancre (Somme), où ont
été mis au jour des corps humains découpés.
Les Ambiens possédaient aussi une économie
monétaire, mais le monnayage d’or semble
avoir tenu une place relativement limitée.
Après avoir soumis les peuples belges, dès
57 avant J.-C., César réunit en 54 avant J.-C.
à Samarobriva (l’actuelle Amiens) une assemblée des Gaulois et y installa ses quartiers
d’hiver. La ville tenait son nom de la rivière
Somme (Samara, en gaulois), franchissable à
cet endroit. Si l’on n’a pas encore retrouvé de
vestiges de cette époque, on sait que la ville a
connu un développement spectaculaire sous
l’Empire romain, avant de devenir, à la fin du
Ier siècle de notre ère, l’une des villes gauloises
les plus importantes, comptant sans doute
20 000 habitants. On y a retrouvé tout un système urbain, avec de larges rues, un réseau
d’égouts, des portiques et de nombreux monuments (forum, temple, amphithéâtre, bains,
etc.). La ville, qui souffrit des premières invasions, fut puissamment fortifiée au IIIe siècle
et devint le siège d’une importante garnison.
Amboise (conjuration d’), complot protestant ourdi en mars 1560 pour soustraire
le jeune François II à l’influence des Guises.
Sous l’impulsion d’Antoine de Bourbon et du
prince de Condé, le parti huguenot entend
mettre fin aux persécutions qui l’accablent
depuis le règne d’Henri II : en brisant l’influence politique du duc François de Guise
et de son frère Charles, cardinal de Lorraine,
il espère ouvrir la voie de la conciliation et
soumettre au roi ses doléances. Confié à un
gentilhomme périgourdin, Godefroi de La Renaudie, le complot s’assigne pour mission de
surprendre la cour à Blois, le 6 mai 1560. Cinq
cents gentilshommes sont recrutés à cet effet.
Mais la conspiration est révélée aux Guises,
qui reçoivent de nombreux avis en provenance
d’Allemagne et d’Espagne. La cour se retire
downloadModeText.vue.download 40 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
29
alors à Amboise. Godefroi de La Renaudie n’en
décide pas moins de maintenir l’assaut, qui
échoue lamentablement faute d’une coordination suffisante. Une répression impitoyable,
aux allures de spectacle macabre, conclut, le
15 mars, l’aventure des conjurés : attachés à la
queue des chevaux, les fuyards sont ramenés et
pendus aux créneaux du château d’Amboise.
Le jeune Agrippa d’Aubigné, alors âgé de
8 ans, se souviendra toujours de l’injonction
solennelle que son père lui a adressée devant
les corps des suppliciés : « Il ne faut pas que ta
tête soit épargnée après la mienne pour venger ces chefs pleins d’honneur. » La répression
ayant rendu les haines inexpiables, toutes les
conditions sont désormais réunies pour que se
déclenchent les guerres de Religion.
Amboise (Georges Ier, cardinal d’), prélat
et ministre (Chaumont-sur-Loire 1460 - Lyon
1510).
Georges d’Amboise est voué dès son plus
jeune âge à une carrière ecclésiastique. Aumônier de Charles VIII, il reste toutefois lié
aux Orléans par tradition familiale : emprisonné en 1487, puis exilé dans son diocèse de
Montauban, il revient à la cour au printemps
1490 et y oeuvre avec succès à la libération
du duc d’Orléans, dont il devient le principal conseiller. Nommé en 1493 archevêque
de Narbonne, puis de Rouen - l’un des sièges
diocésains les plus riches de France -, il participe activement à l’administration de la Normandie, dont le duc d’Orléans est le gouverneur. Ce dernier ayant accédé au trône sous le
nom de Louis XII, il devient, dès avril 1498,
son principal ministre et joue un grand rôle
dans la définition d’une nouvelle politique
étrangère, marquée par les annexions de la
Lombardie et de Gênes, et par la constitution
de la ligue de Cambrai contre Venise. Créé
cardinal en septembre 1498, légat du pape en
France en 1501, il échoue de peu à l’élection
au pontificat en 1503. Jules II aurait dit de lui
qu’il était « le véritable roi de France ».
Habile diplomate, administrateur rigoureux
de la justice et des finances royales, très populaire, tuteur de François d’Angoulême - futur
François Ier -, mécène richissime et brillant
qui contribua à l’introduction en France de
la renaissance artistique italienne, Georges
d’Amboise est le premier grand cardinal-ministre ; un modèle auquel il sera fait référence à
l’époque de Richelieu et de Mazarin, comme le
montre la publication, en 1634, d’une Histoire
de l’administration du cardinal d’Amboise, grand
ministre d’Estat en France où se lisent les effets de
la prudence et de la sagesse politique, rédigée par
Michel Baudier, conseiller historiographe du
roi Louis XIII.
Amédée VIII, comte (1391-1416) puis duc
de Savoie (1416-1440), antipape sous le nom
de Félix V (1439-1449), cardinal de 1449 à 1451
(Chambéry 1383 - Genève 1451).
Fils d’Amédée VII, dit le Comte rouge, et de
Bonne de Berry, Amédée VIII devient comte
de Savoie en 1391, à la suite de la mort tragique de son père. Alors mineur, il est d’abord
placé sous la tutelle de sa grand-mère Bonne
de Bourbon, puis d’un conseil de régence
composé, notamment, d’hommes proches de
Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, dont
il épouse la fille Marie. Son gouvernement
personnel commence en 1398. Il mène une
politique d’expansion territoriale de grande
envergure - annexion du Genevois en 1401,
achat d’enclaves en Bresse et en Bugey, acquisition du Piémont en 1419, affermissement du
contrôle sur Nice -, consacrant la principauté
savoyarde comme l’un des États princiers les
plus puissants de la fin du Moyen Âge. Signe
de cette puissance, le comté de Savoie est élevé
au rang de duché par l’empereur Sigismond,
en février 1416. Grand diplomate, Amédée VIII est aussi à l’origine d’une importante
oeuvre législative tendant à unifier davantage
les différentes composantes territoriales de
ses États. Plusieurs statuts, parmi lesquels les
Statuta sabaudiae de 1430, visent à améliorer
l’administration et l’exercice de la justice. Par
ailleurs, Amédée VIII est le commanditaire
d’une Chronique de Savoie rédigée par Jean
Cabaret d’Orville entre 1417 et 1419.
En octobre 1434, il abandonne le pouvoir
à son deuxième fils, Louis, nommé lieutenant
général de ses états, pour se retirer au château
de Ripaille, près de Thonon, où il fonde l’ordre
des Chevaliers ermites de Saint-Maurice. Après
avoir déposé Eugène IV, le concile de Bâle l’élit
pape le 5 novembre 1439. Il accepte son élection le 17 décembre, et renonce au titre ducal
en janvier 1440. Ordonné, il est couronné
pape le 24 juillet 1440, à Bâle, sous le nom
de Félix V. Toutefois, il n’est guère reconnu,
les principaux États d’Occident restant fidèles
à Eugène IV. Rapidement en opposition avec
les Pères du concile, il se retire en novembre
1442 à Lausanne, puis se fixe à Genève, dont il
s’attribue le siège épiscopal en 1444. Il abdique
officiellement le 7 avril 1449, à la suite de la
médiation du roi de France Charles VII, qui
permet un compromis avec le nouveau pape
romain, Nicolas V. Nommé par ce dernier cardinal-évêque de Sainte-Sabine et légat pour la
Savoie, il meurt à Genève le 7 janvier 1451. Il
est inhumé à Ripaille.
Ami du peuple (l’), journal rédigé et
édité par Marat entre 1789 et 1792.
Le 12 septembre 1789 paraît le premier
numéro du Publiciste parisien, rebaptisé,
quelques jours plus tard l’Ami du peuple.
Comme nombre de journaux de la période
révolutionnaire, il se compose de huit pages et
ne comprend, le plus souvent, qu’un article,
dont le résumé est donné dans le sommaire.
Marat écrit seul, mais il s’appuie sur un réseau
de correspondants qui lui transmettent dénonciations et nouvelles étrangères ou locales.
L’Ami du peuple a atteint, semble-t-il, un tirage
- fort appréciable pour l’époque - de plus de
deux mille exemplaires. La popularité et la
réputation de Marat s’édifient grâce à la dénonciation inlassable des autorités et des abus
de pouvoir. Il s’en prend aussi avec acharnement aux idoles du jour. Ainsi, l’Ami du
peuple mène campagne contre la municipalité
de Paris, le Châtelet, Necker, Bailly, Mirabeau
et La Fayette. Cette activité lui vaut des poursuites incessantes, qui l’obligent à suspendre
la parution de son journal à plusieurs reprises
en 1789 et 1790. Traqué, il passe dans la clandestinité. De décembre 1791 à avril 1792, il
doit à nouveau interrompre la publication du
journal, qui reparaît avec l’aide du Club des
cordeliers et qui se donne pour but de s’opposer au bellicisme des girondins et de dénoncer
le roi. Le dernier numéro de l’Ami du peuple
sort des presses le 21 septembre 1792. Marat,
élu député à la Convention, change le titre de
son périodique, qui devient le Journal de la
République française, puis, à partir du 14 mars
1793, le Publiciste de la République française.
On a souvent stigmatisé l’outrance verbale
et l’apologie de la violence populaire contenues dans le périodique de Marat, mais l’analyse au jour le jour de l’Ami du peuple révèle
une indéniable clairvoyance quant à l’évolution du processus révolutionnaire.
Amiens (Charte d’), texte voté le 13 octobre
1906 dans le cadre du neuvième congrès national de la CGT, qui se tient à Amiens du 8 au
16 octobre.
Cette charte illustre les idées que défend le
syndicalisme révolutionnaire. Même si elle
émane de syndicalistes proches de ce courant
(Alphonse Merrheim, Georges Yvetot, Émile
Pouget, parmi d’autres), elle est adoptée à une
écrasante majorité (834 voix, contre 8 et 1 abstention) rassemblant réformistes et révolutionnaires. Elle prend le contre-pied de la motion
du secrétaire général de la Fédération du textile, Victor Renard, qui préconise notamment
une collaboration entre la CGT et la SFIO.
Cette charte assigne au syndicalisme deux
missions : mener une lutte quotidienne en
vue de l’amélioration immédiate du sort de
la classe ouvrière (diminution de la durée de
travail, augmentation des salaires) ; préparer
« l’émancipation capitaliste ». Pour parvenir
à ses fins, le syndicalisme dispose d’une arme
majeure : la grève générale.
Ce texte, resté célèbre dans la mémoire syndicale, défendait surtout les vertus de l’« autonomie ouvrière » en isolant l’action syndicale de toute autre forme d’engagement ou
d’opinions que ceux qui ont été conçus dans
le cadre de l’action ouvrière : « Le congrès
affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de
participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à
sa conception philosophique ou politique, se
bornant à lui demander, en réciprocité, de ne
pas introduire dans le syndicat les opinions
qu’il professe au dehors. »
Amiens (paix d’), traité de paix franco-anglais signé le 25 mars 1802.
Après la signature du traité franco-autrichien
de Lunéville le 9 février 1801, l’Angleterre
reste seule face à la France. Malgré la supériorité de sa flotte et ses succès coloniaux,
elle se trouve dans une situation critique :
la disette menace ; la dette publique enfle
démesurément ; les troubles se multiplient.
William Pitt, l’homme qui symbolise la guerre
à outrance, doit démissionner de son poste
de Premier ministre le 2 février 1801. Dès
lors, plus rien ne s’oppose à l’ouverture de
négociations directes. Le 1er octobre 1801, des
préliminaires sont conclus. La paix, à laquelle
sont associées l’Espagne et la République batave, est finalement signée, le 25 mars 1802.
L’Angleterre s’engage à restituer les colonies
conquises, à l’exception des îles de Ceylan
downloadModeText.vue.download 41 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
30
(jusque-là néerlandaise) et de la Trinité (prise
à l’Espagne) ; elle doit également évacuer l’île
d’Elbe, Malte et l’Égypte. En contrepartie, les
troupes françaises sont censées se retirer de
Naples et des États romains. Mais les négociateurs ont soigneusement évité d’aborder le
problème crucial de la Belgique et de la rive
gauche du Rhin. Paix manquée, ou simple
trêve dans un conflit séculaire ? Pour l’Angleterre, qui a besoin de reconstituer ses forces,
elle est une nécessité vitale ; pour Bonaparte,
elle est une obligation politique : il apparaît
comme celui qui apporte enfin la paix à une
France épuisée par dix années de guerre ininterrompue.
Amiens (traité d’), traité conclu entre Philippe III le Hardi et Édouard Ier d’Angleterre le
23 mai 1279, et relatif à l’exécution du traité de
Paris de 1259.
En 1271, la mort sans héritier de Jeanne de
Toulouse (fille de Raimond VII de Toulouse et
épouse d’Alphonse de Poitiers, lui-même frère
de Saint Louis) ouvre une succession, que
règlent deux traités signés par Saint Louis :
l’un avec Raimond VII de Toulouse en 1229,
l’autre avec le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt en 1259. Le traité de 1229, dit traité
de Paris, stipulait que, si Jeanne mourait sans
enfant, le comté de Toulouse et ses dépendances reviendraient en l’état à la couronne de
France. Mais l’Agenais, donné en dot par le roi
d’Angleterre Richard Coeur de Lion à sa soeur
Jeanne lorsque celle-ci épousa Raimond VI de
Toulouse (1196), échappait à ce sort. Le traité
de 1259, dit également traité de Paris, notifie
que l’Agenais doit revenir au roi d’Angleterre
si Jeanne de Toulouse, héritière de sa grandmère Jeanne d’Angleterre, meurt sans enfant.
En 1259, Henri III avait également émis des
prétentions sur le Quercy et la Saintonge, prétentions laissées en suspens.
Sitôt après la mort d’Alphonse de Poitiers
et de Jeanne de Toulouse, en 1271, le roi de
France Philippe III le Hardi se déclare possesseur des domaines du couple, y compris les
terres litigieuses - Agenais, Quercy et Saintonge. Édouard Ier d’Angleterre réclame l’exécution des clauses du traité de 1259, et, après
de longues négociations, les deux rois signent
à Amiens un traité par lequel Philippe III cède
l’Agenais et renonce à la Saintonge. Le Quercy
doit faire l’objet d’une enquête, et il reviendra
en 1286 à Philippe le Bel en échange d’une
rente annuelle.
Dernier épisode des difficiles relations
entre Capétiens et Plantagenêts aux XIIe et
XIIIe siècles, le traité d’Amiens met un terme à
la première « guerre de Cent Ans ».
amis des Noirs (Société des), association créée le 19 février 1788 par Brissot et Clavière, et dont l’objectif est d’obtenir l’abolition
de la traite des Noirs.
Conçue comme la branche française d’une
organisation présente également en Angleterre et aux États-Unis, elle se donne des
règles de fonctionnement qui expriment sa
volonté égalitaire : ouverture aux étrangers
et aux femmes, refus des protocoles de distinction selon les catégories sociales, même
si, de fait, ses membres sont essentiellement
issus de la haute société française.
À la veille des états généraux de 1789, la
Société des amis des Noirs s’attache à informer le public des réalités de l’esclavage. Mais,
plutôt que de réclamer son abolition immédiate, elle tente de convaincre les colons de
la plus grande rentabilité du travail libre par
rapport à celle du travail servile. Même si cette
argumentation n’était pas en contradiction
avec une visée philanthropique, elle semblait
en limiter la portée. Les événements révolutionnaires permirent de prendre la mesure de
l’ambition effective de la Société.
Pétion et l’abbé Grégoire, deux de ses
membres éminents, députés à l’Assemblée
nationale, défendent le principe de l’unité
législative de la France et de ses colonies, de
manière à empêcher les colons de légiférer en
matière de droit des personnes, à les obliger
à reconnaître l’égalité des droits de citoyen
entre les mulâtres libres et les Blancs. Des
mois de polémiques vont opposer Pétion et
l’abbé Grégoire au Comité colonial et au club
de l’Hôtel Massiac, dont Barnave et Malouet
se font les porte-parole. Sous la Législative, la
Société des amis des Noirs continue à se battre
pour l’égalité des droits des hommes libres
de couleur. Elle obtient satisfaction, avec le
soutien du ministère girondin, le 28 mars
1792. Mais aucune décision n’est prise contre
la traite des Noirs ; encore moins contre
l’esclavage, qui demeure un sujet tabou. La
sympathie à l’égard des personnes libres de
couleur vise d’ailleurs à favoriser leur ralliement aux colons contre les révoltes d’esclaves
(novembre 1791).
Lorsque l’abolition de l’esclavage est proclamée par la Convention, le 16 pluviôse
an II (4 février 1794), la Société des amis
des Noirs n’a plus d’activité politique, mais,
dans ses Mémoires, l’abbé Grégoire affirme
que ses membres furent unanimes : « Il ne
fallait pas brusquer leur émancipation, mais
les amener graduellement aux avantages de
l’état social [...]. Leur émancipation subite,
prononcée par le décret du 16 pluviôse an II,
nous parut une mesure désastreuse : elle était
en politique ce qu’est en physique un volcan. »
Ampère (André Marie), mathématicien et
physicien (Lyon 1775 - Marseille 1836).
Il est successivement professeur à l’École
polytechnique, inspecteur général de l’Université, membre de l’Institut (1814) et professeur au Collège de France. D’esprit encyclopédique et d’une grande curiosité, il explore,
expérimente, fait des découvertes qui ouvrent
de nouvelles voies et qui sont à l’origine de
conceptions scientifiques toujours d’actualité.
À la base de celles-ci : les mathématiques,
relevant selon lui de la philosophie, qui permettent de décrire les lois de la physique par
des formules. Ainsi en va-t-il de l’électricité,
domaine dans lequel il innove de façon fondamentale. En effet, bien que l’électricité soit
connue grâce à Volta et à Coulomb, on ignore
tout, jusqu’en 1820, du courant électrique,
une notion qu’il établit et dont l’unité d’intensité porte son nom. Il fonde ainsi l’électromagnétisme et invente dans son laboratoire des
dispositifs tels que l’électro-aimant (qui, par
la suite, permettra la mise au point du télégraphe, du téléphone ou encore des accélérateurs de particules) et d’autres servant aux
mesures de l’électricité : ampèremètre (intensité) ou voltmètre (différences de potentiel).
Cependant, quelques-unes de ses innovations
conceptuelles sont incomprises de son vivant,
telles ses hypothèses relatives à l’atome et aux
molécules, aux applications tant chimiques
que physiques.
ampoule (sainte), ampoule de verre contenant l’huile consacrée qui servait au sacre des
rois de France.
Selon la légende, elle fut apportée par l’Esprit-Saint lors du baptême de Clovis. Cette
légende figure pour la première fois dans
la Vie de saint Remi, écrite par l’archevêque
Hincmar de Reims entre 875 et 880. Le clerc
chargé d’apporter l’huile nécessaire à l’administration du sacrement ne pouvant approcher, une colombe descendit du ciel et transmit la sainte ampoule. Cette histoire assimile
le baptême et le sacre royal, pratiqué pour
la première fois par le Saint-Siège en 751 :
Pépin le Bref est alors sacré par Étienne II
à Saint-Denis. La royauté franque est ainsi
légitimée par une intervention miraculeuse
de Dieu. Le récit, qui revendique pour Reims
le privilège du sacre, contesté un temps par
Saint-Denis, entre très progressivement dans
l’idéologie royale. Ce sont les Capétiens qui
lui donnent tout son lustre. L’ordo du sacre,
rédigé vers 1230, décrit le rituel : l’abbé de
Saint-Remi prend la sainte ampoule dans le
tombeau du saint et l’apporte en procession
jusqu’à la cathédrale, où l’archevêque mélange la sainte huile au baume pour obtenir
le chrême dont il oint le roi. Ce rite reste inchangé jusqu’au sacre de Louis XVI en 1775.
Tous les rois de France ont été sacrés à Reims
grâce à cette huile, à l’exception d’Henri IV et
de Louis XVIII. L’ampoule est brisée, après la
mort de Louis XVI, par le commissaire de la
Convention, Rhül. Les débris, retrouvés au
début de la Restauration, servent à la confection de la nouvelle ampoule utilisée lors du
sacre de Charles X, en 1825.
an mil, crainte de nature religieuse qui
aurait accompagné, en Occident, la fin du premier millénaire.
Selon l’Apocalypse de saint Jean (XX, 6-8), la
fin du monde devait advenir mille ans après
l’avènement du Christ. Ces prophéties ontelles engendré, à la veille de l’an mil, une terreur générale de l’Occident chrétien, effrayé
par des signes célestes (comètes, éclipses) et
terrestres (épidémies, famines) conformes à
l’annonce de l’Antéchrist ? Le témoignage isolé
apporté dans la chronique du moine bourguignon Raoul Glaber (vers 985-vers 1047), qui
décrit les calamités survenues avant le millénaire de la Rédemption (1033), ne suffit pas à
attester l’existence d’une telle attente. En effet,
à cette époque, les hommes ne comptaient
pas le temps en siècles ; ils n’avaient donc pas
conscience de vivre l’an mil. Pour la minorité
de clercs avertis de l’échéance, la lecture autorisée de l’Apocalypse par saint Augustin interdisait toute interprétation littérale de la date.
downloadModeText.vue.download 42 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
31
La peur de l’an mil ne semble pas correspondre à une réalité médiévale ; elle est une
légende française, et moderne. Ce mythe apparaît pour la première fois en 1605 dans les
Annales ecclésiastiques du cardinal Baronius,
mais l’Ancien Régime ignore en fait l’« an
mil », qui n’est redécouvert qu’après 1830.
L’historiographie romantique - Michelet en
tête - s’en empare alors, et le thème devient un
enjeu politique et religieux. Les historiens libéraux et républicains contestent, par ce biais,
la « légende dorée » d’un beau Moyen Âge
catholique. Allant plus loin, les anticléricaux
considèrent l’an mil comme l’instrument de
la terreur cléricale qui s’abat sur des hommes
ignorants et crédules : les populations vivant
dans le plus grand dénuement attendent
la fin du monde, alors que l’Église, qui n’y
croit point, y trouve son compte. Merveilleux
thème romantique, l’an mil sert également à
valoriser l’action civilisatrice de l’Église, ou
à décrire l’âge de fer dont l’avènement des
Capétiens et la naissance de la « nation française » sonnent le glas.
Pièce maîtresse de la construction d’une
image d’un Moyen Âge obscur et superstitieux, la légende résiste aux remises en cause
incessantes depuis le début du XXe siècle.
Elle permet d’illustrer les mentalités médiévales. La vague de dévotion et de pénitences
populaires qu’aurait suscitée la terreur eschatologique est présentée comme une cause
lointaine des croisades. Élément explicatif, le mythe semble tracer une séparation
entre un haut Moyen Âge, foisonnant mais
désordonné, et une féodalité organisée, qui
marque, par l’essor de l’Occident, le début
de la civilisation moderne. L’historiographie
française garde, de nos jours, cette référence
explicative lorsqu’elle renvoie au concept
d’une « mutation de l’an mil ».
Anagni (attentat d’), coup de force mené
contre le pape Boniface VIII par Sciarra Colonna et Guillaume de Nogaret, l’envoyé de
Philippe le Bel, le 7 septembre 1303.
Depuis 1294, la tension s’exacerbe entre le
pape et le roi de France : elle débouche sur
une crise, lors de l’arrestation, en 1301, de
Bernard Saisset, partisan de Boniface VIII. Ce
dernier saisit cette occasion pour affirmer sa
prééminence sur le roi de France. Il renoue
ainsi avec les prétentions théocratiques des
pontifes du XIIIe siècle, heurtant de front le
mouvement de renforcement de l’État royal
français. En décembre 1301, la bulle Ausculta fili convoque les prélats français à un
concile prévu à Rome pour la Toussaint de
l’année 1302, dans le dessein de favoriser « le
progrès de la foi catholique, la réforme du
roi et du royaume, la correction des abus ».
En réponse, le roi réunit les représentants du
royaume à Notre-Dame, le 10 avril 1302. Devant l’assemblée, le légiste Pierre Flote expose
la politique royale, qui reçoit un large soutien. Les prélats du domaine royal ne s’étant
pas rendus au concile, Boniface VIII durcit
le ton. Le 18 novembre 1302, il fulmine la
bulle Unam sanctam, dans laquelle il expose
son droit de déposer tout prince n’agissant
pas conformément au bien de l’Église. Le
texte est inacceptable pour le roi : au cours du
conseil du Louvre (13 juin 1303), Guillaume
de Plaisians se livre à un réquisitoire féroce
contre Boniface VIII, l’accusant de simonie, de
sodomie, d’idolâtrie... Hérétique, le pape doit
être jugé par un concile. Le roi obtient sur ce
point l’assentiment des princes et des prélats.
Guillaume de Nogaret - principal conseiller du
roi depuis la mort de Pierre Flote à la bataille
de Courtrai - part donc pour l’Italie avec mission de convaincre le pape d’accepter sa mise
en jugement. Il est rejoint par Sciarra Colonna,
dont la famille joue un rôle important dans
toute l’affaire, car le pape a privé ses membres
de leurs charges et de leurs biens en 1297. Ils
s’emparent d’Anagni, résidence d’été du pape,
dans la nuit du 6 au 7 septembre 1303, la
veille de la publication de la bulle d’excommunication du roi de France. Selon la propagande
pontificale, Nogaret va jusqu’à gifler le pape.
Bien que célèbre, la scène n’en est pas moins
mise en doute. Boniface VIII reste prisonnier
deux jours, avant d’être libéré par le peuple
de la ville. Il meurt à Rome le 11 octobre. En
1310, à la demande du roi de France, le pape
Clément V ouvre un procès posthume contre
Boniface VIII ; aucune suite ne lui sera donnée. L’attentat d’Anagni met un point final à
toute velléité de théocratie papale.
anarchisme, conception politique et
sociale qui récuse toute autorité imposée, en
particulier celle de l’État, et se propose de
fonder la vie en société sur des contrats négociés entre volontés individuelles.
Les grandes lignes en sont fixées dès le milieu
du XIXe siècle. Très vite se distinguent plusieurs courants : l’anarchisme individualiste
(Stirner), qui dénonce les contraintes que fait
peser la société bien-pensante sur les individus ; le proudhonisme, qui prône la « libre
fédération » contre la délégation de pouvoir,
et le mutuellisme contre le libéralisme ; l’anarchisme collectiviste (Bakounine), qui vise à
instaurer le communisme libertaire à la place
du capitalisme.
• Le rayonnement d’avant 1914. Le proudhonisme influence le mouvement ouvrier
sous le Second Empire et sous la Commune.
Mais, c’est en novembre 1871, avec la création de la Fédération jurassienne de James
Guillaume, que les anarchistes commencent
vraiment à se structurer en France, dans le
cadre plus général d’une lutte contre les
marxistes au sein de la Ire Internationale. Lors
du congrès fondateur de Marseille (1879), différents groupes anarchistes s’affilient pourtant
à la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France. Mais ils la quittent très vite,
et certains, inspirés par Malatesta et Kropotkine, se lancent dans l’action violente. Celle-ci
culmine, en 1892-1894, lors d’une vague d’attentats (Ravachol, Vaillant, Caserio) contre
les symboles de la république bourgeoise,
puis dégénère dans les sombres exploits de la
bande à Bonnot (1911-1913). Mais la plupart
se tournent vers des activités plus pacifiques :
l’éducation (la Ruche, de Sébastien Faure), le
journalisme (le Libertaire, les Temps nouveaux
pour les collectivistes ; l’Anarchie pour les
individualistes), la propagande néomalthusienne (Paul Robin) ou l’action syndicale (Fédération des bourses du travail, de Fernand
Pelloutier ; CGT, dont Émile Pouget devient
secrétaire adjoint en 1900). Au demeurant,
la Charte d’Amiens (1906) montre la force
du syndicalisme révolutionnaire à la veille de
la Grande Guerre. C’est pourquoi le regroupement de toutes les mouvances anarchistes
dans la Fédération communiste révolutionnaire anarchiste (FCRA) en 1913 laisse augurer un bel avenir.
• Une baisse d’influence. Mais le premier
conflit mondial oppose violemment les adversaires et les partisans de l’« union sacrée »
(Sébastien Faure contre Jean Grave), ce qui
aboutit à des scissions mal cicatrisées par la
réconciliation partielle de novembre 1920
(Union anarchiste). En outre, l’audience des
libertaires dans les syndicats faiblit irrémédiablement, malgré une alliance tactique avec
les communistes au sein de la CGT en 19191920. En 1922, les amis de Pierre Besnard,
le secrétaire des Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), doivent quitter la CGT-U
procommuniste ; en 1926, le lancement de
la CGT-SR (« SR » pour « syndicaliste révolutionnaire ») est un fiasco. La séparation
des « synthésistes » (S. Faure) et des « communistes libertaires » en 1927 disperse un
peu plus les forces. L’unité retrouvée après
le 6 février 1934 est éphémère, tout comme
le Front révolutionnaire qui entend concurrencer le Front populaire. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le pacifisme dévoyé
de quelques-uns et l’attentisme de la plupart
provoquent de nouveaux déchirements.
Après la guerre, les militants essaient de
s’organiser sur d’autres bases. Mais la création, en 1944, de la Fédération anarchiste
(FA), transformée, en 1953, en Fédération
communiste libertaire (FCL), plus centralisée
et plus ouverte aux influences marxistes, ne
permet pas de reprise notable. Sur le terrain
syndical, la fondation, en 1946, de la Confédération nationale du travail (CNT) ne produit pas non plus les effets escomptés. Au
cours des années soixante, ce sont de petites
formations - comme le Groupe rouge et noir,
ou bien le Mouvement du 22 mars, de Daniel
Cohn-Bendit - qui se font entendre. Depuis, le
mouvement reste divisé. Le groupe le plus important, la Fédération anarchiste, ne compte
que quelques milliers d’adhérents. L’audience
d’artistes ou de penseurs exprimant la révolte
individuelle et la recherche d’une fraternité
consentie reste cependant réelle, quoique diffuse.
anarcho-syndicalisme, courant
du syndicalisme français apparu à la fin du
XIXe siècle avec l’essor du mouvement des
bourses du travail, et incarné par la CGT-unifiée de 1902 (congrès de Montpellier) à 1914.
Les historiens préfèrent souvent à ce terme
celui de « syndicalisme révolutionnaire » (retenu par les acteurs eux-mêmes) ou encore de
« syndicalisme d’action directe ». « Anarchosyndicalisme » relève davantage d’un registre
polémique cultivé par les marxistes avant la
guerre de 1914, et par les communistes après
1920.
À la base de la doctrine syndicaliste révolutionnaire, qui n’a d’ailleurs jamais été formalisée en un dogme, figure la critique de
l’idéologie social-démocrate. Les syndicalistes
downloadModeText.vue.download 43 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
32
révolutionnaires défendent l’idée d’une autonomie ouvrière et s’opposent à toute forme
de collaboration avec les partis politiques, à
commencer par les partis socialistes. La révolution prolétarienne qui abolira le régime du
salariat ne peut résulter que d’un mouvement
« par le bas », à l’opposé de toute stratégie
qui nécessiterait une prise du pouvoir d’État ;
d’où l’attachement manifesté aux institutions
telles les syndicats, les coopératives ou les
bourses du travail, garantes d’une émancipation autonome de la classe ouvrière. L’accent
est également mis sur la grève générale, « révolution de partout et de nulle part » (Fernand Pelloutier), en tant que meilleur outil de
la révolution. Cette sensibilité trouve l’une de
ses expressions les plus nettes dans la Charte
d’Amiens de la CGT (1906).
Il serait néanmoins inexact d’identifier le
syndicalisme révolutionnaire à une doctrine.
Georges Sorel passe, à tort, pour son théoricien. Le syndicalisme d’action directe apparaît
d’abord comme un ensemble de pratiques
ouvrières et syndicales. Ses meilleurs représentants - Fernand Pelloutier, ou Alphonse
Merrheim, Victor Griffuelhes et Pierre Monatte (fondateurs de la Vie ouvrière) - sont
avant tout des hommes d’action et des organisateurs, d’ailleurs fort responsables, bien
éloignés de l’image d’agitateurs irréfléchis.
Leur entreprise peut être perçue comme une
tentative pour résister à l’intégration politique
dont la classe ouvrière était l’objet de la part
de la bourgeoisie républicaine. Leur action ne
doit pas investir le terrain politique : il faut
qu’elle demeure au niveau économique. Leur
méfiance à l’égard de l’État les a ainsi fait pas-
ser pour des anarchistes.
Les belles années du syndicalisme révolutionnaire s’étendent de 1902 à 1908. Il s’affirme alors comme le courant dominant au
sein du mouvement ouvrier, et anime l’esprit
de plusieurs grèves qui secouent la France
prospère de ce début de siècle. Au congrès
de Bourges de la CGT (1904), ses représentants font adopter (malgré les réticences de
Griffuelhes, alors secrétaire de la confédération) le principe d’une grève générale pour
le 1er mai 1906, afin d’obtenir la « journée
de huit heures ». L’échec de ce mouvement,
l’essoufflement des grèves et l’arrivée de Clemenceau à la présidence du Conseil (octobre
1906-juillet 1909), qui engage une lutte sans
merci contre le syndicalisme révolutionnaire,
affaiblissent durablement cette culture syndicale.
Ancien Régime, expression utilisée
dès la Révolution et fixée en 1856 par le livre
d’Alexis de Tocqueville, l’Ancien Régime et la
Révolution.
C’est sans doute dès l’année 1789 qu’elle apparut : paradoxalement, c’était un hommage à
la cohérence globale de ce qui avait été bouleversé, après la nuit du 4 août 1789 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Parce qu’ils avaient le sentiment qu’il fallait
tout reconstruire, les révolutionnaires prirent
conscience que tout un monde et toute une
vision du monde avaient disparu en quelques
mois, même si la monarchie ou la foi chrétienne, elles, ne furent pas immédiatement
mises en cause.
Une question s’est posée aux historiens.
L’Ancien Régime correspond-il à la situation telle qu’elle existait en 1789, fruit d’une
longue évolution historique ? En tout cas,
faut-il considérer avant tout l’organisation
telle qu’elle était au XVIIIe siècle, lorsque les
contestations fondamentales commencèrent
à s’esquisser ? L’historiographie française tend
plutôt à appréhender comme un tout les trois
siècles qui vont du règne de Louis XII à celui
de Louis XVI. Or, bien des réalités de l’époque
moderne trouvent leurs racines ou leur définition au Moyen Âge. Il convient donc d’avoir
constamment à l’esprit cet acquis médiéval,
voire antique, et d’en apprécier la métamorphose sur trois siècles. Cela conduit à décrire
aussi la « modernité » de l’Ancien Régime,
une image positive, en relief, se dégageant
ainsi d’une impression en creux, engendrée
par la Révolution.
• La primauté du spirituel. La cohésion
du monde ancien tenait d’abord à des traits
spirituels, à un rapport à la transcendance.
Le christianisme était la religion du roi et,
théoriquement, de tous les Français : elle
représentait la base de la monarchie comme
de la société. Toute création et toute autorité venaient de Dieu. Le catholicisme l’avait
finalement emporté en France à la fin du
XVIe siècle. Au XVIIe siècle, Louis XIV revint
sur les droits accordés aux protestants par
l’édit de Nantes, et les juifs étaient à peine
tolérés dans le royaume. Enfin, il n’était pas
permis de se proclamer athée ou indifférent. Les sacrements, les fêtes religieuses et
la prière marquaient et scandaient la vie de
tous les Français. Le clergé occupait une place
éminente, car il avait la tâche essentielle de
diriger et de confesser les âmes, et, pour son
entretien, il bénéficiait du droit de percevoir
la dîme. L’Église de France s’était dotée, au fil
du temps, d’une puissante organisation. Par
le concordat, elle dépendait du roi de France,
auquel elle accordait librement une aide globale, un don gratuit. La revendication des
libertés gallicanes avait permis à cette Église
d’acquérir une grande indépendance à l’égard
de la papauté.
Cet ordre spirituel impliquait le respect des
autorités religieuses, morales, politiques et intellectuelles. Une surveillance et une censure
plus ou moins étroite s’exerçaient sur les écrits
ou sur les paroles, pour dénoncer tout ce qui
semblait une injure à Dieu, au roi ou aux
bonnes moeurs. Les idées hétérodoxes - voire
toute nouveauté - pouvaient être condamnées. En effet, le respect du passé, de la tradition, de la coutume était également enraciné. La complexité de l’Ancien Régime réside
dans le fait que les institutions ou les édits
nouveaux ne supprimaient pas forcément les
réalités anciennes mais s’ajoutaient à elles. Cet
enchevêtrement, parfois inextricable, était
une véritable providence pour qui savait le
démêler - en particulier les savants juristes
-, ou simplement s’en accommoder. En défendant des droits acquis dans le passé, une
province, une ville, un bourg, une communauté, un « corps », un métier, défendaient
souvent des privilèges, droits dont d’autres ne
jouissaient pas : exemptions de taxes, « franchises » municipales ou « libertés » provinciales. Ainsi, l’Ancien Régime ne connaissait
guère la liberté, mais il fut le conservateur et
le protecteur de nombre de libertés.
• Le roi comme arbitre suprême. L’Ancien
Régime signifiait surtout une organisation des
pouvoirs, un ordre politique, fondés sur la
monarchie de droit divin : les Français étaient
les « sujets » d’un roi, et ce mot même indique
qu’ils lui devaient obéissance. Toute l’autorité émanait d’une seule source, le roi, qui,
depuis le Moyen Âge, était considéré comme
empereur en son royaume et ne reconnaissait aucune puissance au-dessus de lui, sinon
Dieu. Son autorité se renforça par le biais de
la construction de l’État, c’est-à-dire d’une
administration bien structurée, étoffée et efficace, mais aussi par l’affirmation de la souveraineté royale après l’épreuve des guerres de
Religion : le roi était l’arbitre suprême autant
que le dispensateur de toute justice, le créateur de toute loi et le défenseur du royaume.
Il n’existait pas de texte constitutionnel ; il y
avait néanmoins des lois fondamentales, fruits
de l’histoire.
Mais la puissance publique était largement
déléguée. D’une part, des offices avaient été
créés, qui, avec le temps, étaient devenus
vénaux et héréditaires. D’autre part, des commissions temporaires et précises avaient favorisé l’installation d’intendants dans les provinces, qui, devenus « les yeux et les oreilles
du prince », amplifièrent l’unification, la modernisation et la centralisation du royaume.
L’État prit ainsi une place centrale et un poids
particulier dans la vie du royaume, ce qui fit
la singularité du « modèle » français d’administration.
Cet État s’était renforcé à travers les guerres,
qui avaient impliqué la création d’une armée
permanente, donc de l’impôt permanent. Les
conflits tout au long du XVIIe siècle avaient
entraîné un bond quantitatif de l’impôt royal,
qui n’avait pas été accepté sans révoltes ni tensions. Il avait été collecté, pour la taille, dans
le cadre traditionnel des paroisses et, pour
les impôts indirects surtout, avec le concours
intéressé de financiers liés à la couronne. À
son tour, il avait permis le développement de
l’action monarchique. Pourtant, la monarchie
se montra incapable de transformer durablement sa fiscalité, en raison même des divers
privilèges octroyés, et elle ne disposa pas
des méthodes et des institutions financières
qui existaient en Hollande ou en Angleterre.
Ainsi, la crise des finances publiques fut
à l’origine de la réunion des états généraux
en 1789.
Cette organisation politique connut une
lente érosion. L’idée que tous les pouvoirs
- exécutif, législatif et judiciaire - pussent être
confondus devint intolérable. À plusieurs
reprises, le monarque rappela que la nation se
confondait avec lui et qu’elle ne pouvait se définir en dehors de lui. Pourtant, cette dernière
apparut peu à peu comme la source de toute
légitimité. Certains cherchèrent à s’exprimer
en son nom, en particulier les membres des
parlements, ces cours de justice qui enregistraient les décisions royales. Dans le royaume,
il n’y avait guère d’occasions de dialogue et
de négociation entre le roi et ses sujets. Il
existait, dans quelques provinces, des états
provinciaux ; cependant, les états généraux ne
furent plus réunis après 1614. Finalement, la
downloadModeText.vue.download 44 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
33
nation s’affirma à côté du roi, et contre lui. La
Révolution mit alors un terme à la vénalité des
offices, avant de s’en prendre à la monarchie
elle-même.
• Conserver l’ordre social ? La société était
divisée traditionnellement en trois « ordres »,
inégaux en nombre. Le clergé et la noblesse
y occupaient une fonction : la défense du
royaume pour les gentilshommes et la prière
pour les hommes d’Église, ce qui justifiait les
privilèges dont ils jouissaient. La noblesse se
définissait moins par un statut clair que par le
sentiment d’appartenir à une race à part, par
une manière de vivre et des valeurs propres.
Ce groupe social restait ouvert aux familles
qui s’illustraient au service du roi, ou qui
achetaient des charges publiques. L’inégalité
entre les sujets était un fait juridique. Elle
se marquait dans le respect du « rang », des
hiérarchies. Celles-ci étaient périodiquement
rappelées lors des cérémonies : à l’église, à la
cour du roi, dans les villes et les campagnes,
chacun devait occuper sa place, fixée par la
tradition. De tels honneurs faisaient naître
une déférence « naturelle » pour ces élites,
mais ils entretenaient, chez les puissants, un
dédain tout aussi « naturel », que la charité
chrétienne ne venait pas forcément adoucir,
et qui devint peu à peu insupportable. L’inégalité sociale se traduisait à travers l’impôt
royal par excellence - la taille -, dont les deux
premiers ordres (mais aussi d’autres sujets)
étaient exemptés. S’y ajoutait l’inégalité entre
les hommes et les femmes, mais elle ne fut
guère remise en cause.
La Révolution voulut détruire tout ce qui
était considéré comme le « régime féodal ».
La féodalité n’était plus qu’un souvenir, mais
il en demeurait des traits singuliers, perçus
comme des vexations. Les dernières traces
de servitude, de « mainmorte », avaient
sans doute disparu, mais les liens d’homme
à homme persistaient, souvent symboliques
et associés à des droits féodaux à payer. La
seigneurie, quant à elle, liait le paysan à une
terre, sous la protection d’un seigneur qui
la possédait. Le paysan n’en était donc pas
pleinement propriétaire : il devait acquitter
des droits, tel le cens. Le seigneur jouissait
d’autres droits, comme le monopole de la
chasse - très mal accepté des roturiers à la fin
du XVIIIe siècle -, et il disposait de banalités :
les paysans avaient l’obligation d’utiliser le
moulin et le four seigneuriaux. Enfin, même
si la justice royale dominait presque partout et
constituait un recours pour tous les sujets, les
seigneurs conservaient des droits de justice.
L’Ancien Régime présentait aussi une
dimension économique. Le travail artisanal
reposait le plus souvent sur une organisation
verticale, du compagnon au maître, même s’il
existait des métiers libres et si Turgot avait
tenté, en vain, d’établir la liberté du travail.
Tantôt décrit comme « un très grand et
très vieil édifice » (Pierre Gaxotte) qui avait
néanmoins grand air, tantôt comme « une
sorte d’immense fleuve bourbeux » (Pierre
Goubert) charriant des institutions venues
d’autres âges, l’Ancien Régime fut aboli par
une Révolution qui voulut faire table rase du
passé. Pourtant, bien des réalités de l’Ancien
Régime ont survécu à sa mort.
Anciens (Conseil des), assemblée dont
les 250 membres composent, avec le Conseil
des Cinq-Cents, le pouvoir législatif institué
par la Constitution de l’an III (22 août 1795). Il
marque l’introduction du bicamérisme.
La première séance des Anciens se tient le
28 octobre 1795 ; la dernière a lieu le 10 novembre 1799 pour approuver la Constitution
de l’an VIII.
En l’an III, les députés de la Convention qui
avaient renversé Robespierre le 9 thermidor
an II (27 juillet 1794), arrêté le mouvement
populaire en prairial an III (mai 1795) et éliminé les « derniers montagnards » choisissent
un système politique capable de « repousser
les formes d’une démocratie trop active »
(Cambacérès). La création du Conseil des
Anciens participe de cette volonté de mettre
« un frein aux passions » (Eschassériaux), de
« garantir les législateurs de l’activité funeste
de l’enthousiasme » (Lakanal). L’extinction de
l’enthousiasme du peuple ou du législateur,
tel est en effet l’objectif, dénoncé par Thomas
Paine, d’une Constitution qui choisit la propriété - « le froid motif du bas intérêt personnel », selon Paine - contre l’égalité. Le Conseil
des Anciens est ainsi l’un des dispositifs qui
doit permettre d’arrêter le processus révolutionnaire.
Pour en être l’élu, il faut avoir 40 ans révolus - « avoir dépassé l’âge des passions », dit
Boissy d’Anglas ; être marié ou veuf, le bon
père ou le bon époux étant le gage du bon
citoyen (Villetard) ; être domicilié en France
depuis quinze ans.
Ce bicamérisme, qui repousse l’exemple
anglais (une seconde Chambre aristocratique)
et se distingue du modèle américain (bicamérisme fédéral), souligne, en outre, la tension entre l’unité de la représentation nationale et le désir de limiter la puissance d’une
Chambre unique. Les compétences des deux
Assemblées en sont la marque. Comme les
Cinq-Cents, les Anciens sont élus pour trois
ans et renouvelés par tiers chaque année ; les
premiers députés sont d’ailleurs choisis sans
qu’il soit précisé pour quel Conseil, la répartition étant effectuée ensuite, par tirage au sort,
dans le respect des conditions définies (âge,
mariage, domiciliation). Unité donc, mais
aussi rôles différents puisque les Anciens
n’ont pas l’initiative des lois et ne peuvent
que les approuver sans modification, ou les
rejeter pour un an (le veto royal de la Constitution de 1791 passe ainsi aux Anciens). Ils
peuvent fixer le lieu de résidence des séances
des Conseils, ce qui leur permettra d’aider
Bonaparte dans son coup d’Etat en transférant
les Assemblées à Saint-Cloud.
anciens combattants, soldats ayant
participé aux combats et, plus spécifiquement, soldats de la Première Guerre mondiale.
Figures sociales nouvelles de l’entre-deuxguerres, vecteurs du souvenir, mais aussi animateurs de sociabilités inédites, les anciens
« poilus », forts de convictions morales et
politiques définies, restent longtemps assujettis à l’image fallacieuse et déformante des
Croix-de-feu ou des défilés du 6 février 1934.
Avant tout, les anciens combattants sont les
témoins et les acteurs de la Première Guerre
mondiale, véritable traumatisme dont ils vont
véhiculer, par leurs lettres, leurs récits écrits
ou oraux, des images contradictoires : le souvenir de l’horreur - la mort intime, la mort attendue, la mort reçue et, pis encore peut-être,
la mort donnée - y côtoie celui de la fraternité
dans les tranchées. Avant même la fin de la
guerre se pose le problème du sort matériel
des mutilés et des blessés démobilisés. C’est
ainsi que les premières associations d’anciens combattants sont fondées, dès 1915,
sur des revendications d’ordre pratique plus
que moral. Après 1918, elles foisonnent et
reposent sur des critères médicaux - l’Union
des aveugles de guerre, ou les Gueules cassées, regroupant les plus grands invalides -,
militaires ou professionnels, mais aussi politiques : la Fédération ouvrière et paysanne
est d’orientation socialiste, tandis que l’Association républicaine des anciens combattants
fondée par Henri Barbusse (1916), l’auteur
du Feu - l’un des best-sellers de la littérature
combattante avec les Croix de bois (1919), de
Roland Dorgelès -, est clairement d’obédience
communiste. Ce réseau associatif devient, à la
fin des années vingt, un véritable mouvement
de masse, dont les deux piliers sont l’Union
française (900 000 membres) et l’Union nationale des combattants (800 000 adhérents).
Les anciens combattants représentent alors un
mouvement d’environ trois millions de personnes, soit la moitié des soldats ayant survécu au conflit.
Politiquement, les anciens combattants
se caractérisent - parfois - par un antimilitarisme hérité de la haine de l’ancien troufion
à l’égard de l’officier et - très souvent - par un
pacifisme inébranlable, dont le chantre fut
Aristide Briand, et la garante, la Société des
nations (SDN). Le 11 Novembre, fête nationale des anciens combattants, est à la fois une
cérémonie civique - et non militaire - et une
célébration funéraire où le chant patriotique
donne sa signification républicaine au sacrifice des disparus. Dans l’ensemble, le discours
de l’ancien combattant se veut plus moral
que politique : l’opposition mythique entre le
monde politicien et l’univers du soldat exposé
aux risques de la guerre, la volonté de sauvegarder la communauté d’esprit des tranchées
et le refus de voir la société traversée de clivages suscitent, tout au long de l’entre-deuxguerres, un antiparlementarisme spécifique
qui, toutefois, est davantage l’expression de
l’insatisfaction face à une IIIe République défaillante que le symptôme d’un quelconque
fascisme français.
Anciens et des Modernes (querelle
des), nom générique donné aux polémiques
littéraires qui voient s’affronter, entre la
seconde moitié du XVIIe siècle et le début du
XVIIIe, les tenants de la supériorité des auteurs
modernes et les défenseurs des modèles
antiques.
La querelle des Anciens et des Modernes
comprend plusieurs phases distinctes, et elle
engage des protagonistes différents au fil des
années.
La première controverse oppose les partisans d’une épopée nationale et du merveildownloadModeText.vue.download 45 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
34
leux chrétien aux zélateurs des mythologies
païennes. Contre le Clovis de Jean Desmarets
de Saint-Sorlin (1657) ou le Charlemagne de
Louis le Laboureur (1664), Boileau proclame,
dans son Art poétique (1674), l’excellence des
lettres anciennes. Même si les Modernes sont
vaincus, faute d’avoir étayé leurs thèses par
des oeuvres suffisamment probantes, le joug
de l’Antiquité n’en subit pas moins un premier ébranlement.
L’affaire des Inscriptions (1676-1677) fait
rebondir la polémique autour de la question
suivante : faut-il employer le français ou le latin
pour les inscriptions des tableaux et monuments historiques ? C’est à l’Académie française, le 27 janvier 1687, que débute la phase
la plus aiguë de la Querelle. On y lit, en effet,
le poème de Charles Perrault le Siècle de Louis
le Grand, dans lequel l’auteur déclare préférer
« le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste ».
L’exaltation du présent contre le passé déchaîne les foudres de Boileau, à qui s’allient
La Fontaine et La Bruyère. Perrault rédige les
quatre tomes de son Parallèle des Anciens et
des Modernes (1688-1697), auxquels Boileau
répond par ses Réflexions sur Longin (1694).
Le conflit entre les deux hommes ne s’apaise
qu’en 1694, grâce à la médiation d’Antoine Arnauld, qui obtient une réconciliation publique.
La dernière phase de la Querelle s’ordonne
autour d’Homère. L’helléniste Anne Dacier
livre au public, en 1699, une traduction de
l’Iliade qui ne masque ni les longueurs ni les
répétitions du texte original. En 1713, Antoine Houdar de La Motte tire de cette édition
une version largement amputée et versifiée.
Mme Dacier s’élève aussitôt contre ce sacrilège.
Cette fois, c’est Fénelon qui réconcilie les adversaires dans sa Lettre à l’Académie (1714) :
il exhorte les Modernes à égaler et à dépasser
les Anciens.
Ainsi prend fin une longue polémique où
les questions de personnes ont sans doute
joué un rôle aussi important que les exigences
d’ordre esthétique. Par-delà les excès de l’un
et l’autre camp, par-delà une violence polémique qui interdit souvent aux protagonistes
de poser les problèmes avec la clarté requise,
la querelle des Anciens et des Modernes fait
résonner une question essentielle : celle des
rapports qu’entretiennent les oeuvres d’art du
présent avec l’héritage d’une civilisation.
Andorre, principauté souveraine des Pyrénées, placée depuis la fin du XIIIe siècle sous
l’autorité de deux coprinces : l’évêque d’Urgel
et le roi de France (prérogative qui passe ensuite au président de la République française).
En 988, le comte d’Urgel cède à l’évêque de
cette ville les terres « fiscales » que Charles
le Chauve avait données à l’un de ses prédécesseurs en 843. À son tour, le prélat les restitue en fief à la famille des Caboet au début
du XIe siècle. Devenu héréditaire, ce fief passe
par mariage à la famille des Castelbon (vers
1185), puis à celle des comtes de Foix (vers
1208). Les relations entre l’évêque et ses vassaux sont souvent difficiles. L’intervention
du roi d’Aragon leur permet, en 1278, de
conclure un accord de « paréage » qui instaure un condominium sur la vallée (partage
du tribut, ou questia, présence des bailes des
deux autorités, aide militaire due aux deux
seigneurs). Transmis au roi de Navarre, l’héritage des comtes de Foix échoit à la France lors
de l’accession d’Henri IV au trône.
Le système s’est maintenu jusqu’à nos
jours, malgré de fréquentes tensions entre les
coprinces (instauration d’un blocus économique en 1953). La rencontre historique qui a
lieu à Cahors, le 25 août 1973, entre Georges
Pompidou et Mgr Joan Marti i Alanis ouvre une
période de réformes dans la principauté, tendant au renforcement de l’autonomie du Très
Illustre Conseil général des vallées, émanation
des conseils de paroisse élus au suffrage universel depuis 1985. Dotée d’une Constitution
depuis 1993, la principauté est membre de
l’ONU.
Angevins, branche cadette de la famille
capétienne qui, entre le XIIIe et le XVe siècle,
régna, plus ou moins longuement, en Italie, en
Hongrie, en Albanie et à Jérusalem.
C’est le frère cadet de Saint Louis, Charles Ier
d’Anjou, qui est à l’origine de l’établissement
d’un pouvoir capétien en Méditerranée et en
Europe orientale. Installé en Provence par son
mariage, en 1246, avec Béatrix, fille de Raimond Bérenger V, il profite du vide politique
laissé en Italie par la mort de l’empereur Frédéric II (1250) pour s’y imposer. Il obtient
du pape la couronne de Naples et de Sicile,
royaume qu’il conquiert en 1266-1267, à
l’issue des batailles de Bénévent et de Tagliacozzo. L’Italie n’est cependant qu’un élément
de la politique d’envergure que veut mener
Charles : son but essentiel est de reconstruire
l’Empire latin d’Orient, reconquis par le Grec
Michel Paléologue (1261). Dès 1266, Charles
s’empare de Corfou et de l’Achaïe. En 1272,
il obtient le royaume d’Albanie, puis celui
de Jérusalem (1279). Des alliances matrimoniales sont nouées au même moment en
Pologne et en Hongrie. Un réseau d’alliances
diplomatiques est tissé avec le royaume serbe,
les Mamelouks de Baïbars et les Mongols. Les
projets de croisade contre les Grecs restent
cependant lettre morte. En 1282, alors que
tout semble réuni pour la victoire du Français
contre Constantinople, Pierre III d’Aragon
débarque à Collo, en Sicile : les Vêpres siciliennes (31 mars) marquent le premier revers
du défi angevin, arrivé à son apogée.
Les descendants de Charles Ier se maintiennent en Europe orientale et en Italie du
Sud. En Hongrie, une dynastie angevine succède en 1307 à celle des Árpád et y domine
la vie politique jusqu’en 1382, notamment
au cours du long règne de Louis le Grand, roi
de Hongrie de 1342 à 1382 et roi de Pologne
de 1370 à 1382. En Italie, Robert, petit-fils
de Charles, réussit, au cours de son règne
(1305-1343), à restaurer l’ordre et à faire du
royaume de Naples un centre culturel humaniste. Après sa mort, l’Italie du Sud sombre
pour longtemps dans l’anarchie, déchirée par
les querelles entre branches angevines rivales.
Isolée, la reine Jeanne Ire adopte Louis Ier, fils
de Jean II le Bon, apanagé en Anjou, mais est
assassinée par l’Angevin Charles, duc de Durazzo (Duras). S’ouvre alors plus d’un siècle
de luttes entre les Duras, la deuxième maison
d’Anjou et les Aragonais. L’adoption de René
d’Anjou par la reine Jeanne II (Duras) prélude à la transmission de l’héritage angevin
au roi de France (1470). Ce mirage hérité est
le moteur de l’expédition de Charles VIII en
Italie (1494) et des guerres d’Italie.
Angoulême (Louis Antoine de Bourbon, duc d’), dauphin de France (Versailles
1775 - Goritz, Autriche, 1844).
Fils aîné de Charles, comte d’Artois, futur
Charles X, et de Marie-Thérèse de Savoie,
il est élevé par sa mère à l’écart de la cour.
Émigré dès 1789 avec ses parents et son frère
cadet, le duc de Berry, il séjourne successivement à Turin, où il suit des cours d’artillerie, puis à Coblence (auprès de l’armée des
Princes), à Édimbourg, à Blanckenburg, puis
à Mittau, dans l’entourage de Louis XVIII :
c’est là qu’il épouse en 1799 sa cousine germaine, Marie-Thérèse-Charlotte de France,
« Madame Royale », fille de Louis XVI et de
Marie-Antoinette. Durant l’Empire, il vit en
exil à Hartwell auprès de Louis XVIII. Attaché
à l’armée de Wellington, il rentre en France
par l’Espagne, et joue un rôle actif dans la
restauration des Bourbons sur le trône de
France et entre triomphalement à Bordeaux le
12 mars 1814. Durant les Cent-Jours, nommé
lieutenant général du royaume dans le Midi,
il remporte un succès sur l’armée bonapartiste à Loriol, mais est abandonné par ses soldats ; arrêté, il est embarqué pour l’Espagne.
De retour en France après Waterloo, il siège
à la Chambre des pairs. Louis XVIII le place
à la tête de l’expédition militaire française en
Espagne (1823), où il met fin à la captivité du
roi Ferdinand VII (prise de Trocadero). Au
lendemain de la révolution de juillet 1830,
le 1er août, il abdique en faveur de son neveu
Henri, duc de Bordeaux, et se retire en Angleterre, puis à Prague et enfin à Goritz.
Angoumois, appelé
goulême, ancienne
cupant, autour de
majeure partie de
Charente.
aussi comté d’Anprovince de France ocla ville d’Angoulême, la
l’actuel département de la
Fondée sous le Bas-Empire à des fins militaires et rapidement promue au rang d’évêché,
la cité d’Angoulême, prise par les Wisigoths
et intégrée au royaume de Toulouse, passe
sous le contrôle de Clovis après la victoire de
Vouillé, en 507, et devient le siège d’un comté
à la fin du VIIIe siècle. À l’époque carolingienne,
l’Angoumois, dont la possession est très disputée, est uni au Périgord et à l’Agenais, puis
à la Saintonge et au Poitou, dont il dépend
jusqu’à la fin du XIIe siècle. Situé au contact des
domaines des Capétiens et des Plantagenêts,
le comté, aux mains de la famille de Lusignan,
est incorporé par Philippe le Bel au royaume
de France en 1308. Pris dans le champ d’opérations de la guerre de Cent Ans, il est cédé
à l’Angleterre en 1360 par le traité de Brétigny, qui sanctionne la défaite de Jean le Bon à
Poitiers, puis est reconquis par Charles V, en
1373. Acquis à la France, l’Angoumois reste
désormais dans la mouvance du royaume pendant toute la durée du conflit, bien qu’il soit
détaché du domaine, d’abord en faveur du duc
de Berry, puis de Louis d’Orléans, en 1394.
À la mort de celui-ci, en 1407, il passe à son
plus jeune fils, Jean d’Angoulême, grand-père
de François Ier qui, lors de son avènement au
downloadModeText.vue.download 46 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
35
trône de France, en 1515, réunit définitivement l’Angoumois à la couronne et l’érige en
duché-pairie au bénéfice de sa mère, Louise
de Savoie.
Anjou, ancienne province de France axée
sur la Loire, entre Bretagne et Touraine,
Maine et Poitou, dont les limites correspondent à celles de l’actuel département de
Maine-et-Loire. Dépourvu d’unité naturelle,
c’est avant tout une construction politique qui
remonte au Moyen Âge.
Formé du territoire de la tribu gauloise
des Andécaves, l’Anjou est intégré après la
conquête romaine aux provinces de Celtique,
puis de Lugdunaise, avant d’être fondu dans
le royaume franc. Son identité n’est toutefois
acquise qu’à la fin du IXe siècle, lorsque apparaît la première mention du comté d’Angers,
défendu des incursions normandes par Robert
le Fort, puis par son fils Robert qui, devenu
roi des Francs, y installe un vicomte, qui est à
l’origine de la première maison comtale. Ainsi,
l’Anjou devient-il l’un des principaux fiefs du
royaume : vassaux directs des Capétiens, dont
ils sont les alliés, Foulques Nerra et son fils
Geoffroi Martel l’étendent aux Mauges, au
Saumurois, à une partie de la Touraine et s’assurent la suzeraineté du Maine. Le comté, réorganisé par Foulques V et Geoffroi Plantagenêt,
qui imposent leur pouvoir aux seigneurs féodaux et développent l’administration, notamment en matière de justice, revient en 1151 à
Henri II Plantagenêt, bientôt duc d’Aquitaine
et roi d’Angleterre. L’Anjou, confié à un sénéchal, est ainsi intégré à un vaste empire qui
comprend, outre l’Angleterre, la Normandie,
puis la Bretagne, l’Aquitaine et la Gascogne.
Après que Philippe Auguste s’en est emparé en
1205, il est constitué en apanage dans le testament de Louis VIII, en 1226, au bénéfice du
frère cadet de Saint Louis, Charles Ier d’Anjou.
Sous cette deuxième dynastie, d’origine
capétienne, l’Anjou devient avec le Maine l’élément périphérique d’un second empire angevin, centré non plus sur l’Atlantique, mais sur la
Méditerranée, avec notamment les royaumes de
Sicile et de Naples. Donné en dot par Charles II
à sa fille Marguerite, épouse de Charles de
Valois, l’Anjou revient à la couronne lors de
l’accession au trône de leur fils, Philippe VI, en
1328, avant d’en être à nouveau dissocié par
Jean le Bon, en 1356, comme duché cette fois,
au profit de son fils cadet, Louis Ier d’Anjou. Le
duché demeure l’apanage de la troisième maison d’Anjou jusqu’au décès du roi René (roi de
Jérusalem et de Sicile, duc d’Anjou et comte de
Provence), en 1480, suivi en 1481 de celui de
son héritier, Charles du Maine, qui, en faisant
de Louis XI son légataire universel, a permis
au duché d’être définitivement réuni à la couronne.
Anjou (Philippe, duc d’), roi d’Espagne sous
le nom de Philippe V (de 1700 à 1746), fondateur de la lignée des Bourbons d’Espagne
(Versailles 1683 - Madrid 1746).
Deuxième fils de Louis de Bourbon et de Marie-Anne de Bavière, petit-fils de Louis XIV, il
est élevé en cadet qui n’est pas destiné à régner,
mais bénéficie de l’enseignement de Fénelon.
Charles II d’Espagne, demi-frère de sa grandmère Marie-Thérèse, en fait son héritier s’il
renonce au trône de France, ce qui déclenche
la guerre de la Succession d’Espagne. Arrivé
à Madrid avec ses conseillers français, il doit
affronter l’invasion du prétendant Charles de
Habsbourg. Chassé de sa capitale en 1706 et
1710, Philippe V gagne le coeur des Castillans
par son courage. La paix d’Utrecht (1713) lui
garantit son trône, mais il perd les possessions
d’Italie et des Pays-Bas, et échoue à faire valoir ses droits sur la France après la mort de
Louis XIV. Il veut reconquérir la Sicile, ce qui
entraîne une guerre contre l’Angleterre et la
France (1718). Le traité de 1721 normalise
les relations entre les Bourbons. En 1738, Philippe V obtient de l’Autriche Naples et la Sicile, contre Parme et la Toscane. Influencé par
la princesse des Ursins, agent de Louis XIV,
mais aussi par ses épouses, Marie-Louise de
Savoie puis Élisabeth Farnèse, fille du duc
de Parme, dans l’ombre de son ministre le
cardinal Alberoni jusqu’en 1719, Philippe V
a réformé l’État espagnol sur le modèle de la
centralisation française. Louis XIV lui avait
dit : « Soyez bon Espagnol... mais souvenezvous que vous êtes né Français. »
Annam ! Indochine
Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII,
reine de France (Valladolid, Espagne,
1601 - Paris 1666).
Élevée à la cour d’Espagne régie par l’étiquette
de Charles Quint, elle reçoit une éducation
pieuse et stricte qui la marque profondément.
Le 25 août 1612, le Conseil du roi vote le
mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche,
afin de parachever la politique de rapprochement avec l’Espagne « très catholique ». De
cette union, célébrée le 25 décembre 1615, naîtront deux fils : Louis Dieudonné (1638), futur
Louis XIV, et le duc d’Orléans (1640). Forte
personnalité, peu instruite mais autoritaire et
têtue, la reine Anne déchaîne les passions (c’est
pourquoi Dumas lui accordera une telle place
dans les Trois Mousquetaires et Vingt ans après).
Ennemie jurée de Richelieu, qui mène une
politique anti-espagnole, elle prend part à tous
les complots ourdis contre le Cardinal : elle
anime le parti dévot, qui s’oppose aux alliances
conclues avec les pays protestants, et va même
jusqu’à prêter son soutien à Chalais, qui projette de l’assassiner. Le 10 novembre 1630, elle
est victime, au même titre que la reine mère
Marie de Médicis, de la journée des Dupes, et
envoyée en exil. Enfin, en 1637, éclate l’« affaire
du Val-de-Grâce » : soupçonnée d’entretenir
une correspondance secrète avec son frère Philippe IV d’Espagne alors que la France lui fait
la guerre, elle est accusée de trahison. Seule la
naissance d’un héritier la sauve de la disgrâce.
En 1643, à la mort de Louis XIII, la reine
entame une seconde carrière politique, radicalement différente de la première. Loin de
continuer à mettre en péril la sûreté et la stabilité de l’État, elle n’a plus qu’un souci : offrir
à son fils un royaume pacifié et unifié. Elle fait
donc casser le testament de Louis XIII par le
parlement de Paris, se fait proclamer régente,
et obtient les pleins pouvoirs, qu’elle confie à
Mazarin. L’oeuvre accomplie par le « duovirat »
est considérable : ils soumettent les frondeurs,
signent la paix avec l’Autriche
phalie, 1648) et avec l’Espagne
nées, 1659). En 1661, Louis XIV
à la tête d’un royaume puissant
reine mère se retire à l’abbaye
qu’elle a fait construire, et y
(traité de West(traité des Pyrése retrouve
et soumis. La
du Val-de-Grâce,
meurt en 1666.
Le portrait qu’en a peint Rubens est révélateur du rôle exceptionnel qu’a joué cette
femme : elle n’est représentée ni en mère ni en
amante, mais elle a la grandeur et la solennité
que confère le pouvoir monarchique.
Anne de Bretagne, duchesse de Bretagne (1488-1514) et reine de France de 1491 à
1514 (Nantes 1477 - Blois 1514).
Fille aînée du duc François II et de Marguerite
de Foix, elle devient duchesse à la mort de son
père, en septembre 1488.
Sur l’avis des états de Bretagne, qui
cherchent à préserver l’indépendance du
duché face au puissant voisin français et
soutiennent la candidature impériale contre
les prétentions de Louis d’Orléans, futur
Louis XII, Anne est mariée par procuration, en
mars 1490, au fils de l’empereur Maximilien
de Habsbourg, qui vient d’être élu roi des Romains, cette union, qui transgresse le traité du
Verger (19 août 1488) par lequel François II
s’était engagé à ne pas marier ses filles sans le
consentement du roi de France, provoque une
réaction militaire de Charles VIII, inquiet de
la menace d’encerclement que pourraient faire
peser les Habsbourg sur son royaume. Devant
le peu d’aide que lui apporte Maximilien,
alors occupé en Bohême, et voulant sauvegarder l’indépendance de son duché, envahi par
les armées royales, Anne décide de changer
de parti : son mariage est annulé pour vice
de procédure, et elle épouse Charles VIII en
décembre 1491. Le contrat de mariage réaffirme la suzeraineté française sur la Bretagne,
mais respecte l’autonomie du duché qu’Anne
fait valoir en refusant d’étendre à ce dernier
les effets de la pragmatique sanction (7 juillet
1438) qui consacre le roi comme le maître
de l’Église de France. Il prévoit que si le roi
venait à mourir sans laisser de descendance
masculine, Anne épouserait son successeur :
ainsi, lorsque Charles VIII décède, en 1498,
sans que lui survive aucun de ses quatre enfants, Anne est promise à Louis XII, qu’elle
épouse en 1499, et à qui elle donne deux
filles, Claude et Renée. Toujours attachée à
l’autonomie de son duché, elle ne peut toutefois empêcher les progrès de l’influence française, ni s’opposer à l’union de sa fille aînée,
Claude de France, avec l’héritier présomptif
du trône, François d’Angoulême. Ce mariage,
conclu en 1514, peu avant qu’Anne meure,
scelle, à terme, le devenir de la Bretagne, réunie de façon indissoluble à la couronne par
François Ier en 1532, huit ans après le décès
de son épouse.
Anne de France, dite Anne de Beaujeu,
régente du royaume de France de 1483 à 1491
(Genappe, Brabant, 1461 - Chantelle, Allier,
1522).
Fille aînée du roi de France Louis XI et de
Charlotte de Savoie, Anne de France épouse
en 1474 Pierre Beaujeu, fils cadet du duc
de Bourbon. C’est à sa fille Anne, en qui il
downloadModeText.vue.download 47 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
36
reconnaît ses propres qualités, et à son
gendre Pierre, fidèle serviteur du royaume,
que Louis XI confie la régence pendant la
minorité de son fils Charles. De 1483, date
de l’avènement de Charles VIII, à son mariage
en 1491, Anne et Pierre de Beaujeu gouvernent la France. Confrontés aux troubles
suscités par le duc d’Orléans, futur Louis XII,
ils réunissent les états généraux de Tours en
1484, dont ils obtiennent le soutien. L’année
suivante, l’hostilité des princes se cristallise
dans la « Guerre folle », menée par le duc
Louis d’Orléans, le duc François II de Bretagne et Maximilien de Habsbourg. Mais
le duc d’Orléans fait bientôt la paix avec le
roi. La recherche de l’équilibre et la modération guident alors le comportement d’Anne
de Beaujeu, que Brantôme qualifie de « fine
femme et déliée s’il en fut oncques, et vraie
image en tout du roi Louis son père ». Entre
les affaires d’Autriche et celles de Bretagne,
Anne de Beaujeu choisit d’assurer la réunion
de la Bretagne à la France en mariant son frère
Charles VIII à Anne de Bretagne, unique héritière de François II. Dès lors, les Beaujeu se
consacrent aux intérêts du duché de Bourbon,
dont Pierre a hérité en 1488, et qui revient à
sa mort à sa fille Suzanne (1503).
Mariée à Charles de Montpensier, futur
connétable de Bourbon, cette dernière meurt,
sans héritier, en 1521, et le duché revient à
son époux. François Ier réclame certaines des
possessions du connétable de Bourbon, mais
se heurte à Anne de Beaujeu, qui défend fermement les intérêts de son gendre ; elle meurt
l’année suivante, avant la trahison du connétable en 1523.
À Moulins, la cour des Beaujeu, foyer de
la Renaissance française, accueillit artistes et
poètes. Anne de Beaujeu a elle-même pris la
plume pour écrire des Enseignements dédiés à
sa fille Suzanne. Conseils de vie d’une grande
élévation morale, plus proches des Enseignements de Saint Louis que des poèmes de
Ronsard, ils ont inspiré à l’historien Ernest
Lavisse, à la fin du XIXe siècle, ces propos :
« Anne de Beaujeu était pieuse et austère [et]
ne prisait point les falbalas. »
À la collégiale de Moulins, le vitrail de
sainte Catherine et le triptyque de la Vierge à
l’Enfant conservent les visages d’Anne, Pierre
et Suzanne de Beaujeu.
Années folles, période comprise entre la
fin de la Première Guerre mondiale et le début
de la grande dépression des années trente.
Dans la mémoire collective européenne, les
Années folles figurent ce retour explosif à une
certaine joie de vivre, après la « boucherie »
de 1914-1918, encouragé par une prospérité économique renaissante et la perspective
d’une entente avec l’Allemagne à partir de
1924. Autant dire que, de même que la Belle
Époque forgée par un après-guerre en mal de
repères, ces Années folles constituent un cliché dont la dimension utopique livre pourtant
la clé de ces années vingt, où la recherche de
la modernité, qui est certes le fait d’une élite
artistique et sociale, est à peine entamée par
une discrète mais indéniable réaction.
• Paris, carrefour de la modernité. Au
coeur des Années folles, Paris, bien que détrônée par Berlin ou Moscou, prend toujours le
pouls de la vie artistique internationale. Le
monde s’y donne alors rendez-vous : Russes
en rupture de révolution, ou artistes soviétiques en visite dans la capitale ; écrivains
américains, dont toute une génération - Francis Scott Fitzgerald, Henry Miller, Ernest
Hemingway, Ezra Pound - va se perdre dans
le salon de Gertrude Stein ; artistes italiens et
espagnols ; photographes de tous horizons.
Tous contribuent à forger une image cosmopolite de la Ville Lumière. La modernité de
ces roaring twenties rime avec une première
véritable « américanomania ».La fièvre américaine s’empare de Paris, propagée par les
sons chaloupés du charleston, du shimmy et
du jazz joués dans les nombreux dancings et
cafés, tels que Le Boeuf sur le toit, célèbre cabaret de la rue Boissy-d’Anglas, fréquenté par
Jean Cocteau. Les Années folles sont riches
donc en images, du jazz à la Revue nègre de Joséphine Baker. Elles ont aussi un visage : celui
de la femme émancipée, la « garçonne » aux
cheveux courts coiffée d’un chapeau cloche
et portant robe-chemise, et dont la taille,
emblème de la féminité, est gommée par une
ceinture tombant sur les hanches.
Cette « course à la modernité » s’inscrit toutefois au-delà du cadre des mondanités parisiennes : les vêtements féminins plus simples
et plus pratiques se démocratisent ; les supports
culturels à forte diffusion se multiplient, tels
la radio - alors à ses débuts -, le phonographe,
ou encore l’affiche publicitaire qui, avec Carlu,
Cassandre ou Colin, recycle à sa manière les apports du cubisme ou de l’expressionnisme, et les
intègre bientôt au paysage urbain. Ces médias
en voie de diversification participent de cette
nouvelle forme de civilisation à laquelle public
et créateurs ont l’impression d’appartenir : une
civilisation de la technique, de la vitesse, du
voyage, où, des futuristes à Blaise Cendrars, l’on
se plaît à célébrer l’ivresse de la voiture, la poésie
du train ou des transatlantiques. Laboratoire des
techniques, les Années folles, marquées à leur
début par l’explosion dadaïste puis surréaliste,
explorent également toutes les potentialités d’un
art nourri par le nihilisme hérité d’une guerre
absurde, par les recherches sur l’inconscient
mises en pratique dans l’écriture automatique
et par un inébranlable anticonformisme qui va
irriguer tous les domaines de la création, notamment le cinéma : encore muet, ce « septième
art » est animé par une nouvelle génération de
metteurs en scène - Louis Delluc, Germaine
Dulac, Abel Gance, Marcel L’Herbier, René
Clair, Luis Buñuel -, tous soucieux de créer une
esthétique vouée au culte des images.
• L’envers du décor. Pourtant, l’envers de
cette effervescence se lit dans le repli notable,
issu tout droit de la guerre, sur les valeurs
nationales et le rejet du « kubisme » et de la
« kultur », comme l’atteste la pratique picturale. À Paris, Derain, Léger ou Picasso retournent à une facture plus traditionnelle, et
le réalisme redevient l’horizon théorique des
peintres. L’architecture, malgré le dynamisme
d’un Le Corbusier, accuse le trait : le retour
au passé se manifeste dans la vague de reconstruction de l’entre-deux-guerres, comme si la
Grande Guerre n’avait été qu’une parenthèse.
Entre invention et réaction, les Années
folles gravent le mythe de recréation d’un
monde et d’un homme enfin émancipés de
la folie meurtrière. En 1933, alors que Hitler
arrive au pouvoir et que la crise économique
prend des proportions mondiales, ce mythe a
fait long feu.
Anselme de Cantorbéry, ecclésiastique et philosophe d’origine italienne (Aoste
1033 - Cantorbéry 1109).
Issu d’une famille de châtelains, il entre en
1059, après trois années d’errance, à l’abbaye
bénédictine du Bec, en Normandie, attiré par la
renommée du célèbre Lanfranc. Il lui succède
comme prieur et écolâtre (1063), puis devient
abbé du Bec (1078) et, enfin, archevêque de
Cantorbéry (1093). Prélat réformateur, partisan de la primauté romaine, il entre en conflit
avec le roi d’Angleterre (Guillaume II le Roux,
puis Henri Ier Beauclerc) en défendant les pré-
rogatives de l’Église face aux pouvoirs laïcs.
Entre 1097 et 1107, il est contraint par deux
fois de s’exiler en Italie. Premier et prestigieux
représentant de la renaissance du XIIe siècle,
Anselme est l’auteur de traités philosophiques
- dans la querelle des Universaux, il fait partie des réalistes, qui s’opposent aux nominalistes - et théologiques. Imprégné de la pensée de saint Augustin et de Grégoire le Grand,
il refuse de soumettre la foi à la dialectique :
on ne comprend pas afin de croire, mais on
doit croire afin de comprendre (Fides quaerens
intellectum). Ses traités les plus connus ont été
écrits au Bec : le Monologion, le Proslogion, le
De casu diaboli (où il réduit le mal au néant). Il
est célèbre par son « argument ontologique »
(Proslogion) : pouvoir penser Dieu tel que rien
de plus grand ne peut être pensé implique
nécessairement son existence réelle. Au temps
de son épiscopat, il traite, dans le Cur Deus
homo, de la nécessité de l’incarnation.
anticléricalisme, refus, en tout domaine
(législatif et juridique, politique, social et économique, culturel, éducatif et moral) et en
toute circonstance (cérémonies, rapports sociaux, vie quotidienne, actes majeurs de l’existence humaine : naissance, mariage, mort),
de toute espèce de subordination à l’autorité
religieuse et de toute forme d’envahissement
de la sphère collective ou individuelle par le
clergé et la religion qu’il professe.
Le mot (comme son antithèse, « cléricalisme ») apparaît dans le lexique politique des
années 1860.
Historiquement, l’anticléricalisme désigne,
en France, les systèmes de pensée, les opinions, les comportements et les actes hostiles
à l’Église catholique (ainsi que, mais plus
rarement, aux autres confessions religieuses)
qui ont conduit à l’affirmation du principe de
laïcité et à la loi de séparation des Églises et
de l’État (1905). Ses partisans entendent par
la suite prolonger l’esprit de cette lutte et en
maintenir les principes et les acquis.
L’anticléricalisme n’est certes pas apparu
au XIXe siècle. Les satires médiévales contre les
moines, les luttes de la monarchie contre le
Saint-Siège, l’humanisme savant et le libertinage érudit, Voltaire (Écrasons l’infâme !), les
Encyclopédistes et les Philosophes (Diderot,
d’Holbach, La Mettrie, Condorcet) constituent son arrière-plan culturel et lui offrent
downloadModeText.vue.download 48 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
37
ses principaux arguments. La déchristianisation révolutionnaire de l’an II, qui entraîne la
fermeture des lieux de culte, la persécution du
clergé et des fidèles et l’apparition de rituels
civils représentent une rupture décisive.
• Le grand siècle. Au cours du XIXe siècle,
l’anticléricalisme s’affirme à travers plusieurs
étapes. Les anticléricaux de la Restauration
(Béranger, Paul-Louis Courier, Montlosier,
Stendhal) combattent avec vigueur l’alliance
du trône et de l’autel, la Congrégation, les
jésuites et les missions, la loi sur le sacrilège et
le sacre de Charles X à Reims (1825). Aussi,
avec l’abolition de toute notion de religion
d’État, 1830 marque-t-il un tournant majeur.
Dans les années 1840, la lutte anticléricale
s’étend à l’enseignement (Villemain et la défense du monopole universitaire ; Des jésuites,
de Michelet et Quinet, 1843) et à la morale (Du
prêtre, de la femme et de la famille, de Michelet,
1845). La révolution de 1848 n’est pas anticléricale, mais le ralliement du clergé au parti de
l’Ordre puis au coup d’État de 1851 relance la
lutte (discours de Victor Hugo contre l’expédition de Rome et la loi Falloux, 1850). Les
années 1860, qui voient Napoléon III se détacher de l’Église pour soutenir la cause de l’Italie, marquent une nouvelle rupture.
L’anticléricalisme se renouvelle dans ses
sources doctrinales (Vie de Jésus, de Renan,
1863 ; traductions du théologien Strauss, de
Darwin et de Feuerbach ; dictionnaires de
Littré et de Larousse) comme dans ses forces
vives (franc-maçonnerie ; Ligue de l’enseignement). En 1868, à la tribune du Sénat,
Sainte-Beuve exalte le « grand diocèse » des
dissidents de tous ordres. En 1871, la Commune de Paris fait fermer les églises et fusiller l’archevêque, Mgr Darboy. Dans les années
1871-1877 (l’Ordre moral), une ligne de partage s’établit entre monarchistes et catholiques
d’une part, républicains et anticléricaux de
l’autre : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »,
s’écrie Gambetta le 4 mai 1877. La victoire des
républicains entraîne, dans les années 1880,
l’avènement des lois laïques (école gratuite,
laïque et obligatoire ; suppression des prières
publiques ; interdiction des processions ;
introduction du divorce). L’anticléricalisme
triomphe dans l’État comme dans le monde
intellectuel. Tandis que la morale néokantienne des instituteurs laïcs se substitue à « la
morale des jésuites » (Paul Bert, 1879), les
mouvements plus radicaux de la libre pen-
sée, avec leurs rites civils et leurs banquets du
vendredi saint, se développent. La dissolution
des congrégations religieuses, la rupture des
relations diplomatiques avec le Saint-Siège
(1904) et la loi de séparation du 9 décembre
1905 marquent le point d’aboutissement de
l’anticléricalisme du XIXe siècle : désormais, la
République « ne reconnaît ni ne subventionne
aucun culte ».
• Des enjeux décalés. L’anticléricalisme du
XXe siècle demeure vigoureux, tant dans la
réflexion (l’Union rationaliste en 1930) et la
presse (la Calotte d’André Lorulot, 1906 ; le
Canard enchaîné, 1916), que dans le syndicalisme enseignant (l’École libératrice), mais
il n’occupe plus une place centrale dans le
débat politique. Après la Première Guerre
mondiale, l’Église et l’État décident de favoriser la pacification religieuse et font chacun
des concessions (maintien du concordat en
Alsace-Lorraine, approbation des associations
diocésaines, rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican). L’anticléricalisme regagne cependant du terrain avec la
victoire du Bloc des gauches (1924), mais
Édouard Herriot doit faire marche arrière.
Pendant le Front populaire, la politique de la
« main tendue » de Thorez aux catholiques
tout comme le refus des radicaux d’accorder
le droit de vote aux femmes isolent les anticléricaux des nouvelles luttes sociales.
Après 1945, l’anticléricalisme est principalement centré sur la question scolaire, comme
l’illustrent le combat contre les lois Barangé
(1951) et Debré (1959), l’adoption de la loi
Savary (1984) ou la défense, paradoxale, de
la loi Falloux (1994). Enfin, le maintien du
concordat en Alsace-Lorraine, le financement
public des bâtiments religieux (cathédrale
d’Évry, mosquées) ou le rituel « concordataire » des funérailles de présidents de la
Ve République à Notre-Dame peuvent constituer d’autres motifs de lutte.
anticolonialisme, attitude politique qui
remet en cause les principes et les objectifs
de la domination coloniale.
Sa formulation date des années vingt, considérées comme l’apogée de l’empire colonial
français, à un moment où se généralise l’usage
péjoratif du terme « colonialisme », selon ses
détracteurs, qui traduit « une forme d’impérialisme issu du mécanisme capitaliste ».
Mais ses origines explicites remontent au
XVIIIe siècle. Entre l’anticolonialisme philosophique des Lumières, l’humanitarisme libéral,
la critique socialiste, le refus pragmatique et le
tiers-mondisme, les diverses tendances anticolonialistes illustrent la difficile traduction
politique de courants qui trouvent souvent
leur légitimité au-delà du seul clivage droite/
gauche.
• Les origines du débat. Sous la Révolution
éclate le débat entre « colonistes », partisans
de l’esclavage, et « anticolonistes », favorables
à son abolition. « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » : la formule, attribuée
à Robespierre, est devenue le symbole de
l’anticolonialisme de principe, né des idéaux
anti-esclavagistes de 1789. L’abolitionnisme,
nourri des écrits de Rousseau et de l’abbé
Raynal, constitue certes une matrice de l’anticolonialisme, mais celui-ci se réfère aussi, à
la fin du XVIIIe siècle, à une critique pragmatique du système colonial qui, selon Voltaire,
« dépeuple la métropole », et, d’après les physiocrates, est trop coûteux et affaiblit la puissance continentale de la France.
Du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre
mondiale, il évolue avec la formation de
l’empire colonial français. La critique utilitariste dénonce le « gaspillage de l’or et du
sang » provoqué par les aventures coloniales
en Algérie, en Tunisie et en Indochine. Les
réprobations humanitaires portent surtout sur
les excès des administrateurs et des militaires,
excès qui éclatent au grand jour avec les atrocités commises par la mission Voulet-Chanoine
autour du Niger en 1899. Le pamphlet de
Paul Vigné d’Octon, la Gloire du sabre (1900),
et les révélations de Victor Augagneur, administrateur de Madagascar (Erreurs et brutalités
coloniales, 1905), illustrent cette position, qui
remet en cause les abus coloniaux plus que le
système en tant que tel. En 1914, la légitimité
coloniale n’est contestée que par deux tendances politiques minoritaires : les nationalistes, qui refusent toute diversion des forces
nationales, et l’extrême gauche socialiste et
révolutionnaire, qui dénonce, sur les traces
de Marx et de Hobson, les causes profondes
de la conquête coloniale. Après le congrès de
l’Internationale communiste en 1920, et avec
la guerre du Rif (1924-1926), l’anticolonialisme devient l’un des fondements du militantisme communiste, qui s’illustre, en 1931,
avec l’organisation de la contre-exposition « la
Vérité sur les colonies françaises ».
• Anticolonialisme et décolonisation. Au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
après l’échec des positions réformistes associées à l’esprit de la conférence de Brazzaville,
se développe un anticolonialisme radical,
désormais attaché aux luttes menées par les
autochtones à Madagascar, en Indochine et
dans le Maghreb. Dans les années cinquante,
il ne peut qu’aboutir à la décolonisation, trouvant des justifications parfois opposées. Les
communistes, les jeunes socialistes, les trotskistes et certains catholiques revendiquent
« l’indépendance de droit pour les peuples
colonisés », un thème relayé par des intellectuels tels que Sartre, Merleau-Ponty, Mounier,
Domenach ou Marrou dans une presse de
qualité (les Temps modernes, Esprit et Témoignage chrétien). Quant aux nouveaux anticolonialistes « utilitaristes » et conservateurs,
ils affirment la nécessité économique de se
débarrasser des colonies : « La Corrèze avant
le Zambèze... », proclame le journaliste Raymond Cartier. Selon Jean-Pierre Biondi, avec
la guerre d’Algérie se serait opéré le basculement tardif de l’opinion française dans l’anticolonialisme massif, et amorcée la transition
vers le tiers-mondisme.
antifascisme, courant d’opinion ou mouvement de défense contre le fascisme.
Que la menace d’une montée de la droite totalitaire ait été réelle ou surestimée, l’antifascisme n’en a pas moins largement contribué
à unifier la gauche française dans les années
trente. Rassemblant des démocrates et des
révolutionnaires autour d’un refus, il a évité la
confrontation entre des projets inconciliables.
De ce fait, certains, telle l’historienne Annie
Kriegel, le considèrent comme un piège tendu
par les communistes, tenants d’un totalitarisme de gauche. D’autres remarquent qu’il
répond à un danger manifeste, et que ceux
qui y participent - libéraux, démocrates-chrétiens, socialistes ou libertaires - sont souvent
loin d’entretenir des illusions quant à leurs
alliés staliniens.
Dans les années vingt, il n’est encore guère
question d’antifascisme en France, hormis chez
les réfugiés italiens fuyant le régime de Mussolini. Ceux-ci rencontrent quelque élan de solidarité, mais le fascisme semble une spécificité
transalpine, ne relevant que de la pure politique
étrangère. Si seul le Parti communiste s’affirme
antifasciste, c’est pour mieux dénoncer tout ce
downloadModeText.vue.download 49 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
38
qui n’est pas lui, à commencer par la SFIO. La
situation change après l’arrivée de Hitler au
pouvoir en Allemagne, en 1933. Les réactions
ne sont pas immédiates ; le danger que le nazisme fait peser sur l’URSS conduit cependant
Staline à chercher des rapprochements entre
États et entre partis, sur la base de l’antifascisme. Après le 6 février 1934, un mouvement
spontané de militants de base et d’intellectuels
voulant s’unir contre une menace fasciste en
France se crée. Le risque d’un fascisme français
est sans doute surestimé ; il n’en réveille pas
moins une culture politique commune héritée
de l’école républicaine et de l’affaire Dreyfus. Il
met l’antifascisme à l’ordre du jour et entraîne
l’émergence du Front populaire. Les intellectuels jouent un rôle pionnier, grâce au Comité
de vigilance des intellectuels antifascistes
(CVIA), aux hebdomadaires tels que Vendredi,
d’André Chamson et de Jean Guéhenno, et Marianne, d’Emmanuel Berl, ou encore grâce à la
tenue du Congrès international pour la défense
de la culture. Celui-ci réunit à Paris, en juin
1935, André Gide, Louis Aragon, Romain Rolland, Jules Monnerot, Emmanuel Mounier ou
Victor Marguerite, côté français ; y participent
aussi Bertolt Brecht, Boris Pasternak, Herbert
Marcuse, Tristan Tzara, Robert Musil ou Aldous
Huxley. Mais c’est aussi chez les intellectuels
que les fissures apparaissent le plus vite. La
réalité du régime soviétique que dépeint Gide,
les procès de Moscou, la répression contre les
opposants tel le romancier Victor Serge, divisent les partisans de l’antifascisme ; s’y ajoute
la question du pacifisme, débattue entre ceux
qui en font un principe absolu et ceux qui
prônent la résistance aux dictatures, les premiers étant accusés de travailler pour Hitler,
les seconds pour Staline. La guerre d’Espagne,
au sujet de laquelle deux positions de principe
se font jour (non-intervention, et soutien actif
à la République espagnole), et la marche à la
guerre mondiale donnent au débat une tragique
actualité. Par ailleurs, l’illusion d’une entente
avec l’Italie fasciste contre l’Allemagne nazie
peut faire oublier l’antifascisme. Avant même
l’année 1939, le thème n’est plus fédérateur.
D’ailleurs la guerre, l’Occupation, la Résistance,
ne lui redonnent pas un rôle central, même s’il
est officiellement le ciment de la coalition antihitlérienne : en France, le réflexe national prime
sans doute, y compris chez les communistes
après juin 1941 ; la distinction entre Allemands
et nazis, conférant une dimension idéologique
au combat, émane plutôt des socialistes humanistes et, surtout, de catholiques qui, réunis
autour de Georges Bidault ou de Témoignage
chrétien, continuent leur combat d’avant guerre
contre le racisme et la « statolâtrie » totalitaire.
Après 1945, avec la chute du fascisme et
du nazisme, l’antifascisme peut sembler hors
de propos. Même s’il suscite des élans populaires - contre le putsch des généraux en 1961
ou contre l’OAS -, l’usage abusif que le Parti
communiste a voulu en faire, par exemple
contre le gaullisme, au temps du RPF ou en
1958, a transformé, comme le note l’historien
Pierre Milza, « en simple slogan politique la
référence à une métaphore idéologique qui a
puissamment structuré le combat contre les
dictatures totalitaires ».
antijudaïsme, attitude d’hostilité religieuse à l’égard des juifs.
Leur présence dans les sociétés profondément
croyantes du Moyen Âge et de l’époque moderne a suscité de très nombreuses manifestations d’inimitié, qui ne se sont pas limitées à
la seule controverse doctrinale.
• Positions théoriques et débordements
populaires. Considérant que les juifs doivent
demeurer, au sein de la Chrétienté, le peuple
témoin de la Passion du Christ, l’Église a
cherché à restreindre les contacts entre juifs
et chrétiens. La polémique antijuive se développe dès le haut Moyen Âge : Agobard, archevêque de Lyon dans la première moitié
du VIIIe siècle, et son successeur Amolon critiquent l’activité des juifs dans l’Empire carolingien. Cet antijudaïsme d’origine cléricale ne
cesse de s’exprimer dans de nombreux traités
de polémique (Adversus ou Contra judaeos).
À la fin du XIe siècle, l’antijudaïsme revêt
un caractère plus populaire, et menace parfois
l’existence même des communautés juives. Les
tensions s’exacerbent, favorisées par l’effervescence religieuse de la croisade : en 1096,
à Rouen et à Metz, des croisés en route pour
la Terre sainte attaquent des juifs, assimilés
aux meurtriers du Christ. Des accusations
de meurtres rituels, de profanation d’hostie
(affaire du « miracle de la rue des Billettes »,
Paris, 1290) ou de tout objet du culte chrétien
provoquent des déchaînements populaires.
L’art et la littérature véhiculent des assertions
chimériques au moment où les juifs sont de
plus en plus perçus comme une menace intérieure pour la Chrétienté. L’attitude des autorités oscille entre protection ponctuelle et exclusion. Ainsi, en 1182, Philippe Auguste expulse
les juifs du domaine royal et confisque une
partie de leurs créances (la mesure d’expulsion
sera annulée en 1198). Tout en interdisant les
conversions forcées, l’Église impose aux juifs
le port d’un signe distinctif. En 1240 est organisée, à Paris, une controverse entre juifs et
chrétiens à propos du Talmud, dont tous les
exemplaires sont saisis et brûlés lors du concile
oecuménique du Latran IV (1215), Louis IX
ordonne, en 1269, qu’une rouelle de couleur
jaune identifie les juifs de son royaume ; déjà,
ceux d’Alsace, en terre d’Empire, étaient astreints au port d’un chapeau pointu.
• Expulsions et exclusions. Le XIIIe siècle
marque donc une dégradation rapide des
rapports judéo-chrétiens, d’autant que les
juifs, exclus de nombreuses professions, se
spécialisent fréquemment dans les métiers de
l’argent, ce qui renforce l’hostilité populaire
à leur encontre. Les restrictions concernant
leur résidence se multiplient : interdiction,
à partir de 1276, d’habiter une petite ville ;
obligation de regroupement dans certains
quartiers à Paris (1292 et 1296). En 1289,
les juifs sont chassés de Gascogne, alors possession anglaise ; la même année, une mesure
similaire affecte ceux d’Anjou. En 1306, Philippe le Bel ordonne la première expulsion
générale des juifs du royaume de France,
qui seront néanmoins réadmis, moyennant
finance, en 1315. La communauté juive
continue de cristalliser les haines et les rancoeurs populaires, surtout dans les périodes
de crise : massacres perpétrés par les pastoureaux à Toulouse et dans ses environs (1320) ;
accusation d’empoisonnement des puits avec
la complicité des lépreux à Tours, Chinon et
Bourges (1321) ; tueries en Alsace (1338 et
1347). Toutes ces violences préfigurent celles
des années 1348-1350 : les juifs sont alors
tenus responsables de la grande épidémie de
peste qui ravage l’Occident. En 1394, sous le
règne de Charles VI, tous les juifs sont finalement exclus du royaume. Leur absence quasi
générale en France pendant de nombreuses
décennies ne met pas un terme, cependant,
aux accusations antijuives, qui se nourrissent
d’elles-mêmes durant toute l’époque moderne, comme en témoigne l’article « Juifs »
du Dictionnaire philosophique (1764) de Voltaire. Bien des thèmes de l’antisémitisme
contemporain trouvent leurs racines dans
l’antijudaïsme ancien.
Antilles françaises, ensemble des possessions françaises de la mer des Caraïbes,
aujourd’hui réduites aux départements de la
Guadeloupe et de la Martinique.
Les débuts de la présence française dans les
Petites Antilles remontent à la première moitié
du XVIIe siècle : des huguenots sont à l’origine
d’un premier établissement à Saint-Christophe (Saint Kitts) en 1625, puis, le 31 octobre 1626, Belain d’Esnambuc fonde la Com-
pagnie de Saint-Christophe. En 1635, il prend
possession de la Martinique, tandis que Duplessis et Liénart de L’Olive s’emparent de la
Guadeloupe. D’autres établissements suivent :
la Dominique et Sainte-Croix (1640), SainteLucie (1642), Marie-Galante (1648), la Grenade (1650), etc., érigées en fiefs au profit de
seigneurs, et notamment de l’ordre de Malte.
Fondée par Colbert en 1664, la Compagnie
des Indes occidentales rachète la plupart de
ces îles à leurs seigneurs particuliers. Après
la faillite de la Compagnie (1674), elles sont
rattachées à la couronne, et des gouverneurs
prennent l’administration en main au nom du
roi. Tobago est prise aux Hollandais en 1677,
et la partie occidentale de Saint-Domingue est
cédée par les Espagnols en 1697.
Les Caraïbes, qui forment le peuplement
autochtone, sont soit exterminés, soit déportés sur des îles voisines. Ainsi, les derniers
Caraïbes de la Guadeloupe sont expulsés en
1658, et un traité du 31 mars 1660 (la Paix
caraïbe) leur octroie la possibilité de s’établir
dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent, qui deviennent en quelque sorte des
réserves de peuplement.
L’économie de plantation sucrière se développe très tôt, ainsi que la production d’épices.
De 1639 à 1660, le commandeur de Poincy
fait de Saint-Christophe un établissement
particulièrement florissant. Dans d’autres îles,
les débuts du peuplement colonial sont assez
lents. Une culture originale créole se constitue
peu à peu parmi ces « Français des îles ».
Au XVIIIe siècle, la traite négrière donne
lieu à une immigration massive d’esclaves en
provenance du continent africain : à la Grenade, qui ne comptait en 1715 que 250 colons et 500 esclaves, on dénombre, en 1763,
700 Blancs et 18 000 Noirs. Il en résulte un
important essor de la production sucrière,
des exportations de coton, de café, de tabac
et d’indigo...
downloadModeText.vue.download 50 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
39
En 1713, le traité d’Utrecht attribue SaintChristophe à l’Angleterre et confère le statut
d’« îles neutres » à certaines Petites Antilles
françaises : Dominique, Grenade, Grenadines,
Sainte-Croix, Sainte-Lucie, Saint-Vincent, Tobago. Celles-ci sont démilitarisées tout en restant françaises et deviennent d’actifs repaires
de contrebandiers américains (smugglers). Le
contrôle de Sainte-Lucie donne lieu à quelques
litiges, arbitrés par la Commission des limites
créée par le traité d’Utrecht. En 1750, Louis XV
envisage de céder les îles neutres à son allié
Frédéric II de Prusse. En 1763, le traité de
Paris attribue l’ensemble de ces îles (environ
30 000 habitants) à l’Angleterre, à l’exception
de Sainte-Lucie, laissée à la France, qui la perd
cependant de nouveau au profit des Anglais
en 1774. Le traité de Versailles (1783) restitue
Tobago et Sainte-Lucie à la France.
Dès le début des guerres de la Révolution,
les Petites Antilles sont occupées par les Anglais : la paix d’Amiens (mars 1802) rend à la
France la Martinique, la Guadeloupe, SainteLucie et Tobago, mais toutes ces îles sont
reprises pendant les guerres napoléoniennes.
Les traités de Paris (1814 et 1815) ne laissent
à la France que la Martinique et la Guadeloupe avec ses dépendances. Saint-Domingue,
en principe rétrocédée, était, en fait, perdue.
antimilitarisme, refus absolu de l’armée (c’est alors une des formes du pacifisme)
ou critique de l’institution militaire comme
instrument de classe et/ou comme école de
tous les vices.
Dans un pays où les rapports étroits entre l’armée et la nation relèvent du mythe fondateur,
l’antimilitarisme vise davantage les assises de
l’ordre social qu’il ne le fait dans le monde
anglo-saxon, traversé d’attitudes religieuses et
éthiques hostiles à l’usage des armes.
Au début du siècle, le mouvement le plus
opposé à l’ordre social, la CGT, affiche son
rejet de l’institution militaire dans des discours variés, plus ou moins radicaux, plus
ou moins proches de l’antipatriotisme. C’est
un groupe plus marginal, non sans liens avec
elle, qui fait de l’antimilitarisme l’axe de son
action : l’Association internationale antimilitariste (AIA, branche française). La mobilisation de la nation en 1914-1918 laisse cependant peu de place au discours antimilitariste.
L’après-guerre célèbre l’armée de la victoire,
même si la mémoire des souffrances légitime
la critique de la guerre : nombre d’anciens
combattants dénoncent « la forme militaire
d’exercice de l’autorité » (Antoine Prost) qu’ils
ont connue dans les tranchées, jugée responsable de morts inutiles. Néanmoins, dans
les années vingt, c’est encore la formation
politique la plus radicale - le Parti communiste - qui incarne l’antimilitarisme. L’armée,
symbole et appareil de la classe bourgeoise
dominante, fait l’objet de campagnes de dé-
nonciation jusqu’au tournant du Front populaire. Dans l’entre-deux-guerres s’affirme,
par ailleurs, un courant, en partie héritier de
l’AIA, qui prône l’objection de conscience
- refus de servir son pays par les armes -, alors
assimilé par les tribunaux militaires à la désertion ou à l’insoumission. La Résistance, puis la
Libération rendent moins légitime la critique
de l’armée.
Mais, pendant la guerre d’Algérie, l’armée
se voit de nouveau mise en cause, surtout à
gauche, pour ses méthodes de guerre (emploi de la torture), mais aussi parce qu’elle
est perçue comme une menace pour la démocratie. Plus généralement, l’anticolonialisme
sert alors de ferment à l’antimilitarisme et
à l’insoumission. Le conflit algérien relance
d’ailleurs les revendications en faveur de la
reconnaissance légale de l’objection : c’est un
« spécialiste » de l’antimilitarisme, actif dès
avant 1914, Louis Lecoin, qui mène la campagne aboutissant au vote de la loi de 1963
qui reconnaît un statut aux objecteurs.
Sur le plan politique, l’antimilitarisme est
soumis aux aléas du fait militaire (guerres, politiques gouvernementales en matière d’armement et de conscription...) et reste dépendant
des stratégies politiques globales de ceux qui
le promeuvent. Sur le plan culturel, l’antimilitarisme dispose d’une sorte d’autonomie :
la culture véhicule aisément la charge symbolique de ce combat, depuis les pièces de
théâtre du début du siècle (le Bétail, de Victor
Méric, animateur de l’AIA) jusqu’au Festival
du cinéma antimilitariste organisé aujourd’hui
par l’Alternative libertaire.
antiparlementarisme, mouvement
d’opinion dirigé contre le système parlementaire et couramment associé à la droite nationaliste.
Cependant, le discours antiparlementaire a pu
être utilisé par une partie de l’extrême gauche
pour attaquer le pouvoir bourgeois, et par la
droite classique pour imposer le renforcement
de l’exécutif.
• Le fruit de la grande dépression et du
nationalisme. Dès le milieu du XIXe siècle,
l’institution parlementaire fait l’objet de critiques. Ainsi, la théorie proudhonienne de
la démocratie fédérative s’oppose-t-elle à la
délégation de pouvoirs, et le bonapartisme
s’en prend-il à une Assemblée jugée incapable
d’assurer la cohésion nationale. Mais l’attachement aux mécanismes constitutionnels depuis
1789 et les luttes pour l’obtention du suffrage
universel (1848) empêchent la naissance d’un
véritable mouvement antiparlementaire. Celui-ci date de la grande dépression des années
1880, qui, en France, se double d’une crise
politique avivée par l’esprit de revanche contre
l’Allemagne et par le boulangisme. En ces
temps difficiles, les scandales tels que le « trafic des décorations » (1887) semblent insupportables. L’hostilité envers les « voleurs » est
récupérée par le général Boulanger, qui fédère
les déçus de la « République opportuniste ».
Selon lui, la veulerie et l’égoïsme des élus les
rendent incapables de défendre les intérêts de
la nation humiliée par la défaite. Ce nationalpopulisme donne naissance à une extrême
droite qui théorise le refus de la république
parlementaire en exploitant le scandale de Panamá et les remous de l’affaire Dreyfus. À partir de 1900, Charles Maurras en vient à préconiser une monarchie qui serait l’expression du
« nationalisme intégral » et correspondrait au
tempérament « poignard » des Français.
À l’extrême gauche, les difficultés économiques et le souvenir de l’attitude du Parlement versaillais en 1871 alimentent un
courant, à dominante anarchiste, hostile au
parlementarisme bourgeois. La bombe lancée par Auguste Vaillant en pleine séance
de la Chambre des députés, le 9 décembre
1893, en est une manifestation spectaculaire.
• L’apogée des années trente. Après sa
naissance, au congrès de Tours, et dans le
cadre de sa stratégie « classe contre classe », le
Parti communiste est tenté par la récupération
de cet héritage. Mais sa participation à toutes
les grandes élections et l’attachement de son
électorat au système républicain l’empêchent
de donner une forme achevée à ces velléités,
comme le confirme en 1934 le tournant qui
mènera au Front populaire.
C’est à droite que l’antiparlementarisme se
renforce. Les Ligues en font leur thème favori.
Le 6 février 1934 leur offre l’occasion de manifester leur mépris à l’égard des élus, jugés
complices de l’affairiste Stavisky. Le gros de
leurs troupes, issu des catégories moyennes
victimes de la crise, vise non pas au renversement du régime mais à l’installation d’un gouvernement plus énergique. C’est également le
souci d’André Tardieu, principal dirigeant de
la droite après la mort de Raymond Poincaré :
il entend rénover les institutions en renforçant
l’exécutif. Le gouvernement de Vichy réalise la
synthèse entre ces deux courants en instaurant
l’État français.
• Un irrésistible déclin ? Depuis un demisiècle, l’antiparlementarisme revêt des formes
moins virulentes. À l’époque du RPF, la critique
gaullienne du régime des partis se nourrit des
rancoeurs contre la IVe République sans être
pour autant une dénonciation systématique
du Parlement. Le poujadisme, expression de
l’inquiétude des petits producteurs et commerçants face aux restructurations de la croissance,
reprend dès 1953 certains des slogans d’avant
guerre. Mais, d’essence provinciale, il dénonce
plutôt le technocratisme parisien en réclamant
un Parlement mieux à l’écoute de la France
profonde. Sous la Ve République, la pratique
institutionnelle introduit la prééminence de
l’exécutif sur le pouvoir législatif. Dès lors, le
Parlement ne peut plus servir de bouc émissaire
aux contestataires. Cependant, la crise de la fin
du XXe siècle, avec la montée de l’extrême droite
et la multiplication des « affaires », provoque
l’érosion du crédit des hommes politiques et des
partis. Même si l’on n’observe pas de résurgence
directe de l’antiparlementarisme, le mythe du
pouvoir fort, son corollaire, refait surface.
Antiquité, une des quatre périodes de
l’histoire, qui précède le Moyen Âge, l’époque
moderne et l’époque contemporaine.
L’Antiquité recouvre les trois millénaires qui
s’étendent de l’apparition de l’écriture et des
premières grandes civilisations à une date
« fatidique » : 476, année au cours de laquelle fut déposé le dernier empereur romain
d’Occident, et la plus couramment retenue.
De façon plus restrictive, le terme désigne la
civilisation gréco-romaine.
La représentation qu’une société se donne
de son propre passé est une force agissante
dans la vie de cette société, l’histoire étant à
la fois véhicule d’identité et pourvoyeuse de
modèles toujours réinterprétés. La vision de
downloadModeText.vue.download 51 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
40
l’Antiquité a donc été prégnante dans l’histoire de France, sur le plan politique comme
sur le plan culturel.
• Fascination et répulsion au Moyen Âge.
Au Moyen Âge, la vision du passé romain a
été ambigüe, mêlant surévaluation politique et
culturelle de la romanité et rejet du paganisme
antique. Fondamentalement, c’est la percep-
tion d’une continuité qui domine, notamment
dans le domaine idéologique, avec la renovatio
imperii carolingienne. Les rituels et l’imagerie
politiques mis en place sont largement inspirés
des usages de Constantinople, héritière directe
de l’Empire de l’Antiquité tardive. Au-delà de
la faillite du rêve impérial, relevé plus tard par
la dynastie allemande des Staufen, l’Empire romain s’est imposé à la France comme la source
unique et excellente du droit. Le droit romain,
remis à l’honneur sous la protection de Frédéric Ier Barberousse à l’université de Bologne
(milieu du XIIe siècle), se diffuse en France à
partir du XIIIe siècle. Réinterprété par les légistes, il a servi de fondement à la construction de l’État monarchique et de l’idéologie
du roi « empereur en son royaume ». Dans
le domaine culturel, le Moyen Âge s’est fait le
conservateur de l’héritage antique. Les textes
anciens, recopiés dans les monastères, servent
à l’apprentissage de la langue, de la grammaire
et de la versification latines. Mais aux formes
du passé sont assignées des fonctions nouvelles : ainsi, la mythologie véhiculée par les
Métamorphoses d’Ovide est-elle « moralisée »,
c’est-à-dire interprétée en fonction d’un horizon culturel différent de celui de l’auteur. Les
philosophes antiques (Aristote et Cicéron, les
premiers) sont, pour les scolastiques, des auteurs dont l’autorité est égale à celle des Pères
de l’Église.
D’une certaine manière, les hommes du
Moyen Âge ont une perception ambivalente
du passé : le sentiment d’appartenir à la même
histoire que ceux de l’Antiquité se conjugue
avec la conscience d’une « distance ». Les
monuments antiques, témoins de l’ancien
paganisme, sont souvent réemployés, tels le
temple d’Auguste et de Livie à Vienne, devenu
l’église Notre-Dame-de-la-Vie, ou l’amphithéâtre de Nîmes abritant un quartier d’habitation. Ils servent également de carrière pour
les nouvelles constructions. Certaines ruines
sont porteuses de légende et se voient prêter
une aura magique, témoignage du mélange
de crainte et d’admiration qu’elles inspirent.
• L’Antiquité devient un concept historique autonome. L’Italie du quattrocento initie un retour à l’antique, tant dans l’architecture
et la peinture qu’en découvrant la philologie.
Les lettrés de l’époque ont la nette impression
de rompre avec les siècles qui les ont directement précédés et ont la ferme volonté de remonter à la source gréco-latine. L’intérêt pour
les monuments de l’Antiquité grandit aux XVIe et
XVIIe siècles : apparaissent alors les antiquaires,
hommes de lettres et de goût collectionnant
objets antiques et gravures de monuments.
Les érudits se penchent sur ces témoignages
du passé, qui illustrent ou éclairent d’un jour
nouveau les récits de Tite-Live. Ce goût de
l’antique incite artistes et honnêtes hommes
à entreprendre des voyages vers l’Italie et
Rome. L’Antiquité est, à l’époque moderne, la
référence en matière de règles du bon goût et
de normes artistiques. L’idéologie mimétique
du classicisme français trouve un fondement
solide dans la Poétique d’Aristote et dans l’Art
poétique d’Horace. Le XVIIIe siècle voit l’apparition d’une archéologie systématique - à défaut
d’être encore totalement scientifique - avec la
mise au jour d’Herculanum (1713), de Pompéi
(1746) et de Paestum (1748) ; ces découvertes
rejaillissent par ailleurs sur la création artistique
en donnant son impulsion au néoclassicisme
franco-italien. L’Antiquité devient non seulement objet d’études, mais aussi patrimoine à
protéger. Si François Ier a eu, selon la légende, le
projet de réhabiliter l’amphithéâtre de Nîmes, si
Colbert a dépêché Girardon puis Mignard dans
cette même ville pour faire des relevés précis
de la Maison carrée, il faut attendre le règne de
Louis XVI pour que la restauration des monuments romains soit entreprise. Interrompus
pendant la Révolution, les travaux reprennent
en 1805 : le dégagement de l’amphithéâtre de
Nîmes, commencé en 1811, est achevé une cinquantaine d’années plus tard. Politiquement,
la légende troyenne continue au XVIIIe siècle
de fonctionner comme un des mythes fondateurs de la royauté française. Mais ce sont les
révolutionnaires qui redonnent aux figures des
héros de la République romaine tout leur éclat
- et, en premier lieu, à Brutus, à qui Jacques
Louis David consacre un tableau (1789). Si
l’Antiquité romaine a fourni les cadres de la
construction de l’État royal, la Rome républicaine et Sparte sont revendiquées comme de
prestigieux modèles par les révolutionnaires.
Après le premier Empire, l’Antiquité perd
de sa force structurante. Les batailles religieuses (or, l’Antiquité n’est pas chrétienne),
la montée du nationalisme et l’honneur
rendu aux « ancêtres » Gaulois, plutôt qu’aux
Romains, rendent la lecture de l’histoire ancienne moins agissante dans le domaine politique. Si, esthétiquement, les formes antiques
peuvent encore être une référence, elles sont
concurrencées par d’autres, notamment le
néogothique. En outre, l’idée d’une norme
absolue du beau, qui serait à rechercher dans
l’art classique, tend à laisser la place à la liberté créatrice issue du romantisme. L’Antiquité, qui survit cependant sous la forme des
humanités, entre alors dans l’âge de raison
- celui du passé définitivement révolu.
Antiquité tardive, expression popularisée en France par l’historien Henri-Irénée
Marrou dans son ouvrage Décadence romaine
ou Antiquité tardive ? IIIe-VIe siècle (1977) pour
désigner la période comprise entre la crise de
l’empire romain au IIIe siècle (235-284) et l’installation des royaumes barbares au VIe siècle.
Cette dénomination correspond à un nouveau
regard historiographique.
Pendant longtemps, depuis les écrits des humanistes italiens Leonardo Bruni (1441) et Flavio Biondo (1453), cette période a été considérée comme une phase de dégénérescence. On
évoque alors pour argument l’évolution de l’art
vers le gigantisme et le hiératisme à partir de
l’époque des Sévères, un style en rupture avec
les canons de la beauté classique. Cette vision
négative perdure au XVIIIe siècle, notamment
dans l’ouvrage de l’Anglais Edward Gibbon,
Decline and Fall of the Roman Empire (17761788), d’inspiration voltairienne, qui voit dans
le triomphe du christianisme l’une des causes
du déclin. Avec le romantisme au XIXe siècle,
le Moyen Âge est « réhabilité », mais la vision
qui en est proposée est largement poétique et
mythique. Il faut donc attendre le XXe siècle
pour que la créativité des IVe et Ve siècles soit
considérée comme l’expression de la vitalité
d’une société en mutation.
• Les caractères généraux de la société
gallo-romaine du IIIe au VIe siècle. Dans les
régions frontalières de l’Empire, l’armée a été
un vecteur fondamental des transformations
politiques et sociales. Les soldats ont été des
agents de la romanisation aux Ier et IIe siècles ;
dès le début du IIIe siècle, en revanche, ils sont
originaires de la région de leur poste. À partir
du IVe siècle, le métier des armes, comme tous
les autres, devient héréditaire. L’armée accentue
la tendance au particularisme local, qui, à partir du IIIe siècle, commence à battre en brèche
le centralisme impérial. Ce phénomène est
encore accru par la présence de nombreuses
unités d’origine barbare. Par ailleurs, le poids de
l’armée sur les finances va croissant à partir du
IIe siècle. L’augmentation de la solde est l’un des
moyens dont dispose l’empereur pour s’assurer la fidélité des armées du limes. Ce phénomène induit une incontestable prospérité dans
ces régions. Mais, pour faire face aux besoins
de financement de l’armée, les impôts s’alourdissent ; la création de l’annone, sous Dioclétien
(284/305), a de graves conséquences : l’impossibilité de s’acquitter de cet impôt incite certains propriétaires à fuir leurs domaines, pour
devenir de simples locataires de terres, ou à se
lancer dans des révoltes armées. La pression
fiscale suscite également une désaffection des
élites pour les magistratures publiques des cités
(ordo decurionum), car ces charges impliquent
la responsabilité fiscale de la communauté.
L’épiscopat, qui devient le sommet du cursus
honorum, reste la seule fonction prisée de la
classe sénatoriale. L’évêque assume la charge
de défenseur de la cité. Les Barbares, nombreux
dans l’Empire et installés comme lètes sur des
terres laissées en friche ou en tant que peuples
fédérés, ont également un rôle décisif dans la
mutation de la société. Certains d’entre eux
occupent des places de premier plan en Gaule,
au IVe siècle : Arbogast, Bauto ou Richomer.
Pour l’aristocratie foncière, ils peuvent constituer une menace (quand ils joignent leurs forces
à celles de l’empereur de Constantinople, qui
lutte contre les privilèges - exemption fiscale,
surtout). À l’inverse, ils peuvent être des alliés
contre un pouvoir central jugé trop fort.
Ces caractéristiques (provincialisation, militarisation, poids de l’impôt, « barbarisation »
de l’armée) donnent l’image d’une société
dans laquelle les rapports sociaux sont devenus durs, et les inégalités fortement marquées.
Dans ce cadre, l’idée d’empire ne s’associe plus
à la figure de l’empereur, lequel ne représente
dès lors qu’une des forces en présence : pour
les élites, l’appartenance à la romanité n’est
qu’un simple attachement à la culture latine.
Ainsi s’explique la relative facilité avec laquelle
s’accomplit l’installation des royaumes barbares.
downloadModeText.vue.download 52 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
41
antisémitisme. À la différence de l’antijudaïsme médiéval, qui s’appuie sur une tradition religieuse, l’antisémitisme moderne
– le terme (1879) est dû à l’Allemand Wilhelm
Marr – se manifeste au XIXe siècle sous la
forme d’une idéologie laïque ; son développement accompagne celui du sentiment national.
L’écho, en France, de l’affaire de Damas
(1840) – une accusation de meurtres rituels
dont un moine capucin et son domestique
auraient été victimes – pèse sur des juifs, ainsi
que les récurrences fréquentes du thème du
« complot juif » dans la presse catholique
attestent, cependant, la persistance d’une dimension religieuse dans cet avatar de la haine
du juif.
Avec la révolution industrielle se cristallise
la dimension économique de l’antisémitisme
moderne, et ce, sous l’impulsion des socialistes utopistes, en particulier Charles Fourier,
Alphonse Toussenel, qui remporte un succès
notable en publiant les Juifs, rois de l’époque
(1844), ou encore Pierre Joseph Proudhon.
Dans leur défense du peuple contre la menace
capitaliste, le banquier juif - symbolisé par les
Rothschild - est diabolisé. Ces deux dimensions
se conjuguent aux théories racistes, alors en
pleine expansion, pour culminer avec le mythe
du juif dominateur, tel qu’il est décrit dans la
France juive d’Édouard Drumont (1886), le
premier best-seller de l’antisémitisme en France
(la 200e édition paraît en 1914). Sous la plume
de Drumont, le juif, identifié avec les forces
qui ont promu la République, devient le symbole de l’« anti-France » ; d’où une pratique
militante qui prend une certaine ampleur, sans
pour autant rallier les foules. Système d’explication à prétention universelle, l’antisémitisme
en tant qu’arme politique donne sa pleine
mesure durant l’affaire Dreyfus, au terme de laquelle la défense des juifs finit par se confondre
avec celle de la République. Au lendemain de
la Première Guerre mondiale, on assiste à un
déclin de l’antisémitisme, consécutif à l’« union
sacrée », et dû notamment à l’influence modératrice de l’Église, tandis que la France, en
mal de main-d’oeuvre, ouvre largement ses
frontières à l’immigration. Cependant, la crise
économique des années trente entraîne dans
son sillage un regain de xénophobie antisémite.
• Les années noires de l’antisémitisme
triomphant. Alors que les juifs ne constituent
qu’une infime minorité parmi les étrangers, ils
en viennent à représenter, sous la plume des
antisémites, la quintessence même de l’étranger.
Des affaires savamment orchestrées, qui mêlent
des doctrines anciennes à une actualité sociopolitique agitée (affaire Stavisky, 1933 ; assassinat,
le 7 novembre 1938, à l’ambassade d’Allemagne
à Paris, d’Ernst von Rath, par Herschel Grynszpan, un juif polonais immigré d’Allemagne),
alimentent une presse antisémite qui ne compte
pas moins de 47 titres, et que relaient partis
et ligues d’extrême droite (le Parti populaire
français, le Rassemblement antijuif de France).
L’exacerbation des tensions avec l’Allemagne
hitlérienne transforme le juif dans l’imaginaire
antisémite : tantôt va-t-en-guerre menaçant
d’entraîner la France dans un conflit qui ne la
concerne pas, tantôt cinquième colonne potentielle dans le conflit qui s’annonce.
La défaite porte au pouvoir les chantres
de l’antisémitisme, dont l’idéologie offre une
grille d’interprétation commode pour expliquer l’ampleur du désastre. À Vichy, un
antisémitisme d’État se met en place. Dès
l’automne 1940 (le processus s’accentue après
juin 1941), les juifs sont recensés, fichés,
exclus d’un nombre grandissant de professions ; leurs biens sont « aryanisés ». En zone
sud, les préfets internent jusqu’à 40 000 juifs
étrangers. À partir de l’été 1942, l’infrastructure ainsi déployée et la politique de collaboration menée par le gouvernement français
contribuent à l’application de la « solution
finale » en France.
• Vers le reflux ? La libération du territoire
français et l’abolition de la législation antisémite ne signifient pas pour autant la disparition d’un antisémitisme à caractère populaire,
économique et xénophobe, attisé par ceux
qui avaient profité de la spoliation des juifs.
Pourtant, l’expression publique de sentiments
antisémites devient taboue ; l’antisémitisme
- apanage d’une droite déconsidérée par les
années Vichy, puis marginalisée à nouveau
après la guerre d’Algérie - cesse ainsi de
constituer une force politique en France, malgré la subsistance de quelques vagues d’agressions antisémites : une série d’attaques lors du
bref passage de Pierre Mendès France à la présidence du Conseil (1954-1955), une vague
de graffitis et d’incendies criminels (19591960) et l’affaire de la rumeur d’Orléans, en
mai 1969.
Quand, le 29 novembre 1967, le général
de Gaulle, alors président de la République,
qualifie les juifs de « peuple d’élite, sûr de luimême et dominateur » lors d’une conférence
de presse, il brise le tabou. Dès lors, l’antisionisme idéologique, en essor depuis la guerre
des Six Jours, devient le prétexte à des dérives
antisémites qui, cette fois, n’épargnent pas une
partie de la gauche politique et qui atteignent
leur apogée durant la guerre du Liban, en juin
1982. Dans le même temps, un nouvel avatar
de l’antisémitisme s’exprime à travers les thèses
négationnistes développées par Robert Faurisson (Défense de l’Occident, 1978). Reprenant
une thèse avancée par Paul Rassinier à la fin des
années quarante, Faurisson nie l’existence des
chambres à gaz. Une fraction de l’ultragauche,
renouant avec l’antisémitisme de certains
socialistes prémarxistes, se fait l’écho de ces
thèses. Elles alimentent également le discours
d’une extrême droite qui, depuis le début des
années quatre-vingt, a connu un nouvel élan
sous l’égide du Front national, et n’hésite pas à
reprendre à mots couverts les thèmes consacrés
du discours antijuif. Politiquement marginal,
condamné par la loi (loi Pleven du 1er juillet
1972 et loi Gayssot du 13 juillet 1990), l’antisémitisme contemporain semble, cependant,
avoir une emprise moindre sur l’opinion pu-
blique française.
Toutefois, les attitudes antisémites paraissent connaître une recrudescence certaine
liée en grande partie à l’évolution de la situation au Proche-Orient : profanations de cimetières, déclarations offensantes, injures, voire
actes de violence…
Antraigues (Emmanuel Henri Louis
Alexandre de Launay, comte d’), homme politique et agent de renseignement (Montpellier,
Hérault, 1753 - Barnes Terrace, Angleterre,
1812).
Rendu populaire par la publication, en 1788,
d’un Mémoire sur les états généraux qui stigmatise le despotisme, il est élu député de la
noblesse du Vivarais en 1789. Cependant, aux
États généraux comme à la Constituante, il
se montre royaliste intransigeant, partisan de
l’absolutisme royal et de la résistance à la Révolution. Compromis dans la conspiration de
Favras, il émigre en Suisse dès février 1790,
publie des pamphlets et vend ses services à
l’Espagne, puis, après le déclenchement de la
guerre (1792), à l’Europe coalisée contre la
France, ainsi qu’à Louis XVIII. Entre 1790 et
1812, il met sur pied des réseaux de renseignement et rédige lui-même des notes de synthèse, plus partisanes que soucieuses d’exactitude. N’hésitant pas à inventer ou à produire
de faux documents, Antraigues cherche à
persuader les puissances étrangères, qu’il
exhorte au combat, de la possibilité de rétablir la monarchie absolue en France. Arrêté
en Italie par l’armée française en 1797, il fournit à Bonaparte - qui le libère - les preuves
de la trahison de Pichegru, qui permettent le
coup d’État du 18 fructidor an V contre les
royalistes. S’il se brouille avec Louis XVIII, il
continue, en revanche, de rédiger ses rapports
pour l’Autriche, la Russie et l’Angleterre, où il
s’installe en 1806. C’est dans ce pays que lui
et sa femme sont assassinés, dans des circonstances restées mystérieuses.
antrustions, guerriers appartenant à la
garde personelle du roi franc.
En tant que familiers du roi, ils forment
l’élite guerrière de ses fidèles (sa « truste »)
et engagent leur vie à le servir. Ils lui sont
liés personnellement par un serment de foi
et de fidélité, qu’ils prêtent en joignant leurs
mains entre celles de leur souverain. Cette
cérémonie d’immixtio manuum, proche de la
recommandation vassalique dans sa forme,
s’en éloigne par le sens, car elle marque un
engagement unilatéral, qui n’oblige donc pas
le roi de manière contractuelle. La loi salique
leur accorde une importance particulière en
attachant à leur sang le prix très élevé de trois
fois le wergeld (réparation pécuniaire proportionnelle au délit commis) d’un Franc libre.
Rarement mentionnée dans les textes, la qualité d’antrustion s’estompe au profit de celle
de leudes. Membres de l’aristocratie intégrés à
la truste royale par un serment appelé du mot
germanique leudesamium, ceux-ci reçoivent
du souverain des gratifications, afin d’ancrer
plus profondément la fidélité promise. La présence des leudes donne donc au pouvoir du
roi une assise plus solide. C’est pourquoi, lors
des partages successoraux du royaume, les
héritiers se les disputent, quoique la tradition
interdise ces pratiques. Le pacte d’Andelot,
conclu entre Gontran et Childebert II, fils de
Clotaire Ier, en 587, dénonce ainsi sévèrement
cette trahison des leudes.
downloadModeText.vue.download 53 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
42
Anzin (Compagnie d’), société par actions
fondée en 1757 pour exploiter le bassin houiller d’Anzin (Nord), découvert en 1734.
La société, qui reçut une concession royale
pour l’exploitation des mines, devient vite
l’un des fleurons du nouveau capitalisme.
Grâce à une gestion rigoureuse, à une division
poussée des tâches et à d’importants investissements, la compagnie produit, à la veille de
la Révolution, la moitié de la houille française
(soit 350 000 tonnes environ) ; elle emploie
4 000 ouvriers et dégage des profits vertigineux pour l’époque.
La Révolution trouble les destinées de la
compagnie, qui ne retrouve sa pleine activité
que sous l’Empire, période du plus grand
essor. La prospérité se maintient durant
toute la première moitié du XIXe siècle, dans
le cadre d’un développement industriel régional dominé par le textile et l’industrie sucrière
jusqu’aux années 1840, puis par l’extraction
houillère elle-même. La banque d’affaires
fondée par les frères Perier prend le contrôle
d’une partie du capital. La compagnie représente alors 90 % de la production houillère
du Nord. Mais cette suprématie est de plus
en plus contestée dans la seconde moitié
du XIXe siècle, à la suite de la découverte des
mines du Pas-de-Calais et du développement
de compagnies plus modestes. Après la destruction de ses installations pendant la Pre-
mière Guerre mondiale, la compagnie connaît
des difficultés dans l’entre-deux-guerres. Elle
est nationalisée en décembre 1944 dans le
cadre des Houillères du Nord et du Pas-deCalais. Elle reste l’un des symboles du capitalisme minier français du XIXe siècle.
A-OF ! Afrique-Occidentale
française
août 1789 (nuit du 4), séance nocturne de
l’Assemblée nationale constituante au cours
de laquelle fut proclamée l’abolition des privilèges.
Cette nuit est demeurée la plus emblématique
d’une Révolution qui accomplit la grande
quête de l’égalité, dans un mouvement indissociable d’émotion et de raison. La Grande
Peur suscitée par le mouvement anti-seigneurial et les récits alarmistes qui en parviennent
à l’Assemblée a été conjurée par une proposition de transformation radicale des bases
sociales de l’Ancien Régime dans le sens d’un
intérêt bien calculé des propriétaires, ainsi
que par l’enthousiasme patriotique.
« Par des lettres de toutes les provinces, il
paraît que les propriétés, de quelque nature
qu’elles soient, sont la proie du plus coupable
brigandage ; de tous les côtés, les châteaux
sont brûlés, les couvents sont détruits, les
fermes, abandonnées au pillage. » Le soir du
3 août, face à ce tableau désastreux, l’Assemblée prétend réaffirmer l’inviolabilité des propriétés. Des nobles libéraux et des députés
bourgeois se réunissent alors au café Amaury,
point de ralliement du Club breton (futur
Club des jacobins), et décident d’une initiative parlementaire. Pour contenir le mouvement paysan, il convient d’entendre les justes
raisons de sa colère. Le vicomte de Noailles et
le duc d’Aiguillon doivent prendre la parole
et proclamer la nécessité de l’égalité devant
l’impôt, l’abolition des corvées, mainmortes
et servitudes personnelles sans rachat, ainsi
que le rachat des autres droits féodaux. Ils
renoncent eux-mêmes à leurs privilèges,
ouvrant la voie à un mouvement d’enthousiasme. Sont supprimés en cascade les justices
seigneuriales, le droit exclusif de chasse, les
dîmes, les casuels des curés, la pluralité des
bénéfices, la vénalité des offices, les privilèges
des villes et provinces. Les jurandes sont aussi
réformées. Mais, lorsque La Rochefoucauld
d’Enville propose d’abolir l’esclavage, son idée
n’est pas retenue.
La nuit du 4 août 1789 est l’aboutissement
du mouvement de contestation du régime féodal. L’Ancien Régime social est aboli de fait :
on ouvre ainsi la voie à la liberté de chacun
dans l’unité nationale. Mais, en séparant les
propriétés féodales et les propriétés bourgeoises, en déclarant rachetable une partie
des droits seigneuriaux, en affirmant qu’on
ne peut abuser du droit de propriété, on
déclenche aussi une « guerre des intérêts »
(A. Young), qui peut désormais se déchaîner.
août 1792 (journée du 10), insurrection
parisienne qui provoqua la chute de la monarchie.
Si la fuite à Varennes en 1791 marque la
rupture entre Louis XVI et la Révolution, la
guerre, déclarée en avril 1792, met un terme
au compromis entre une partie de la bourgeoisie et la monarchie. L’opposition du roi
aux décrets de l’Assemblée nationale, l’échec
de la journée du 20 juin, l’offensive austroprussienne et la « patrie en danger » exacerbent le sentiment patriotique et alimentent
le courant républicain. En juillet, l’agitation,
entretenue par les jacobins et les cordeliers,
est vive dans les sections parisiennes et parmi
les fédérés des départements, venus à Paris
pour le 14 juillet. Tandis que l’on réclame la
déchéance du roi et la réunion d’une convention pour rédiger une nouvelle Constitution,
le renversement de la monarchie se prépare au
sein d’un comité insurrectionnel regroupant
fédérés et patriotes. Le manifeste du duc de
Brunswick (25 juillet 1792), chef des armées
coalisées, qui menace de livrer « la ville de
Paris à une exécution militaire » s’il est fait
« la moindre violence » à la famille royale,
met le feu aux poudres. Le 3 août, les sections
demandent en vain à l’Assemblée nationale
de décréter la déchéance du roi, puis, le 4,
annoncent l’insurrection pour le 9 à minuit.
Mais l’Assemblée laisse faire le mouvement
populaire, parfaitement organisé. Lorsque le
tocsin sonne à l’aube du 10 août, la commune
de Paris, quartier général des insurgés, dirige
les opérations, tandis que Louis XVI se réfugie
à l’Assemblée, sans laisser de consignes aux
défenseurs du Château. Alors que la Garde
nationale fait défection ou se rallie à l’insurrection, les premiers bataillons des faubourgs
et les fédérés arrivés aux Tuileries croient à
une fraternisation avec les gardes suisses, mais
ceux-ci déclenchent une fusillade particulièrement meurtrière. D’abord repoussés, les
insurgés sortent finalement victorieux et massacrent les suisses, accusés de traîtrise. L’ordre
intimé par le roi de cesser le feu n’arrive qu’à
10 heures du matin ; la bataille a fait environ
un millier de victimes, dont quatre cents du
côté des insurgés. L’Assemblée décrète alors
la suspension du roi et la convocation d’une
convention élue au suffrage universel.
Cette victoire est celle des sans-culottes,
principalement ceux du faubourg Saint-Antoine, et des fédérés marseillais et brestois, sur
lesquels s’est appuyée une partie de la classe
politique. Événement fondateur de la République et de la démocratie, événement marquant de la seconde révolution, cette journée
est commémorée dès 1793. Elle devient, en
1794, l’une des fêtes nationales de la République. Sa célébration sera supprimée sous le
Consulat.
apanages, terres appartenant au domaine
royal, et données aux enfants puînés de la
famille de France, ainsi qu’à l’aîné avant son
accession au trône.
Le terme est employé pour la première fois
en 1316 : ces possessions sont destinées ad
panem – littéralement, « à la subsistance des
princes du sang » – pour leur permettre de
« tenir leur estat ». Une logique familiale
ainsi qu’un impératif politique dictent ces
dotations. Le roi doit se prémunir contre les
ambitions de ses fils et de ses frères, afin de
prévenir les risques de guerre civile. Cependant, la pratique des apanages contredit l’idée
d’inaliénabilité du domaine royal. Aussi, des
clauses restrictives sont-elles progressivement introduites dans ces concessions : les
fiefs ainsi accordés reviennent au roi en cas
d’absence d’héritier mâle en ligne directe.
Dans l’ensemble, le système des apanages n’a
pas entravé de manière significative le progrès
de la monarchie française. Imitant le roi, les
princes ont même amélioré l’administration
dans leurs domaines. La victoire de la logique
étatique sur la logique familiale marque la fin
des apanages : Louis XI est le dernier roi à en
créer un - la Guyenne, pour son frère Charles.
Ce dernier rentre vite dans le domaine royal
(1472), de même que ceux d’Orléans et
d’Angoulême, ramenés par Louis XII et François Ier. L’ultime apanage est celui de Bourbonnais, confisqué par François Ier en raison
de la trahison du connétable de Bourbon en
1523.
appel du 18 juin ! juin (appel
du 18)
aqueduc, conduite d’eau qui dessert les
fontaines et les thermes des cités.
L’eau était un confort apprécié des Romains,
et ils veillèrent à l’approvisionnement régulier
des espaces urbains qu’ils créèrent dans les
cités gauloises, installant souvent plusieurs
conduites. Lyon était ainsi desservie par un
réseau de quatre aqueducs, alors qu’on en
comptait onze à Vienne, capables d’acheminer quotidiennement 100 000 mètres cubes
d’eau. L’aqueduc le plus connu est celui de
Nîmes, qui courait sur 50 kilomètres, de la
source d’Eure, près d’Uzès, au château d’eau
urbain.
L’aqueduc se présentait sous la forme d’une
canalisation maçonnée en pente - construite
sous terre, en tranchées ouvertes, ou en
tunnels exhaussés -, et rendue étanche par
downloadModeText.vue.download 54 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
43
un enduit intérieur. Lors de la construction
d’un aqueduc, pour déterminer une déclivité
constante, les ingénieurs utilisaient un chorobate (règle sur pied qui contenait de l’eau
dans une rainure supérieure et dont chaque
extrémité donnait un repère de visée), grâce
auquel on pouvait calculer l’altitude d’un
point à l’aide d’une mire. Lorsqu’il fallait
franchir des obstacles - ravins, dépressions,
vallées -, ils édifiaient des ponts, tel le célèbre
pont du Gard, dans la vallée du Gardon, près
de Nîmes, aux trois étages d’arcades, haut de
48 mètres et long de quelque 275 mètres ;
ils adoptaient plus rarement la technique du
siphon, utilisée pour l’aqueduc lyonnais du
Gier, dans la vallée de l’Yseron. À son arrivée
en ville, l’aqueduc approvisionnait un château d’eau (castellum divisorium) : à Nîmes,
il s’agissait d’une fontaine circulaire, dont les
bouches cylindriques et les bondes permettaient une circulation régulière et l’évacuation
du trop-plein. Le château d’eau alimentait
des tuyaux en plomb, qui desservaient les
fontaines publiques de la cité (où l’on venait
s’approvisionner), les thermes publics ou privés (où se lavaient et se délassaient les citadins et, parfois, les ruraux), et les demeures
des riches particuliers qui avaient obtenu le
droit de jouir de dérivations privées. De généreux bienfaiteurs avaient souvent assumé les
frais élevés des constructions - 2 millions de
sesterces à Bordeaux -, et l’eau, payée par les
plus riches pour leurs concitoyens, apparaissait comme l’instrument d’un confort collectif.
Sa quantité justifiait, en quelque sorte, l’idée
oligarchique de la cité romaine en Gaule. Les
sources étant divinisées chez les Gaulois, les
Romains associèrent souvent le culte impérial
aux divinités topiques. L’eau devenait ainsi
un bienfait apporté par l’empereur aux cités.
Aquitaine, ancienne province française et
Région depuis 1960.
Héritière d’une illustre lignée féodale implantée à Poitiers, Aliénor d’Aquitaine apporte ses
immenses domaines à Louis VII lorsqu’elle
l’épouse, en 1137, puis, en 1152, à son second époux, Henri II Plantagenêt, duc d’Anjou et roi d’Angleterre. C’est sur cet étrange
paradoxe d’une princesse indiscutablement
poitevine, mais que la postérité a retenue
comme aquitaine, que s’ouvre l’histoire médiévale d’une province dont les contours, et
même la localisation, n’ont cessé de varier
depuis l’époque romaine.
• Une province sans identité. On sait bien
ce qu’est, en revanche, la Région Aquitaine, née
en 1960, et réunissant trois départements de
la façade Atlantique et deux de l’intérieur. Elle
ne présente cependant aucune unité géographique et n’est qu’un fragment du Bassin aquitain des géographes, qui mord sur l’extrémité
occidentale des Pyrénées. Elle ne correspond
pas davantage à un héritage politique ni à une
quelconque aire culturelle ou linguistique. Sa
raison d’être économique elle-même est discutée : en effet, d’une part, les Charentes, qui
étaient une composante de l’arrière-pays traditionnel de Bordeaux, en sont désormais coupées ; d’autre part, l’Agenais se situe tout autant
dans l’orbite de Toulouse que dans celle de
Bordeaux. Son « identité régionale » est donc,
au mieux, en gestation. Ces origines troubles,
loin de faire de l’Aquitaine une exception
parmi les Régions françaises, illustrent bien la
fragilité de nos provinces, dont les noms, dans
bien des cas, n’ont été tirés de l’oubli que pour
donner un visage à un regroupement de départements imposé par les exigences supposées de
l’aménagement du territoire.
C’est cette identité indistincte qui est le véritable produit de l’histoire. Alors que Jules César
limite l’Aquitaine à la Garonne, Auguste crée
sous ce nom une immense province allant des
Pyrénées à la Loire et jusqu’aux frontières de
la Narbonnaise. Durant les premières années
du IVe siècle, ce territoire est découpé en trois
parties. Bordeaux devient alors le chef-lieu de
l’« Aquitaine seconde ». En proie aux invasions
des débuts du Ve, puis du VIe siècle, le territoire
aquitain, que les Carolingiens ne parviennent
pas à contrôler, sombre dans l’obscurité pendant près de cinq cent ans. Il n’en émerge
qu’au milieu du XIe siècle, et va servir d’enjeu,
pendant trois siècles, aux luttes qui opposent
les maisons royales de France et d’Angleterre.
Jusqu’en 1453, le sort de l’Aquitaine, dont les
contours varient encore très largement au gré
des hasards de la guerre - la Guyenne et la Gascogne étant particulièrement disputées -, est lié
à celui de la couronne d’Angleterre. L’identité
de l’Aquitaine ne s’en trouve pas renforcée, car
la province n’a de véritable chef politique que
lorsque l’illustre Prince Noir s’installe à Bordeaux, de 1362 à 1371. Entre-temps, les terres
aquitaines ne sont sous l’autorité que d’un
prince lointain qui, bon gré mal gré, laisse s’affirmer de grandes familles féodales comme les
Albret, les Armagnacs, les comtes de Périgord
et de Foix, fidèles à leurs seuls intérêts. C’est
dans ce morcellement pluriséculaire, dans cette
absence de pouvoir centralisateur, que réside
l’importance toujours actuelle des « pays »,
dont se réclament des populations qui n’ont
jamais eu d’identité aquitaine, ni même gasconne. Cette dernière doit beaucoup plus à
Alexandre Dumas et à Edmond Rostand qu’à
l’histoire, car d’Artagnan est gersois, et Cyrano
de Bergerac périgourdin.
• De la paix romaine à l’intégration au
royaume de France. Après la conquête romaine, les rives de la Garonne constituent,
grâce à leur éloignement des frontières, une
terre de paix où s’édifient de belles fortunes
et s’épanouit une riche culture. Le rhéteur
Ausone (310-vers 395), très riche propriétaire
viticole, précepteur d’un prince impérial et
poète épicurien, est l’incarnation même de cet
art de vivre, certes réservé à une étroite élite.
Les domaines des Plantagenêts - plus précisément Bordeaux - renouent au XIIIe siècle
avec une prospérité certaine, grâce à l’essor du
commerce international du vin. À l’intérieur
des terres, entre le milieu du XIIIe et celui du
XIVe siècle, la construction des bastides permet
le repeuplement des campagnes. Parmi les célébrités de ce temps figurent les papes d’Avignon : Clément V et Jean XXII - le premier
né à Villandraut, où se dresse toujours son
château, le second à Cahors -, qui, de 1305
à 1334, prodiguent leurs bienfaits à leur terre
d’origine. Ravagées par la guerre de Cent Ans,
les terres aquitaines étaient restées à l’abri de
la féroce répression contre l’hérésie albigeoise
(XIIIe siècle) dans le Languedoc voisin.
• L’Aquitaine après la reconquête. En
1453, la bataille de Castillon met fin à la présence anglaise, au grand dam des Bordelais, qui
avaient opté pour l’Angleterre. Le rattachement
de l’Aquitaine au royaume de France s’avère dif-
ficile. La création du parlement par Louis XI en
1462 est le symbole d’une certaine réconciliation avec le pouvoir royal, mais la construction
des châteaux Trompette et du Hâ vise à protéger la ville et à surveiller ses habitants. L’Aquitaine, très imprégnée par le protestantisme,
sous la protection de Marguerite de Navarre et
de sa fille Jeanne d’Albret, qui font de Nérac un
centre de l’Église réformée, connaît toutes les
affres des guerres de Religion. C’est de l’Aquitaine qu’Henri de Navarre part à la conquête de
son royaume, notamment en battant Joyeuse
à Coutras en 1587. Au XVIe siècle, de violentes
jacqueries, dues à une misère accrue par la
pression fiscale, éclatent dans les campagnes.
Au XVIIe siècle, l’autorité royale peine toujours
à s’imposer. À l’époque de la Fronde, en 16511653, Bordeaux est le théâtre de la révolte de
l’Ormée, dans laquelle d’aucuns décèlent un
mouvement de protestation original d’une petite bourgeoisie urbaine un moment ouverte à
des idées républicaines. Au cours des décennies
suivantes, la ville se soumet au pouvoir royal,
mais certaines campagnes, telle la Chalosse
entre 1661 et 1675, sont encore le théâtre de
dures révoltes. Au XVIIIe siècle, c’est le parlement
qui s’affiche comme le porte-parole de cette
hostilité pluriséculaire au pouvoir royal, au
point d’être exilé à Libourne en 1787.
• Un nouvel âge d’or. Malgré cette contestation, le XVIIIe siècle est un nouvel âge d’or pour
la province, après celui du XIIIe siècle. L’aristocratie parlementaire bordelaise développe
le vignoble dans ses propriétés du Médoc.
Le commerce du vin avec l’Angleterre et les
pays du Nord constitue une première source
de richesses ; la deuxième est le commerce
sucrier (et la traite des Noirs) avec les îles
(Saint-Domingue). Bayonne et le Pays basque
ont conservé une très large autonomie, les
Basques devenant ainsi, dès le XVe siècle,
les maîtres de la chasse à la baleine, puis de
la pêche à la morue sur les bancs de TerreNeuve. L’industrie textile prospère sur l’axe
de la moyenne Garonne et fournit à Bordeaux
voiles et cordages. Les moulins, tels ceux de
Nérac, répondent aux besoins du commerce
antillais, tandis que les forges et les forêts du
Périgord satisfont les exigences du port et du
vignoble. Cependant, la prospérité relative de
l’Aquitaine intérieure est avant tout fondée sur
une polyculture appuyée sur la production de
maïs, dont les rendements élevés surprennent
l’Anglais Arthur Young vers 1780.
Le rôle de Bordeaux n’est pas négligeable,
mais la richesse de la ville tient davantage à
son ouverture sur l’océan qu’à son insertion
dans le tissu régional. Grâce à ses grands
intendants Tourny et Dupré de Saint-Maur,
elle se dote d’un patrimoine architectural
prestigieux. Avec son Académie, d’une part,
et son Grand Théâtre, d’autre part, la ville
développe une intense activité intellectuelle.
Cité de Montaigne au XVIe siècle, elle se veut,
au XVIIIe, celle de Montesquieu, très parisien
cependant, comme le sera aussi Mauriac. Les
guerres révolutionnaires et impériales ruinent
le commerce de Bordeaux. En revanche, grâce
downloadModeText.vue.download 55 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
44
à la modération de Tallien, la ville et la région
souffrent beaucoup moins de la Terreur que
Lyon ou Nantes. Bordeaux est néanmoins
au coeur de la révolte fédéraliste contre les
montagnards, et ses députés, tel Vergniaud,
comptent parmi les martyrs de la cause girondine.
• Les mutations de l’époque contemporaine. Dès 1814, Bordeaux se rallie à la monarchie, avant de s’identifier à l’orléanisme.
Très modérément bonapartiste, puis républicaine, l’Aquitaine reste à l’écart des grands
affrontements idéologiques, et le syndicalisme
n’y est pas virulent. En effet, la première révolution industrielle n’atteint pas la région. Outre
la viticulture, qui se développe intensivement
au milieu du XIXe siècle, avant d’être durement
frappée par le phylloxéra, une grande industrie, notamment chimique et métallurgique,
s’implante à Bordeaux après 1880. Le port est
désormais tourné vers l’Afrique. Après 1850, la
polyculture aquitaine souffre de son archaïsme,
tandis que le boisement des Landes fournit à
celles-ci, via l’exploitation du bois et de la résine, une source de prospérité inespérée.
« Capitale tragique » de la France en 1870,
Bordeaux l’est de nouveau en 1914 et en 1940,
mais la ville échappe aux graves destructions.
L’entre-deux-guerres constitue une période
de déclin économique et démographique. La
personnalité politique dominante est alors le
maire de Bordeaux, Adrien Marquet, et l’une
des originalités politiques de la région réside
dans l’implantation du communisme en
milieu rural, tandis que les basses Pyrénées
demeurent fidèles à la droite. Alors que la Dordogne devient un haut lieu de la Résistance,
Bordeaux résiste peu, mais élit comme députémaire, en 1947, un grand résistant : Jacques
Chaban-Delmas, qui ne cédera sa place à Alain
Juppé qu’en 1995. Après la guerre, des indus-
tries anciennes disparaissent, mais, autour de
la capitale régionale, de nouvelles activités
industrielles (aéronautique, aérospatiale, automobile) se développent, tandis que l’exploitation du gaz de Lacq crée, près de Pau, un pôle
industriel. Le vignoble reste le secteur agricole
le plus prospère ; en revanche, la forêt périclite, la polyculture traditionnelle s’effondre, et
les cultures maraîchères et arbustives résistent
mal à la concurrence européenne. Le tourisme - balnéaire, vert et culturel, notamment
autour des sites préhistoriques de Dordogne
- est l’un des grands espoirs d’une Région qui,
avec sa cuisine, se veut celle du bon - et du
bien - vivre.
Aquitaine (royaume d’), royaume carolingien (781-877), s’étendant de la Garonne à la
Loire et de l’Océan aux Cévennes.
L’Aquitaine des temps mérovingiens et carolingiens conserve l’empreinte d’un passé
romain qui constitue la base de son particularisme. Faiblement peuplée par les Wisigoths, qui l’ont envahie au Ve siècle, la région
est conquise par Clovis en 507 et divisée par
les rois francs lors des partages successoraux.
Lorsque, au VIIe siècle, la Gaule retrouve un
semblant d’unité sous le règne de Dagobert,
celui-ci fait de la province un royaume pour
son frère Caribert (629). Éphémère - Caribert
meurt en 632 -, ce premier royaume aquitain dut faire face aux incursions répétées
des Vascons, venus de la Navarre espagnole.
Soumis en 635, les Vascons conservent un
duc particulier, et l’Aquitaine passe, elle aussi,
aux mains de ducs totalement indépendants
des rois francs. Cette situation se prolonge
malgré l’incapacité des ducs aquitains à faire
face à l’invasion arabe. En 731, le duc Eudes
est ainsi contraint de faire appel au Franc
Charles Martel, victorieux des Arabes à Poitiers en 732. L’Aquitaine est désormais sous
l’influence des fonctionnaires francs.
De 765 à 778, Charlemagne mène campagne contre les ducs Waifre et Hunald,
contre les Vascons et contre les Sarrasins, puis,
à la naissance de son fils Louis - futur Louis le
Pieux -, fait de l’enfant le roi des Aquitains.
L’existence de ce royaume facilite l’administration de Charlemagne en Aquitaine. Lorsque
Louis devient empereur, en 814, il confie le
royaume d’Aquitaine à son fils Pépin. La naissance de Charles le Chauve remet en cause
les dispositions prises, et l’Aquitaine devient
enjeu des partages et traités, au grand dam
des Aquitains, qui se révoltent en 839. L’Aquitaine est disputée entre Charles le Chauve et
Pépin II, fils du premier Pépin d’Aquitaine ;
Charles le Chauve l’emporte pour faire aussitôt don de l’Aquitaine à son fils Charles, dit
Charles l’Enfant, puis, à la mort de ce dernier,
à son fils Louis le Bègue, qui devient roi en
877. Le royaume d’Aquitaine est alors uni au
royaume de France.
Le royaume d’Aquitaine n’a jamais été, sous
les Carolingiens, un royaume souverain. Les
efforts royaux pour combattre le particularisme, fonder des monastères, faire décliner
les lois barbares et contribuer au mélange
des populations ont profité à des dynasties
princières capables de recueillir un pouvoir
vacant et de fonder leur légitimité héréditaire.
Le royaume d’Aquitaine a ainsi préparé la
principauté territoriale qui allait devenir le
duché d’Aquitaine.
Arago (François), savant et homme politique (Estagel, Pyrénées-Orientales, 1786 Paris 1853).
Polytechnicien à 17 ans, membre de l’Académie des sciences six ans plus tard, François
Arago s’impose rapidement comme l’une
des figures marquantes de la science de son
temps. Il mène de pair des recherches fondamentales en physique et en astronomie, et
une inlassable activité d’enseignant et de vulgarisateur. C’est ainsi qu’entre 1812 et 1845 il
dispense des cours d’astronomie très prisées à
l’Observatoire de Paris, dont il devient directeur à partir de 1830. La notoriété dont il jouit
contribue à ses succès politiques. Élu député
des Pyrénées-Orientales en 1830, il siège à
la gauche de l’Assemblée jusqu’en 1848. Il
défend les intérêts de son électorat catalan, et
il mène d’ardents combats contre les orientations du régime de Juillet, notamment sur les
questions de la souveraineté populaire et de
l’instruction publique. Républicain modéré
au lendemain de la révolution de février 1848,
il entre au Gouvernement provisoire, devient
ministre de la Marine - c’est alors qu’il abolit l’esclavage dans les colonies françaises - et
ministre de la Guerre, puis l’Assemblée l’élit
triomphalement à la commission exécutive.
Son influence décline après les journées de
juin 1848. Membre de l’Assemblée législative
en 1849, il refuse de cautionner le coup d’État
du 2 décembre 1851, et échoue aux élections
législatives de mars 1852 face au candidat de
la préfecture.
arbalète, arme de trait composée d’un fût
en bois et d’un arc d’acier dont la corde se
bande à l’aide d’un ressort.
Originaire de Chine, où elle est mentionnée
dès avant notre ère, l’arbalète ne paraît pas
avoir été connue en Occident avant le Ier ou le
IIe siècle. Mais l’arbalète « romaine », ignorée
des tacticiens latins, fait l’objet d’une utilisation plus cynégétique que militaire. C’est
durant le haut Moyen Âge qu’elle devient véritablement une arme de guerre : le roi Lothaire
fait ainsi donner un tir nourri d’arbalétriers
lors du siège de Verdun en 985. Alors qu’elle
reste secondaire dans le monde musulman,
l’arbalète joue, à partir du XIe siècle, un rôle
de premier plan dans les batailles occidentales : quoique roturière et contrevenant à
l’éthique « chevaleresque », elle démontre
son efficacité aussi bien lors des combats
maritimes que durant les sièges, d’autant que
l’arme connaît de multiples perfectionnements : dès le XIIe siècle, les arbalétriers sont
munis de grands boucliers, les targes, qui
les protègent lors des délicates manoeuvres
de rechargement (on doit bander l’arme en
plaçant les deux pieds sur l’arc) ; à la même
époque apparaît le carreau, trait plus court
(40 centimètres) et plus trapu que la flèche
traditionnelle. Par la suite, l’arbalète à étrier,
que l’on peut fixer au sol d’un seul pied, facilite le rechargement.
Le succès de l’arbalète dans les armées
européennes, et singulièrement en France,
est dû à une efficacité supérieure à celle des
arcs courts traditionnels : sur 200 mètres, le
carreau peut en effet percer avec précision
une épaisseur de bois de 4 à 7 centimètres.
À Crécy (1346), Philippe VI de Valois aligne
plusieurs milliers de Génois, mais le grand arc
gallois montre alors sa suprématie. Jamais les
arbalétriers ne pourront réaliser de tels tirs
de barrage, ce qui n’empêche pas les armées
françaises de continuer à les utiliser durant
toute la guerre de Cent Ans. Condamnée par
les progrès de l’arquebuse, l’arbalète disparaît
comme arme de guerre au XVIe siècle et n’est
plus, dès lors, utilisée que dans la chasse et
dans la compétition.
Arbogast, général d’origine franque,
maître de la milice (vers 340 - Vénétie 394).
Franc païen banni de sa patrie d’outre-Rhin
par des concurrents, il entre au service de
l’empereur Théodose vers 380 et devient
l’adjoint du maître de la milice, Bauto, Franc
comme lui. À la mort de ce dernier (387), il
recueille sa charge par acclamation de l’armée
et entame la reconquête de la Gaule tombée
aux mains de l’usurpateur Maxime (388). Sur
l’ordre de Théodose, il devient « régent » de
la Gaule, avec le titre de comte, au nom du
fils de l’empereur, le jeune Valentinien II : il
est un des premiers chefs militaires barbares à
exercer le pouvoir de fait sur toute une partie
de l’Empire. Valentinien, devenu majeur et ne
downloadModeText.vue.download 56 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
45
supportant plus d’être réduit à l’impuissance,
tente, sans succès, de se débarrasser d’Arbogast ; le 15 mai 392, on retrouve le jeune
empereur pendu dans son palais de Vienne.
Arbogast, qui ne peut prétendre à la dignité
impériale, crée alors un empereur en la personne du premier secrétaire du palais, nommé
Eugène, avec lequel il organise une véritable
réaction visant à rétablir le culte des dieux
païens et à lutter contre l’influence grandissante des chrétiens soutenus par Théodose.
Ce dernier lève alors une immense armée
pour reconquérir la partie occidentale de
l’Empire : les deux armées se rencontrent aux
portes de l’Italie, le 6 septembre 394 (bataille
de la Rivière froide) où, après deux jours de
combats meurtriers, Eugène est fait prisonnier
et Arbogast se suicide.
arbre de la Liberté, arbre planté à titre
symbolique pendant la Révolution française et
les révolutions du XIXe siècle.
La plantation des arbres de la Liberté, qui se
généralise en 1792, perpétue en la transformant l’antique tradition paysanne du « mai »,
sans doute d’origine païenne. Avant la Révolution, l’érection du « mai », arbre coupé ou
simple poteau décoré, est un rite lié au renouveau, à la fécondité et à la fixation d’accords.
Il accompagne les fêtes votives, les récoltes,
les mariages, la conclusion d’une affaire ou la
construction d’une maison.
Contrairement à une légende couramment
racontée, la pratique révolutionnaire ne naît
pas le 1er mai 1790, sur l’initiative d’un prêtre
de la Vienne, mais en janvier 1790, dans le
Périgord et le Quercy, lors des soulèvements
paysans pour obtenir l’abolition sans rachat
des droits féodaux supprimés depuis la nuit
du 4 août 1789. Érigé le plus souvent au terme
d’une émeute, le « mai » marque surtout la fin
des violences et garantit la conservation de
l’ordre nouveau. Cet arbre de la Liberté est
officialisé en 1792, lorsque chaque commune
est tenue d’élever sous son feuillage un autel
de la Patrie, lieu des cérémonies civiques. À
partir de l’an II (1793-1794) et sous le Directoire, l’arbre de la Liberté, et parfois de la République, arbre assagi et pédagogue, centre de
rassemblement, devient un symbole de régénération et de croissance, un monument national sacré et très protégé contre les attentats
perpétrés par les adversaires du régime. Sa
plantation, souvent associée aux autres fêtes
civiques, donne cependant lieu à une cérémonie spécifique, codifiée, qui fait la part belle
à la jeunesse. L’arbre révolutionnaire, greffé
sur la culture populaire, mélange d’archaïsme
et de nouveauté, annonce l’épanouissement
de la religion civique du XIXe siècle, au cours
duquel sa résurgence témoigne de la vivacité
de sa charge symbolique.
Sous la Restauration, ces arbres sont arrachés par centaines, et souvent remplacés par
des croix. Cette liturgie expiatrice et réparatrice, signe de la reconquête catholique, est
combattue au lendemain de la révolution
de juillet 1830, et les arbres replantés forment autant d’« anticroix ». La révolution de
février 1848, qui est suivie d’une éphémère
période de fraternisation générale, contraste
avec l’anticléricalisme de 1830, car elle donne
lieu à une multitude de plantations d’arbres
bénis par le clergé. Enfin, malgré la répression
antirépublicaine qui, après le coup d’État de
décembre 1851, se traduit par un arrachage
systématique, l’arbre réapparaît en 1871.
arc de triomphe, porte monumentale
des villes gallo-romaines.
À Rome, l’arc de triomphe est censé, à l’origine, purifier du sang versé les soldats rentrés
d’une campagne victorieuse, au cours d’une
cérémonie qui donne le droit au général vainqueur (imperator) d’entrer dans le territoire
sacré de la ville (pomoerium), à la tête de son
armée, et d’y exercer son pouvoir de commandement au-dessus des autres magistrats
(imperium militiae). La multiplication de ces
monuments en Gaule est plutôt liée au souci
architectural de délimiter les espaces urbain
et rural dans les cités. Sur les trente-sept édifices recensés, seuls les arcs de Saint-Rémyde-Provence (Glanum), Orange, Carpentras,
Cavaillon et Saintes sont bien conservés.
Les arcs de triomphe gaulois se trouvent,
le plus souvent, aux frontières de la ville,
mais ils ne sont pas systématiquement
intégrés à des remparts, qui sont un privilège peu fréquent, concédé par l’empereur
(Nîmes). Avec les constructions d’enceintes
fortifiées à la fin du IIIe siècle et au IVe, ils
sont parfois intégrés aux murailles (porte
de Mars, à Reims). Ces monuments à une,
deux ou trois baies voûtées, que flanquent
des colonnes ou des pilastres engagés, sont
surmontés d’un entablement comprenant architrave, corniche et frise, et couronnés d’un
ou plusieurs attiques.
L’inscription de l’architrave mentionne le
nom du dédicataire de l’édifice (Tibère et les
membres de sa famille, à Saintes), ainsi que
celui du donateur et de ses descendants. Sur
l’arc d’Orange, dédié en 26-27, des ornements
militaires variés - trophées, dépouilles navales,
panneaux d’armes, scènes de combats entre
Romains et Celtes, qui évoquent peut-être la
révolte menée par le Trévire Julius Florus et
l’Éduen Julius Sacrovir en 21 - décorent la frise
d’entablement, l’attique, les archivoltes latérales
et centrales, les panneaux situés entre les voûtes
et l’entablement, et rappellent ainsi la fonction
militaire du monument. Lien entre les nécropoles suburbaines et la ville, édifice honorifique
et commémorant les victoires romaines, l’arc de
triomphe exprime la reconnaissance de la cité
envers le prince. Cette gratitude se traduit dans
le culte impérial municipal, qu’évoque précisément, sur la porte de Glanum, la frise de retombée de voûte.
arc de triomphe de l’Étoile, monument érigé à la gloire des armées françaises,
sur la colline de l’Étoile, à Paris, et devenu peu
à peu un haut lieu de culte civique national.
Décidée par Napoléon Ier à son retour d’Austerlitz, la construction de l’Arc de triomphe,
commencée en 1806, est interrompue en
1814 par l’abdication de l’empereur. Elle reprend en 1823, sur ordre de Louis XVIII, qui
dédie l’Arc à l’armée d’Espagne et à son chef
victorieux, le duc d’Angoulême. Mais les travaux ne sont achevés que sous la monarchie
de Juillet, Louis-Philippe ayant rendu à l’Arc
sa destination première et ajouté à la gloire
des armées impériales celle des armées de la
République. La situation élevée du monument, son alignement dans la perspective du
château des Tuileries, sa masse imposante,
l’érigent d’emblée en symbole de puissance.
L’Arc de triomphe est discrètement inauguré le 29 juillet 1836, et il est officiellement
consacré le 15 décembre 1840, lors du retour
des cendres de Napoléon, dont le char funèbre fait halte sous sa voûte : une cérémonie
décidée par un Louis-Philippe - « roi bourgeois » porté au trône par une révolution - en
quête de légitimité. C’est encore une caution
que recherche en 1885 la jeune République
bourgeoise lorsque, voulant forcer l’unanimité contre les royalistes et les communards,
elle offre des funérailles nationales à Victor
Hugo, figure syncrétique et héros républicain,
dont la dépouille est exposée, dans la nuit du
31 mai au 1er juin, sous l’Arc transformé en
chapelle ardente. Au lendemain de la Grande
Guerre, le monument prend véritablement
toute sa dimension fédératrice et sacrée :
l’inhumation sous sa voûte, le 11 novembre
1920, du soldat inconnu, « mort collectif » de
la guerre, et les cérémonies du 11 novembre
(décrété fête nationale en 1922) en font un
nouveau lieu de culte national officiel.
Lieu oecuménique de liturgie à la fois républicaine et patriotique qui supplante les Invalides et le Panthéon, il devient le point de départ de cortèges rituels menant du Triomphe
à la Concorde (le 18 juin 1945) et reliant parfois l’Ouest des beaux quartiers à l’Est populaire, tel le grandiose défilé de la Victoire du
14 juillet 1919, qui mène de l’Arc jusqu’à la
Bastille. Conscience nationale et continuité
de la République accompagnent la marche
imposante du général de Gaulle depuis l’Arc
jusqu’à Notre-Dame, le 26 août 1944, lendemain de la libération de Paris. Ainsi en est-il
aussi du geste du président socialiste François Mitterrand qui, fraîchement élu, s’incline
devant la tombe du soldat inconnu, avant de
se rendre au Panthéon, le 21 mai 1981. À la
symbolique de l’Arc de triomphe s’ajoute, depuis 1989, celle de la Grande Arche construite
dans son axe, siège de la Fondation internationale des droits de l’homme.
Arc-et-Senans (Salines royales d’),
cité industrielle conçue par Claude Nicolas
Ledoux (1736-1806).
Architecte de Louis XVI, Ledoux est nommé
en 1771 inspecteur des Salines de Lorraine
et de Franche-Comté, entreprend d’établir
une usine de production de sel à laquelle
serait rattachée une ville destinée à loger
les ouvriers. À travers ce projet, qui ne sera
que partiellement réalisé, transparaissent le
goût du maître-d’oeuvre pour l’antique et son
talent novateur. Selon lui, l’architecture doit
être à la fois idéalement belle, rationnelle et
« parlante », l’aspect extérieur reflétant l’organisation intérieure. On retrouve tous ces
éléments dans la physionomie du complexe
industriel élaboré entre 1775 et 1779 : les bâtiments sont disposés en hémicycle ; l’entrée
colossale est décorée d’un péristyle, dont les
pierres sont taillées pour évoquer l’apparence
du sel gemme exploité à l’intérieur ; la place
qu’occupe chaque édifice (maison du directeur, maréchalerie...) répond à des choix stradownloadModeText.vue.download 57 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
46
tégiques. Et la recherche d’une beauté idéale
justifie l’adoption de formes géométriques très
pures (cylindre, sphère, cube...), qui donnent
à chaque bâtiment sa spécificité.
La ville de « Chaux », qui devait entourer
l’usine, ne sera jamais construite ; toutefois,
le plan de chaque maison sera publié dans
l’oeuvre de Ledoux : De l’architecture considérée sous le rapport de l’art, des moeurs et de
la législation (1804). Ces édifices, qui, selon
lui, sont les garants de l’ordre social, présentent tous des tailles imposantes et des formes
évocatrices : la maison des plaisirs, ou oïkéma,
par exemple, est en forme de phallus... Révolutionnaire par ses caractéristiques fonctionnelles et par la philosophie « égalitariste » qui
l’habite (« On verra sur la même échelle la
magnificence de la guinguette et du palais »),
cette cité reste également le froid reflet d’un
certain ordre moral.
L’usine modèle a subi les assauts du vandalisme révolutionnaire et a été abandonnée ; sous Napoléon, cette forme d’architecture utopique et visionnaire n’était plus
appréciée. Restaurée et aménagée par le service des Monuments historiques, la saline
d’Arc-et-Senans est devenue un centre de
conférences, de congrès et de recherches
« futurologiques », géré et animé par la
Fondation Claude Nicolas Ledoux (créée en
1972). Elle est classée au titre du patrimoine
mondial de l’UNESCO.
archers, soldats munis d’arc, combattant à
pied dans les armées occidentales.
En France, l’arc ne s’impose que fort tardivement comme arme de guerre. L’arc court, traditionnel en Occident, est en effet d’efficacité
inférieure à l’arbalète.
C’est la défaite de Crécy (1346) qui met
en évidence les qualités du grand arc gallois, lequel permet de décocher une dizaine
de traits par minute (contre seulement
deux carreaux pour l’arbalète) ; les archers
anglais submergent ainsi sous leurs flèches
les chevaliers français et, combinés avec la
cavalerie démontée, assurent la victoire. Leur
invincibilité est devenue si proverbiale qu’en
1488, à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, les archers bretons se revêtent d’une
croix rouge afin de se faire passer pour des
Anglais ! Pourtant, les leçons de Crécy ou
d’Azincourt s’imposent lentement aux stratèges français, qui méprisent ces fantassins
contrevenant à une éthique guerrière fondée sur la cavalerie ; la pratique de l’archerie
à cheval ne connaît en effet pas de succès
en Occident. Les ordonnances successives
prises par Charles VII de 1445 à 1460 organisent le corps des francs-archers, ainsi
dénommés parce qu’ils bénéficient d’une
exemption fiscale. Levés dans les paroisses, à
raison d’un pour cinquante feux, ils remplacent avantageusement l’ancien et inefficace
arrière-ban, et constituent également une
extension au plat pays des confréries de gens
de trait qui se sont multipliées dans les villes
au XIVe siècle. Bien qu’ils ne disposent pas
tous d’un arc, les francs-archers représentent
l’élément essentiel d’une infanterie alors en
pleine extension, au point que Louis XI en
double le nombre. Mais, peu à peu, les fantassins équipés de piques ou d’arquebuses
l’emportent sur les arbalétriers et les archers,
qui, à la fin du XVe siècle, subissent la concurrence des redoutables mercenaires suisses.
Archives nationales, administration
créée par la Révolution française, chargée de
conserver, trier, classer, inventorier et communiquer les documents relatifs à l’histoire
de France.
Sous l’Ancien Régime, chaque organisme
administratif ou judiciaire gère ses propres
archives. Paris compte alors plus de 400 dépôts. Le 29 juillet 1789, l’Assemblée nationale
constituante organise le dépôt de toutes les
pièces originales relatives à ses travaux. La loi
du 2 messidor an II (25 juin 1794) place les
Archives nationales à la tête de l’ensemble des
dépôts publics de la République. Elle prévoit
le tri des titres, leur classement, la réalisation
d’un inventaire sommaire et la consultation
libre et gratuite. Par l’arrêté du 8 prairial
an VIII (28 mai 1800), le Premier consul Bonaparte sépare définitivement les Archives nationales de l’Assemblée. C’est en 1808 qu’elles
sont installées en l’hôtel de Soubise, à Paris.
La législation révolutionnaire est remise en
cause par la loi du 3 janvier 1979, complétée par les décrets du 3 décembre 1979. Ces
textes réorganisent les archives et en réglementent la consultation. À Paris, le Centre
d’accueil et de recherche des Archives natio-
nales regroupe : les fonds publics de l’Ancien
Régime (titres féodaux, chartes et manuscrits
pouvant intéresser l’histoire, les sciences, les
arts ou l’instruction) ; les fonds postérieurs
à 1789, issus des organes centraux de l’État ;
enfin, les fonds divers, parmi lesquels les archives personnelles, d’associations, de syndicats ou d’entreprises.
Arcole (bataille d’), combat franco-autrichien qui se déroula près de la ville italienne
d’Arcole, les 15, 16 et 17 novembre 1796, lors
de la première campagne d’Italie.
Alors que Bonaparte assiège Mantoue, il apprend que deux armées autrichiennes, commandées par Davidovitch et Alvinzi, sont
en marche pour débloquer la ville. Il décide
d’attaquer avant qu’elles aient opéré leur jonction. Il passe à l’offensive et coupe Alvinzi de
ses communications arrière, tandis que Vaubois est chargé de contenir Davidovitch avec
des forces inférieures en nombre. Le 15 novembre, Augereau tente, en vain, de prendre le
pont d’Arcole. À la tête des grenadiers, Bonaparte essaie à son tour de s’en emparer, mais
il est repoussé et manque même d’être fait
prisonnier. Le lendemain, Augereau échoue
de nouveau, mais Masséna enfonce les troupes
autrichiennes. Au matin du 17 novembre,
l’assaut général est donné : Masséna franchit le
pont d’Arcole, tandis qu’Augereau fait passer
ses hommes sur un pont de chevalets construit
pendant la nuit. Alvinzi doit battre en retraite
sur Montebello. Il était temps, car Vaubois a été enfoncé peu avant par les troupes
de Davidovitch. Les Autrichiens ont perdu
7 000 hommes ; les Français, plus de 4 500.
L’épisode d’Arcole passe à la postérité grâce
au tableau du baron Gros (Bonaparte au pont
d’Arcole, 1798) qui représente Bonaparte,
le drapeau à la main, menant ses troupes à
l’assaut. La légende napoléonienne popularise
cette image qui exalte la bravoure du général.
Ardents (bal des), bal au cours duquel, le
28 juin 1393, un incident faillit provoquer la
mort du roi Charles VI.
En dépit de la folie du roi (un premier accès
de démence l’avait pris lors d’une chasse dans
la forêt du Mans, le 5 août 1392), la cour,
sous la houlette de la jeune reine Isabeau de
Bavière et du frère de Charles, Louis d’Orléans, continue de mener une vie festive. À
l’occasion d’un bal donné par la reine pour le
mariage d’une de ses demoiselles d’honneur,
Louis d’Orléans a l’idée de faire déguiser le roi
et plusieurs seigneurs en hommes sauvages,
en les recouvrant de poils de bête collés au
corps avec de la poix. Un membre de son
escorte, porteur d’une torche, met involontairement le feu aux déguisements : quatre
hommes périssent, et le roi en réchappe de
justesse.
Le drame choque profondément
Charles VI, et semble avoir aggravé sa folie :
en effet, après 1393, ses crises violentes se
font plus nombreuses. Mais, surtout, la rumeur publique accuse Louis d’Orléans d’avoir
tenté d’assassiner son frère pour prendre le
trône. L’événement renforce ainsi considérablement l’impopularité de Louis d’Orléans,
déjà vive en raison de sa politique fiscale, de
son train de vie luxueux et de sa grande amitié
pour la reine. D’ailleurs, par la suite, le « bal
des Ardents » constituera l’un des principaux
éléments de la propagande menée par le parti
bourguignon contre le frère du roi. Il sera
invoqué par le duc de Bourgogne Jean sans
Peur pour « justifier » l’assassinat de Louis
d’Orléans par quelques-uns de ses fidèles, le
23 novembre 1407.
Argenson (Marc Pierre de Voyer, comte
d’), homme politique, ministre de Louis XV.
(Paris 1696 - id. 1764).
Marc Pierre d’Argenson est le frère cadet de
René Louis, mais sa carrière est bien plus
brillante que celle de son aîné. En 1720, il
devient lieutenant de police de Paris, puis
intendant de Paris, en 1741, poste clé considéré comme l’antichambre du ministère. En
1742, il entre au Conseil d’en haut. Enfin,
il est nommé secrétaire d’État à la guerre en
janvier 1743. À ce poste, il engage un programme de réorganisation des troupes et du
commandement qui va porter ses fruits pendant la guerre de la Succession d’Autriche.
En 1751, il crée l’École militaire et le corps
des grenadiers royaux. Ses responsabilités à
Paris le rendent impopulaire : on lui impute
l’arrestation des vagabonds envoyés de force
aux colonies. Des troubles éclatent d’ailleurs
à ce sujet en 1749 et 1750. Confronté à l’inimitié tenace de la marquise de Pompadour,
Marc Pierre d’Argenson rejoint les rangs du
parti dévot, ennemi de cette dernière. Cette
appartenance n’exclut pas les contradictions :
il défend les privilèges fiscaux de l’Église, mais
accepte la dédicace de l’Encyclopédie en 1751.
La marquise de Pompadour obtient sa disgrâce en 1757.
Plus courtisan que son aîné, le comte d’Argenson jouit d’une réputation nuancée : poli-
downloadModeText.vue.download 58 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
47
ticien habile mais limité pour les uns, grand
homme d’État pour les autres. En revanche,
ses réformes militaires font l’unanimité.
Argenson (René Louis de Voyer, marquis
d’), philosophe et homme politique. (Paris
1694 - id. 1757).
Fils aîné de Marc René d’Argenson, garde des
Sceaux, René Louis suit une carrière ordinaire
pour un homme de sa naissance. Conseiller
au parlement de Paris en 1715, il est nommé
maître des requêtes en 1720, puis désigné, en
1721, pour veiller à l’intendance du Hainaut
et du Cambrésis, poste qu’il occupe jusqu’à
son entrée au Conseil d’État, en 1725. Le
marquis d’Argenson est à l’origine du premier
club politique français : le club de l’Entresol,
cénacle choisi où l’on retrouve l’abbé de SaintPierre ou encore Bolingbroke. Les séances
sont consacrées à la lecture et à la discussion
de projets politiques, notamment en matière
de relations extérieures. En 1731, le club de
l’Entresol est fermé sur ordre du cardinal
Fleury, qui y voit une source de désordres.
C’est seulement à la mort du cardinal que le
marquis d’Argenson devient secrétaire d’État
aux Affaires étrangères, le 18 novembre 1744.
Mais il est congédié lors de la guerre de la Succession d’Autriche, le 10 janvier 1747. Son
repos forcé lui donne l’occasion de rédiger
cinquante-six volumes de manuscrits, notamment un Journal et des Considérations sur le
gouvernement de la France, ouvrage publié à
titre posthume en 1764.
Ami de Voltaire, René Louis d’Argenson
est l’un des hommes les plus représentatifs de
la première génération des Lumières. Une légende tenace fait de lui un rêveur impénitent,
totalement dépourvu des qualités propres au
courtisan. Le surnom dont il est affublé - il est
appelé « d’Argenson la Bête », pour le distinguer de son frère cadet - passe à la postérité.
Pourtant, ses écrits nous révèlent un esprit supérieur, sensible à la nécessité d’une profonde
évolution de la monarchie. Ses Considérations
constituent un véritable plan de réformes sociales et politiques embrassant tous les aspects
de la pensée des Lumières. Il y prône la plus
grande tolérance religieuse possible et un libéralisme économique tempéré par la création
d’institutions en faveur du peuple déshérité.
La monarchie doit être limitée par une aristocratie éclairée et par des assemblées provinciales élues. D’Argenson propose également la
suppression de la noblesse héréditaire et des
privilèges du clergé. Dans son Traité politique,
écrit en 1737-1738, il se prononce en faveur
d’une politique extérieure généreuse, opposée
à toute guerre de conquête. Malgré l’échec de
son ministère entre 1744 et 1747, ce sont bien
ses principes que Louis XV proclame lors de
la paix d’Aix-la-Chapelle.
Argentomagus, ville gauloise, puis romaine, située sur le plateau des Mersans, à
Saint-Marcel (Indre), qui domine la ville actuelle d’Argenton-sur-Creuse.
Oppidum (place forte) du peuple gaulois des
Bituriges, le site occupe un plateau d’une trentaine d’hectares. Il est naturellement protégé
par des falaises et par la vallée de la Creuse,
très encaissée mais qu’un gué permettait de
franchir à cet endroit, ce qui explique sans
doute l’essor de la ville qui, à l’époque romaine, déborde le plateau pour occuper environ quatre-vingts hectares.
Si les traces de l’occupation gauloise sont
ténues, la ville romaine, développée au cours
du Ier siècle de notre ère, est bien connue à
la suite des fouilles systématiques entreprises
depuis le début des années soixante. Elle était
construite selon un plan en damier, les monuments publics se trouvant entre les deux
principales artères parallèles. Elle comprenait
un sanctuaire, composé de trois temples, ou
fana, petits édifices quadrangulaires entourés de galeries. Le théâtre pouvait contenir
environ sept mille spectateurs. Les thermes,
d’une soixantaine de mètres de longueur,
comportaient plusieurs bassins, des systèmes
de chauffage et de canalisations. La fontaine
monumentale, ou nymphée, s’ouvrait par de
larges escaliers sur chacune des deux rues :
son bassin était couvert d’un toit destiné à recueillir les eaux de pluie et débouchait sur un
égout. Fort spectaculaire a été la découverte,
en 1986, d’un petit sanctuaire souterrain,
aménagé dans la cave d’une maison particulière : il comportait une petite table en calcaire et deux statuettes peintes assises, d’une
quarantaine de centimètres, accompagnées
d’un galet ; l’une des deux figurines porte un
torque et tient un serpent sur ses genoux. Ce
sanctuaire a été conservé sur place, à l’intérieur du musée récemment construit sur le
site. Trois nécropoles au moins entouraient la
ville, dont l’une, au Champ-de-l’Image, a livré
environ cent soixante tombes, la plupart à in-
cinération. Un pont a également été reconnu.
aristocrate, membre de la classe noble,
selon une terminologie péjorative apparue à
la veille de la Révolution ; puis, par extension,
contre-révolutionnaire réel ou supposé.
Très répandu dans les milieux populaires, le
terme « aristocrate » acquiert, avec la Révolution, une signification à la fois sociale et
politique. Il est, le plus souvent, associé à
l’idée - ancienne - de complot : complot de
l’entourage du roi et des privilégiés pour tenter un coup de force et confisquer le pouvoir
politique, dont la crainte est responsable de
la Grande Peur de l’été 1789, mais aussi de
la prise de la Bastille le 14 juillet. Les monarchistes réfutent l’épithète, insistant sur le sens
étymologique du terme aristocratie (« gouvernement des meilleurs »), tandis que les
patriotes développent une image de l’aristocrate partisan de l’Ancien Régime et de ses
abus, adversaire des droits de l’homme et de
la Constitution, ennemi à abattre. C’est durant
cette année 1789 qu’émerge un discours de liberté : le grand nombre doit l’emporter sur la
minorité ; le gouvernement de tous (la nation)
est opposé au gouvernement de quelques-uns
(les privilégiés), et les démocrates aux aristocrates. En 1791, Robespierre définit l’aristocratie comme « l’état où une portion des
citoyens est souveraine et le reste sujets ».
Le mot « aristocrate » devient ainsi un instrument idéologique permettant de discréditer ou de neutraliser les opposants politiques,
et revêt, au fil des ans et de la radicalisation de
la Révolution, un sens toujours plus étendu.
On parle, dès 1789, d’aristocratie municipale, militaire, bourgeoise, ou encore, avec
le régime censitaire, d’aristocratie de l’argent.
Dans la mentalité populaire, l’aristocrate,
promis « à la lanterne », noble ou non, toujours soupçonné de desseins tyranniques, est
membre de tout groupe dominant dans la hiérarchie sociale. Injure lancée à la tête de celui
qui abuse de son autorité, de l’arrogant ou
du supérieur hiérarchique, ce terme finit par
désigner tout ennemi avéré ou potentiel de la
Révolution. Sont ainsi aristocrates, ou suspectés d’aristocratie, les royalistes, les nobles, les
prêtres, puis les adversaires des sans-culottes,
parmi lesquels figurent les spéculateurs, les
fermiers, les marchands et les commerçants
« accapareurs », accusés de vouloir affamer
le peuple. Après la Révolution, le terme ne
désigne plus que les membres de la noblesse,
d’où la dénomination d’« aristo », apparue en
1848 et toujours en usage au XXe siècle.
Arles (royaume d’), ensemble de territoires
délimités par les Alpes, le Rhône et la Méditerranée, qui forment un royaume entre la fin
du IXe et le milieu du XIIIe siècle.
Après l’élection de Boson de Vienne comme
roi de Provence et de Bourgogne, en 879,
un premier royaume, strictement provençal,
est constitué par son fils dans les premières
années du Xe siècle, grâce à l’énergie du comte
d’Arles, Hugues, qui y exerce une régence
permanente. L’ambition de celui-ci le pousse
cependant à rechercher la couronne d’Italie
et, en 933, il cède ses droits sur le royaume de
Provence au roi Rodolphe II de Bourgogne,
qui possède déjà les territoires au nord de
Lyon et étend ainsi sa domination du Jura
jusqu’à la Méditerranée : c’est la naissance du
« royaume d’Arles et de Vienne ». Dès la mort
de Rodolphe II, en 937, ce royaume passe
sous le contrôle de l’Empire germanique, mais
ce n’est qu’en 1032 qu’il échoit à l’empereur
Conrad II, officiellement reconnu par une
assemblée de grands du royaume à la diète de
Soleure en 1038. Cependant, les souverains
germaniques ne possèdent ni biens ni administration sur ce territoire où ils ne résident
jamais. Ce sont les comtes les plus puissants,
ceux d’Arles et d’Avignon au XIe siècle, qui
exercent la réalité du pouvoir.
À partir de 1125, les premières familles
comtales ayant disparu, deux grandes dynasties extérieures à la Provence s’efforcent de
rassembler comtés et seigneuries pour parvenir à constituer un État cohérent : la famille
des comtes de Toulouse, vassaux du roi de
France, est surtout influente entre la Durance
et l’Isère, tandis que la famille des comtes de
Barcelone, vassaux du roi d’Aragon, est essentiellement active au sud de la Durance. Mais,
au-dessus de ces princes, l’empereur Frédé ric Ier Barberousse entend maintenir sa souveraineté sur la région et le signifie avec éclat en
se faisant couronner des mains de l’archevêque
dans l’église Saint-Trophime d’Arles en 1178.
Barberousse est l’empereur qui s’est le plus
préoccupé du royaume d’Arles, essayant de
conforter son pouvoir en s’appuyant sur les
églises épiscopales, auxquelles il octroya de
nombreux privilèges, et dotant le royaume
d’un embryon d’administration. Cette époque
constitue le point culminant dans l’histoire
du royaume d’Arles. Mais la décadence de
downloadModeText.vue.download 59 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
48
l’Empire germanique laisse les mains libres au
roi de France pour pousser ses avantages dans
cette région : ainsi, Charles d’Anjou, frère de
Saint Louis, hérite par son mariage de la Provence en 1246 et met fin, dès 1251, à l’autonomie du royaume.
Armagnac (Bernard VII, comte d’), chef
du parti armagnac à partir de 1410 (vers 1360 Paris 1418).
Deuxième fils du comte Jean II d’Armagnac
et de Jeanne de Périgord, Bernard d’Armagnac est un guerrier, né pendant la guerre de
Cent Ans au coeur géographique du conflit, la
Guyenne. Alliée à la famille d’Albret, la famille
d’Armagnac prit parti pour le roi de France
contre les prétentions anglaises. Avec son père
et son frère, Bernard lutte contre les Anglais,
puis contre les compagnies de « routiers » qui
ravagent le pays pendant les trêves. Il devient
comte d’Armagnac en 1391.
Dans la guerre civile qui oppose le duc
d’Orléans au duc de Bourgogne, il adopte
clairement les intérêts du parti antibourguignon. En effet, en 1393, il a épousé Bonne, fille
du duc de Berry, et se trouve lié à la famille
Visconti dont est issue la duchesse Valentine,
veuve du duc d’Orléans assassiné en 1407. Il
prend définitivement parti en 1410, lorsque sa
fille Bonne épouse le jeune duc Charles d’Orléans ; c’est à ce moment que le parti d’Orléans
devient, jusqu’à la fin de la guerre civile, le
parti d’Armagnac. Le comte en prend la tête,
réprime en 1413 le mouvement cabochien à
Paris, et investit la capitale, où il exerce une
dictature peu appréciée. Connétable et chef du
gouvernement du dauphin en 1415, il meurt
le 12 juin 1418 au cours des massacres qui
suivent l’entrée des Bourguignons dans Paris.
Après sa mort, Bourguignons et Anglais continuent d’appeler « Armagnacs » les partisans du
dauphin, devenu le roi Charles VII en 1422.
Armagnacs et Bourguignons, nom
des deux factions qui, sous Charles VI, s’opposent dans une guerre civile de 1407 à 1422.
L’assassinat du duc Louis d’Orléans (frère du
roi de France Charles VI) par le duc de Bourgogne Jean sans Peur, le 23 novembre 1407,
marque le début de la « querelle des Armagnacs et des Bourguignons ».
• Conflits de personnes... Mais l’origine
de cette querelle est plus ancienne : le roi
de France étant frappé de démence depuis
1392, son oncle, le duc de Bourgogne Philippe le Hardi, et son frère, Louis d’Orléans,
se disputent le pouvoir. Tout oppose les deux
princes : ambitions politiques, intérêts financiers, diplomaties rivales - dans l’Empire et en
Angleterre -, divergences sur le grand schisme
d’Occident. Le conflit s’aggrave à la mort de
Philippe le Hardi, en 1404 : Louis d’Orléans,
favorisé par la reine Isabeau de Bavière, détient
le pouvoir de 1405 à 1407 et coupe peu à peu
les vivres à la principauté bourguignonne.
Dès 1405, des clans se forment : celui du duc
d’Orléans ayant pris pour emblème un bâton
noueux, et pour devise « Je l’ennuie », celui
de Jean sans Peur, nouveau duc de Bourgogne,
adopte le rabot, et la devise « Je le tiens ».
L’assassinat de 1407 laisse au parti d’Orléans une veuve, Valentine Visconti, et un
enfant de 13 ans, le futur poète Charles
d’Orléans. Jean sans Peur rentre bientôt en
grâce auprès du roi et de la reine : de 1409
à 1413, le gouvernement est bourguignon.
Pendant ce temps, Jean, duc de Berry (oncle
de Charles VI), assure la défense des intérêts
de Charles d’Orléans : à Gien, en 1410, il
coalise autour de lui une ligue qui regroupe
les ducs de Bretagne et d’Orléans, et le comte
Bernard VII d’Armagnac, dont la fille Bonne
épouse le jeune prince. Le parti d’Orléans
prend le nom des redoutables mercenaires
armagnacs qui accompagnent Bernard VII.
• ...et choix politiques divergents. Les
principes défendus par les Armagnacs - au
moins verbalement - sont les mêmes que
ceux des marmousets, vieux conseillers du
roi Charles V demeurés dans l’entourage du
duc de Berry : un État fort appuyé par des serviteurs zélés, des finances saines, l’indépendance des institutions. Les Bourguignons, au
contraire, soutenus par l’Université, tiennent
à un idéal politique de réforme - c’est-à-dire,
au Moyen Âge, à un retour à des pratiques
anciennes, réputées meilleures (antiques franchises urbaines, abolition des impôts). Armagnacs et Bourguignons ont leurs partisans
dans la bourgeoisie parisienne : le milieu des
changeurs de métaux précieux, qui domine
aussi le crédit, soutient les Armagnacs, tandis
que la prévôté des marchands, attachée aux
libertés parisiennes, rejoint les Bourguignons.
• La guerre de Cent Ans en toile de fond.
Entre 1409 et 1412, Armagnacs et Bourguignons s’affrontent, se promettent la paix, négocient pour obtenir le concours des Anglais
contre le parti adverse. À Paris, aux mains des
Bourguignons, la guerre civile prend un autre
tour après la convocation des états généraux
par Jean sans Peur (1413). Le mouvement
réformiste est débordé par la révolte cabochienne, et les excès des émeutiers incitent
les Parisiens à faire appel aux princes du parti
d’Orléans. Sitôt dans Paris, les Armagnacs
massacrent les Bourguignons, et Bernard d’Armagnac, devenu connétable en 1415, y exerce
une dictature jusqu’en 1418. L’entrée des
Bourguignons à Paris, en mai 1418, d’abord
perçue comme une délivrance, est marquée
par de nouveaux massacres, au cours desquels
périt Bernard d’Armagnac. Son parti, que la
captivité de Charles d’Orléans depuis Azincourt (1415) prive de chef, se range aux côtés
du dauphin Charles (le futur Charles VII), qui
se proclame régent du royaume, tandis que
Jean sans Peur et la reine Isabeau tiennent le
roi Charles VI en leur pouvoir.
C’est durant les négociations entre le dauphin et le duc de Bourgogne, le 10 septembre
1419 à Montereau, que l’entourage armagnac de Charles assassine Jean sans Peur. Ce
meurtre relance la guerre civile et précipite les
événements : le nouveau duc de Bourgogne,
Philippe le Bon, négocie alors avec les Anglais
et avec Isabeau de Bavière le traité de Troyes
(21 mai 1420), qui déshérite le dauphin et
proclame Henri V d’Angleterre héritier du
royaume de France. À partir de 1422 (date de
la mort de Charles VI), et jusqu’à la réconciliation finale avec le duc de Bourgogne par le
traité d’Arras (1435), les Armagnacs seront les
partisans du « roi de Bourges ».
Armée révolutionnaire, armée intérieure, distincte de l’armée régulière, créée
en 1793 pour intimider les contre-révolutionnaires et faire respecter les lois sur les subsistances.
Dès l’été 1793, alors que la France en guerre
est menacée de l’intérieur par le soulèvement
de Vendée et le fédéralisme, de petites armées
révolutionnaires apparaissent en province. À
Paris, c’est sous la pression de la foule et des
cordeliers que la Convention - envahie lors de
la journée du 5 septembre 1793 - décrète, en
même temps qu’elle met la Terreur à l’ordre
du jour, la formation d’une armée révolutionnaire de 6 000 hommes et 1 200 canonniers.
Instrument de la Terreur, cette armée, commandée par le cordelier Ronsin, est composée
de sans-culottes urbains, bien souvent enragés et hébertistes. Elle assure, principalement,
avec un certain succès, le ravitaillement des
villes et des armées, obligeant les cultivateurs
à livrer leur production et à respecter la loi du
maximum. Elle joue aussi un rôle prépondé-
rant dans le mouvement de déchristianisation
durant l’hiver 1793. Ses détachements, parfois accompagnés d’une guillotine ambulante,
pourchassent, dans les campagnes, suspects,
feuillants, girondins, accapareurs ou ecclésiastiques. Très vite, la Convention s’inquiète
de ses initiatives et de ses excès. Le 14 frimaire an II (4 décembre 1793), elle décrète la
suppression des armées de province, puis, le
7 germinal an II (27 mars 1794) - trois jours
après l’exécution des chefs des cordeliers -, le
licenciement de l’armée parisienne.
armées catholiques et royales,
nom donné à des rassemblements, plus ou
moins organisés, d’insurgés hostiles à la
Révolution.
Même si l’on en rencontre dès 1792 dans
le Midi ou dans le Massif central, le terme
d’« armée » n’est véritablement revendiqué
qu’en Vendée, à partir d’avril 1793. C’est là
que de simples bandes rurales, levées depuis
mars, sont regroupées autour de noyaux
de quelques milliers de soldats permanents
(contre-révolutionnaires avérés, aventuriers,
déserteurs), sous le commandement de chefs
vite promus généraux - Jacques Cathelineau,
François Athanase de Charette de La Contrie,
Maurice Gigost d’Elbée, Charles de Bonchamps, Sapinaud de La Rairie... Les paysans,
levés au son du tocsin, rassemblés derrière
leurs « chefs de paroisse », servent de masse
de manoeuvre efficace. Le médiocre armement
initial (faux retournées, fusils de chasse...) est
rapidement complété par les armes et canons
pris aux républicains. Ces armées, rivales,
manquent d’unité et ne sont pas permanentes.
Elles sont dispersées ou écrasées pendant la
« virée de Galerne » (novembre 1793). Mais
elles sont reconstituées, à partir de 1794 et
jusqu’à la fin de 1795, autour de Charette et
de Jean Nicolas Stofflet.
Terminée dans les faits, la guerre de Vendée demeurera vivace dans les mémoires, ce
qui permettra aux cadres clandestins ayant
survécu de remobiliser des troupes en 1815,
lors des Cent-Jours, et en 1832, lors de la
tentative de soulèvement fomentée par la
duchesse de Berry.
downloadModeText.vue.download 60 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
49
armistice de 1918, accord conclu entre
l’Allemagne et les Alliés qui met fin à la Pre-
mière Guerre mondiale par la suspension des
hostilités.
À la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918, la Grande Guerre
prend fin : l’armistice est signé dans le wagon
de commandement du maréchal Foch, stationné à Rethondes, en forêt de Compiègne.
C’est le 29 septembre que le général Erich
Ludendorff a décidé de demander l’armistice :
en effet, non seulement l’Autriche-Hongrie,
la Bulgarie et la Turquie sont à bout de force,
mais même le front allemand menace de
s’écrouler. Chez les Alliés, les positions divergent : certains veulent répondre positivement
à cette demande, arguant de la lassitude extrême des troupes ; d’autres, en revanche, désirent porter la guerre en territoire allemand
par une dernière offensive.
Après un mois de négociations, l’Allemagne
doit accepter des conditions très dures, qui
s’apparentent à une capitulation. Au moment
où la commission d’armistice se réunit, l’empereur Guillaume II abdique, et le nouveau
gouvernement, menacé par des mouvements
révolutionnaires, n’a aucune possibilité de
contester les conditions qui lui sont dictées.
Matthias Erzberger, un député du centre catholique, ne peut que signer, le 11 novembre.
Étant donné les livraisons de matériel militaire
qui lui sont imposées, l’Allemagne se retrouve
dans l’incapacité de reprendre les hostilités.
Les soldats allemands ont deux semaines pour
repasser le Rhin, dont les Alliés occuperont
une partie de la rive droite.
L’extraordinaire explosion de joie qui salue
l’armistice en France prouve bien que les
jusqu’au-boutistes, au rang desquels figure le
président Poincaré, sont désavoués : il n’est
plus question de continuer une guerre d’ores
et déjà gagnée.
armistice de 1940, accord conclu par
l’Allemagne et la France le 22 juin 1940 en vue
de la cessation des hostilités.
Au milieu du mois de juin 1940, alors que la
bataille de France est perdue, le gouvernement
se divise. Paul Reynaud, certains ministres et
d’autres personnalités, dont Charles de Gaulle
alors sous-secrétaire d’État à la Défense, entendent poursuivre le combat à partir de
l’Afrique du Nord, projet qui suppose une
simple capitulation militaire, de façon à laisser toute liberté d’action au gouvernement en
dehors du territoire métropolitain. La solution
opposée, l’armistice, d’abord défendue par le
général Weygand, puis par Pétain, finit par
l’emporter.
Pétain se place autant sur le plan militaire
(l’Allemagne a gagné la guerre, la poursuite du
combat à partir de l’empire est chimérique)
que politique (empêcher un éventuel coup
de force communiste et préparer l’avènement
d’une « révolution nationale ») et moral (le
gouvernement ne saurait abandonner les
Français, la défaite est la sanction d’une décadence, et l’armistice la condition du relèvement). Reynaud, croyant avoir été mis en
minorité, démissionne le 16 juin au soir.
Pétain lui succède aussitôt et, le 17, alors que
des contacts sont noués avec les Allemands,
annonce au pays, « le coeur serré », qu’il faut
« cesser le combat ». Hitler révèle toute son
habileté politique en acceptant l’offre française. Son but est alors d’affaiblir la GrandeBretagne et d’éviter qu’une attitude trop rigide
ne précipite la flotte et l’empire français dans
le camp britannique.
À Rethondes, le 21 juin 1940, dans le
wagon de Foch, la délégation française reçoit,
en présence du Führer, les conditions allemandes. L’armistice, signé le 22 avec l’Allemagne, et le 24 avec l’Italie, entre en application le 25. Ses clauses sont draconiennes.
La France est divisée en deux zones : l’une,
à l’ouest et au nord, soit près des deux tiers
du territoire, est occupée par les Allemands,
l’autre, au sud, demeure « libre ». Un gouvernement français est maintenu et conserve
toute autorité sur l’empire. L’armée française,
limitée à 100 000 hommes environ, privée
d’armes lourdes, est réduite à assurer l’ordre
intérieur. La flotte n’est pas livrée, mais,
désarmée, elle doit demeurer dans ses ports
d’attache (ce qui la place sous la menace allemande). Les frais d’entretien des troupes d’occupation sont à la charge de la France. Enfin,
1,8 million de prisonniers français resteront
détenus en Allemagne jusqu’à la conclusion
d’un traité de paix.
L’acceptation ou le refus de l’armistice
dressa entre les Français un fossé politique
infranchissable : les pétainistes soutinrent
que l’armistice atténuerait les malheurs du
pays et préparerait son relèvement ; pour les
gaullistes, il n’était rien d’autre qu’un acte de
trahison.
Armoire de fer, chambre forte aménagée dans un mur du château des Tuileries par
Louis XVI, recelant les papiers secrets de la
famille royale, et découverte le 20 novembre
1792.
Une fois la royauté abolie, la Convention est
partagée quant à la nécessité de juger le roi.
Le débat, qui s’ouvre le 13 novembre 1792,
s’éternise et exacerbe les divisions entre
montagnards et girondins, ces derniers se
déclarant favorables à un ajournement. La
découverte de l’Armoire de fer - véritable
coup de théâtre - coupe court aux discussions et précipite le procès. Cette dernière
livre, en effet, plusieurs centaines de documents révélant des négociations secrètes
entre Louis XVI et l’Autriche, ainsi que les
liens du roi avec la Contre-Révolution, notamment son soutien aux émigrés, alors aux
côtés des puissances étrangères en guerre
contre la France. Elle permet de mettre au
jour sa correspondance privée avec nombre
de personnalités - Calonne, La Fayette ou
Dumouriez, et surtout Mirabeau, rétribué
par la cour pour ses conseils. La publication
des papiers contenus dans l’armoire émeut
fortement l’opinion, engendre un climat de
suspicion et nuit considérablement au roi. Ils
n’administrent pas la preuve de la trahison
de Louis XVI, de sa collusion avec l’étranger, mais ils mettent en évidence sa duplicité
et sa résistance précoce à la Révolution : un
double jeu qui fournit la base de l’acte d’accusation. Devenus des pièces à conviction,
ces papiers jouent un rôle primordial dans
le procès qui s’ouvre le 11 décembre, même
si Louis XVI choisit de se défendre en niant
l’authenticité de textes annotés de sa main.
Arnauld (Antoine), dit le Grand Arnauld,
théologien janséniste (Paris 1612 - Bruxelles
1694).
Dernier des vingt enfants d’Antoine Arnauld
(1560-1619), avocat célèbre pour son hostilité aux jésuites, il appartient à une famille
de robe, en partie protestante. Élevé par une
mère pieuse, il rencontre l’abbé de Saint-Cyran, ami de son frère Robert Arnauld d’Andilly. Étudiant en théologie, il est reçu docteur en Sorbonne et ordonné prêtre en 1641.
Ses opinions sur la grâce et la prédestination
sont tirées de saint Augustin, mais elles se
retrouvent chez Jansénius. Dès lors, Arnauld
épouse la cause janséniste, que défendent
également sa soeur Angélique, abbesse de
Port-Royal, et plusieurs de ses autres soeurs et
nièces, religieuses dans la même abbaye.
En 1643, le traité De la fréquente communion le rend célèbre : contre la conception
jésuite du recours à la communion pour fortifier le pécheur contre la tentation, il défend
une attitude sévère qui éloigne de l’autel le
fidèle indigne et met l’accent sur la pénitence
et le rôle du confesseur. Face aux condamnations pontificales, il distingue le droit et le
fait, prétendant que les propositions censurées sont fautives mais ne se trouvent pas chez
Jansénius.
La même année, la mort de Saint-Cyran fait
apparaître Arnauld comme le chef du parti
janséniste. Un ami de Port-Royal, le duc de
Liancourt, s’étant vu refuser l’absolution, Arnauld réplique par la Lettre à une personne de
condition, suivie d’une Lettre à un duc et pair
(1655), qui provoquent son exclusion de la
Sorbonne. Pascal prend alors sa défense dans
les Provinciales. Retiré à Port-Royal, Arnauld
collabore avec Lancelot à une Grammaire
générale et raisonnée (1660), et avec Nicole
à une Logique dite « de Port-Royal » (1662),
oeuvres remarquables destinées aux « petites
écoles ». Polémiste, il sait pourtant refréner
les extrémistes de son camp, et pousse à la
conclusion de la « paix de l’Église » (1668),
compromis entre les jansénistes, le pouvoir
monarchique et la papauté. Revenu à la cour,
il se voue au combat antiprotestant. Mais,
lorsqu’en 1679 Louis XIV relance les persécutions contre les jansénistes, Arnauld s’exile en
Hollande, puis à Bruxelles, où il mène une vie
besogneuse et semi-clandestine. Il n’en continue pas moins la lutte contre les jésuites et
les protestants, tout en restant loyal à son roi,
défendant même sa politique extérieure.
Esprit puissant et ardent, auteur fécond,
Antoine Arnauld a su soutenir des opinions
intransigeantes sans rompre avec la culture
antique ni repousser l’apport du cartésianisme. Fidèle à l’esprit de la Contre-Réforme,
il contribue cependant à introduire en terre
catholique une spiritualité rigoriste qui avait
assuré le succès du calvinisme.
Arnauld (Jacqueline) ! Mère
Angélique
Aron (Raymond), philosophe et sociologue
(Paris 1905 - id. 1983).
downloadModeText.vue.download 61 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
50
Ce brillant khâgneux et normalien, reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1928,
reste longtemps un proche des socialistes et
un véhément défenseur du pacifisme. Son
séjour en Allemagne entre 1930 et 1933
lui révèle pourtant le danger nazi, ce qui le
conduit à réviser ses positions pacifistes. Rentré en France et devenu professeur, Raymond
Aron livre une production philosophique
abondante, influencée par les travaux des
philosophes et sociologues d’outre-Rhin (la
Sociologie allemande contemporaine, 1935 ; Introduction à la philosophie de l’histoire, publié
à l’issue de sa thèse, soutenue en 1938). Il y
reprend la notion de relativisme historique
héritée de Max Weber, mais propose de la dépasser, préconisant l’engagement de l’homme
dans son époque.
Durant la Seconde Guerre mondiale,
après avoir rejoint Londres, il écrit dans les
colonnes de la France libre. À la Libération, il
se consacre entièrement au journalisme. Un
temps membre du comité de rédaction des
Temps modernes, où il retrouve son ancien
condisciple Jean-Paul Sartre, avec lequel il
rompt à l’automne 1947. La même année, il
cesse sa collaboration à Combat. Commence
alors un long parcours anticommuniste, jalonné par ses éditoriaux dans le Figaro et marqué par la publication, en 1955, de l’Opium
des intellectuels, véritable brulôt contre l’esprit
de système des intellectuels marxistes. Le
polémiste entre aussi dans le jeu politique en
adhérant au rassemblement gaulliste, le RPF,
et en militant au sein d’une structure intellectuelle anticommuniste, le Congrès pour
la liberté de la culture. Au coeur de la guerre
froide, Aron est mis au ban d’une intelligentsia française largement philocommuniste.
« Spectateur engagé », sans cesse en prise
avec l’histoire en marche, il prône l’indépendance de l’Algérie au nom de ce qu’il considère
comme le « réalisme » (la Tragédie algérienne,
1957). Plus tard, il voit dans les événements de
1968 la confirmation de la « fragilité du monde
moderne » (la Révolution introuvable, 1968).
En 1979, il retrouve Sartre pour un dernier
combat en faveur des boat-people vietnamiens.
Tout au long de cette période, le sociologue
- qui a poursuivi son enseignement à la Sorbonne (1955), à l’École pratique des hautes
études (1968), puis au Collège de France
(1970) - n’a cessé de nourrir une réflexion approfondie sur le pouvoir, les relations internationales et la société industrielle (Paix et guerre
entre les nations, 1962 ; la Lutte des classes :
nouvelles leçons sur la société industrielle, 1964 ;
Démocratie et totalitarisme, 1965 ; Penser la
guerre, Clausewitz, 1976). Au soir de sa vie, la
notoriété rattrape l’intellectuel, qui fut honni
par une partie de ses pairs : en témoignent le
succès du Spectateur engagé et la publication,
applaudie, peu de temps avant sa mort, de ses
Mémoires, cinquante ans de réflexion politique
(1983).
arquebuse ! mousquet
Arras (traité d’) [21 septembre 1435], traité
scellant la réconciliation, pendant la guerre
de Cent Ans, du roi de France Charles VII et du
duc de Bourgogne Philippe III le Bon, prince le
plus puissant du royaume.
Depuis 1407, une guerre civile oppose les
Armagnacs, partisans du roi, aux Bourguignons. Elle facilite la conquête de la France
par les Anglais, alliés au duc de Bourgogne.
Pour les vaincre, Charles VII doit donc préalablement se réconcilier avec celui-ci. Après
différents pourparlers, la conférence de paix
s’ouvre le 5 août 1435 à Arras, sous l’égide de
cardinaux représentant le pape et le concile
de Bâle. Elle réunit le duc de Bourgogne, une
délégation anglaise conduite par le cardinal
Henri Beaufort, et une ambassade française
dirigée par le connétable de Richemont. La
négociation entre la France et l’Angleterre
échoue, car les exigences anglaises sont excessives : Charles VII perdrait son titre de roi, et
deviendrait le vassal du roi anglais Henri VI
pour tous les territoires que celui-ci entend
conserver.
Cette intransigeance permet au duc de
Bourgogne de signer, le 21 septembre, une
paix séparée avec le roi de France : ce dernier désavoue le meurtre de Jean sans Peur,
père du duc, à Montereau, en 1419 ; il cède
à Philippe III l’Auxerrois, le Mâconnais, diverses châtellenies et les territoires situés de
part et d’autre de la Somme, prévoyant cependant, pour ces derniers, une possibilité
de rachat ; enfin, il le dispense d’hommage,
mais uniquement à titre personnel. Même si
les concessions sont importantes, Charles VII,
grâce à ce traité, conclut l’alliance francobourguignonne : il peut ainsi espérer obtenir
l’aide militaire du duc pour la reconquête du
royaume - ou, au moins, sa neutralité.
Arras (traité d’) [23 décembre 1482], traité
signé par Louis XI et Maximilien de Habsbourg
pour mettre un terme à la guerre de la succession de Bourgogne.
Après la mort de Charles le Téméraire en janvier 1477, Louis XI s’est rapidement emparé
de la Picardie, de l’Artois, du duché de Bourgogne et du comté de Bourgogne (Franche-
Comté). Mais Marie de Bourgogne, héritière
du Téméraire, se marie alors avec Maximilien
de Habsbourg, fils de l’empereur Frédéric III.
Au nom de sa femme, Maximilien entreprend
la reconquête des territoires perdus. Si Louis XI
parvient à conserver le duché de Bourgogne, la
Picardie et l’Artois, il ne réussit ni à garder le
comté de Bourgogne, ni à annexer le Hainaut.
La bataille indécise de Guinegatte, le 7 août
1479, les nombreuses dévastations qui y font
suite, enfin, la mort accidentelle de Marie de
Bourgogne, le 27 mars 1482, conduisent les
deux parties à négocier : la paix d’Arras est
signée le 23 décembre 1482.
Le traité prévoit le mariage du dauphin
Charles avec Marguerite, fille de Marie et de
Maximilien, dont la dot - à restituer au cas où le
mariage n’aurait pas lieu - se compose du comté
de Bourgogne, de l’Artois, du Mâconnais et de
l’Auxerrois. Quant à la Picardie et au duché de
Bourgogne, ils sont tacitement laissés à Louis XI.
L’abandon, en 1491, du projet de mariage entre
le dauphin, devenu Charles VIII, et Marguerite
entraîne la signature d’un nouveau traité, en mai
1493 : le traité de Senlis.
Ars (Jean-Marie-Baptiste Vianney curé d’)
! Jean-Marie-Baptiste Vianney
(saint)
Artagnan (Charles de Batz, seigneur d’),
gentilhomme gascon (près de Lupiac, Gers,
1611 - Maastricht, Pays-Bas, 1673).
D’Artagnan est l’exemple même du cadet
de Gascogne aux origines relativement modestes : sa noblesse apparaît pour le moins
douteuse, même si sa mère est née Montesquiou. Il mène une carrière militaire exemplaire, servant dans les gardes (1635), puis
dans les mousquetaires, prestigieuse compagnie de cent hommes créée en 1622. À
ce titre, d’Artagnan n’assure pas seulement
la garde du roi : il participe aussi à de nombreuses campagnes (de 1640 à sa mort, le
25 juin 1673, lors du siège de Maastricht)
et gagne des galons, dont ceux de chef de la
première compagnie des mousquetaires, en
1667.
Cependant, ce courageux Gascon, passionnément dévoué au service du roi, n’aurait
guère laissé de trace si son sens du devoir
n’avait fait de lui l’homme des missions délicates : l’intermédiaire entre un Mazarin exilé
et la cour en 1651, pendant la Fronde ; celui
que Louis XIV charge d’arrêter Fouquet, en
1661, puis de l’escorter jusqu’à la forteresse de
Pignerol en 1664 ; cette même forteresse où il
conduira le maréchal de Lauzun, en 1671. Il
achève d’y gagner une parfaite réputation de
« fidèle au roi et humain à ceux qu’il garde »,
selon les termes de son amie Mme de Sévigné.
Si d’Artagnan est resté dans la mémoire,
il le doit à l’un de ses subordonnés parmi
les mousquetaires, Courtilz de Sandras, qui
publie d’abondants et apocryphes Mémoires
de Monsieur d’Artagnan (1700), et surtout
à Alexandre Dumas qui, s’inspirant largement de ces Mémoires, crée l’extraordinaire
personnage des Trois Mousquetaires (1844).
Attachant, plein de vie et d’enthousiasme,
peut-être un peu simplet parfois, ce d’Artagnan réapparaît dans Vingt ans après (1845),
le Vicomte de Bragelonne (1847-1850), et dans
les versions théâtrales que le prolixe Dumas
tire de ses romans. Et ce n’est pas hasard si
ces oeuvres comptent parmi celles que le cinéma mondial a le plus souvent adaptées :
d’Artagnan a ainsi pris les traits de Douglas
Fairbanks, de John Wayne, de Gene Kelly,
de Georges Marchal, de Michael York... Il a
même inspiré des versions comiques, mais
le personnage de Dumas est si fort que rares
sont les créateurs qui s’écarteront du roman
(à l’exception notable de Bertrand Tavernier,
avec sa Fille de d’Artagnan, 1994). La fiction
l’a décidément emporté sur la réalité.
Arthur III, connétable de France et duc de
Bretagne de 1457 à 1458 (1393 - 1458).
Second fils du duc Jean IV, il hérite à la mort
de son père, en 1399, du comté anglais de
Richmond, dont il porte le titre, francisé en
Richemont.
Capturé par les Anglais à Azincourt
(1415), il est libéré en 1420 pour avoir aidé
à convaincre son frère, Jean V, duc de Bretagne, d’adhé rer au traité de Troyes, signé
par Henri V d’Angleterre et le roi de France
downloadModeText.vue.download 62 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
51
Charles VI, et qui fait du souverain anglais
l’héritier du trône de France. Marié à une
soeur de Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, il réintègre l’alliance française à la
suite du duc de Bretagne, en 1425. Promu
connétable de France, Richemont se révèle
un organisateur efficace et un habile tacticien,
mettant sur pied ce qui deviendra dans les
décennies suivantes l’armée de la victoire.
Porté aux intrigues de cour, il est écarté du
pouvoir, en 1428, par Charles VII, au profit
de La Trémoille, et se retire dans ses seigneuries du Poitou. En 1433, il est rappelé par le
roi, qui veut isoler diplomatiquement le duc
de Bedford, régent du royaume de France.
Il travaille alors à une réconciliation avec la
Bourgogne, dont le succès, consacré par le
traité d’Arras en 1435, ouvre la route de Paris
aux armées royales. Promu lieutenant du roi
pour tous les pays reconquis, il mène victorieusement l’offensive française dans le Maine
et en Normandie.
En septembre 1457, ses neveux François Ier
et Pierre II étant morts sans héritier direct, il
devient duc de Bretagne. Il cherche, à l’image de
ses prédécesseurs, malgré la charge de connétable et le rôle politique qu’il conserve à la cour
de France, à préserver l’autonomie du duché
contre l’influence française grandissante.
artillerie. L’arme principale de l’artillerie,
le canon, apparaît au début de la guerre de
Cent Ans, lors de la bataille de Crécy (1346),
et devient très vite l’instrument décisif de la
guerre de siège.
Charles V ordonne ainsi que ses « bonnes
villes » soient dotées de bouches à feu et
crée un premier corps d’artillerie. Sous
Charles VII, les frères Bureau développent
cette artillerie lourde qui permet, en un an, de
faire tomber les villes et les forteresses de Normandie. Ils sont également à l’origine d’une
artillerie de campagne, capable d’opérer sur
le champ de bataille en dépit du poids encore
imposant des pièces. À son entrée en Italie,
en 1494, Charles VIII dispose de 140 canons
lourds et de 226 pièces légères. Mais il faut
encore 20 chevaux pour tirer les premiers, et
7 pour les secondes. À Marignan comme à
Pavie, l’artillerie permet de faire la différence.
• Organisation et professionnalisation.
Sous Richelieu, puis sous Louis XIV, cette
arme connaît un développement considérable. Les Français adoptent alors les procédés
mis au point par les Hollandais et les Suédois
pour accroître la mobilité des pièces et la rapidité de chargement. Cet essor s’accompagne
d’une prolifération des calibres, que Vallières,
en 1732, s’efforce de restreindre, ramenant
leur nombre à sept. En 1765, Gribeauval est à
l’origine d’une nouvelle réforme : il réduit encore le nombre de calibres, allège les pièces, et
développe des procédés rapides de pointage.
L’adoption de gargousses en papier ou en toile
facilite le chargement et augmente la cadence
de tir. Pendant de nombreuses années, cette
artillerie sera considérée comme la meilleure
d’Europe, et servira, sans modifications notables, durant les guerres de la Révolution et
de l’Empire. Simultanément, elle cesse d’être
un organisme servi par des spécialistes civils :
elle utilise le concours occasionnel de fantassins pour devenir un corps militaire. À la fin
de l’Ancien Régime, l’armée royale compte
ainsi 7 régiments d’artillerie, soit près de
1 000 officiers et 11 000 hommes. La Révolution complétera cette organisation par une
artillerie « volante » ou à cheval agissant en
liaison avec la cavalerie. De 1792 à 1815,
le nombre de canons ne cesse d’augmenter.
Lui-même ancien artilleur, Napoléon accorde
un rôle croissant à l’artillerie : on compte
80 canons à Austerlitz, 100 à Wagram, 120
à la Moskova.
• Une modernisation progressive. Par la
suite, les innovations importantes adviennent
sous le Second Empire : essais de nouveaux
matériels, canons-obusiers, pièces rayées,
canons se chargeant par la culasse. Toutefois,
en 1870, l’artillerie française reste composée,
pour l’essentiel, de pièces se chargeant par
la bouche. Cependant, elle demeure nettement inférieure, en nombre et en qualité, à
celle d’outre-Rhin dotée de canons en acier se
chargeant par la culasse, d’une portée et d’une
précision plus grandes.
Après 1871, un gros effort de rénovation est entrepris. Inspirés des réalisations
allemandes, les canons Lahitolle de 80 et de
95 mm et les pièces de Bange de 90, 120 et
155 mm, d’une portée de 7 à 9 kilomètres, apparaissent. Les explosifs sont également améliorés. Le plus grand succès français concerne
alors la mise au point du canon de 75, adopté
en 1897, pourvu d’un frein hydraulique et
tirant un obus à forte capacité explosive. Toutefois, au début de la Première Guerre mondiale, l’artillerie lourde française est nettement
surclassée ; elle ne rattrapera son retard qu’en
1917-1918, avec des canons de 105 et 155.
Dans les deux camps, le conflit est marqué
par des préparations d’artillerie de plus en
plus intenses, pour neutraliser les positions
fortifiées de l’adversaire. Lors de la signature de l’armistice, la France dispose de plus
de 13 500 canons et d’un effectif supérieur
à 450 000 hommes ; plus de 300 000 obus
sont produits quotidiennement, au lieu de
15 000 en 1914.
Dans l’entre-deux-guerres, l’artillerie de
campagne et l’artillerie lourde ne sont pas
modernisées. Les innovations portent sur le
développement de pièces antichars de 25 ou
de 47, mais la défense antiaérienne (DCA)
légère est négligée, et la motorisation reste
encore très limitée. Ce manque de mobilité
constitue la raison essentielle du rôle décevant
de l’artillerie pendant la campagne de 1940.
Avec le réarmement des troupes françaises
d’Afrique en 1943, l’artillerie est dotée de
canons américains de 105 ou de 155. Ils seront largement utilisés dans d’autres conflits,
notamment en Indochine, avant d’être remplacés par des matériels français de 155, automoteurs ou tractés.
Dans le même temps, les techniques de
tir s’améliorent considérablement, grâce
à l’adoption de radars ou de télémètres à
laser. Le matériel de DCA est complètement
rénové : pièces légères et missiles sol-air sont
introduits. Dans le cadre de la force de dissuasion, l’artillerie française, jusqu’en 1996,
est encore équipée de pièces tirant les missiles
nucléaires tactiques « préstratégiques » de
type Pluton, puis Hadès. Associant canons et
missiles, utilisant des projectiles extrêmement
variés, elle constitue toujours l’un des outils
majeurs de l’armée.
Artois, ancienne province du nord de la
France correspondant à la majeure partie du
département du Pas-de-Calais.
Entre la Picardie au sud et la Flandre au nord,
l’Artois abrite à l’époque gauloise le peuple
des Atrébates, qui forme ensuite la cité galloromaine d’Arras, siège d’un évêché dans la
Gaule chrétienne. Au centre du domaine historique des rois francs, la région fait partie du
royaume mérovingien de Neustrie entre le VIe et
le VIIIe siècle, puis devient un comté sous le règne
de Charlemagne. Lorsque, aux IXe et Xe siècles,
l’Empire carolingien se désagrège et que se
constituent des principautés territoriales, l’Artois
entre dans le grand ensemble flamand.
• La dot d’Isabelle. L’Artois émerge de cet
ensemble à la fin du XIIe siècle. En effet, le
comte de Flandre Philippe d’Alsace, se posant
comme le protecteur du jeune roi de France
Philippe Auguste, fait épouser à ce dernier,
en 1180, sa nièce Isabelle de Hainaut, à laquelle il promet en dot l’Artois, qu’il sépare
du reste de la Flandre et lui en promet l’héritage. Lorsque Philippe d’Alsace disparaît, en
1191, Isabelle de Hainaut est morte, mais a
donné le jour à un fils, le futur roi Louis VIII.
Philippe Auguste entre donc en possession de
l’Artois au nom de son fils. A son avènement,
en 1223, Louis VIII intègre l’Artois dans le
domaine royal, et surtout sa capitale Arras,
riche cité drapière et centre bancaire, mais
aussi foyer de culture (abbaye Saint-Vaast).
Donné en apanage par Louis IX à son plus
jeune frère, Robert, en 1237, l’Artois devient
une principauté territoriale héréditaire, dont
le destin est lié à des successions délicates, car
il revient souvent à des héritières.
• L’enjeu de nombreux conflits. La première succession d’Artois, sous le règne de
Philippe le Bel, est marquée par les retentissants procès de Robert d’Artois à sa tante Mahaut en 1309 et 1318. Aux XIVe et XVe siècles,
l’Artois passe ainsi de la Bourgogne à la
Flandre, puis retourne à la Bourgogne, à partir
de 1384. Le destin de la région suit, pendant
cent cinquante ans, celui des états bourguignons, profitant de leur prospérité culturelle
et économique. Au XVe siècle, les tapisseries
d’Arras sont les rivales de celles de Bruxelles.
À la mort de Charles le Téméraire, en 1477,
Louis XI se saisit d’une partie des états bourguignons, dont l’Artois. Mais leur légitime héritière épouse l’archiduc d’Autriche Maximilien
de Habsbourg, et, pendant plus de dix ans,
le roi de France Charles VIII et Maximilien se
disputent l’héritage bourguignon. Le sort de
l’Artois est fixé au traité de Senlis, en 1493,
qui assure la possession de certaines villes artésiennes (Hesdin, Aire-sur-la-Lys, Saint-Omer)
au roi de France, et la majeure partie de l’Artois
à l’archiduc d’Autriche. L’Artois reste ainsi sous
la domination des Habsbourg jusqu’à la paix des
Pyrénées de 1659, conclue entre Louis XIV et le
roi d’Espagne Philippe IV. Après cette date, il est
complètement intégré au royaume de France,
au point que le roi Louis XV peut donner à son
petit-fils, futur Charles X, le titre de comte d’Artois, en 1757. À la Révolution, la région forme
downloadModeText.vue.download 63 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
52
la majeure partie du département du Pas-deCalais, dont le chef-lieu est Arras.
L’histoire de l’Artois illustre le sort d’une
région de plaine frontalière, voie de passage
et terre d’invasions : enjeu de toutes les successions, facilement démembré et redistribué
comme une carte dans le jeu politique, l’Artois a gardé peu de traces de son riche passé
culturel, détruit au cours des deux conflits
mondiaux. Les beffrois des grandes villes permettent cependant d’imaginer la richesse des
communes médiévales.
Artois (succession d’), épisode opposant,
au début du XIVe siècle, la comtesse Mahaut à
son neveu Robert pour la succession du comté
d’Artois.
À la mort de Robert II, comte d’Artois, en
1302, s’ouvre une succession délicate. En
effet, le fils aîné de Robert II, Philippe, est
mort en 1298, avant son père. Les héritiers
de Robert II sont donc sa fille Mahaut et son
petit-fils Robert, fils du défunt Philippe. La
coutume d’Artois n’admettant pas qu’un fils
puisse représenter les droits successoraux
de son père mort, et aucune clause ne réservant l’héritage de l’Artois aux mâles, le comté
revient donc à Mahaut. Celle-ci bénéficie
d’un soutien important à la cour de France,
puisqu’elle a épousé en 1285 Othon, comte de
Bourgogne (de la future Franche-Comté), et
marié ses deux filles avec deux fils de Philippe
le Bel, les futurs Philippe V et Charles IV.
Le jeune Robert, débouté une première fois
en 1309, prend en 1315 la tête d’un mouvement féodal hostile à Mahaut, et revient à la
charge auprès du roi Philippe V en 1318. Une
nouvelle fois, la Cour des pairs donne raison
à Mahaut. La situation tourne au profit de
Robert d’Artois en 1328, lorsque la dynastie
des Valois, en la personne du roi Philippe VI,
accède au trône de France. Robert d’Artois a
en effet épousé la propre soeur de Philippe de
Valois et soutenu l’accession au trône de ce
dernier. S’appuyant sur l’exemple du comte
de Flandre, qui a laissé son comté à l’aîné de
ses petits-enfants, Robert d’Artois demande
à bénéficier de cette pratique, et produit témoins et documents prouvant que la volonté
de son grand-père, Robert II, était bien de lui
laisser le comté d’Artois.
Avant que l’affaire ne vienne devant le parlement, Mahaut meurt, en novembre 1329 ;
peu après meurt sa fille et héritière, Jeanne de
Bourgogne, qui laisse du roi Philippe V une fille,
Jeanne de France, épouse du duc Eudes IV de
Bourgogne, très puissant au Conseil. Le 14 décembre 1330, en audience, les conseillers du
parlement démontrent que les documents produits par Robert d’Artois sont des faux. Pour
la troisième fois, Robert d’Artois est débouté.
L’usage de faux documents, crime de lèse-majesté, est jugé dans un procès criminel : la faussaire, Jeanne de Divion, est brûlée en 1331, et
Robert d’Artois, qui avait fui la cour, est banni
en 1332. Il finit par trouver refuge auprès du roi
d’Angleterre Édouard III. Ce dernier prête une
oreille bienveillante aux plaintes de ce baron
français hostile à Philippe VI, qui, en prélude
à la guerre de Cent Ans, attise les ambitions du
roi d’Angleterre.
arts libéraux, dans les écoles et les
universités, jusqu’à la fin du Moyen Âge, programme d’enseignement hérité de l’Antiquité
et composé de sept disciplines : la grammaire,
la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la
géométrie, l’astronomie, la musique.
Cette classification des différents savoirs
nécessaires à la formation de l’esprit est déjà
présente dans l’oeuvre de l’écrivain latin Varron (IIe et Ier siècles avant J.-C.). Pendant plusieurs siècles, les arts libéraux, en particulier
la grammaire et la rhétorique, constituent les
principales disciplines enseignées dans les
écoles gallo-romaines (écoles « secondaires »
des grammairiens ; écoles « supérieures » des
rhéteurs). Au début du Moyen Âge, les sept
arts libéraux, qu’on divise en deux cycles - le
trivium (grammaire, rhétorique, dialectique)
et le quadrivium (arithmétique, géométrie,
astronomie, musique) -, sont toujours abondamment décrits et commentés : au Ve siècle,
par Martianus Capella (dans les Noces de Philologie et de Mercure), au VIe siècle, par Cassiodore (dans les Institutions). Pourtant, à cette
époque, la lecture et la compréhension de la
Bible remplacent peu à peu la culture antique
dans les écoles monastiques, cathédrales ou
presbytérales, du royaume franc. À partir de
la renaissance carolingienne, notamment,
sous l’influence d’Alcuin (VIIIe siècle), les arts
libéraux redeviennent la base de l’enseignement scolaire, dont la théologie est le couronnement, comme l’attestent les grands traités
encyclopédiques du XIIe siècle, par exemple le
Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor.
Selon les écoles et les maîtres, l’accent
est mis sur telle ou telle discipline. Un peu
partout, la grammaire, notamment celle des
auteurs latins Donat (vers 350) et Priscien
(vers 500), reste le fondement des études.
Mais, tandis que les écoles d’Orléans se spécialisent au XIIe siècle dans la rhétorique et l’art
épistolaire, des maîtres de l’école de Chartres
font une large place à la géométrie et aux
sciences naturelles. Les écoles parisiennes,
quant à elles, sont réputées pour l’enseignement de la dialectique à partir de la Logique
et des autres oeuvres d’Aristote, diffusées en
France dès les années 1140-1150. La plupart
des universités médiévales – créées en France
à partir du XIIIe siècle – ont une faculté des arts.
Mais, en réalité, seule celle de Paris offre un
enseignement qui dépasse largement l’étude
de la grammaire : son art d’excellence, la dia-
lectique, attire des étudiants venus de partout,
au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle, tandis
que le quadrivium n’est déjà plus étudié.
Arvernes, peuple gaulois qui occupait à
peu près l’Auvergne actuelle, à laquelle il a
laissé son nom.
Les Arvernes sont signalés par les historiens
grecs et latins dès la fin du IIIe siècle avant
J.-C., lorsqu’ils aident les troupes du Carthaginois Hasdrubal Barca à traverser le Languedoc pour prendre les Romains à revers.
Ces historiens décrivent aussi les fastes du
roi arverne Luerr, offrant à son peuple des
fêtes de plusieurs jours durant lesquels le
vin coule à flots, ou jetant du haut de son
char des poignées de pièces d’or. De fait, les
Arvernes semblent avoir très anciennement
adopté l’usage de monnaies, dont les premiers
exemplaires sont copiés sur des statères d’or
de Philippe de Macédoine, sans doute parvenus jusque-là à la faveur d’équipées guerrières. Lors de la conquête de la Provence et
du Languedoc, qui deviendront la province
romaine de Narbonnaise en 121 avant J.-C.,
les Romains doivent d’abord affronter les Arvernes et leur roi, Bituit, fils de Luerr. Vaincu,
celui-ci est emmené prisonnier à Rome. Ainsi
s’achève l’hégémonie arverne sur le midi de
la France.
Mais, à partir de 58 avant J.-C., lorsque
César soumet la Gaule, les Arvernes restent
les derniers à résister (jusqu’en - 53). Ce n’est
donc pas un hasard si c’est un jeune aristocrate arverne, Vercingétorix, qui prend la tête
d’une coalition comprenant une bonne partie
des peuples gaulois déjà soumis. Après de premiers revers, marqués par les prises de Cenabum (Orléans) et d’Avaricum (Bourges), Vercingétorix parvient cependant à défaire César
devant Gergovie, la capitale arverne, entraînant
avec lui le reste des peuples gaulois - et notamment les Éduens, alliés de Rome et traditionnels rivaux des Arvernes. Mais Vercingétorix
est à son tour assiégé dans Alésia, contraint à
la reddition, puis exécuté. Après cette victoire
définitive, César aura néanmoins l’habileté de
dispenser les Arvernes de payer tribut, préparant le ralliement à Rome de leurs responsables,
dont le notable proromain Epasnactos fournit
l’exemple type.
L’archéologie a révélé en pays arverne un
peuplement dense, mais éparpillé en une
poussière de hameaux aux IIIe et IIe siècles
avant J.-C. C’est seulement au début du
Ier siècle avant J.-C. qu’apparaissent les pre-
mières organisations urbaines, comme, dans
la plaine de Clermont-Ferrand, les oppidums
successifs de Corent, Gondole et enfin Gergovie, la capitale, remplacée à l’époque romaine
par Augustonemetum - l’actuelle ClermontFerrand.
asile (droit d’), dans l’Antiquité et au Moyen
Âge, droit pour celui qui est poursuivi, que
ce soit par des ennemis personnels ou par
la force publique, de se réfugier dans un lieu
sacré.
La tradition en est très ancienne, puisqu’on
se réfugiait déjà dans les temples des dieux
romains, mais cette coutume ne fut reconnue
par une constitution impériale qu’en 419.
Le développement du droit d’asile dans les
églises chrétiennes est lié à celui du culte des
saints et au mouvement de la Paix de Dieu,
qui lui donne son plus grand essor : tous les
conciles du XIe siècle renouvellent le canon qui
protège la personne ayant trouvé refuge dans
une église contre toute forme de violence.
Le deuxième concile du Latran (1139) étend
ce privilège à tous les lieux sacrés et à leurs
dépendances. Cette idée de l’inviolabilité de
certains lieux est à l’origine des villages du
Sud-Ouest dénommés « sauveté » et créés par
des seigneurs ecclésiastiques. Le droit d’asile
n’a cependant pas pour effet de soustraire le
criminel à la justice : celui qui est reconnu
coupable ne peut espérer qu’un adoucissement de la peine prévue, après l’intervention
de l’Église auprès du juge. En outre, à partir du XIIIe siècle, le pape dresse une liste des
downloadModeText.vue.download 64 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
53
exceptions, c’est-à-dire des types de crimes et
délits pour lesquels on ne peut bénéficier en
aucun cas du droit d’asile, liste qui ne cessera
de s’allonger. Quand l’édit de Villers-Cotterêts
(1539) abolit l’asile en matière civile et criminelle, il ne fait qu’entériner la disparition de ce
droit dans la pratique.
assemblée des notables, conseil
extraordinaire réuni par le roi à dix reprises
entre 1506 et 1788.
Convoquée par le souverain, lorsque celuici veut s’informer et prendre conseil tout en
cherchant l’adhésion de ses sujets, l’assemblée
des notables est composée de membres éminents des trois ordres, dans des proportions
et suivant des règles chaque fois différentes.
Moins nombreux qu’aux états généraux
et plus dociles, car nommés par le roi, ses
membres ont un rôle consultatif et débattent
le plus souvent d’économie et de finance.
Les six assemblées convoquées durant le
XVIe siècle accompagnent ou préparent les
états généraux, et remplissent leur fonction,
notamment lors des guerres de Religion.
Cependant, l’assemblée de 1596, réunie à
Rouen par Henri IV, ne cache pas sa volonté de contrôler les impôts et les dépenses
royales, prétention due au fait - unique - que
ses membres ont été élus par les trois ordres.
Convoquée en 1617 à Rouen, pour débattre
de la vénalité des offices, puis en 1626 à Paris,
pour approuver la politique de Richelieu,
l’assemblée n’est plus réunie au-delà du règne
de Louis XIII, alors que s’affirme la monarchie
absolue. Elle est de nouveau convoquée lors
de la crise prérévolutionnaire. En 1787, plutôt qu’à de turbulents états généraux ou aux
parlements, c’est à une assemblée des notables
que Calonne, ministre des finances, choisit
de soumettre son plan de réformes pour
résoudre la crise financière. Réunie à Versailles, du 22 février au 25 mai, l’assemblée,
composée presque uniquement de privilégiés,
repousse le projet de subvention territoriale,
impôt unique pesant sur la terre et signifiant
la fin de l’exemption fiscale de la noblesse et
du clergé. Elle obtient le renvoi de Calonne,
remplacé par Loménie de Brienne, prétend
contrôler la monarchie et soutient le principe
d’états généraux seuls habilités à consentir
l’impôt.
Bien que défendant la société d’ordres,
l’assemblée mobilise l’opinion contre la
monarchie et participe involontairement au
déclenchement de la Révolution. Après sa dissolution, les parlements prennent le relais de
la révolte aristocratique et antiabsolutiste dans
une longue campagne pour la réunion des
états généraux, que Louis XVI accepte en août
1788. Une nouvelle assemblée, réunie à Versailles du 6 novembre au 12 décembre 1788,
rejette le doublement du nombre de députés
du tiers état aux états généraux et le vote par
tête - et non par ordre - voulus par Necker
pour obtenir l’approbation des réformes. C’est
cependant avec une représentation du tiers
état deux fois plus importante que les états
généraux se réunissent en mai 1789 avant de
se déclarer Assemblée nationale.
assemblée du clergé, réunion périodique des représentants de l’Église de France
entre la seconde moitié du XVIe siècle et 1788.
À la veille des guerres de Religion, le clergé,
menacé par la monarchie endettée d’une saisie de ses biens, et afin de l’éviter, accepte de
contribuer régulièrement aux finances royales.
Prévu pour une période limitée par le contrat
de Poissy (1561), le subside est renouvelé par
l’assemblée de Melun (1579-1580) et devient
permanent. Dans un premier temps, le clergé
fournit des fonds pour payer des rentes vendues au profit de la monarchie. Mais, bientôt,
l’essentiel de sa contribution consiste en un
« don gratuit » voté par l’assemblée.
Celle-ci se réunit ordinairement tous les
cinq ans, plus souvent parfois, quand les besoins financiers du royaume se font urgents.
S’y retrouvent des délégués élus dans chaque
province ecclésiastique. Dans l’intervalle des
sessions, deux agents généraux du clergé
représentent l’ordre. Outre le vote, précédé
parfois d’âpres négociations, les assemblées
prennent l’habitude de débattre des sujets
les plus divers touchant les questions religieuses : au XVIIe siècle, elles demandent régulièrement la révocation de l’édit de Nantes ;
au XVIIIe siècle, elles s’élèvent contre les parlementaires jansénistes ou les ouvrages irréligieux.
Seul ordre à disposer d’une tribune lui
permettant de dialoguer avec la monarchie,
le clergé oscille, au gré des époques, entre
docilité et résistance farouche aux exigences,
fiscales ou autres, des souverains. La dernière
session se tient en 1788.
Assemblée du 10 juillet 1940, réunion des deux Chambres pour le vote des
pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Faire table rase de la IIIe République, tenue
pour responsable de la défaite, constitue sans
nul doute le premier objectif du maréchal Pétain et de ses proches au cours de l’été 1940.
Après avoir projeté de mettre le Parlement
en vacances pour une durée indéterminée,
l’entourage de Philippe Pétain, gagné aux
idées de Laval et de Raphaël Alibert, souhaite
obtenir du Parlement qu’il se saborde, puis
élabore une nouvelle Constitution.
Le 9 juillet 1940, les deux Chambres, réunies séparément à Vichy, où s’est réfugié le
gouvernement, votent à une écrasante majorité l’article unique d’un projet de loi annonçant qu’« il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles ». Les menaces de mort proférées
contre certains parlementaires, notamment
Pierre Cot et Henri de Kérillis, l’absence des
dirigeants traditionnels - Jean Zay, Édouard
Daladier, Georges Mandel ou Pierre Mendès
France sont partis sur le Massilia vers Casablanca, où ils sont assignés à résidence -, en
d’autres termes, un climat général de peur,
d’aveuglement et d’ambitions personnelles
explique le vote des pleins pouvoirs constituants en faveur du maréchal Pétain le 10 juillet. L’adhésion des parlementaires présents
est massive : aux 569 voix favorables au nouveau régime (dont la plupart des socialistes
et des radicaux) ne s’opposent que 80 voix
(en majorité de la SFIO et du Parti radical), et
l’on dénombre 20 abstentions. À partir de ce
moment, comme le précise le rapporteur du
projet, « le gouvernement du maréchal Pétain
reçoit les pleins pouvoirs exécutif et législatif
[...] sans restriction, de la façon la plus étendue ». Seule limite, à la date du 10 juillet, interdiction est faite à Philippe Pétain de déclarer la guerre sans l’assentiment des Chambres.
Par la suite, la légalité du vote du 10 juillet 1940 sera contestée, notamment par les
gaullistes. Le non-respect de la procédure
ou l’amendement d’août 1884 interdisant de
remettre en cause la forme républicaine du
régime sont les principaux arguments avancés. On ne saurait, pour autant, sous-estimer
le mélange de résignation et de consentement
des parlementaires présents à Vichy, qui
furent, ce jour-là, plus conscients de brader
la République que victimes d’un traquenard.
Et même si l’armistice signé à Rethondes le
22 juin a constitué, somme toute, une rupture plus importante, le vote du 10 juillet
1940 n’en a pas moins facilité l’installation du
régime pétainiste en lui donnant l’apparence
de la légalité.
assignats, billets gagés sur les biens nationaux, et devenus papiers-monnaies, émis
de 1789 à 1796.
En novembre 1789, la Constituante décide de
nationaliser et de vendre les biens du clergé
pour rembourser l’énorme dette de l’État et
combler le déficit des finances publiques.
L’opération s’annonce d’autant plus fiable que
la valeur de ces biens (3 milliards de livres)
est, en réalité, quatre fois supérieure à leur
estimation.
Les 19 et 21 décembre 1789, l’Assemblée
crée la Caisse de l’extraordinaire, chargée
de recueillir le produit de la vente et dans
laquelle sont assignés des bons portant intérêt à 5 %, émis à concurrence de la valeur
des biens. Les assignats, qui ne circulent pas
encore, sont vendus, moyennant paiement en
espèces (pièces métalliques), aux particuliers
qui veulent acheter des biens nationaux. Ils
doivent, en principe, être détruits à mesure
qu’ils reviendront à la Caisse. Malgré une hostilité au papier - très vive depuis l’échec du
système de Law -, la Constituante, persuadée
que l’augmentation de la monnaie en circulation favorisera les échanges, décide de faire de
l’assignat un papier-monnaie.
• Un système inflationniste. En septembre
1790, l’intérêt du billet, qui sert déjà au paiement des rentes et aux dépenses courantes
de l’État, est supprimé ; son cours forcé, institué ; et le plafond de son émission, porté à
1,2 milliard de livres. Mais l’assignat ne cesse
de se déprécier à partir de 1791, provoquant
une inflation qui s’accompagne de graves
conséquences sociales. La vente des biens
nationaux est lente, de même que les effets
de la réforme fiscale : l’impôt ne rentre pas,
et le déficit se creuse dès 1790 et plus encore
1791. De plus, la circulation monétaire globale s’amenuise - nombre de particuliers thésaurisent la monnaie métallique -, tandis que
celle du papier explose.
À la fin de 1792, la Législative redresse
quelque peu la situation en interdisant les billets émis par des caisses privées et publiques.
Mais le manque de confiance est général :
downloadModeText.vue.download 65 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
54
depuis le rentier, qui voit ses titres dépréciés,
jusqu’au paysan, qui, refusant d’être payé en
papier, ne vend pas sa production et accentue,
de ce fait, la pénurie des denrées alimentaires.
Enfin, rien n’empêche l’État de recourir à des
émissions massives. Or la guerre, qui s’intensifie en 1793, requiert d’énormes achats de
matériels, payables en numéraire.
Tandis que les capitaux sont placés à
l’étranger, l’assignat devient la seule monnaie
en circulation. La masse de papier-monnaie,
qui est de 3,7 milliards de livres en août
1793, passe à 5,5 milliards en juillet 1794,
bien au-delà de la valeur des biens nationaux.
L’hyperinflation est évitée de justesse grâce à
des mesures dirigistes en 1792 et à la « terreur » financière en 1793 : interdictions de la
vente du numéraire et du double affichage des
prix, fermeture de la Bourse, contrôle des prix
avec la loi du maximum... Mais les thermido-
riens abandonnent les contrôles économiques
durant l’hiver 1794-1795 et multiplient les
émissions de billets. En février 1796, la masse
de papier en circulation atteint les 34 milliards, et le billet de 100 livres ne vaut plus
que 30 centimes en numéraire.
Le 30 pluviôse an IV (19 février 1796),
l’assignat est supprimé, et la planche à billets,
brisée. Cependant, pour éviter une brusque
déflation, le Directoire crée les mandats territoriaux, des billets échangeables contre les
assignats à raison d’un pour trente, un cours
trop favorable à ces derniers. En quatre mois,
les mandats, dont le cours forcé est abrogé le
15 germinal (4 avril), perdent toute valeur.
Le 5 thermidor (23 juillet), la monnaie métallique est autorisée pour les transactions, et les
mandats sont retirés de la circulation entre
août et décembre 1796. Durant un an, le pays
connaît une formidable déflation.
Et si les assignats et les mandats ont alimenté la crise économique et provoqué une
situation sociale dramatique, l’État, pour sa
part, a su tirer parti de la dépréciation monétaire pour réduire considérablement son endettement : un assainissement parachevé par
la « banqueroute des deux tiers » en 1797.
Cependant, les Français feront preuve d’une
méfiance tenace à l’égard du papier-monnaie.
Elle marquera tout le XIXe siècle.
associations (loi sur les), loi du 1er juillet
1901, votée au lendemain de l’affaire Dreyfus,
qui consacre le principe de la liberté d’association, sans autorisation administrative préalable, mais qui impose des restrictions pour
les congrégations religieuses.
Ces dernières avaient animé le camp antidreyfusard par leur presse, très influente ;
ainsi, le journal des assomptionnistes la Croix
manifesta un antisémitisme virulent. Or Waldeck-Rousseau préside depuis 1899 un gouvernement de défense républicaine décidé
à sauver la République du danger nationaliste et clérical (« les moines d’affaires et les
moines ligueurs »). Il fait donc adopter une
loi qui oblige les congrégations à solliciter un
agrément législatif, à tenir un état de leurs dépenses et recettes, et à inventorier leurs biens :
60 congrégations masculines et 400 féminines entament ces démarches. WaldeckRousseau envisage une application du texte.
Mais, après les élections de 1902, le Bloc des
gauches, mené par Émile Combes, transforme
cette loi de contrôle en loi d’exclusion : tous
les agréments demandés sont refusés, et les
écoles des congrégations non autorisées sont
fermées (1904), premier pas vers la séparation
de l’Église et de l’État, entérinée en 1905.
Acte de circonstance concernant les
congrégations, la loi de 1901 est pérenne pour
les associations : elle repose sur les principes
de 1789, liberté et égalité. Une déclaration ne
s’impose que si l’association veut être dotée
de la capacité juridique. La simple association
déclarée est dotée d’une personnalité morale
limitée ; elle ne peut donc posséder que les
locaux nécessaires à son action. Celle reconnue d’utilité publique par le Conseil d’État
jouit de toute capacité morale et civile. L’association déclarée permet d’organiser les partis
politiques, et donne naissance au secteur associatif : associations humanitaires, sanitaires
et sociales, sportives, d’éducation populaire
ou de quartier, qui entendent améliorer la vie
quotidienne par la rencontre entre l’initiative
individuelle et l’action collective. En 2002,
quelque 60 000 nouvelles associations sont
fondées et plus d’un million sont en activité ;
50 % des Français y participent.
assurances sociales (loi sur les), loi
d’avril 1930, complétant des textes de 1924
et 1928, qui institue un régime d’assurances
maladie, invalidité et vieillesse.
Ces mesures comblent le retard considérable
pris par la France sur l’Allemagne depuis
1880, et même sur la Grande-Bretagne depuis
1911. Préparé par Louis Loucheur, puis par
Laval, le texte finalement adopté est le résultat
de dix années de débats, indépendamment
des alternances gauche-droite.
La question des assurances sociales devient
d’une actualité pressante dès 1920, avec la restitution à la France de l’Alsace, qui continue à
bénéficier de la protection sociale bismarckienne. Celle-ci fournit, dès lors, le modèle à
suivre. Cependant, les opposants sont nombreux : représentants du corps médical, de
la partie du patronat la plus fragile économiquement, des propriétaires fonciers qui jugent
les charges prévues insupportables. Quant à
l’extrême gauche et à la CGT-U, elles dénoncent le réformisme de la loi, que soutiennent,
en revanche, le centre gauche, les socialistes et
la CGT, les chrétiens sociaux et la CFTC. Un
premier texte de 1928 doit être modifié pour
sauvegarder la médecine libérale.
Selon les dispositions adoptées, les assurances maladie et retraite obligatoires protègent les salariés dont le revenu est inférieur
à un plafond donné. Les caisses remboursent
à un taux inférieur aux honoraires des médecins, la différence restant à la charge du
malade. La gestion de ces caisses constitue
un enjeu très disputé entre le patronat, les
syndicats, mais aussi l’Église et, surtout, la
mutualité. Réforme sociale majeure, la loi
d’avril 1930 est l’oeuvre de forces politiques
centristes beaucoup moins passives qu’on ne
se plaît à le dire.
Astérix, héros de bande dessinée, créé par
Goscinny et Uderzo.
Lorsqu’il naît avec Pilote, en octobre 1959,
le petit Gaulois n’est que le frère en aventures d’Oumpah-Pah, l’Indien de la revue
Tintin. Mais, après des débuts d’estime
(7 000 exemplaires pour le premier album),
Astérix trouve sa place (33 albums traduits
dans 57 langues et vendus à près de 300
millions d’exemplaires) dans la mythologie
française, à laquelle il renvoie doublement :
de manière quasi intemporelle, en captant les
réflexes popularisés par le Café du Commerce
ou Clochemerle ; et de manière immédiate, en
transposant les rêves de grandeur de la France
gaullienne (et l’on verra, ainsi, Astérix flanqué d’Obélix aller porter la bonne parole de
plus en plus souvent hors des frontières de
l’Hexagone).
Chauvine et critique, cette bande dessinée
pleine de clins d’oeil graphiques et textuels offre
un parfait reflet du « Gaulois moderne » : aussi
a-t-elle connu un grand succès également au
cinéma - huit dessins animés de long métrage
sont réalisés de 1967 à 2006 - et hors de l’Hexagone ainsi que deux films (Astérix et Obélix
contre César, 1999 ; Astérix et Obélix : mission
Cléopâtre, 2001). Le dernier album (Le ciel lui
tombe sur la tête), paru en 2005, a été vendu à
près de huit millions d’exemplaires en Europe,
dont près de 3,2 millions en France. Un parc
d’attractions consacré au petit monde d’Astérix
a été ouvert en avril 1989 à Plailly, dans l’Oise.
Astier de La Vigerie (Emmanuel d’),
journaliste, résistant et homme politique
(Paris 1900 - id. 1969).
Jusqu’en 1939, cet homme issu d’une vieille
famille aristocratique est d’abord un dandy et
un dilettante : officier de marine sans vocation,
il se tourne par la suite vers le journalisme. Il
collabore ainsi à Vu ou encore à Marianne.
La défaite de 1940 marque une étape déterminante de sa vie : d’emblée opposé au régime
de Vichy, il bascule de la réaction vers la gauche.
Après avoir fondé le mouvement de résistance
La Dernière Colonne, il met en place LibérationSud, avec Jean Cavaillès et les époux Aubrac. Il
participe, sous la houlette de Jean Moulin, à la
création des Mouvements unis de Résistance,
qui rassemblent Combat, le Franc-Tireur et
Libération. À Alger, à l’automne 1943, il est
nommé commissaire à l’intérieur du Comité
français de libération nationale (CFLN) par le
général de Gaulle. Comme beaucoup de résistants, il est évincé du gouvernement peu de
temps après la Libération.
Commence alors la dernière étape de sa
vie publique : compagnon de route du Parti
communiste, il est député jusqu’en 1958, et
surtout directeur du quotidien Libération.
Lâché par le Parti communiste, le quotidien
disparaît en 1964. Emmanuel d’Astier de La
Vigerie, qui s’est rapproché du gaullisme,
anime jusqu’à sa mort une courte émission
mensuelle à la télévision.
Son destin illustre la diversité sociopolitique
des chefs de la Résistance, la liberté de leurs
engagements, et leur difficulté à s’intégrer pleinement dans le jeu politique après la guerre.
Atelier (l’), journal ouvrier fondé en 1840
par des disciples de Philippe Buchez, ancien
saint-simonien.
downloadModeText.vue.download 66 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
55
L’Atelier fait partie d’une presse ouvrière qui se
développe en France entre la révolution de 1830
et celle de 1848. Il se réclame en partie du saintsimonisme ; démocrate, il dénonce le régime et
réclame le suffrage universel ; enfin, parce que
l’unité sociale ne peut reposer que sur un lien
spirituel, il est catholique. Mais il se fait surtout
l’apôtre de l’idée d’association ouvrière : les ouvriers doivent s’unir pour produire, et recevoir
ainsi le fruit intégral de leur travail.
Jusqu’en février 1848, l’Atelier est considéré
comme le plus influent des journaux ouvriers,
bien qu’il n’ait jamais tiré à plus de 1 500 exemplaires. Les locaux du journal tiennent lieu de
club pour les ouvriers parisiens, et nombre
d’« ateliéristes », qui appartiennent pour la plupart à l’élite ouvrière, jouent un rôle important
sous la IIe République. En 1849, le titre se met
à décliner, concurrencé par d’autres feuilles.
L’élection de Louis Napoléon Bonaparte et la
loi sur la presse de juillet 1850, qui impose un
cautionnement trop élevé pour les publications
modestes, signent sa perte.
Avec d’autres journaux, telle la Ruche populaire, l’Atelier symbolise une période où la parole fut valorisée comme une arme pour rassembler la classe ouvrière et lutter contre les
bourgeois. Ces « ouviers-écrivains » voulaient
affirmer l’identité propre du monde du travail
par une utilisation de ce qui était jusqu’alors
le privilège des puissants : le discours.
ateliers de charité, établissements
d’assistance publique, apparus à l’époque
moderne, qui reposent sur des travaux d’intérêt général confiés aux plus défavorisés.
L’emploi de pauvres à des ouvrages de voirie
remonte au moins au XVIe siècle, et c’est alors
une peine qui réprime l’oisiveté.
• Des ateliers de charité... De véritables ateliers de charité apparaissent sous le règne de
Louis XIV, mais ils se multiplient surtout dans
la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils répondent
au souci d’assister par le travail et de fournir
un salaire plus qu’une aumône. Des établissements textiles sont organisés pour femmes,
enfants, vieillards, tandis que des chantiers
routiers sont ouverts pour les hommes. Cette
politique devient systématique à partir d’une
instruction du contrôleur général Joseph
Marie Terray (11 octobre 1770). Turgot, qui,
intendant du Limousin, en avait établi, les
favorise durant son ministère, procurant ainsi
des secours aux journaliers sans emploi. Les
états provinciaux, lorsqu’ils subsistent, ainsi
que les assemblées provinciales, créées en
1787, soutiennent aussi la formule. Au temps
de la Révolution, des ateliers de secours ont
fonctionné à Paris jusqu’en 1791. On dut en
rouvrir en 1808.
• ... aux ateliers nationaux. Mais c’est surtout à l’occasion de la révolution de 1848
qu’ils réapparaissent. Dans l’Organisation du
travail (1839), Louis Blanc avait préconisé la
création d’ateliers sociaux. Financés par l’intermédiaire de l’État, dirigés par des cadres
élus, ils devaient distribuer des salaires égaux.
Le reste des bénéfices aurait servi à soutenir
les malades et à créer des emplois. Le Gouvernement provisoire de 1848, qui comprend
Louis Blanc et l’ouvrier Albert, proclame le
droit au travail dès le 25 février. Aussitôt
après, il crée des ateliers nationaux, contrôlés par la commission du gouvernement qui
siégeait au Luxembourg. Marie, en charge
du portefeuille des Travaux publics, et Émile
Thomas, directeur, les mettent en place. Dans
une organisation de type militaire affluent
des sans-travail, dont le nombre dépasse
100 000 dès le mois de mai et qui sont surtout employés à des travaux de terrassement,
lorsqu’on ne doit pas les mettre au chômage
en leur payant seulement un demi-salaire.
Les ateliers nationaux permettent à beaucoup de familles de survivre. Mais on les
accuse d’être coûteux, de susciter une concurrence déloyale aux autres ouvriers, et les
Ponts et Chaussées leur sont hostiles. Après
les élections du 23 avril, l’Assemblée constituante accentue ces critiques, ajoutant que
les ateliers nationaux sont un lieu d’agitation
bonapartiste. C’était reprendre les conclusions du rapport de la commission d’enquête,
dirigée par le légitimiste Falloux. Le nouveau
directeur, Lalanne, établit le travail à la tâche,
suspend les inscriptions, supprime le service médical. Puis le gouvernement annonce
l’envoi de 5 000 ouvriers en Sologne, et invite ceux âgés de 18 à 25 ans à opter entre
licenciement et engagement dans l’armée.
Ces mesures contribuent à l’insurrection des
23-26 juin, que Cavaignac réprime dans le
sang. Les ateliers nationaux, un symbole de la
république généreuse de février, avaient vécu.
ateliers nationaux ! ateliers de
charité
Atlantique (mur de l’), ensemble de fortifications édifiées par les Allemands de 1941 à
1944, du cap Nord au golfe de Gascogne.
Constitué de blockhaus, de casemates d’artillerie, d’obstacles minés, de fossés antichars,
le dispositif est censé protéger la côte contre
un débarquement allié qui apparaît de plus
en plus probable à partir de 1942. Après la
nomination du maréchal Rommel à la tête des
armées de la Manche et de la mer du Nord
(1943), les opérations de renforcement de la
« grande muraille de l’Ouest » sont considérables, en particulier sur la côte normande.
Hitler redoute en effet que le débarquement
n’y prenne appui : « En aucun cas nous ne
pouvons tolérer que le débarquement allié
dure plus de quelques jours, sinon quelques
heures », dit-il à ses généraux au début de
l’année 1944. Durant tout le printemps, la défense s’active. Mais le mur de l’Atlantique n’est
pas le système de fortifications sans faille que
décrivent Goebbels et les services de propagande nazis. Le 6 juin 1944, il ne fait illusion
que quelques heures. Cependant, il se révèle
suffisamment tenace pour que le général Bradley, à Omaha-Beach (entre Saint-Laurentsur-Mer et Vierville-sur-Mer), envisage le repli
des premières vagues d’assaut.
La percée du mur de l’Atlantique est le
résultat d’une planification hors pair et d’une
chaîne de commandement remarquablement
intégrée ; elle prouve également qu’aucun
dispositif de défense linéaire ne peut, dans
les guerres modernes, entraver durablement
l’élan de l’ennemi.
Aubigné (Théodore Agrippa d’), écrivain
(Pons, Saintonge, 1552 - Genève 1630).
La vie entière d’Agrippa d’Aubigné est scandée
par ses luttes verbales et guerrières au service
du parti calviniste. Élevé dans les principes
de la Réforme, l’enfant est marqué, dès l’âge
de 8 ans, par la vision des suppliciés d’Amboise : son père lui fait promettre, devant les
cadavres des conjurés, de vouer toutes ses
énergies à la défense de la cause protestante.
Après la mort du père, Agrippa achève rapidement ses études et part au combat, où il fait
montre d’une remarquable bravoure. Devenu
compagnon d’Henri de Navarre, il échappe
de justesse au massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Quatre ans plus tard, il aide le
roi de Navarre à quitter la cour de France, où
Charles IX le retenait contre son gré.
C’est en 1577, après avoir été grièvement
blessé au combat de Casteljaloux, qu’il dicte
les premiers vers des Tragiques, vaste poème
épique qui l’occupera quarante années durant. Entreprise au plus fort des guerres de
Religion, l’oeuvre ne sera éditée qu’en 1616 :
elle portera pour seule mention d’auteur les
lettres LBDD (« le Bouc du désert »), une
allusion au surnom qu’a valu à d’Aubigné sa
défense intransigeante de la foi réformée. Son
imperturbable droiture lui attire d’ailleurs, au
fil des années, quelques brouilles avec Henri
de Navarre, dont il n’hésite pas à stigmatiser
l’attitude sinueuse. Violemment opposé à l’abjuration du futur roi de France, il cherche à la
contrecarrer par tous les moyens. Son échec
l’amène, en 1593, à se retirer sur ses terres.
Éloigné de la cour, il se consacre à l’enrichissement des Tragiques et rédige une Histoire
universelle consacrée au parti protestant en
France. Compromis en 1620 dans le soulèvement des « grands » contre le duc de Luynes,
favori de Louis XIII, il s’enfuit à Genève, où il
termine ses jours.
Au regard de l’histoire littéraire, Agrippa
d’Aubigné est surtout le poète des Tragiques,
une immense fresque d’inspiration biblique
où les luttes religieuses de l’époque s’inscrivent dans l’éternelle opposition entre élus et
réprouvés. Mais le poète est également historien, pamphlétaire, soldat, négociateur politique et religieux : couvrant tous les champs
d’action et tous les domaines d’expression de
son temps, passant de l’horreur des combats
à la méditation silencieuse des textes sacrés,
Agrippa d’Aubigné aura placé sa longue existence sous le seul signe de l’allégeance fougueuse à la cause réformée.
Augereau (Charles Pierre François),
maréchal d’Empire (Paris 1757 - La Houssaye,
Seine-et-Marne, 1816).
La Révolution fait la fortune de ce soldat
d’origine modeste, engagé à 17 ans, avant de
devenir mercenaire au service de la Prusse, de
l’Autriche et du royaume de Naples. Enrôlé en
1790 dans la Garde nationale, puis dans l’armée, il accède au grade de général de division
en 1793. En 1795, il rejoint l’armée d’Italie,
s’illustre notamment à Castiglione et à Arcole,
au côté de Bonaparte, dont il devient l’auxiliaire privilégié. Celui-ci le dépêche à Paris en
1797 avec pour mission d’aider le Directoire
à se défaire des royalistes, une tâche dont il
downloadModeText.vue.download 67 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
56
s’acquitte en étant le bras armé du coup d’État
du 18 fructidor an V. Il n’obtient pourtant en
récompense que différents postes militaires
avant d’être élu, en avril 1799, député au
Conseil des Cinq-Cents, où il siège dans les
rangs de la gauche républicaine. Opposant
au coup d’État du 18 brumaire, il se rallie
par la suite à Napoléon Ier, qui le fait maréchal d’Empire en 1804, et duc de Castiglione
en 1808. Lors de la campagne de France de
1814, il est chargé d’arrêter la progression
des armées coalisées dans le Sud-Est. Mais il
abandonne Lyon aux Autrichiens et se rallie à
Louis XVIII, lançant, le 16 avril, une proclamation hostile à l’Empereur. Malgré ses efforts
pour rentrer en grâce lors des Cent-Jours,
cette défection - dont on ignore si elle se fit
en intelligence avec l’Autriche - lui vaut d’être
rayé de la liste des maréchaux en avril 1815. Il
est mis en disponibilité en décembre suivant,
pendant la seconde Restauration.
Augsbourg (guerre de la Ligue d’), conflit
qui oppose la France à la majeure partie de
l’Europe de 1688 à 1697.
La politique des réunions (annexions en temps
de paix) inquiétait les États allemands. Par la
ligue d’Augsbourg (juillet 1686), l’empereur
Léopold Ier, la Bavière, le Palatinat, la Suède,
l’Espagne et la Savoie passent une alliance défensive contre les visées françaises. Pourtant
allié traditionnel de la France, le Brandebourg,
puissance protestante choquée par la révocation de l’édit de Nantes, les rejoint, de même
que les Provinces-Unies. Louis XIV continue
sa « défense agressive » en prenant des gages
sur le Rhin. Il revendique pour sa belle-soeur,
princesse Palatine, une part à la succession
du Palatinat. Il pousse un protégé, l’évêque
de Strasbourg, à se porter candidat à l’évêché
de Cologne. Le problème allemand se double
d’un conflit avec le pape au sujet du statut de
l’ambassade à Rome : les troupes françaises
occupent Avignon en octobre 1688. Enfin,
Louis XIV soutient Jacques II d’Angleterre,
catholique convaincu, contre ses sujets protestants, qui font appel au stathouder des Provinces-Unies, Guillaume d’Orange, ennemi
juré de la France (juillet 1688).
Isolée diplomatiquement, la France croit se
sauver par l’offensive. En octobre 1688, son
armée occupe la rive gauche du Rhin, dévaste
le Palatinat, brûle Heidelberg : cette politique
de terreur, prônée par Louvois et redoublée
en 1693, indigne l’Europe et reste encore
dans la mémoire allemande. Des soldats sont
expédiés en Irlande avec Jacques II (qui s’était
réfugié en France après le débarquement de
Guillaume d’Orange), mais cette tentative de
restauration s’achève par la défaite de la Boyne
(1690). Aux Pays-Bas, les Français prennent
Namur et Charleroi, sont vainqueurs à Fleurus (1690) et à Neerwinden (1693) ; un
second front en Catalogne progresse lentement (prise de Rosas en 1693, de Barcelone
en 1697). Sur mer, face à la coalition anglohollandaise, la France, victorieuse à Béveziers,
subit la défaite de La Hougue (1692) ; dès
lors, elle réoriente sa stratégie vers la guerre
de course, dans laquelle s’illustre Jean Bart. Le
conflit s’étend aux colonies (Indes, Sénégal,
Antilles, Canada). Les belligérants s’épuisent
sans obtenir de succès décisifs. La défection de la Savoie en 1696 neutralise enfin le
front italien, et la médiation suédoise permet de conclure les traités de Ryswick (septembre-octobre 1697). Louis XIV reconnaît
Guillaume d’Orange comme roi d’Angleterre,
garde Strasbourg, mais rend la plupart des
réunions. Victime des traités de paix depuis
cinquante ans, l’Espagne ne perd rien cette
fois-ci. La France a tenu seule contre l’Europe,
mais elle doit accepter une paix de compromis.
Aumale (Henri Eugène Philippe d’Orléans,
duc d’), général et homme politique (Paris
1822 - Zucco, Sicile, 1897).
Cinquième fils du roi Louis-Philippe, le duc
d’Aumale reçoit, comme ses frères, une éducation « démocratique » au lycée Henri-IV. Il
embrasse ensuite la carrière militaire et, lors
de la conquête de l’Algérie, se distingue par la
prise de la smalah d’Abd el-Kader (mai 1843).
Cet exploit lui vaut d’être nommé général à
22 ans, puis, en 1847, gouverneur de l’Algérie,
poste qu’il doit quitter lors de la révolution de
1848 pour s’exiler à Londres. Après la chute
du second Empire, il rentre en France, est élu
député de l’Oise (1871) et contribue au renversement de Thiers. Rétabli dans son grade
de général, il préside le conseil de guerre qui
juge Bazaine. En 1886, ayant protesté contre
le décret qui écarte de l’armée les membres des
anciennes familles régnantes, il est rayé des
cadres et proscrit, avant d’être rappelé, trois
ans plus tard, par le président Carnot.
Exilé à deux reprises, réduit à l’inactivité, le
duc d’Aumale perd, en outre, sa femme et ses
sept enfants. Face à l’adversité, il se fait historien et collectionneur. Héritier du domaine
de Chantilly, il fait reconstruire le château en
1875 pour y abriter ses collections de peintures, de livres et d’objets précieux – dont le
manuscrit des Très Riches Heures du duc de
Berry –, qu’il lèguera à l’Institut. Son projet
visait à transformer le château en « un monument complet et varié de l’art français dans
toutes ses branches, et de l’histoire de [sa]
patrie à des époques de gloire ».
aurignacien, civilisation préhistorique
qui se répand en France entre 30 000 et
25 000 ans avant J.-C. environ.
C’est le premier faciès du paléolithique supérieur, c’est-à-dire d’Homo sapiens sapiens, ou
« homme moderne », qui, à partir de cette
période remplace partout en Europe l’homme
de Néanderthal. En l’état actuel des connaissances, Homo sapiens serait apparu en Afrique
de l’Est et au Proche-Orient il y a quelque
100 000 ans, puis aurait gagné progressivement l’Europe à partir du Sud-Est, comme en
témoigne l’apparition vers 40 000 ans avant J.C., dans la grotte de Bacho Kiro (Bulgarie), de
l’aurignacien le plus ancien que l’on connaisse.
En France, l’aurignacien, identifié en 1860
par Édouard Lartet dans la grotte périgourdine d’Aurignac, est surtout présent dans le
Sud-Ouest, plus discrètement en Languedoc,
en Bourgogne et dans l’Est. Il se caractérise par
un outillage en silex composé de « lames »,
c’est-à-dire d’éclats de pierre allongés et
réguliers, dont la production requiert une
grande maîtrise technique, et qui permettent
la confection d’outils performants et faciles à
emmancher. Pour la première fois aussi sont
utilisés systématiquement des outils en os ou
en bois de cerf : sagaies, poinçons, perles, plaquettes, etc.
Les hommes de l’aurignacien vivaient soit
à l’entrée de grottes ou d’abris, soit dans des
campements de plein air, qui ont laissé peu
de traces, hormis des foyers. Des tombes sont
connues, comme celles du célèbre abri de CroMagnon (aux Eyzies, en Dordogne). Les morts
sont ensevelis, parfois avec leurs outils ou leurs
parures, et recouverts d’ocre rouge, qui a pu
être saupoudrée sur le corps, à moins qu’elle ne
soit le vestige d’une teinture des vêtements. Des
formes simples d’art sont attestées : gravures stylisées sur la pierre ou l’os, représentant parfois
des sexes féminins ou des animaux. À l’aurignacien succède le gravettien.
Auriol (Vincent), homme politique (Revel,
Haute-Garonne, 1884 - Paris 1966).
Fils de boulanger, il obtient son doctorat
en droit à Toulouse, où il fonde en 1905 le
journal le Midi socialiste. En 1914, il est élu
député socialiste dans l’arrondissement de
Muret et devient très rapidement un proche
de Léon Blum, qu’il suit au congrès de Tours
dans la minorité fidèle à la SFIO. Spécialiste
des finances à la Chambre, président de la
commission des Finances pendant le Cartel
des gauches (1924-1926), il est choisi par
Léon Blum comme ministre des Finances du
Front populaire, de juin 1936 à juin 1937.
Malgré ses promesses électorales, Auriol est
obligé de dévaluer le franc dans de mauvaises
conditions. Redevenu simple député, il fait
partie, le 10 juillet 1940, des quatre-vingts
parlementaires qui refusent de voter les
pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Placé en
résidence surveillée par Vichy, il s’échappe et
gagne Londres en octobre 1943. Député de
la Haute-Garonne en octobre 1945, ministre
du général de Gaulle en novembre, président
des deux Assemblées constituantes, il se bat
pour l’adoption de la Constitution. En janvier
1947, il est élu par le Congrès, au premier
tour, premier président de la IVe République.
Fidèle à l’esprit de la Constitution, il voit dans
ce poste une « magistrature morale », et n’intervient pas directement dans les décisions
politiques, ce qui ne l’empêche pas d’occuper
une place importante de conseil et d’exercer
son influence.
Au terme de son mandat, il ne joue plus
de rôle actif, mais se manifeste, jusqu’à sa
mort, par son opposition à la Ve République.
À travers toute sa longue carrière politique,
ce méridional fidèle à ses origines populaires,
parlementaire par tempérament et par conviction, a su incarner la synthèse des traditions
socialistes et républicaines françaises.
Austerlitz (bataille d’), victoire des
troupes françaises sur les austro-russes
– également appelée « bataille des Trois Empereurs » (2 décembre 1805) –, qui marque le
terme de la campagne d’Allemagne engagée
en septembre 1805.
Napoléon, qui affronte une coalition anglorusso-autrichienne (dite « troisième coalition »), mène une guerre éclair contre les
downloadModeText.vue.download 68 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
57
puissances alliées. Après avoir franchi le Rhin
le 25 septembre, il remporte une première
bataille à Ulm (20 octobre), qui lui ouvre la
route de Vienne, où il fait son entrée le 13 novembre. Malgré ce succès rapide, les armées
alliées ne sont ni désorganisées ni battues.
Napoléon a besoin d’une victoire décisive
pour préserver son avantage, d’autant que, le
21 octobre, la flotte française a été décimée à
Trafalgar, ce qui rend désormais impossible
tout débarquement en Angleterre. Napoléon
poursuit donc les alliés vers le nord. Mais le
temps presse : les Français sont loin de leurs
bases, et les Austro-Russes se renforcent à
mesure de leur retraite, qui se déroule en
bon ordre. En outre, Napoléon se méfie de la
Prusse, restée neutre dans le conflit mais qui
pourrait bien se décider à intervenir.
Dès lors, pour favoriser l’affrontement, il tend
un piège à ses adversaires : le 21 novembre, il
s’arrête près de Brünn et feint d’entamer un repli.
Il engage même de fausses négociations avec le
tsar Alexandre Ier, laissant ainsi supposer qu’il
est dans une position de faiblesse. Les AustroRusses tombent dans le piège et choisissent de
livrer bataille avant même l’arrivée de renforts. Il
est vrai qu’ils jouissent d’un avantage numérique
confortable : 90 000 hommes, contre 75 000 du
côté français. Le 1er décembre, ils occupent donc
le plateau de Pratzen, non loin du village d’Aus-
terlitz. Napoléon a volontairement dégarni son
aile droite, celle qui contrôle la route de Vienne,
afin de les décider à attaquer. Le 2 décembre au
matin, alors que les troupes françaises sont dissimulées par un épais brouillard, les alliés chargent là où Napoléon l’avait prévu, près de Telnitz. L’aile droite française résiste, puis cède du
terrain. Les Austro-Russes croient tenir la route
de Vienne. C’est alors que Napoléon lance les
corps du maréchal Soult au coeur du dispositif
allié, dégarni, sur le plateau de Pratzen. En début
d’après-midi, la victoire est acquise. Le brouillard
s’est dissipé, le soleil brille sur Austerlitz. Napoléon célèbre ainsi par un triomphe l’anniversaire
de son accession au trône impérial.
Austerlitz devient, le jour même, l’objet
d’une légende inscrite dans la geste de la
Grande Armée : la légende du génie militaire
de l’Empereur et de la France invincible.
Austrasie, royaume mérovingien émergeant au cours du VIe siècle entre Meuse et
Rhin.
Des partages qui démembrent à plusieurs
reprises le royaume franc au cours du VIe siècle
naissent trois ensembles régionaux durables :
la Neustrie – ou pays des Francs du Nord –,
la Bourgogne et l’Austrasie - pays des Francs
de l’Est. La Neustrie est le pays de Clovis, berceau des Francs Saliens, et l’Austrasie celui
des Francs du Rhin, vaincus par Clovis mais
soucieux de leur individualité.
En 511, Thierry, fils aîné de Clovis, reçoit
les terres les plus orientales du royaume,
depuis la Champagne jusqu’au-delà du Rhin,
future Austrasie. En 561, cet ensemble échoit
à Sigebert, petit-fils de Clovis, tandis que
son frère Chilpéric reçoit la partie nord du
royaume, avec Soissons pour capitale, future
Neustrie. Dès ce moment, l’opposition entre les
deux royaumes est prévisible. Elle prend corps
à l’occasion d’une querelle familiale, lorsque
Brunehaut, femme de Sigebert, cherche à venger la mort de sa soeur Galswinthe, épouse de
Chilpéric assassinée par la maîtresse de celuici, Frédégonde. La reine Brunehaut, qui exerce
de 568 à 613 un pouvoir souvent contesté, est
confrontée à une lutte acharnée. Sous le règne
de Sigebert Ier, son mari, puis sous ceux de
Childebert II, leur fils, de ses petits-fils enfin,
elle s’oppose à la fois à la Neustrie et à la noblesse austrasienne, qui allie grands propriétaires terriens et hommes d’Église. Vainqueur
de Brunehaut en 613, Clotaire II, roi de Neustrie, parvient à réunir la totalité des domaines
francs sous son autorité. Pour peu de temps,
car les grands d’Austrasie obtiennent, en 623,
que Clotaire leur délègue son fils, Dagobert,
comme roi. Ce dernier, avant d’être à son tour
seul roi des Francs, apprend donc l’exercice
de la royauté en Austrasie, sous la tutelle de
Pépin Ier de Landen, maire du palais, et de
l’évêque de Metz, Arnoul. Leur alliance permet
aux descendants de Pépin de s’imposer comme
maires du palais aux successeurs de Dagobert à
partir de 640. Désormais, les rois mérovingiens
sont supplantés par les maires du palais, mais
ces derniers reprennent à leur compte la rivalité
entre Austrasie et Neustrie. Durant la seconde
moitié du VIIe siècle et la première moitié du
VIIIe, le pouvoir de la famille des Pépin (les Pippinides), ancêtres de Charlemagne, ne cesse de
s’affermir. Pépin II de Herstal l’emporte en 687
sur le maire du palais de Neustrie et reconstitue
l’unité du royaume franc autour de l’Austrasie.
Sous les Carolingiens, l’Austrasie est le centre
de l’Empire, base solide pour les conquêtes de
Charlemagne au-delà du Rhin.
Avaricum, capitale du peuple gaulois des
Bituriges, située à l’emplacement de l’actuelle Bourges.
Cette ville, établie sur un éperon calcaire,
au confluent de l’Auron et de l’Yèvre, et que
l’on disait « la plus belle de la Gaule », était
entourée de puissants remparts, de type murus
gallicus, composés d’une armature constituée
de poutres renforcées de clous en fer, et bourrée de terre et de pierres : ces fortifications
permettaient de résister à la fois au feu et au
bélier. D’après César, elle présentait un urbanisme organisé, possédant une place publique
et des monuments. Mais son emplacement,
sous la Bourges actuelle, où se sont succédé
une ville romaine, puis une cité médiévale,
n’a pas facilité, jusqu’à présent, les recherches
archéologiques, les niveaux celtiques primitifs
se trouvant sous plusieurs mètres de remblai.
Néanmoins, des fouilles, dans le cadre d’interventions de sauvetage mais aussi de manière
plus systématique, ont été récemment entreprises.
La prise d’Avaricum constitue l’un des événements les plus dramatiques de la guerre des
Gaules. Durant le soulèvement déclenché en
52 avant J.-C., Vercingétorix ordonne de brûler
champs, villages et villes, afin d’affamer l’armée romaine, mais il épargne Avaricum, que
les Bituriges considèrent comme imprenable.
César s’en empare pourtant en avril de la même
année, au terme d’un siège implacable à l’issue
duquel tous les habitants sont massacrés. Durant l’occupation romaine, la ville deviendra la
capitale de l’« Aquitaine première », dans les
limites actuelles de son archevêché.
Avars, peuple d’origine turco-mongole
vaincu par Charlemagne.
Mentionnés pour la première fois dans une
chronique byzantine en 568, les Avars, établis
dans la moyenne vallée du Danube (Pannonie), font partie des peuples nomades venus
d’Asie centrale et sont souvent confondus
avec les Huns. Ils se heurtent à l’Occident,
sous le règne de Charlemagne. Leur chef, qui
porte le nom de khagan, les mène piller les
régions voisines, jusqu’en Bavière. Or Tassilon III, duc de Bavière, fait alliance avec eux,
ajoutant ainsi, pour Charlemagne, aux difficultés déjà créées par les Saxons, les Frisons
et les peuples slaves.
Les campagnes de Charlemagne contre les
Avars s’inscrivent donc dans l’effort de pacification de la partie orientale de l’État franc.
Dès 787, Tassilon III est accusé de trahison,
puis enfermé. Une première expédition (788)
met en fuite les Avars aux frontières du Frioul,
mais les événements sérieux se déroulent en
trois campagnes : 791, 795 et 796. C’est lors
de la dernière expédition qu’est détruit et
pillé le ring des Avars, ville de tentes entourée d’une enceinte fortifiée. L’évangélisation
s’organise ensuite, prélude à l’assimilation,
achevée en 811, lorsque le khagan, converti
au christianisme, vient rendre hommage à
Charlemagne. Dix ans plus tard, il n’est plus
fait mention des Avars. Malgré les efforts des
archéologues hongrois pour ressusciter un
passé supposé glorieux, on n’en sait guère
plus sur ce peuple.
Avenir (l’), quotidien catholique libéral
fondé par Lamennais, Gerbert et de Coux, que
rejoignent Lacordaire, Montalembert, Eckstein et Rohrbacher, et dont le premier numéro
paraît le 16 octobre 1830.
Le titre et sa devise - « Dieu et liberté » - expriment l’aspiration de ses fondateurs : faire
entrer le catholicisme dans le monde moderne
en rompant les liens avec la royauté déchue,
en soutenant les revendications libérales et en
puisant aux sources du christianisme. Ainsi, le
journal réclame-t-il les libertés nécessaires à la
rénovation catholique : séparation de l’Église
et de l’État, suppression du monopole universitaire, libertés de la presse et d’association.
Élargissant le champ de ses préoccupations
aux domaines politique et social, il considère
avec bienveillance les insurrections libérales
en Europe, et exalte les causes polonaise et
irlandaise.
Dans les milieux conservateurs et traditionalistes, l’Avenir apparaît comme un journal
subversif. Le pouvoir traîne Lamennais et
Lacordaire devant les tribunaux, et fait saisir
le quotidien, tandis qu’une partie de l’épiscopat intrigue contre cette publication, dont
les idées progressent chez les jeunes ecclésiastiques. Après avoir suspendu la parution,
le 15 novembre 1831, Lamennais et Lacordaire tentent de plaider leur cause devant
le pape Grégoire XVI qui, dans l’encyclique
Mirari vos (15 août 1832), condamne finalement les idées du christianisme libéral. Malgré
sa courte durée de vie et sa faible audience
(1 500 abonnés), l’Avenir a marqué une étape
essentielle sur le chemin de la démocratie
chrétienne.
downloadModeText.vue.download 69 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
58
aveu et dénombrement, au Moyen
Âge et jusqu’à l’époque moderne, acte par
lequel un vassal déclare tenir un fief de son
seigneur et en décrit le contenu.
L’aveu et dénombrement appartient au système des relations vassaliques : il se développe à mesure que se structure le droit féodal. La genèse en est la suivante : l’hommage
et le serment de fidélité du vassal sont suivis
de l’« investiture », par laquelle le seigneur
remet le fief, bien concédé en échange. Dès
l’origine, cette opération revêt un aspect formel, symbolisé, lorsque le bien est une terre,
par la remise d’un fétu de paille, puis par la
« montrée » du fief, c’est-à-dire la chevauchée jusqu’au domaine concerné. À partir
du XIIe siècle va s’ajouter, puis se substituer, à
cette manifestation la rédaction d’un écrit faisant l’inventaire du fief. Cette procédure, obligatoire au XIIIe siècle, devient peu à peu l’acte
essentiel, le socle même du contrat vassalique.
La description gagne bientôt en précision,
surtout lorsque s’établissent l’hérédité et la
« patrimonialité » des fiefs : pour rappeler
et préserver ses droits, le seigneur exige de
tout nouvel acquéreur un aveu et dénombrement, au plus tard quarante jours après
l’hommage et la foi. À défaut, il est en droit de
faire saisir le fief. Il bénéficie lui-même d’un
délai - quarante jours à Paris, trente ans dans
le Midi - pour approuver ou amender la description rédigée par le vassal.
Au fil du temps, la procédure évolue :
d’abord établi devant témoins et revêtu du
sceau authentique, l’aveu et dénombrement
devient un acte notarié, rédigé sur parchemin. À partir du XVe siècle, le formalisme est
encore accentué pour les fiefs mouvants de
la couronne : les actes doivent être présentés par les vassaux aux baillis et sénéchaux
(XVe siècle), puis aux trésoriers de France (fin
du XVe et XVIe siècle), et vérifiés par les bureaux
de finance et les chambres des comptes. La
publicité en est ainsi assurée.
L’aveu et dénombrement, élément de la
construction féodale, subit donc peu à peu
l’emprise de l’administration, fer de lance d’un
pouvoir royal qui étend ses prérogatives.
Avignon (papauté d’) ! papauté
d’Avignon
avortement. Le Code pénal napoléonien,
dans son article 317, définissait l’avortement
comme un crime punissable de réclusion pour
la femme et pour tout individu lui ayant apporté son aide. C’était reprendre des dispositions anciennes, initialement inspirées par les
Pères de l’Église et réaffirmées notamment
par une bulle de Sixte Quint de 1588.
• Des sanctions sévères mais inefficaces. Les sanctions incombaient aux justices seigneuriales, leur sévérité pouvant
être atténuée lorsque l’avortement était dû
à l’impossibilité de nourrir l’enfant plutôt
qu’au souci de cacher « le crime de fornication ». La peine était également moins lourde
lorsque étaient victimes de l’avortement les
foetus masculins de moins de soixante jours
et les foetus féminins de moins de quatrevingts jours, termes considérés comme les
temps de passage de l’inanimé à l’animé,
plus tardifs pour la fille que pour le garçon.
Le Code d’Henri III de 1556 punissait de
mort, au nom du roi, l’avortement qui privait l’enfant de baptême, cette disposition
étant confirmée sous Henri III en 1586, sous
Louis XIV en 1707, puis sous Louis XV en
1731. La sévérité constante des textes n’eut
cependant que des effets limités, et les cas
d’avortements donnant lieu à procès furent
relativement rares, car ils touchaient à un
secret de famille rarement dévoilé.
C’est seulement en 1923 que l’avortement
cesse d’être considéré comme un crime.
Désormais qualifié de délit, il n’est plus passible de la cour d’assises mais du tribunal
correctionnel, et n’est plus pénalisable que
par l’emprisonnement et des amendes. Cet
adoucissement de sanctions qui n’avaient été
que rarement appliquées dans toute leur rigueur théorique a pour contrepartie de priver
l’inculpée, et ceux qui ont pu l’assister, de
l’indulgence, fréquente, des jurys populaires
et de les soumettre à la sévérité des juges. Le
Code de la famille de 1939 aggrave les dispositions des textes antérieurs, puisque sont
désormais également sanctionnées de lourdes
peines de prison les tentatives d’avortement,
tandis que l’avorteur peut être poursuivi, en
cas d’accident, pour coups et blessures, voire
pour homicide, devant la cour d’assises. Les
membres du corps médical sont, eux, passibles de sanctions particulièrement lourdes.
En 1941, enfin, un texte rétablit la peine de
mort comme sanction possible de l’avortement. Cette disposition est appliquée l’année
suivante, conduisant à la dernière exécution
capitale d’une femme en France.
Quelle qu’ait été la volonté de sévérité du
législateur, elle reste toutefois de peu d’effet
dans l’entre-deux-guerres, puisque ne sont
traités qu’environ 400 dossiers par an, alors
que les estimations les plus basses avancent
un chiffre moyen de 400 000 avortements.
• Une tardive libéralisation. On peut parler
de libéralisation lorsque l’avortement devient
possible à la demande de la femme pour des
raisons de santé physique ou psychologique.
En France, cette libéralisation remonte aux
lois de janvier 1975, décembre 1979 et décembre 1982 relatives à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le vote du texte
de 1975 a été précédé par la démonstration
de la non-application de la loi, notamment
lors du procès de Bobigny (1972), à l’occasion duquel 343 femmes signent une pétition
demandant la légalisation de l’avortement et
reconnaissent y avoir eu recours. Le manifeste, signé l’année suivante par des médecins
déclarant avoir pratiqué l’avortement, ne suscite aucune poursuite. C’est dans ce contexte
que le gouvernement fait voter, en décembre
1974, contre la volonté de la majorité et grâce
aux voix de la gauche, le texte défendu par Simone Veil. Ses dispositions, promulguées en
1975, sont confirmées en 1979, et complétées
en 1982 par une loi sur le remboursement de
l’IVG par la Sécurité sociale.
La libéralisation de l’avortement intéresse
l’ensemble des démocraties. Elle intervient
en France après l’Abortion Act britannique
(1967), et peu de temps avant que des dispositions semblables soient adoptées en Alle-
magne (1976), en Italie (1981), en Espagne
(1986), en Belgique (1990) ou même en
Irlande (1995).
avril 1834 (journées du 9 au 14), mouvements insurrectionnels dont l’échec désorganise les oppositions républicaines, notamment à Lyon et à Paris.
Les premiers mois de l’année 1834 sont marqués par l’intensification de la lutte menée
par le régime de Juillet contre des adversaires
républicains déterminés : après avoir obtenu
l’adoption d’une loi contre les crieurs publics,
le garde des Sceaux Félix Barthe dépose, en février, un projet tendant à limiter les droits des
associations. Alors que la Société des droits de
l’homme, menacée dans son existence, hésite
à s’engager sur-le-champ dans une épreuve de
force, les républicains et les ouvriers lyonnais
montrent la plus grande détermination : le
souvenir des journées de novembre 1831 reste
enraciné dans les esprits, et une grève contre
la baisse des tarifs, menée par les canuts et
encadrée par les mutuellistes, vient tout juste
d’échouer. Le 9 avril 1834, tandis que s’ouvre
le procès de dirigeants grévistes, l’insurrection
éclate à Lyon, tout particulièrement dans le
faubourg populaire de la Croix-Rousse. Elle
dure six jours. Face à des adversaires peu
organisés, les forces de l’ordre se livrent à une
reconquête méthodique des quartiers insurgés. Le drame lyonnais trouve des échos dans
plusieurs villes françaises : Arbois, Besançon,
Châlon-sur-Saône, Clermont, Épinal, Grenoble, Lunéville, Marseille, Saint-Étienne et
Vienne connaissent des troubles ponctuels. Le
13 avril, quelques poignées de républicains
parisiens érigent une trentaine de barricades,
notamment dans les quartiers du Marais et de
Montorgueil, et s’engagent dans une lutte sans
espoir : la population ne les soutient pas, et
la Société des droits de l’homme elle-même,
décimée au cours des jours précédents par
une vague d’arrestations préventives, reste
à l’écart du mouvement. Thiers, ministre de
l’Intérieur, confie la direction des opérations
militaires à Bugeaud, le commandant de la
place de Paris. Les combats font une trentaine
de victimes dans la capitale, dont douze rue
Transnonain ; elles s’ajoutent aux plus de
trois cents morts de Lyon. L’année suivante,
les journées d’avril donnent lieu à un « procès monstre » en Cour des pairs. Les débats
révèlent de profondes divisions parmi les accusés et leurs avocats. Au fil des mois, la Cour
prononce cent trente-neuf condamnations,
allant de l’emprisonnement à la déportation.
Les verdicts d’avril, puis les lois répressives
de septembre 1835, en particulier contre la
liberté de la presse, permettent au régime de
Juillet d’asseoir son autorité.
azilien, la plus ancienne civilisation mésolithique, entre 10 000 et 8 000 ans avant J.-C.
environ.
L’azilien – du nom de la grande grotte du
Mas-d’Azil, dans l’Ariège, fouillée à partir de
1888 – correspond au début de la période
de réchauffement climatique qui a suivi la
dernière glaciation de Würm. Il se caractérise donc par l’adaptation des populations de
chasseurs-cueilleurs du magdalénien (civilidownloadModeText.vue.download 70 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
59
sation précédente) au nouvel environnement
issu de ce réchauffement, qui a entraîné la
réapparition de la forêt tempérée avec ses espèces animales et végétales actuelles. De fait,
on retrouve la tradition magdalénienne des
pointes en silex et des harpons en os, avec
quelques variantes, dont une tendance à la
réduction de la taille de l’outillage, qui s’accentuera ensuite. L’azilien est aussi marqué
par la disparition progressive de l’art figuré
paléolithique, au profit d’un art schématique,
avec, notamment, des galets peints ou gravés
couverts de signes abstraits. L’azilien évoluera
sans rupture vers le sauveterrien.
Azincourt (bataille d’), bataille de la
guerre de Cent Ans qui voit le triomphe des
troupes du roi d’Angleterre Henri V contre
l’armée du roi de France Charles VI, le 25 octobre 1415.
Henri V de Lancastre, roi d’Angleterre en
1413, relance la guerre de Cent Ans afin de
profiter de l’affaiblissement du royaume de
France, alors en pleine guerre civile entre
Armagnacs et Bourguignons, et d’affermir son
pouvoir en Angleterre. Dès 1414, il revendique toutes les terres continentales des Plantagenêts, de la Normandie à l’Anjou, en passant par la Bretagne, ainsi que la Flandre. Les
échanges d’ambassadeurs dans la première
moitié de l’année 1415 n’interrompent pas les
préparatifs de la guerre.
Le 12 août 1415, Henri V débarque en
Normandie et met le siège devant Harfleur,
qui capitule le 22 septembre. Au début du
mois d’octobre, laissant une garnison dans
la ville, il reprend le chemin de l’Angleterre.
C’est en cherchant à regagner Calais qu’il se
heurte à l’armée du roi de France, rassemblée
dans la plaine d’Azincourt.
En effet, Charles VI a pris l’oriflamme à
Saint-Denis le 10 septembre, afin de réunir
l’armée royale pour livrer bataille aux Anglais.
Contre l’avis des vieux officiers, le roi et les
jeunes princes du parti armagnac, alors au
pouvoir en France, veulent en découdre. Par
mesure de prudence, le duc de Berry, oncle
de Charles VI, retient à Rouen le roi et le
dauphin. Jean sans Peur, duc de Bourgogne,
est écarté de la bataille par le parti armagnac. C’est une armée de 20 000 hommes,
mais sans chef véritable, qui se masse dans la
plaine d’Azincourt pour y affronter une armée
anglaise forte de 12 000 soldats.
Devant l’étroitesse du champ de bataille,
le plan initial de l’armée française est revu
par les princes du parti armagnac, contre les
conseils avisés des professionnels de la guerre.
Princes et barons de haut rang à l’avant, officiers royaux sur les ailes, « piétaille » à l’arrière : le plan de bataille reproduit l’ordre
social en vigueur à cette époque. En face, une
armée anglaise disciplinée, archers aux premiers rangs, et des espions bien informés permettent à Henri V de remporter, en quelques
heures, la troisième bataille rangée de l’Angleterre au cours de la guerre de Cent Ans.
Pour l’armée française, le désastre est immense : dans la boue d’Azincourt périt « la
fine fleur de la noblesse française ». On estime à trois ou quatre mille le nombre de tués,
Henri V ayant donné l’ordre de faire le moins
de prisonniers possible. Charles d’Orléans et
d’autres grands seigneurs sont retenus en captivité, mais la noblesse du nord de la France
est décapitée, et avec elle l’administration du
royaume.
Simple défaite sur le plan militaire, Azincourt a pourtant miné un royaume déjà
déchiré par la guerre civile. Plus important
encore, la société politique est sortie renouvelée de l’épreuve par l’arrivée d’une génération
d’hommes issus de régions et de milieux différant de ceux des victimes d’Azincourt.
downloadModeText.vue.download 71 sur 975
downloadModeText.vue.download 72 sur 975
Babeuf (François Noël, dit Gracchus),
activiste et théoricien révolutionnaire (SaintQuentin, Aisne, 1760 - Vendôme, Loir-et-Cher,
1797).
D’origine modeste, cet autodidacte occupe
d’humbles emplois avant de tenir à Roye
(Somme) un cabinet de feudiste (spécialiste
du droit féodal), de 1781 à 1788. Prenant
conscience de l’exploitation féodale et des prétentions de l’aristocratie foncière, il dénonce
l’inégalité de la répartition des terres. À partir
de l’analyse du problème agraire, il conçoit
un système idéologique où prime le droit à
l’existence, qui évolue, avec la Révolution,
vers un projet de république communautaire
et égalitariste. Il publie ses réflexions, notamment dans le Cadastre perpétuel (1789), puis
dans les journaux auxquels il collabore, ou
qu’il édite à partir de 1789. De retour à Roye
après un séjour à Paris, il dirige, entre 1790
et 1792, la résistance des paysans picards
contre les impôts indirects d’Ancien Régime
et les droits féodaux, et prône la loi agraire,
un engagement qui lui vaut par deux fois la
prison. Républicain de la première heure,
il est élu administrateur du département de
la Somme en septembre 1792. Cependant,
accusé de faux en écriture, puis destitué, il
est condamné par contumace à vingt ans de
fers. En janvier 1793, il se réfugie à Paris, où
il reprend contact avec ses amis cordeliers, et
entre dans l’administration des subsistances.
Il est arrêté en novembre 1793, puis remis
en liberté le 18 juillet 1794. En septembre, il
édite le Journal de la liberté de la presse, rebaptisé en octobre le Tribun du peuple ou le Défenseur des droits de l’homme, arme essentielle du
babouvisme jusqu’en avril 1796. Hostile au
libéralisme économique, à l’heure où l’inflation et la disette font des ravages parmi les
plus pauvres, il attaque violemment les thermidoriens et effectue un nouveau séjour en
prison (février-octobre 1795). À sa libération,
il reprend ses réquisitoires contre le Directoire et publie dans son journal le « Manifeste
des plébéiens » (30 novembre), programme
politique prônant l’abolition de la propriété
B
et l’égalitarisme dans la distribution de la
production. Contraint à la clandestinité en
décembre, mais toujours très actif, il plaide
pour l’union des opposants, démocrates, hébertistes ou robespierristes, et est l’instigateur
de la conjuration des Égaux, qui vise à renverser le Directoire. Trahis, les conjurés sont
arrêtés le 10 mai 1796, et traduits devant la
Haute Cour de justice à Vendôme. Le 26 mai
1797, celle-ci prononce deux condamnations
à mort, dont celle de Babeuf, guillotiné le lendemain après qu’il eut tenté de se suicider.
babouvisme, doctrine politique élaborée
pendant la Révolution, principalement par
Gracchus Babeuf.
S’écartant des théories utopiques du
XVIIIe siècle (Mably, Rousseau, notamment), le
babouvisme préconise, au nom de l’égalité et
dans le cadre d’un contrôle national de l’économie, la mise en commun des biens et des
travaux, et la distribution de la production
en fonction des besoins de chacun. Rompant
avec le mouvement montagnard, l’abolition
de la propriété privée, clé de voûte du babouvisme, est cependant contraire aux aspirations
des sans-culottes et des paysans. En outre,
fondé sur une économie de petits producteurs
et élaboré dans une conjoncture de pénurie, le babouvisme ne perçoit pas l’essor de
la production industrielle. Toutefois, avec la
conjuration des Égaux (1796), il inaugure un
type d’organisation révolutionnaire reposant
sur l’action clandestine d’un groupe restreint
- sorte d’avant-garde - destiné à renverser
le régime, et prévoyant l’instauration d’une
dictature provisoire. Bien que très minoritaire, il sert de repoussoir au Directoire et au
Consulat, permettant de liquider l’opposition
démocrate et de rallier les notables effrayés
par l’« anarchie égalisatrice ». Exhumé en
1828 par le livre de Buonarroti Histoire de la
Conspiration pour l’égalité, dite de Babeuf, le
babouvisme influence profondément la génération révolutionnaire et socialiste de 1830
à 1848, notamment Blanqui, qui fera le lien
avec le marxisme.
baccalauréat. La tradition française veut
que le titre de bachelier soit, avant la licence
et le doctorat, le premier des grades universitaires, nommé baccalaureatus dans le latin
de la Renaissance, puis « baccalauréat » au
XVIIe siècle.
• Un examen académique. C’est en 1808
que ce grade, décerné, conformément au
monopole de l’Université impériale, par des
jurys constitués de professeurs des facultés
des lettres et des sciences, devient la sanction
des études secondaires. En vertu d’une ordonnance de 1820, il ouvre l’accès aux fonctions
de l’État et aux carrières libérales : il faut être
bachelier ès lettres pour pouvoir s’inscrire
dans une faculté de droit ou de médecine,
ou se présenter au concours d’entrée d’une
grande école.
Nul régime n’a assuré aux lycées de l’État le
monopole de sa préparation. Mais le statut de
1808, en vigueur jusqu’en 1849, impose aux
candidats de fournir un « certificat d’études »
attestant que les deux dernières années de
leur scolarité ont été effectuées dans un établissement public. En réalité fleurissent, dès la
monarchie de Juillet, ce qu’il devient d’usage
de nommer, à partir du milieu des années
1850, des « boîtes à bachot » - les dérivés
« bachotage » et « bachoter » feront leur apparition avant la fin du siècle. La liste même
des questions étant fixée par un décret de
1840, l’examen tend à se réduire à un exercice
de mémoire. La création d’un écrit, toujours
en 1840, l’introduction de la dissertation de
philosophie en 1864 et, dix ans plus tard, la
séparation du baccalauréat ès lettres en deux
séries d’épreuves n’ont guère atténué la tendance des programmes à l’encyclopédisme,
au stérile abus de la rhétorique, des vers, du
thème et du discours latins.
• De réforme en réforme. Les réformateurs
républicains élaborent une pédagogie nouvelle, dictée par le souci de mieux adapter
l’enseignement aux réalités et de faire une
juste place à l’expérience. En 1880, la composition française s’impose au détriment de la
composition latine. En 1881 est créé le bacdownloadModeText.vue.download 73 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
62
calauréat de l’enseignement spécial, dont le
succès prouve qu’il répond à une demande
sociale. Il reçoit en 1891 l’appellation de
« moderne », avant que la réforme de 1902
vienne établir l’égalité avec la filière « classique ». Ensuite, il n’existe plus que des options, des séries à l’examen du « baccalauréat
de l’enseignement secondaire ». Leur nombre
et le contenu de leurs programmes évoluent
en fonction des réformes apportées aux sections de cet enseignement. Aujourd’hui, le
« bac » - diminutif apparu dès 1880 - ne peut
être obtenu qu’avec une moyenne de 10 au
premier groupe d’épreuves écrites et orales,
ou, si elle se situe entre 8 et 10, à l’issue d’un
second groupe d’épreuves orales, dites « de
contrôle ». Le gouvernement de la Libération,
reprenant les termes d’une circulaire de 1937,
a rappelé que l’examen devait être « la vérification et non le but des études secondaires ».
Le souci de relever le niveau de l’enseignement technique a conduit à créer, en 1945,
un « baccalauréat technique », rebaptisé, en
1986, « baccalauréat technologique », diversifié en dix-sept séries, et complété, l’année sui-
vante, par un « baccalauréat professionnel ».
De réforme en réforme - la dernière en
date, appliquée à la session de 1995, a redessiné les contours des huit séries du baccalauréat d’enseignement général -, l’État s’est
efforcé de faire face à l’explosion des effectifs
dans les collèges et les lycées, suscitée par la
gratuité de l’enseignement secondaire (1930),
puis par le baby-boom. L’objectif d’amener
« 80 % de chaque classe d’âge au niveau du
baccalauréat », fixé par Jean-Pierre Chevènement en 1985, n’a été abandonné par aucun
de ses successeurs. Diplôme de fin d’études
secondaires, ou premier grade universitaire ?
Plus que jamais, devant les doléances et les
exigences contradictoires dont l’Université
française fait l’objet, la question reste posée.
bagaudes, terme d’origine celtique désignant, de façon générale, le brigandage rural
et, plus précisément, les soulèvements populaires contre les autorités romaines à la fin du
IIIe siècle et au début du Ve siècle.
Le premier soulèvement dure de 283 à 311 et
semble surtout concerner la Gaule du Nord et
de l’Est. La crise sociale et économique provoquée par l’anarchie militaire au IIIe siècle a
progressivement marginalisé une partie de la
population gallo-romaine. En outre, à partir de 284, l’empereur Dioclétien tente de
restaurer l’autorité romaine en s’appuyant
sur l’armée et en renforçant l’impôt, ce qui
aggrave la situation de nombreux paysans.
Petits propriétaires ruinés, bergers, artisans
sans travail, soldats déserteurs et esclaves en
fuite constituent ainsi le gros des révoltés.
Leurs revendications sont surtout antifiscales,
mais leur organisation en véritables armées
et l’élection de leurs chefs comme empereurs
attestent aussi leurs velléités sécessionnistes.
À la suite de plusieurs campagnes militaires,
l’ordre social est finalement restauré, mais, au
cours du IVe siècle, le nouvel ordre impérial
alourdit encore la pression fiscale et ne parvient pas à éliminer toute trace de brigandage
rural.
À la fin du IVe siècle et au début du Ve, à
l’occasion des nouvelles incursions barbares,
de nouveaux soulèvements éclatent, en
Champagne, en Picardie, en Armorique, en
Aquitaine et dans les vallées alpines. Le rejet
de l’impôt reste la cause principale, mais certaines régions, telle l’Armorique, manifestent
aussi un profond sentiment anti-romain. Les
autorités occupantes, souvent débordées,
font généralement appel aux Barbares, tels les
Wisigoths en Aquitaine, pour combattre les
révoltés. Les bagaudes ont précipité l’effondrement de l’Empire en Gaule.
bagne, lieu d’application de la peine des
travaux forcés du XVIIIe au XXe siècle.
Les galères disparaissent au cours du
XVIIIe siècle, du fait de l’évolution des techniques maritimes, et l’ordonnance du 27 septembre 1748 prévoit la création de bagnes
portuaires pour l’exécution de la peine des
travaux forcés. Des bâtiments pénitentiaires
monumentaux sont aménagés dans les grands
arsenaux, à Rochefort, Brest et Toulon. Dans
ces bagnes sévère, les traditions de la marine
perdurent. Les bagnards, encadrés par des
gardes-chiourme, se reconnaissent à leur chasuble rouge, à leur bonnet vert (condamnés à
perpétuité) ou rouge. À leur arrivée, ils sont
soumis au régime de la « grande fatigue », et
accouplés par des chaînes ; après quelques
années, libérés de leurs compagnons de
chaîne, ils subissent le régime de la « petite
fatigue ». Ce système de travail forcé permet d’utiliser la population pénale pour la
construction et l’entretien des navires et des
installations portuaires.
• La déportation en Guyane. Ces bagnes
fonctionnent jusqu’au milieu du XIXe siècle, et
quelques grandes figures, tel Vidocq, nourrissent la mythologie des lieux. Considéré
comme l’endroit dangereux où s’est déposée
la lie de la société, le bagne apparaît, pour les
autorités, moins dur qu’il ne devrait (la mortalité est plus forte en prison). Elles envisagent
alors de déporter les forçats dans les colonies,
pour les affecter à des tâches d’aménagement.
La Guyane - où avaient déjà été proscrits
Billaud-Varennes et Collot d’Herbois en 1795 devient terre de bagne en 1852, et l’on expédie les condamnés aux îles du Salut (1852), à
Saint-Laurent-du-Maroni (1858) et à Cayenne
(1863). Sont fermés les anciens pénitenciers
de Rochefort (1852), Brest (1858) et Toulon
(1873).
L’envoi des condamnés en Guyane s’effectue dans le cadre de la loi sur la transportation
du 30 mai 1854, destinée à exclure définitivement les indésirables sociaux par le « doublage » : le bagnard reste sur place, après sa
libération, pour une période au moins égale à
celle de sa peine, certains devant y séjourner
à vie. Les condamnés politiques républicains
sont regroupés à l’île du Diable. Les conditions climatiques éprouvantes entraînent une
mortalité considérable, qui remet en cause la
déportation en Guyane : en 1864, la Nouvelle-
Calédonie devient aussi terre de bagne. C’est là
que 4 200 communards, parmi lesquels Louise
Michel et Henri Rochefort, purgent leur peine
entre 1872 et 1880. L’instauration définitive
de la République ne change pas profondément
le système. Les républicains les plus militants
réclament un adoucissement de la discipline,
mais la société de la fin du siècle est hantée
par la peur des récidivistes. Le bagne est conçu
comme le meilleur moyen de les tenir éloignés,
de leur permettre de s’amender par le travail
tout en valorisant les terres colonisées. Ces
idées sont au coeur de la loi de 1885 sur la
relégation, qui prévoit que tous les délinquants
multirécidivistes seront bannis à vie.
En 1888, la Nouvelle-Calédonie étant jugée
trop peu dissuasive, les bagnes sont réinstallés
en Guyane. Le plus célèbre des détenus de
cette période est le capitaine Dreyfus, retenu
sur l’île du Diable de 1895 à 1899. Les conditions de vie, d’hygiène et d’alimentation, la
dureté du régime des travaux forcés, suscitent
de temps en temps des campagnes de presse
en faveur de l’aménagement ou de la fermeture des bagnes (reportages d’Albert Londres
dans le Petit Parisien, en août-septembre
1923). Ces campagnes, relayées par l’Armée
du salut, obtiennent le soutien d’élus guyanais tels que Gaston Monnerville. Pourtant,
malgré cette pression, l’administration crée le
bagne de l’Inini, en 1931, pour enfermer les
révoltés indochinois de Yên Bay. Un décret-loi
du 17 juin 1938 supprime la transportation
- tout en maintenant la relégation -, mais ce
n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale que sont supprimées les colonies
pénitentiaires d’outre-mer. Les retours sont
organisés de 1946 à 1953.
bailliage, circonscription administrative
qui apparaît au début du XIIIe siècle et à la tête
de laquelle se trouve un bailli.
Dans le sud et l’ouest du royaume, cette circonscription s’appelle généralement la sénéchaussée : elle est placée sous l’autorité d’un
sénéchal. Le bailliage est subdivisé en prévôtés et châtellenies, et les sénéchaussées méridionales en vigueries et baylies. Le nombre
des bailliages et sénéchaussées est allé croissant entre le XIIIe et le XVIe siècle : on en compte
23 vers 1285, 75 en 1461 et près d’une centaine à la fin du règne de François 1er.
Les bailliages et les sénéchaussées jouent
un rôle essentiel au Moyen Âge. En effet, les
baillis, d’abord commissaires royaux temporaires à la fin du XIIe siècle, puis officiers
permanents à partir des années 1220-1230,
ont des pouvoirs étendus en matière militaire,
financière et judiciaire. Ils lèvent le ban et
l’arrière-ban ; ils centralisent les taxes et les
redevances perçues par les prévôts ; ils président le tribunal du bailliage, qui traite des
affaires entre nobles, des cas royaux, et juge
en appel des sentences rendues par les châtelains ou les justices seigneuriales. Nommés et
gagés par le roi, révocables par celui-ci à tout
moment, les baillis ont toujours fait l’objet
d’une surveillance attentive de la part des
autorités centrales, ainsi qu’en témoignent les
nombreuses ordonnances de réforme du XIIIe
au XVe siècle, dont la plus célèbre est celle de
Saint Louis de 1254. À partir du XIVe siècle,
le bailli est assisté par un lieutenant général,
homme de loi capable de tenir les assises à
sa place. D’autres officiers, tels le receveur
et le procureur, l’appuient. Cette multiplication d’officiers spécialisés autour du bailli au
XIVe siècle ne signifie pas pour autant un déclin de la fonction. Au contraire, les baillis ont
désormais un profil plus politico-militaire ;
downloadModeText.vue.download 74 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
63
cette évolution, qui est à mettre en rapport
avec la guerre de Cent Ans, explique qu’ils
soient dès lors essentiellement recrutés dans
les rangs de la noblesse d’épée. Néanmoins,
après avoir fortement contribué au développement de l’autorité monarchique durant
les deux derniers siècles du Moyen Âge, les
baillis voient leur rôle diminuer à partir du
XVIe siècle, et ce au profit des gouverneurs. Les
bailliages et les sénéchaussées ne sont plus
alors que des circonscriptions judiciaires
dotées d’un tribunal dont les compétences se
réduisent progressivement au cours des XVIIe
et XVIIIe siècles.
Bailly (Jean Sylvain), savant et homme politique (Paris 1736 - id. 1793).
Astronome éminent, féru de littérature,
membre de l’Académie des sciences (1763),
de l’Académie française (1783), de l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1785)
ainsi que de plusieurs académies étrangères,
il fréquente d’Alembert, Condillac, Lavoisier
et Benjamin Franklin, qu’il admire. Sous la
Révolution, ce franc-maçon entame une éphémère carrière politique. Après avoir participé
à la rédaction du cahier de doléances du
tiers état de Paris, il est élu député aux états
généraux de 1789, et, président de l’Assemblée, il prête en premier le serment du Jeu
de paume. Au lendemain de la prise de la
Bastille, il est élu maire de Paris. Le 17 juillet, il reçoit Louis XVI à l’Hôtel de Ville en lui
offrant la cocarde tricolore. Il est alors au faîte
de sa gloire. Réputé démocrate, il participe au
premier comité d’élaboration de la Constitution ; mais, horrifié par des violences populaires qu’il ne comprend pas, il est partisan
de mesures répressives. Le 17 juillet 1791, il
proclame la loi martiale, et ordonne à la Garde
nationale de tirer sur la foule paisible et désarmée qui manifestait au Champ-de-Mars pour
protester contre la fuite du roi à Varennes et
exiger la mise en jugement du monarque. Haï
par les patriotes, il démissionne de la mairie
le 12 novembre 1791, et se retire en province. Arrêté en 1793, il est conduit à Paris,
témoigne au procès de Marie-Antoinette, puis
est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire pour le « crime du 17 juillet ». Il est
guillotiné, le 12 novembre 1793, sur les lieux
mêmes de la fusillade.
bal des Ardents ! Ardents (bal des)
Bâle (traités de), nom de trois traités de paix
conclus à Bâle en 1795 entre la République
française et, respectivement, la Prusse, l’Espagne et la principauté de Hesse-Cassel.
Les victoires républicaines de l’été 1794 ont
démontré que la Révolution ne peut être
vaincue militairement. Un parti de la paix se
constitue en Prusse : il s’inquiète de la menace
française en Allemagne du Nord, mais aussi
du second partage de la Pologne effectué par
la Russie et l’Autriche sans son concours. Le
roi Frédéric-Guillaume II envoie un émissaire
officieux à Bâle en novembre 1794. Les dirigeants français sont divisés, mais le Comité de
salut public approuve l’ouverture de négociations. Le premier traité est signé avec la Prusse
le 5 avril 1795 : il stipule la fin des combats et
l’occupation de la rive gauche du Rhin par la
France « jusqu’à la pacification générale avec
l’Empire ».
Pendant ces pourparlers, le ministre espagnol Godoy envoie, lui aussi, un émissaire.
Le deuxième traité est paraphé le 22 juillet
1795 : il met fin à la guerre entre la France et
l’Espagne. La République doit quitter la péninsule Ibérique et obtient en contrepartie la
partie espagnole de l’île de Saint-Domingue.
Enfin, un troisième traité, de moindre importance, est conclu avec le Hesse-Cassel
le 28 août 1795. Ces accords ont un grand
retentissement en Europe, laissant espérer
une pacification générale après trois années
de guerre. La rédaction du Projet de paix perpétuelle de Kant est d’ailleurs contemporaine
des premières négociations.
ban, droit de commander, de contraindre,
de punir. Composante du pouvoir barbare, le
ban appartient au chef franc, puis au roi franc.
Héritant de l’idée romaine de puissance
publique, le ban devient au cours du haut
Moyen Âge l’expression de l’autorité royale.
Il recouvre des prérogatives politiques, militaires, judiciaires et fiscales. Il autorise à
convoquer les hommes libres à l’assemblée
(plaid) ou à l’armée (ost) et à exiger des prestations financières. Délégué aux représentants
du roi dans les provinces, il est le fondement
de l’autorité comtale. Lorsque l’autorité royale
s’affaiblit, le ban est accaparé par les princes
ou les comtes (IXe-Xe siècle), puis par les seigneurs châtelains (Xe-XIIe siècle). En l’absence
de contrôle, ses détenteurs l’exploitent à leur
profit. La seigneurie banale s’installe en s’arrogeant l’institution judiciaire pour assujettir les
paysans libres du territoire sur lequel s’exerce
l’autorité seigneuriale. Le terme change alors
de sens et devient l’expression d’une domination d’ordre privé et sans limites, fondée
sur la confiscation des anciennes prérogatives
publiques. Le seigneur du ban impose aux
paysans des redevances arbitraires, qualifiées
d’exactions : le prix de la sécurité, taille, tolte
ou queste ; l’ancien droit royal d’albergue ou
de gîte ; des réquisitions ou corvées de travaux
publics ; enfin le service de garde du château.
Composée du ban de l’ost (convocation à l’ost
des vassaux directs) et de l’heriban carolingien
(convocation à l’ost de tous les hommes libres
sous peine d’amende), devenu l’arrière-ban
(service armé dû au roi par tous les Francs),
la prérogative militaire est souvent remplacée
par un service ou une taxe à l’époque féodale.
Le seigneur contrôle et taxe la circulation
des biens et des personnes, les activités commerciales, et impose son droit de prévente
sur certains produits (banvin) ; il instaure
un monopole sur les installations agricoles
(four, moulin, pressoir), obligeant les paysans
à les utiliser et à acquitter une redevance annuelle (banalités). Les exactions banales sont
constestées dès leur instauration ; leur suppression, leur limitation ou leur rachat sont
au premier plan des revendications paysannes
jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
À l’époque moderne, si le sens militaire
tombe en désuétude avec le renforcement du
pouvoir étatique, le ban reste en usage dans
le cadre de la seigneurie pour désigner la pro-
clamation publique par le seigneur d’un événement (par exemple, le ban de mariage) ou
d’une décision de portée collective (banvin ;
mise à ban, qui est la période pendant laquelle
il est interdit de pénétrer dans les vignes ou
les prés du seigneur). Enfin, il désigne la sentence condamnant à l’exil hors des limites du
royaume ou de la juridiction.
banalités ! droits seigneuriaux
Banque de France, banque centrale du
système monétaire et financier français.
À l’aube du XIXe siècle, plusieurs projets visent
à instituer un organisme de refinancement du
système bancaire qui apporterait des fonds aux
banques, leur permettant ainsi de mieux escompter les effets de commerce si leurs propres
capacités devenaient insuffisantes, soit en période d’expansion, soit en raison d’une crise de
confiance liée à une récession. La Banque d’Angleterre, créée dès 1694, et la Banque d’Écosse
servent de références. Le rétablissement de la
stabilité politique et sociale et de la confiance
du monde des affaires permet de réaliser cette
ambition. La Banque de France est créée en
1800 par Bonaparte, qui veut associer l’affermissement de son régime et la relance de l’économie. La prudence est de règle : la Banque
impose des conditions strictes au réescompte ;
trois signatures sont nécessaires ; seules les
traites liées à une opération commerciale sont
réescomptables, ce qui écarte le papier de crédit couvrant en fait un découvert financier ; les
avances directes accordées aux clients doivent
être solidement garanties.
• Un institut d’émission. À l’origine, l’émission de billets doit être modérée ; il s’agit
en effet d’effacer dans l’opinion publique le
souvenir de la banqueroute de Law ou des
assignats. La Banque de France n’émet qu’en
région parisienne avant d’obtenir, en 1848, le
monopole de l’émission de billets et d’absorber les banques d’émission provinciales. En
échange du renouvellement régulier de son
privilège d’émission et sous l’impulsion des
milieux financiers et de l’État, qui nomme son
gouverneur, elle étend ses opérations. Elle
ouvre des succursales dans les quartiers parisiens et sur les principales places. Elle multiplie ses avances grâce à l’extension du nombre
de valeurs mobilières admises comme gage.
Elle admet du papier de crédit pour appuyer
les banques et les entreprises régionales.
Grâce à cette Banque centrale, un véritable
système de réescompte est établi. À partir des
années 1850, l’instauration d’une confiance
durable - étayée par la détention d’un stock
d’or et d’argent - et l’abaissement de la valeur
faciale des coupures expliquent la diffusion
des billets de banque dans les opérations quotidiennes et le cours forcé des billets, institué
en 1871. La monnaie fiduciaire l’emporte sur
la monnaie-métal, avant d’être supplantée par
la monnaie scripturale à la fin du XIXe siècle.
La Banque de France est soumise aux besoins
financiers du Trésor, qui l’oblige à lui avancer des fonds. Maîtrisée au XIXe siècle, cette
création de monnaie devient inflationniste
pendant la Première Guerre mondiale. À plusieurs reprises, sous les IIIe et IVe Républiques,
le financement du déficit par la planche à
billets exprime cette dépendance ; seule une
downloadModeText.vue.download 75 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
64
gestion budgétaire rigoureuse, parfois sur les
conseils du gouverneur de la Banque centrale,
permet d’enrayer cette dérive.
• La « banque des banques ». La Banque
de France devient progressivement la
« banque des banques ». Par le jeu du taux
d’escompte (en fait, de réescompte), elle fixe
le prix de l’argent et exerce un certain contrôle
sur le marché de l’argent à court terme, en
régularisant les flux de crédit. Elle freine le
processus inflationniste en élevant ses différents taux d’intérêt, qui déterminent les taux
de base bancaires. Elle allège le prix du crédit dans les périodes de récession et, parfois,
intervient pour refinancer des banques en
difficulté et éviter que des crises ponctuelles
ne débouchent sur un krach. Elle peut également sauver certains établissements en péril :
ainsi, en 1889, pour le Comptoir d’escompte
de Paris, dans les années vingt, pour certaines
maisons et, surtout, en 1931-1932, lorsqu’elle
contribue au remodelage de l’appareil bancaire en restructurant, en collaboration avec
le ministère des Finances, ou en organisant la
reprise des banques défaillantes.
De plus en plus, la Banque de France gère
le stock monétaire du pays. Par la variation de
son taux d’escompte, elle essaie de freiner les
mouvements spéculatifs internationaux. Cette
fonction s’accroît à partir des années vingt,
quand elle prend en main la gestion de la
valeur du franc. Elle devient désormais la responsable des changes, en liaison avec le Trésor
et les banques, par exemple pour superviser le
franc flottant (en 1936-1940). Cette diver-
sification lui confère un pouvoir d’intervention considérable. Société anonyme privée,
elle est gérée par le gouverneur et un conseil
général composé de quinze régents élus par
les deux cents plus importants actionnaires
lors de l’assemblée générale. La puissance des
régents est réelle, en raison de leur influence
sur le prix et les flux de l’argent. Elle devient
mythique dans l’entre-deux-guerres ; on
soupçonne alors ces « deux cents familles »
d’édifier un « mur de l’argent » pour enrayer
la liberté de manoeuvre de la gauche. À la modeste réforme des statuts réalisée par le Front
populaire en 1936 succède la nationalisation
en 1946. Désormais, la Banque de France est
sous la tutelle de l’État ; la réforme de 1994 la
dote d’une large autonomie sous le contrôle
du Conseil de la politique monétaire et d’un
gouverneur muni d’un mandat irrévocable de
six ans.
Cependant, à la veille de l’instauration de
l’euro, la Banque de France, qui fait désormais partie du Système européen de banques
centrales, voit une large part de ses pouvoirs
transférée à la Banque centrale européenne,
mise en place en 1998.
Banque de l’Indochine, établissement
bancaire fondé en 1875.
Son capital, versé par le Comptoir d’escompte et le Crédit industriel et commercial
(avec la participation des Messageries maritimes et de la Banque de Paris et des PaysBas), s’élève alors à 8 millions de francs. Elle
obtient le droit d’émettre de la monnaie en
Cochinchine et en Inde française. Ce privilège, qui devait expirer en 1885, est étendu
à l’ensemble de l’Indochine et à l’Océanie en
1905, puis à la Côte française des Somalis
en 1907, et prorogé jusqu’en 1920, puis
jusqu’en 1959 ; mais il lui est retiré, le 31 décembre 1951, au profit des instituts d’émission des trois États associés (Cambodge,
Laos, Viêt-nam). La Banque de l’Indochine le
conserve à Djibouti jusqu’en 1970.
Jusqu’en 1927, elle pratique le crédit agricole en consentant des avances sur fonds
ou sur récoltes aux paysans indochinois (au
taux de 8 %). Importante banque d’affaires,
elle s’assure le contrôle de nombreuses entreprises en Indochine et à Madagascar (Omnium colonial, Distilleries de l’Indochine,
Brasseries de l’Indochine, plantations d’hévéas), et ouvre des agences dans la plupart
des pays d’Extrême-Orient. Ses dirigeants
espèrent longtemps s’implanter en Chine,
pays où ils ne pourront jamais acquérir de
position influente. Rachetée par la Compagnie financière de Suez en 1972, elle constitue avec celle-ci le groupe Indosuez en 1975.
La Banque de l’Indochine fut le plus important groupe capitaliste de l’empire colonial
français, et joua un rôle moteur dans la vie
de l’Indochine française.
banquet républicain. L’usage de donner un repas « à un grand nombre de convives
dans un but politique » remonte, selon Pierre
Larousse, au « banquet civique » de l’époque
révolutionnaire, pendant du « banquet royal »
prévu par l’étiquette de l’Ancien Régime.
De la monarchie de Juillet à la IIIe République,
les banquets partisans, désignés a posteriori
comme banquets républicains, montrent
l’évolution d’une forme de sociabilité politique au service d’idées considérées d’abord
comme subversives, puis liées à l’exercice officiel du pouvoir.
La IIe République naît avec la « campagne
des banquets réformistes » lancée en 1847.
L’idée d’organiser de grands repas avec des
toasts en vue de la réforme électorale conquiert
d’abord la gauche dynastique. Le premier banquet, organisé à Paris le 9 juillet 1847, dans le
local du Château-Rouge, rassemble 1 200 participants venus écouter Odilon Barrot. Les
mois suivants, dans 30 départements, ont
lieu environ 60 banquets, au cours desquels
les seules revendications électorales cèdent la
place à la critique du gouvernement. Les républicains commencent à s’y manifester avec plus
d’audace : à Dijon, à Chalon-sur-Saône, à Lille,
où Ledru-Rollin parvient à écarter Barrot le
7 novembre 1847. En février 1848, Guizot interdit le grand banquet populaire prévu à Paris,
dans le XIIe arrondissement : le 22 février, des
manifestants protestent et, deux jours plus
tard, la révolution gagne la capitale.
Que reste-t-il de cet héritage ambivalent
dans le cérémonial des banquets républicains
de la IIIe République ? Institués pour solenniser la première fête nationale du 14 juillet
en 1880 ou le centenaire de la Révolution en
1889, les banquets républicains sont aussi
l’occasion pour le pouvoir d’affirmer la cohésion de la République quand elle semble
menacée. Le banquet officiel de 1888 défie les
boulangistes, et celui de l’Exposition universelle de 1900 se veut apaisant en pleine affaire
Dreyfus. Les grands banquets des maires de
1889 et de 1900 avec respectivement 13 000
et 20 000 convives venus de tout le pays, en
présence des présidents Carnot et Loubet,
demeurent les images d’une spectaculaire
mise en scène de l’intégration nationale par
les fastes de la République. Le banquet républicain est désormais une forme officielle et
plaisante d’allégeance à un régime en quête
de consensus. Il reste néanmoins un peu de
la tradition offensive des banquets politiques
dans les repas électoraux - qui ne s’intitulent
pas par hasard « banquets républicains »
- comme ceux de la campagne présidentielle
de 1995.
Bao Dai, empereur d’Annam de 1925 à 1945
et chef de l’État du Viêt-nam de 1949 à 1955
(Huê 1913 - Paris 1997).
Proclamé empereur à la mort de son père, Bao
Dai est éduqué en France et intronisé à Huê
en 1932. Au début de son règne, il paraît désireux de moderniser la monarchie et d’obtenir
un assouplissement du protectorat, mais il
se heurte aux réticences de l’administration
coloniale et se contente d’un rôle protocolaire.
Après le coup de force japonais d’avril 1945, il
se retrouve à la tête d’un Viêt Nam théoriquement indépendant et réunifié, mais n’a aucun
moyen d’imposer son autorité à l’ensemble
du pays. Le 25 août 1945, après la prise du
pouvoir par le Viêt-minh, il abdique, préférant « être citoyen d’un pays indépendant
plutôt que roi d’un pays asservi ». Il devient
« conseiller suprême » de la nouvelle République, puis se retire à Hongkong en 1946. À
partir de 1947, il entre en pourparlers avec la
France, qui souhaite jouer la carte impériale
face à l’ennemi vietminh. Il n’accepte toutefois
de rentrer dans son pays qu’après la reconnaissance de l’unité nationale. Le 24 avril
1949, il prend ainsi à Saigon ses fonctions
de chef de l’« État associé du Viêt Nam » et
forme un ministère d’union. Peu connu et peu
apprécié de ses compatriotes, il ne fait que de
brefs séjours dans son pays, mais se montre
intransigeant quant au transfert des compétences qui doit entraîner la création d’un État
indépendant dans le cadre de l’Union française. Après la reconnaissance de l’indépendance complète du Viêt Nam, en 1955, il est
déposé par référendum (octobre 1955) et se
retire définitivement en France.
Bar (comté, puis duché de), comté médiéval,
érigé en duché au XIVe siècle, correspondant à
l’actuel département de la Meuse.
Situé en terre impériale lors du partage de
Verdun (843), le comté de Bar est formé au
Xe siècle, lorsque Sophie, fille du duc Ferry de
Lorraine, épouse Louis, comte de Mousson, et
reçoit en dot le comté de Bar, qui reste dans la
famille de Bar-Mousson jusqu’au XVe siècle. Le
comte Henri de Bar, allié à son beau-père, le roi
Édouard Ier d’Angleterre, dans le conflit francoanglais, prend les armes contre Philippe le Bel,
en 1297. Fait prisonnier, il doit accepter les
conditions du roi de France pour retrouver sa
liberté : en 1301, la partie de son comté située
à l’ouest de la Meuse passe dans la mouvance
royale. On parle désormais du Barrois mouvant
pour le distinguer du reste du comté relevant
de l’Empire. En 1354, le roi Jean II le Bon érige
downloadModeText.vue.download 76 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
65
le comté en duché pour son gendre Robert de
Bar. En 1430, le duché de Bar revient à René
d’Anjou (le futur roi René), duc de Lorraine en
1431. Lorraine et Bar sont définitivement réunis au royaume de France en 1766, à la mort
du dernier duc de Lorraine.
Le Barrois mouvant met en lumière deux
phénomènes du Moyen Âge classique : le roi
de France pratique désormais une politique
non plus féodale mais territoriale de « grignotage » sur les frontières de Verdun, et, dans le
même temps, se développe, aux marches du
royaume, un sentiment national vivace qu’illustre Jeanne d’Arc, née à Domrémy, dans le
Barrois mouvant.
Barbaroux (Charles Jean Marie), homme
politique (Marseille 1767 - Bordeaux 1794).
Adhérant au mouvement révolutionnaire dès
1789, cet avocat, fils d’un négociant, devient
une des figures les plus influentes de Marseille. Membre de la Garde nationale, secrétaire de la Commune de Marseille, il est l’un
des fondateurs et dirigeants du club jacobin
de la ville. Envoyé à Paris par la municipalité
en février 1792, il se lie avec Brissot et Roland, et soutient la Société des amis des Noirs.
À l’origine de la marche sur Paris des fédérés marseillais, il en commande le bataillon
lors du 10 août 1792. Ce rôle lui vaut une
immense popularité à Marseille, qui l’élit député à la Convention. Hostile aux massacres
de septembre, à la Commune de Paris et au
mouvement populaire, il s’engage d’emblée
aux côtés des girondins dans leur lutte contre
les montagnards. À l’issue des journées des
31 mai et 2 juin 1793, il est l’un des vingtneuf députés proscrits. Arrêté, il s’évade et
rejoint Caen, où il organise la contre-attaque
avec les rescapés girondins. Sur son initiative, ces derniers signent une protestation
qui appelle les départements au soulèvement
contre la Convention et marque le début du
fédéralisme. Après l’échec de l’armée de Normandie en juillet 1793, il rejoint Bordeaux en
insurrection, puis, lorsque la ville se rend, il
se cache pendant plusieurs mois avec Buzot
et Pétion. Se croyant découverts, ces deux
derniers se suicident, tandis que Barbaroux
ne parvient qu’à se blesser. Il est condamné à
mort et guillotiné le 24 juin 1794.
Barbé-Marbois (François, comte
[d’Empire], puis marquis de), homme politique (Metz 1745 - Paris 1837).
Ce fils d’un négociant postulant à la noblesse
entame une carrière diplomatique en Europe
et en Amérique, sous la protection de ministres
de Louis XVI, le maréchal de Castries et le duc
de La Luzerne. Intendant général de Saint-Domingue entre 1785 et 1789, il s’oppose aux
colons qui ne veulent ni mesures favorables à la
population noire ni restrictions à leur commerce
avec les États-Unis. Rentré en métropole sous
leur contrainte, il échoue dans les négociations
entre la France révolutionnaire et les princes
européens. Il se retire alors du service, réside à
Metz pendant la Terreur, au cours de laquelle il
n’est pas inquiété. Il devient maire de cette ville
en 1795. Élu au Conseil des Anciens, il compte
parmi les royalistes modérés qui critiquent le
gouvernement, et dénonce le babouvisme. Accusé d’être « ministrable » de droite, il est victime du coup d’État de fructidor (4 septembre
1797) et, malgré des protestations de bonapartisme, envoyé en Guyane. Ayant résisté au climat, il est libéré. Grâcié, il entre dans la nouvelle
administration, avec l’appui du nouveau consul,
Lebrun. Directeur en 1801, ministre du Trésor
en 1802 (c’est lui qui définit le franc germinal),
président de la Cour des comptes en 1807, il
est aussi chargé de négocier la cession de la
Louisiane aux États-Unis. Fait comte d’Empire,
nommé sénateur en 1813, il n’hésite pas à se
rallier à Louis XVIII : élevé à la pairie, il est
chassé pendant les Cent-Jours, avant d’occuper
brièvement le portefeuille de la Justice, en 1815.
Devenu marquis en 1817, il continue de siéger
à la Cour des comptes jusqu’en 1834, puis à la
Chambre des pairs jusqu’à sa mort.
Barbès (Armand), révolutionnaire et
homme politique (Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, 1809 - La Haye, Pays-Bas, 1870).
Républicain farouche, Barbès s’oppose à la
monarchie de Juillet dès son arrivée à Paris, en
1830. Il est emprisonné une première fois à la
suite des journées d’avril 1834, puis après l’attentat de Fieschi contre la famille royale (1835).
Ayant organisé avec Auguste Blanqui et Martin
Bernard l’insurrection du 12 mai 1839, dirigée contre le gouvernement de Louis-Philippe,
il est à nouveau emprisonné et condamné à
mort. Grâce à l’intervention de Victor Hugo,
sa condamnation est commuée en peine de
prison à perpétuité. Il est libéré lors de la révolution de février 1848 et acquiert, en tant que
président du Club de la révolution, une grande
popularité. Élu député de l’Aude, il siège à l’extrême gauche de l’Assemblée. Le 15 mai, sous
son impulsion et celle de quelques autres chefs
révolutionnaires, un coup de force est perpétré
contre la Constituante, afin de former un gouvernement insurrectionnel à l’Hôtel de Ville.
Barbès est de nouveau condamné à la prison.
Incarcéré à Doullens, puis à Belle-Île-en-Mer,
il refuse la grâce accordée par Napoléon III en
1854 ; libéré contre son gré, il quitte la France
et s’exile aux Pays-Bas.
Barbie (procès), procès intenté à Lyon, en
1987, à Klaus Barbie, accusé de crimes contre
l’humanité.
Barbie est l’ancien chef SS de la section IV du
SIPO-SD, service de la police nazie chargé
de la « répression des crimes et délits politiques » à Lyon, entre novembre 1942 et août
1944. Identifié en Bolivie, en 1971, par Beate
et Serge Klarsfeld, il fait l’objet d’une première
demande d’extradition en 1972. Sa livraison
à la France en 1983 permet l’ouverture d’une
instruction judiciaire. Certains des crimes de
l’homme qui a torturé Jean Moulin ne peuvent
être jugés ; Barbie, qui a été condamné à mort
par contumace en 1952 et en 1954, bénéficie
en effet de la prescription. Mais la nouvelle
définition du crime contre l’humanité, donnée par l’arrêt du 20 décembre 1985 de la
Cour de cassation, conduit à retenir parmi
les chefs d’inculpation des actes commis non
seulement contre des victimes juives, mais
aussi contre des résistants, qui s’opposaient à
la politique d’hégémonie idéologique de l’État
nazi. Le procès s’ouvre en mai 1987. Considéré comme une contribution à l’histoire
autant qu’à la justice, il est entièrement filmé
(le film ne pouvant être intégralement diffusé
que dans un délai de vingt ans). Défendu
par Me Jacques Vergès, Barbie est reconnu
coupable, en juillet 1987, de crimes contre
l’humanité (dont la rafle des enfants d’Izieu
le 6 juin 1944 et la déportation d’environ
650 personnes, le 11 août 1944, par le dernier train à destination des camps de la mort).
Il est condamné à la réclusion perpétuelle, et
meurt en prison en 1991.
Barère de Vieuzac (Bertrand), homme
politique (Tarbes 1755 - id. 1841).
Bertrand Barère de Vieuzac incarne une capacité politique peu répandue pendant la Révolution : celle de durer malgré l’exposition au
plus vif du pouvoir.
Ses biographes ont hésité entre deux qualifications : « géant de la Révolution » ou « habile rhéteur ». Comment peut-on devenir le
porte-parole du Comité de salut public, être
désavoué par Robespierre le 8 thermidor an II
(26 juillet 1794), être thermidorien le 10,
mais accusé en ventôse an III (mars 1795) ?
Cette vie politique adhère au processus révolutionnaire dans ses multiples reformulations.
Est-ce pour autant que la tactique s’oppose à
la conviction ?
• Un député jacobin. Élu député du
tiers de Bigorre à 34 ans, ce fils de procureur, avocat au parlement, dispose en 1789
d’une assise provinciale et parisienne. Dès
la réunion des États généraux, il est de tous
les débats importants. Constituant actif, il
fait restituer aux descendants des protestants leurs propriétés invendues, travaille à
la création du département des Hautes-Pyrénées, adopte des positions radicales en
faveur du séquestre des biens des émigrés
et du contrôle des contributions par le seul
pouvoir législatif, s’oppose au lobby colonial. Membre de la loge des Amis de la vérité,
jacobin, il s’oppose à Barnave et à Sieyès. Élu
par son département à la Convention, il n’accepte que par défaut le régime républicain. Il
joue alors un rôle de médiateur entre montagnards et girondins, et préside le Comité
de législation. Président de la Convention à
partir du 29 novembre 1792, il prend parti
contre l’appel au peuple, vote la mort du
roi, rédige la proclamation au peuple français annonçant son exécution. S’il prononce
l’appel à la « levée des 300 000 hommes »,
il s’oppose à la création du Tribunal révolutionnaire. Membre du Comité de salut public
dès le 7 avril 1793, il prend position contre
les girondins, mais aussi contre la Commune
dans les événements des 31 mai et 2 juin.
• Le héraut. Barère devient le porte-parole
du Comité de salut public parce qu’il associe
impartialité, vertu morale et radicalité, la seule
qualité révolutionnaire qui soit. Avant de fustiger la « légèreté académique » avec laquelle
Barère parle de la guerre, Robespierre a loué
les services de celui qui présente les rapports
sur la confiscation des biens des individus mis
hors la loi, l’établissement du gouvernement
révolutionnaire, les mesures à prendre contre
les étrangers, puis contre les Anglais, la mise
en accusation de la reine, la langue nationale,
downloadModeText.vue.download 77 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
66
l’assistance aux malheureux... Mais, lorsque
Barère fait entrer Carnot au Comité de salut
public, le 14 août 1793, ce dernier ne cesse de
s’opposer à la politique sociale de Robespierre
et de se heurter à Saint-Just sur la conduite de
la guerre. Barère le soutient objectivement par
ses récits de bataille enflammés. Ce ne sont
pas des personnes qui sont en jeu mais des
conceptions politiques opposées. Par pragmatisme, Carnot et Barère admettent que la
guerre défensive puisse devenir une guerre de
conquête, pourvu que la République française
y trouve son intérêt. À l’inverse, pour Robespierre et Saint-Just, il faut mener une guerre
défensive radicale contre l’ennemi anglais
mais ne pas se laisser subvertir par la soif de
conquête.
• Le conciliateur coupable. Le 5 thermidor, Barère prononce un décret de réconciliation des comités, lequel divise en fait
l’assemblée entre partisans de Carnot et partisans de Saint-Just. Le 7 thermidor, Barère
évoque la renaissance des factions dont
seraient responsables Robespierre et SaintJust. Le 8, Robespierre accuse ses ennemis
et, si Barère reste attentiste le 9, il prononce
le lendemain la « Proclamation au peuple
français » qui donne la version officielle du
9 Thermidor : « Le 31 mai, le peuple fit sa
révolution, le 9 thermidor, la Convention
nationale a fait la sienne ; la liberté applaudit également à toutes les deux. » Quelques
mois plus tard, ce ténor de l’an II est l’un
des quatre grands coupables condamnés à la
déportation par les thermidoriens. Il s’évade
et confirme son engagement jacobin par des
écrits, en particulier sur les colonies et l’Angleterre, et, enfin, tente à nouveau de se faire
élire dans son département.
Barnave (Antoine Pierre Joseph Marie),
homme politique (Grenoble 1761 - Paris 1793).
Jeune avocat au parlement de Grenoble, il
participe, dès 1787, à l’agitation anti-absolutiste et à la campagne pour la convocation des
états généraux de 1789.
• Un engagement précoce. Dans ses
écrits, imprégnés de la philosophie politique
de Montesquieu, il se prononce en faveur de
la séparation des pouvoirs et d’une Constitution à l’anglaise, mais accuse bientôt la
magistrature de n’agir qu’à son seul profit. Durant l’été 1788, il est, avec Mounier,
l’un des artisans de la résistance active du
Dauphiné et contribue, notamment dans
la décisive assemblée de Vizille, au rapprochement entre ordres privilégiés et notables
bourgeois. Député aux états généraux de
1789, il y oeuvre pour la réunion des ordres
et le vote par tête, et prête le serment du Jeu
de paume, dont il a écrit la formule avec Le
Chapelier. Dès lors, devenu l’un des plus
actifs dirigeants du parti patriote - il participe à la fondation du Club des jacobins,
dont il rédige le règlement -, il s’oppose
aux monarchiens et forme, avec Duport et
Lameth, le triumvirat qui impose ses vues
à la Constituante jusqu’en 1791. Promoteur
du compromis entre notables et monarchie
constitutionnelle, il a pour premier souci de
contenir tant la Contre-Révolution aristocratique que le mouvement populaire. Mais ce
grand orateur, aux capacités de réflexion peu
communes, s’attire les foudres de la Société
des amis des Noirs et des démocrates, et voit
son influence et sa popularité décliner à partir de l’automne 1790.
• Un retrait tout aussi précoce. Après
l’arrestation du roi à Varennes, il défend la
monarchie constitutionnelle contre la poussée
démocratique et républicaine, et prononce,
le 15 juillet 1791, un discours important qui
consacre l’inviolabilité du roi. Le lendemain,
il rompt définitivement avec les jacobins en
étant l’un des principaux responsables de la
scission des feuillants. Si sa politique triomphe
provisoirement, il subit divers échecs à
l’Assemblée, et les caricatures le montrent
comme vendu à la cour. De fait, entre juillet
1791 et janvier 1792, il entretient une correspondance secrète avec Marie-Antoinette,
qu’il conseille, espérant sincèrement rallier la
cour à la Constitution de 1791. Sans mandat
sous la Législative, il continue de conseiller
les ministres, puis se retire en Dauphiné en
janvier 1792. La découverte d’un document
compromettant dans le cabinet du roi, lors
de la révolution du 10 août 1792, provoque
son arrestation le 19 août. Transféré à Paris
après quinze mois de prison en province,
Barnave est condamné à mort par le Tribunal
révolutionnaire et guillotiné le 29 novembre
1793. Il laisse une Introduction à la Révolution
française, ouvrage clairvoyant, rédigé pendant
sa captivité et publié en 1843, qui présente le
phénomène révolutionnaire comme l’aboutissement d’une longue évolution économique
et sociale.
Barnenez (tumulus de), monument funéraire mégalithique datant du IVe millénaire
avant J.-C. situé à Barnenez, lieu-dit de la
commune de Plouézoch (Finistère).
Édifié sur la presqu’île de Kernelehen, dominant la baie de Morlaix et ses îles, il se présente comme un tertre, grossièrement quadrangulaire et étagé en gradins, fait de pierres
sèches rapportées. Il est long de 70 mètres
et large de 25 mètres ; son volume total
est de 7 000 mètres cubes, et son poids de
14 000 tonnes. D’orientation est-ouest, il fut
construit en deux parties : la plus ancienne,
à l’est, recouvre cinq chambres funéraires ;
la seconde, six. Utilisé comme carrière de
pierres dans les années cinquante, il fut sauvé
in extremis et restauré.
Les chambres funéraires s’ouvrent toutes
par un long et étroit couloir débouchant sur
le côté sud du monument. De forme circulaire, certaines ont une couverture en grosses
dalles de pierre - on parle alors de « dolmen
à couloir » ; d’autres ont une voûte en encorbellement en simples pierres sèches - on parle
de « tholos ». Certaines comportent des gravures : représentations humaines, haches,
arcs, bovidés. Le mobilier funéraire est peu
abondant, et la poterie la plus ancienne est
dite « de type Carn », du nom de l’île Carn.
On trouve aussi de la céramique néolithique
chasséenne, à fin décor gravé. Le monument
a cependant été réoccupé ultérieurement, si
bien qu’on a pu mettre au jour des vestiges de
la fin du néolithique, du chalcolithique (campaniforme) ou de l’âge du bronze ancien. Il a
donc été utilisé pendant deux mille ans.
baron, terme féodal désignant, à partir du
XIIe siècle environ, un puissant seigneur.
Parallèlement au renforcement de la noblesse
guerrière, le mot « baron » a subi, durant le
Moyen Âge, de nombreux glissements de sens.
Désignant à l’origine l’homme (par opposition
à la femme), le terme de « baron » signifie,
depuis l’époque mérovingienne, « serviteur ».
Cette évolution est donc parallèle à celle qui
affecte le terme de « vassal », expression également réservée à l’aristocratie militaire. Après
l’an mil, certains chevaliers se disent barons,
et le vocable recouvre alors celui de « fidèle ».
Ces sens primitifs (hommes virils et braves,
fidèles à leur seigneur) demeurent dans la littérature médiévale (et en particulier dans la
chanson de geste) : les barons sont ces chevaliers valeureux et loyaux qui entourent le roi à
la cour et à la guerre.
Le terme de « baron » désigne ainsi plus
un certain idéal de la société aristocratique
qu’un groupe nobiliaire clairement délimité.
Lorsque, dans la seconde moitié du XIIe siècle,
les actes de la chancellerie royale évoquent
le conseil des « barons du royaume », c’est à
cette idéologie féodale qu’ils se réfèrent. Pourtant, on sait que la réalité des rapports de pouvoir au Moyen Âge est souvent fort éloignée
de l’image rêvée d’une noblesse unie dans la
fidélité envers la personne royale. Et le mot
finit par désigner, dès le XIIIe siècle, les grands
du royaume, souvent prompts à défendre
leurs intérêts au sein du gouvernement royal :
depuis le règne de Saint Louis, les « révoltes
des barons » scandent régulièrement l’histoire
politique française.
Pourtant, les princes territoriaux, vassaux
directs du roi, ne sont pas les seuls à se faire
appeler « barons ». Il n’est pas rare que leurs
propres vassaux prétendent également à ce
titre. S’il est intégré à la hiérarchie féodale, le
baron y occupe donc une place flottante et
mal définie ; et il est bien difficile de distinguer, au sein de la noblesse française, ceux
qui sont barons de ceux qui ne le sont pas. Il
en va de même pour le terme de « baronnie »,
qui désigne des seigneuries remarquables par
leur ancienneté (c’est le cas des baronnies
du Périgord) ou par leur puissance (telle la
baronnie de Marigny, depuis 1313). À partir
du XIVe siècle, le titre baronnial devient purement honorifique et n’a presque plus de réalité politique.
baroque. Employé en histoire de l’art et
de la musique, plus récemment en histoire
de la littérature, voire en histoire générale,
dans les acceptions les plus différentes,
souvent contradictoires (selon les emplois,
le terme est antonyme ou synonyme de classique), le mot, entré dans l’usage courant, est
aujourd’hui plus gênant qu’utile.
L’historien devrait renoncer à employer cette
pseudo-notion, qui, si elle peut être un objet
de l’histoire, ne saurait être un outil historiographique. Une analyse complète du mot et
de ses emplois supposerait un volume entier,
puisque depuis un siècle chaque auteur en
a donné sa définition ; dans le cadre de cet
downloadModeText.vue.download 78 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
67
article, nous ne pouvons qu’offrir quelques
repères. Cet effort de clarification lui-même
n’est pas sans risque, car le baroque est
comme une rumeur : l’évoquer, c’est l’entretenir.
L’adjectif « baroque » est, au sens propre,
un terme technique, emprunté au portugais
barroco (1563) : « Terme de joaillier, qui ne
se dit que des perles qui ne sont pas parfaitement rondes » (Dictionnaire de Furetière,
1690). Le mot prend bientôt le sens figuré
de « bizarre », « irrégulier » (Saint-Simon,
1711 ; Dictionnaire de l’Académie, 1740), le
seul connu encore de Littré (1877). Il n’est pas
lié spécifiquement au monde des arts, mais il
peut y être employé occasionnellement pour
désigner en peinture, architecture, musique...
toutes expressions bizarres ou dissonantes.
« Baroque est tout ce qui suit non les
normes des proportions, mais le caprice de l’artiste. Dans les peintures de Tintoret, il y a toujours quelque chose d’étrange et d’insolite, il
s’y trouve toujours quelque chose de baroque »
(Pernety, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure, 1757). Même lorsque l’emploi
du mot paraît recouper l’usage moderne, il
convient de se rappeler qu’il n’a encore que
le sens général d’irrégulier. Dans le Supplément
à l’Encyclopédie (1776), Jean-Jacques Rousseau entend par musique baroque la musique
« dont l’harmonie est confuse, chargée de
modulations et de dissonances » ; lorsque,
dans l’Encyclopédie méthodique de l’architecture
(1788), Quatremère de Quincy définit « le baroque en architecture » comme « une nuance
du bizarre », son expression ne coïncide que
par hasard avec l’emploi contemporain du mot,
puisqu’il oppose le style baroque de Guarini au
style régulier du Bernin et de Mansart, que l’on
qualifie aujourd’hui de baroque.
• Y a-t-il un âge baroque ? Ce sont les
historiens de l’art allemands qui, à la fin du
XIXe siècle, donnent au mot, qui n’a plus de
sens péjoratif, son premier ancrage historique
en employant le mot Barockstil pour désigner,
d’une part, l’art du Bas-Empire et, d’autre
part, le style qui suit la Renaissance. Mais déjà
apparaissent in nuce les causes de l’imbroglio
sémantique : Henri Wölfflin et Cornelius
Gurlitt ne s’accordent ni sur le champ chronologique (1520-1630 pour Heinrich Wölfflin ;
1600-1700 pour Gurlitt) ni sur les caractères
du style ainsi dénommé, tandis que l’emploi
de barock dans des champs historiques très
lointains (Antiquité tardive, Europe moderne)
prépare le glissement du mot vers une signification transhistorique.
Partageant l’ambition de nombre d’esprits
de sa génération de construire une science de
l’art, Wölfflin reprend le terme dans ses ambitieux Principes fondamentaux de l’histoire de
l’art (1915, édition française 1952) : il y oppose les formes classiques qu’il met en lumière
au XVIe siècle (composition linéaire, en surface, close, procédant par analyse, cherchant
l’absolue clarté) et les formes baroques du
XVIIe (composition picturale, en profondeur,
ouverte, cherchant la synthèse et l’obscurité
relative). Wölfflin suggère aussi qu’il s’agit
d’un couple qui revient de manière cyclique
(art grec classique/hellénistique ; art romain
antique classique/baroque ; gothique classique/gothique tardif, qu’il suggère d’appeler
baroque). Dans son essai Du baroque (1928,
édition française 1935), Eugenio d’Ors pousse
à son paroxysme une lecture transhistorique,
dont le succès favorise des développements
qui relèvent plus de la causerie que de l’histoire, notamment dans le champ de l’histoire
littéraire, qui utilisa le mot pour qualifier une
période encore différente : 1560-1570 (parfois plus tôt) - 1650-1670 (Marcel Raymond,
Jean Rousset).
Les musicologues, qui ont repris le terme
aux historiens de l’art, sont les seuls à s’accorder sur une base commune : la période
baroque s’étend de Monteverdi à Bach, de
1600 à 1750 environ, et est caractérisée
par l’emploi de la basse continue. Toutefois, nombre de ces spécialistes renoncent
aujourd’hui à employer un terme jugé trop
vague et trop connoté.
En histoire de l’art, l’introduction du terme
maniérisme - pour désigner ce que Wölfflin
décrivait en 1888 sous le nom de baroque - a
déporté définitivement ce dernier vers le
XVIIe siècle, mais aussi le XVIIIe. Cependant, les
auteurs hésitent entre une définition extensive, où le vocable se dissout jusqu’à devenir synonyme de XVIIe siècle, et une définition
restrictive, réduite à certains aspects de l’art
du XVIIe siècle, souvent ceux qui répondent de
manière plus évidente aux critères de Wölfflin
(l’architecture romaine, de 1630 à 1680, mais
aussi le grand style architectural, du Bernin à
Le Vau, Hardouin-Mansart et Wren, la grande
peinture décorative, de Pierre de Cortone au
père Pozzo, mais aussi le style de Rubens,
etc.). « Baroque » s’applique aussi, par la
seule force de l’usage, à l’architecture rococo
allemande (mais non au rococo français) ou à
l’architecture hispanique du XVIIIe siècle, qui
n’ont guère de point communs ni avec le Bernin ni entre eux.
Trois facteurs expliquent que le mot ait
résisté à toutes les incohérences évidentes
de son emploi en histoire : la tradition hégélienne d’une histoire totale, synchrone (là où
l’on explore aujourd’hui le chaos d’une histoire fractale) ; l’illusion réaliste (parce que le
mot existe, on croit qu’il s’agit d’une chose,
en oubliant que tout change selon le corpus
de référence) ; la présence sous-jacente de
la notion transhistorique (et notamment de
la formulation très forte que Wölfflin lui
donna).
Barras (Paul François Jean Nicolas, vicomte de), homme politique (Fox-Amphoux,
Var, 1755 - Paris 1829).
Issu de la vieille noblesse provençale, Barras entre dans l’armée à 16 ans. Il combat en
Inde, où il est fait prisonnier par les Anglais en
1778. De retour en France en 1780, il s’embarque sous les ordres de Suffren dès l’année
suivante, séjourne au Cap jusqu’en 1783, puis
quitte l’armée en 1786.
• Un homme en retrait. En 1789, il assiste
en spectateur à la prise de la Bastille avant
d’assumer des responsabilités administratives
en Provence. Élu député suppléant du Var à la
Convention en septembre 1792, il bénéficie
du désistement de Dubois-Crancé et siège à
Paris deux mois plus tard. S’il vote la mort
du roi, il reste assez effacé à la Convention et
part en province, missionné pour plus d’un
an. En mars 1793, il est envoyé avec Fréron
dans les départements des Alpes, puis auprès
de l’armée d’Italie. Lors de la rébellion fédéraliste, les deux amis sont chargés de contrôler
les troupes républicaines qui assiègent Toulon livrée aux Anglais. Lors de deux brèves
visites sur le front, en octobre et novembre
1793, Barras rencontre le lieutenant Bonaparte, mais l’incertitude de leurs récits empêche de connaître la réalité de ces entretiens.
Il participe à la répression brutale contre les
Toulonnais et les Marseillais. Dénoncé par les
députés des Bouches-du-Rhône, il est rappelé
à Paris par le Comité de salut public le 23 janvier 1794.
Après le 10 thermidor an II (28 juillet
1794), la légende en fait l’un des principaux
responsables du complot qui aboutit à l’exécution de Robespierre et de ses amis. En fait,
désigné pour commander les troupes fidèles
à la Convention, Barras se contente d’arrêter
Robespierre réfugié à l’Hôtel de Ville.
• Une figure du Directoire. Membre du
Comité de sûreté générale de novembre
1794 à mars 1795, président de la Convention en février 1795, réintégré dans l’armée
au grade de général de brigade en août 1795,
il se trouve désormais au premier plan de
la vie politique. Le 13 vendémiaire an IV
(5 octobre 1795), c’est lui qui, nommé commandant en chef de l’armée de l’intérieur,
mate l’insurrection royaliste, avec Bonaparte
parmi ses adjoints. Devenu le « sauveur de
la République », il est élu membre du Directoire le 1er novembre 1795, et il le reste
jusqu’à la fin du régime. Personnifiant le
Directoire et ses vices, aimant le luxe, Barras
n’est pourtant pas aussi volage et corrompu
que ne le croient ses contemporains. Lié à
tous les partis, il prend des décisions plutôt modérées et ménage les différentes forces
en présence, d’où l’accusation de mener
double jeu. Lorsque les royalistes gagnent
les élections de l’an V, il hésite, mais finit
par défendre la République en soutenant
le coup de force du 18 fructidor (4 septembre 1797). En revanche, il appuie celui
du 22 floréal an VI (11 mai 1798) contre les
jacobins. En 1799, les élections et les revers
militaires affaiblissent le pouvoir. Barras aurait alors pris contact avec Louis XVIII. En
octobre, il accueille avec prudence Bonaparte
de retour d’Égypte. Prévenu du coup d’État
du 18-19 brumaire an VIII (9-10 novembre
1799), il s’efface, déclarant qu’aucun militaire n’est de taille à s’opposer à Bonaparte. À
partir de 1801, il est tenu à l’écart de Paris,
puis, en 1810, exilé à Rome. Il ne rentre en
France qu’après la première abdication de
l’Empereur, mais ne soutient pas les CentJours. C’est la raison pour laquelle, bien que
régicide, il échappe à la proscription sous la
Restauration. Il meurt à Chaillot.
Parfois surestimée, l’influence politique de
Barras durant la décennie révolutionnaire est
en réalité limitée jusqu’à son élection au poste
de directeur. Et, même alors, il n’est pas ce
« roi de la République » que l’on décrit souvent. À l’origine de cette légende, le dénigrement du régime directorial - dont il devient
la figure emblématique - par les brumairiens
« révisionnistes » menés par Sieyès et par le
downloadModeText.vue.download 79 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
68
clan Bonaparte. Barras a laissé des Mémoires
peu fiables, qui ne contribuent guère à éclairer son parcours.
Barrès (Maurice), écrivain et homme politique (Charmes-sur-Moselle 1862 - Neuillysur-Seine 1923).
Venu de sa Lorraine natale, le jeune Barrès
fréquente à Paris les cénacles littéraires, lance
une éphémère revue, publie Sous l’oeil des barbares (1888, premier volume d’une trilogie
consacrée au Culte du moi), que salue un article de Paul Bourget. Il entre ensuite en politique dans la mouvance boulangiste : député
de Nancy (1889), il siège à l’extrême gauche
de la Chambre. Après un échec à Neuilly,
il stigmatise les moeurs politiques dans une
pièce de théâtre (Une journée parlementaire,
1894), dirige une feuille (la Cocarde, journal
antisémite du soir), prend parti contre Dreyfus
et dérive vers un nationalisme droitier que
traduit le Roman de l’énergie nationale (les Déracinés, 1897 ; l’Appel au soldat, 1900 ; Leurs
figures, 1902). Poursuivant sa carrière littéraire (qui le conduit à l’Académie en 1906), il
publie une ultime trilogie consacrée à glorifier
les Bastions de l’Est (1906-1920), chante cette
Colline inspirée « où souffle l’esprit » (1913),
fait vibrer ses diverses harmoniques (le Voyage
de Sparte, 1906 ; Greco ou le Secret de Tolède,
1911 ; Une enquête aux pays du Levant, 1923).
Député de Paris à partir de 1906, il succède à
Déroulède à la tête de la Ligue des patriotes
avant de mettre sa plume au service de la patrie dans la Chronique de la Grande Guerre. Au
lendemain du conflit, son influence décroît
rapidement. Il meurt, laissant inachevés ses
Cahiers, Mémoires dont la publication s’échelonnera de 1929 à 1951.
• Le nationalisme barrésien. Boulangiste à
l’origine, à la fois populiste et patriote, le nationalisme barrésien se radicalise avec l’affaire
Dreyfus. De l’extrême gauche, Barrès s’oriente
vers la droite entre 1894 et 1906. Après avoir
milité en faveur d’un « socialisme fédéraliste »
qui regroupe, contre les parlementaires corrompus par le scandale de Panamá, Maurras
et quelques hommes de gauche, le disciple de
Gobineau entreprend une campagne violemment antidreyfusarde, dont l’antisémitisme
constitue le ciment. Puis son combat politique
s’oriente de plus en plus contre la République,
qu’il tient pour responsable de la perte de l’Al-
sace-Lorraine. Le terroir est en effet la composante d’une force personnelle, mystique,
déterministe et réunificatrice. L’évolution
politique de Barrès traduit le passage de l’égotisme raffiné au nationalisme social : « Ayant
longtemps creusé l’idée du moi avec la seule
méthode des poètes et des mystiques par l’observation intérieure, je descendis parmi des
sables sans résistance jusqu’à trouver au fond
et pour support la collectivité. » En réaction
contre les trivialités humaines, et se nourrissant de l’ivresse de l’intellect, l’égotiste veut
tout éprouver, s’exalter en savourant et en
analysant chaque émotion ; mais, pour être
maître de son destin, il doit être puissant et
s’affranchir du monde sensible. Le culte du
moi-individu délivre l’être de toute contrainte
face aux « barbares », c’est-à-dire à tout ce
qui lui est étranger, et conduit Barrès à celui
du moi-nation. À l’instar d’un être vivant, la
nation constitue un tout irréductible qui doit
se défendre des forces destructrices qui menacent sa cohésion et doit exprimer son énergie ou sa puissance face aux autres peuples
en s’isolant de l’étranger et en se refermant
sur son identité. La nation, fruit d’une vision
organique de l’homme et de la collectivité,
remplace ainsi la religion révélée.
barricades. Lors d’affrontements urbains, ces concentrations éphémères qui
résultent d’un amoncellement de fortune
tendent à fixer les combats, à protéger les insurgés et à désorganiser les communications
adverses. Elles comptent parmi les symboles
majeurs de l’histoire révolutionnaire parisienne au XIXe siècle.
Les barricades ne s’imposent durablement
dans les combats qu’avec la révolution de
juillet 1830. Jusque-là, elles n’apparaissent
que de façon sporadique. Les premières sont
érigées sous l’Ancien Régime, lors des combats de la Ligue (12 mai 1588), puis de la
Fronde (26 août 1648). Au cours de ces deux
« journées des barricades », la population
parisienne défie avec succès le pouvoir royal.
Des barriques remplies de terre et reliées avec
des chaînes rendent les rues impraticables.
En revanche, les barricades sont absentes des
combats de l’été 1789, ainsi que des journées
révolutionnaires des années suivantes - exception faite d’une timide apparition en prairial an III (mai 1795).
• Les années héroïques. Leur retour soudain en 1830, pendant les Trois Glorieuses,
n’en est que plus inattendu. Elles obstruent
les rues du centre et de l’est de Paris, transfor-
mant l’espace en un inextricable labyrinthe.
Les troupes royales dirigées par Marmont s’y
empêtrent. Après chaque assaut, elles sont
aussitôt reformées tandis que pleuvent les
projectiles du haut des immeubles ; la capitale étant en perpétuel chantier, les insurgés
peuvent se fournir en abondance en pavés,
planches, meubles, véhicules de toutes sortes.
Les combattants des barricades, artisans de la
victoire sur Charles X, sont comblés d’honneurs, et les plus valeureux reçoivent la décoration de Juillet. Delacroix leur rend en 1831
un vibrant hommage en peignant la Liberté
guidant le peuple. Mais le régime orléaniste
ne les intègre pas parmi ses dirigeants ou ses
cadres : la contestation endémique à laquelle
doit faire face le régime dans les années qui
suivent, nourrie par des crises économiques
ou sociales récurrentes, prend à plusieurs
reprises la forme de combats de barricades.
On en dénombre plusieurs centaines les 5 et
6 juin 1832 dans les quartiers populaires de
l’est et du centre de Paris. En avril 1834, elles
ne sont plus qu’une trentaine, et moins encore
lors de la prise d’armes de mai 1839. Le combat de barricades se révèle alors inadapté en
l’absence d’un soutien populaire massif, tandis que s’accroissent les moyens des forces de
l’ordre, épaulées par la garde nationale. De
cette période date cependant la diffusion des
barricades hors de Paris : canuts et républicains lyonnais en érigent des centaines lors
des insurrections de novembre 1831 et d’avril
1834.
C’est au milieu des barricades que s’effondre la monarchie de Juillet. Les premières
surgissent dans la soirée du 22 février 1848,
à l’issue d’une journée de manifestations.
Artisans, boutiquiers et commis, fins connaisseurs des quartiers insurgés, se lancent dans
la bataille, aidés ici et là par des étudiants ou
par des dirigeants de sociétés secrètes. Plus
d’un millier de barricades sont érigées face à
des troupes indécises et peu enclines à verser
le sang, d’autant que Louis-Philippe renonce
vite à l’épreuve de force.
• Drames et métamorphoses. En juin
1848, de multiples fractures, d’ordre géographique, économique, social ou culturel, conduisent Paris à la guerre civile. Près
de quatre mille barricades, certaines plus
massives et plus redoutables que jamais, se
dressent à l’est d’une ligne joignant la rue
Saint-Jacques et la rue du Faubourg-Montmartre. Les combats sont particulièrement
meurtriers de part et d’autre : quatre mille
morts environ contre moins d’un millier en
juillet 1830. Ce terrible choc pèse sur les an-
nées suivantes. Le petit nombre de barricades
(une centaine seulement) élevées à l’annonce
du coup d’État du 2 décembre 1851 témoigne
de la faible mobilisation des opposants à Louis
Napoléon Bonaparte. Une poignée de députés
montagnards tentent en vain de soulever les
quartiers populaires. Ils ajoutent cependant
un chapitre à l’histoire des barricades : c’est
sur l’une d’elles qu’est tué le député Baudin.
Le Paris impérial ne connaît pas d’insurrection. La police veille, et la population ne
s’agite guère, tandis que les grands travaux
d’urbanisme du baron Haussmann éventrent
les réseaux de ruelles si propices au combat
urbain. L’image subversive et romantique des
barricades se perpétue pourtant, notamment
parmi les exilés. Dans les Misérables (1862),
Victor Hugo consacre des chapitres entiers à
la barricade de la rue de la Chanvrerie, où se
retrouvent Jean Valjean, Marius et Gavroche
en juin 1832, mais aussi à celles de juin
1848 : la « Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple ».
Le révolutionnaire Auguste Blanqui songe
pour sa part à en accroître l’efficacité. Contre
l’improvisation et le gaspillage des énergies, il
préconise une rationalisation de la construction, une unité de commandement et une
véritable insertion de la barricade dans l’espace urbain. À la chute de l’Empire et face
à la menace des armées étrangères, la barricade redevient naturellement le symbole du
peuple uni. Une commission des barricades
est ainsi établie par le gouvernement de la Défense nationale. Mais le sanglant épilogue de
la Commune vient anéantir, une fois encore,
l’union un moment rêvée. Les versaillais, dans
leur reconquête de la capitale, s’emparent
sans coup férir des barricades fortifiées que
les communards ont construites les semaines
précédentes, empilements colossaux de sacs
de sable, plus impressionnants qu’efficaces.
La résistance est plus âpre autour du demimillier de barricades érigées en hâte dans les
quartiers populaires de Popincourt, de la Roquette, de la Villette ou de Belleville.
• Les barricades entre l’histoire et le
mythe. L’histoire des barricades change prodownloadModeText.vue.download 80 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
69
gressivement de sens après la Commune. Leur
aspect se modifie, et les techniques évoluent :
la voiture renversée ou l’usage du cocktail
Molotov marquent l’entrée dans le XXe siècle ;
si elles influent de moins en moins sur le
cours des combats, elles galvanisent plus
que jamais les volontés. Enfin, elles cessent
d’incarner un Paris républicain, révolutionnaire, populaire. Des mouvements d’extrême
droite en font à deux reprises une arme de
combat. Ainsi, le 6 février 1934, ce sont les
ligueurs les plus activistes qui dressent des
barricades autour de la place de la Concorde.
Ainsi, du 24 janvier au 1er février 1960, Alger
connaît une « semaine des barricades » : aux
combats meurtriers du premier soir succèdent des journées d’attente et de négociations
dans les quartiers insurgés ; une partie de
la population algéroise apporte son soutien
aux hommes de Joseph Ortiz ou de Pierre
Lagaillarde, dans une atmosphère de fête ; et,
pour la première fois dans l’histoire des barricades, la défaite des insurgés prend la forme
d’une reddition.
Les barricades dressées face aux troupes
allemandes au mois d’août 1944 ne ressemblent également que de loin aux précédentes. « Que toute la population parisienne,
hommes, femmes, enfants, construise des
barricades, que tous abattent des arbres sur
les avenues, boulevards et grandes rues. Que
toutes les petites rues soient particulièrement
obstruées par des barricades en chicane. [...]
Tous aux barricades ! » tel est l’appel lancé
aux Parisiens par Rol-Tanguy, chef de l’insurrection. Cependant, même si les Allemands
perdent beaucoup d’hommes et de temps
dans les combats de rue, ceux-ci tiennent
une place secondaire dans une stratégie militaire de grande envergure ; l’inadaptation et
la fragilité de nombreuses barricades d’août
expliquent d’ailleurs le lourd tribut - environ
1 500 morts - payé par les insurgés.
Mai 1968 marque une étape décisive dans
l’idéalisation des barricades. Les combats de
rue n’ont plus la terrible violence d’antan, et
les grandes barricades restent circonscrites
au seul Quartier latin, la contestation s’exprimant plus volontiers par la grève, l’occupation des locaux (universités, usines, etc.) ou
la manifestation. Pourtant, les affrontements
de la « nuit des barricades » (10-11 mai) ont
un impact considérable sur une opinion publique qui suit les assauts « en direct ». Entre
la peur et l’enthousiasme, entre la dénonciation des brutalités policières et le refus du
désordre, l’intensité des réactions montre que
les barricades sont profondément enracinées,
aujourd’hui encore, dans la conscience collective.
barricades (journée des) [12 mai 1588],
journée d’insurrection au cours de laquelle
la population parisienne se soulève contre les
troupes royales.
La crise se noue l’année précédente, lorsque
Henri de Guise, chef de la Sainte Ligue,
s’impose comme le véritable rival d’Henri III.
Celui qu’on nomme alors le Balafré jouit d’une
grande popularité à Paris. Il y est appelé par
les Seize, comité composé de ligueurs représentant les seize quartiers de la ville. Bravant
les ordres du roi qui lui a interdit de revenir
dans la capitale, le duc y entre le 9 mai, acclamé aussitôt par une foule enthousiaste. En
compagnie de Catherine de Médicis, il se rend
au Louvre, où le roi le reçoit très froidement.
Le lendemain, il y retourne accompagné de
400 hommes en armes. Henri III, qui ne se
décide pas à faire arrêter son rival, fait appeler
4 000 gardes suisses et 2 000 gardes-français
et les autorise à défiler. C’est compter sans la
susceptibilité des Parisiens : les portes de la
ville étant interdites aux soldats de métier, la
population réprouve bruyamment cette démonstration de force. Le 12 mai, une grande
partie de la capitale se couvre de barricades.
Les soldats sont insultés, frappés, et quelques
gardes suisses sont même massacrés. Le roi est
obligé de s’enfuir, laissant momentanément
son rival maître de Paris. Brève victoire pour
le duc de Guise, qui n’ose pas déposer son
souverain et mourra sous ses coups quelques
mois plus tard.
barricades (journée des) [26 août 1648],
première insurrection populaire de la Fronde
à Paris.
Cet incident est le fruit de la lutte entre la monarchie et le parlement de Paris, qui profite
des troubles causés par la guerre de Trente
Ans (1618-1648) pour renforcer ses pouvoirs
au détriment de ceux de la régente Anne.
Cette dernière, préoccupée par l’issue des
combats, fait d’abord mine de se soumettre
aux exigences des parlementaires, qui obtiennent notamment la suppression des intendants et de la vente d’offices ainsi que le droit
de voter les impôts. Mais dès la victoire de
Lens, remportée le 20 août 1648, la régente
revient sur ses concessions et fait arrêter, le
26 août, les parlementaires les plus virulents,
dont le très populaire conseiller Pierre Broussel. Aussitôt, Paris se couvre de barricades.
Troupes royales et milice bourgeoise se font
face sans pourtant oser s’affronter. Le 27 août,
une délégation conduite par le futur cardinal
de Retz se rend au Palais Royal pour négo-
cier la libération de Broussel. Le 28 août, la
reine, sur les conseils de Mazarin, relâche les
parlementaires et quitte Paris avec le jeune
roi. La monarchie s’est donc inclinée devant la
dynamique bourgeoisie parisienne. Les protagonistes de la Fronde sont en place : une
monarchie affaiblie et une bourgeoisie parlementaire influente, soutenue dans son action
par la grande noblesse.
barricades (semaine des), du 24 janvier
au 1er février 1960, soulèvement des activistes
français d’Alger qui consacre leur rupture
avec le général de Gaulle.
Revenu au pouvoir avec le soutien des partisans de l’Algérie française, l’ancien chef de
la France libre a vite infléchi sa politique
algérienne. Le 16 septembre 1959, il se prononce pour l’autodétermination de l’Algérie ;
le 22 janvier 1960, il demande le rappel en
métropole du général Massu, chef du corps
d’armée d’Alger, qui s’est montré hostile à ses
choix récents. Cette décision suscite une réaction très vive en Algérie : le 24, des affrontements éclatent entre les gendarmes mobiles
et les manifestants armés, qui dressent des
barricades. Huit d’entre eux et quatorze gendarmes sont tués. Les actitivistes, menés par le
député Pierre Lagaillarde et le cafetier Joseph
Ortiz, constituent alors un camp retranché au
centre d’Alger. Ils capitulent le 1er février, faute
d’avoir pu rallier l’armée, restée en majorité
fidèle au général de Gaulle. Les conséquences
de la semaine des barricades sont importantes : les ministres pro-Algérie française, tel
Jacques Soustelle, quittent le gouvernement,
qui obtient de l’Assemblée le droit de légiférer par ordonnances ; le général de Gaulle se
déclare favorable à une « Algérie algérienne »,
au grand dam de certains officiers. Quant aux
Français d’Algérie, ils sont tentés par une radicalisation qui les isole à la fois des Français
de métropole et des musulmans algériens. La
violence semble désormais la seule issue pour
ceux qui n’ont pu réaliser un nouveau 13 mai
1958.
Barrot (Odilon), avocat et homme politique
(Planchamp, Lozère, 1791 - Bougival, Seineet-Oise, 1873).
Issu d’une lignée de notaires et d’avocats, fils
de conventionnel, il est sous la Restauration
l’un des grands orateurs du barreau, partisan
farouche d’une monarchie constitutionnelle
à l’anglaise. La révolution de juillet 1830 le
surprend, mais il en perçoit vite les enjeux
et devient secrétaire de la commission muni-
cipale siégeant à l’Hôtel de Ville. Il y oeuvre
contre l’établissement d’un régime républicain, notamment auprès de La Fayette. Préfet
de la Seine jusqu’en février 1831, il se rapproche ensuite de l’opposition et dirige à la
Chambre des députés le groupe de la gauche
dynastique. Sous la monarchie de Juillet,
seuls les ministères Thiers trouvent grâce à
ses yeux ; il s’oppose en revanche sans relâche
aux orientations de Guizot. Organisateur en
1847 de la « campagne des banquets » pour
la réforme électorale, il contribue bien malgré lui à la chute de Louis-Philippe. Il est
élu à l’Assemblée constituante, où il compte
parmi les « républicains du lendemain ».
Louis Napoléon Bonaparte, président de la
République en décembre 1848, lui confie le
ministère de la Justice, mais, prenant ombrage
de ses convictions orléanistes, le congédie en
septembre 1849. À la suite du coup d’État du
2 décembre, qu’il condamne, Odilon Barrot
est arrêté, emprisonné un temps, puis quitte
à jamais la scène politique. Il a plus de 80 ans
lorsque Thiers le nomme à la présidence du
Conseil d’État, en 1872.
Barry (Jeanne Bécu, comtesse du), maîtresse de Louis XV (Vaucouleurs 1743 - Paris
1793).
Fille naturelle d’Anne Bécu et d’un moine,
elle arrive jeune à Paris et vit de ses charmes
sous divers noms. En 1768, son amant, le
comte Jean du Barry, lui fait épouser son
frère Guillaume. Ainsi munie d’un titre, elle
est introduite à la cour de Louis XV, dont elle
devient la favorite. Elle ne jouera aucun rôle
politique, si ce n’est dans le renvoi de Choiseul, qui a freiné son ascension sociale. Renvoyée de la cour en 1774, elle se retire peu
après dans le château de Louveciennes, que
Louis XV lui a fait construire. Entre 1791 et
1793, elle se rend à plusieurs reprises en AndownloadModeText.vue.download 81 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
70
gleterre, ce qui la fait soupçonner d’intrigues
avec les émigrés. De retour à Louveciennes
en 1793, elle est arrêtée par le Tribunal révolutionnaire et exécutée le 8 décembre. Ainsi
périt la dernière maîtresse royale de la monarchie française.
Tout au long de sa vie, la du Barry fut la
cible de pamphlets et de gravures pornographiques : en raison de son origine sociale
modeste et de sa vie de courtisane, le peuple
la jugeait indigne des faveurs monarchiques.
Ces attaques populaires dirigées contre la
comtesse et les autres maîtresses du BienAimé s’inscrivent dans un long processus de
dénigrement des plus éminentes figures féminines de la cour.
Bart (Jean), corsaire (Dunkerque 1650 - id.
1702).
Issu d’une famille de marins, il s’illustre sa
vie durant sur les mers, au service du roi,
faisant preuve d’audace et de sens tactique.
Dès 1672, après avoir combattu les Anglais
sous les ordres de l’amiral néerlandais Ruyter (1666), il passe au service de la France et,
en 1674, est promu commandant d’un navire
corsaire. Avec Duguay-Trouin et Forbin,
il devient l’un des plus grands acteurs de la
guerre de course. En 1678, il a déjà 81 prises
à son actif. Pendant la guerre de la Ligue
d’Augsbourg (1688-1697), il met à mal les
flottes anglaise et néerlandaise, multipliant les
expéditions en mer du Nord. Le 29 juin 1694,
alors que la France subit une grave crise de
subsistances, il sauve un convoi de blé russe,
ce qui lui vaut d’être anobli par Louis XIV. Ni
son emprisonnement par les Anglais (1689)
ni le bombardement de Dunkerque (16941695) n’ont pu venir à bout de son énergie.
Nommé chef d’escadre et commandant de la
marine de Dunkerque en 1697, il meurt avant
d’avoir pu s’engager dans la guerre de la Succession d’Espagne.
Barthélemy (François, marquis de),
diplomate et homme politique (Aubagne,
Bouches-du-Rhône, 1747 - Paris 1830).
La protection de son oncle, auteur du célèbre
Voyage du jeune Anacharsis en Grèce (1788)
et familier de Choiseul, lui ouvre les portes
de la diplomatie : il occupe divers postes en
Europe (Stockholm, Vienne, Londres), mais
refuse le ministère des Affaires étrangères en
1791, et se voit nommé ambassadeur auprès
des cantons suisses à la fin de l’année.
Il réussit à faire face à une situation difficile : mauvaises relations avec les Suisses,
aggravées après les massacres du 10 août
1792 ; présence d’émigrés et de réfugiés ;
heurts avec son premier secrétaire ; obligation
de s’installer dans un hôtel de la petite ville de
Baden, près de Zurich. Grâce à ses capacités
de négociateur et d’organisateur des échanges
commerciaux (plus ou moins clandestins)
entre les deux pays, il obtient de demeurer
ambassadeur en Suisse, alors qu’une partie
des cantons ne reconnaît pas le gouvernement
révolutionnaire. Il traverse ainsi la Terreur et,
même si une partie des thermidoriens le juge
trop indulgent envers les émigrés, il figure
au centre des négociations avec la Prusse et
l’Espagne en 1795, qui s’achèvent par les traités de Bâle. Il acquiert ainsi une réputation
durable d’« homme de la paix », qu’il conforte
en négociant l’échange de Madame Royale
contre des révolutionnaires prisonniers des
Autrichiens (ce qui lui vaut d’être soupçonné
de participer à des intrigues royalistes).
La majorité royaliste modérée issue des
élections de l’an V le fait élire directeur en
1797. Il s’oppose alors aux mesures trop révolutionnaires, sans pour autant mener une
action très efficace. Victime du coup d’État de
fructidor (4 septembre 1797), il est déporté
à Cayenne sans avoir été jugé. Il s’évade vers
la Guyane néerlandaise cinq mois plus tard,
se réfugie aux États-Unis, puis en Angleterre.
Mal accueilli, il gagne Hambourg, où il rejoint
un groupe d’émigrés fidèles à Louis XVIII.
Au lendemain du 18 Brumaire, Bonaparte
le fait rentrer et le nomme sénateur dès 1800.
Resté fidèle, malgré la mort de Pichegru et
l’exécution du duc d’Enghien, il devient
comte d’Empire et entre à l’Institut en 1808.
Nommé président du Sénat en 1814, il fait
voter la déchéance de Napoléon, est nommé
sénateur à vie par Louis XVIII, puis pair de
France. Absent pendant les Cent-Jours, il est
fait marquis héréditaire, après avoir voté la
mort de Ney, en 1818. Retiré de la vie politique lors du ministère Decazes, il rédige alors
ses Mémoires.
Barthou (Louis), homme politique (Oloron-Sainte-Marie, Pyrénées-Atlantiques,
1862 - Marseille 1934).
Parlementaire pendant quarante-cinq ans,
douze fois ministre, une fois président du
Conseil, Louis Barthou est un des hommes
clés de la IIIe République. Après des études
de droit, ce brillant jeune Béarnais, d’origine
modeste, est élu député républicain progressiste des Basses-Pyrénées. À Paris, il se fait
vite connaître par ses dons d’orateur et ses
interventions minutieusement préparées. À
33 ans, il est au centre de l’éventail politique,
apparaît comme un des chefs des républicains
progressistes et entre dans le second cabinet
Dupuy, au poste stratégique de ministre des
Travaux publics (mai 1894-janvier 1895).
Il détient ensuite cinq portefeuilles ministériels jusqu’en mars 1913, date à laquelle le
président Poincaré le choisit comme président du Conseil (mars-décembre 1913). Il
se manifeste alors comme un fervent patriote
et fait voter la « loi des trois ans » sur le service militaire. En 1917, il est ministre d’État,
puis des Affaires étrangères. Après guerre, il
est plusieurs fois ministre dans des cabinets
de droite, mais c’est au Quai d’Orsay, dans le
gouvernement d’« union nationale » de Doumergue, qui suit le 6 février 1934, qu’il donne
toute sa mesure : il tente d’isoler l’Allemagne
nazie en constituant un système de sécurité
collective en Europe centrale, auquel il souhaiterait voir se joindre l’URSS et l’Italie. Mais
il meurt à Marseille le 9 octobre 1934 dans
l’attentat commis par un nationaliste croate
contre le roi Alexandre Ier de Yougoslavie.
Barthou avait su engager une politique à la
fois réaliste et visionnaire, qui fut, selon l’historien Jean-Baptiste Duroselle, « une brève
période d’incontestable redressement sur le
chemin de la décadence ».
Basch (Victor), philosophe et président de
la Ligue des droits de l’homme (Budapest ?
1863 - Neyron, Ain, 1944).
Né dans une famille juive de Hongrie, Victor
Basch, après son succès à l’agrégation d’allemand, enseigne à l’université de Nancy, puis
à Rennes. Ses thèses sur Schiller et sur l’esthétique de Kant soutenues, il arrive en Sorbonne
(1906), où il obtient une chaire d’esthétique.
Toutefois, son renom tient avant tout à son itinéraire d’intellectuel engagé. L’affaire Dreyfus
provoque chez lui une prise de conscience :
il fonde la première section provinciale de
la Ligue des droits de l’homme (LDH), et
transforme son domicile en véritable quartier
général du camp dreyfusard lors du procès de
Rennes. Entré au comité central de la LDH en
1907, il en devient le président en 1926. Ses
combats au sein du mouvement socialiste et
de la LDH le conduisent d’abord à stigmatiser la responsabilité de l’Allemagne dans la
Première Guerre mondiale, puis à renouer un
dialogue avec elle. Son pacifisme ne l’empêche
pas de combattre le fascisme avant 1933. Et,
sans engager la Ligue, il devient le président
du Comité national du rassemblement populaire. Puis ses relations avec le gouvernement
de Front populaire se distendent quand il
préside le Comité d’aide à l’Espagne républicaine. Son antifascisme en fait l’adversaire
résolu des accords de Munich et le conduit à
dénoncer le pacte germano-soviétique. Après
la victoire allemande, il se réfugie à Lyon. Le
12 janvier 1944, lui et sa femme sont abattus
par la Milice.
basoche, terme utilisé pour désigner les
communautés de clercs de procureurs des
cours souveraines (parlements, chambre des
comptes, cour des aides, cour des monnaies,
châtelet), et en particulier du parlement de
Paris, de la fin du Moyen Âge (XIVe-XVe siècle)
au XVIIIe siècle.
La basoche reproduit sur le mode parodique
les institutions juridiques des différentes
cours et les rites de sociabilité des officiers
de justice. Le royaume de basoche est ainsi
dirigé par un chancelier, élu chaque année
par l’ensemble des clercs, et se compose d’une
juridiction centrale, formée d’officiers (les
princes de la basoche) et de juridictions territoriales qui s’insèrent dans le cadre des prévôtés royales. Les audiences hebdomadaires des
cours basochiales, ainsi que diverses fêtes et
processions annuelles, sont l’occasion de rites
bouffons pastichant les usages et les moeurs
des gens de justice. Mais la basoche devient
aussi, progressivement, un véritable organe
juridictionnel chargé de régler les litiges civils
entre les clercs et disposant de larges pouvoirs
disciplinaires sur la profession. Ces diverses
compétences sont d’ailleurs reconnues par le
pouvoir royal en 1528, puis de nouveau en
1604 et 1642. La basoche parvient même à
contrôler l’accès à la profession de procureur
en détenant le monopole de délivrance des
certificats d’ancienneté nécessaires pour obtenir cette fonction. La basoche est ainsi un des
exemples les plus significatifs de ces corps à la
fois professionnels et sociaux qui organisent la
société urbaine d’Ancien Régime.
downloadModeText.vue.download 82 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
71
basque (Pays), région des Pyrénées occidentales, de langue et de culture basques.
Bien que n’ayant jamais véritablement connu
d’existence politique indépendante, le Pays
basque constitue une entité ethnique et culturelle, caractérisée notamment par une langue
dont l’origine n’est pas indo-européenne.
Le peuple basque vient, semble-t-il, de la
péninsule Ibérique et s’installe dans les vallées
pyrénéennes à partir du VIe siècle. À la suite
d’une lente progression du VIe au VIIe siècle,
les Basques finissent par occuper l’ensemble
des territoires compris entre la Garonne et
les Pyrénées, c’est-à-dire l’ancienne province
romaine de Novem-populanie, donnant ainsi
naissance à la Wasconia, ou Gascogne.
Les Basques refusent cependant de se soumettre à la monarchie franque et entretiennent
un climat d’insécurité dans tout le piémont
pyrénéen, jusqu’à la vallée de la Garonne.
Afin de les contenir dans leurs montagnes, le
roi franc Dagobert crée en 629 un royaume
d’Aquitaine, avec Toulouse pour capitale, et
en confie la charge à son demi-frère, Caribert.
Après la mort de ce dernier, Dagobert reprend
directement l’offensive contre les Basques, qu’il
écrase en 635. Leur soumission aux rois francs
reste cependant théorique, car ils bénéficient
indirectement de la construction d’une principauté d’Aquitaine, indépendante aux VIIe et
VIIIe siècles. Lorsque l’Aquitaine est intégrée
au royaume carolingien, entre 760 et 768, les
Basques, réfugiés dans les Pyrénées, refusent de
nouveau de se soumettre. Ils massacrent ainsi,
en 778, au col de Roncevaux, l’arrière-garde de
l’armée de Charlemagne de retour d’Espagne.
La constitution d’un comté de Gascogne
au début du IXe siècle et l’essor du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle aux Xe
et XIIe siècles assurent enfin l’intégration du
peuple basque au monde franc. Durant tout le
Moyen Âge et la période moderne, le pays et le
peuple basques demeurent toutefois partagés
entre la souveraineté des rois de France, des
rois de Navarre et des rois de Castille. La fixation progressive de la frontière pyrénéenne
entre la France et l’Espagne ne laisse en définitive qu’une petite minorité de la population
basque (celle de la Basse-Navarre, de la Soule
et du Labourd) sous souveraineté française.
Aux XIXe et XXe siècles, la naissance et l’essor
du nationalisme au Pays basque espagnol n’ont
que peu d’incidences sur le Pays basque français, qui reste bien intégré à la République. Si un
courant nationaliste finit par apparaître dans les
années soixante et se double, à partir de 1973,
d’un groupe clandestin (Iparretarak, « Ceux du
Nord ») lié au terrorisme basque espagnol, le
mouvement indépendantiste ne peut compter
que sur 5 à 6 % des suffrages aux élections. La
singularité basque continue ainsi d’exister en
France sans structure politique propre.
Bastiat (Frédéric), économiste (Bayonne
1801 - Rome 1850).
Ce fils de négociant se tourne très tôt vers
l’action publique. Son engagement est dès
l’origine marqué par une grande défiance à
l’égard de l’État et du rôle que celui-ci entend
jouer dans l’économie. Mais, d’un strict point
de vue politique, Bastiat est conservateur : il
soutient en 1830 un candidat hostile aux
« 221 » qui avaient voté l’adresse à Charles X,
contre le gouvernement Polignac. Sa pensée
économique se structure autour des idées libreéchangistes, influencées par celles de l’Anglais
Cobden. En 1844, il envoie au Journal des économistes un article consacré aux tarifs francoanglais, analyse d’inspiration libérale sur les
relations commerciales entre les deux pays, qui
connaît un vif succès. Bastiat organise alors la
société libre-échangiste à Bordeaux, avant de
rejoindre à Paris le duc d’Harcourt, animateur
du mouvement. Ses opinions évoluent peu à
peu d’une réflexion économique vers un combat politique contre le socialisme, notamment
contre Proudhon, auquel l’oppose une polémique restée célèbre sur la légitimité de l’intérêt. Élu député des Landes en 1848, il défend à
la Chambre sa conception d’un État cantonné
à ses missions régaliennes. De santé fragile,
Bastiat meurt laissant inachevé le manuscrit
des Harmonies économiques, dont le titre rend
compte d’une vision optimiste du libéralisme.
Théoricien plus qu’homme politique, il demeure en France comme l’un des pères de la
pensée libérale. En témoigne le regain d’intérêt pour ses idées dans les rangs libéraux au
cours des années quatre-vingt.
Bastille, forteresse militaire édifiée en
1370 dans l’est de Paris, devenue prison d’État
au XVIIe siècle, prise d’assaut par les Parisiens
le 14 juillet 1789 et rasée peu après.
• Histoire et légende. Haute de 30 mètres,
bordée de larges fossés et flanquée de huit
tours massives, la Bastille est une place forte
construite lors de la guerre de Cent Ans
pour défendre Paris. Elle accueille parfois
des prisonniers dès le XVe siècle et devient,
sous Louis XIII, l’une des prisons d’État où le
roi peut faire enfermer, sur lettre de cachet,
toute personne qu’il juge dangereuse pour la
sécurité du royaume. D’une capacité d’environ cinquante places, la Bastille reçoit, entre
1659 et 1789, 5 279 prisonniers, hommes ou
femmes, dont 80 % font un séjour de moins
d’un an et 4 % de plus de cinq ans. Les prisonniers illustres, tels Fouquet, le Masque de
fer, Latude, Voltaire, Lally-Tollendal ou Sade,
contribuent à la légende d’une prison réservée
aux élites, bien que les grands seigneurs ou
les écrivains renommés y soient minoritaires.
Parmi les causes d’embastillement, la politique, la religion et les crimes économiques
contre le roi (faux en écritures ou malversations) prédominent ; mais, depuis que le
lieutenant général de police (charge créée en
1667) a le droit d’embastiller sur ordre du roi,
l’essentiel des prisonniers est composé de militaires indisciplinés, duellistes, espions, maris
libertins ou fils rebelles (enfermés à la demande
des familles), sacrilèges, faux prophètes, sodomites, libellistes, libraires, imprimeurs, colporteurs, auteurs de complots et petits délinquants. Le trait le plus caractéristique demeure
la volonté de contrôler l’opinion publique,
volonté qui se traduit par l’embastillement en
nombre croissant d’auteurs - et de leurs complices - de paroles ou d’écrits jugés subversifs.
Le nombre de prisonniers varie ; il augmente à l’époque de la prise effective du pouvoir par Louis XIV ou à l’occasion d’événements importants, tels la révocation de l’édit
de Nantes, la condamnation du jansénisme
(l’adhésion aux thèses jansénistes est le premier motif d’embastillement sous Louis XV),
l’attentat de Damiens, la guerre des Farines,
ou l’affaire du Collier de la reine, qui suscite
tant d’écrits insultants contre Marie-Antoinette. Les nobles, qui représentent un tiers
des embastillés sous le règne de Louis XIV,
n’en forment plus qu’un sixième sous celui
de Louis XV, qui marque ainsi une rupture
par une sorte de banalisation sociale mais
aussi par le recours de plus en plus fréquent
à la Bastille. Dès lors, et jusqu’en 1789, les
membres du tiers état constituent les trois
quarts des embastillés. La Bastille connaît un
relatif déclin sous Louis XVI, qui use deux fois
moins de ce moyen de répression que ses prédécesseurs. Les conditions de détention dans
cette forteresse (dirigée par un gouverneur)
sont bien plus douces que dans les prisons
ordinaires, surpeuplées et affermées aux geôliers qui se paient sur leurs prisonniers.
Moyen d’écarter les mauvais sujets de la
société en étouffant le scandale, l’embastillement évite aux détenus, dont l’entretien est
payé par le roi, le déshonneur d’un procès
ainsi que les peines infamantes et corporelles.
Entourée d’un secret impénétrable, propice
aux rumeurs les plus folles, et située à la jonction du populeux faubourg Saint-Antoine et
du Marais aristocratique, la Bastille, qui menace nombre de Parisiens, terrorise et fascine
tout à la fois. Au XVIIIe siècle, sous l’influence
des Lumières et de l’anti-absolutisme, elle
devient un symbole de l’arbitraire royal, violemment dénoncé à partir de 1770.
• La prise de la Bastille. La peur est à l’origine de la révolte de l’été 1789 : les troupes
rassemblées par Louis XVI autour de la capi-
tale, sans doute pour dissoudre la toute récente Assemblée nationale, le renvoi du populaire Necker, mais aussi l’extrême cherté du
pain, aliment de base, tout concourt à l’idée
d’un complot aristocratique contre le peuple.
Au matin du 14 juillet, après deux jours de
désordres et de pillages, la foule, en quête
d’armes pour se défendre contre la troupe,
s’empare aux Invalides de 32 000 fusils, puis
se dirige vers la Bastille dans l’espoir d’y trouver poudre et munitions. Cependant, le gouverneur Launay refuse de livrer la forteresse
défendue par un peu plus de 100 soldats, qui
finissent par ouvrir le feu : la fusillade fait une
centaine de morts parmi les assaillants. Mais
Launay capitule lorsque des gardes-françaises,
venus en renfort, pointent leurs canons sur
les portes. Six défenseurs sont tués ; Launay
et le prévôt des marchands, Flesselles, décapités, leurs têtes, exhibées sous les fenêtres du
Palais-Royal. La Bastille ne recèle pas d’armes
et n’y sont enfermés que sept prisonniers, qui
sont délivrés par les Parisiens. Pourtant, l’assaut, qui a raison de Louis XVI (il fait retirer les
troupes, rappelle Necker et arbore la cocarde
tricolore) et marque l’irruption du peuple en
armes sur la scène politique, devient d’emblée
le symbole de la liberté conquise. Il trouve
un formidable écho dans tout le pays, dont
certaines régions vont être traversées par le
mouvement de la Grande Peur.
• La permanence d’un symbole. Décidée
dès le 15 juillet 1789, la démolition de la « cidownloadModeText.vue.download 83 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
72
tadelle du despotisme » est aussitôt commencée par l’entrepreneur Palloy, qui a l’idée de
tailler dans les blocs de pierre des maquettes
de la Bastille qui sont envoyées dans toute
la France. Ornant les sièges des clubs et des
sociétés populaires, elles sont bientôt portées
en procession lors des fêtes révolutionnaires.
Le 14 Juillet est commémoré tout au long de
la Révolution jusqu’au Premier Empire. Dès
1790, la fête de la Fédération célèbre à la fois
cette journée révolutionnaire et l’unité des
Français. À cette occasion, un diplôme de
« vainqueur de la Bastille » est attribué par
décret à 662 assaillants, dont 400 survivants
seront encore pensionnés par la monarchie
de Juillet. En 1812, la place de la Bastille est
ornée de la maquette d’une fontaine en forme
d’éléphant, avant-projet d’un immense monument qui ne verra jamais le jour. Puis la
colonne de Juillet, surmontée du génie de la
Liberté, y est inaugurée en 1840 en mémoire
des combattants de la révolution de 1830.
Malgré la volonté des régimes successifs de
neutraliser la charge symbolique de la prise
de la Bastille, la place demeure au XIXe siècle
un haut lieu révolutionnaire : la République y
est fêtée en 1848 et les gardes nationaux de la
Commune y prêtent serment en 1871.
bâtard. À partir du XIIe siècle, quand l’Église
précise la législation sur le mariage, s’affirment des discriminations légales et honorifiques entre enfants légitimes et illégitimes.
Le bâtard d’un noble hérite, certes, de la condition de son père, dont il porte les armoiries avec
une barre transversale, mais il ne peut entrer
dans les ordres, ni hériter de ses parents si
ceux-ci meurent intestats. Le bâtard est exclu
de la succession aux fiefs, et il est indigne d’être
fait chevalier. Dans la réalité, ces dispositions
sont détournées, et l’opinion reste tolérante.
Le fils naturel de Louis d’Orléans est connu de
tous sous le nom de « Bâtard d’Orléans », et
Charles VII le fait comte de Dunois.
• Une marginalisation sociale croissante.
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le renforcement de l’autorité paternelle, encouragé
par la monarchie évoluant vers l’absolutisme,
entraîne un durcissement de la législation, et
plus encore des mentalités. L’édit de 1556
oblige à déclarer les grossesses ; l’ordonnance
de Blois met fin en 1579 à la présomption de
mariage en cas de grossesse, qui engageait
par trop la famille du père. Les mariages sans
témoin et sans consentement des parents
sont interdits. L’Église de la Contre-Réforme
comme les protestants luttent contre les mauvaises moeurs, et les naissances illégitimes
reculent fortement au XVIIe siècle (en dessous
de 1 % des naissances), avant de remonter à la
fin du XVIIIe siècle (2,6 % vers 1789), lorsque
se relâche le contrôle de l’Église sur la société.
Les filles des campagnes séduites vont souvent
accoucher en cachette en ville, abandonnant
ensuite l’enfant. Le Dictionnaire de Furetière
(1690) enregistre l’accentuation des degrés
de déclassement : « Les bâtards des rois sont
princes ; ceux des princes, gentilshommes ;
ceux des gentilshommes, roturiers. »
• Les bâtards royaux. La famille royale au
XVIIe siècle pourrait sembler à contre-courant.
Loin de cacher leurs bâtards, les rois les reconnaissent. Le fils d’Henri IV et de Gabrielle
d’Estrées est fait duc de Verneuil ; les fils de
la Montespan et du Roi-Soleil sont, l’un, duc
du Maine et, l’autre, comte de Toulouse. Le
duc de Saint-Simon a bien senti le sens politique de cette entorse à la morale commune.
Louis XIV poursuit une stratégie d’union
entre ses bâtards légitimés et des princes du
sang : ainsi, Mlle de Blois, fille de La Vallière,
se marie avec le prince de Conti, tandis que
le duc du Maine et Mlle de Nantes, enfants de
la Montespan, épousent des Condé, et que
leur soeur, la seconde Mlle de Blois, est mariée
à Philippe d’Orléans, le futur Régent. À cette
union des sangs entre les Bourbons s’ajoute
l’ascension en dignité des légitimés. Leur père
crée en 1694 un « rang intermédiaire » qui
les détache des duc et pairs ; puis, en 1714
et 1715, il en fait des princes du sang, avec
droit à la succession à la couronne. Ce coup
de force contre la tradition traduit une mythologie dynastique du sang royal.
• La lente reconnaissance des « enfants
naturels ». À l’époque des Lumières, certains, par humanitarisme ou par populationnisme, se préoccupent de l’abandon des
bâtards. Au nom du droit naturel, la Convention abolit les discriminations et proclame
les enfants naturels « enfants de la patrie ».
Mais, pour défendre le mariage, elle interdit
la recherche de paternité et diminue la part
d’héritage de l’enfant adultérin. Le Code civil
(1804) marque un recul en réduisant le droit
à l’héritage pour tous les enfants naturels.
Dans la société bienséante du XIXe siècle, l’enfant de l’amour déshonore ses géniteurs, et la
bourgeoisie stigmatise le concubinage populaire, facteur de naissances illégitimes (8,7 %
à la fin du siècle). Toutefois, la connivence
sociale peut faire prétendre ignorer des secrets
connus de tous : le duc de Morny, coqueluche
du Tout-Paris, n’est-il pas le demi-frère adultérin de Napoléon III ? Le préjugé pèse longtemps sur la loi : il faut attendre 1972 pour
que celle-ci place à égalité les filiations naturelles et légitimes, accomplissant enfin l’idéal
de 1793.
Bathilde, reine des Francs, sainte (en Angleterre, vers 635 - Chelles, vers 680).
D’origine anglo-saxonne, Bathilde entre
comme esclave au palais du roi franc Clovis II,
qui la remarque pour son intelligence et sa
grande beauté et la prend pour femme en 648
ou 649. Elle lui donne trois fils et à la mort
de son époux, en 657, gouverne le royaume
neustro-burgonde en leurs noms avec l’aide
du maire du palais, Ébroïn, ainsi que de plusieurs évêques du royaume, tels saint Éloi de
Noyon et saint Ouen de Rouen. La politique
« centraliste » de Bathilde et d’Ébroïn provoque des troubles en Bourgogne, qui sont
réprimés de manière sanglante, Bathilde y
gagnant ainsi une réputation de reine tyrannique, telle la Jézabel de l’Ancien Testament.
Pourtant, elle est aussi vénérée comme
la sainte fondatrice de deux monastères qui
suivent la règle de tradition colombanienne
de Luxeuil, celui de Corbie et, surtout, celui
de Chelles - où elle se retire vers 665 après
avoir été écartée du pouvoir par Ébroïn et où
elle est enterrée. C’est sans doute là aussi qu’a
été composé le récit hagiographique de sa vie
qui la présente à la fois comme une reine très
chrétienne et comme une puissante souveraine. La tradition qui veut que la chemise de
lin conservée à Chelles ait été le linceul de la
reine Bathilde a été récemment confirmée par
l’archéologie. Cette chemise porte des broderies qui reproduisent probablement les bijoux
dont la reine se serait défaite par souci d’humilité et qu’elle aurait convertis en aumônes
pour les pauvres.
Batz (Jean Pierre Louis, baron de), homme
politique et conspirateur (Tartas, Landes,
1754 - château de Chadieu, près de Vic-leComte, Puy-de-Dôme, 1822).
Issu d’une famille de petite noblesse originaire
de Gascogne, il se rend très jeune à Versailles,
où, courtisan accompli, il obtient le titre de
baron en 1776 et reçoit, après une mission
officielle en Espagne, un brevet de colonel de
cavalerie. En 1787, fréquentant les milieux financiers, il fonde la première compagnie d’assurances sur la vie. Enrichi, il achète la charge
de grand sénéchal d’épée du duché d’Albret,
qui l’élit député aux états généraux de 1789.
De 1790 jusqu’au début du Consulat, il s’engage dans la Contre-Révolution, manoeuvrant
le plus souvent dans l’ombre. Il est conseiller
secret de Louis XVI, qui le rémunère, mais
également président du Comité de liquidation, chargé de rembourser les créanciers de
l’État, et il prélève alors des fonds qu’il verse
aux émigrés. Après avoir vainement tenté de
délivrer Louis XVI sur le parcours du Temple à
l’échafaud et de faire évader Marie-Antoinette
de sa prison, il compromet, par ses relations
et des opérations spéculatives sur des fonds
publics, les hébertistes et les dantonistes, qui
sont exécutés en 1794 en compagnie de financiers véreux. Dénoncé à la Convention, il vit
dans la clandestinité jusqu’au 9 Thermidor,
puis, impliqué dans l’insurrection royaliste du
13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il est
arrêté, s’évade et se réfugie à l’étranger. Maréchal de camp de l’armée de Condé en 1797,
il cesse toute activité en 1800. Récompensé
pour ses services sous la Restauration, il finit
ses jours en Auvergne.
Baudin (Jean-Baptiste Alphonse Victor),
médecin et homme politique (Nantua, Ain,
1811 - Paris 1851).
Fils d’un médecin de province, Alphonse Baudin sert en Algérie comme chirurgien militaire ; il choisit ensuite de quitter l’armée et
exerce à Paris auprès des plus pauvres. C’est la
révolution de février 1848 qui provoque son
engagement politique, nourri d’idées saint-simoniennes et fouriéristes. Député de l’Ain en
mai 1849, Baudin siège à la Montagne, dans
les rangs des républicains les plus virulents, et
s’oppose au prince-président. Son hostilité au
coup d’État du 2 décembre 1851 est telle qu’il
prend la tête d’une résistance armée. Le 3 au
matin, ayant résolu de soulever le faubourg
Saint-Antoine, il fait édifier une barricade par
une centaine d’ouvriers du quartier. Immortalisés par Victor Hugo dans son Histoire d’un
crime (rédigé dès décembre 1851, mais publié
en 1877), ses derniers mots sont passés dans
la légende ; en réponse à un ouvrier qui lui
downloadModeText.vue.download 84 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
73
reprochait de se battre pour conserver son
indemnité parlementaire, Baudin aurait répliqué : « Vous allez voir comment on meurt
pour vingt-cinq francs. » Tué quelques minutes plus tard, devenu un martyr de la cause
républicaine, Baudin est inhumé le 5 décembre, en secret, au cimetière Montmartre.
En 1868, des journaux républicains ouvrent
une souscription nationale pour lui élever un
monument. Ils sont poursuivis en justice, et
Gambetta prononce à cette occasion une plaidoirie qui le rend célèbre, contribuant à entretenir le culte de Baudin, diffusé plus tard par
les manuels scolaires sous la IIIe République.
Baudouin de Flandre, comte de
Flandre (Baudouin IX, 1195-1206), comte de
Hainaut (Baudouin VI, 1195-1206) et empereur de Constantinople (Baudouin Ier) de 1204
à 1205 (Valenciennes 1171 - Andrinople 1205
ou 1206).
Fils du comte Baudouin V de Hainaut et
de Marguerite d’Alsace, il hérite en 1195
d’un vaste territoire, composé du comté de
Flandre, du comté de Hainaut et du marquisat
de Namur, qui constitue la principale force
politique du nord du royaume. Baudouin
tient tête à son beau-frère le roi de France
Philippe Auguste, qui avait recueilli l’Artois
apporté en dot par Isabelle de Hainaut. Il fait
d’abord hommage au roi de France, puis s’allie
au roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion et
au comte de Boulogne Renaud de Dammartin
en 1197. Leur coalition défait l’armée royale
en Flandre et contraint Philippe Auguste à des
concessions. Le conflit cesse en 1199, lorsque
le pape Innocent III impose aux belligérants
une trêve de cinq ans pour les inciter à partir en croisade. Le comte Baudouin prend
donc part à la quatrième croisade, qui assiège
la ville de Constantinople à la demande de
l’empereur Isaac II Ange, qui avait été détrôné
par son frère. À la suite d’une émeute qui renverse Isaac II (rétabli au pouvoir), Baudouin
est élu empereur latin de Constantinople par
les croisés, le 9 mai 1204. Vaincu à Andrinople le 14 avril 1205 par une coalition de
Grecs et de Bulgares, il disparaît au cours de la
bataille. De l’aventure éphémère de Baudouin,
il demeure pendant près de cinquante ans un
Empire latin d’Orient, aux mains de la famille
de Courtenay.
Bayard (Pierre Terrail, seigneur de),
homme de guerre (Bayard, près de Grenoble,
vers 1476 - Romagnano Sesia, Italie, 1524).
Issu de la petite noblesse du Dauphiné, Pierre
Terrail embrasse dès l’enfance la carrière militaire : page de 1486 à 1493, puis homme
d’armes, il participe aux deux premières campagnes d’Italie, en 1494 et 1499. Mais ce n’est
que de 1500 à 1503, durant la seconde guerre
de Naples, que s’égrènent les prouesses et les
exploits, souvent gratuits, qui façonnent la
dernière légende de la chevalerie française :
le combat à outrance, à onze contre onze, des
chevaliers français et espagnols en juillet 1502,
ou la défense de l’arrière-garde française sur
le pont du Garigliano en décembre 1503. En
1509, il commande une bande de cinq cents
fantassins dauphinois. En 1511, malgré ses
humbles origines, il est fait lieutenant d’une
compagnie de cent lances. À Marignan, en
1515, le jeune François Ier demande au courageux hobereau de l’armer chevalier : au-delà
de l’image d’Épinal, cette scène, pour une fois,
semble ne pas trahir les faits. Nommé alors
lieutenant général du Dauphiné, Bayard, qui
ne se plaît pas à la cour, demeure à Grenoble,
et contribue, par une sage administration, à
l’intégration dans le royaume de cette province, française depuis peu. La défense victorieuse de Mézières en 1521 lui assure définitivement faveur royale et richesse. Il est, au
sommet de sa gloire, capitaine d’une compagnie de cent lances, lorsque, en Lombardie,
il est tué le 30 avril 1524, frappé - ironie du
sort - par l’un de ces arquebusiers qu’il honnissait...
Bayard fut sans doute marqué profondément par son éthique guerrière et spirituelle,
mais il sut aussi, en bon soldat, commander
des fantassins et, à l’occasion, recourir à la
ruse, voire à la cruauté.
Deux biographies romancées, écrites par
Symphorin Champier et par le secrétaire de
Bayard, Jacques de Mailles, dit « le Loyal Serviteur », ignorent ces contradictions. Les deux
ouvrages sont publiés dès 1525 et 1527 car,
après le désastre de Pavie (1525), le royaume
a besoin de modèles pour croire à son redressement. Bayard, « chevalier sans peur et sans
reproche », y est donc paré de toutes les vertus belliqueuses (bravoure, magnanimité)
ou morales (chasteté, humilité, générosité,
désintéressement). Statufié en parangon du
chevalier fidèle à Dieu et à son souverain, cet
homme de guerre apparut tour à tour, au fil
des siècles, comme un modèle pour l’éducation de la noblesse, un serviteur exemplaire de
la couronne, un défenseur de la patrie en danger, un modeste et sage provincial opposé aux
menées de la cour, un bon chrétien conservateur et, enfin, un héros national admis au
panthéon des gloires de l’école républicaine.
Bayeux (discours de), discours prononcé
le 16 juin 1946 par le général de Gaulle, dans
lequel ce dernier expose ses idées en matière
constitutionnelle.
Six mois après avoir quitté la direction du
pays, de Gaulle fait sa rentrée politique, et
s’adresse avant tout au MRP, premier parti
de l’Assemblée constituante élue quinze jours
plus tôt. Il accepte une « Assemblée élue au
suffrage universel et direct » votant les lois et
les budgets et pouvant renverser le gouvernement, mais lui adjoint une Chambre consultative, représentant « la vie locale », c’est-à-dire
les élus municipaux et départementaux, et
aussi les « organisations économiques, familiales, intellectuelles ». Surtout, au nom de
l’équilibre et de la séparation des pouvoirs,
il souhaite que le président de la République
soit un arbitre désigné par « un collège qui
englobe le Parlement, mais beaucoup plus
large », pour « qu’au-dessus des contingences
politiques soit établi un arbitrage national qui
fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». Le président est chargé de former
le gouvernement et a le droit de dissoudre
l’Assemblée.
Il n’y a là ni bonapartisme ni même présidentialisme, mais le prestige personnel du général de Gaulle inquiète. La gauche s’indigne.
Le MRP préfère négocier avec la SFIO la
Constitution qui sera adoptée en octobre suivant. Le discours de Bayeux reste donc sans
effet immédiat, même s’il servira à l’élaboration de la Constitution de 1958, et inspirera
en partie le projet de réforme du Sénat et des
Régions, rejeté lors du référendum de 1969.
Bayeux (tapisserie de), toile de lin brodée
de laines polychromes contant la conquête de
l’Angleterre par les Normands de Guillaume
le Conquérant, en 1066.
Improprement attribuée à la reine Mathilde,
épouse de Guillaume, cette « telle d’ymages
et escripteaux » a probablement été exécutée
dans un atelier monastique de Cantorbéry à la
demande d’Odon, demi-frère du duc bâtard
et évêque de Bayeux. Sans doute exposée
au public lors de la dédicace de la cathédrale romane le 14 juillet 1077, cette longue
et étroite bande (68,30 m X 0,50 m) sert à
légitimer l’accession de Guillaume au trône
d’Angleterre autant qu’à répandre sa gloire
chez ses sujets normands. En cinquante-huit
séquences titrées en latin, la tapisserie montre
comment Harold, passant outre la volonté du
roi Édouard et reniant le serment prêté sur
les reliques bajocasses, usurpa le titre de rex
Anglorum. La bataille de Hastings n’apparaît
plus alors que comme le châtiment, humain
autant que divin, d’un parjure. Dès lors, le
récit brodé rejoint la chanson de geste et sa
structure manichéenne : aux bons Normands
que guide le noble Guillaume en respect de la
volonté du roi Édouard (qu’on montre pieusement enterré en « l’église de Saint-PierreApôtre ») s’opposent Harold le félon et ses
Saxons impies (lors de son intronisation, il
est béni par l’archevêque Stigant, que le pape
avait excommunié).
Chronique historique autant que récit
épique, chef-d’oeuvre d’art visuel, cette « Toilette du duc Guillaume », ainsi que l’appelèrent ses premiers analystes au XVIIIe siècle,
est aussi un témoignage vivant du monde
médiéval au lendemain de l’an mil.
Bayle (Pierre), philosophe, érudit et moraliste (Le Carla, comté de Foix, aujourd’hui,
Carla-Bayle, 1647 - Rotterdam 1706).
L’itinéraire philosophique de Pierre Bayle
exprime la crise de la conscience européenne
de la seconde moitié du XVIIe siècle. Fils de
pasteur, de confession protestante, il est menacé par la monarchie de Louis XIV. Mais,
refusant de contester radicalement l’absolutisme et favorable à une religion modérée,
le philosophe est également attaqué par les
théologiens calvinistes alors qu’il défend la
tolérance religieuse.
En rupture avec le milieu réformé, il se
convertit au catholicisme à l’âge de 21 ans,
sous l’influence des jésuites du collège de
Toulouse. Mais, peu après, il se confesse
auprès de quatre pasteurs, dont son frère
Jacob, et se réconcilie avec la religion de sa
famille. Considéré désormais comme relaps,
il doit s’exiler. Il se fixe en 1675 à Sedan, où
il enseigne la philosophie, dans la célèbre
académie protestante de la ville, jusqu’à sa
fermeture par Louis XIV, en 1681. Il quitte
alors définitivement la France pour s’établir
downloadModeText.vue.download 85 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
74
à Rotterdam. Il se consacre à l’enseignement
et à la publication de ses écrits, stigmatisant
les superstitions qui subsistent dans les pratiques chrétiennes (Lettre sur la comète, 1682).
Entre 1684 et 1687, il diffuse une revue littéraire, les Nouvelles de la République des lettres,
qui connaît un succès européen. À partir de
1695, il publie un Dictionnaire historique et
critique, avec l’intention de corriger les opinions fausses véhiculées à travers l’histoire et
consignées notamment, selon lui, dans le dictionnaire historique de l’abbé Moreri (1674).
Il en résulte une critique érudite et sèche,
mais aussi une dénonciation des préjugés
qui provoquent, par exemple, les chasses aux
sorcières. Son examen des hérésies aboutit à
une relativisation des religions révélées et à la
condamnation de toute forme de fanatisme.
La raison n’étant pas capable de répondre
au paradoxe de l’origine du mal dans un
monde créé par un Dieu à la fois infiniment
bon et tout-puissant, Bayle réserve les choses
spirituelles à la singularité de la foi. Si bien
que, dans la Continuation des pensées diverses
(1704), le philosophe manifeste une tolérance
universelle, au point de reconnaître aux athées
une morale sociale. Bien qu’interdit en France
et critiqué par le théologien calviniste Pierre
Jurieu, héros de la résistance protestante, le
Dictionnaire est publié jusqu’en 1702, atteignant seize volumes. La pensée paradoxale de
Bayle explique que les philosophes des Lumières l’aient considéré comme un agnostique
masqué, alors que l’historiographie récente le
définit plutôt comme un fidéiste sincère.
Bazaine (François Achille), maréchal de
France (Versailles 1811 - Madrid 1888).
Officier sorti du rang, Bazaine doit son avancement à des états de service exemplaires en
Algérie et en Espagne. Après avoir participé
comme général à la guerre de Crimée (1855)
et à la guerre d’Italie (1859), il est élevé à la
dignité de maréchal de France en 1864, lors
de l’expédition au Mexique. Mais l’échec final
de cette entreprise retarde quelque temps son
ascension. Finalement, c’est sous la pression
de l’opposition que Bazaine reçoit, en 1869,
le commandement de la Garde impériale. Au
début de la guerre de 1870, Napoléon III le
nomme à la tête du 3e corps d’armée, et commandant en chef des armées impériales après
les premières défaites. Toutefois, mal préparé aux conditions nouvelles de la guerre,
Bazaine se laisse enfermer dans Metz avec
180 000 hommes et 1 400 canons. Ne cherchant pas à briser l’encerclement prussien, il
reste étrangement inactif, puis semble même
vouloir utiliser son armée à des fins personnelles, prévoyant l’effondrement de l’Empire.
Toutes les subsistances de la place de Metz
ayant été épuisées, Bazaine est contraint à la
capitulation le 27 octobre, avec une armée intacte : son attitude lui vaut, en 1873, d’être traduit devant un conseil de guerre et condamné à
mort, peine commuée en vingt ans de réclusion
par le président Mac-Mahon. Emprisonné au
fort de l’île Sainte-Marguerite, Bazaine s’évade
en 1874 et finit ses jours à Madrid.
Béarn (vicomté de), principauté médiévale, située dans les Pyrénées entre le Pays
basque et la Bigorre, apparue au début du
IXe siècle, devenue souveraine au XIVe siècle et
finalement intégrée au royaume en 1589, à
l’occasion de l’accession au trône de France
du dernier vicomte, Henri de Navarre.
• Entre Aragon et Angleterre. La vicomté
de Béarn est constituée en 819, autour des
villes de Lescar et de Morlas, pour un fils cadet
du duc de Gascogne. Du IXe au XIIIe siècle, les
vicomtes acquièrent progressivement une véritable autonomie : la situation géographique
(montagne), un fort particularisme culturel
- notamment linguistique -, ainsi que les rivalités qui opposent les principales puissances
voisines, favorisent leur entreprise. Du XIe au
début du XIIIe siècle, la participation active du
Béarn à la Reconquête chrétienne de la péninsule Ibérique place la vicomté sous l’influence
croissante des rois d’Aragon, influence que les
vicomtes s’efforcent d’équilibrer par des alliances avec la Gascogne ou le comté de Toulouse. La vicomté n’échappe toutefois définitivement à l’emprise aragonaise qu’à la suite
de la défaite et de la mort du roi d’Aragon
Pierre II, à Muret, en 1213, lors de la croisade
des albigeois. En 1224, les Plantagenêts, ducs
d’Aquitaine et rois d’Angleterre, établissent
cependant leur suzeraineté sur le Béarn. Les
vicomtes cherchent à conserver leur autonomie en tirant alors profit de la rivalité entre
le roi d’Angleterre et le roi de France. Dans le
même temps, ils entreprennent de renforcer
la cohésion de leur domaine. La vicomté acquiert ainsi une véritable unité juridique grâce
à l’obtention du For général, véritable charte
des libertés béarnaises. Enfin, une succession de beaux mariages permet aux vicomtes
d’accroître leur territoire en lui adjoignant
de nombreux fiefs : la vicomté d’Oloron au
XIe siècle, Gabardan au XIIe siècle, Marsan au
XIIIe siècle. En 1290, le mariage de Marguerite,
héritière de la vicomté, avec Roger-Bernard,
comte de Foix, unit les domaines des deux
maisons et consacre l’hégémonie béarnaise
sur le Sud-Ouest pyrénéen, de Foix à Orthez.
• De l’indépendance à l’intégration au
royaume. Durant la seconde moitié du
XIVe siècle, la vicomté devient une véritable
principauté souveraine sous le règne de Gaston Phébus, qui, profitant de la guerre qui
oppose la France à l’Angleterre, déclare tenir
son pouvoir de Dieu seul et refuse de prêter
hommage à l’un ou l’autre des souverains. Sa
victoire sur le comte d’Armagnac à Launac, en
décembre 1362, en fait le plus grand prince
de la région. Il dote le Béarn d’une fiscalité
permanente, réorganise l’armée et la justice,
s’entoure d’une cour brillante. Son action
est poursuivie au XVe siècle par les différents
vicomtes et par l’assemblée des états de Béarn,
qui réunit les grands vassaux et les représentants des villes. À la fin du XVe siècle, la
vicomté (dont Pau devient la capitale) est une
principauté prospère, à l’économie essentiellement rurale.
Cependant, une fois la guerre de Cent Ans
terminée, les rois de France entreprennent de
rétablir leur domination sur la région. Le roi
Louis XI ordonne ainsi le mariage de l’héritière
des maisons de Foix, Béarn et Navarre avec
Jean d’Albret, rassemblant entre les mains de
cette famille, plus proche de la cour et de la
famille royale, les principaux fiefs méridionaux. Le mariage d’Henri d’Albret avec la soeur
de François Ier, Marguerite, en 1527, renforce
encore l’influence française. Marguerite de
Navarre fait alors de la cour béarnaise un foyer
littéraire et un haut lieu de l’évangélisme français. Le choix de la Réforme par sa fille Jeanne
d’Albret, en 1560, ranime un moment le particularisme béarnais : plusieurs ordonnances
ecclésiastiques feront d’ailleurs du calvinisme
la religion officielle de la vicomté. Mais l’accession au trône de France, en 1589, du fils de
Jeanne d’Albret, Henri de Navarre, sous le nom
d’Henri IV, suivie, en 1620, de l’annexion de
la vicomté au domaine royal et du rétablissement du catholicisme, sur l’ordre de Louis XIII,
entraîne la fin de l’indépendance béarnaise.
L’existence d’un parlement et des états de
Béarn, ainsi que la perpétuation de certains
privilèges fiscaux et linguistiques, constituent,
sous l’Ancien Régime, les derniers vestiges du
particularisme béarnais.
Beaufort (François de Bourbon-Vendôme, duc de), homme de guerre (Paris
1616 - Candie, Crète, 1669).
Petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées
par son père, César de Vendôme, et apparenté
à la famille ducale de Lorraine par sa mère,
Beaufort témoigne tôt d’un esprit altier et
impétueux. S’illustrant à la guerre dès 1630,
il s’exile un temps en Angleterre pour avoir
conspiré avec Cinq-Mars contre Richelieu.
Rentré en France, il devient l’un des meneurs
de la cabale des Importants contre Mazarin,
et est emprisonné à Vincennes en septembre
1643. Il s’en évade en mai 1648, puis participe à la Fronde, dont il devient l’un des chefs
de file. Hâbleur, violent (il tue en duel son
beau-frère, le duc de Nemours), auréolé du
prestige d’Henri IV, il flatte le peuple par son
langage grossier, ce qui lui vaut le surnom de
« roi des Halles ». Il épouse d’abord le parti du
parlement, où s’illustre Retz, dont il devient le
bras armé ; il passe ensuite dans le camp des
princes, malgré sa rivalité avec Condé. Il ne se
soumet à Louis XIV qu’en 1653. Commence
alors pour lui une seconde carrière. Héritier
de la charge paternelle de grand-maître de
la navigation, il se fait marin, lutte contre la
piraterie barbaresque (1664-1665), affronte
les Hollandais en Méditerranée (1666-1668).
Parti en Crète porter secours aux Vénitiens
assiégés par les Turcs, il disparaît mystérieusement devant Candie en juin 1669.
Doué « de plus de vanité que de sens »
(Retz), non dénué de bravoure, ce grand seigneur a incarné une forme brouillonne de
résistance à l’absolutisme.
Beauharnais (Eugène de), vice-roi d’Italie (Paris 1781 - Munich 1824).
Il est le fils de Joséphine et du vicomte
Alexandre de Beauharnais, qui fut député à la
Constituante, puis général, avant d’être guillotiné en 1794. Ses études sont interrompues par
la Révolution, et, à l’âge de 13 ans, il suit Hoche
en Vendée, grâce à l’intervention de sa mère, libérée de prison après le 9 Thermidor. Après le
mariage de Joséphine avec Bonaparte (1796), il
devient aide de camp du général, qu’il accompagne dans les campagnes d’Italie et d’Égypte.
downloadModeText.vue.download 86 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
75
Dès lors, et jusqu’en 1814, une affection réciproque le lie à Napoléon, qu’il seconde docilement et qui fait de lui un grand dignitaire de
l’Empire. Général de brigade en 1804, prince
d’Empire et vice-roi d’Italie de 1805 à 1814,
il est adopté par Napoléon en 1806, sous le
nom d’Eugène Napoléon, et épouse la fille du
roi de Bavière. En Italie, où il est peu populaire, il réorganise l’administration, mais son
gouvernement demeure sous le strict contrôle
de l’Empereur, à qui il obéit en tout, même au
détriment des Italiens. Piètre chef de guerre, il
se distingue pourtant pendant la campagne de
Russie, parvenant, lors de la retraite, à ramener les rescapés de la Grande Armée à Lützen
(Saxe) où, avec le soutien d’autres troupes, les
Français remportent une victoire (mai 1813).
En Italie, en 1814, il résiste jusqu’au bout à
l’offensive des armées coalisées, mais, après
l’abdication de Napoléon et le soulèvement de
Milan en avril 1814, il se réfugie en Bavière,
où il finit ses jours après avoir été fait duc de
Leuchtenberg et prince d’Eichstätt (1817) par
le roi Maximilien Ier.
Beauharnais (Marie Josèphe Rose
Tascher de La Pagerie) ! Joséphine
Beaujeu (Pierre II de Bourbon sire de)
! Anne de France
Beaumarchais (Pierre Augustin Caron
de), homme d’affaires et homme de lettres
(Paris 1732 - id. 1799).
Fils d’un artisan horloger de Paris du nom de
Caron, il s’impose comme l’une des figures
de l’espace public en constitution à la veille
de la Révolution. Le premier différend qui
l’oppose, jeune inventeur d’un échappement
de montre, à un horloger célèbre qui prétend
s’approprier son invention est caractéristique
de sa conduite dans les affaires qui vont se
succéder tout au long de sa vie : il s’adresse
à l’Académie des sciences pour faire reconnaître son droit. Il refusera toujours la loi du
plus fort et dénoncera l’injustice sur la place
publique.
• Un touche-à-tout de génie. Il fait d’abord
carrière à la cour comme fournisseur en
montres, comme professeur de harpe des
filles du roi, puis comme titulaire de plusieurs
offices (contrôleur de la bouche, secrétaire du
roi, lieutenant général des chasses). Il prend le
nom de Beaumarchais et s’initie au monde de
la finance grâce à Lenormant d’Étioles, le mari
de Mme de Pompadour, puis à Pâris-Duverney.
La mort de ce dernier, celles de sa première
puis de sa seconde femme l’entraînent dans
des procès en chaîne qui mettent en cause sa
fortune, son honneur, sa liberté. D’accusé il
se fait accusateur, dénonce la justice d’Ancien
Régime, se retrouve au coeur des conflits qui
opposent les parlements au pouvoir central. Il
intervient dans tous les débats publics, mais
se mêle aussi des trafics de l’ombre : il spécule
partout où il le peut, négocie à Londres avec
les pamphlétaires qui font chanter le gouvernement français, le chevalier d’Éon ou Théveneau de Morande, monte la société Roderigue
Hortalez pour fournir en armes les insurgents
américains qui viennent de déclarer leur indépendance et que la France ne veut pas soutenir officiellement. Il mène de front ces activités contradictoires, passant de la faveur royale
à la suspicion, des honneurs à la prison, des
applaudissements de l’opinion à la méfiance
envers un parvenu doublé d’un spéculateur. Il
tente à chaque fois de rebondir en mettant les
rieurs de son côté. Il introduit l’ironie dans les
débats juridiques et prend le public à témoin
dans les Mémoires qu’il fait imprimer.
• Les coups de maître d’un amateur. La
pratique littéraire est partie intégrante de
son activité d’homme d’affaires, de même
qu’il s’intéresse à la production littéraire d’un
point de vue financier : il fonde la Société des
auteurs dramatiques (1777), qui lutte pour
obtenir la reconnaissance du droit d’auteur,
et la Société littéraire et typographique (1780)
à Kehl, hors du territoire français, pour faire
imprimer les ×uvres complètes de Voltaire, qui
vient de mourir, puis celles d’autres grands
écrivains. Il a commencé sa carrière d’auteur
dramatique par des parades pour le théâtre
privé de Lenormant d’Étioles, s’est ensuite
essayé au genre nouveau du drame en faisant
représenter à la Comédie-Française Eugénie
(1767), puis les Deux Amis (1770), et en proposant une théorie du drame, Essai sur le genre
dramatique sérieux (1767). Mais il n’atteint
le succès qu’avec ses comédies, le Barbier de
Séville (1775) et le Mariage de Figaro (1784),
qui associent la tradition moliéresque, la présence physique de la commedia dell’arte et la
satire sociale. Chaque représentation devient
un jeu avec la censure. Beaumarchais utilise
habilement ses relations à la cour pour opposer les unes aux autres les autorités d’Ancien
Régime. La Révolution française casse ce jeu
d’audace et de conformisme. Beaumarchais
essaie d’acheter des armes pour l’armée française, veut faire payer leurs dettes aux ÉtatsUnis, mais n’évite la guillotine que de justesse.
La Mère coupable (1792), suite larmoyante du
Mariage, souligne qu’une page de l’histoire
est tournée. Balzac naît lorsque meurt Beaumarchais.
Beaumont de Péréfixe (Hardouin
de) ! Péréfixe (Hardouin de
Beaumont de)
Bedford (Jean de Lancastre, duc de), régent du royaume de France ( ? 1389 - Rouen,
1435).
Fils du roi d’Angleterre Henri IV, le duc de
Bedford est régent en Angleterre pendant
la conquête de la Normandie par son frère
Henri V (1415-1419). En 1422, à la mort
du roi de France Charles VI, peu après celle
d’Henri V, il recueille, selon les termes du
traité de Troyes, l’héritage du royaume de
France pour le jeune Henri VI et en devient
régent. Maître de la France anglo-bourguignonne, il doit s’appuyer sur l’État bourguignon, et épouse Anne de Bourgogne en
1423. Son administration tente de concilier
intérêts anglais et bourguignons, mais il lui
faut lutter à la fois contre Charles VII et contre
des insurrections locales ; à partir de 1429,
l’intervention de Jeanne d’Arc devant Orléans
marque le début des revers anglais. Bedford
abandonne la régence en 1430, fait couronner Henri VI à Paris en 1431, et se replie en
Normandie. Toutefois, l’alliance anglo-bourguignonne vacille, et s’achève lors des négociations d’Arras de 1435 : Philippe le Bon, duc
de Bourgogne, et Charles VII signent la paix,
tandis que Jean de Bedford meurt le 14 septembre de cette année-là.
Deux analyses s’opposent aujourd’hui
quant à l’histoire de la double monarchie. La
première présente son échec comme inévi-
table, en raison des difficultés économiques
et politiques de Bedford en France et en
Angleterre. La seconde fait valoir la viabilité
du principe, ainsi qu’en témoigne l’union des
couronnes d’Aragon et de Castille. Une telle
approche rend à l’entreprise de Jeanne d’Arc
une importance historique déterminante.
béguines et bégards, en France du Nord,
à partir du XIIIe siècle, laïcs vivant en communauté et s’adonnant au travail et à la prière.
Cette nouvelle forme de vie religieuse, qui
s’inspire des principes des ordres mendiants,
connaît un certain succès au XIIIe siècle en
Flandre et dans les régions rhénanes, alors
qu’elle est rare en France méridionale. Sans
prononcer de voeux, les bégards (ou béguins),
et surtout les béguines, plus nombreuses,
vivent en communauté, parfois à l’ombre de
monastères, poursuivant un idéal de pauvreté
et de vie évangélique. Solitaires ou regroupées
dans les béguinages, qui se multiplient dans
les villes, les béguines, qui doivent être veuves
ou célibataires et se distinguent par le port
d’un voile nommé « béguin », se consacrent
à la prière, à l’artisanat, à l’assistance aux
pauvres et à l’éducation des enfants.
À partir du début du XIVe siècle, les autorités s’inquiètent de cette vie religieuse au statut
incertain, entre état laïc et cléricature, surtout
lorsqu’elle est instable ; les béguins et béguines sont désormais considérés comme des
hérétiques, condamnés par le pape Clément V
en 1312 et livrés à l’Inquisition : ainsi, la béguine Marguerite Porète, auteur d’un traité de
vie mystique (en français), est brûlée en place
de Grève en 1306. Si les papes suivants sont
moins sévères, la plupart des fondations n’en
déclinent pas moins, progressivement, avant
de disparaître aux XIVe et XVe siècles, à l’exception de quelques grands béguinages qui,
tolérés par l’Église, prospéreront en Flandre
jusqu’au début du XXe siècle.
Belges, peuples que Jules César considéra comme « les plus braves » des peuples
gaulois et parmi lesquels on compte, en particulier, les Leuques (Toul, Nancy), les Rèmes
(Reims), les Suessions (Soissons), les Ambiens (Amiens), les Médiomatriques (Metz),
les Trévires (Trèves), les Atrébates (Arras),
les Aduatuques (Namur), les Nerviens (Bavay,
Cambrai, Tournai), les Ménapiens (ouest de
l’Escaut) et les Éburons (Meuse et rive gauche
du Rhin).
Ils occupent ce que César appelle la « Gaule
Belgique », qui s’étend, au nord de la Marne
et de la Seine, sur une région qui correspond
au nord de la France actuelle, à la Belgique et
à une petite partie de l’Allemagne.
Sur la foi d’écrivains de l’Antiquité, on
estime parfois que les Belges auraient occupé
downloadModeText.vue.download 87 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
76
ces territoires à la suite d’invasions venues du
nord, vers le IIIe siècle avant J.-C. Mais les travaux archéologiques n’ont pas corroboré cette
thèse jusqu’à présent. La fouille d’un habitat suession, comme à Villeneuve-Saint-Germain (Aisne), ou rème, comme à Variscourt
(Aisne), a montré qu’à la veille de la conquête
ces peuples disposaient de véritables villes
fortifiées et à l’urbanisme strict ainsi que d’une
économie monétaire, et qu’ils avaient tissé des
réseaux économiques étendus (attestés par
la présence d’amphores à vin romaines). Des
sanctuaires, tels ceux de Ribemont-sur-Ancre
(Somme) ou de Gournay-sur-Aronde (Oise),
témoignent de pratiques religieuses complexes, comprenant des sacrifices de guerriers
vaincus et d’animaux, et l’édification de trophées avec les armes prises à l’ennemi.
Lors de la guerre des Gaules, les Belges,
à l’exception des Rèmes, opposent une vive
résistance aux légions de César et forment, en
57 avant J.-C., une coalition de 300 000 guerriers, qui est néanmoins battue. Les Romains
doivent ensuite affronter, en 54 avant J.-C.,
une révolte menée par Ambiorix, roi des Éburons, dont la défaite provoquera en retour le
soulèvement général mené par Vercingétorix. Après la conquête et la constitution d’une
province romaine de « Belgique », d’autres
révoltes se produiront, notamment en 29 et
en 21 avant J.-C. (avec le Belge Julius Florus
et l’Éduen Sacrovir) ou en 69-70 après J.-C.
Sous l’occupation romaine, la Belgique est
une province prospère, avec de grandes villes
de garnison (Trèves, Cologne ou Boulogne),
des cités commerciales (Tongres, Tournai ou
Arlon), un réseau de voies de communication
(dont Bavay est l’un des principaux noeuds),
une agriculture florissante qui utilise la célèbre moissonneuse gauloise. En 258, Trèves
sera un temps l’une des quatre capitales de
l’Empire. La région est envahie par les Francs
à partir de la fin du IVe siècle, et son nom même
sera oublié, avant d’être remis à l’honneur à la
Renaissance par les érudits, puis finalement
donné à la Belgique indépendante en 1830.
Belgique (campagne de), courte campagne militaire (15-18 juin 1815) qui aboutit à
la destruction de l’armée de Napoléon et met
fin aux Cent-Jours.
Après sa défaite de 1814, sa première abdication et son exil à l’île d’Elbe, Napoléon reprend
le pouvoir le 20 mars 1815. Les souverains
européens, qui veulent en finir avec « l’Ogre »,
menacent les frontières françaises. Le pays est
démobilisé, mais l’Empereur décide d’attaquer les troupes anglo-hollandaises et prussiennes, massées en Belgique, avant l’arrivée
des Russes et des Autrichiens. Le 15 juin 1815,
Napoléon franchit la Sambre pour marcher sur
Charleroi avec 124 000 hommes. Face à lui,
95 000 Anglo-Hollandais devant Bruxelles et
124 000 Prussiens à Namur. Il veut battre ces
derniers, dont il espère le repli vers le Rhin, pour
ensuite s’attaquer aux Anglo-Hollandais. Le
16 juin, les Prussiens sont repoussés à la bataille
de Ligny, mais Wellington résiste à Quatre-Bras.
Le lendemain, Napoléon fait poursuivre Blücher
par Grouchy et entame sa marche vers Waterloo, sur la route de Bruxelles. La bataille s’engage
le 18 juin. Wellington et Napoléon misent tous
deux sur l’arrivée de renforts. Grouchy ne rejoint pas l’Empereur, et ce sont les Prussiens qui
se présentent sur son flanc. La défaite est totale.
Napoléon abdique le 22 juin.
Les Français, très inférieurs en nombre,
ont, de plus, manqué de coordination ; les
généraux Soult et Grouchy, employés à des
postes stratégiques, ont fait preuve d’incompétence ; enfin, la transmission des ordres
s’est révélée déplorable.
Belin (René), syndicaliste (Bourg-enBresse, Ain, 1898 - Lorrez-le-Bocage, Seineet-Marne, 1977).
Issu d’un milieu très modeste, il entre à 11 ans
dans le monde du travail, muni d’un certificat d’études primaires. Il rejoint, à l’âge de
14 ans, l’administration postale, en gravit les
échelons et adhère au syndicat des agents
(1923), dont il devient secrétaire départemental (1925). Entré en 1933 au secrétariat
de la CGT, il y restera jusqu’en mai 1940 :
membre de la direction confédérale, il y sera
rapidement le « dauphin » de Léon Jouhaux.
Après la réunification avec la CGT-U, il fonde,
en 1936, l’hebdomadaire Syndicats, qui incarne la tendance non communiste de la CGT.
C’est notamment cet anticommunisme qui le
conduit, après avoir démissionné du bureau
de la CGT, à exercer des fonctions dans le
gouvernement de Vichy : ministre de la Production industrielle et du Travail (14 juillet
1940-23 février 1941) puis secrétaire d’État
au Travail (9 mai 1941-18 avril 1942). Sous
sa responsabilité, la loi du 16 août 1940 dissout toutes les confédérations patronales et
ouvrières, auxquelles la charte du travail,
promulguée en octobre 1941, substitue un
régime corporatiste. Belin estimait avoir pu
« par intervention ou par ruse [...] protéger
l’essentiel du mouvement syndical ». Révoqué de l’administration postale à la Libération, il se réfugie en Suisse en attendant son
procès, qui s’achève sur un non-lieu. Il tente
en vain, de mai 1949 à 1954, de reprendre sa
place dans le mouvement syndical. De 1959 à
1965, il est maire de Lorrez-le-Bocage.
l BELLE ÉPOQUE. Après la grande dépression des années 1880, la France connaît
l’apogée de sa prospérité, de sa puissance
et de son prestige : un âge d’or précédant le
carnage.
C’est, du moins, la vision idyllique que se font
les esprits après l’hécatombe de la Grande
Guerre. L’expression « Belle Époque » s’impose alors, estompant les convulsions, les
contradictions et les remises en cause d’une
période qui a accouché du XXe siècle.
NAISSANCE D’UN MYTHE
« Qui n’a pas connu la France vers 1780 n’a
pas connu le plaisir de vivre », disait Talleyrand à la fin de sa vie. Quelque cent ans plus
tard, les mêmes causes produisant les mêmes
effets, l’opinion publique, hantée par les traumatismes de la Grande Guerre et confrontée
aux incertitudes du présent, se tourne à son
tour vers un passé qu’elle est d’autant plus
portée à idéaliser qu’elle le sait disparu à
jamais avec l’hécatombe de 1914 et le franc
germinal. L’expression « Belle Époque » n’est
due ni à un écrivain ni à un journaliste ; elle
apparaît spontanément dès 1919 dans un
climat où, « par tous ses noyaux pensants,
[l’Europe] a senti qu’elle ne se reconnaissait
plus, qu’elle avait cessé de se ressembler »
(Paul Valéry, la Crise de l’esprit, 1919). En
tant qu’expression, « Belle Époque » en dit
donc plus long sur les représentations que se
font alors les Français de leur passé immédiat et de leurs peurs présentes - instabilité
économique, crise idéologique, incertitude
politique... - que de la réalité vécue par les
contemporains des années 1895-1914. Elle
révèle une conception statique de la société
et de ses valeurs, que les récents bouleversements de l’histoire confinent au niveau d’une
mémoire recomposée. Pour ceux-là même
qui l’ont vécue, la Belle Époque n’apparaît
plus alors que comme un instant figé, contenant toutefois en germe les malheurs futurs.
Comme le remarque Paul Morand en 1930 :
« Je me promène dans 1900 comme dans
le Musée Grévin, égaré parmi des figures de
cire. » Des Mémoires, des récits écrits par des
témoins, surtout de la haute société, viennent
alimenter dès l’après-guerre cette conscience
d’une époque - et d’un monde - révolue, en
tout cas pour eux : les uns participent à la
construction de la légende dorée qui voudrait que la France n’ait été peuplée que de
sportmen juchés sur des De Dion-Bouton et
de femmes habillées par Worth et Fortuny.
À la recherche du temps perdu de Proust ne
serait qu’une évocation minutieuse des rites
et fastes de la mondanité ; un temps véritablement perdu où les Guermantes et les Verdurin
incarnaient deux constellations inconciliables.
D’autres mémorialistes accréditent la légende
noire, qui n’est pas incompatible avec l’autre :
celle du « stupide XIXe siècle » (Léon Daudet),
avec ses pieds sales et sa naïveté hygiéniste,
sa foi en la science et sa croyance en l’occultisme, ses revues militaires et ses gauloiseries.
En somme, dans l’entre-deux-guerres, une
mémoire sélective et euphorisante répand sur
la Belle Époque son vernis uniforme, pour
mieux conjurer les réalités souvent douloureuses d’une période profondément travaillée
par des contradictions toujours à vif.
LA SECONDE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE
• « En revenant de l’Expo ». Avec ses
48 millions de visiteurs, son palais de l’Électricité et de l’Automobile, avec la première
ligne du Métropolitain et le Cinéorama,
l’Exposition universelle de Paris, inaugurée le
14 avril 1900 par le président Loubet, apparaît comme l’événement fondateur de la Belle
Époque : un pays - la France et son empire -,
un régime - la République -, contemplent
et célèbrent leur propre gloire, manifestent
leur rayonnement dans le monde et attestent
un dynamisme économique retrouvé après la
« grande dépression » (1870-1895).
Certes, il reste encore de beaux jours aux
bricoleurs de génie avant qu’ils ne soient relégués à la gloire improbable du concours Lépine (créé en 1901). Le tissu morcelé de l’industrie en petits ateliers favorise d’ailleurs la
mise au point et la fabrication de ces produits
de luxe que sont l’automobile et l’aéroplane.
Mais, désormais, accompagnant l’idéologie
scientiste, les mutations techniques sont soudownloadModeText.vue.download 88 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
77
mises à une évaluation scientifique qui permet
la promotion de la figure de l’ingénieur.
• L’effervescence technologique. En
moins de trente ans, la France passe de l’âge
du fer, du charbon et de la vapeur à celui de
l’acier, du pétrole et de l’électricité. Si la machine à vapeur est le symbole de la première
révolution industrielle, le moteur à combustion interne (Daimler, 1889 ; Diesel, 1893)
et la dynamo sont ceux de la seconde. Car la
prospérité retrouvée est liée à de spectaculaires innovations technologiques qui feront
dire à Péguy, en 1913, que « le monde a moins
changé depuis Jésus-Christ qu’il n’a changé
depuis trente ans » (l’Argent). De ce point de
vue, la Belle Époque est pionnière : premier
moteur à explosion, première automobile, premier film, premier aéroplane, premier essai de
TSF, premier réseau électrique... De sorte que
des commodités largement répandues après
guerre sont, en 1900, des prodiges qui émerveillent les Français. Mais ce sont des prodiges
auxquels ils n’ont pas tous accès ; l’éclairage
domestique est encore largement tributaire
de la bougie, du pétrole et, au mieux, du gaz.
L’Exposition universelle de 1900 voit sans
doute l’illumination par l’électricité de la tour
Eiffel, et Paris devient la Ville Lumière ; c’est
toutefois plus une prouesse technique que la
preuve des bienfaits dispensés à tous par la
« fée électricité ».
LA FRANCE « D’AVANT L’ORAGE »
• La passion nationale. Électrique, l’atmosphère politique et sociale de la Belle Époque
l’est également. Politiquement close en 1899,
l’affaire Dreyfus l’est juridiquement en 1906,
mais elle a provoqué une profonde redistribution, voire une fixation durable des comportements idéologiques et des doctrines au
tournant du siècle : deux France se trouvent
clairement face à face, et pour longtemps. À
droite, l’affaire marque l’acte de naissance
d’un parti nationaliste, autour des ligues et de
l’Action française (créée en 1899), fort d’une
doctrine - élaborée conjointement par Maurras et Barrès - qui mêle exécration de la démocratie et antisémitisme, enracinement dans
« le culte de la terre et des morts » et exaltation des ardeurs bellicistes. À gauche, des re-
groupements s’opèrent également, concrétisés
par la création de deux grands partis : le Parti
républicain radical et radical-socialiste (1901)
et la SFIO (1905). Dénonçant l’« alliance du
sabre et du goupillon », le Bloc des gauches
vote les lois sur les associations (1901) et sur
la séparation des Églises et de l’État (1905).
Lutte contre le « parti noir » à gauche, antisémitisme à droite : l’exacerbation des passions
militantes trouvera bientôt un exutoire dans
l’exaltation belliciste.
• La question sociale. La « journée de huit
heures pour tous » : le mot d’ordre, souvent repris, révèle les réalités concrètes de
la condition ouvrière. Malgré la progression
du pouvoir d’achat des ouvriers, les effets
conjugués de l’exode rural, de la mécanisation
et de la concentration industrielle rendent
encore plus précaires des conditions de vie
souvent épouvantables. La journée de travail
est généralement de douze heures - dix pour
les femmes en 1900 -, le repos hebdomadaire
n’est rendu obligatoire, mais sans paiement,
qu’en 1906. Les retraites des ouvriers sont
faibles, et peu de travailleurs atteignent l’âge
d’en bénéficier. Les années 1904-1907 voient
donc se succéder la « révolte des gueux » du
Languedoc, les grèves longues et massives
des cheminots, des électriciens : 1 024 grèves
sont dénombrées pour la seule année 1904,
toujours violemment réprimées. La nouveauté
réside dans le relais pris par les syndicats pour
organiser de mieux en mieux les grèves. Avec
la création en 1895 de la CGT, véritablement
structurée en 1902 et dont les orientations
sont précisées par la Charte d’Amiens en
1906, les composantes modernes de la lutte
sociale sont constituées.
LA CRISE DE LA RAISON
• Le positivisme contesté. Aux bouleversements qui affectent le terrain social et
politique s’ajoute, au même moment, une
crise de la raison universelle, qui constitue
un véritable abcès de fixation pour toute
la période. En apparence, le positivisme se
trouve doublement légitimé par le discours
d’État et la reconnaissance universitaire : Léon
Brunschvicg proclame « la capacité indéfinie
de progrès » de l’intelligence par la science (les
Étapes de la philosophie mathématique, 1912).
La découverte des rayons X et de la radioactivité semble accréditer cette confiance. Mais la
« révolution copernicienne » qui bouleverse
les sciences exactes avec la théorie des quantas (Max Planck, 1900) et celle de la relativité
(Einstein, 1907), en remettant en cause les
modèles physiques et mathématiques hérités
de Newton, provoque également un profond
désarroi devant une réalité disloquée, une
impuissance à dominer une diversité qui croît
à mesure qu’on l’explore.
• L’anti-intellectualisme. L’inconscient
et l’intuition sont les mots clés de la Belle
Époque. Mais là ou Bergson, exaltant l’intuition dans l’Évolution créatrice (1907), parle
« d’élan vital » où le moi ne se saisit que dans
la durée, Gustave Le Bon, dans la Psychologie
des foules - un « best-seller » de l’époque -,
fortifie l’idée d’un déterminisme racial originel fondé sur l’inconscient hérité des ancêtres.
Traduit en termes politiques, c’est le fondement même des théories de Georges Sorel, du
nationalisme organique de Barrès et de l’antisémitisme d’Édouard Drumont ; autant de
composantes d’un nationalisme qui attise les
haines. Car ce n’est pas seulement l’idéologie
progressiste, élevée au rang de projet social,
qui est ainsi visée, mais bien une conception
globale de l’homme héritée de la philosophie
des Lumières et de la société industrielle. À
l’image « mécanique » de l’individu et de la
société se substitue un principe « organique »
qui postule l’origine inconsciente des actions,
la puissance de la vie sur la raison et, dans
sa visée sociale, la survie des plus aptes. Cet
anti-intellectualisme pèse d’un poids particulièrement lourd dans le devenir des idéologies. Sans ce vaste mouvement, on ne saurait
comprendre ni les enjeux profonds de l’affaire
Dreyfus ni, surtout, son retentissement sur la
genèse du fascisme européen : au tournant du
siècle, les thèses qui verront leur accomplissement dans l’entre-deux guerres sont déjà
fermement constituées.
DIVERSITÉ CULTURELLE
ET UNIFORMISATION DES MODES DE VIE
• L’unité par l’instruction. Ce qui frappe
dans cette France qui compte 56 % de ruraux
en 1911, c’est l’inachèvement de l’unité linguistique. Certes, l’alphabétisation des petits
Français est quasi générale, mais les bacheliers représentent, autour de 1900, à peine
1 % d’une classe d’âge : l’effort porte sur la
scolarité primaire, qui voit naître le mythe
du « certif ». Les « hussards noirs » de l’instruction publique poursuivent donc leur
offensive conquérante au nom de la raison,
de la République et de la patrie. L’enseignement confessionnel s’est vu théoriquement
interdit d’exercice par la loi Combes (1904),
mais l’« anticléricalisme d’État » n’a que des
effets limités : les affrontements entre écoliers
« culs bénis » et « culs rouges » de la Guerre
des boutons (Louis Pergaud) peuvent se poursuivre malgré la vague de fermetures d’écoles
congréganistes en 1904. Chaque écolier dans
chaque village lit donc le Tour de la France par
deux enfants (G. Bruno) et y apprend l’unité
du pays dans sa diversité. Les provinces perdues, voilées de noir sur les cartes géographiques, seront reconquises par ces futurs
bataillons d’écoliers entretenus dans le culte
du sacrifice pour la patrie et la croyance dans
le progrès indéfini de l’humanité.
• Diversité culturelle. Cependant, une large
tranche d’âge n’a pas fréquenté l’école ou
a échappé à la scolarisation rendue obligatoire en 1881. En 1900, bien des Français ne
parlent ni ne comprennent que le patois ou
le dialecte. On voit ainsi de nombreux tribunaux recourir à des interprètes. L’harmonie
de l’Hexagone tant vantée par les manuels
scolaires de l’époque, telle l’Histoire de France
d’Ernest Lavisse, se révèle l’alibi géométrique
d’une idéologie fédératrice. En réalité, la diversité n’est pas uniquement sociale dans la
France de la Belle Époque, elle est également
culturelle et fait coïncider dans un même espace des groupes aux traditions, aux valeurs,
aux rites différents. Néanmoins, les formes
de cultures traditionnelles se dissolvent progressivement dans des usages et des modes de
vie uniformisés. Ainsi, le 14 Juillet tend à se
substituer à des fêtes patronales, qui se vident
de leur sens. L’urbanisation et la déchristianisation ont leur rôle dans cette uniformisation ;
mais aussi la production de masse et l’accroissement réel des revenus des salariés. La plupart d’entre eux partent à la conquête, sinon
d’un bien-être, du moins d’un mieux-vivre.
• Vers une culture de masse. À côté des
couches sociales traditionnelles - bourgeois,
ouvriers, paysans -, dont les conditions de
vie demeurent peu ou prou semblables à ce
qu’elles furent dans les décennies antérieures,
des couches nouvelles se consolident : cadres
d’entreprise, fonctionnaires de l’instruction
publique et des PTT (les deux seules administrations ouvertes aux femmes...), commerçants de détail. Ils constituent peu à peu
l’ossature d’une société urbaine qui impose
ses styles de vie. Si les valeurs de la bourgeoisie, liées au travail, à l’épargne et à la famille
- le thème nataliste est alors une obsession -,
demeurent prégnantes, les dépenses ostentadownloadModeText.vue.download 89 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
78
toires se font plus nombreuses, en particulier
celles liées au développement des loisirs.
Du caf’ conc’ où l’on chante - et l’on chante
beaucoup - au music-hall où s’exhibent des
nudités plus ou moins chastes - Ô Colette !
Ô Polaire ! -, en passant par le théâtre de
boulevard, les lieux de spectacle connaissent
un développement considérable ; leur succès n’est pas sans lien avec la niaiserie ou la
polissonnerie mises en scène et qui accréditeront la part sulfureuse du mythe. Par ailleurs,
les moyens de transport dits modernes permettent l’accès à des loisirs nouveaux, mais
surtout à des loisirs de masse. Le « train de
plaisir » puis l’auto entraînent avec eux un
développement certain du tourisme : Michelin publie son premier guide en 1900, l’Office
national du tourisme est créé en 1910. Bien
avant les congés payés (1936), les vacances
pénètrent jusque dans la petite bourgeoisie.
Dans les milieux moins favorisés, l’usage de
la bicyclette, qui devient autant un moyen de
locomotion populaire qu’un sport, s’accompagne d’une large promotion à la fois commerciale et idéologique, ce dont témoigne
le succès immédiat du Tour de France, créé
en 1903. Le discours hygiéniste, qui recoupe
aussi bien l’idéologie républicaine que celle de
l’extrême droite, rencontre les moyens matériels de sa promotion : les thèmes de la santé
par le sport, de la chasse aux miasmes, de
l’aération, accompagnent l’essor de la pratique
sportive - et, avec elle, d’une presse spécialisée - et constituent un trait culturel original
de la Belle Époque.
L’avènement du cinéma et celui de la presse
populaire en sont deux autres. Comique avec
Max Linder, fantaisiste avec Méliès, mélodramatique avec Zecca, ce « divertissement
forain », en se sédentarisant rapidement, devient un phénomène culturel de masse. Sous
l’impulsion de Pathé et de Gaumont, c’est
bien déjà le cinéma moderne qui commence,
tel le Fantômas de Louis Feuillade (1913), à
« allonger son ombre immense sur le monde
et sur Paris ». Belle, l’époque l’est aussi pour
la presse, qui connaît un véritable âge d’or
- qu’elle ne retrouvera plus après 1914. On
sait le rôle de l’Aurore dans l’affaire Dreyfus :
de fait, la presse constitue un vecteur d’opinion plus puissant que jamais. Modestes par
leurs titres, le Petit Parisien et le Petit Journal
fournissent chacun quotidiennement à plus
d’un million de lecteurs des nouvelles rapides,
« à l’américaine ». Reporter-détective, le journaliste de la Belle Époque, c’est Rouletabille
et c’est Fandor. Mais la véritable originalité
réside dans la multiplication des titres spécialisés : instruction primaire oblige, la presse
enfantine est la mieux servie, et on assiste à la
naissance des journaux imagés - on ne dit pas
encore « bande dessinée » - qui proposent les
aventures des Pieds Nickelés dans l’Épatant
(1908), tandis que les adultes lisent le Vélo ou
son concurrent, l’Auto-Vélo, qui est à l’origine
du Tour de France.
DE L’ART NOUVEAU À L’AVANT-GARDE
S’il est un domaine où la Belle Époque coïncide avec le mythe qu’elle a inspiré, c’est
incontestablement celui de l’art. Dans les
quelques années qui séparent l’Exposition
universelle et la guerre se produit un brassage esthétique exceptionnel, qui touche tous
les domaines de la création et en redistribue
profondément les enjeux. Au tournant du
siècle, l’Art nouveau, qui est un phénomène
européen, s’impose comme la réponse radicalement nouvelle à l’industrialisation et aux
formes traditionnelles en matière d’art décoratif et d’architecture. Les meubles de Majorelle,
les verres de Gallé, les bijoux de Lalique, les
affiches de Mucha, expriment la revendication
de la volupté dans les formes végétales et les
féminités serpentines : il s’agit de faire plier la
matière, d’exalter une nature stylisée dans les
objets manufacturés. Considéré comme l’expression du progrès dans l’art, l’Art nouveau
se voit en quelque sorte consacré dès 1900
par la commande passée à Hector Guimard
par la très officielle Compagnie du métropolitain.
Mais, au moment où l’Art nouveau s’officialise et où les impressionnistes se voient enfin
reconnus, l’art moderne se construit dans
l’exaltation du rythme, du mouvement, de
la déconstruction des formes et des perspectives. « À la fin tu es las du monde ancien »,
proclame Apollinaire dans Alcools (1913) :
l’irruption du concret, les pulsations et les
saccades du monde moderne investissent
largement le champ de la création. Au Salon
d’automne de 1905, les « fauves » (Matisse,
Derain, Vlaminck) radicalisent le message
de Gauguin, et les cubistes (Braque, Picasso,
Gris) tirent les conséquences des leçons de
Cézanne. L’art nègre impressionne Picasso,
qui peint les Demoiselles d’Avignon (1907).
Debussy trouve la formule musicale pour se
libérer du drame wagnérien (Pelléas et Mélisande, 1902) ; les Ballets russes renouvellent
l’idée de spectacle total. L’année 1913 représente, de ce point de vue, un moment de
grâce : Proust publie Du côté de chez Swann
(à compte d’auteur !), Apollinaire Alcools ;
Braque expose la Femme à la guitare ; Stravinski crée le Sacre du printemps. Il s’agit là
d’une avant-garde dont le ressort, brisé en
août 1914, ne sera retendu qu’après la guerre.
Mais le XXe siècle est né.
RETOUR AU MYTHE
Si la capacité de survie d’une époque se mesure aux images qu’elle suscite rétrospectivement dans la mémoire collective, la Belle
Époque est, de toutes les périodes courtes
- à peine vingt ans -, celle qui provoque aujourd’hui encore une intense nostalgie quand
elle n’est pas une référence pour notre propre
fin de siècle.
Plusieurs facteurs semblent avoir contribué
à une telle élaboration légendaire. D’abord,
elle participe du mythe de l’âge d’or portant
avec son écume brillante les raisons mêmes de
son déclin : les âges d’or sont toujours crépusculaires ; vers 1890, personne n’aurait songé
à revendiquer son appartenance à une « belle
époque » ; en revanche, l’expression « fin de
siècle », alors largement répandue, suscitait
elle-même sa propre imagerie et dévoilait ses
hantises. Ensuite, des motifs - « l’Expo », la
« fée électricité », « l’aéroplane » ou « l’année
1900 » - constituent quelques-unes des représentations à forte charge symbolique facilitant
l’assimilation collective du caractère heureux,
voire frivole, de la Belle Époque, saisie à la fois
dans son dynamisme novateur et dans sa désuétude. Cette condensation se retrouve également dans les traces toujours perceptibles
qu’a laissées la période : la tour Eiffel, les ferronneries « nouille » des stations de métro de
Guimard, les affiches de Mucha, définissent
et figent un style, l’Art nouveau, au mépris
d’autres formes élaborées conjointement.
Enfin, l’usage généralisé de la photographie et
de la carte postale, à partir de 1889, et l’invention du disque phonographique (1893) et du
Cinématographe (1895) permettent, pour la
première fois dans l’histoire, d’enregistrer et
de conserver durablement les empreintes du
temps. Celles-ci sont rétrospectivement perçues comme des chromos nostalgiques couleur sépia, étranges par leurs images aux mouvements saccadés et leurs voix nasillardes.
Ainsi, parce qu’ils coïncident avec l’ère de la
reproduction technique, les poncifs de 1900
s’alimentent au moins autant aux archives traditionnelles de la mémoire qu’à ces sources
jusqu’alors inconnues, offertes non plus
seulement au chercheur mais au plus grand
nombre ; expliquant par là même, quoique en
partie seulement, la popularité du mythe de la
Belle Époque.
Belleville (programme de), programme
républicain présenté par Léon Gambetta à
Belleville, à l’occasion des élections du 23 mai
1869.
Candidat dans la première circonscription de
la Seine, Gambetta expose sous le titre Cahier
de mes électeurs et Réponse au cahier un « programme démocratique radical » fondé sur le
respect des libertés fondamentales. Ce programme, qui passe pour la première charte
du radicalisme, a été rédigé par des militants,
conformément « au droit et à la tradition des
premiers jours de la Révolution française ».
Invoqué à de multiples reprises par la
suite, ce texte est une critique violente du
cléricalisme - exigeant la suppression du
budget des cultes, la séparation de l’Église
et de l’État - et appelle à la suppression des
armées permanentes. Dans le domaine des
libertés publiques, ses ambitions sont vastes
et diverses : « abrogation de la loi de sûreté
générale », « liberté de la presse [...] débarrassée du timbre et du cautionnement », « liberté
de réunion », « abrogation de l’article 291 du
Code pénal » promulgué en 1810, renforcé
en 1834, qui déclarait illicites les associations réunissant plus de vingt personnes. En
d’autres termes, les grandes lois du ministère
Jules Ferry de 1881 - loi sur les réunions publiques, loi sur la presse - ainsi que la loi du
1er juillet 1901 sur les associations trouvent ici
leur inspiration. À ces propositions en faveur
du respect des libertés fondamentales s’ajoute
le souci de créer une « instruction primaire
laïque, gratuite et obligatoire », qui annonce
les lois scolaires de juin 1881 - sur la gratuité de l’enseignement primaire - et de mars
1882 - déclarant l’enseignement obligatoire et
laïque. Concernant les problèmes sociaux et
économiques, le programme de Belleville se
montre en revanche beaucoup plus vague et
prudent : en réponse aux voeux de ses électeurs, Gambetta souhaite « la suppression des
gros traitements et des cumuls », « la modifidownloadModeText.vue.download 90 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
79
cation du système d’impôts » et des réformes
économiques afin de « faire disparaître l’antagonisme social ». Ainsi, priorité est donnée
aux réformes politiques dont dépendent,
selon Gambetta, les réformes sociales ultérieures.
Ben Barka (affaire), enlèvement, le 29 octobre 1965, d’un opposant au gouvernement
marocain, exilé à Paris.
Mehdi Ben Barka, né à Rabat en 1920, milite,
dès 1944, au sein du parti de l’Istiqlal, pour
l’indépendance du Maroc. Révolutionnaire
et légaliste, tribun proche du petit peuple, il
devient, après l’accession à l’indépendance,
en 1956, président de l’Assemblée consultative marocaine. En désaccord avec le gouvernement, il crée en 1959 un parti d’opposition, l’Union nationale des forces populaires
(UNFP). Accusé de complot contre le prince
héritier, il s’exile et ne rentre au Maroc qu’en
mai 1962, après un appel à la réconciliation
lancé par Hassan II, devenu roi. Quelques
mois plus tard, en novembre, après avoir
échappé à un attentat, il s’exile de nouveau.
Ayant pris parti, lors de la « guerre des
sables », pour l’Algérie contre le Maroc, il est
condamné à mort par contumace dans son
pays. Le 29 octobre 1965, il est enlevé à Paris,
en plein Saint-Germain-des-Prés, devant la
brasserie Lipp : il serait tombé dans un piège
tendu par le ministre de l’Intérieur du Maroc,
le général Oufkir. L’aide apportée au gouvernement marocain par certains membres de
la police française et du « milieu » est avérée. L’information judiciaire ouverte à Paris
après cet enlèvement aboutit, en juin 1967, à
la condamnation du général Oufkir à la réclusion criminelle à perpétuité par contumace.
Mais l’affaire Ben Barka, qui envenima un
temps les relations franco-marocaines, reste
encore entourée de zones d’ombre.
bénédictins, moines cénobites qui suivent
la règle rédigée, au VIe siècle, par saint Benoît
de Nursie.
Préconisant la discretio (modération), l’équilibre entre la prière, le travail manuel et la
lectio divina (lecture et méditation de la Bible),
et insistant sur l’obéissance et l’humilité, cette
règle se diffuse dès le VIIe siècle. Elle ne prévoit
pas l’union de monastères, chaque communauté demeurant autonome. En 817, pour
rétablir l’observance, Benoîtd’Aniane propose
un commentaire de cette règle, qui l’infléchit
dans le sens de la liturgie ; mais son projet de
réunir au sein d’un ordre unique tous les monastères de l’Empire carolingien n’aboutit pas.
• Des monastères bénédictins... Dès le
Xe siècle se créent, à partir d’une maison mère,
des réseaux de dépendances qui observent
la même règle et des usages identiques. Si
Cluny est l’exemple le plus insigne, il n’est pas
unique : Gorze, Saint-Benoît-sur-Loire, SaintVictor de Marseille, sont des abbayes actives.
Le renouveau monastique des XIe et XIIe siècles
s’effectue au nom d’un retour à la pureté de
la règle bénédictine, ce qui n’exclut pas des
aspects érémitiques ou une action pastorale.
Ces réseaux se structurent selon des modalités différentes : centralisation dans l’ordre
clunisien, plus large autonomie des abbayes
dans l’ordre cistercien. Le monachisme bénédictin connaît une période d’apogée aux XIe et
XIIe siècles et exerce alors une forte influence
sur l’Église et l’ensemble de la société.
À l’initiative d’Innocent III, le concile du
Latran IV impose en 1215 aux monastères
bénédictins la tenue de chapitres provinciaux
tous les trois ans. Les réunions restent pourtant irrégulières. En 1336, par la constitution
Summa magistri, appelée communément
« bulle bénédictine », Benoît XII reprend ces
mesures dans le plan de réforme et d’unification qu’il propose pour le monachisme bénédictin. Mais la concurrence d’autres formes
de vie religieuse et les difficultés des XIVe et
XVe siècles entraînent un déclin non seulement
matériel, mais aussi moral des monastères.
Des réformes sont tentées à Saint-Benoît-surLoire, Fontevraud, Tiron, Cluny, etc., tandis
qu’à partir de 1479, l’abbaye de Chézal-Benoît
unit des monastères dans une congrégation
où l’accent est mis sur le respect des usages
anciens et l’austérité. Le concordat de 1516
attribue au roi la nomination des abbés.
• ... à l’ordre bénédictin. Interrompues
par les troubles du XVIe siècle, les mesures de
restauration reprennent après le concile de
Trente. La tendance est au regroupement et à
la centralisation au sein de congrégations monastiques. Certaines n’ont qu’une existence
éphémère : congrégation des Exempts (1580),
de Bretagne (1604), de Saint-Denis (1607).
Deux d’entre elles illustrent le renouveau bénédictin : Saint-Vanne (1604) et Saint-Maur
(1621) ; à la fin du XVIIe siècle, elles comptent
respectivement environ cinquante et deux
cents maisons. D’autres monastères restent
réunis dans la congrégation de Cluny, tandis
que les cisterciens se réforment en plusieurs
branches. Le dessein de Richelieu d’unir tous
les monastères bénédictins de France dans
une seule congrégation, dont il serait le supérieur général, échoue.
Mis à mal par la Révolution et l’Empire,
le monachisme bénédictin est restauré grâce
à dom Guéranger, qui, en 1833, fonde Solesmes, élevée en 1837 au rang d’abbaye mère
de la « congrégation de France de l’ordre de
Saint-Benoît ». L’idée de regrouper les monastères qui suivent la règle de saint Benoît
progresse. Le 12 juillet 1893, par le bref Summum semper, Léon XIII nomme un primat de
l’ordre bénédictin et établit la confédération
des congrégations bénédictines. Celles-ci ne
renoncent ni à leur indépendance, ni à leurs
coutumes, ni à leurs privilèges, mais l’existence de l’Ordo S. Benedicti (OSB) est désormais consacrée.
Les bénédictins ont joué un rôle important sur le plan non seulement religieux et
spirituel, mais aussi intellectuel et artistique.
Outre la copie et l’enluminure de manuscrits
liturgiques, les moines ont permis la transmission de textes antiques. En rédigeant chroniques, annales, livres de miracles, ils ont fait
oeuvre d’historiens. Cette tradition est reprise
au XVIIe siècle par la congrégation de SaintVanne et, surtout, par les mauristes, dont les
travaux d’érudition demeurent une des bases
de la recherche historique.
bénéfices ecclésiastiques, biens
destinés à financer un office ecclésiastique et
à donner à son titulaire des moyens de vivre.
Leur origine réside dans les dotations publiques ou donations privées que reçoit
l’Église au Moyen Âge. Dès le VIe siècle, les
évêques, plutôt que de les gérer eux-mêmes,
en divisent l’administration entre les divers
dignitaires du clergé séculier, qui possèdent
dès lors des bénéfices attachés à leur titre. Le
système s’étend plus tard aux ordres monastiques.
La collation des bénéfices est indépendante
de la tonsure et du sacrement de l’ordre. Cependant, l’inévitable confusion entre charge
spirituelle et détention temporelle crée très
vite un incessant conflit d’attributions entre
l’autorité religieuse et le pouvoir laïc. Dès le
VIIIe siècle, rois et seigneurs interviennent dans
la nomination des évêques et des curés, en
principe élus. La simonie (vente et trafic de
bénéfices) se développe, abus auquel va tenter
de mettre fin la réforme grégorienne. Le pape
Grégoire VII interdit (vers 1075) l’investiture
royale d’évêques ou d’abbés, déclenchant la
querelle des Investitures, très violente dans
l’Empire (Allemagne et Italie), mais beaucoup
moins dogmatique en France. Progressivement, l’idée s’impose que le roi peut procéder à l’attribution d’un bien épiscopal sans la
crosse ni l’anneau, symboles de l’investiture
spirituelle. En 1107, à Saint-Denis, le pape
Pascal II et les rois Philippe Ier et Louis VI
trouvent un compromis sur cette base, que
reprendront plus tard la pragmatique sanction de Bourges (1438) et le concordat de
Bologne (1516). Ce dernier rend le roi maître
des bénéfices majeurs ; d’autres collateurs, les
patrons (descendants de ceux qui ont fondé
le bénéfice), les évêques, distribuent les bénéfices comme des faveurs ou des récompenses :
tandis que le bas clergé vit dans la gêne, les
patrons se réservent des pensions sur les bénéfices et ne laissent au titulaire (le curé) que
la « portion congrue ».
L’Église a gravement pâti de ces pratiques.
Cependant, la Réforme catholique améliore
le système : si les collateurs ne renoncent pas
à leur droit de nomination, on impose des
conditions à l’accès aux bénéfices (obligation d’être passé par un séminaire, enquête
du Conseil royal...). La qualité du clergé progresse ainsi sensiblement au XVIIe siècle, tandis que les rois surveillent de près la « feuille
des bénéfices », état des bénéfices vacants et
des candidats possibles. À la fin de l’Ancien
Régime, on compte 95 000 « bénéficiers »,
nobles pour la plupart, ce qui illustre pour
une part la « réaction aristocratique ». La
nationalisation des biens du clergé le 2 novembre 1789 supprime, de facto, les bénéfices
ecclésiastiques.
Benoît d’Aniane (Witiza, saint), moine
réformateur (vers 750 - Inden, près d’Aix-laChapelle, 821).
Sa vie est connue par le récit de son hagiographe Ardon. D’origine wisigothique, il est
le fils du comte de Maguelonne, qui favorisa
l’établissement de la monarchie franque en
Septimanie lors de sa conquête par Pépin en
759. Witiza bénéficie ainsi d’une éducation
downloadModeText.vue.download 91 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
80
au palais, mais en 774, au cours de la campagne lombarde de Charlemagne, il décide de
se consacrer à Dieu. Pétri d’un idéal ascétique,
il expérimente, d’abord sans succès, la règle
de saint Benoît de Nursie à l’abbaye de SaintSeine, qu’il quitte en 779 pour fonder, sur sa
terre natale, une nouvelle expérience monastique. Après plusieurs tentatives communautaires que leur sévérité fait échouer, il se rapproche de la règle cassinienne et en fait la base
d’une fondation sur les bords de l’Anian, vers
782. S’appuyant sur cet établissement, Benoît
réforme nombre d’abbayes par l’introduction de la nouvelle vie régulière, puis rédige
un commentaire de la règle cassinienne (la
Concordia regularum) étoffé de références aux
règles alors pratiquées dans le monde franc.
Louis le Pieux donne à l’activité de Benoît
une nouvelle ampleur : ayant fait construire
pour lui, non loin d’Aix, le monastère d’Inden
(Cornelimünster), il le nomme supérieur de
tous les moines du royaume et le charge de
diffuser la réforme. Benoît prépare alors un
code général d’observances réglementant les
usages monastiques selon la règle bénédictine, qui est promulgué par l’assemblée des
abbés de l’Empire réunis à Aix en juillet 817.
Ce capitulaire monastique marque l’apogée
de l’oeuvre réformatrice et centralisatrice de
Benoît d’Aniane jusqu’au renouveau de Cluny
au Xe siècle.
Béranger (Pierre-Jean de), poète et chansonnier (Paris 1780 - id. 1857).
Marqué par l’épopée des soldats de l’an II,
admirateur de Bonaparte mais rétif au despotisme impérial, il écrit satires, odes et comédies avant de connaître la gloire en 1813
avec une chanson, le Roi d’Yvetot. L’éloge
d’un monarque « se levant tard, se couchant
tôt / dormant fort bien sans gloire », qui
« n’agrandit point ses États / fut un voisin
commode, / et, modèle des potentats, / prit
le plaisir pour code » est une charge contre
les tendances belliqueuses et autoritaires de
l’Empire. Béranger devient alors le chansonnier par excellence, et dit avoir épousé la
chanson « avec l’intention de la rendre digne
d’être présentée dans les salons de notre aristocratie, sans la faire renoncer pourtant à ses
anciennes connaissances, car il fallait qu’elle
restât fille du peuple ». Opposé à la Restauration, il met son immense popularité au
service des libéraux : il imagine une « sainte
alliance barbaresque » qui interdit Voltaire ;
il dénonce les jésuites et contribue à écrire
la légende napoléonienne. Cela lui vaut des
procès en 1821 et 1828, mais la prison sert
sa popularité. Guizot et l’association « Aidetoi, le ciel t’aidera » couvrent ainsi par souscription une amende de 10 000 francs qu’il
devait acquitter, et 100 000 exemplaires
d’un de ses recueils s’arrachent avant saisie
au début de 1830. Bien que la révolution de
Juillet réponde à ses voeux, il juge alors qu’on
« rebadigeonne / un trône noirci » et se tient
éloigné de Louis-Philippe, « planche pour
passer le ruisseau » vers la République. En
1848, il s’inquiète pourtant : « Nous avions
un escalier à descendre, et voilà qu’on nous
fait sauter un étage. » Élu à la Constituante, il
en démissionne aussitôt. Ses dernières années
sont assombries à la fois par des critiques malveillantes et par des soucis d’argent. Sa gloire
reste cependant telle que le Second Empire lui
réserve des funérailles officielles pour éviter
un cortège populaire incontrôlable.
De Hugo à Nerval, de Chateaubriand à
Michelet, les hommages des plus grands
écrivains se sont joints à ceux du public
populaire. Si les textes de ses chansons n’ont
pas toujours supporté l’épreuve du temps,
Béranger n’en a pas moins capté avec un art
consommé l’esprit d’une époque : incarnant
un mélange de libéralisme et de patriotisme,
il a su répondre aux aspirations d’une société
que le souvenir de l’aventure napoléonienne
et la médiocrité des années de Restauration
rendaient réceptive à son répertoire.
Berezina (bataille de la), défaite napoléonienne, les 27 et 28 novembre 1812, lors de la
retraite de Russie.
Après avoir évacué Moscou, puis Smolensk,
le corps de la Grande Armée est réduit à
49 000 soldats que suivent 40 000 retardataires désarmés. Napoléon est pourchassé
par les 30 000 hommes de Wittgenstein et
les 80 000 de Koutousov. À l’ouest, Tchitchagov, avec 34 000 soldats, doit lui couper
la retraite sur la Berezina ; d’ordinaire gelé à
cette période de l’année, le fleuve est en pleine
crue, donc infranchissable. Par chance, un
gué est découvert. Le 25 novembre 1812, une
diversion permet aux sapeurs du général Éblé
de construire deux ponts dans d’effroyables
conditions. Le lendemain, Oudinot franchit
la Berezina, s’établit sur la rive ouest et résiste
à Tchitchagov. Le jour même, le pont principal cède. Il est réparé alors que Wittgenstein attaque la rive est. Le 28, les Russes le
détruisent à nouveau, mais sont repoussés.
Dans la nuit du 28 au 29, presque toutes
les troupes françaises ont traversé le fleuve.
Mais les retardataires refusent de s’engager de
nuit. Lorsque, au matin, Éblé met le feu aux
ouvrages, c’est la panique : 30 000 non-combattants périssent noyés ou massacrés. Ajoutés aux 25 000 soldats français morts pour
assurer ce passage, c’est un lourd tribut que
paie Napoléon. Cet épisode tragique a laissé
des traces dans la langue familière, le terme
de « Berezina » devenant un synonyme de
désastre.
Bergery (Gaston), homme politique (Paris
1892 - id. 1974).
Avocat, spécialiste de droit international, partisan d’une politique conciliatrice envers l’Allemagne, il devient chef de cabinet d’Édouard
Herriot en 1924, avant de lui reprocher son
modérantisme. Député de Mantes en 1928,
il incarne l’extrême gauche du radicalisme,
défend l’alliance avec la SFIO, est proche des
communistes. En 1933, il fonde Front commun, qui séduit un temps Paul Langevin, des
socialistes comme Marceau Pivert et Georges
Monnet, ou Bernard Lecache, de la Ligue
contre l’antisémitisme. Mais il se heurte aux
partis de gauche pour lesquels l’antifascisme
n’est pas encore une priorité. Et son discours,
fondé sur l’ordre et l’autorité supposés aider
à combattre le fascisme, l’en rapproche. En
1936, isolé au Parlement alors qu’il se veut
l’aiguillon du Front populaire, il crée un petit
« parti frontiste », pacifiste et dirigiste. Le
frontisme dérive petit à petit vers la droite,
prône un anticapitalisme « national », copie
le cérémonial totalitaire, approuve les accords
de Munich et réclame, au nom de la paix, la
limitation du nombre de juifs dans l’appareil
d’État. Vichyste avant la lettre, puis conseiller
de Pétain et chantre de la Collaboration, Bergery ne peut cependant créer le parti unique
dont il rêve et doit se contenter de postes
d’ambassadeur, à Moscou puis à Ankara. Sa
carrière, faite de demi-échecs, s’arrête avec
l’effondrement des fascismes, qu’il a cru combattre avant de subir leur fascination, de les
imiter et, pour finir, de les servir. En 1949,
il comparaît devant la cour de justice de la
Seine, qui l’acquitte.
Berlin (conférence de), conférence internationale, tenue de novembre 1884 à février
1885, afin d’arbitrer les ambitions coloniales
européennes en Afrique centrale.
Organisée par l’Allemagne et la France, qui
entendent réglementer la multiplication des
missions d’exploration et de conquête dans
cette région d’Afrique, tout en y préservant leurs intérêts, elle rassemble, en outre,
douze autres puissances, parmi lesquelles la
Belgique, le Royaume-Uni, le Portugal et les
États-Unis. Deux principes essentiels y sont
adoptés : celui de la liberté de commerce et
de navigation dans le bassin du Congo, et
celui de l’occupation effective des territoires
conquis, désormais nécessaire pour valider
l’annexion d’un territoire d’Afrique centrale, à
condition que cette annexion soit notifiée aux
autres puissances. C’est cette dernière clause
qui est la plus débattue et la plus controversée. Elle a pu paraître consacrer un véritable
« partage de l’Afrique » entre les puissances
coloniales européennes. En fait, ce partage ne
va se réaliser que quelques années plus tard,
sur le terrain des opérations ; cependant, la
conférence de Berlin en formule déjà les modalités. Si le grand gagnant de cette rencontre
est le roi des Belges Léopold II, qui obtient
la reconnaissance de sa souveraineté directe
sur l’immense territoire du Congo, la France
préserve ses intérêts économiques dans ses
colonies d’Afrique-Équatoriale, ainsi que ses
chances éventuelles au Congo.
Bernadette Soubirous (BernardeMarie Soubirous, en religion soeur MarieBernard, sainte), témoin des apparitions
mariales de Lourdes. (Lourdes 1844 - Nevers
1879).
La figure de Bernadette occupe une place centrale dans l’attestation de la présence mariale
au sanctuaire de Lourdes qui a pris place au
XXe siècle parmi les premiers lieux de pèlerinage du monde.
Aînée de neuf enfants (dont cinq morts en
bas âge), Bernadette appartient à une famille
misérable de la petite ville pyrénéenne ; âgée
de 14 ans en 1858, elle ne sait ni lire ni écrire,
n’a pas fait sa première communion, s’exprime
en dialecte et habite un taudis, le « Cachot ».
Du 11 février au 16 juillet 1858, Bernadette
est le témoin de dix-huit apparitions à la
grotte de Massabielle, le long du gave de Pau ;
la « Dame » décline en dialecte son identité le
downloadModeText.vue.download 92 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
81
25 mars : « Je suis l’Immaculée Conception »
- dont le dogme a été proclamé en 1854 par le
pape Pie IX. Des foules immenses entourent
Bernadette, qui n’a jamais varié dans son récit
malgré les oppositions qu’il suscite, tandis
que se développe un culte miraculaire autour
de la grotte. Au terme d’une longue enquête
canonique, Mgr Laurence, évêque de Tarbes,
conclut le 18 janvier 1862 que « l’Immaculée
Marie, mère de Dieu, a réellement apparu à
Bernadette Soubirous ». Cette dernière quitte
Lourdes en 1866 pour le couvent Saint-Gildard des soeurs de la Charité de Nevers, où
elle meurt à l’âge de 35 ans. Elle est béatifiée
en 1925 et canonisée en 1933.
Bernadotte (Charles Jean-Baptiste
Jules), maréchal de France, roi de Suède et
de Norvège sous le nom de Charles XIV (Pau
1763 - Stockholm 1844).
En 1789, Bernadotte est sous-officier ; en
1794, la Révolution le fait général. Après avoir
combattu en Italie et dans l’Est, il se rapproche
des néo-jacobins et obtient le ministère de
la Guerre en 1799. Lors du coup d’État du
18 brumaire, il ne se joint pas à Bonaparte,
sans pour autant défendre la République. Il
critique le Consulat, mais son mariage avec
Désirée Clary, ancienne fiancée de Bonaparte,
lui permet de poursuivre sa carrière. Malgré
la méfiance qu’il inspire, il est ainsi nommé
maréchal en 1804 et prince de Ponte-Corvo en
1806. Son rôle dans les guerres de l’Empire est
secondaire. Ses relations lui permettent d’être
élu prince héréditaire de Suède par les états
généraux d’Öyrebro, le 21 août 1810. Surpris,
Napoléon accepte cette décision, pensant disposer d’un allié solide dans le nord de l’Europe. Mais Bernadotte participe à la coalition
antifrançaise de 1813. À la bataille de Leipzig
(octobre 1813), il est l’un des principaux artisans de la défaite de Napoléon, trahison qui
lui vaudra d’obtenir la Norvège au congrès de
Vienne (1814- 1815). Après avoir été écarté du
trône de France en 1814 en raison de l’opposition de Talleyrand, il est couronné roi de Suède
et de Norvège, en 1818.
Napoléon a porté un jugement sévère sur ce
militaire, ambitieux et doué pour la politique,
qu’il n’a su contrôler. Aujour-d’hui encore, les
descendants de Bernadotte règnent en Suède.
Bernard (Claude), physiologiste (Saint-Julien, Rhône, 1813 - Paris 1878).
Monté à Paris en 1834 après avoir été employé d’officine à Lyon, il renonce à une
éphémère vocation littéraire et entreprend
des études de médecine. Reçu docteur en
1843, il se détourne de l’hôpital pour se
consacrer à la recherche. Préparateur, puis
suppléant de François Magendie au Collège
de France, il lui succède en 1855 à la chaire
de physiologie expérimentale. Dans ses premiers travaux, il met en évidence le rôle du
suc gastrique et du pancréas dans la digestion et, surtout, la fonction glycogénique du
foie, expliquant ainsi magistralement, dans
sa thèse, le mécanisme du diabète sucré
(Recherches sur une nouvelle fonction du foie
considéré comme organe producteur de matière
sucrée chez l’homme et les animaux, 1853).
Dans ses leçons au Collège de France, à la
faculté des sciences de Paris puis au Muséum
d’histoire naturelle, il expose - recourant
volontiers à la vivisection - des recherches
pionnières sur la physiologie du système nerveux, la chaleur animale et les mécanismes
de régulation du vivant (Leçons de physiologie
expérimentale appliquée à la médecine, 1856).
Ainsi se dessine le concept central de l’oeuvre
bernardienne, celui de « milieu intérieur » :
constitué par les secrétions internes - le sang
et la lymphe - et réglé par l’activité nerveuse,
il offre au vivant, par sa stabilité, « une possibilité d’autonomie relativement aux variations de ses conditions d’existence dans le
milieu extérieur » (Canguilhem). Quant à
l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1865), elle promeut une méthode
expérimentale critique, fondée sur l’idée
« d’observation provoquée », sur le travail
du doute et de la contre-épreuve.
L’oeuvre de Claude Bernard constitue un
jalon essentiel dans l’histoire de la compréhension du vivant et celle de la médecine.
Elle reconnaît un déterminisme propre aux
fonctions biologiques et invite à penser la
maladie non plus comme une importation
dans l’organisme « d’entités morbides » mais
comme le dérèglement de phénomènes normaux, obéissant à des lois assignables. Affranchissant la physiologie aussi bien des réductions mécanistes d’origine cartésienne que des
doctrines vitalistes (Barthez, Bichat), Claude
Bernard l’institue comme la science expérimentale spécifique des corps vivants et de leur
déterminisme. Zola s’en inspirera, important
en littérature cet « homme physiologique »
sur lequel il érigera le « système » naturaliste
(le Roman expérimental, 1880).
Bernard (Samuel), banquier (Paris
1651 - id. 1739).
Fils d’un peintre ordinaire du roi, de confession réformée, Samuel Bernard commence sa
carrière comme marchand mercier en gros.
Son mariage en 1681 l’unit aux grandes
familles financières d’origine protestante,
même si lui-même abjure en 1685. Il devient
néanmoins rapidement le banquier des protestants émigrés ou étrangers. C’est le début
d’une ascension fulgurante. Après un rôle
actif de traitant dans les affaires financières
de la monarchie, Bernard abandonne cette
activité à partir de 1701 pour être banquier
de la cour, c’est-à-dire organisateur des paiements aux alliés et aux armées dans le cadre
de la guerre de la Succession d’Espagne. Son
crédit international assoit sa position, même
si ce sont en définitive les rentrées fiscales qui
garantissent le fonctionnement du système.
Interlocuteur obligé pour le roi et les siens
pendant quelques années, Bernard est durement touché par une banqueroute en 1709.
Après une éclipse, il refait surface à l’époque
de la Régence. En 1733 encore, il avance des
fonds à Stanislas Leszczy[‘]nski, beau-père
de Louis XV. Il s’intéresse aussi activement
aux grandes compagnies de commerce maritime. Comblé d’honneurs (anobli dès 1699, il
est fait comte de Coubert en 1725), Bernard
meurt au faîte de la richesse et de la réussite.
Il représente en son temps un cas exceptionnel d’osmose entre le monde du négoce
et de la banque, et celui des financiers de la
monarchie. À ce titre, il annonce, dès la fin
du règne de Louis XIV, les banquiers de cour
du XVIIIe siècle.
Bernard VII ! Armagnac
(Bernard VII, comte d’)
Bernard de Clairvaux (Bernard de
Fontaine, saint), moine et mystique, abbé de
Clairvaux (Fontaine-lès-Dijon 1090 - Clairvaux
1153).
Issu de la moyenne noblesse, le jeune Bernard fait ses études chez les chanoines de la
collégiale Saint-Vorles, à Châtillon-sur-Seine,
et en retire de solides connaissances bibliques
et littéraires. Optant pour la vie monastique,
il arrive à Cîteaux en 1112 (ou 1113) avec
trente compagnons, confortant ainsi le développement de ce monastère fondé en 1098
par Robert de Molesme. En 1115, il devient
abbé de Clairvaux, abbaye qu’il dirigera
jusqu’à sa mort.
Par sa personnalité et son rayonnement,
Bernard de Clairvaux est le principal instigateur de l’expansion cistercienne. Jusqu’en
1130, il se consacre au développement de
Clairvaux, puis, de sa propre initiative ou sollicité, il se trouve impliqué dans les grandes
affaires de l’Église. Paradoxalement, alors que
l’ordre cistercien prône la fuite du monde, il
ne cesse de se mêler aux problèmes de son
temps et vit fréquemment loin de son monastère. Il intervient dans les élections épiscopales, souvent pour faire triompher ses candidats, et s’intéresse à la réforme du clergé
séculier. En 1130, lors de la double élection
pontificale, il soutient Innocent II contre Anaclet II. Le 31 mars 1146, à Vézelay, il lance un
appel pour la deuxième croisade, préoccupation qui s’est déjà exprimée quelques années
auparavant dans À la louange de la milice nouvelle, texte soutenant l’ordre des Templiers.
L’action qu’il mène contre l’hérésie cathare
rencontre toutefois peu de succès. Bernard
de Clairvaux intervient également dans les
débats dogmatiques. Accusant Abélard de
soutenir des thèses théologiques contestables,
il obtient sa condamnation par le concile de
Sens en 1140. En revanche, en 1148, il ne
parvient pas à faire sanctionner par le concile
de Reims Gilbert de La Porrée, théologien et
évêque de Poitiers.
Doté de réels talents d’écrivain, Bernard de
Clairvaux rédigea plus de cinq cents lettres,
ainsi que des traités : De la considération, Sur
les degrés de l’humilité et de l’orgueil, Sur la
grâce et le libre arbitre, Sur l’amour de Dieu,
Homélies à la louange de la Vierge Mère... Son
mysticisme s’exprime dans les quatre-vingtsix Sermons sur le Cantique des cantiques,
ouvrage resté inachevé. Il a bénéficié d’un
immense prestige et exercé une profonde influence, qui ne se limite pas au monachisme,
qu’il fut tenté d’imposer comme modèle à la
société. Personnalité complexe et passionnée
- ce qui a pu le conduire à l’intolérance -,
représentant de la théologie monastique, il n’a
cependant pas toujours su saisir les évolutions
du XIIe siècle. Il a été canonisé en 1174.
downloadModeText.vue.download 93 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
82
Bernard Gui, inquisiteur de l’évêché de
Toulouse (Royère, Creuse, 1261 - Lodève, Hérault, 1331).
Entré à l’âge de 19 ans chez les Frères prêcheurs de Limoges, dans l’ordre des dominicains fondé un siècle plus tôt pour combattre les hérésies du sud de la France, il
circule dans les différents couvents de l’ordre,
puis devient, en 1307, prieur de Limoges et
inquisiteur pour le compte du tribunal de
Toulouse, charge qu’il occupe jusqu’en 1323.
Ayant effectué plusieurs missions pour le
pape Jean XXII, il est nommé en 1324 évêque
de Lodève. Mais c’est surtout à sa charge d’inquisiteur qu’il doit sa célébrité. Il rédige en
effet une Pratique de l’office d’inquisition, plus
connue sous le nom de Manuel de l’inquisiteur,
où il analyse les hérésies vaudoise et cathare,
précise les procédures inquisitoriales et dresse
un barème des peines applicables. Il semble
avoir été lui-même relativement modéré dans
l’exercice de l’Inquisition, livrant rarement les
accusés au bras séculier de la justice, qui appliquait les peines de sang. Son Manuel paraît
cependant avoir été peu employé. Auteur de
plusieurs ouvrages de théologie et de liturgie,
Bernard Gui est aussi un historien prolixe et
honnête, un compilateur scrupuleux de documents, abondamment utilisé par les historiens
de la papauté d’Avignon.
Bernis (François Joachim de Pierre, cardinal de), prélat et homme po-litique (SaintMarcel-en-Vivarais, aujourd’hui Saint-Marcel-d’Ardèche, 1715 - Rome 1794).
Issu d’une famille d’ancienne noblesse militaire languedocienne, il fait, grâce à la protection de Fleury, de bonnes études au collège
Louis-le-Grand. Son caractère, sa brillante
conversation et quelques publications poétiques lui valent rapidement une reconnaissance mondaine, au point qu’il est élu à l’âge
de 29 ans à l’Académie française (1744). La
protection de Mme de Pompadour lui permet
d’obtenir une ambassade à Venise en 1751,
d’entrer au Conseil en 1755 et de devenir secrétaire d’État aux Affaires étrangères
en 1757. Il est l’un des principaux négociateurs du rapprochement de la France avec les
puissances catholiques continentales, et en
particulier l’Autriche, ce qui lui vaut d’être
créé cardinal en 1758. Mais les succès de
Frédéric II lors de la guerre de Sept Ans le
poussent à la conciliation, en opposition avec
le parti de la marquise de Pompadour. Cette
indépendance à l’égard de la favorite entraîne
sa disgrâce. Revenu en faveur, il est nommé
archevêque d’Albi (1764), et se consacre à
l’administration de son diocèse, où il réside.
Chargé des affaires de France auprès du
Saint-Siège (1769), il s’associe à la décision de
Clément XIV de dissoudre la Compagnie de
Jésus (1773). En raison de son refus de prêter
serment à la Constitution civile du clergé et
de son opposition à la Révolution, il est destitué en 1791. Auteur de poèmes et de textes
divers édités de son vivant, il laisse également
une correspondance avec Voltaire (publiée en
1790), ainsi que des Mémoires et des lettres,
parus en 1878.
Berry, ancienne province de France, dans le
centre du pays, dont les limites correspondent
pour l’essentiel à celles des actuels départements du Cher et de l’Indre.
Formé à l’époque celtique du territoire des
Bituriges, soumis par César, le Berry est intégré à la province romaine d’Aquitaine, avant
d’être envahi par les Wisigoths vers 469.
Conquis par les Francs, disputé entre les différents royaumes mérovingiens, il est érigé
en comté indépendant au VIe siècle. Soumis
à l’hostilité conjointe des ducs d’Aquitaine
et des comtes de Blois, démembré autour de
930, le Berry entre en plusieurs étapes dans
le domaine royal : la partie orientale, autour
de Bourges, est acquise sous le règne de Philippe Ier, près de deux siècles avant que l’ensemble de la région soit placé sous le contrôle
des Capétiens. En 1360, le roi Jean II le Bon
érige le Berry en duché et le donne en apanage, assorti de l’Auvergne, à son troisième
fils, Jean, qui en fait le coeur d’une principauté
puissante dotée d’une administration développée et d’une cour fastueuse. À la mort du
duc, en 1416, le Berry retourne à la couronne,
avant d’être donné au dauphin Charles. Lors
de l’occupation anglaise, le Berry devient ainsi
le refuge et le symbole de la résistance des
Valois, le point de départ de la reconquête du
royaume entreprise par Charles VII, qui n’est,
à l’origine, que le « petit roi de Bourges ».
Confié par la suite à plusieurs cadets royaux,
dont Charles de France, le frère de Louis XI,
le Berry n’est définitivement réuni à la couronne qu’en 1584.
Berry (assassinat du duc de), assassinat,
le 13 février 1820, du second fils du comte
d’Artois (futur Charles X), qui était destiné à
monter sur le trône de France à la mort de
son père.
Cet événement marque un tournant majeur
dans l’histoire politique de la Restauration,
car il favorise le retour au pouvoir des ultraroyalistes. En effet, ces derniers sont irrités,
depuis l’arrivée au pouvoir des constitutionnels en septembre 1816, par les progrès du
libéralisme. Ainsi, en 1819, sous le gouvernement Decazes, les lois de Serre ont aboli la
censure pesant sur la presse, et les élections
législatives ont permis aux libéraux de remporter les deux tiers des sièges à pourvoir.
En réponse aux inquiétudes de la droite,
Decazes se fait alors le défenseur de l’ordre :
il nomme de nouveaux ministres désireux de
se rapprocher des ultraroyalistes et prépare
une nouvelle loi électorale donnant droit à
un double vote aux électeurs les plus imposés. C’est la veille du jour où la bataille doit
être engagée à la Chambre en faveur de cette
loi que survient l’événement. Le duc de Berry
sort de l’Opéra quand l’ouvrier sellier Louvel le poignarde : le prince meurt quelques
heures plus tard alors que le gouvernement
craint une émeute, persuadé que Louvel
n’a pas agi seul. En réalité, l’assassinat ne
déclenche contre Decazes que les foudres
des ultraroyalistes. L’attitude initialement
libérale du ministre est jugée responsable
de la conjoncture politique qui a favorisé le
crime. Le 20 février, Louis XVIII se résout à
renvoyer Decazes : « Les pieds lui ont glissé
dans le sang », commente Chateaubriand.
Berry (Jean de France, duc de), troisième
fils du roi Jean le Bon et de Bonne de Luxembourg (Vincennes 1340 - Paris 1416).
Jean de France est fait comte de Poitiers
en 1356, puis duc de Berry et d’Auvergne
en 1360, lorsque le Poitou est restitué par
le traité de Brétigny au roi d’Angleterre. La
même année, il épouse Jeanne d’Armagnac,
fille du comte Jean Ier d’Armagnac, puis devient otage en Angleterre à la place du roi son
père. Pendant toute la durée de son règne, de
1364 à 1380, Charles V tient son frère Jean de
Berry à l’écart des affaires, lui confiant parfois
le commandement d’expéditions militaires en
Languedoc. À la mort de Charles V, les oncles
du jeune Charles VI, dont le duc de Berry,
tiennent le gouvernement du royaume. Jean
de Berry, lieutenant du roi en Languedoc, s’y
enrichit exagérément. Très impopulaire, il
est écarté du gouvernement de 1388 à 1392,
lorsque y reviennent les marmousets, anciens
conseillers du roi Charles V. Mais la folie de
Charles VI permet aux oncles du roi de reprendre le pouvoir. Le duc de Berry partage
alors son temps entre son duché, ses châteaux
et le Conseil du roi. S’il soutient d’abord son
frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne,
contre le duc d’Orléans, frère de Charles VI, il
se pose en médiateur, à partir de 1404, dans le
conflit plus sévère qui oppose Louis d’Orléans
à Jean sans Peur, nouveau duc de Bourgogne.
Lorsque Louis d’Orléans est assassiné en
1407, Jean de Berry tente d’arbitrer le conflit,
puis penche en faveur du duc d’Orléans en
1410. Il intervient encore avant Azincourt :
afin d’éviter que le roi ne soit fait prisonnier,
comme Jean le Bon en 1356 à la bataille de
Poitiers, il retient à Rouen Charles VI et le
dauphin.
Piètre politique, Jean de Berry reste dans
l’histoire comme un grand mécène et un collectionneur exceptionnel, qui fait appel aux
plus brillants architectes et sculpteurs pour
embellir ses châteaux et son hôtel parisien.
Grand amateur de livres, il entretient des ateliers d’enluminure dans tous ses domaines.
Conservées à Chantilly, les Très Riches Heures
du duc de Berry, peintes par Pol et Hennequin
de Limbourg, sont le plus luxueux de ces
manuscrits.
Berry (Marie-Caroline de Bourbon-Sicile,
duchesse de), fille de François Ier, roi des
Deux-Siciles, et de Marie-Clémentine d’Autriche (Palerme 1798 - Brünnsee, Autriche,
1870) ; épouse du duc de Berry, de vingt ans
son aîné et fils du futur Charles X.
L’ultraroyalisme de son mari vaut à celui-ci,
en 1820, le coup de poignard fatal de Louvel,
qui voulait ainsi provoquer l’extinction de la
branche aînée des Bourbons : geste inutile,
puisque, quelques mois plus tard, la duchesse
mettra au monde un fils posthume, le duc de
Bordeaux, futur comte de Chambord et prétendant au trône sous le nom d’Henri V, salué
comme « l’enfant du miracle » ; une naissance
semble assurer l’avenir de la dynastie.
Lors de la révolution de 1830, Marie-Caroline suit Charles X en exil, puis se lance, en
downloadModeText.vue.download 94 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
83
1832, dans une conspiration qui va ridiculiser
la cause légitimiste : elle tente de soulever la
Provence, puis la Vendée, pour faire proclamer roi son fils, se cache plusieurs mois à
Nantes, y est arrêtée, puis emprisonnée à la
citadelle de Blaye, où, pendant sa détention,
elle accouche d’une fille ! Libérée en 1833,
elle épouse le comte Lucchesi-Palli, diplomate
sicilien, qui endosse la paternité de « l’enfant
de la Vendée », et lui en fera quatre autres. Par
la suite, elle ne joue plus aucun rôle politique,
ni dans l’éducation d’Henri V.
La duchesse de Berry avait du courage et
un esprit d’intrigue qui lui tenait lieu de sens
politique. Sa gaieté anima la cour morose et
compassée des derniers Bourbons (elle lança
la mode des bains de mer, en 1824, à Dieppe).
Son caractère romanesque et généreux l’a
rendue assez populaire, et a séduit plusieurs
historiens. L’épopée tragicomique de 1832
la fit entrer dans la légende royaliste, où elle
incarna, en plein style « troubadour », un renouveau de l’esprit chevaleresque. Son emprisonnement à Blaye et le scandale organisé par
le gouvernement de Louis-Philippe autour de
sa grossesse irritèrent profondément les légitimistes et contribuèrent à priver la monarchie
de Juillet du soutien d’une partie des notables.
Berryer (Pierre Antoine), avocat et homme
politique (Paris 1790 - Augerville-la-Rivière,
Loiret, 1868).
Celui que ses contemporains ont considéré
comme « le plus grand des orateurs français » (Cormenin, 1838) est lui-même le fils
d’un avocat parisien ; il débute au barreau
dès 1812 et défend, aux côtés de son père,
le maréchal Ney en 1815. Il prend parti, dès
la première Restauration, pour la monarchie
et se rallie à la branche aînée des Bourbons :
par-delà une grande indépendance de caractère, il demeure sa vie durant le plus éloquent
porte-parole de la cause légitimiste. Sa longue
carrière d’avocat le porte à défendre avec générosité et talent les causes les plus diverses :
le général Cambronne en 1815, Lamennais en
1826, Chateaubriand en 1831, la duchesse de
Berry en 1832, Louis Napoléon Bonaparte en
1840, les ouvriers typographes parisiens en
1863. Sa carrière politique le range parmi les
ultraroyalistes de la Restauration : il attaque
violemment Decazes en 1816 et collabore au
Drapeau blanc et à la Quotidienne. Député de
la Haute-Loire en mars 1830, il soutient le ministère Polignac. Représentant des Bouchesdu-Rhône sous la monarchie de Juillet et la
IIe République, il est le principal orateur de
l’opposition catholique et légitimiste, et défend parfois des positions libérales et démocratiques. Au lendemain du coup d’État de
1851, il est élu à l’Académie française (février
1852). À nouveau député de Marseille en
1863, il siège alors dans l’opposition légitimiste et libérale.
Bert (Paul), physiologiste et homme politique (Auxerre 1833 - Hanoi 1886).
Issu d’une famille bourgeoise de tradition voltairienne, Paul Bert poursuit de 1852 à 1857
des études de droit. Puis, cédant à sa vocation,
il s’inscrit à la faculté de médecine, où il se lie
avec Claude Bernard, auquel il succédera à la
Sorbonne. Agrégé d’histoire naturelle, docteur
en médecine (1863) puis en sciences naturelles
(1866), ce futur promoteur de l’enseignement
féminin épouse en 1865 une jeune Écossaise de
18 ans, de confession anglicane. Leur mariage
est béni à l’ambassade de Grande-Bretagne, ce
qui n’empêche pas Paul Bert de se déclarer, peu
après, évolutionniste et matérialiste. Sa carrière
politique commence au lendemain du 4 septembre 1870. Député gambettiste de l’Yonne
à partir de 1872, il devient rapporteur permanent de la commission d’enseignement de la
Chambre. Après l’adoption de son projet de
loi sur les écoles normales départementales, le
9 août 1879, il soutient fermement la politique
de Jules Ferry, qu’il remplace brièvement dans
le « grand ministère » Gambetta (14 novembre
1881-26 janvier 1882). Président perpétuel de
la Société de biologie, membre de l’Académie
des sciences (1881), il prend le temps d’écrire
des manuels de vulgarisation. Partisan résolu
de l’entreprise coloniale, il est nommé résident
général au Tonkin le 31 janvier 1886, et entretient de bonnes relations avec les missionnaires
français. Chez le vice-président de l’Union de
propagande démocratique anticléricale, l’anticlérical s’est rendu aux raisons du patriote.
Berthelot (Marcelin), chimiste et homme
politique (Paris 1827 - id. 1907).
Depuis le Collège de France, où il devient,
à 23 ans, le préparateur de Balard, jusqu’au
ministère de l’Instruction publique et des
Beaux-Arts (1886), puis au ministère des
Affaires étrangères (1895-1896), la carrière
de Marcelin Berthelot, comblé d’honneurs,
est exemplaire du rôle dévolu aux savants à
l’âge du positivisme triomphant : professeur
de chimie organique à l’École supérieure de
pharmacie (1859) et au Collège de France
(1865), membre de l’Académie des sciences
(1873) et de l’Académie française (1901),
sénateur inamovible (1881), il entre au Panthéon à sa mort, en 1907.
Son oeuvre, consacrée principalement à
la synthèse organique et à la thermochimie,
excède la chimie ; ses intérêts portent également Marcelin Berthelot vers l’archéologie et
la politique. Mais, au-delà de cet éclectisme
apparent, Berthelot fait du scientisme sa
religion : ainsi considère-t-il que le bonheur
et le bien-être s’acquièrent par « la connaissance exacte des faits, par la conformité de
nos actes avec les lois constatées des choses ».
Aussi son oeuvre publique s’attache-t-elle à
favoriser l’enseignement et la recherche - inspecteur général de l’enseignement supérieur
en 1876, il crée par exemple les maîtrises de
conférence. Parfois, cependant, sa méfiance
à l’égard des prétentions de la « science spéculative » l’entraîne à commettre des erreurs,
notamment lorsqu’il refuse la théorie atomique (1877), qu’il finira par adopter.
Berthier (Louis Alexandre), maréchal de
France, prince de Neufchâtel et de Wagram
(Versailles 1753 - Bamberg, Allemagne, 1815).
Berthier entre dans l’armée à 11 ans. Après
avoir intégré le corps royal d’état-major,
il combat en Amérique. Lieutenant-colonel
lorsque la Révolution éclate, il est nommé
major général de la Garde nationale à Versailles. Peu attaché aux idées révolutionnaires,
il protège la famille royale, ce qui le rend suspect. Suspendu en septembre 1792, il sert
en Vendée de mai à juillet 1793. Après une
seconde destitution, il est nommé à l’état-major de l’armée des Alpes et d’Italie en 1795.
Son destin est alors lié à celui de Bonaparte,
qui remarque ses qualités lors des campagnes d’Italie et d’Égypte, puis en fait son
ministre de la Guerre de 1799 à 1807. Mais
c’est surtout en tant que chef d’état-major
de la Grande Armée qu’il s’illustre, assurant
notamment une transmission très efficace des
informations et des ordres. Sa fidélité à l’Empereur lui vaut tous les honneurs : élevé à la
dignité de maréchal d’Empire en 1804, puis à
celle de major-général de la Grande Armée en
1805, il est fait prince de Neufchâtel en 1806
et prince de Wagram en 1809. Cependant,
lorsque Napoléon Ier abdique en 1814, Berthier se rallie immédiatement à Louis XVIII.
Retenu au château de sa famille à Bamberg par
les coalisés, qui craignent de le voir rejoindre
l’Empereur pendant les Cent-Jours, il y meurt,
dans d’obscures circonstances.
Berthollet (Claude Louis), chimiste (Talloires 1748 - Arcueil 1822).
Issu d’une famille de la noblesse de robe
savoyarde, Berthollet étudie la médecine à
Turin, avant de monter à Paris en 1772. Il
s’intéresse alors à la chimie, se rallie aux vues
radicalement nouvelles de Lavoisier en 1785,
et oeuvre avec lui, en compagnie de Fourcroy
et de Guyton de Morveau, à la publication de
la Méthode de nomenclature chimique (1787),
qui jette les bases de la chimie moderne. Soucieux de trouver des applications pratiques
à ses travaux, il invente un procédé de blanchiment du textile, à base d’hypochlorite de
potassium, plus connu sous le nom d’« eau
de Javel ». Personnalité scientifique en vue, il
participe activement à l’effort révolutionnaire :
membre de nombreuses commissions, il rédige, en 1793, avec Monge et Vandermonde,
des ouvrages destinés aux industries militaires ; il enseigne la fabrication des poudres
à l’École des armes, puis la chimie à l’École
normale et à Polytechnique. Nommé à l’Institut dès 1795, il suit Bonaparte en Italie et en
Égypte. Sénateur en 1799, comte en 1808, il
se tourne de nouveau vers la recherche. Il publie un Essai de statique chimique (1803) dans
lequel il s’efforce d’élaborer un système théorique. Quelques années après, il fonde avec
Laplace la Société d’Arcueil, en vue d’aider
les jeunes savants : très active jusqu’en 1813,
celle-ci disparaît à sa mort. « Chimiste le plus
connu du public », selon Cuvier, Berthollet
est une figure emblématique de la génération
des scientifiques qui ont investi le pouvoir
politique lors de la Révolution.
Bertin (Henri Léonard Jean-Baptiste),
comte de Bourdeille, magistrat et homme
politique (Périgueux 1720 - Aix-la-Chapelle
1792).
Issu d’une famille de la noblesse de robe
du Périgord, Bertin est reçu avocat au parlement de Bordeaux en 1749, avant d’occuper de grandes charges dans la magistrature.
Conseiller, puis maître des requêtes en 1745,
downloadModeText.vue.download 95 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
84
il préside le Grand Conseil en 1749. D’abord
intendant du Roussillon puis de Lyon, de
1754 à 1757, Bertin développe le tissu économique et industriel de la région lyonnaise.
Il est ensuite nommé lieutenant général de
police, puis, en 1759, devient contrôleur général des finances. Il pourvoit notamment aux
dépenses de la guerre de Sept Ans.
Bertin compte parmi les hommes politiques qui ont favorisé le développement de
l’appareil administratif, le rôle de la finance
et la mainmise de l’État sur les corps représentatifs. Il est aussi l’un des promoteurs de
l’expérience libérale. Membre de l’élite de
la « secte » des physiocrates, il autorise, en
1760, la libre circulation des grains. Il contribue aussi à la fondation de deux écoles vétérinaires, à Lyon en 1762 et à Alfort en 1766. Résignant sa charge au contrôle général en 1763,
il exerce cependant une influence jusqu’en
1780, car il conserve un secrétariat d’État très
actif. Les compétences de Bertin s’étendent
à la plupart des activités économiques du
royaume et au dépôt des Archives, qu’il crée
en 1774. Necker ayant mis fin à sa carrière, il
se retire près de Paris.
Bertin l’Aîné (Louis François, Bertin, dit),
journaliste politique (Paris 1766 - id. 1841).
Fils du secrétaire du duc de Choiseul, le royaliste Louis François Bertin fut considéré par
ses contemporains comme une référence en
matière de journalisme politique. Dès le début
de la Révolution, il collabore à divers journaux,
puis entre en 1795 à l’Éclair, feuille de la réaction royaliste interdite après le coup de force
des directeurs républicains du 18 fructidor an V
(4 septembre 1797). Proscrit, Bertin se cache
jusqu’au coup d’État de Bonaparte (18 brumaire an VIII, 9 novembre 1799), après lequel
il fonde le Journal des débats, qui se distingue par
des attaques allusives contre le Premier consul.
Emprisonné en 1800 au Temple puis exilé en
Italie, Bertin reprend, en 1804, la direction de
sa feuille censurée, devenue Journal de l’Empire,
jusqu’à sa confiscation par l’État en 1811. Il
retrouve en 1814 sa position, et le journal peut
paraître sous son ancien titre grâce au retour
des Bourbons. Sous la Restauration, le Journal
des débats est un défenseur du régime jusqu’à la
disgrâce, en 1823, de Chateaubriand, collaborateur, protecteur et ami de Bertin depuis leur
rencontre à Rome en 1803. Après la révolution
de Juillet, il est l’organe de la haute bourgeoisie constitutionnelle et soutient la dynastie des
Orléans.
Le célèbre tableau d’Ingres, représentant
M. Bertin assis de face « comme un César
bourgeois » (Théophile Gautier) et exposé au
Salon de 1833, immortalise ce personnage qui
incarne la réussite sociale des notables.
Bérulle (Pierre de), théologien (Sérilly,
Champagne, 1575 - Paris 1629).
Bien que destiné à la carrière de robe par une
famille de la noblesse parlementaire, Pierre
de Bérulle s’engage dans la prêtrise. Cette
vocation sincère reflète le renouveau spirituel français du « demi-siècle des saints ». Le
jeune clerc fait partie du cercle de Mme Acarie
et déploie une activité tridentine dans le domaine théologique, spirituel et disciplinaire.
Le prêtre se démarque de l’humanisme dévot
en rejetant le stoïcisme chrétien. D’abord influencé par la théologie abstraite (Bref discours
de la perfection chrétienne, 1597), il fonde dans
sa maturité une synthèse christocentrique originale, influencée par les Exercices spirituels
d’Ignace de Loyola. Dans son traité le plus
célèbre (Discours de l’état et des grandeurs
de Jésus, 1623), il organise la piété sur une
méditation pénitentielle de la vie du Christ,
seconde création seule apte à unir le chrétien
à la divinité malgré le péché originel.
Mais Pierre de Bérulle est aussi un clerc
engagé dans le monde. Il se mêle à la controverse religieuse contre les antipossessionnistes
et contre les réformés. Néanmoins, il s’investit davantage dans la réforme du clergé. Il
oeuvra à l’installation du premier carmel thérèsien à Paris en 1602 et fonde l’Oratoire en
1611, une congrégation de prêtres qui vise
à former des clercs souvent peu préparés au
sacerdoce. En outre, Pierre de Bérulle est le
maître spirituel du parti dévot. Tenant d’une
triple alliance avec l’Espagne et Rome contre
les États protestants, il s’oppose à la politique
anti-habsbourgeoise de Richelieu. En 1627,
Urbain VIII le crée cardinal ; mais il connaît la
disgrâce royale en 1629, quelques mois avant
sa mort survenue au cours de la célébration
d’une messe.
Pierre de Bérulle symbolise la réussite
d’une école française de spiritualité, mais aussi
l’échec du rêve d’une chrétienté européenne
désormais limitée par les intérêts nationaux.
bête du Gévaudan ! Gévaudan
(bête du)
Beuvray (mont), oppidum gaulois, site de
l’ancienne capitale des Éduens, Bibracte.
Il est situé au sud des monts du Morvan, à
cheval sur plusieurs communes, notamment
Glux-en-Glenne (Nièvre) et Saint-Léger-sousBeuvray (Saône-et-Loire), entre Château-Chinon et Autun.
Protégé par sa situation géographique
(820 mètres d’altitude), l’oppidum était entouré de deux remparts, dont le plus grand,
reconnu sur près de 7 kilomètres, enserrait
une superficie d’environ 195 hectares. Pouvant atteindre 4 mètres de hauteur, le rempart interne, du type murus gallicus, était
constitué d’un parement de pierre, d’une
armature de poutres clouées et d’un bourrage
de terre. On pénétrait dans la ville par plusieurs portes - sans doute une dizaine -, dont
la plus grande, au nord-est, large de près de
20 mètres, était munie d’un système d’entrée
en tenaille.
Les vestiges d’occupation retrouvés à l’intérieur datent, pour l’essentiel, du Ier siècle avant
notre ère. Ils révèlent un urbanisme très organisé : plusieurs rues, dont la principale atteint
14 mètres de large, et des quartiers spécialisés.
Les artisans, notamment émailleurs, forgerons
et bronziers, possédaient des demeures modestes, à proximité des remparts, dans la partie nord-est. La zone des sanctuaires se trouvait au sud. Au centre de l’oppidum, au milieu
de la rue principale, a été découvert un grand
bassin ovale en pierres appareillées, dont la
fonction était sans doute religieuse. Les notables occupaient les quartiers résidentiels, au
sud-ouest ; leurs riches demeures, construites
selon un plan romain - avec atrium, péristyle,
bains, jardins intérieurs -, et parfois décorées
de fresques, étaient implantées le long de rues
bordées de trottoirs et de galeries. Cette influence romaine tient aux rapports pacifiques,
essentiellement commerciaux, qui liaient les
Romains et les Éduens, proclamés « frères du
peuple romain » dès 125 avant J.-C. Les mil-
liers d’amphores à vin romaines retrouvées
au mont Beuvray témoignent de l’importance
des échanges.
C’est pourtant à Bibracte que Vercingétorix est proclamé, en 52 avant J.-C., chef de
la coalition de tous les peuples gaulois révoltés contre César. L’hiver suivant, ce dernier y
rédige la Guerre des Gaules, après sa victoire
d’Alésia. Mais, au début du Ier siècle après J. C.,
le site, dont la position élevée et retirée s’avère
malcommode, est progressivement abandonné au profit d’une nouvelle ville fortifiée
fondée par l’empereur Auguste : Augustodunum, l’actuelle Autun.
Redécouvert au XIXe siècle, le site a fait
l’objet de fouilles menées par Bulliot, de 1867
à 1887, puis par son neveu, le grand archéologue Joseph Déchelette, de 1897 à 1901. Ce
dernier, comparant le matériel découvert ici
avec celui trouvé sur d’autres sites à travers
l’Europe - et jusqu’en Bohême -, a ainsi défini
la période finale de la civilisation celtique, dite
de « La Tène ». Depuis 1985, des fouilles de
grande ampleur ont entraîné la mise au jour
de nombreux vestiges. Un musée de la civilisation celtique a été créé sur le site même.
Bèze (Théodore de), théologien et écrivain
protestant (Vézelay 1519 - Genève 1605).
Après des études juridiques à Orléans et à
Paris, Théodore de Bèze mène une existence
mondaine ; il publie même un recueil de
poèmes amoureux. Converti au protestantisme (1548), il s’enfuit à Genève, où il est
accueilli par Calvin. Toute son existence sera
désormais consacrée à la Réforme. Jusqu’en
1558, il enseigne le grec à Lausanne. Chef
de la délégation protestante au colloque de
Poissy (1561), il prend part à la première
guerre de Religion. C’est en 1564, à la mort de
Calvin, qu’il devient chef de l’Église réformée
de Genève. Jusqu’à sa mort, il y traitera les
affaires ecclésiastiques avec un remarquable
sens de la conciliation. Face aux persécutions
qui ensanglantent la France, il coordonne l’action des huguenots ; après le massacre de la
Saint-Barthélemy (1572), il lance un vibrant
appel à la lutte contre la tyrannie. Durant les
dernières décennies du siècle, il échange une
correspondance abondante avec les personnalités politiques et intellectuelles de l’Europe
entière. Il rédige également une tragédie biblique, Abraham sacrifiant (1550), considérée
comme son chef-d’oeuvre littéraire.
À la fois écrivain, négociateur, théologien
aux argumentaires redoutables, enseignant
et prédicateur, Théodore de Bèze n’est pas
un simple épigone de Calvin : sans doute sa
culture humaniste a-t-elle contribué à l’éloigner des rigidités doctrinales de son prédécesseur.
downloadModeText.vue.download 96 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
85
bibliothèque bleue, terme générique
désignant des opuscules destinés à un public
populaire.
Ces livrets sont de petite taille et comptent
quelques feuillets, imprimés à moindre frais
sur du mauvais papier, brochés sans grand
soin et sous une couverture bleue, la couleur
du pauvre.
• Les origines troyennes. Vers 1600, Nicolas Oudot, voulant se libérer du centralisme
de l’édition parisienne et conscient du succès des canards, installe une imprimerie à
Troyes afin de publier des brochures destinées au plus grand nombre. Son rapide succès donne naissance à une dynastie, qui tisse
des alliances avec d’autres imprimeurs, depuis Paris jusqu’à Reims. Les opuscules sont
vendus par un réseau de colporteurs (45 en
1620 ; 120 en 1712). Ils touchent d’abord les
cités du Nord-Ouest, les plus alphabétisées,
puis, à partir du XVIIIe siècle, les campagnes.
Au milieu du XIXe siècle, on évalue la production à neuf millions de brochures par an. La
littérature de colportage ne disparaît qu’à la
fin du XIXe siècle, détrônée par le « journal à
un sou ».
• Un débat historiographique. À la fin des
années soixante, par les polémiques qu’elle
suscite sur la notion de culture populaire,
la bibliothèque bleue devient un symbole
de l’histoire des mentalités. À partir d’un
échantillon de 450 titres imprimés à Troyes
en 1722, Robert Mandrou définit l’horizon
culturel des milieux populaires sous l’Ancien
Régime. L’homme est déterminé par les humeurs et les astres, qui le soumettent à la tyrannie des passions. D’où les vies de saints qui
exaltent le triomphe de la piété en contrepoint
du dérèglement charnel de l’amour féminin.
Se développe ensuite un didactisme chrétien
scandé par des recommandations pratiques
pour le salut de chacun (assistance à la messe,
participation aux pèlerinages et aux processions, audition du sermon et récitation régulière du credo). Néanmoins, l’omniprésence
des miracles témoigne de la toute-puissance
d’un dieu de proximité. Le merveilleux naturel rejoint le religieux miraculeux. Alors que
les découvertes scientifiques se multiplient, la
bibliothèque bleue reste le reflet d’un savoir
médiéval et de la Renaissance, où dominent
les recettes magiques pour maîtriser le surnaturel, inclus dans l’ordre naturel des choses.
Enfin, une société tripartite est dessinée : les
dangereux marginaux (brigands, soldats ou
sorcières), capables d’une justice compensatrice susceptible de plaire aux pauvres gens ;
le petit peuple, dont le sort n’est pas enviable ;
la noblesse chevaleresque du légendaire historique. Cette somme hétéroclite de romans
épiques, de traités d’alchimie, d’almanachs
ou de récits hagiographiques apparaît donc
comme une littérature d’évasion, reflet d’un
monde fixiste et détaché des réalités sociales.
Cependant, les propositions de Mandrou
ont été par la suite nuancées. Ainsi, selon
Geneviève Bollème, la bibliothèque bleue
évolue au XVIIIe siècle vers le réel, le concret
et l’humain. Le féerique cède le pas aux préoccupations plus utilitaires, historiques et
d’actualité. Le lectorat s’élargit à l’ensemble de
la société, jusqu’aux élites qui dissimulent ces
pratiques de lecture dans le fond des cuisines.
D’après Roger Chartier, les auteurs, souvent
les ouvriers imprimeurs des ateliers, puisent
les textes dans un fonds savant archaïque
qu’ils récrivent. Ils obéissent alors aux critères de lisibilité (découpage en chapitres et
paragraphes), intellectuels (simplification et
élagage des récits) et moraux (censure des
allusions scatologiques, sexuelles et anticléricales). Enfin, selon Henri-Jean Martin,
il existe une interaction entre la civilisation
écrite et orale. Les contes de Perrault, tels
qu’ils sont transmis oralement, sont en réalité - pour la plupart d’entre eux - une version
écrite et édulcorée d’une ancienne tradition
populaire.
Somme toute, la bibliothèque bleue est à
la fois un instrument d’intégration du peuple
à la « galaxie Gutemberg » et un objet de différenciation sur la longue durée, entre une
culture savante et une culture populaire rejetée (Robert Muchembled). Si bien que les
livrets ont été dénoncés par les élites révolutionnaires comme des « contes à dormir
debout ».
Bibliothèque nationale de France,
nom donné, en 1994, à la Bibliothèque nationale, institution de conservation des documents patrimoniaux acquis essentiellement
par le dépôt légal.
• De la « librairie » royale... Son origine
remonte à Charles V, qui installe, en 1368,
les 973 manuscrits de sa « librairie » dans
une tour du château du Louvre. Cette première collection est ensuite dispersée, et
il faut attendre le règne de Louis XI pour
qu’une continuité soit définitivement assurée.
Enrichi par des dons et des achats, le fonds
de la Bibliothèque royale connaît un rythme
d’accroissement plus important à partir de
1537, lorsque François Ier crée le dépôt légal :
l’ordonnance de Montpellier du 28 décembre
rend obligatoire le dépôt à la « librairie du
château » de Blois de tout livre imprimé mis
en vente dans le royaume ; une obligation qui
s’étend aux estampes volantes en 1672, puis
à la musique en 1745. Les collections de la
Bibliothèque suivent les souverains de Blois
à Fontainebleau en 1544, avant d’être définitivement installées à Paris en 1568. Pendant
plus d’un siècle, des déménagements sont
nécessaires en l’absence de locaux adaptés :
en 1720, l’abbé Bignon, bibliothécaire du roi,
dispose les documents dans l’ancien palais de
Mazarin, rue de Richelieu, dans des bâtiments
qui ont connu de multiples transformations
jusqu’à nos jours. À la Révolution, devenue
Bibliothèque de la nation, l’institution reçoit
la garde des fonds provenant de nombreuses
confiscations ainsi que de trésors de guerre révolutionnaires et impériaux - lorsqu’elle sera
rebaptisée « Bibliothèque impériale ».
• …à la Bibliothèque nationale de France.
Même si la Bibliothèque royale est ouverte au
public depuis 1692, c’est surtout à partir du
début du XIXe siècle que les lecteurs viennent en
nombre consulter les collections de son héritière, la Bibliothèque nationale : l’aménagement
de la grande salle de lecture des livres imprimés,
confié à Henri Labrouste (1801-1875) et permettant d’accueillir 360 personnes, est achevé
en 1868 ; au cours de la même période débute
la réalisation de grands catalogues des fonds.
Un siècle plus tard, la Bibliothèque est toujours
à l’étroit. En 1988 est décidée, à l’initiative du
président de la République François Mitterrand,
la construction, dans le quartier de Tolbiac, d’un
nouveau bâtiment - oeuvre de l’architecte Dominique Perrault -, achevé en 1996. En 1994, la
création de l’établissement de la Bibliothèque
nationale de France, doté de moyens accrus,
constitue la dernière étape de cette évolution.
Depuis 1997, les deux sites de Richelieu et
de Tolbiac (officiellement baptisé du nom de
« François-Mitterrand ») fonctionnent en parallèle : le premier, pour abriter les collections
spécialisées (manuscrits, estampes et photographies, musique, monnaies, cartes et plans, arts
du spectacle) ; le second, les livres imprimés, les
périodiques, la phonothèque et les documents
audiovisuels.
• Mémoire du passé, mémoire de l’avenir.
Progressivement, les collections nationales ont
été étendues à des supports moins traditionnels
que le livre, manuscrit ou imprimé, même si
l’écrit garde une place prépondérante dans les
fonds de la Bibliothèque nationale : près de
350 000 manuscrits, plus de 13 millions de
livres, 35 000 titres de périodiques, ainsi que
800 000 cartes et plans, 10 000 atlas, 2 millions de documents musicaux, 12 millions
d’estampes, photographies et affiches. Respectant sa mission fondamentale de conservation
des collections nationales, la Bibliothèque doit
aussi être capable d’ouvrir largement l’accès au
savoir. Dans cette perspective ont été accélérées
l’informatisation du catalogue général, initiée
dès 1970, ainsi que l’ouverture aux nouvelles
technologies : les fonds de l’Institut national de
l’audiovisuel (INA) devraient s’ajouter aux documents sonores conservés par la Phonothèque
nationale ; l’extension du dépôt légal, en 1977
et en 1992, au multimédia et aux publications
sur support électronique justifie le rôle essentiel
qu’entend jouer la Bibliothèque au coeur d’un
vaste réseau d’échanges de données, notamment par Internet. La Bibliothèque nationale de
France a pour vocation d’être la « mémoire de
l’avenir ».
Bibliothèque royale, institution, appelée aussi, durant le Moyen Âge, « Librairie du
roy », où étaient conservés les livres appartenant au roi de France.
« Un roi illettré est comme un âne couronné »,
commence-t-on à dire au XIIe siècle. Les rois et
les princes se doivent donc de lire pour s’instruire. Charles V n’est pas le premier à aimer
et à collectionner les livres - Saint Louis, par
exemple, avait réuni une riche bibliothèque
de textes des Pères de l’Église -, mais la librairie qu’il met en place au Louvre présente la
nouveauté de ne pas être une bibliothèque
privée, mais une institution publique dont la
collection appartient à la couronne. À la fin de
son règne, elle compte plus de 900 volumes,
autant que celle de la Sorbonne. Lors de
l’occupation anglaise de Paris, le fonds ainsi
rassemblé est dispersé.
C’est François Ier qui donne une nouvelle
impulsion à l’institution. Il crée le dépôt légal
(28 décembre 1537), afin d’enrichir la collection. Pendant très longtemps, ce système
downloadModeText.vue.download 97 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
86
fonctionne irrégulièrement. Le XVIIe siècle,
notamment les années 1660-1680, représente
un moment de fort accroissement des fonds
de la « Bibliothèque du roi », dénomination
de la librairie depuis 1618. On dénombre,
au début du siècle, 4 712 volumes manuscrits et imprimés, et, à l’orée du XVIIIe siècle,
55 107 volumes imprimés, sans compter les
manuscrits, les gravures, les médailles... En
1666, Colbert transfère ces fonds dans deux
hôtels de la rue Vivienne, futur emplacement
de la Bibliothèque nationale. C’est à peu près
à cette époque que le public des érudits est
admis, deux jours par semaine, à consulter les
ouvrages. La Bibliothèque du roi, qui s’enrichit encore au XVIIIe siècle, devient, sous la
Révolution, bien de la nation : ainsi naît la
Bibliothèque nationale.
Bibracte ! Beuvray (mont)
Bidault (Georges), homme politique (Moulins 1899 - Cambo-les-Bains, Pyrénées-Atlantiques, 1983).
Agrégé d’histoire, journaliste, Georges Bidault
est l’un des dirigeants du Parti démocrate
populaire (PDP), formation politique d’inspiration démocrate-chrétienne créée en 1924.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se
rallie très tôt à la Résistance et au général de
Gaulle ; il anime à Lyon, avec Henri Frenay,
Pierre-Henri Teitgen et François de Menthon,
le mouvement Combat, puis succède à Jean
Moulin à la tête du Conseil national de la
Résistance (CNR) en juin 1943. Ministre des
Affaires étrangères de 1944 à 1948, il participe à la fondation du Mouvement républicain populaire (MRP) en 1945. Président du
gouvernement provisoire en juin 1946, il est
ensuite président du Conseil en 1949-1950,
ministre de la Défense en 1951-1952, de nouveau ministre des Affaires étrangères en 19531954. À ce titre, il doit s’occuper du projet de
Communauté européenne de défense (CED),
auquel il est peu attaché, exprimant ainsi un
nationalisme en désaccord avec les options
fédéralistes de certains de ses amis politiques.
Ce nationalisme le conduit surtout à vouloir
maintenir l’intégrité de l’empire. N’ayant pu
éviter la débâcle de Diên Biên Phu en 1954,
il mise sur le retour au pouvoir du général de
Gaulle en 1958 pour régler la question algé-
rienne. Mais, partisan de l’Algérie française, il
est finalement exclu du MRP ; il rejoint alors
l’OAS, dont il condamne toutefois les attentats
aveugles. Son immunité parlementaire étant
levée à partir de 1962, il trouve refuge au Brésil à partir de 1963, il revient en France à la
faveur d’une amnistie en 1968.
biens communaux, sous l’Ancien Régime, partie du finage laissée à la jouissance
collective de ses habitants.
Formés généralement de bois en taillis, de
pâtures, de landes et de friches, les biens communaux participent au bon équilibre de l’économie paysanne et procurent des ressources
complémentaires, en particulier aux plus
pauvres. Ils fournissent du bois de chauffage
ou d’oeuvre, permettent le pâturage en dehors
des temps de vaine pâture et offrent un appoint alimentaire (châtaignes, champignons).
À partir du XVIe siècle, ils sont l’objet d’une
double convoitise : de la part des « coqs de
village », qui se dressent contre les paysans
pauvres (l’« individualisme agraire »), et des
seigneurs, qui luttent contre les communautés
paysannes (la « réaction féodale »). Les assemblées d’habitants gèrent les communaux et en
réglementent l’usage. Elles peuvent aussi les
affermer, les aliéner, voire les hypothéquer.
Or, du milieu du XVIe siècle jusqu’en 1659,
temps de conflits, les communautés s’endettent et doivent aliéner leurs biens, de gré
ou de force. Vers 1650, un officier royal du
bailliage d’Étampes dénonce le noble campagnard qui « usurpe les communes ». Malgré
l’édit d’avril 1667, les biens « détournés » ne
sont pas restitués, et l’édit de novembre 1677
consacre cette spoliation - « le plus grand événement agraire sous l’Ancien Régime », selon
l’historien ruraliste Pierre de Saint-Jacob.
Au XVIIIe siècle, le problème des usurpations est réglé grâce à la protection des intendants. Mais les seigneurs, comme « premiers
habitants » de la communauté et au nom de
leur droit éminent sur leur territoire, avancent
devant les cours souveraines l’« imprescriptibilité » de leur droit de triage. Ils réussissent
parfois à récupérer le tiers des communaux,
présumé seigneurial. En outre, au tournant
du siècle, apparaît chez les physiocrates l’idée
que les communaux constituent un frein
au progrès de l’agriculture. L’édit de 1774
autorise leur partage. Mais les parlements,
défenseurs de la tradition, retardent l’enregistrement de la loi (en Bourgogne, jusqu’en
1782), qui est donc peu appliquée. Enfin, la
Révolution est d’abord favorable aux thèses
des physiocrates : si le décret du 14 août 1792
prévoit le partage obligatoire, la loi du 10 juin
1793 le rend facultatif. Et dès prairial an IV, le
Directoire l’ajourne. L’idée du partage définitif
n’est toutefois abandonnée qu’en 1816.
biens nationaux, biens mobiliers et
immobiliers confisqués par l’État à l’Église
en 1789 (biens de première origine) ou aux
émigrés à partir de 1792 (biens de seconde
origine) et mis en vente au profit du Trésor
public.
• Une réponse à la crise financière héritée de l’Ancien Régime. En octobre 1789, la
Constituante se trouvant confrontée au grave
endettement qui avait conduit la monarchie à
réunir les États généraux, l’évêque d’Autun,
Charles de Talleyrand-Périgord, propose de
mettre les biens du clergé à la disposition de
la nation pour rembourser la dette et combler
le déficit. Le 2 novembre 1789 est votée la loi
relative à la confiscation de ces biens, dont la
valeur est estimée à trois milliards de livres ;
les terres couvriraient 10 % du territoire. Leur
mise en vente est décidée le 19 décembre
1789 : une première opération doit porter sur
400 millions, somme pour laquelle sont émis
des assignats, billets de 1 000 livres gagés
sur les biens nationaux et avec lesquels sont
indemnisés les créanciers de l’État. Le 14 mai
1790, il est précisé que les ventes doivent se
faire aux enchères au chef-lieu de district ; le
prix des biens est fixé à vingt-deux fois leur
revenu et les acheteurs, sous réserve d’avoir
effectué un versement comptant de 12 à 30 %,
peuvent payer le solde en douze annuités avec
un taux d’intérêt de 5 %. Mais les ventes se
font généralement par gros lots : la vente des
biens nationaux de première origine est donc
une déception pour nombre de paysans.
• Une tentative pour satisfaire la faim de
terre des plus pauvres. Le 9 février 1792,
un décret de l’Assemblée législative remet à
la nation les biens des émigrés, des condamnés et des déportés : la mise en vente de ces
biens nationaux de seconde origine est décidée le 2 septembre 1792. Le 3 juin 1793,
la Convention décrète que les ventes aux
enchères des biens fonciers doivent se faire
par petits lots, payables en dix annuités, afin
de favoriser les achats par les plus modestes,
principe appliqué à partir du 22 novembre
1793 à l’ensemble des biens nationaux. En
outre, une loi du 13 septembre 1793 autorise
les indigents à acquérir de petites parcelles
contre un bon de 500 francs délivré par leur
municipalité : mal connue, cette mesure n’est
guère suivie d’effets. Enfin, le 26 février 1794,
tous les biens des suspects sont placés sous
séquestre afin d’être vendus au profit de la
République : s’ils avaient été appliqués, ces
décrets de ventôse auraient mis sur le marché des biens nationaux de troisième origine.
Mais, en réponse aux nouvelles difficultés
financières de la République, la législation de
1796 supprime la vente en petits lots et les
crédits de plus de trois ans : la Révolution a
finalement sacrifié la satisfaction des revendications foncières des plus pauvres à la nécessité de gérer un budget déficitaire.
• Un bilan mitigé. Socialement, la vente des
biens nationaux a d’abord profité à la bourgeoisie urbaine, qui a saisi là l’occasion d’affirmer son prestige en constituant de beaux
domaines fonciers ou immobiliers. Les spéculateurs se sont enrichis en revendant par
petits lots des domaines acquis aux enchères.
La noblesse, quant à elle, n’a pas négligé
l’acquisition de biens nationaux de première
origine, et même elle a réussi, en recourant à
des prête-noms, à racheter une partie de ses
propriétés. Quant aux paysans, ils ont été parfois gagnants, surtout lorsqu’ils ont pu s’associer : dans le Nord, le Laonnais, la Côte-d’Or
ou la Nièvre, ils ont acheté, de 1791 à 1793,
deux fois plus de terre que les bourgeois. En
bref, les paysans aisés ont été privilégiés par
rapport aux plus démunis. La vente en petits lots a toutefois permis une augmentation
d’un tiers du nombre des petits propriétaires :
ainsi, dans le centre de la Beauce, un salarié
rural sur dix est devenu propriétaire. La part
acquise par les paysans n’a pas dépassé 15 à
20 % dans les zones périurbaines, de même
qu’en Bretagne et dans l’Ouest ; en revanche,
elle a été de plus de 50 % en Lorraine, en Alsace, en Bourgogne ou dans l’Aisne, et a même
atteint 80 % dans le Nord. Politiquement, la
vente des biens nationaux a contribué à attacher à la cause révolutionnaire les acquéreurs
et, à l’inverse, dans l’Ouest, à rejeter dans la
Contre-Révolution les paysans déçus par les
difficultés rencontrées pour accéder à la propriété. La Restauration n’est pas revenue sur
ces ventes, préférant indemniser les émigrés.
downloadModeText.vue.download 98 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
87
bière. Les Gaulois adoraient le vin - qu’ils
se procuraient à haut prix chez les marchands
marseillais ou romains - mais ils ne produisaient que de la cervoise.
Cette bière sans houblon était fabriquée à la
maison par les femmes, et devait être consommée rapidement. Des documents carolingiens des VIIIe et IXe siècles mentionnent déjà
le houblon, mais il n’est encore qu’une des
substances aromatiques que l’on ajoute à la
cervoise pour en corriger le goût douceâtre :
gentiane, sauge, lavande, coriandre, absinthe,
poix extraite de la sève de résineux, lui font
concurrence. Puis, vers la fin du XIVe siècle, il
est employé systématiquement, ayant l’avantage de combattre certaines fermentations
nuisibles, d’aider à la clarification de la bière
et de permettre sa conservation.
La bière, à cette époque, est fabriquée
par des professionnels, les brasseurs, qui
sont apparus à partir du Xe siècle, et qui se
sont constitués en corporations au XIIIe. Du
moins dans les pays germaniques, car, en
France, cette boisson a longtemps été reléguée aux frontières du royaume par le vin.
En Alsace même, les paysans ont bu le vin
de leur vigne jusqu’au XVIIIe siècle, laissant la
bière, qu’il fallait acheter, aux gens des villes.
À Paris, l’une des rares villes de France où
l’on en fabriquait, la consommation n’était,
à la veille de la Révolution, que de 9 litres
par personne, contre 120 litres de vin. Mais,
depuis lors, dans toute la France, la consommation de bière augmente, tandis que, dans
les dernières décennies du XXe siècle celle de
vin a baissé : en 1976, les plus de 20 ans
consommaient déjà 71 litres de bière pour
104 de vin.
biface, outil préhistorique en pierre, de
forme ovale ou triangulaire, façonné sur ses
deux faces, utilisé à partir de - 500 000 ans
environ.
Autrefois appelé « coup-de-poing », le biface
est caractéristique des civilisations du paléolithique inférieur et du début du paléolithique
moyen de l’Afrique et de l’Eurasie. D’une longueur qui varie entre 5 et 30 centimètres, il est
considéré comme le premier outil réellement
symétrique, après les galets grossièrement
taillés des périodes antérieures. Ce souci de
symétrie témoigne de recherches esthétiques
nouvelles, qui dépassent les nécessités fonctionnelles de l’objet. Néanmoins, certaines
des civilisations du paléolithique inférieur,
comme le clactonien ou le tayacien, n’ont pas
utilisé le biface, alors que cet outil est caractéristique de l’acheuléen et, ultérieurement,
d’une partie du moustérien.
Le biface est façonné « directement », en
enlevant successivement à la pierre, par percussion, une série d’éclats, jusqu’à lui donner
la forme souhaitée. Par la suite, au paléolithique moyen, ce sont les éclats eux-mêmes
qui servent d’outils. Bien que l’imagerie populaire représente souvent le biface grossièrement emmanché pour former une hache,
il semble qu’il ait surtout servi d’instrument
tranchant, destiné à être tenu par l’un de ses
côtés, souvent dépourvu de tranchant pour
cette raison. Les bifaces n’existent plus dans
l’outillage du paléolithique supérieur, celui
d’Homo sapiens sapiens, qui, en France, apparaît vers - 30 000 ans.
Billaud-Varenne (Jean Nicolas),
homme politique (La Rochelle 1756 - Portau-Prince, Haïti, 1819).
Fils et petit-fils d’avocat au siège présidial de
La Rochelle, il fréquente un collège de l’Oratoire, puis étudie la philosophie et le droit
avant de devenir à son tour avocat, en 1778.
Inscrit au barreau du parlement de Paris en
1784, il écrit des brochures révolutionnaires,
publiées en 1789, dans lesquelles il dénonce
la superstition et le despotisme ministériel, et
se montre admirateur de Montesquieu et de
Rousseau.
Électeur de Paris dans la même section que
Danton, Desmoulins et Marat, il adhère, en
1790, au Club des jacobins, où il intervient
souvent, et songe à la République dès l’arrestation du roi à Varennes. Membre de la Commune insurrectionnelle de Paris en août 1792,
puis substitut du procureur Manuel, il est élu
député de Paris à la Convention, où il devient
l’une des principales figures montagnardes
et demande la mise en accusation des girondins. Le 6 septembre 1793, au lendemain de
la journée qui voit la Terreur mise à l’ordre
du jour, il entre au Comité de salut public.
Ce représentant des sans-culottes, privilégiant
le droit à l’existence et l’égalité, est l’un des
artisans du gouvernement révolutionnaire et
se distingue par son intransigeance politique.
S’il opte pour l’élimination des hébertistes et
des dantonistes, il est un acteur déterminant
de la journée du 9 thermidor an II (27 juillet
1794) - qui voit la chute des robespierristes -,
sans doute par hostilité au renforcement du
pouvoir exécutif au sein du Comité dominé
par Robespierre. Cependant, devant les progrès de la réaction thermidorienne, il démissionne du Comité le 1er septembre 1794 et
devient l’une des cibles du nouveau pouvoir,
qui, cherchant à décapiter l’opposition montagnarde, le dénonce comme « terroriste »,
responsable de la Terreur ou encore des massacres de septembre 1792. Sans attendre les
conclusions de la commission constituée le
27 décembre pour enquêter sur sa conduite
et sur celle de Collot d’Herbois, Vadier et
Barère de Vieuzac, la Convention profite de la
journée du 12 germinal an III (1er avril 1795)
pour décréter leur déportation immédiate.
Déporté en Guyane, Billaud-Varenne
rédige ses Mémoires (publiés en 1893) et
refuse l’amnistie votée après le coup d’État
du 18 brumaire, qu’il désavoue. Lorsqu’en
1816 la Guyane redevient française, il refuse
l’administration de Louis XVIII et quitte Cayenne pour s’installer en Haïti. Entré dans
la légende dès 1795, extrémiste sanguinaire
pour les uns, proscrit sublime pour les autres,
il demeure l’un des personnages les plus mal
connus de la Révolution et l’une de ses figures
les plus controversées.
billets de confession (affaire des),
crise religieuse et politique survenue sous le
règne de Louis XV. Au XVIIe siècle, on exigeait
des protestants convertis, pour leur donner
les derniers sacrements, un billet attestant
qu’ils s’étaient confessés.
En 1746, l’évêque d’Amiens refuse les sacrements aux suspects de jansénisme qui ne présentent pas un billet d’un confesseur adhérent
à la bulle Unigenitus. En 1752, l’archevêque
Christophe de Beaumont veut appliquer cette
méthode à la capitale. Rendue publique par la
presse janséniste, l’affaire enflamme l’opinion.
Le parlement de Paris condamne pour refus
de sacrements des curés des diocèses de Paris,
Troyes, Orléans et Chartres, qui ont laissé
mourir sans viatique des fidèles renommés
pour leur piété. Les magistrats dénoncent la
tyrannie épiscopale et l’inquisition cléricale.
Les remontrances du parlement de Paris au
roi, en avril 1753, énoncent que « l’autorité
des successeurs des apôtres est un ministère
et non un empire ». Confronté à la grève des
magistrats, Louis XV exile le parlement à Pontoise en mai ; toutefois, certains parlements de
province (Rouen, Rennes, Aix...) poursuivent
l’agitation. Finalement, le roi rappelle les exilés en septembre 1754, tout en imposant le
silence sur les affaires religieuses. À l’occasion
de la contestation janséniste, la crise révèle les
progrès d’une conception nouvelle des rapports entre Église et pouvoir laïc, qui place
l’autorité spirituelle sous la tutelle des juges.
Birague (René de), homme politique et
prélat (Milan 1506 ou 1507 - Paris 1583).
Issu d’une famille de la noblesse milanaise
ayant rompu avec les Sforza, il entre, à l’instar
d’autres Birague, au service de François Ier.
Président au parlement de Turin en 1543,
il joue surtout un rôle militaire dans le Piémont, alors occupé par la France. La perte
de ce même Piémont le conduit à Paris, où il
est promu président au parlement en 1563.
Membre du conseil du duc d’Anjou (futur
Henri III), homme de confiance de Catherine de Médicis, il devient garde des Sceaux
en 1571, et compte parmi les instigateurs de
l’assassinat de Coligny en 1572.
Nommé chancelier en 1573, ce fidèle de
la couronne reste, semble-t-il, assez effacé :
c’est sans doute ce que les souverains demandaient au successeur de l’incommode
Michel de L’Hospital. Un jugement sévère
de Pierre de L’Estoile - « Ce chancelier était
bien entendu aux affaires d’État, fort peu en
la justice » - témoigne du peu d’estime de ses
contemporains pour ses capacités judiciaires.
Comme tous les « étrangers » de l’entourage
de la reine (Nevers, Retz), il est honni par les
grands du royaume. Veuf en 1572, il est tonsuré, et collectionne alors les abbayes. Devenu
cardinal en 1578, il abandonne sa fonction de
garde des Sceaux la même année, moyennant
d’importantes compensations financières,
mais il siège au Conseil du roi presque jusqu’à
sa mort.
Bir-Hakeim, point de résistance des
Forces françaises libres (FFL) dans le désert
libyen, du 27 mai au 11 juin 1942.
En mai 1942, Rommel lance l’Afrikakorps
à l’assaut de Suez. La VIIIe armée britannique, dans laquelle sont intégrées les FFL,
bat en retraite. Dans le cadre de la défense
de Tobrouk, les Britanniques ont confié à la
1re brigade française libre (BFL) du général
Koenig la mission de tenir au moins six jours
downloadModeText.vue.download 99 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
88
le lieu-dit Bir-Hakeim, croisement de pistes
à 60 kilomètres de la côte, pour contraindre
les forces de l’Axe soit à un long détour par
le sud, soit à un combat sanglant. Koenig et
ses 3 500 hommes ont édifié un puissant bastion entouré de 50 000 mines et disposant
de 1 200 postes de feu. Le 27 mai, la BFL
repousse un premier assaut italien. Mais, le
1er juin, commence le pilonnage de la place
par l’aviation allemande, et Rommel lance sa
90e division, soutenue par la division italienne
« Trieste ». Dans de terribles conditions, les
« Français libres » tiennent jusqu’au 10 juin,
date à laquelle ils sont autorisés à se replier.
Koenig ordonne alors la sortie, au cours de
laquelle les pertes sont sévères. Quelque
2 500 rescapés parviennent à rejoindre les
lignes anglaises.
La résistance des FFL, même si elle n’a pas
pu empêcher la chute de Tobrouk (14 juin),
a freiné l’avance allemande et permis aux
Anglais de se replier en bon ordre. Premier
contact militaire entre Français et Allemands
depuis juin 1940, le succès défensif de BirHakeim a rencontré un immense écho, galvanisant l’esprit de résistance et consolidant
la position du général de Gaulle aux yeux des
Alliés.
Bituriges, peuple gaulois qui a donné son
nom à la province du Berry, et dont le nom
signifie « rois du monde ».
Les Bituriges, ainsi que leur roi Ambicatus,
sont mentionnés pour la première fois par
l’écrivain romain Tite-Live (Histoire de Rome,
livre V), au Ier siècle avant J.-C. Ils forment une
confédération avec, notamment, les Arvernes,
les Carnutes, les Sénons et les Aulerques.
Dans cette région aux ressources naturelles
riches (en particulier en métaux), l’archéologie a mis au jour des tombes princières
sous tumulus, preuves de l’existence, dès le
VIe siècle avant J.-C, d’une aristocratie importante, qui entretenait des liens commerciaux
avec le monde méditerranéen, comme le
montrent les objets importés. Dès le IIe siècle
avant J. C. apparaissent les prémisses d’une
économie urbaine. Grâce à des fouilles menées à Levroux (Indre), on a pu dégager les
vestiges d’un habitat de cette période, entouré
d’une fortification.
Lorsque César attaque la Gaule, il distingue
les Bituriges Vivisci, qui occupent le Bordelais, et les Bituriges Cubi, cantonnés dans
l’actuel Berry. La capitale de ces derniers est
Avaricum, une cité fortement défendue. En
52 avant J.-C., les Bituriges font partie de la
coalition menée par Vercingétorix, qui, pour
affamer les légions romaines, pratique la politique de la terre brûlée. Mais ils obtiennent
de lui qu’Avaricum soit préservée ; la prise de
cette place forte, épisode sanglant, apportera
à César un ravitaillement inespéré. Après la
conquête romaine, les Bituriges seront inclus
dans la province d’Aquitaine première.
Blanc (Louis), théoricien socialiste et
homme politique (Madrid 1811 - Cannes 1882).
Fils d’un fonctionnaire des finances en poste
dans l’Espagne de Joseph Bonaparte, Louis
Blanc commence des études de droit, qu’il
doit abandonner pour gagner sa vie. Journaliste dans diverses publications républicaines
à Arras puis à Paris, il se fait connaître par
des articles de teneur socialiste. Rédacteur
en chef de la Revue du progrès, il expose sa
doctrine dans l’Organisation du travail (1839),
développant l’idée que, pour instaurer la fraternité entre les hommes, il faut lutter contre
l’individualisme et la concurrence économique sauvage par la création de coopératives
ouvrières de production. Il appartient à l’État
d’organiser ce système de production, d’encadrer les marchés et d’instituer des assurances
sociales. Réforme politique et réforme sociale
sont donc indissociables : la transformation
sociale reste le but à atteindre (Louis Blanc est
socialiste), et la réforme politique constitue
le moyen d’y parvenir (il est un républicain
fervent).
Militant jouissant d’une grande popularité,
il devient membre du Gouvernement provisoire en 1848, et tente de mettre en pratique certaines de ses idées, en particulier à
travers les propositions de la Commission du
travail du Luxembourg, qu’il préside. Mais il
ne réussit pas à obtenir de la majorité modérée du gouvernement la création d’un grand
ministère du Progrès. Ses propositions sont
dénaturées, et les Ateliers nationaux mis en
place à cette époque ne correspondent pas à
ceux qu’il préconisait. Opposé à la violence et
partisan d’une révolution pacifique, il quitte
le pouvoir après les journées de mai 1848.
Il est pourtant inquiété pour sa participation
supposée à l’insurrection du 15 mai, et s’exile
à Londres, où il mène conjointement une
activité d’historien (Histoire de dix ans, 18301840 ; Histoire de la Révolution française ; Histoire de la Révolution de 1848) et de journaliste
républicain (rédacteur au Nouveau Monde).
De retour en France après la chute de Napoléon III, il est élu à l’Assemblée nationale,
puis à la Chambre des députés, où il dirige
le groupe de l’extrême gauche radicale, avant
de céder la place à Clemenceau. Tout en
condamnant la Commune, il milite en faveur
de l’amnistie des communards. Hostile à la
Constitution de 1875, il lutte pour la mise
en place d’un système républicain laïque et
réellement démocratique. À sa mort, des obsèques nationales lui rendent hommage.
Blanche de Castille, reine de France
de 1223 à 1226, régente du royaume de 1226
à 1234 et de 1248 à 1252, mère de Saint Louis
(Palencia, Espagne, 1188 - Paris 1252).
Fille d’Alphonse VIII de Castille et d’Eléonore d’Angleterre, Blanche de Castille épouse
Louis, héritier du roi de France, Philippe Auguste, le 22 mai 1200, en gage de la paix que
signent alors ce dernier et le roi d’Angleterre
Jean sans Terre (traité du Goulet). Au cours
des vingt années qui séparent ce mariage de
la mort de Philippe Auguste, Blanche apporte
son soutien indéfectible à son époux, à qui
elle donne plus de dix enfants, mettant fin
ainsi aux incertitudes dynastiques des règnes
précédents. La brièveté du règne de Louis VIII
(1223-1226) fait d’elle la régente du royaume
pendant la minorité de son fils Louis IX. De
1227 à 1230, le roi et sa mère affrontent l’hostilité des barons, furieux d’avoir été écartés du
gouvernement. Mais la conjuration des Lusignan, Coucy et Pierre Ier Mauclerc échoue,
grâce aux talents diplomatiques de Blanche,
qui s’appuie sur Thibaud IV de Champagne
et sur les communes. Deux événements
majeurs marquent la régence : d’une part, le
traité de Meaux-Paris, conclu en 1229 avec
Raimond VII de Toulouse, met fin à la guerre
dans le Midi, et prépare l’intégration du Languedoc au royaume par le mariage de Jeanne
de Toulouse, fille et unique héritière de Raimond VII, avec Alphonse de Poitiers, fils de
Blanche ; d’autre part, le mariage de Marguerite de Provence avec Louis IX, en 1234,
place la Provence sous influence capétienne.
De 1234 à 1248, l’autorité de la reine mère
devient plus discrète. Mais, en 1248, lorsqu’il
part pour la septième croisade, Louis IX lui
confie le royaume et ses enfants. Blanche de
Castille meurt le 26 novembre 1252 à Paris,
et est enterrée dans l’abbaye cistercienne de
Maubuisson, qu’elle avait fondée en 1241.
Image à la fois de la mère chrétienne
modèle et de la mère abusive, qui empêche
son fils Louis de rejoindre Marguerite de Provence, Blanche de Castille apparaît surtout
comme une femme de pouvoir, malmenée par
ceux qui s’en estiment privés. Dominatrice
et courageuse, douée pour les joutes politiques, elle fut détestée et vénérée. Sa piété
cistercienne, austère, a nourri celle de son fils
Saint Louis, dominicain dans l’âme. Mère d’un
saint et d’une bienheureuse (sa fille Isabelle),
Blanche de Castille a sans doute trop inquiété
les hommes d’Église par sa puissance politique pour mériter, elle aussi, la canonisation.
Blanqui (Louis Auguste), homme politique
et penseur révolutionnaire (Puget-Théniers,
Alpes-Maritimes, 1805 - Paris 1881).
Fils d’un conventionnel devenu sous-préfet
d’Empire et frère d’Adolphe Blanqui, célèbre
économiste libéral, ce brillant élève s’intéresse
très tôt à la politique. Il adhère en 1824 à la
charbonnerie et il est blessé lors de manifestations contre Charles X en 1827. Collaborateur de Pierre Leroux au Globe (1829), il se
familiarise avec la doctrine saint-simonienne.
Il participe activement aux Trois Glorieuses,
mais se dresse rapidement contre le régime
orléaniste. De 1832 à 1839, de propagande
en complots et d’arrestations en procès, Blanqui, qui fréquente alors Buonarroti (l’ancien
lieutenant de Babeuf), poursuit ses activités
révolutionnaires au sein de diverses sociétés
secrètes (Société des familles, fondée par Barbès ; Société des saisons, créée en 1837). Il dirige l’insurrection du 12 mai 1839, ce qui lui
vaut une condamnation à mort, commuée en
détention à perpétuité. Il est libéré en 1848.
La révolution de février 1848 le ramène sur
la scène parisienne. Il est à l’origine de la manifestation du 17 mars pour le report des élections législatives, et il participe aux émeutes
du 15 mai, ce qui motive son arrestation, puis
sa condamnation à dix ans de bagne. Amnistié
en 1859, il s’oppose au Second Empire, et il
est enfermé à Sainte-Pélagie en 1861. Évadé
en 1865, il s’installe à Bruxelles, se consacrant
à l’écriture de textes qui seront réunis après sa
mort en un ouvrage intitulé la Critique sociale,
où il dénonce l’oppression des prolétaires
par l’État et la religion, se montre soucieux
d’éduquer le peuple, et prône le coup d’État
downloadModeText.vue.download 100 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
89
pour instaurer une dictature révolutionnaire,
« gendarmerie des pauvres contre les riches ».
Revenu à Paris peu avant le siège de 1870,
il se dépense sans compter pour la défense
nationale, notamment dans les colonnes de
son journal la Patrie en danger. Il organise,
contre un gouvernement trop attentiste à ses
yeux, les manifestations révolutionnaires du
31 octobre 1870 et du 22 janvier 1871. Candidat malheureux aux élections législatives de
février 1871, il s’adresse à la classe ouvrière
avec amertume dans une affiche célèbre, Un
dernier mot. Arrêté peu après, il ne peut participer à la Commune, ce qui ne l’empêche
pas d’être élu à titre symbolique. Il ne sort de
captivité qu’en juin 1879, deux mois après
que les électeurs de Bordeaux l’ont élu député. Cette élection est cependant annulée, et
il échoue l’année suivante dans une partielle
à Lyon. Lors des derniers mois de son existence, il dirige le journal Ni Dieu ni maître,
et tient de grandes réunions publiques à Lille
et à Paris. Lors de ses obsèques, le 5 janvier
1881, 100 000 personnes viennent saluer la
mémoire d’un militant qui a passé plus de
trente-trois ans en prison.
Blériot (Louis), ingénieur, industriel et
aviateur (Cambrai 1872 - Paris 1936).
Issu d’une famille aisée, ingénieur diplômé
de l’École centrale de Paris, il crée, en 1897,
dans la capitale, une usine de phares d’automobiles qui lui assure rapidement fortune.
Mais c’est l’aviation, sa seule vraie passion,
qui le rend célèbre. Dès 1902, il compte
parmi les premiers constructeurs de monoplans - une formule pleine d’avenir, mais
alors peu en vogue. Longtemps malchanceux, il entre dans l’histoire le 25 juillet
1909 en effectuant la première traversée aérienne de la Manche, de Calais à Douvres, en
trente-deux minutes. Fruit d’un pari sportif
financé par le Daily Mail, l’exploit est célébré comme le signe d’une nouvelle « unification » du monde. Du jour au lendemain,
Blériot devient un héros mondial. Edmond
Rostand lui dédie une ode ; Marinetti et les
autres futuristes italiens lui vouent un véritable culte. Toute une imagerie le compare à
Vercingétorix, le plus ancien des héros français. Mais Blériot entend rester un ingénieur
et un industriel. Sa notoriété l’aide à fonder
et à faire rayonner, depuis ses ateliers de Levallois puis de Suresnes, une firme d’avionnerie inventive - la plus importante d’Europe
jusqu’en 1918 -, qui va s’illustrer pendant la
Grande Guerre avec les célèbres Spad pilotés
par les as de la chasse. En 1920, Blériot crée
aussi une compagnie aérienne qui dessert
Paris-Londres. Dans les années trente, il dessine des hydravions lourds, utilisés par Air
France sur l’Atlantique sud.
blindés. C’est en 1916 que le char de combat fait son apparition sur le front occidental,
presque au même moment dans les différentes armées alliées.
En France, le père de « l’artillerie d’assaut »
est le général Estienne, qui entend utiliser
le char pour rompre les fronts fortifiés et
réhabiliter la guerre de mouvement. Malheureusement, les premiers engins fabriqués par
Schneider et Saint-Chamond sont des forteresses roulantes, lentes, peu maniables et
très vulnérables, ainsi qu’on peut le constater
lors de l’offensive d’avril 1917 au Chemin des
Dames. En revanche, les chars légers Renault,
équipés d’une tourelle tous azimuts, joueront
un rôle décisif, en liaison avec l’infanterie et
l’artillerie, lors des contre-offensives victorieuses de Foch en 1918.
• Une arme mal employée. Pendant l’entredeux-guerres, l’armée française ne néglige
nullement le char. À partir de 1935, le réarmement accorde la priorité à la construction
de nouveaux véhicules. Au 10 mai 1940,
l’armée aligne plus de 3 000 chars modernes,
disposant même d’une légère supériorité sur
la Wehrmacht. Mais, si les chars français sont
bien protégés, ils disposent d’un armement
inégal ; ils sont surtout lents et leur rayon
d’action est trop limité. Deux défauts majeurs
les affaiblissent : des liaisons radio embryonnaires et une conception tactique qui, en dépit
des avertissements d’un de Gaulle, mise sur la
dispersion plutôt que sur la concentration. En
effet, indépendamment des blindés affectés
à la cavalerie, le char reste considéré comme
un engin d’appui de l’infanterie. C’est seulement pendant la « drôle de guerre », après des
années d’hésitation, que le commandement
se décide à créer trois divisions cuirassées,
conçues cependant, à la différence des panzers, comme des engins de colmatage d’une
brèche éventuelle sur le front, et non comme
une arme de rupture. Finalement, en mai-juin
1940, l’arme blindée française est détruite,
sans avoir pu influer sur la marche des événements.
• Un équipement moderne. En 1943,
avec le réarmement des troupes françaises
d’Afrique assuré par les Alliés en vertu des
accords d’Anfa, les trois divisions blindées françaises sont pourvues de matériels
américains, les chars Sherman et les tanksdestroyers. Il en sera encore de même à la
fin des années quarante, dans le cadre de
l’OTAN. Toutefois, à partir des années cinquante, l’armée blindée commence à s’équiper de matériels de fabrication nationale.
L’un des premiers engins, et des plus réussis, est l’AMX 13, doté d’un canon de 105.
Plus de 7 700 exemplaires sont fabriqués,
dont 3 300 réservés à l’exportation. Au cours
des décennies suivantes, le char de base des
divisions blindées est l’AMX 30B, dont une
centaine sont encore en service, suivi, dans
les années quatre-vingt, de l’AMX 30B2.
Aujourd’hui, les régiments blindés utilisent
650 engins de ce type. Avec son obus flèche
de 105 mm et une conduite de tir laser très
précise, l’AMX 30B2 dispose d’une grande
puissance de feu. Mais, comparé au Léopard II allemand ou au MI américain, il
souffre d’une mobilité et d’une protection
insuffisantes, même si son blindage peut être
renforcé de tuiles réactives Brennus.
L’avenir de l’arme blindée française repose
sur le char Leclerc. D’un poids de 55 tonnes,
cet engin dispose d’une conduite de tir électronique extrêmement sophistiquée, qui permet à son canon de 120 mm un tir de nuit,
en marche et sur tout terrain. En principe,
il devrait équiper l’ensemble des régiments
blindés. Mais son coût très élevé rend hypothétique la constitution du parc de 600 engins
prévu.
L’arme blindée française offre une originalité. Elle est la seule à disposer d’ERC (engins
roues canon), très rapides et fortement armés.
L’ERC 90 Sagaie Panhard, blindé léger de
6 tonnes, aérotransportable, est doté d’un
canon de 90 mm. Quant à l’AMX 10, nettement plus puissant, il est armé d’une pièce
de 105 et peut être uti-lisé comme char principal de combat. Plus de deux cents AMX 10
sont aujourd’hui en service. En dépit de l’élargissement de la menace (mines, roquettes,
« munitions intelligentes »), l’armée française
reste fidèle au char, en raison de sa capacité
de destruction et d’évolution en « ambiance
nucléaire ».
Bloc des gauches, alliance scellée, en
vue des élections législatives de 1902, par
les forces politiques - radicaux, socialistes,
républicains démocrates - qui soutiennent le
gouvernement Waldeck-Rousseau depuis juin
1899.
Grâce à la pratique des désistements au second tour, le Bloc des gauches gagne les élections, qui portent Émile Combes à la présidence du Conseil. Le Bloc est représenté en
permanence à la Chambre des députés par
la « délégation des gauches », composée de
membres des quatre groupes parlementaires
alliés (Union démocratique, Gauche radicale,
radicaux-socialistes, socialistes) ; il sert d’intermédiaire entre les élus de la majorité et le
gouvernement. Les socialistes soutiennent le
cabinet sans y participer. En dépit de cette
structure, animée par Jean Jaurès, des divisions apparaissent dès 1904. Combes mène
une politique anticléricale qui dresse contre
lui une partie des modérés de l’Union démocratique ainsi que quelques radicaux : les
socialistes, pour leur part, lui reprochent
l’absence de toute politique sociale. En janvier 1905, Combes est contraint à la démission. L’alliance est maintenue pour obtenir
le vote, en juillet 1905, de la loi de séparation des Églises et de l’État (promulguée en
décembre). Mais elle se désagrège sous le
ministère Clemenceau (octobre 1906-juillet
1909), en dépit de la forte représentation des
radicaux dans ce gouvernement, dont la chute
signifie la mort du Bloc.
L’oeuvre du Bloc des gauches n’est pas
mince : elle contribua largement à républicaniser la France - loi de séparation, réformes
du service militaire et de l’enseignement -, à
défaut de vraiment la démocratiser.
Bloc national, coalition de formations
politiques, situées majoritairement à droite et
au centre, qui dirige la France de 1919 à 1924.
Le Bloc national apparaît au lendemain de la
Grande Guerre, alors que persiste dans une
bonne partie de l’opinion l’esprit de l’« union
sacrée » : la loi électorale de juillet 1919 ayant
introduit le scrutin proportionnel de liste, les
divers partis se voient dans la nécessité de
conclure des accords en vue des élections du
16 novembre 1919. À gauche, la SFIO, profondément divisée quant à l’attitude à adopter
à l’égard de la révolution bolchevique, décide
downloadModeText.vue.download 101 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
90
de refuser tout accord avec les partis « bourgeois », ce qui prive le Parti radical de toute
possibilité d’entente avec elle. Les partis de
droite et du centre (catholiques, nationalistes
et républicains modérés de la Fédération républicaine et de l’Alliance démocratique) se
regroupent sur les thèmes du nationalisme, de
l’anticommunisme et de la stricte exécution
des traités. Les radicaux présentent des listes
isolées ou s’associent avec les modérés, dont
l’esprit laïque ne leur paraît faire aucun doute.
Au soir du 16 novembre, la victoire des listes
de droite et du centre (dites « de Bloc national ») est manifeste : 400 députés de droite et
du centre, 100 radicaux, 68 socialistes, sont
élus au sein de la Chambre bleu horizon (elle
comprend environ 50 % d’anciens combattants).
Assurer la pacification religieuse, permettre
le redressement du pays par l’exécution des
traités, et notamment le paiement des réparations allemandes, sans alourdir la charge
pesant sur les contribuables français, lutter
contre la « subversion » révolutionnaire, tels
étaient les principaux objectifs de la Chambre
bleu horizon : force est de reconnaître qu’ils
furent inégalement atteints, sauf le troisième,
la grande vague de grèves révolutionnaires du
printemps de 1920 se soldant par un échec
total. La reprise des relations diplomatiques
avec le Saint-Siège, en 1921, aboutit à une
amélioration des rapports entre l’Église et
l’État, nettement avantageuse pour les deux
parties ; elle provoque toutefois le mécontentement d’intransigeants de droite, devant le
refus de l’État républicain de revenir sur l’intangibilité des lois laïques, mais aussi l’irritation des anticléricaux. En politique extérieure,
l’échec est patent : l’occupation de la Ruhr,
décidée en janvier 1923 pour contraindre l’Allemagne au paiement des réparations, se solde
par un fiasco, obligeant le gouvernement à
une augmentation générale des impôts à la
veille des élections de 1924.
En réalité, plusieurs facteurs n’ont cessé de
contribuer à affaiblir l’action des gouvernements du Bloc national : l’absence d’une majorité homogène, le décalage entre la majorité
et les gouvernements, les illusions de l’opinion. L’analyse des scrutins révèle, en effet,
l’existence de plusieurs types de majorités,
souvent axées à droite (question religieuse)
ou parfois orientées vers un rassemblement
plus large (politique extérieure). Les chefs du
gouvernement, exclusivement choisis dans
le vivier d’avant-guerre (Millerand, Briand,
Poincaré), se situent au centre et sont soucieux de se démarquer des bataillons de la
droite catholique et nationaliste en s’appuyant
sur les radicaux. Enfin, l’opinion ne comprend que tardivement et imparfaitement le
caractère illusoire des clauses économiques
du traité de Versailles, l’affaiblissement du
pays, victorieux mais exsangue, et les risques
considérables d’une situation d’isolement
international.
Blocus continental, prohibition des
marchandises anglaises sur le continent européen décrétée à Berlin par Napoléon Ier le
21 novembre 1806.
De la Révolution à l’Empire, l’or anglais alimentant les coalitions contre la France, celleci recourt à l’arme économique afin de mettre
un terme au conflit militaire et politique,
tentant dans le même temps de réduire la
concurrence et d’imposer sa propre hégémonie économique à l’Europe.
Lorsque, en mai 1806, les côtes françaises
sont déclarées en état de blocus par l’Angleterre, qui applique cette mesure aux navires
neutres et en haute mer, la France n’a plus de
flotte - elle a été détruite à Trafalgar en 1805 pour contrecarrer sa rivale. Napoléon réplique
par le décret de Berlin, imposant à son tour le
blocus des îles Britanniques. Pour l’Empereur,
qui a fait sienne l’idée erronée selon laquelle
l’économie insulaire est fragile, parce qu’elle
repose sur le crédit et ne dispose pas d’une
agriculture suffisante, il s’agit de fermer le
marché européen aux produits anglais, pour
asphyxier l’économie de l’Angleterre et provoquer une crise financière et sociale la contraignant à la paix. Le décret de Berlin offre cette
caractéristique nouvelle : présentant la France
comme le défenseur de l’Europe contre le
despotisme maritime anglais, il étend la politique française aux pays alliés et satellisés.
Leur interdisant tout commerce et toute correspondance avec l’Angleterre, il déclare « de
bonne prise » tout produit manufacturé ou
colonial britannique, et prisonnier de guerre
tout citoyen anglais - dont les propriétés sont
confisquées - interpellé en France et dans les
pays occupés. En novembre 1807, à la riposte
anglaise, qui oblige tous les navires à venir
payer des droits de douane dans un port britannique, Napoléon répond par les décrets de
Milan ordonnant la saisie de tout bâtiment
s’étant conformé aux ordres anglais.
Mais le blocus est un échec. Mis à mal
par la contrebande qui fleurit partout, il
s’effrite d’autant plus que, pour faire face à
la baisse des revenus douaniers, à la pénurie
de matières premières et à la cherté des denrées coloniales, Napoléon autorise en 1810,
au bénéfice du seul territoire français, l’importation de certains produits anglais, qu’il
frappe de droits de douane élevés. Le respect
du blocus par l’Europe continentale étant la
condition de son efficacité, Napoléon poursuit sans relâche une politique d’intervention
et d’expansion militaires qui provoquera sa
chute. En fin de compte, le blocus, qui n’a
jamais été « étanche », n’a que passagèrement
perturbé l’Angleterre, sauvée par la guerre
d’Espagne (1808-1813) et la campagne de
Russie (1812), mais aussi par sa maîtrise des
mers et sa formidable faculté d’adaptation et
de conversion économiques.
Blois (comté de), comté d’origine carolingienne, coeur de l’une des plus grandes prin-
cipautés féodales de la France du Nord aux XIe
et XIIe siècles, finalement intégré au domaine
royal en 1498, à la suite de l’accession au
trône de France du dernier comte, Louis d’Orléans, sous le nom de Louis XII.
Le comté, qui appartenait depuis le IXe siècle
aux ducs des Francs, est confié au Xe siècle
à l’un de leurs vassaux, Thibaud le Tricheur
(mort en 978), vicomte de Tours. Ce dernier
est l’artisan de sa transformation en principauté féodale : il s’émancipe de la tutelle des
ducs, s’allie aux familles de Vermandois et
de Bretagne, et ajoute à ses possessions Châteaudun, Provins et le comté de Chartres.
Son oeuvre est poursuivie par son petit-fils,
le comte Eudes II de Blois (mort en 1037).
En acquérant les comtés de Troyes et de
Meaux en 1022, il unit le comté de Blois à la
Champagne, et fait ainsi de sa maison l’une
des plus puissantes du royaume : il bat monnaie à son nom, tient sa propre cour, érige
l’abbaye de Marmoutier en nécropole comtale, et n’hésite pas à attaquer à plusieurs
reprises le roi capétien Robert le Pieux. À la
fin du XIe siècle, le mariage du comte Étienne
Henri (mort en 1102) avec Adèle, fille de
Guillaume le Conquérant, duc de Normandie
et roi d’Angleterre, renforce la puissance des
comtes de Blois ; et la mort de l’héritier direct
de Guillaume le Conquérant, en 1135, permet à un cadet de la famille de Blois, Étienne,
de monter sur le trône d’Angleterre et d’y
régner jusqu’en 1154. La première moitié du
XIIe siècle marque ainsi l’apogée du comté et
de la maison de Blois.
Mais, au cours de ce même XIIe siècle, la
famille comtale fait progressivement de la
Champagne, où apparaissent les premières
foires, le coeur de sa principauté. Le mouvement est accentué en 1152 par le partage du
patrimoine familial : l’aîné conserve la Champagne, tandis que les cadets héritent des comtés de Blois et de Chartres. La mort du comte
Thibaud VI, en 1218, met un terme à la domination de la maison de Blois sur le comté de
Blois, lequel entre alors dans une plus grande
dépendance à l’égard du pouvoir royal. Aux
XIIIe et XIVe siècles, le comté est une possession
de la maison de Châtillon, famille plusieurs
fois alliée par le sang aux Capétiens. Enfin,
en 1397, il est acquis par Louis d’Orléans,
frère du roi Charles VI et régent du royaume,
dont le fils Charles tient une cour brillante
au château de Blois, après sa longue captivité
en Angleterre. Dès son accession au trône de
France, Louis XII, fils de Charles d’Orléans,
entreprend la rénovation complète du châ-
teau, qui devient, durant un siècle, l’une des
principales résidences royales.
Blum (Léon), homme politique, dirigeant
socialiste, chef du gouvernement de la République en 1936-1937, 1938 et 1946-1947 (Paris
1872 - Jouy-en-Josas, Seine-et-Oise, 1950).
• L’éveil à la politique. Léon Blum est né
à Paris, le 9 avril 1872, dans une famille
juive d’origine alsacienne marquée par des
traditions religieuses, dont le jeune Léon se
détourne très vite, même si, par la suite, il
présentera son sens aigu de l’esprit de justice comme un lointain héritage de la foi de
ses pères. Élève brillant, il est reçu à l’École
normale supérieure en 1890, mais il en est
exclu l’année suivante, à la suite d’un échec
à l’examen de licence. Il se tourne alors
vers la faculté de droit, et réussit, en 1895,
le concours du Conseil d’État, où il fait carrière jusqu’en 1914, comme auditeur, puis
comme maître des requêtes, avant de devenir commissaire du gouvernement. Il affirme
alors un souci constant de protéger les droits
individuels, tout en ménageant une possibilité d’arbitrage par la puissance publique.
Parallèlement, Léon Blum se consacre à l’activité littéraire, publiant, à partir de 1892, des
downloadModeText.vue.download 102 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
91
chroniques et des comptes rendus critiques
dans la Revue blanche, qui compte alors parmi
ses collaborateurs Gide, Proust et Anatole
France. Essayiste, il rédige notamment Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann
(1901), mélange révélateur de l’esprit « fin de
siècle », marqué par le dilettantisme, l’esthétisme et l’égotisme, mais qui témoigne parfois
d’une hardiesse de pensée bien en avance sur
son époque.
Cependant, la politique n’est pas absente
de cette première partie de l’existence de Léon
Blum. En 1893, il fait la connaissance de Lucien Herr, bibliothécaire de l’École normale
supérieure de la rue d’Ulm, qui l’initie aux
théories socialistes et le convertit à la cause
de Dreyfus. Dans le combat dreyfusard, mené
avec passion, il rencontre Jean Jaurès, et se lie
d’une amitié indéfectible avec le grand tribun.
Pour Blum comme pour Jaurès, le socialisme
ne peut, sans se renier, abandonner l’héritage
de la République, mais il doit le dépasser, le
but ultime restant la transformation totale
de la société, fondée sur le changement du
régime de la propriété. Ce socialisme de synthèse s’inspire peu du marxisme ; sans renoncer à l’idée de révolution - ce qui le distingue
d’un réformisme -, il met en valeur les notions
d’humanisme et de démocratie.
Personnalité indépendante, Blum, sous
l’influence de Lucien Herr, découvre, en
1899, les nécessités de l’organisation en adhérant au groupe de l’Unité socialiste. Durant les
années suivantes, aux côtés de Jaurès, il oeuvre
à l’unification des forces socialistes. Son rôle,
sans être alors de premier plan, s’avère utile
en pratique : Léon Blum, en effet, participe
activement à la création et au lancement de
l’Humanité en 1904, tant au point de vue
financier que par sa collaboration littéraire.
Il accepte comme un préalable à l’unité socialiste les conclusions du congrès d’Amsterdam
portant condamnation du ministérialisme,
bien qu’il ait, antérieurement, observé avec
intérêt le déroulement de l’expérience Millerand, socialiste appelé à participer au gouvernement par Waldeck-Rousseau. Cependant,
une fois l’unité réalisée au sein de la SFIO en
avril 1905, et tout en restant très proche de
Jaurès, Blum s’écarte de la politique militante,
mal à l’aise, peut-être, devant les débats sur
l’« antipatriotisme » internationaliste.
• Blum et l’exercice du pouvoir. En 1914,
rallié, à l’instar de son parti, à l’« union sacrée », il devient chef de cabinet de Marcel
Sembat, ministre socialiste des Travaux publics, et occupe pendant vingt-sept mois ce
poste, où il acquiert une connaissance précise
des rouages du pouvoir. Ses réflexions, consignées dans les Lettres sur la réforme gouvernementale (publiées en 1918), le pousseront à
réclamer l’instauration d’une présidence du
Conseil dotée de réels moyens et soumise à
un contrôle parlementaire rationalisé. Au sein
du parti, membre de la majorité favorable à
l’« union sacrée », il n’en émet pas moins des
réserves face à la pratique réformiste de ses
camarades, tout en condamnant sans équivoque la dictature bolchevique. Cette position
« centriste » fait de lui une personnalité clé du
parti au lendemain de la guerre.
Député, pour la première fois, à 47 ans,
secrétaire du groupe restreint des socialistes
élus en 1919 à la Chambre, il prend part à la
controverse relative à l’adhésion à la IIIe Internationale. Irrémédiablement hostile aux
méthodes bolcheviques, il fonde un « comité
de résistance socialiste ». Lors du congrès de
Tours, le 27 décembre 1920, il prononce le
grand discours de refus aux « vingt et une
conditions » : la SFIO, parti « d’éducation
populaire et de propagande politique », ne
peut, même si elle reste un mouvement révolutionnaire qui ne doit pas se laisser enfermer
dans la légalité, se transformer en un organisme soumis à une direction clandestine, et
dans lequel les minorités ne pourraient plus
s’exprimer. Persuadé qu’il y a « contradiction
formelle et absolue entre ce qui a été le socialisme et ce qui sera demain le communisme »,
Blum estime nécessaire que « quelqu’un garde
la vieille maison ».
Après le congrès, il s’attelle à cette tâche :
à la Chambre, en tant que figure de proue du
groupe socialiste ; au Populaire, devenu l’organe de la SFIO, comme éditorialiste. Blum
et la SFIO sont alors confrontés au difficile
problème de la participation au pouvoir : le
parti socialiste, à vocation révolutionnaire,
doit-il accepter les offres de ses alliés radicaux ? À cette question, posée au lendemain
des victoires de la gauche en 1924 et en 1932,
le parti répond par la négative. En 1926, Blum
développe la distinction entre l’exercice et la
conquête du pouvoir : la seconde, souhaitable
mais irréalisable dans l’immédiat, suppose
la prise totale du pouvoir par le prolétariat,
qui pourrait alors ne pas tenir compte de la
légalité « bourgeoise » ; l’exercice du pouvoir
implique, au contraire, le strict respect des
lois, étant soumis à un préalable - la position
majoritaire de la SFIO dans une coalition de
gauche victorieuse -, et doit poursuivre le
double objectif d’améliorer la condition ouvrière et de préparer le changement du régime
de la propriété.
En 1936, Léon Blum y est confronté, à
l’issue de la victoire électorale des gauches,
regroupées au sein du Rassemblement populaire. Un mouvement social de grande ampleur accompagne sa nomination au poste
de président du Conseil en juin 1936. En
légaliste scrupuleux, Blum respecte les délais
constitutionnels requis pour sa prise de fonction ; il démissionnera un an plus tard, à la
suite de sa mise en minorité par le Sénat. Son
programme économique et social, dicté par
le double souci d’améliorer immédiatement
le sort du prolétariat - relèvement du pouvoir
d’achat, congés payés, diminution du temps
de travail hebdomadaire - et de faire évoluer
les structures - incitations à l’établissement
de rapports contractuels et à l’arbitrage -,
s’actualise dans un train de réformes durant
l’été 1936. Mais, dès le début de 1937, faisant
preuve de réalisme, Blum décrète la « pause »
des réformes. Le bilan appelle des nuances :
la gestion de l’économie a pu être contestée,
mais les avancées sociales restent acquises.
En politique extérieure, Blum doit faire face
à des choix difficiles. Alors que le programme
du Front populaire conservait comme références essentielles la sécurité collective et le
désarmement, le déclenchement de la guerre
d’Espagne et le rapprochement entre les puissances fascistes posent en termes aigus la
question de la sécurité nationale. Personnellement favorable à un appui au gouvernement
républicain espagnol, victime du soulèvement
militaire dirigé par Franco, Léon Blum doit
tenir compte des avis divergents au sein de
sa majorité, de la profonde division de l’opinion publique et du maintien de la cohésion
franco-britannique : il se rallie donc à l’idée de
non-intervention, mais lance, dès septembre
1936, un programme de réarmement, qui ne
portera ses fruits que deux ans plus tard.
• Les épreuves et la sagesse. Désormais,
l’attention de Léon Blum se porte sur les
questions de politique extérieure. En mars
1938, alors que la majorité du Front populaire connaît ses derniers jours, il propose
la constitution d’un gouvernement d’union
nationale, à laquelle il doit finalement renoncer devant les réticences des formations de
droite. Son second cabinet, privé de véritable
majorité, ne dure pas plus de trois semaines
(mars-avril 1938). Même si Blum semble,
sur le moment, se résigner aux accords de
Munich, il combat, à partir de la fin de 1938,
l’aile pacifiste de son parti, menée par Paul
Faure. En juillet 1940, la SFIO ne parvient
pas à adopter une attitude commune face à
Pétain : le 10 juillet 1940, 36 parlementaires
socialistes seulement suivent Blum dans son
refus de voter les pleins pouvoirs au maréchal,
contre 90 qui les lui accordent.
Arrêté le 15 septembre 1940, sur ordre
du gouvernement de Vichy, Blum comparaît
à partir du 19 février 1942 devant la Cour
suprême de Riom, instaurée par Pétain pour
juger les présumés « responsables » de la défaite. Il y défend avec vigueur les institutions
démocratiques et les réalisations sociales de
son gouvernement, et donne ainsi un nouveau souffle à la Résistance socialiste, avant
que Vichy, sous la pression allemande, n’ordonne l’interruption du procès. Déporté le
31 mars 1943, il est interné à Buchenwald, et
soumis aux conditions particulières réservées
aux otages de marque. De retour à Paris en
mai 1945, Blum, qui fait désormais figure de
sage placé au-dessus de la mêlée, prône une
conception renouvelée du socialisme : celuici n’a pas seulement pour but « la libération
économique et sociale », il doit viser, en définitive, à « rendre la personne humaine plus
heureuse et meilleure ». Ce point de vue n’est
pas admis par les tenants de la tendance dogmatique du parti, qui, en août 1946, évincent
de la direction Daniel Mayer, disciple de Léon
Blum. Celui-ci accepte, par civisme, de présider le gouvernement provisoire (décembre
1946-janvier 1947), le dernier avant la mise
en place des institutions de la IVe République.
Il meurt le 30 mars 1950, laissant le souvenir
d’un républicain exemplaire et d’une haute
figure intellectuelle, dont on retient l’effort
soutenu pour définir un socialisme démocratique fondé sur la justice sociale et l’amélioration morale.
Blum-Viollette (projet), projet de loi du
gouvernement du Front populaire (1936) visant à octroyer la plénitude des droits civiques
à un certain nombre de musulmans algériens.
Les noms de Léon Blum, alors président du
Conseil, et de Maurice Viollette, ancien goudownloadModeText.vue.download 103 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
92
verneur général de l’Algérie (1925-1927),
devenu ministre d’État chargé des affaires
d’Afrique du Nord en 1936, sont restés attachés à ce projet. En vertu de celui-ci, 24 000
ou 25 000 indigènes musulmans appartenant
à diverses catégories - anciens combattants
volontaires ; titulaires du brevet élémentaire,
de diplômes plus élevés, ou de certaines décorations ; médaillés du travail ; élus locaux ;
membres des chambres de commerce et
d’agriculture - auraient pu acquérir la pleine
citoyenneté, tout en conservant leur statut
personnel coranique. Ils auraient donc été
électeurs et éligibles aux législatives, et auraient pu accéder à tous les emplois publics.
Dès qu’il est connu, le projet soulève une
vive indignation des Européens d’Algérie,
et l’on assiste à une levée de boucliers des
élus locaux. Nombre de maires et d’adjoints
donnent leur démission, si bien qu’il doit être
mis en sommeil, et n’est jamais discuté... Cet
abandon suscite l’amertume parmi les musulmans ; et Ferhat Abbas peut prophétiser :
« Faute de réformes immédiates et substantielles, [...] ce n’est pas le projet Blum-Viollette que nous enterrerons, c’est l’oeuvre tout
entière de la France qui sombrera. »
Bodin (Jean), légiste et philosophe (Angers
1529 ou 1530 - Laon 1596).
Après des études de droit à Toulouse, Jean
Bodin devient avocat au parlement de Paris en
1561, puis procureur du roi à Laon. Durant
les guerres de Religion, il se range du côté
des « politiques », qui prônent l’unité nationale autour de la personne royale. Il s’oppose
violemment aux menées de ceux qui veulent
révoquer les édits de pacification.
De même que celle de Machiavel, sa réflexion est guidée par une visée pratique : étudier les sociétés du passé pour comprendre
les turbulences du présent et y ouvrir des
perspectives. Son premier traité, la Méthode
de l’histoire (1566), propose à la fois une synthèse historique et une réflexion méthodologique. Englobant toutes les sociétés et civilisations connues, l’ouvrage est l’un des premiers
à circonscrire avec rigueur le territoire propre
de l’historien. L’histoire humaine y est nettement distinguée de l’histoire théologique et
de l’histoire naturelle. Bodin récuse la plupart des cadres qui avaient régi cette discipline avant lui : ni la théorie des « quatre empires mondiaux » (Babylone, Perse, Grèce et
Rome), ni le mythe de l’âge d’or, ni l’idée d’un
plan divin inscrit dans l’histoire, ne trouvent
grâce à ses yeux.
Cette attention aux faits et ce refus des
spéculations hasardeuses sont encore plus
nets dans le grand traité politique des Six
Livres de la République (1576). Au moment
où paraît l’ouvrage, Bodin est représentant
du Tiers aux états généraux de Blois, et la
crise religieuse qui secoue la France depuis
plusieurs décennies n’est évidemment pas
étrangère à la genèse de sa réflexion : la République se donne pour but de récapituler
huit siècles d’histoire politique française, et
de réconcilier le royaume bouleversé avec
son génie séculaire. Loin de se limiter à la
France, Bodin pose les bases d’une sociologie
comparée des États. De cette immense entreprise, à l’érudition foisonnante, la postérité a
surtout retenu la théorie de la souveraineté,
absolue et perpétuelle. S’opposant à Machiavel, coupable à ses yeux d’avoir réduit la
politique à sa dimension tacticienne, Bodin
analyse avec une acuité remarquable les
structures institutionnelles où s’incarne le
principe de souveraineté d’un État, donnant
la préférence, en ce qui concerne le régime,
à une « monarchie harmonique », dans laquelle le roi retrouverait toute son autorité.
L’auteur de la République sait tirer le parti
le plus fécond de sa formation juridique et
de sa culture philosophique : c’est au croisement de ces deux disciplines qu’émerge l’une
des idées cardinales de la politique moderne.
Boisguilbert (Pierre Le Pesant, sieur
de), économiste, l’un des fondateurs de l’économie politique libérale (Rouen 1646 - 1714).
Issu de la petite noblesse de robe, il occupe
différentes charges dans sa ville natale : président et lieutenant général du bailliage et
présidial, lieutenant de police. Janséniste,
formé à Port-Royal, il est très influencé par
Pierre Nicole. Sensible à la grande détresse
économique et sociale de sa province en une
période de dépression, il conçoit de vastes
projets de réforme du royaume, qu’il soumet
inlassablement aux contrôleurs généraux
successifs, grâce à l’appui de Vauban, dont
il est proche. Boisguilbert est le premier à
formuler une théorie du circuit économique,
soulignant l’interdépendance de l’agriculture
et de l’industrie, et des différentes classes de
la société. Iconoclaste, il réfute le mercantilisme : la monnaie n’est qu’un instrument
de mesure et d’échange. Les biens utiles
constituent la seule richesse ; la terre et le
travail en sont le fondement. L’économie
repose sur la demande et l’intérêt individuel.
Boisguilbert propose ainsi une théorie explicative des fluctuations économiques fondée
sur les variations du produit agricole. Surtout, il dénonce vigoureusement la fiscalité
- lourde, complexe et injuste - qui décourage la production et la consommation. En
outre, il prône la liberté des échanges, censée
permettre un retour à l’équilibre « naturel ».
Mais ses livres (Détail de la France, 1695 ; le
Factum de la France, 1707) sont désavoués
ou condamnés. Il meurt découragé et aigri.
La pertinence de ses critiques ne sera reconnue que bien plus tard.
Boissy d’Anglas (François Antoine,
comte de), homme politique (Saint-JeanChambre, Ardèche, 1756 - Paris 1826).
Avant la Révolution, ce protestant, avocat au
parlement de Paris, déploie ses talents littéraires en tant que membre des académies
de Lyon et de Nîmes, et correspondant de
l’Académie royale des inscriptions et belleslettres. Il est élu député aux états généraux
pour la sénéchaussée d’Annonay en 1789,
puis représente l’Ardèche à la Convention,
où, jusqu’au 9 thermidor an II (27 juillet
1794), il intervient très peu à la tribune. Ses
écrits des premiers temps révolutionnaires ne
correspondent pas à l’image de modéré que
l’historiographie lui a faite : en 1791, contre
l’abbé Raynal et avec Robespierre, il soutient
la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen (1789), ainsi que ce « moyen violent » qu’est l’insurrection, puisque l’on doit
« tout détruire afin de tout recréer ».
Après la chute des robespierristes, il devient l’une des figures centrales du « moment
thermidorien ». Membre du Comité de salut
public (décembre 1794), il est président de la
Convention lors de la dernière grande insurrection populaire du 1er prairial an III (20 mai
1795). C’est lui qui, dit-on, salue respectueusement la tête tranchée du député Féraud ; un
geste de courage qui lui vaut, au XIXe siècle,
une grande popularité auprès des conservateurs. En 1795, il reprend les arguments de
Raynal, qu’il a pourtant combattus quatre
ans plus tôt. En l’an III, il ne s’agit plus, pour
lui, de défendre la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, mais d’en stigmatiser
le danger : le peuple risque à tout moment de
réclamer ses droits et de plonger l’État dans
l’anarchie, dont la période de la Terreur est,
à ses yeux, emblématique. Boissy d’Anglas est
l’un des auteurs de la Constitution de 1795,
substituée à celle de 1793 par un coup d’État
parlementaire, et dont il résume l’enjeu dans
cette phrase demeurée célèbre : « Un pays
gouverné par les propriétaires est dans l’ordre
social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. » Ce n’est
plus le droit naturel à l’égalité qui doit gouverner les rapports entre citoyens dans l’état
social, mais la propriété. Le suffrage censitaire
est rétabli ; la référence aux droits naturels,
jugée subversive, disparaît de la Déclaration. Parallèlement à cette justification d’une
République des propriétaires, il développe
une conception colonialiste des rapports
d’échange. Élu au Conseil des Cinq-Cents,
membre du Tribunat, sénateur et comte
d’Empire, il se rallie ensuite à la Restauration.
Bonald (Louis Gabriel Ambroise, vicomte
de), philosophe et homme politique (Millau
1754 - id. 1840).
Issu d’une famille rouergate de petite mais
ancienne noblesse, Louis de Bonald fait ses
études chez les oratoriens de Juilly, devient
mousquetaire du roi et maire de Millau en
1785. Lié aux milieux physiocratiques, il accueille favorablement les nouvelles de l’année
1789. Reconduit dans ses fonctions de maire
en 1790, élu à la présidence de l’assemblée
départementale, il refuse la Constitution civile
du clergé en 1791, démissionne et émigre le
18 octobre, pour s’enrôler dans l’armée des
princes, avant de se réfugier à Constance, où
il séjourne jusqu’en 1797. Il y écrit la Théorie
du pouvoir politique et religieux, premier grand
ouvrage doctrinal de la Contre-Révolution
française. Rentré clandestinement en France
au printemps 1797, il publie, entre 1800 et
1802, l’Essai analytique sur les lois naturelles de
l’ordre social, Du divorce, la Législation primitive, et collabore régulièrement au Mercure de
France, puis au Journal des débats. Napoléon
le nomme au Conseil de l’Université en 1810,
et Louis XVIII à l’Académie en 1814. Élu à la
Chambre « introuvable » en 1815, il publie
notamment des Recherches philosophiques
(1818). L’un des principaux rédacteurs du
Conservateur (1818-1820), puis du Défenseur
(1820-1821), pair de France (1823), comptant parmi les voix les plus respectées du parti
downloadModeText.vue.download 104 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
93
ultra, Bonald préside le comité de censure en
1827. Il quitte la vie politique en 1829, se
retire au château de Monna, près de Millau,
où il mourra, laissant de nombreux textes inédits, dont des Réflexions sur la révolution de
Juillet, publiées en 1880.
Éminent représentant de la pensée contrerévolutionnaire, avec Joseph de Maistre et le
premier Lamennais, partie prenante dans tous
les débats politiques et idéologiques de la Restauration, Bonald entend analyser les causes
de la Révolution et en récuser les principes. À
la différence du comte de Maistre, il fonde son
système moins sur la providence que sur des
concepts : société organique, législation primitive d’origine divine - à laquelle le langage
inné donne corps -, constitution naturelle
évoluant vers son achèvement monarchique
et réunissant sociétés religieuse et politique,
rythme ternaire fondamental « cause/moyen/
effet ». Pour lui, l’histoire tend vers une fin
catastrophique. Son influence marquera le
XIXe siècle, de Balzac à Maurras, et sa formule
- souvent attribuée à d’autres - « La littérature
est l’expression de la société » (1802) passe
pour avoir ouvert la voie à la sociologie littéraire.
Bonaparte (famille). La formation, à partir de 1806, du Grand Empire, constitué de
pays vassaux, royaumes, principautés et duchés, rassemblés autour de l’Empire français
qui en compose le noyau, est indissociable du
« pacte de famille », rouage essentiel de la
stratégie européenne de Napoléon Ier.
Même si ce système relève d’une politique
de puissance classique, la pratique napoléonienne innove par un systématisme tel que
les frères et soeurs placés sur le trône de pays
étrangers - à l’exception de Lucien, qui, refusant de se soumettre, est exclu de la succession dynastique - ne disposent d’aucune
liberté de manoeuvre. Au service exclusif
de l’Empire français, ils sont aux ordres de
l’Empereur, auquel ils sont personnellement
attachés. L’organisation de la famille impériale, dont le statut particulier est promulgué
le 31 mars 1806, place ainsi tous les parents
de Napoléon entièrement sous sa tutelle : non
seulement les enfants mineurs, mais aussi les
parents majeurs, qui ne peuvent se marier ou
adopter d’enfants sans son consentement, et
qu’il peut emprisonner à sa guise. La même
année, Joseph devient roi de Naples (puis
roi d’Espagne en 1808) ; Louis, roi de Hollande ; Caroline - épouse de Murat -, grandeduchesse de Berg (puis reine de Naples en
1808), et Pauline, duchesse de Guastalla. En
1807, Jérôme, qui épouse la fille du roi de
Wurtemberg, est fait roi de Westphalie ; puis
Élisa, princesse de Lucques et de Piombino en
1805, devient grande-duchesse de Toscane en
1809. Les enfants du premier lit de Joséphine
de Beauharnais, première épouse de Napoléon, jouent aussi un rôle dans cette politique
familiale : Hortense, qui épouse Louis ; et,
surtout, Eugène, vice-roi d’Italie en 1805,
que Napoléon adopte et marie à la fille du roi
de Bavière en 1806 ; sans oublier Stéphanie,
nièce de Joséphine, également adoptée par
l’Empereur, et mariée en 1806 au prince héritier du grand-duché de Bade.
Ce système n’est pas sans défauts ni conflits
d’autorité. Napoléon se heurte à l’orgueil de
Joseph, l’insoumission de Louis, l’insouciance
de Jérôme ou l’ambition de Caroline. Mais ses
parents appliquent ses principales consignes.
Ils dotent ainsi leurs royaumes de Constitutions et d’institutions inspirées du modèle
français, et, surtout, observent le Blocus continental, proclamé en novembre 1806, pillent
les richesses et fournissent des soldats à la
Grande Armée. Cependant, même si l’administration française remodèle en profondeur
une partie de l’Europe conquise, aucun Bonaparte n’acquiert d’autorité ou de légitimité
suffisantes pour conserver durablement son
trône.
Bonaparte (Jérôme), homme politique
(Ajaccio, Corse, 1784 - Villegenis, Seine-et-
Marne, 1860), roi de Westphalie (1807/1813).
Benjamin de la famille Bonaparte, d’un caractère léger et irresponsable, aimant le luxe et
les plaisirs, il laisse volontiers son frère Napoléon conduire sa vie. Jeune commandant de
marine, il séjourne aux États-Unis en 1803
où, encore mineur, il épouse la fille d’un négociant américain, provoquant la fureur du
Premier consul, qui le somme de rentrer en
France et de répudier sa femme. Ayant cédé
aux injonctions de son frère - entre-temps
devenu empereur -, il reçoit le titre de prince
français en 1805, puis est fait roi de Westphalie, royaume créé après le traité de Tilsit, avant
d’être marié à la fille du roi de Wurtemberg
en 1807. Flanqué de trois régents nommés
par son frère, il laisse les ministres gouverner et se contente des joies d’une sinécure
dorée. Bien que piètre combattant, il obtient
un commandement lors de la campagne de
Russie, mais, placé sous les ordres de Davout,
il refuse ce poste subalterne et quitte l’armée.
En octobre 1813, à la suite de la bataille de
Leipzig, il est contraint de fuir son royaume,
l’un des premiers à se libérer de la domination française. Réfugié en Italie après 1814,
puis au Wurtemberg après Waterloo, où il
combat vaillamment, et enfin à Florence, il
est autorisé à rentrer en France en 1847. Au
lendemain de la révolution de 1848, il s’efface
devant son neveu qui, devenu Napoléon III,
le fait gouverneur des Invalides, maréchal de
France, premier prince du sang, et président
du Sénat. Seul parmi les frères et soeurs de
Napoléon Ier à mourir en France, il est inhumé
aux Invalides.
Bonaparte (Joseph), homme politique
(Corte, Corse, 1768 - Florence, Italie, 1844),
roi de Naples (1806/1808) puis d’Espagne
(1808/1813).
Frère aîné de Napoléon, avocat, entré en
politique dès 1789, il s’engage avec les jacobins corses dans la lutte contre Paoli, mais il
ne peut satisfaire ses ambitions. Après avoir
quitté la Corse en 1793, il devient commissaire des guerres, puis, dans le sillage de son
frère, est élu député au Conseil des CinqCents en 1797, mais ne joue aucun rôle dans
le coup d’État du 18 brumaire. Membre du
Corps législatif et du Conseil d’État sous le
Consulat, il remplit avec succès ses missions
diplomatiques en oeuvrant aux signatures du
traité de Lunéville, du concordat de 1801 et
de la paix d’Amiens. Sénateur en 1802, grand
électeur en 1804, il reçoit la régence lors
de la campagne de 1805. Bien que couvert
d’honneurs, il supporte mal sa subordination
et multiplie les brouilles. Fait roi de Naples
en 1806, non sans avoir en vain réclamé une
certaine autonomie auprès de Napoléon qui
lui adjoint notamment Roederer, il adapte le
modèle français à son royaume. Transféré sur
le trône d’Espagne en 1808, il n’acquiert pas
davantage d’autorité. Au terme de la longue
guerre d’Espagne, il doit fuir la péninsule
et perd sa couronne au traité de Valençay
(11 décembre 1813). Lors de la campagne
de 1814, il est nommé lieutenant général
de l’Empire, chargé de défendre Paris - qu’il
abandonne le 30 mars. Pendant les CentJours, il préside le Conseil des ministres en
l’absence de Napoléon. Installé aux États-Unis
en 1815 sous le nom de comte de Survilliers,
il se fixe à Florence, après plusieurs voyages,
en 1841.
Bonaparte (Louis), homme politique
(Ajaccio, Corse, 1778 - Livourne, Italie, 1846),
roi de Hollande (1806/1810).
Neurasthénique et ombrageux à l’extrême,
il est le plus fragile des frères de Napoléon.
Guidé dès son plus jeune âge par ce dernier,
qui le fait entrer dans l’artillerie, il le suit en
tant qu’aide de camp lors de la campagne
d’Italie et de l’expédition d’Égypte, puis remplit quelques missions diplomatiques sous le
Consulat. En 1802, il est marié, contre son
gré, à la fille de Joséphine de Beauharnais,
Hortense, dont il se sépare en 1810, et dont
il refuse de reconnaître les enfants, parmi lesquels le futur Napoléon III. Connétable - le
plus haut titre militaire - en 1804, ce grand
dignitaire de l’Empire est aussi sénateur,
membre du Conseil d’État et commandant
général de la Garde impériale. Fait roi de Hollande en 1806, il prend sa fonction au sérieux
et se rebelle contre le joug napoléonien, devenant de ce fait le plus populaire des Bonaparte
placés sur les trônes d’Europe. Réprouvant
les effets du Blocus continental et de l’occupation française sur ses sujets, il ne cesse
de se quereller avec Napoléon. Après avoir
été contraint de lui céder une partie de son
royaume, il entre en conflit avec l’Empereur,
qui le force à abdiquer ; il s’enfuit le 2 juillet
1810, tandis que la Hollande est annexée à la
France le 9 juillet suivant. Dès lors, indifférent aux événements de l’Empire, il vit dans la
retraite, loin de sa famille, refusant même de
siéger à la Chambre des pairs durant les CentJours. Réfugié en Autriche, puis en Italie, il se
consacre aux lettres jusqu’à sa mort.
Bonaparte (Lucien), homme politique
(Ajaccio, 1775 - Viterbe, Italie, 1840). Intelli-
gent et indépendant, il est le seul des frères
de Napoléon à ne jouer aucun rôle sous le
Premier Empire avant 1815.
Engagé très jeune dans la Révolution, jacobin, il milite activement dans le midi de la
France, après la sécession de la Corse. En avril
1798, il est élu député au Conseil des CinqCents : il y participe, avec les néo-jacobins, au
coup d’État de prairial an VII et joue un rôle
downloadModeText.vue.download 105 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
94
déterminant dans le coup d’État de brumaire
an VIII, sauvant Napoléon du désastre. Ministre de l’Intérieur au début du Consulat, il
met en place les préfets et falsifie les résultats
du plébiscite sur la Constitution de l’an VIII,
puis est nommé ambassadeur à Madrid en novembre 1800. Membre du Tribunat, puis du
Sénat en 1802, il mène grand train de vie, affichant des idées jacobines, mais son remariage
avec la veuve d’un financier, alors que Napoléon lui destine la reine d’Étrurie, provoque
la rupture. Exclu de la succession dynastique
napoléonienne, à laquelle il se déclare hostile,
il se retire à Rome en avril 1804, et il refusera
toujours à Napoléon de sacrifier sa femme à
un trône sans autonomie. Après l’annexion
de Rome, il s’embarque pour l’Amérique en
1810, mais est capturé par les Anglais, qui le
placent en résidence forcée. De retour à Rome
en 1814, il reçoit du pape le titre pontifical
de prince héréditaire de Canino. Pendant
les Cent-Jours, il rejoint Napoléon, devient
prince français et membre de la Chambre des
pairs où, après Waterloo, il tente vainement
d’imposer la continuité dynastique, avant de
se réfugier définitivement en Italie.
bonapartisme, courant politique qui
défend le régime napoléonien et oeuvre pour
la restauration de la dynastie des Bonaparte
après 1815.
En dépit du coup d’État du 18 brumaire, Napoléon s’efforce de fonder sa légitimité sur la
volonté du peuple, qui confie sa souveraineté
à l’Empereur. Dès lors, l’antiparlementarisme
fait partie des principes bonapartistes. Le Mémorial de Sainte-Hélène, publié en 1823, met
l’accent sur les liens, apparus dès les CentJours, entre le bonapartisme et le libéralisme :
Napoléon se présente comme un défenseur
des acquis de 1789, fidèle à la souveraineté
populaire, et favorable au principe des natio-
nalités. En définitive coexistent, dès 1815,
trois bonapartismes, définis par l’historien
Frédéric Bluche : un bonapartisme autoritaire ; un bonapartisme jacobin, attaché aux
principes de la Révolution ; et un bonapartisme libéral, exprimé dans l’acte additionnel
aux Constitutions de l’Empire.
• Le bonapartisme de la clandestinité. En
1815, les bonapartistes les plus compromis,
tels les frères Lallemand, sont contraints à
l’exil, tout en espérant oeuvrer pour le retour
de Napoléon. Parallèle-ment, une poignée de
fidèles, souvent des héros des guerres napoléoniennes, s’engagent dans une action clandestine. Mais l’absence de projet politique
cohérent conduit à l’échec de leurs conspirations ; les partisans bonapartistes renoncent
alors aux équipées aventureuses, tandis que
les dignitaires de l’Empire optent pour le ralliement. Le bonapartisme se dilue dès 1822
dans la gauche libérale. Il subsiste cependant,
comme l’a démontré l’historien Bernard Ménager, un bonapartisme populaire, rural mais
aussi urbain, particulièrement vif dans l’est
de la France. Mais l’opportunité qu’offre la
révolution de 1830 n’est pas saisie, faute de
parti organisé.
Louis Napoléon Bonaparte échoue dans
ses tentatives de coups de force, à Strasbourg
en 1836, à Boulogne en 1840. Toutefois,
ses écrits renouvellent la doctrine bonapartiste : en 1832, ses Rêveries politiques visent
à réconcilier l’autorité et la liberté, et affirment sa fidélité à la souveraineté populaire ;
en 1839, dans Des idées napoléoniennes, il
défend le principe des nationalités, et souligne les capacités de progrès du genre humain, progrès qui peuvent être encouragés
par un gouvernement détenteur d’une réelle
autorité, grâce au plébiscite populaire, mais
respectueux de l’égalité et de la liberté individuelle. Véritable manifeste bonapartiste, cet
ouvrage inscrit ce courant politique dans une
opposition de gauche au régime de Juillet. Du
reste, en 1844, Louis Napoléon s’attire des
sympathies saint-simoniennes en publiant De
l’extinction du paupérisme, où il dénonce les
méfaits du libéralisme économique. En dépit
de cette résurrection doctrinale et de l’essor
de la légende napoléonienne, le bonapartisme connaît alors un effacement sur la scène
politique. Pourtant, 1848 est l’occasion d’un
retour au pouvoir.
• L’ambiguïté du bonapartisme au pouvoir. Aux élections d’avril à l’Assemblée
constituante, Louis Napoléon ne fait pas offi-
ciellement acte de candidature. Mais il bénéficie de la propagande d’un comité napoléonien
formé à la hâte : il recueille ainsi 4 % des voix
en Charente-Inférieure, tandis que trois autres
neveux de Napoléon Ier sont élus sur des listes
républicaines. Le succès de Louis Napoléon
est incontestable lors des élections complémentaires de juin : il est élu dans quatre
départements, dont celui de la Seine, où il a
fait campagne sur un programme destiné à
séduire les couches populaires. En revanche,
c’est avec un discours propre à rallier les
conservateurs que son élection est confirmée
dans cinq départements en septembre 1848.
Dès lors, s’affirme l’ambiguïté du bonapartisme de Louis Napoléon. L’élection présidentielle du 10 décembre 1848 en apporte un
nouveau témoignage : la paysannerie, nourrissant toujours une fervente admiration pour
Napoléon, soutient massivement ce candidat
au nom célèbre qui lui permet de voter contre
une République décevante tout en s’émancipant de la tutelle des notables ; or ces derniers
accordent également leurs suffrages à Louis
Napoléon, puisqu’il est le candidat du parti
de l’Ordre. Mais, désirant se maintenir au
pouvoir au-delà de son mandat présidentiel,
le prince se montre fidèle à une autre caractéristique du bonapartisme : le coup d’État
du 2 décembre 1851 s’inscrit dans la droite
ligne de celui du 18 brumaire et permet, un
an plus tard, le rétablissement d’un Empire
autoritaire. Jusqu’en 1870, celui-ci est soutenu par les ruraux, satisfaits de la hausse des
prix agricoles, aussi bien que par les notables,
soucieux du maintien de l’ordre.
Ainsi, même sous le Second Empire, en
raison de cette ambiguïté, le bonapartisme
ne peut être défini que comme une fidélité à
la quatrième dynastie. Politiquement, du fait
du ralliement des notables, il est rejeté vers la
droite mais il reste partagé entre diverses tendances : le duc de Morny se montre favorable
à un bonapartisme économiquement libéral
et socialement conservateur, qui obtient, par
la suite, le soutien d’Émile Ollivier ; l’impératrice Eugénie, Eugène Rouher et Bernard
Adolphe Granier de Cassagnac prônent un
bonapartisme autoritaire, d’esprit contrerévolutionnaire ; enfin, le prince Napoléon
Jérôme demeure le chef de file d’un bonapartisme populaire, jacobin et anticlérical. Quant
à l’empereur, qui n’hésite pas à exiler les
opposants politiques, il ne reste fidèle qu’en
théorie aux doctrines définies dans ses oeuvres
de jeunesse. La chute de l’Empire ne met pas
totalement fin à ces divisions.
• Les bonapartismes en République, ou
la fusion dans la droite conservatrice. Les
débuts de la IIIe République constituent, en
définitive, la seule période où il existe réellement un parti bonapartiste : il est organisé en
1872 par Rouher, et servi par une presse virulente, dont le Pays et l’Ordre. Le nom même du
groupe parlementaire bonapartiste, « L’appel
au peuple », résume à lui seul son programme :
le plébiscite est l’instrument de légitimation
du pouvoir. Le prince impérial, fils de Napoléon III, y adhère pleinement, convaincu de
la nécessité de combattre le parlementarisme
et de fonder le gouvernement sur la religion,
l’armée, la magistrature et la propriété. Après
sa mort, en 1879, un bonapartisme populaire
s’exprime, sous l’influence du prince Napoléon Jérôme, qui s’allie aux républicains, puis
engage des négociations avec le général Boulanger. Mais la tendance conservatrice et autoritaire l’emporte, incarnée par le prince Victor,
fils de Napoléon Jérôme. La mort de ce dernier,
en 1891, permet une réunification du mouvement, qui n’échappe pas, pour autant, à une
lente disparition : en 1893, il ne compte plus
que treize députés, l’échec électoral du baron
Eschassériaux dans son fief bonapartiste des
Charentes ayant valeur de symbole.
Le bonapartisme se fond de plus en plus
dans la droite nationaliste, tout en conservant quelques élus après 1919. En 1940,
pour éviter toute récupération par l’extrême
droite, le prince Louis dissout définitivement
toutes les organisations bonapartistes. Mais
les historiens débattent aujourd’hui encore
d’éventuels liens entre le bonapartisme et le
gaullisme.
Boniface (Winfrith, saint), évangélisateur
de la Germanie et réformateur de l’Église
franque (Kirton, Wessex, vers 675 - près de
Dokkum, 754).
Boniface est un Anglo-Saxon baptisé sous le
nom de Winfrith. D’abord moine dans le Wessex, il souhaite participer à la conversion des
Après une première tentative infructueuse, il
se rend à Rome en 719, où le pape Grégoire II
lui impose le nom de Boniface, définit le cadre
de sa mission, « la conversion de la Germanie », et le recommande à Charles Martel. Fait
évêque en 722, il n’a pas de siège fixe. Durant
les années 720-730, il fonde de nombreux
monastères destinés à devenir des centres de
rayonnement de la foi chrétienne et les points
d’appui de l’évangélisation. En 732, la dignité
archi-épiscopale lui est conférée. Elle fait de
lui le chef de l’Église de Germanie. À partir de
741, date de l’accession au pouvoir de Pépin
le Bref (auquel il confère l’onction royale en
751, légitimant ainsi son pouvoir) et de Carloman, il est appelé à réformer l’Église franque
tout en poursuivant la lutte contre les pratiques
downloadModeText.vue.download 106 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
95
païennes : il restaure la discipline ecclésiastique
en chassant les clercs indignes, renforce la hiérarchie épiscopale et s’efforce de reconstruire
la géographie ecclésiastique en promouvant le
rôle des métropoles. Afin de consolider définitivement son oeuvre en Bavière, il fonde, en
742, les trois évêchés de Würzburg, Büraburg
et Erfurt, puis l’abbaye de Fulda. C’est de là
qu’il part pour tenter de convertir les Frisons,
mission au cours de laquelle il trouve le martyre. Son corps est enterré à Fulda.
bonnes villes. L’expression « bonnes
villes » distingue d’abord, au XIIe siècle, les
cités les plus opulentes et les mieux défendues ; ce n’est qu’un siècle plus tard, sous le
règne de Saint Louis, qu’elle prend un sens
politique.
Choqué par l’état des finances municipales,
le roi de France place en 1262 les comptes
des bonnes villes sous tutelle royale. La décision, assurément, parle d’avenir : car, jusqu’à
l’époque moderne, l’endettement des villes
demeure le cheval de Troie du pouvoir central dans l’administration municipale. Depuis
Saint Louis, quoi qu’il en soit, les rois de
France considèrent comme bonnes villes les
cités qui, par leur richesse, leur puissance politique ou leur valeur stratégique peuvent être
utiles au royaume. C’est pourquoi la liste des
« bonnes villes du royaume de France » était
et reste impossible à dresser pour les chancelleries royales du XIVe siècle comme pour les
historiens contemporains : elle varie en fonction des évolutions du réseau urbain et des
rapports de force.
Si une cité aspire au rang de bonne ville,
c’est qu’elle accepte d’être intégrée au système monarchique : il est vrai que les grandes
villes du royaume ont dû se soumettre, à
mesure que se construisait l’État royal, à un
contrôle croissant du pouvoir central. Mais
les oligarchies urbaines, qui contrôlaient le
gouvernement des villes, ne s’opposaient que
rarement à la montée en puissance d’un État
monarchique dont elles avaient tout intérêt
à devenir les relais locaux. Et, en contrepartie, les bonnes villes recevaient un droit de
représentation : reconnues comme des corps
politiques pouvant incarner l’ensemble d’un
pays, les bonnes villes sont convoquées aux
assemblées d’états à partir de 1304, que ces
assemblées soient royales ou provinciales.
Tout change, cependant, avec la réunion de 1484, premiers « états généraux du
royaume » où les députés élus par bailliages
sont choisis parmi les « trois ordres » et où les
bonnes villes ne sont plus représentées en tant
que telles. À l’époque des guerres de Religion,
alors que la crise de l’État fait renaître l’idéal
de l’autonomie urbaine, la distinction perd
de son sens : toute ville peut prendre le titre
de « bonne ville », parce que les privilèges
politiques liés à ce statut se sont effacés. Si
l’histoire des rapports entre villes et royauté
n’est pas terminée, celle des bonnes villes
l’est : l’expression subsiste encore dans les
discours municipaux, mais comme un artifice
archaïsant, vide de sens.
Bonnet (Georges), homme politique (Bassilac, Dordogne, 1889 - Paris 1973).
Licencié en droit et en lettres, combattant de
la Grande Guerre, il est délégué de la France
à la conférence de paix en 1919. Membre du
Parti radical, député de la Dordogne de 1924
à 1928 et de 1929 à 1940, il commence sa
carrière ministérielle en tant que sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil, en
1925. Hostile au « mur d’argent », il milite
à l’aile gauche du Parti radical, et reste dans
l’opposition, avant de devenir ministre des
Finances de 1932 à 1934. Il préfère alors l’assainissement des finances publiques au réarmement, si bien que Daladier l’écarte de son
cabinet. En 1935, il rallie l’aile droite du parti,
et il s’opposera au Front populaire. Après la
chute de Léon Blum, il retrouve le portefeuille
des Finances en 1937, s’oppose de nouveau
au réarmement, et défend la politique d’apaisement face à l’Allemagne. En 1938, ministre
des Affaires étrangères de Daladier, il incite
la Tchécoslovaquie à faire des concessions,
et adhère aux accords de Munich. Il s’efforce jusqu’au bout d’empêcher la guerre en
appuyant la proposition italienne de réunir
une conférence internationale. Ministre de
la Justice de septembre 1939 à mars 1940, il
poursuit les communistes et restreint la liberté
d’action des étrangers. Ayant voté les pleins
pouvoirs à Pétain, il se rapproche du régime
de Vichy, avant de se réfugier en Suisse en
1943. Il est exclu du Parti radical en 1944,
mais retrouve un mandat de député de 1956
à 1967.
bonnet phrygien, bonnet arboré notamment par les révolutionnaires français comme
symbole de la liberté.
Hérité de l’Antiquité, le bonnet phrygien,
également appelé « bonnet de la liberté » ou
« bonnet rouge », se caractérise par deux pans
tombant sur les oreilles. D’abord porté par
les Phrygiens, peuple d’Asie Mineure, il devient à Rome signe de liberté, car les esclaves
affranchis le coiffent. Au XVIIIe siècle, il est le
symbole iconographique de la liberté. Or les
paysans mettent couramment un bonnet de
laine. Cette rencontre entre une coutume vestimentaire populaire et une iconologie savante
explique la popularité du bonnet phrygien
pendant la Révolution française.
Apparu dans les premiers mois de la Révolution, il devient inséparable des représentations
allégoriques de la Liberté : une femme coiffée
du bonnet phrygien, ou qui le tient au bout
d’une pique. Après 1792, il envahit l’iconographie, que ce soit au sommet des « arbres
de la liberté » ou sur les vignettes officielles
des armées. Et le sans-culotte, citoyen libre et
révolutionnaire, l’arbore fièrement sur la tête.
Sa forte charge symbolique en fait l’enjeu de
véritables « combats vestimentaires » par lesquels s’expriment aussi les luttes politiques :
en 1792, des groupes de sans-culottes font
tomber les coiffures « aristocratiques » des
passants pour les remplacer par le bonnet de
la Liberté ; le 20 juin 1792, lorsque les sansculottes envahissent les Tuileries, ils forcent
Louis XVI à le porter. En 1793, des femmes qui
se veulent citoyennes s’en emparent, déchaînant l’indignation de celles et ceux qui pensent
que ce signe doit être réservé aux hommes, et
ce sont les rixes qui s’ensuivent qui servent de
prétextes à l’interdiction des clubs de femmes.
C’est pourtant une femme portant le bonnet
phrygien qui symbolise officiellement la République : depuis le 25 septembre 1792, le sceau
de l’État représente « la France sous les traits
d’une femme vêtue à l’Antique, debout, tenant
de la main droite une pique surmontée du bonnet phrygien ou bonnet de la Liberté ». Et, petit
à petit, la femme au bonnet rouge n’incarne
plus seulement la Liberté mais aussi la République française.
Au XIXe siècle, on retrouve ce symbole au
coeur des luttes politiques. La gauche en fait la
représentation de la République, alors que la
droite lui préfère le casque ou la couronne antiques. Il faudra attendre la fin du siècle pour
que la femme au bonnet phrygien symbolise
de nouveau officiellement la Nation, sur les
statues, les bustes disposés dans les mairies,
les pièces de monnaie ou les timbres-poste.
Bonneval Pacha (Claude Alexandre,
comte de Bonneval, dit), général (CoussacBonneval, Haute-Vienne, 1675 - Constantinople 1747).
Ce cadet de bonne noblesse limousine, tour à
tour au service de Louis XIV, des Habsbourg
et du Grand Turc, incarne la quintessence des
inquiétudes et des frustrations nobiliaires de
son temps face à l’État moderne. Entré dans la
marine à 11 ans, il en est congédié, à la suite
d’un duel, en 1697, puis il obtient une souslieutenance aux gardes-françaises, qu’il troque,
en 1701, contre le régiment de Labour. Des
démêlés avec Chamillart, secrétaire d’État à la
Guerre, l’amènent à passer à l’ennemi, en 1706.
Ayant conquis l’amitié du prince Eugène de
Savoie et le grade de général, il se couvre de
gloire à Peterwardein (1716) en repoussant un
assaut de janissaires ; mais il scelle sa propre
perte en épousant le mécontentement des
nobles des Pays-Bas contre le représentant de
Vienne, en 1724. Il se réfugie alors à Venise,
avant de se résigner à passer dans l’Empire
ottoman, en 1729, puis à se convertir à l’islam.
Conseiller diplomatique et militaire du diwan,
il s’attache à faire de la Sublime Porte le pivot
de toutes les coalitions anti-autrichiennes,
organise la contre-offensive contre la Russie
en 1737-1738, et est à l’origine de la signature
d’une alliance turco-suédoise en 1739. Mais
ses projets de traité franco-ottoman se heurtent
au veto de Versailles, et son influence décroît
pendant la guerre de la Succession d’Autriche,
alors même que la république des lettres s’empare de son mythe.
Bonnot (bande à), groupe proche du milieu anarchiste, auteur d’attaques de banque
à main armée, entre décembre 1911 et mars
1912.
Ces « bandits en auto » innovent en alliant à
l’assassinat l’usage systématique de voitures
automobiles volées. Dirigés par Jules Joseph
Bonnot, mécanicien lyonnais de 35 ans, ils
sont, pour la plupart, de petits employés âgés
d’une vingtaine d’années, et gravitent dans la
mouvance anarchiste, tel le Belge Callemin,
dit « Raymond la Science », qui rédigera ses
Mémoires, avant d’être guillotiné. Bénéficiant de la complicité de réseaux anarchistes
parisiens, ils ne retiennent des théories de ce
mouvement que l’individualisme et le médownloadModeText.vue.download 107 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
96
pris de l’ordre établi, qui « justifient » leur
volonté d’enrichissement rapide, ainsi que les
meurtres de plusieurs policiers.
En avril-mai 1912, la bande est anéantie : Bonnot puis deux complices sont tués,
en banlieue parisienne, après deux sièges en
règle ; six autres membres de la bande, ainsi
que d’authentiques militants anarchistes,
sont arrêtés. Malgré le talent des avocats,
dont Moro-Giafferi et Paul Reynaud, leur
jugement, en février 1913, débouche sur trois
exécutions capitales, qui se déroulent deux
mois plus tard. Autant qu’à ses sanglantes
opérations largement racontées par la presse
à grand tirage, la renommée de la bande est
liée au souvenir des attentats anarchistes
des années 1890 et aux moyens que déploie
contre elle une police d’abord techniquement
dépassée. Ce n’est qu’en mai 1912 est créée
la brigade criminelle de la Sûreté, tandis que
sont débloqués des crédits destinés à moderniser l’équipement des agents en armes et en
véhicules.
Boson, roi de Provence de 879 à 887 (mort
en 887).
Boson est issu d’une très puissante famille
de l’aristocratie lotharingienne ; sa soeur,
Richilde, a en effet épousé le roi Charles le
Chauve le 22 janvier 870. Boson obtient alors
de nombreuses faveurs de son beau-frère,
notamment la prestigieuse abbaye de SaintMaurice d’Agaune, dans le Valais, ainsi que
le comté de Vienne. En 875, il accompagne
Charles en Italie et reçoit la Provence pour
prix de ses services. En Italie, Boson jouit
d’une véritable autorité vice-royale, encore
renforcée par son mariage avec Ermengarde,
la fille de l’empereur Louis II. Boson semble
être resté fidèle au fils de Charles le Chauve,
Louis le Bègue ; mais la mort de ce dernier,
le 10 avril 879, jette le royaume des Francs
dans la confusion et incite Boson à travailler
à sa propre indépendance. Le 15 octobre 879,
à Mantaille, les évêques et les comtes de la
région Rhône-Saône reconnaissent officiellement Boson comme roi, sur un territoire qui
s’étend de Besançon à la Méditerranée et de
l’Ardèche à la Tarentaise. C’est la création du
royaume de Provence dont Vienne est la capitale, mais c’est surtout la première élection
d’un roi non carolingien. Son règne est tou-
tefois de courte durée, car les descendants de
Charlemagne, s’étant réconciliés pour l’occasion, entament dès 880 la reconquête de ce
royaume. Boson ne conserve que quelques
territoires autour de Vienne, où il meurt le
11 janvier 887. Il est enterré dans la cathédrale Saint-Maurice.
Bossuet (Jacques Bénigne), évêque et
écrivain (Dijon 1627 - Paris 1704).
Issu d’une famille de magistrats, Bossuet est
orienté dès son jeune âge vers une carrière
ecclésiastique. D’abord élève au collège des
jésuites de Dijon, il se rend à Paris pour étudier la philosophie et la théologie au collège
de Navarre, l’un des plus prestigieux de l’Université : maître ès arts en 1644, il recevra - au
terme d’une solide formation scolastique,
vivifiée par le recours aux Pères de l’Église et à
l’Écriture - le bonnet de docteur en théologie
huit ans plus tard. Cette même année 1652, il
est ordonné prêtre. Il s’installe à Metz, où son
action s’oriente dans trois directions : l’assistance aux pauvres, car il est un disciple de
Vincent de Paul et appartient comme lui à la
Compagnie du Saint-Sacrement ; la controverse avec les protestants (son premier ouvrage est une Réfutation du catéchisme de Paul
Ferry, en 1655) ; la prédication.
• L’orateur et le précepteur. Cette dernière
vocation s’était manifestée dès son séjour parisien, jusque dans un lieu aussi mondain que
l’hôtel de Rambouillet ; elle s’affermit à Metz,
où Bossuet prononce en 1655 sa première
oraison funèbre. Le « Panégyrique de sainte
Thérèse », donné devant la reine mère Anne
d’Autriche, lui vaut le titre de « prédicateur
ordinaire du roi ». À partir de 1659, il passe
plus de temps à Paris qu’à Metz. Sa réputation ne cesse de croître dans deux domaines
de l’éloquence sacrée : le sermon, qui est plus
que le prône de la messe paroissiale ; une véritable conférence prononcée isolément (« Sur
l’éminente dignité des pauvres dans l’Église »,
1659) ou enchaînée avec d’autres du même
prédicateur pour former une « station » (« le
Carême du Louvre » en 1662, « l’Avent de
Saint-Germain » en 1669, prononcés l’un et
l’autre devant la cour) ; l’oraison funèbre, qui
constitue une pièce d’apparat officielle. Bossuet se voit confier en 1669 celle d’Henriette
de France et, l’année suivante, celle d’Henriette d’Angleterre, où retentit le cri fameux :
« Madame se meurt, Madame est morte ! » Il
accumule les honneurs et les responsabilités :
il est nommé évêque de Condom en 1669 et
précepteur du dauphin en 1670. Pendant une
décennie, cette dernière charge l’accapare et
réduit considérablement son activité de prédication. Son enseignement n’a sans doute guère
profité à un élève indolent, mais il portera ses
fruits dans le public, qui pourra lire en 1681 le
Discours sur l’histoire universelle, synthèse providentialiste dans la lignée grandiose de la Cité
de Dieu de saint Augustin, et, après la mort de
leur auteur, la Politique tirée des propres paroles
de l’Écriture sainte, ainsi que le Traité de la
connaissance de Dieu et de soi-même.
• Une souveraineté polémique. En 1681,
Bossuet est nommé à l’évêché de Meaux, où il
déploie jusqu’à la fin de sa vie un grand zèle
pastoral. Mais sa réputation et son autorité ne
peuvent borner son action aux limites d’un
diocèse. Outre les oraisons funèbres qu’il
continue de prononcer à Paris, Bossuet donne
sa forme achevée à la tradition gallicane en
rédigeant, pour l’assemblée extraordinaire du
clergé de France, la Déclaration des Quatre
Articles (1682). Il s’engage dans des controverses à l’extérieur de l’Église (Histoire des
variations des Églises protestantes, 1688), tout
en pratiquant une forme d’oecuménisme avant
la lettre, mais il polémique aussi au sein même
du catholicisme avec Fénelon, qu’il suspecte
de quiétisme et fera condamner ; avec le Père
Caffaro, qui avait osé prendre la défense du
théâtre ; avec Richard Simon, auteur d’une
traduction « téméraire » du Nouveau Testament. Bossuet finit par l’emporter, mais la
postérité donnera raison à ses adversaires. Il
meurt à Paris le 12 avril 1704.
Témoin inquiet de « la crise de la
conscience européenne », qu’il avait combattue avec les armes d’une orthodoxie identifiée au pessimisme augustinien, Bossuet
fut un temps la conscience de la monarchie
absolue et de l’Église de France. Mais il demeure, au-delà des clivages religieux et politiques, comme le plus grand maître d’éloquence sacrée de notre histoire littéraire.
Boucher de Crèvecoeur de
Perthes (Jacques), archéologue, considéré
comme le fondateur de la science préhistorique moderne (Rethel, Ardennes, 1788 - Abbeville, Somme, 1868).
Il est directeur des douanes d’Abbeville
lorsque, intéressé à la préhistoire par son ami
Picard qui collecte des objets préhistoriques
qu’il croit « celtiques », il commence luimême, à partir de 1837, à ramasser dans les
carrières de gravier de la Somme des outils de
silex et des ossements d’animaux disparus.
Il dénomme ces silex « haches diluviennes »
(datant du Déluge) et les présente à la société
savante locale, puis à l’Institut, à Paris. Il se
heurte à un scepticisme général, l’idée d’évolution n’étant pas encore admise. Il publie De
la Création : essai sur l’origine et la progression
des êtres (1838-1841), puis Antiquités celtiques
et antédiluviennes (1847-1864), supposant
désormais que la présence de ces outils dans
le gravier alluvial ne doit rien au Déluge.
Cependant, peu à peu, l’opinion scientifique
change. Le Dr Rigollot, qui fouille lui-même
dans la vallée de la Somme, reconnaît dans ses
Mémoires sur les instruments en silex trouvés à
Saint-Acheul (1854), la justesse des découvertes de Boucher de Perthes, tout comme
le paléontologue Albert Gaudry. L’année où
est publié De l’origine des espèces par voie de
sélection naturelle de Darwin (1859), Boucher
de Perthes obtient une tardive consécration
quand trois des plus célèbres géologues et paléontologues anglais - Falconer, Evans et Prestwich -, attestent l’authenticité des trouvailles
et du lien chronologique entre des outils taillés par l’homme et des os d’animaux disparus.
Mais c’est à tort qu’il croit découvrir, en 1863,
à Moulin-Quignon, une mâchoire humaine
fossile, qui n’est qu’une falsification due à ses
terrassiers. Il n’en demeure pas moins que la
science préhistorique est désormais lancée.
Boucicaut (Jean II le Meingre, dit), chevalier (Tours vers 1365 - Londres 1421).
Fils du maréchal Jean Ier, dit le Meingre, également dit Boucicaut, il incarne l’idéal du chevalier accompli. Dans les premières années du
règne de Charles VI, de 1380 à 1390, il prend
part aux expéditions des chevaliers de l’ordre
Teutonique en Prusse. Fait maréchal de
France en 1391, il est, en 1396, l’un des chefs
de la croisade contre les Ottomans, écrasée
par le sultan Bajazet devant Nicopolis, en Bulgarie. À son retour, Boucicaut est chargé par
Charles VI de prendre possession de la ville
de Gênes, qui s’est donnée au roi de France.
Au cours des dix années suivantes, il s’empare de Constantinople en 1400, de Gênes
en 1401, saccage Beyrouth en 1403, enlève
Pise en 1404, et doit finalement abandonner
l’Italie après la révolte de Gênes en 1409. De
downloadModeText.vue.download 108 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
97
retour à la cour de Charles VI, il jouit d’un
immense prestige de croisé et de chevalier. En
1415, il commande l’avant-garde de l’armée
royale à Azincourt, où il est fait prisonnier. Il
meurt en captivité, en Angleterre.
Le Livre des faits de Jean le Meingre, dit
Boucicaut est la biographie d’un chevalier de
légende, défenseur des dames et auteur lyrique, aussi habile aux joutes d’armes qu’aux
joutes courtoises. Au tournant du XIVe et du
XVe siècle, cette oeuvre réhabilite une chevalerie française très déconsidérée depuis les batailles de Crécy (1346) et de Poitiers (1356),
et qui, paradoxalement, sort grandie, par son
sacrifice, de ses plus grandes défaites, celles
de Nicopolis et Azincourt.
Bougainville (Louis Antoine, comte
de), mathématicien et explorateur, premier
Français à avoir fait le tour du monde (Paris
1729 - id. 1811).
Ses talents de mathématicien, que révèle le
Traité de calcul intégral (1754), lui valent d’être
reçu à la Société royale de Londres en 1756. Parallèlement à cette carrière scientifique, il gravit
les échelons militaires. En 1756, il s’embarque
pour le Canada comme aide de camp de Montcalm de Saint-Véran, se familiarisant ainsi avec
l’art de la navigation. Il séjourne dans ce pays
jusqu’en 1759, s’illustrant dans la lutte menée
par les Français contre les Anglais. En 1763,
il est nommé capitaine de vaisseau. Désireux
de compenser la perte du Canada français, il
fonde une colonie aux îles Malouines, qui sera
cédée aux Espagnols en 1767. Se pliant à la
volonté du roi, il entreprend, le 5 décembre
1766, un tour du monde, embarquant à bord
de l’Étoile et de la Boudeuse plusieurs scientifiques, notamment des biologistes. Il franchit
l’Atlantique, fait escale à Buenos Aires, Montevideo, Rio, atteint la Terre de Feu (6 décembre
1767), traverse le Pacifique, et redécouvre
Tahiti. Les descriptions qu’il rapporte de cette
« nouvelle Cythère », que Diderot compare à
un paradis terrestre, alimentent le mythe du
bon sauvage propagé dans la France des Lumières. Après avoir exploré des eaux inconnues des Européens, il rentre à Saint-Malo, le
16 mars 1769.
Ses récits, publiés dans Voyage autour du
monde, témoignent de l’acuité de son sens
critique et de sa finesse d’analyse ; ses descriptions botaniques enrichissent considérablement les connaissances de l’époque en la
matière - il a d’ailleurs laissé son nom à une
plante, le bougainvillier. Son entreprise présente un caractère original - du moins, à partir de 1766 : elle n’a plus principalement une
visée coloniale, comme c’était le cas aux XVIe et
XVIIe siècles, mais poursuit un but scientifique.
Son succès témoigne également des progrès
substantiels accomplis en matière de techniques de navigation en l’espace d’un siècle.
Dès 1779, Bougainville reprend du service
dans l’armée, et il participe à la guerre d’indépendance américaine. Mais, jugé responsable
de la défaite infligée par Hood au large de la
Martinique en avril 1782, il passe en cour
martiale ; sa carrière militaire prend fin. À
partir de 1790, il se consacre à ses travaux
scientifiques, et entre à l’Institut en 1795.
Napoléon le fera sénateur et comte d’Empire.
Boulainvilliers (Henri, comte de), historien (Saint-Saire, Seine-Maritime, 1658 - Paris
1722).
Cet ancien élève des oratoriens de Juilly sert
dans les mousquetaires jusqu’à son mariage,
en 1689 ; bientôt veuf, il se voue à l’instruction de ses enfants et entreprend, à cette fin,
un Abrégé d’histoire universelle, aux premières
lignes duquel il rompt avec tout providentialisme en affirmant que Dieu « a abandonné
le monde à notre dispute ». Sa quête de l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France
l’amène tout ensemble à exalter les libertés
germaniques et à justifier la hiérarchie sociale.
En réaction à la monarchie absolue, il fustige
Bossuet d’avoir recouru à l’Écriture « pour
forger de nouvelles chaînes à la liberté naturelle des hommes et pour augmenter le faste et
la dureté des rois », et prône le rétablissement
des états généraux. Convaincu de l’inégalité
entre noblesse et roture, il remontre qu’elle
procède de la conquête franque et s’est perpétuée par hérédité. Partant, il ne conçoit le
second ordre que comme une caste militaire,
exècre Philippe le Bel pour s’être « attribué
la puissance d’anoblir le sang des roturiers »,
et défend l’égalité entre tous les membres de
la noblesse, face à Saint-Simon, avocat de la
prééminence des ducs et pairs. Par ailleurs,
cet esprit féru d’astrologie judiciaire et doué
d’une plume féconde a exposé, sous couvert
de les réfuter, les théories de Spinoza, rédigé
une Vie de Mahomet, et réfléchi aux Moyens
d’augmenter considérablement les revenus du
roi et du peuple.
Boulanger (Georges Ernest Jean
Marie), général et homme politique (Rennes
1837 - Bruxelles 1891).
Fils d’un modeste avoué, entré à l’école militaire de Saint-Cyr en 1854, il commence
sa carrière militaire en Grande Kabylie, où
l’armée doit affronter un soulèvement. Il
combat ensuite en Italie, puis en Indochine.
Il est blessé lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Sans participer à la « semaine
sanglante » (21-28 mai 1871), qui entraîne
l’écrasement de la Commune, Boulanger s’illustre dans la répression des communards. En
avril 1880, il devient le plus jeune général de
l’armée française. Grâce à ses relations mondaines, il bénéficie de l’appui du républicain
Gambetta aussi bien que de celui du duc d’Aumale, l’un des chefs du parti monarchiste. Ses
excellents états de service ainsi qu’une bonne
connaissance de l’anglais lui valent d’être
choisi pour conduire la délégation française
invitée aux États-Unis à la célébration, en
octobre 1881, du centenaire de la bataille de
Yorktown. De retour à Paris en janvier 1882,
il devient directeur de l’infanterie, et s’attire
les sympathies de plusieurs radicaux, parmi
lesquels Clemenceau, son ancien condisciple
au lycée de Nantes. Également soutenu par
Jules Ferry, il est nommé général de division
en février 1884, et est affecté en Tunisie, où il
se heurte au résident général Paul Cambon.
Boulanger s’est forgé la réputation d’être un
officier républicain et patriote. Le 7 janvier
1886, il devient ministre de la Guerre. Une
autre carrière commence.
• Un ministre républicain et populaire.
Très actif, il promulgue en dix-sept mois
soixante et un décrets et arrêtés. Il est à
l’origine de l’introduction du lebel, premier
fusil à répétition utilisé par l’armée française.
Convaincu de la nécessité de préparer une
guerre de revanche contre les Allemands, il
travaille à la mobilisation des esprits : les guérites sont repeintes aux couleurs tricolores,
chaque caserne est baptisée du nom d’un
grand soldat français, un musée est installé
dans chaque régiment. Dès son entrée en
fonctions, il fait adopter un nouveau plan de
bataille (le plan huit), entièrement tourné vers
l’offensive. Le 26 avril 1886, il dépose sur le
bureau de l’Assemblée un projet global de
rénovation de l’armée, en partie inspiré par
Clemenceau : une réforme profonde et égalitaire du service militaire y est prévue, mettant
fin au tirage au sort qui désignait les conscrits
et aux dispenses dont bénéficiaient les séminaristes. Sa popularité grandit. Chacune de
ses tournées en province est un triomphe. Fier
cavalier, de belle allure, connu pour ses succès féminins, Boulanger passe aussi pour un
démocrate, soucieux du sort des hommes de
troupe. Les conservateurs s’inquiètent à propos de ce ministre, qu’ils perçoivent comme
une « créature » de Clemenceau, et qui fait
placer des bustes de Marianne dans les salles
d’honneur créées dans chaque garnison. Boulanger fait même rayer des cadres plusieurs
membres de familles ayant régné en France.
Lors des célébrations du 14 juillet 1886, il
rencontre un succès personnel retentissant,
qui conduit un chansonnier célèbre, Paulus,
à adapter une marche de son tour de chant
- En revenant de la revue -, qui devient, ainsi
transformée, l’hymne du boulangisme. Multipliant les déclarations offensives et diplomatiquement maladroites, Boulanger peaufine
son image de « général Revanche » : photographies, affiches, papillons, biographies,
portraits, numéros spéciaux de périodiques,
objets en tout genre, lui sont consacrés.
• Naissance du boulangisme. Cette agitation inquiète désormais les républicains, en
premier lieu Jules Ferry. En dépit des pressions exercées en sa faveur, Boulanger n’est
pas repris dans le ministère qui succède au
gouvernement Goblet, renversé le 17 mai
1887. Une campagne de sympathie, soutenue
par quelques journalistes de talent comme
Henri Rochefort, s’organise en réponse à
cette exclusion. Muté au commandement du
13e corps d’armée à Clermont-Ferrand par
un gouvernement qui le craint, Boulanger est
acclamé lors d’une manifestation organisée
à la gare de Lyon, pour son départ le 8 juillet 1887. Les républicains lancent alors une
contre-propagande : le divorce entre Boulanger et Clemenceau est consommé. Les boulangistes s’unissent autour d’un « parti national »
qui rassemble tous les mécontents de la République : républicains revanchards regroupés
au sein de la Ligue des patriotes (tel Paul
Déroulède), radicaux déçus, bonapartistes,
monarchistes qui fournissent des subsides,
et même socialistes. Les outils de propagande
sont directement inspirés des méthodes électorales américaines. Le 26 février 1888, les
partisans de Boulanger - officier inéligible présentent ce dernier à des élections pardownloadModeText.vue.download 109 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
98
tielles : premier succès. Le 27 mars, le « brave
général » est mis à la retraite : il se trouve ainsi
libre de poursuivre sa carrière politique.
Armé d’un programme flou - la révision
constitutionnelle -, fort du soutien financier
des milieux conservateurs, profitant de son
image intacte, il est élu député du Nord. Son
audience électorale s’étend, en dépit des tensions qui s’exacerbent entre les monarchistes
et lui. Lors d’une nouvelle élection partielle
à Paris, en janvier 1889, le général remporte
une victoire éclatante (245 000 voix, contre
160 000 à son principal adversaire). Certains
partisans le poussent au coup d’État, mais il
préfère attendre les élections générales qui
doivent se dérouler à l’automne.
• La contre-attaque républicaine. Le
gouvernement ne lui en laisse pas le temps.
L’action habile du ministre de l’Intérieur,
Constans, le fait tomber dans un piège. Menacé d’arrestation pour atteinte à la sûreté
de l’État, Boulanger s’enfuit à Bruxelles, le
1er avril 1889. Condamné par contumace par
le Sénat réuni en Haute Cour le 14 août, il
devient inéligible. Le « parti national », divisé, échoue aux élections de septembre : les
boulangistes n’obtiennent que 42 sièges. Le
30 septembre 1891, le général Boulanger se
suicide sur la tombe de sa maîtresse.
Le boulangisme ne constitue pas une doctrine politique. Son caractère composite de
même que l’extrême diversité sociale et idéologique de ses clientèles politiques le rendent
tout à fait inclassable. Populiste, nationaliste,
parfois socialiste, monarchiste dans certaines
régions, presque dénuée d’antisémitisme, empreinte d’une certaine tradition républicaine
autoritaire, cette nébuleuse est avant tout une
entreprise électorale engagée par ceux que les
républicains au pouvoir n’avaient pas intégrés.
Boulogne (affaire de), tentative de coup
de force menée en 1840 par Louis Napoléon
Bonaparte.
En exil à Londres après un premier échec, le
prince Louis Napoléon débarque près de Boulogne dans la nuit du 5 au 6 août 1840 avec
une soixantaine de fidèles. Il a fait imprimer
des proclamations au peuple, à l’armée, aux
habitants du Pas-de-Calais, et compte sur le
ralliement des garnisons de la France du Nord.
Mais l’aventure tourne court. La police a eu vent
du projet, et, à l’exception d’une compagnie, la
garnison de Boulogne se montre indifférente
ou hostile. Les conjurés sont capturés ou tués.
Les suites de l’expédition illustrent la détermination de Bonaparte mais aussi la vitalité d’une
tradition impériale que la monarchie de Juillet
tente alors en vain d’accaparer - durant l’été
1840 est adoptée la loi sur le retour des cendres
de l’Empereur. Le procès devant la Cour des
pairs représente, pour Louis Napoléon, l’occasion d’affirmer son attachement au principe
de la souveraineté du peuple et de contester
la légitimité du régime en place, prônant un
bonapartisme populaire que les plaidoiries
de ses deux avocats, le républicain Marie et
le légitimiste Berryer, contribuent à diffuser.
Condamné à la détention à perpétuité, Louis
Napoléon est emprisonné au fort de Ham, dans
la Somme. Il y passe six ans, durant lesquels il
rédige notamment l’Extinction du paupérisme,
avant de s’évader en 1846, dissimulé sous les
vêtements et l’identité d’un maçon surnommé
« Badinguet ».
Boulogne (camp de), camp militaire établi
par Napoléon autour de Boulogne-sur-Mer,
de 1803 à 1805, en vue d’une invasion de l’Angleterre.
La paix d’Amiens est rompue en mai 1803 :
l’Angleterre fait saisir 1 200 navires français,
tandis que la France occupe les ports napolitains et le Hanovre, sans parvenir à faire céder
son ennemi. Napoléon estime alors que seule
la menace d’une invasion peut contraindre
celui-ci à changer de politique. À partir de juin
1803, il masse 450 000 hommes d’Ostende à
Étaples, Boulogne étant le pivot de ce dispositif : en effet, depuis cette place, l’armée peut à
la fois atteindre Londres rapidement et disposer d’un emplacement stratégique en vue d’une
intervention sur le continent. Y sont aménagés, outre de nouveaux bassins, des magasins,
des hôpitaux et des écuries. Deux cantonnements sont établis : l’un, sous la direction de
Soult, à Saint-Omer, l’autre, sous le contrôle
de Ney, à Étaples et Montreuil. Mais la flotte
française demeure inadaptée : elle dispose bien
de 1 700 bateaux à fond plat destinés au transport des troupes, mais les marées et une éventuelle grosse mer peuvent les priver de la rapidité nécessaire au débarquement ; en outre, la
flotte de guerre est insuffisante pour assurer la
maîtrise du détroit. La défaite de Trafalgar, le
21 octobre 1805, ruine tout espoir de réunir
les vaisseaux de ligne français. Du reste, dès
janvier 1805, en réponse à la formation de la
troisième coalition, l’intervention sur le continent est le but officiel de l’armée des côtes, qui
intègre la Grande Armée.
Bourbon, famille dont diverses branches
ont régné en Europe. Par sa longévité et une
judicieuse politique matrimoniale, la famille
des Bourbons a connu une fortune spectaculaire, qui lui donne une place de tout premier
plan dans l’histoire européenne.
La première maison de Bourbon tire son nom
de la seigneurie de Bourbon-l’Archambault
(Allier) et de son territoire, le Bourbonnais.
Au XIIIe siècle, cette famille s’allie avec celle,
régnante, des Capétiens : en 1276, Robert de
Clermont, sixième fils de Louis IX, épouse
Béatrix, fille d’Agnès de Bourbon et de Jean
Bourgogne, seigneur du Charolais. En 1327,
le roi Charles IV le Bel érige la seigneurie
duché en faveur de leur fils, Louis, premier
de Bourbon. Les deux fils de ce dernier sont
l’origine de deux branches de Bourbon.
de
en
duc
à
La branche aînée (ducs de Bourbon, sires
de Beaujeu) s’éteint en 1527, avec la mort sans
héritier de Charles III, connu sous le nom
du « Connétable de Bourbon ». La branche
cadette des comtes de la Marche, ducs de Vendôme sous François Ier, récupère, à l’extinction
de la branche aînée, le titre de duc de Bourbon. Cette maison, les Bourbons-Vendôme,
accède au trône de Navarre en 1555 (Antoine
de Bourbon étant l’époux de Jeanne d’Albret),
puis à celui de France avec Henri IV, à la mort
du dernier Valois, Henri III, en 1589. Elle se
divise à son tour en plusieurs branches, dont la
branche aînée qui règne sur la France jusqu’en
1830 avec Charles X et s’éteint avec le comte
de Chambord en 1883. De Louis de Condé,
frère d’Antoine de Bourbon, lui-même père
d’Henri IV, sont issus les princes de Condé,
les princes de Conti et les Soissons. Les princes
de Condé s’éteignent, après les Contis et les
Soissons, en 1830. De Philippe d’Orléans, frère
de Louis XIV, sont issus les Bourbons-Orléans,
dont Louis-Philippe Ier, roi des Français de
1830 à 1848. Le chef actuel de cette maison est
le comte de Paris.
Les Bourbons-Espagne sont issus de Philippe d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, roi d’Espagne en 1700 sous le nom de Philippe V. (Le
roi Juan Carlos Ier descend de cette dynastie.)
Cette branche espagnole est elle-même divisée en plusieurs rameaux, dont les BourbonsParme, qui règnent sur diverses principautés
italiennes jusqu’au milieu du XIXe siècle, et les
Bourbons-Naples, qui occupent le trône de
Naples et de Sicile jusqu’en 1860. De nombreuses branches bâtardes sont aussi issues de
cette famille, dont certaines furent légitimées
et jouèrent un certain rôle. À titre d’exemple,
les Bourbons-Busset, les Vendômes, les
Maines et les Toulouses.
Bourbon (Charles de), cardinal, « roi de
la Sainte Ligue » sous le nom de Charles X
(la Ferté-sous-Jouarre, Seine-et-Marne,
1523 - Fontenay-le-Comte, Vendée, 1590).
Fils de Charles de Bourbon-Vendôme, frère
d’Antoine de Bourbon, Charles entre dans les
ordres et accumule rapidement les bénéfices.
Il est créé cardinal à 25 ans ; deux ans plus
tard, il devient archevêque de Rouen. Son
rôle politique au cours des décennies 1550
et 1560 n’est pas négligeable : c’est un proche
de Catherine de Médicis. Mais son destin
est surtout lié à celui de son neveu Henri de
Navarre, dont il est parrain en 1554. Lorsque
l’extinction des Valois se profile en 1584,
avec la mort du dernier frère du roi Henri III,
le cardinal de Bourbon représente un enjeu
politique majeur. En effet, si les protestants
sont exclus de la succession au trône, le respect de la loi salique doit lui donner la couronne. C’est la solution retenue par les Guises,
l’Espagne et l’intéressé, au traité de Joinville
(1585), que le roi est contraint d’entériner.
Mais Charles de Bourbon, devenu l’un des
porte-parole de la Ligue, est emprisonné sur
ordre d’Henri III après l’exécution des Guises
(décembre 1588). Son neveu Henri IV, qui
succède à Henri III en août 1589, maintient
en détention le vieux prélat, qui meurt l’année
suivante. Il avait été proclamé roi, en 1589,
sous le nom de Charles X par une grande
partie du royaume, ralliée à la Ligue : cinq
parlements jugeaient en son nom ; on battait
même monnaie à son effigie. Sa mort aggrave
la question successorale pour les ligueurs, car
tous les autres Bourbons suivent Henri IV.
Bourbon (Charles III, huitième duc de
Bourbon, dit le Connétable de), connétable
de France (Montpensier 1490 - Rome 1527).
Issu d’une famille de princes du sang, il est,
après la mort de son père et de son frère
aîné, le seigneur d’immenses domaines au
centre du royaume (Auvergne, Forez, Bourbonnais...), et, dès l’âge de 25 ans, accède
downloadModeText.vue.download 110 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
99
au rang de connétable. En 1515, François Ier
en fait son lieutenant général en Italie mais
la puissance de ce vassal dérange. En 1521,
le roi prétend rattacher à la couronne une
partie des possessions de Suzanne de Bourbon - l’épouse du Connétable - qui vient de
mourir : une longue controverse juridique,
où s’affrontent les logiques opposées de la
moderne unité monarchique et des anciennes
prérogatives féodales, s’engage. À l’automne
1523, Bourbon passe au service de Charles
Quint, qui le nomme aussitôt généralissime
de ses troupes en Italie et lui laisse espérer
un mariage princier, ainsi que l’investiture du
duché de Milan. Après l’échec de l’invasion
de la Provence en 1524, l’armée de Bourbon
ravage la Lombardie durant l’année 1526, et,
au début du printemps 1527, se dirige sur
Rome à marche forcée : le 6 mai 1527, l’assaut
est lancé contre la ville ; Bourbon est tué dès
le début du combat ; ce qui n’empêche pas
ses soldats de s’emparer de la capitale de la
chrétienté et la mettre à sac.
Ce pillage conclut symboliquement la légende noire du « traître » et du chef de guerre
rebelle, qui mettait son armée au service de
son ambition, au risque de masquer l’autre
visage, plus traditionnel, du Connétable :
celui d’un grand du royaume, dont la brillante
carrière militaire allait naturellement de pair
avec l’affirmation des droits du vassal face aux
prétentions de son suzerain.
Bourbon (Louis Henri Condé duc de)
! Condé (Louis Henri)
Bourbonnais, pays du centre de la
France, successivement seigneurie, duché,
puis province.
L’ancêtre des sires de Bourbon, Aimard,
semble avoir été un familier de Guillaume le
Pieux, duc d’Aquitaine. Entre 915 et 920, il
abandonne la villa de Souvigny au monastère
de Cluny. Mais c’est en 954 que se trouve
mentionné pour la première fois le nom de
Bourbon, dans un acte de son fils Aimon,
dont les descendants, qui se prénomment
Archambaud, ne portent toutefois le titre de
sires de Bourbon qu’au début du XIe siècle.
Ce sont de bien modestes personnages mais,
même s’ils reconnaissent l’autorité du roi, leur
seigneurie jouit d’une indépendance de fait.
Au début du XIIe siècle, pour la première
fois, un roi de France intervient dans cette seigneurie : en 1108 ou 1109, exerçant son droit
de suzerain, Louis VI contraint à la soumission
Aimon Vaire Vache, qui a évincé son neveu.
Par la suite, une collaboration étroite s’instaure entre les rois de France et les seigneurs
de Bourbon. En 1276, Béatrix de Bourbon
épouse Robert de Clermont, fils de Louis IX.
Les sires de Bourbon sont désormais membres
de la famille royale. C’est à cette époque
que l’on commence à employer l’expression
« Bourbonnais » pour désigner la seigneurie.
En décembre 1327, le roi Charles IV en fait un
duché, érigé en pairie en 1328 par Philippe VI.
Pour faire face aux dépenses de la guerre de
Cent Ans et se défendre contre les « routiers »,
Louis II, duc en 1356, est conduit à développer
les institutions de son duché. Il fait de Moulins sa capitale, dotée d’un château reconstruit
et d’une collégiale. Le duché devient le centre
d’un État princier qui englobe notamment le
Forez, le Beaujolais, puis l’Auvergne. Mais pour
obtenir ce dernier duché Louis II doit accepter que ses possessions deviennent un apanage
royal. Les successeurs de Louis II - Jean Ier,
Charles Ier, Jean II - comptent parmi les princes
des « fleurs de lys », remplissant de hautes
fonctions, fréquentant la cour et participant à
ses intrigues. Sous Jean II, puis sous Pierre II,
marié à Anne de France, Moulins devient un
des centres littéraires et artistiques qui annoncent la Renaissance.
L’apogée politique du duché se situe sous
Charles III, le Connétable de Bourbon. Toutefois, ce duc fastueux et « mal endurant »
se trouve entraîné dans un conflit avec le roi
François ler et sa mère, Louise de Savoie. Malgré ses qualités d’homme de guerre, il n’est
pas en mesure d’engager le combat et doit
s’enfuir sur les terres de l’Empire. Son duché
de Bourbon, réuni à la couronne en 1527,
deviendra la province du Bourbonnais, puis
le département de l’Allier.
Bourgeois (Léon), homme politique (Paris
1851 - château d’Oger, Marne, 1925).
Léon Bourgeois est une grande figure du
radicalisme français. Juriste de formation, il
s’engage dans une carrière administrative,
s’illustrant dans l’arbitrage de conflits sociaux
en tant que préfet du Tarn. Élu de la Marne,
il est maintes fois nommé ministre, notamment du Travail et de l’Instruction publique,
mais il ne reste président du Conseil que six
mois, en 1895-1896. Il oeuvre pour l’enseignement secondaire moderne, l’enseignement
post-scolaire et l’organisation des universités,
et prône, sans succès immédiat, l’instauration
de l’impôt sur le revenu et de l’assurance ouvrière obligatoire.
Franc-maçon, Bourgeois est cependant
un anticlérical modéré. Par le solidarisme,
il entend donner des fondements rationnels
à la morale sociale en justifiant la nécessaire
solidarité par la dette de tout individu envers
la société. Philanthrope, il joue un rôle déterminant dans la lutte contre la tuberculose,
en tant que président de la Ligue nationale
et créateur des dispensaires (loi de 1916). Il
est aussi un partisan convaincu de la mutualité. Mais son plus grand titre de gloire reste
son combat pour la paix, tant au tribunal
d’arbitrage de La Haye à partir de 1899 qu’à la
Société des nations, dont il préside, en 1920,
le premier conseil. Pour ce rôle éminent, il
se voit attribuer le prix Nobel de la paix, en
décembre 1920.
bourgeois de Calais ! Calais
(bourgeois de)
Bourges (pragmatique sanction de)
! concordats
Bourgogne, ancienne province qui correspondait approximativement aux départements actuels de la Côte-d’Or et de Saôneet-Loire et au quart sud-est de l’Yonne
(Avallonnais et Auxerrois).
La Bresse de Bourg et le Bugey lui ont été rattachés en 1601, mais ne peuvent être considérés comme bourguignons.
Malgré la présence de hautes terres (Morvan), la Bourgogne est avant tout une région
de passage entre les plaines de la Saône, d’une
part, les vallées de la Loire, de la Seine et de
ses affluents, de la Meuse et du Rhin, d’autre
part. Ce carrefour a servi de base à des dominations politiques aux limites variées.
• Les origines. A l’époque celtique, deux
grands peuples se partagent l’essentiel du
futur territoire de la Bourgogne : les Lingons
au nord et, surtout, les Éduens au sud, autour
de leur oppidum de Bibracte (sur le mont
Beuvray). Après la conquête romaine, marquée, en 52 avant J.-C., par l’épisode décisif
du siège d’Alésia, Langres et Autun (Augustodunum, qui a remplacé Bibracte après 12
avant J.-C.) sont à la fois des chefs-lieux administratifs (des « cités »), des centres commerciaux (grâce à un excellent réseau routier)
et les points d’appui d’un puissant processus
de romanisation puis d’une christianisation
relativement précoce. Le fait décisif est, à partir du milieu du Ve siècle, l’arrivée des Burgondes, Germains originaires du sud de la
Scandinavie. Installés d’abord dans les Alpes
du Nord, ils étendent peu à peu leur domination à l’ensemble des pays du Rhône et de la
Saône et au sud-est du Bassin parisien. Leur
royaume est conquis en 534 par les Francs.
Dominé par une aristocratie issue aussi bien
des grands propriétaires gallo-romains que
des chefs barbares, ce territoire constitue
une des grandes subdivisions de l’État mérovingien, puis de l’Empire carolingien. Mais
le traité de Verdun (843) le scinde en deux
parties très inégales : seul le quart nord-ouest,
entre Loire et Saône, revient à Charles le
Chauve, roi de Francie occidentale, le reste
formant bientôt un royaume, rattaché par la
suite à l’Empire germanique. Placés à la tête
des pagi, subdivisions des anciennes cités, les
comtes, de plus en plus indépendants du roi,
s’efforcent de lutter contre les envahisseurs
normands et hongrois : ainsi, autour de 900,
le comte d’Autun, Richard le Justicier, que
l’on peut considérer comme le premier duc
(chef politique et militaire) de la Bourgogne
occidentale, donc « française ».
• Le temps des ducs capétiens. En 1032,
Robert, fils puîné du roi de France Robert
le Pieux, devient duc à titre héréditaire d’un
grand fief qui correspond au noyau de la future
province, autour d’Autun et de Dijon (choisie
comme capitale), et auquel échappent Mâcon,
Nevers, Auxerre, Sens, Troyes et Langres (qui
appartenaient à l’ancienne Burgundia). Les
ducs capétiens, qui se succèdent régulièrement jusqu’en 1361, s’appliquent, à l’image
de leurs cousins de France, à étendre leurs
domaines, à soumettre leurs vassaux les plus
turbulents, à ébaucher un État en nommant
prévôts, châtelains et baillis. Ils bénéficient,
en tant que seigneurs, de la croissance démographique, des progrès des défrichements et
de la prospérité agricole. Ils peuvent aussi
s’appuyer sur les villes que ranime la renaissance du commerce (la grande route de l’Italie
aux foires de Champagne passe par la Bourgogne) et auxquelles ils concèdent des chartes
downloadModeText.vue.download 111 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
100
de franchise ou de commune. Ils se font les
protecteurs d’une Église en plein renouveau :
du Xe au XIIe siècle, grâce à la fondation et au
rayonnement européen des abbayes de Cluny
(909) et de Cîteaux (1098), la Bourgogne est
au coeur de la chrétienté occidentale. Elle est
aussi un des hauts lieux de l’art roman, ainsi
qu’en témoignent les églises de Cluny, Parayle-Monial, Tournus, Vézelay, Saint-Lazare
d’Autun, Fontenay. Moins original et moins
prestigieux, le gothique bourguignon a produit cependant quelques chefs-d’oeuvre tels
que Saint-Étienne d’Auxerre et Notre-Dame
de Dijon.
• L’apogée au temps des ducs valois. En
1363, le roi Jean le Bon concède en apanage
le duché de Bourgogne, alors en déshérence,
à son fils cadet Philippe le Hardi : ce dernier
régnera jusqu’en 1404, et ses descendants se
maintiendront jusqu’en 1477. Une habile politique matrimoniale permet à cette famille, à
partir de 1384, d’étendre peu à peu son autorité sur un vaste ensemble de territoires de
part et d’autre de la frontière entre la France
et l’Empire germanique. Celui-ci comprend,
outre le duché (agrandi en 1435 des comtés de Bar-sur-Seine, Auxerre et Mâcon), le
comté de Bourgogne (Franche-Comté) et
surtout une grande partie des Pays-Bas, de
l’Artois à la Hollande et de la Flandre au
Luxembourg : c’est une des régions les plus
riches de l’Europe. De là vient l’essentiel de la
puissance de ces « grands ducs d’Occident »,
qui permet successivement à Jean sans Peur
(fils de Philippe le Hardi) d’imposer quelque
temps en France l’hégémonie du « parti bourguignon » ; à Philippe le Bon de pratiquer
une politique d’équilibre entre les Anglais et
Charles VII, et d’obtenir en 1435 la rupture
du lien de vassalité qui le rattachait à celui-ci ;
à Charles le Téméraire, enfin, de rêver d’une
couronne royale que lui conférerait l’empereur Frédéric III.
La Bourgogne proprement dite, desservie
par le déplacement vers l’est des principales
routes commerciales, affaiblie par les opérations militaires et les passages de troupes liés
à la guerre de Cent Ans, apparaît comme un
élément secondaire du vaste ensemble « burgundo-flamand ». La pratique du mécénat par
les princes et leur entourage lui permet cependant de devenir un des lieux privilégiés de
l’ultime floraison de la civilisation médiévale.
Poètes et chroniqueurs écrivent évidemment
en français, mais l’influence de l’art du Nord
s’exerce souverainement à la chartreuse de
Champmol (le « Saint-Denis » des ducs, aux
portes de Dijon), où travaillent Claus Sluter
et ses disciples, et à l’hôtel-Dieu de Beaune,
création du chancelier Nicolas Rolin.
Les institutions du duché évoluent parallèlement à celles du royaume. Une Chambre
du conseil seconde le duc et sert de tribunal
suprême, concurremment avec les Jours généraux de Beaune. Une Chambre des comptes
contrôle les châtelains, receveurs et baillis
nommés par le duc, qui reçoit périodiquement des députés des trois ordres le droit de
percevoir les impôts nécessaires au luxe de
sa cour et à une politique extérieure active
et souvent belliqueuse. Mais la construction
géopolitique des ducs valois est artificielle
et fragile : l’unité de ces territoires dispersés
et disparates repose surtout sur la personne
du prince. Lorsque Charles le Téméraire,
incapable de concentrer ses forces contre son
principal adversaire, Louis XI, meurt au siège
de Nancy le 5 janvier 1477, le rattachement
du duché de Bourgogne au domaine royal
s’effectue sans difficulté majeure.
• Une province originale. L’annexion n’est
d’abord pas admise par les légitimes héritiers
du dernier duc : la Bourgogne est revendiquée par Maximilien de Habsbourg, qui a
épousé Marie de Bourgogne, fille de Charles
le Téméraire, puis par leur petit-fils, l’empereur Charles Quint, jusqu’en 1544. Mais leurs
prétentions ne suscitent localement à peu près
aucun écho. La Bourgogne reste d’ailleurs le
plus souvent à l’abri des opérations militaires grâce au traité de neutralité signé avec
la Franche-Comté habsbourgeoise en 1508,
et renouvelé par la suite. Elle sera cependant
sévèrement atteinte par les guerres de Religion
(« chevauchées » des « reîtres » protestants,
puis luttes entre ligueurs et royalistes), et,
surtout, après la rupture du traité de neutralité, lors de la guerre de Trente Ans, de 1636
à 1648. Il lui faudra subir encore les dures
épreuves de la Fronde et les terribles famines
de la fin du règne de Louis XIV. La Bourgogne
connaîtra la paix et une relative prospérité
pendant la première moitié du XVIe siècle, le
début du XVIIe et l’époque des Lumières. À partir de 1646, la province forme un gouvernement, confié aux princes de Condé, assez peu
présents, mais influents, et une généralité,
dont l’intendant, installé à Dijon, est, comme
ailleurs, l’agent le plus fidèle du roi. Mais
deux institutions traditionnelles résistent,
dominées par l’aristocratie de la province,
dont elles se targuent de défendre les « libertés » : les états, dominés par le haut clergé,
la noblesse et d’étroites oligarchies urbaines ;
le parlement, héritier des Jours généraux,
dont les officiers, issus d’anciennes lignées
bourgeoises, sont quasiment tous nobles et
grands propriétaires, les guerres et les crues
fiscales de la période 1560-1660 ayant été très
favorables aux opérations de concentration
foncière et de consolidation du régime seigneurial. Réduits à l’obéissance sous le règne
personnel de Louis XIV, les hauts magistrats
dijonnais, tout comme leurs homologues parisiens, retrouvent, au XVIIIe siècle, des réflexes
d’opposants, et leur dénonciation du « despotisme » n’est souvent que la défense de leurs
privilèges.
À la fin de l’Ancien Régime, le tableau est
contrasté. La lente croissance de la production
agricole et métallurgique, celle des activités
commerciales (les grands vins s’exportent
dans l’Europe entière), l’éclat de la vie intellectuelle et artistique dans les villes, contrastent
avec l’archaïsme de la société rurale (un tiers
des communautés sont encore mainmortables), le poids des droits seigneuriaux, l’insatisfaction des « hommes à talents » du tiers
état privés d’influence. L’action de bourgeois
entreprenants et le malaise paysan aidant, la
Révolution suscitera une large adhésion et
la Bourgogne du XIXe siècle sera en majorité
« patriote », libérale et républicaine. En 1790,
le territoire de la province est divisé en trois
départements, qu’aucune institution commune ne réunira avant 1960. L’actuelle région
de Bourgogne, qui inclut la Nièvre, souffre
de l’attraction exercée par Paris et Lyon, et
excède les limites de la zone dijonnaise, assez
proche du duché du XIe siècle.
Bourguiba (Habib), homme d’État tunisien
(Monastir, sans doute en 1900 [les biographies
officielles indiquent 1903]- id. 2000).
Issu de la petite bourgeoisie, il étudie le droit
à Paris, rentre à Tunis en 1927 et ouvre un
cabinet d’avocat en 1931. En 1932, il fonde
le journal nationaliste l’Action tunisienne, s’impose comme chef de file du Néo-Destour lors
de sa création en 1934, et se retrouve interné
pendant vingt mois dans le Sud algérien. Libéré en 1936, il est à nouveau appréhendé au
lendemain de l’émeute d’avril 1938, et transféré en France. Remis en liberté par les Allemands à Lyon, en décembre 1942, il se rend à
Rome, puis regagne Tunis en avril 1943. Très
surveillé, il reprend bientôt le chemin de l’exil
et s’enfuit au Caire (avril 1945), où il plaide
la cause de l’indépendance tunisienne. À son
retour à Tunis en septembre 1949, il reçoit un
accueil triomphal de ses compatriotes, qui le
saluent du titre de « Combattant suprême ». Il
n’en reste pas moins en butte à l’hostilité des
agents du protectorat et le résident général,
Jean de Hauteclocque, le fait arrêter en janvier
1952. Successivement interné en Tunisie et en
France, il regagne Tunis le 2 juin 1955. Peu
après les accords d’indépendance du 20 mars
1956, il est nommé chef du gouvernement,
puis devient président de la République après
avoir écarté le bey (25 juillet 1957). Jusqu’aux
années 1980, il parvient à assurer à son pays
une stabilité exceptionnelle dans le monde
arabo-musulman. Atteint de sénilité, il est
déposé par son Premier ministre, le général
Ben Ali, le 7 novembre 1987.
bourguignon (État), principauté s’étendant, au XVe siècle, du Jura à la Hollande, sous
la domination des Valois, ducs de Bourgogne.
Le duché de Bourgogne constitue le coeur
historique de l’État bourguignon ; revenu à
la couronne de France en 1361, il est donné
en apanage par Jean le Bon à son fils cadet
Philippe le Hardi, en 1363. En quelques
décennies, ce dernier, mêlant habilement al-
liances matrimoniales et coups de force, crée
une vaste zone d’influence dans le nord de
l’Europe : époux de Marguerite de Flandre, il
devient, en 1384, comte de Flandre, d’Artois
et de Bourgogne, avec le soutien du roi de
France, Charles VI, victorieux des Flamands
à Rosebecke en 1382. Son fils Jean sans Peur
(duc de 1404 à 1419) poursuit cette politique
en imposant sa protection à la principauté de
Liège (1408). Mais Jean sans Peur joue également une partie serrée à Paris, où il dispute
à Louis d’Orléans, frère de Charles VI, la
mainmise sur les affaires du royaume : la lutte
d’influence entre Armagnacs et Bourguignons,
qui s’allient tour à tour aux Anglais, se solde
par son assassinat (1419).
Son fils Philippe le Bon (duc de 1419 à
1467) poursuit avec succès cette politique qui
vise à constituer un État autonome : par héritage, confiscation ou occupation, il fait entrer
dans l’orbite bourguignonne Namur (1421),
le Brabant et Anvers (1430), le Hainaut, la
downloadModeText.vue.download 112 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
101
Hollande, la Zélande et la Frise (1428-1432),
le Luxembourg (1433) et Utrecht (1455).
Après s’être allié avec les Anglais lors du traité
de Troyes (1420), il revient à l’alliance française et signe avec Charles VII le traité d’Arras
(1435), par lequel il est libéré de son lien de
vassalité envers le roi de France en échange
d’une reconnaissance de la souveraineté de
ce dernier sur toute l’étendue du royaume.
Émancipé de la tutelle française, Philippe le
Bon, surnommé « le Grand Duc d’Occident »,
gouverne un puissant État depuis sa cour
de Bruxelles. Il lui assure une organisation
efficace, et le dote des instruments nécessaires à son indépendance et à son rayonnement : les universités de Dole et de Louvain,
une monnaie d’or appréciée (le philippus),
l’ordre de la Toison d’or. Cependant, privé
de continuité territoriale - sa partie flamande
est coupée de sa partie bourguignonne par la
Lorraine et par l’Alsace -, l’État bourguignon
est voué à l’expansion. Charles le Téméraire
(1467/1477), fils de Philippe le Bon, occupe
donc la Lorraine et l’Alsace, et caresse l’espoir
de reconstituer à son profit l’ancienne Lotharingie, dont l’empereur Frédéric III de Styrie
le ferait roi. Louis XI a raison de ce rêve et du
Téméraire, qui est tué au siège de Nancy, le
5 janvier 1477. L’État bourguignon est alors
démembré : tandis que le duché de Bour-
gogne retourne à la France, le reste de l’État
entre dans le patrimoine des Habsbourg lors
du mariage de l’unique héritière, Marie de
Bourgogne, avec Maximilien Ier. Le royaume
de France est enserré pour deux siècles dans
la tenaille hispano-impériale.
Bourguignons ! Armagnacs et
Bourguignons
Bourse, marché des valeurs mobilières. Il
faut attendre 1724 pour que l’État autorise la
création d’une Bourse officielle.
Voulant éviter le renouvellement de l’expérience de Law, qui s’était soldée par une spéculation effrénée, puis par une banqueroute
retentissante (1719-1721), il impose à la nouvelle institution des règles strictes, faisant appel
à l’expérience des agents de change qui, depuis
le Moyen Âge, animaient un marché d’effets
de commerce. Cette Bourse reste cependant
embryonnaire ; seules trois sociétés sont cotées. Sous l’Empire, le retour à l’ordre institutionnel et financier permet de lancer à Paris
une Bourse, qui devient bientôt une véritable
Bourse des valeurs au comptant et à terme, installée dans le palais Brongniart (1826).
• L’essor boursier au xixe siècle. L’augmentation de l’épargne bourgeoise, l’essor de
la rente publique, la multiplication des sociétés par actions, expliquent le développement
de la Bourse dans les années 1840-1870.
Malgré quelques crises, le marché financier
connaît une expansion grâce à la mobilisation de l’épargne des classes moyennes. Le
nombre de sociétés cotées passe de 30 en
1830 à 2 000 en 1900, et Paris devient la
seconde place financière mondiale derrière
Londres, puis New York. L’État lance de
vastes emprunts pour régler l’indemnité due
à l’Allemagne après la guerre de 1870, puis
pour financer la Première Guerre mondiale et
la reconstruction, et, dans les années trente,
le déficit public et le réarmement. L’animation du marché repose sur les banques : les
syndicats de garantie et de placement permettent la réussite des opérations d’émission
de titres ; des syndicats de soutien des cours
empêchent la baisse excessive des cours, que
la Caisse des dépôts et consignations régularise par le jeu de ses propres arbitrages sur les
valeurs de son portefeuille de placements ; les
clients des banques obtiennent des crédits (les
« reports ») pour leurs opérations à terme.
Détenteurs d’une « charge », les agents de
change ont le monopole de l’intermédiation
boursière à partir de 1885-1890 ; ils réalisent
les transactions, administrent le « parquet »
(terme désignant le marché) et gèrent des portefeuilles de clients. En province, des Bourses
sont créées à Lyon, à Marseille, à Nancy et à
Bordeaux. Un marché parallèle, la « coulisse »
(hors cote), occasion de spéculations mais facteur de souplesse pour la percée de titres, est
institué pour les valeurs moins solides.
• La dynamisation du marché boursier.
Tout au long du XXe siècle, les cours de la
Bourse suivent une évolution chaotique :
l’inflation des années 1915-1926 et la chute
du régime tsariste en Russie font perdre de
l’argent aux épargnants ; ensuite, les cours remontent entre 1926 et 1930 ; jusqu’en 1954,
la Bourse stagne en raison de la dépression des
années trente, de la guerre, du poids des bons
du Trésor dans l’épargne, des nationalisations
de 1936 et de 1945-1946, qui soustraient des
valeurs intéressantes au marché. Suivent une
période de hausse des cours (1954-1962),
due à la reprise économique, puis, de nouveau, des années de stagnation (1963-1968),
avant l’entrée dans la crise (1973-1978). En
1977, la capitalisation boursière sur la place
de Paris ne représente que 3,4 % de celle de
New York, 13 % de celle Tokyo, 28 % de celle
de Londres. L’État relance alors le marché afin
de financer l’expansion. Il autorise la création
de produits d’épargne alléchants (sicav), qu’il
favorise par des avantages fiscaux. Les besoins
des entreprises, les restructurations capitalistiques, les batailles boursières, stimulent la
Bourse. Un mouvement à la hausse se développe de 1978 à 1987 et de 1990 à 1994, encouragé par les privatisations, qui permettent
un accroissement spectaculaire du nombre de
petits porteurs. Le marché parisien s’adapte
aux énormes besoins de financement tant de
l’État, surendetté, que des firmes multinationales ; il doit en outre devenir compétitif face
aux marchés anglo-saxons et japonais. Après
la fusion des marchés à terme et au comptant
(1983), le marché financier entre dans l’ère de
la déréglementation (1986-1988) : intégration
des Bourses provinciales et parisienne dans
un seul marché ; fin du monopole des agents
de change avec le transfert de l’intermédiation
à des « sociétés de Bourse » désormais contrôlées, pour la plupart, par les banques ; suppression en 1987 de la « corbeille » autour
de laquelle s’effectuaient les transactions et
mise en place d’un vaste système de gestion
électronique par télétransmission.
Des marchés spécialisés sont créés pour
faciliter l’insertion de la place parisienne dans
les circuits de financement mondiaux : au
marché des actions et obligations, complété
par le « second marché » réservé aux firmes
ouvrant leur capital, s’ajoutent des marchés
d’options négociables (MONEP, 1987) et
d’instruments financiers à terme (MATIF),
qui sont segmentés en de multiples marchés
hautement volatils.
L’intensification des contrôles et de la
régulation répond à cette libéralisation : afin
d’éviter la manipulation des cours, les délits
d’initié, la diffusion d’informations tronquées,
la spoliation des petits porteurs par des coalitions de financiers, les pouvoirs de la Commission des opérations de Bourse (COB),
créée en 1967, sont étendus en 1988 ; la
Société des Bourses françaises, créée la même
année et qui gère le marché, renforce elle aussi
le dispositif réglementaire.
bourse du travail, forme d’organisation
locale du mouvement ouvrier apparue à la fin
des années 1880.
On considère cependant que la conception
en revient à l’économiste libéral Gustave de
Molinari (1819-1912), qui, à partir de 1843,
propose la création d’une institution mettant
directement en rapport offreurs et demandeurs d’emploi. En 1857, il fonde d’ailleurs
un journal intitulé la Bourse du travail.
La première bourse du travail est instituée par le conseil municipal de Paris, en
1887, dans un esprit assez différent : il s’agit
alors de mettre un local à la disposition des
chambres syndicales. Nîmes, Marseille, puis
Saint-Étienne, imitent bientôt la capitale. Le
7 février 1892, leurs représentants se réunissent à Saint-Étienne, pour créer la Fédération des bourses du travail, sur laquelle
Fernand Pelloutier exerce une influence tout
à fait décisive de 1895 à sa mort, en 1901. En
1892, on compte 14 bourses du travail ; en
1901, 74 ; en 1908, 157, toutes subventionnées par les municipalités et parfois par les
conseils généraux, même modérés. En 1914,
elles rassemblent 2 199 syndicats et quelque
500 000 membres.
La bourse constitue à la fois une mutualité
qui assure le placement, un recours pour les
accidentés du travail et les chômeurs, et un
lieu d’accueil pour les travailleurs migrants.
En outre, elle devient vite une organisation
de « résistance » qui assiste les ouvriers en
grève, et un outil de propagande en faveur de
la création des syndicats et des coopératives.
Enfin, souvent dotée d’une bibliothèque, elle
représente un lieu de culture où sont dispen-
sés des enseignements généraux et professionnels. Des enquêtes concernant les effets du
travail industriel sur la santé y sont également
menées en collaboration avec des médecins.
Cette forme d’organisation ouvrière est
sans doute la structure la mieux adaptée
au rassemblement de la main-d’oeuvre de
l’industrie et des vieux métiers urbains. Elle
enracine, sur une base locale et non pas professionnelle, un mouvement ouvrier dont
l’une des grandes originalités est de combiner ces deux dimensions, notamment grâce à
l’organisation de la CGT, qui, créée en 1895,
accueille la Fédération des bourses à partir de
1902. Enfin, les bourses du travail constituent
l’un des creusets où se développent le syndicalisme révolutionnaire et l’idée de grève
générale. Durant les années 1906-1909, pludownloadModeText.vue.download 113 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
102
sieurs d’entre elles jouent un rôle moteur dans
l’agitation ouvrière, et voient d’ailleurs leurs
subventions suspendues.
Bouvines (bataille de), victoire du roi de
France Philippe Auguste, le 27 juillet 1214,
contre une coalition réunissant l’empereur
Otton IV, le roi d’Angleterre Jean sans Terre,
le comte de Flandre Ferrand de Portugal et
le comte de Boulogne Renaud de Dammartin.
Au soir du dimanche 27 juillet 1214, la
coalition qu’a suscitée Jean sans Terre est
vaincue. Philippe Auguste a mis en fuite
Otton IV de Brunswick et fait prisonnier
Ferrand de Portugal. Victorieux le jour de
la Trêve de Dieu, il a prouvé la justesse de
son combat.
• L’aboutissement d’une longue lutte
contre les Plantagenêts. En 1204, le roi
de France a conquis la Normandie, confisquée à Jean sans Terre en 1202. Ce dernier
rassemble depuis lors, autour de lui, tous
ceux qui ont des motifs d’hostilité à l’égard
du roi de France. Ainsi, dans les premières
années du XIIIe siècle, une intense activité
diplomatique est déployée de part et d’autre
de la Manche, mais aussi de part et d’autre
de l’Escaut, qui sépare le royaume de France
de l’Empire. Renaud de Dammartin, ami et
protégé du roi de France, perpétuel mécontent, trahit son suzerain et traverse la Manche.
Le comte de Flandre se remet mal d’avoir dû
abandonner au prince Louis les châtellenies
de Saint-Omer et d’Aire-sur-la-Lys. L’empereur Otton de Brunswick, enfin, neveu de
Jean sans Terre, a d’abord été soutenu par le
pape Innocent III, mais, depuis 1210, il est
excommunié. Philippe Auguste soutient son
concurrent, le jeune Frédéric de Hohenstaufen, futur Frédéric II. Le roi de France tire
profit également des difficultés de Jean sans
Terre avec le pape Innocent III. Excommunié
en 1212, Jean sans Terre est menacé l’année
suivante d’une invasion par le roi de France,
bras armé du pape. Il ne doit son salut qu’à
une soumission complète à Innocent III, à
qui il remet son royaume, désormais fief du
Saint-Siège.
La coalition se reforme l’année suivante, et
applique un plan d’encerclement : tandis que
Jean sans Terre doit attaquer en Aquitaine, les
armées flamandes et impériales se portent au
nord. Le 2 juillet 1214, à la Roche-au-Moine,
en Poitou, le prince Louis chasse Jean sans
Terre, mettant fin à la menace qui pèse sur
le royaume. Ne reste à Philippe Auguste qu’à
livrer bataille au nord.
• Conséquences et écho d’une bataille. La
victoire de Bouvines, à laquelle participent
les contingents envoyés par les communes du
nord de la France et les évêques du Conseil
royal, a durablement marqué les esprits. Les
chroniques contemporaines célèbrent un événement qui s’enrichit au fil des versions : la
légende s’empare de l’histoire, et devient la
victoire du bien sur le mal. L’abbaye de la Victoire de Senlis est fondée pour commémorer
la bataille.
La bataille de Bouvines assure l’hégémonie capétienne en France et en Occident ; à
ce titre, c’est une victoire fondatrice, qui a,
en outre, pour conséquences qu’Otton de
Brunswick, battu, laisse la place à Frédéric
de Hohenstaufen, tandis que Jean sans Terre,
rentré en Angleterre, doit accepter la Grande
Charte que lui imposent en 1215 barons et
communes. L’année suivante, le prince Louis
peut tenter de conquérir la couronne d’Angleterre.
• Oubliée aux siècles suivants, la bataille de
Bouvines connaît aux XIXe et XXe siècles une
exploitation politique aussi importante que
celle de la figure de Jeanne d’Arc. Pendant la
Restauration, Guizot fait valoir les mérites des
contingents des communes rassemblés sous
l’égide de la royauté, alors que Michelet ne
peut se résigner à encenser une victoire « cléricale ». À partir de 1870, l’esprit de revanche
et les mouvements nationalistes l’érigent en
symbole. À la fois victoire contre les Allemands, victoire du peuple sur la féodalité et
première manifestation du patriotisme français, la bataille se voit, à l’occasion de son
septième centenaire, célébrée par l’Action
française, l’armée et l’État. Seuls les socialistes refusent de s’associer aux manifestations. C’est l’apogée historiographique d’une
victoire qui, aujourd’hui, ne recueille que
quelques lignes dans les manuels, mais qui a
encore pu intéresser, à titre ethnographique,
la « nouvelle histoire » (le Dimanche de Bouvines, de Georges Duby, 1973).
Branly (Édouard), universitaire et physicien
(Amiens 1844 - Paris 1940).
Reçu à l’École normale supérieure en 1865,
Branly y demeure plusieurs années, après
sa scolarité, en tant que directeur adjoint
du laboratoire de physique. Nommé professeur au collège Rollin en 1875, il enseigne
ensuite à l’Institut catholique de Paris. Docteur ès sciences, il est également docteur en
médecine, et c’est à ce titre qu’il s’intéresse
au mécanisme de transmission des influx
nerveux dans les synapses, points de contact
entre les neurones. Ces recherches orientent
son attention vers le problème des contacts
électriques imparfaits (passage du courant à
travers un alignement serré de billes métalliques ou une couche de limaille). En 1890, il
imagine le radioconducteur, ou « cohéreur »
à limaille, qui permet la réception des signaux
de télégraphie sans fil. Les applications seront
nombreuses et d’une immense portée. C’est
en perfectionnant l’appareil de Branly que le
physicien anglais Oliver Lodge parviendra,
en 1894, à effectuer la première transmission
radio et à réaliser un récepteur propre aux utilisations industrielles ; et c’est en 1896 que
l’Italien Marconi, combinant les découvertes
de Branly et de Hertz, réalise un émetteur
d’ondes capable de transmettre à distance. En
1891, Branly découvre l’action rayonnante de
tiges métalliques verticales reliées à l’émetteur
- les futures « antennes ». Il est reçu à l’Académie des sciences en 1911.
Brantôme (Pierre de Bourdeilles, seigneur et abbé de), homme de guerre et
mémorialiste (Bourdeilles 1537 ou 1540 id. 1614).
Voué par son père à la carrière ecclésiastique,
Brantôme s’éloigne rapidement de l’Église et
entame une vie d’aventure, qui le conduit
d’abord en Italie, puis en Écosse. À partir de
1562, il prend part aux batailles contre les huguenots, et, entre deux combats, se joint à des
expéditions contre les Turcs, au Maroc (1564)
puis à Malte (1566). Gentilhomme ordinaire
de la Chambre d’Henri III, il éprouve une vive
amertume lorsque, en 1582, le sénéchalat de
Périgord, que le roi lui avait promis, échoit
à un autre. Tenté d’offrir ses services au roi
d’Espagne, il en est empêché par une chute
de cheval qui le réduit à l’immobilité pour
plusieurs années. Dès lors, toute son énergie
s’oriente vers l’écriture, et le gentilhomme
périgourdin ne quitte plus ses terres que pour
de brefs voyages.
Ses Mémoires se composent des Vies des
dames illustres, des Vies des hommes illustres
et des grands capitaines, et des Vies des dames
galantes. C’est ce dernier ouvrage, publié
seulement en 1666, qui lui vaudra à la fois
une réputation de scandale et l’admiration de
nombreux écrivains. Galerie de portraits piquants et d’anecdotes volontiers licencieuses,
ces chroniques de la vie amoureuse sous les
derniers Valois sont l’oeuvre d’un conteur plus
que d’un historien. Elles n’en témoignent pas
moins, avec une remarquable liberté de ton,
de l’évolution du sentiment et de la sexualité à
la fin de la Renaissance.
Brazza (Pierre Savorgnan de), explorateur
et administrateur (Castel Gandolfo, près de
Rome, 1852 - Dakar 1905).
Issu d’une famille italienne, le jeune Brazza
est reçu à l’École navale en 1868, à titre
étranger. Après avoir pris part à la guerre de
1870, il demande et obtient sa naturalisation. Envoyé en Algérie afin d’y réprimer l’insurrection kabyle, il ne participe à l’opération qu’avec réticence et forge les convictions
pacifistes qui seront désormais les siennes.
À l’issue d’une croisière au large des côtes
du Gabon en 1874, il sollicite l’autorisation
d’explorer le fleuve Ogooué. Son voyage
commence au début de l’année 1876. Après
avoir pénétré des territoires inexplorés, il
doit rebrousser chemin devant l’opposition
des peuples riverains. Il rentre à Paris à la
fin de l’année 1878. Déclinant les offres de
Léopold II de Belgique, il comprend que le
Congo suscite d’intenses convoitises territoriales et met tout en oeuvre pour réactiver l’influence française dans la région. Il est
alors chargé d’une seconde mission, au cours
de laquelle il fonde sur l’Ogooué le poste de
Franceville et signe un traité avec Makoko,
le roi des Tékés, qui accepte le protectorat
français (10 septembre 1880). Après une
campagne de propagande en faveur de l’ex-
pansion coloniale, il est nommé commissaire
général du Congo français. Mais son oeuvre
d’administrateur se heurte, à partir de 1896,
à l’ambition des grandes sociétés coloniales.
Il est relevé de ses fonctions en 1898. Chargé
en 1905 d’enquêter sur les exactions commises à l’encontre des populations indigènes,
il meurt, épuisé et découragé, au cours de
cette dernière mission.
Brazzaville (conférence de), conférence
réunie par le général de Gaulle à Brazzaville,
du 30 janvier au 8 février 1944, afin de jeter
downloadModeText.vue.download 114 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
103
les bases d’une nouvelle politique coloniale
et de définir les nouveaux liens institutionnels
entre la France et l’outre-mer.
Sous la présidence de René Pleven, commissaire aux Colonies du Comité français de
libération nationale, cette conférence réunit
essentiellement les gouverneurs des colonies
et des experts - pour la plupart, des fonctionnaires - mais aucun Africain. Affirmant sans
ambages que la France entend conduire les
peuples d’outre-mer à la liberté de s’administrer eux-mêmes, le discours inaugural du
général de Gaulle connaît un grand retentissement dans toute l’Afrique. Au cours des
travaux, les thèses fédéralistes des gouverneurs Lapie, Éboué et Laurentie sont mises
en échec par les « jacobins », conduits par le
gouverneur antillais Saller, partisans de l’assimilation et de l’administration directe. Les
recommandations finales mettent en avant la
représentation parlementaire des colonies, la
création d’assemblées locales, la suppression
du régime de l’indigénat et du travail forcé,
mais rejettent toute perspective d’autonomie :
« La constitution éventuelle, même lointaine,
de self governments est à écarter. » En dépit
de cette restriction, la conférence n’en a pas
moins une grande résonance dans tout l’Empire : elle annonce des temps nouveaux et la
disparition - à terme - du vieil ordre colonial.
Bretagne, région qui occupe la péninsule armoricaine, dans l’ouest de la France.
Son territoire historique, tel que défini en
851 (traité d’Angers entre Charles le Chauve
et Érispoë), correspond aux départements
actuels de Loire-Atlantique, d’Ille-et-Vilaine,
des Côtes-d’Armor, du Morbihan et du Finistère.
Un bref moment royaume, puis duché, ce
territoire devient en 1532 (édit d’Union) une
province du royaume de France. Lors du découpage régional intervenu en 1941, la Bretagne est amputée de la Loire-Atlantique. La
capitale de Région est Rennes.
• La naissance de la Bretagne. La première
désignation de l’Armorique, sous le nom de
Britannia, date de la fin du VIe siècle. Elle
consacre une migration déjà ancienne de Bretons venus du pays de Galles et du sud-ouest
de l’Angleterre, soldats de l’armée romaine,
paysans aussi. Leur intégration est facilitée par
la lenteur de la migration - qui, toutefois, s’accélère au début du Ve siècle - et par la proximité de langue : une synthèse s’opère entre le
dialecte des insulaires et le gaulois que parlent
encore la majorité des Armoricains.
Cette immigration laisse des traces dans la
toponymie : les tré (Trébeurden) et, surtout
les plou (Plougastel), lan (Landévennec) et gui
(Guimiliau), qui renvoient à une structure religieuse. En effet, déjà évangélisés, les Bretons
s’organisent directement en paroisses, à la différence de la pratique continentale habituelle
où l’évêque citadin est à la tête d’une structure très hiérarchisée : le très fort sentiment
d’appartenance à la paroisse trouve là son origine. Cette implantation, jamais exclusive, est
cependant très marquée à l’ouest d’une ligne
qui court du Mont-Saint-Michel à Savenay,
entre Saint-Nazaire et Nantes.
Les contacts avec les Francs, puis les Carolingiens, fluctuent au gré des rapports de
force. Malgré les succès de Pépin le Bref, qui
peut imposer une Marche de Bretagne, qui est
confiée à Roland (la victime de Roncevaux,
en 778...), malgré des concessions comme
la reconnaissance de Nominoë en tant que
représentant de l’empereur, les Carolingiens
ne parviennent pas à s’imposer durablement.
En 851, ils doivent reconnaître Érispoë, fils
de Nominoë, comme roi de Bretagne. L’apogée territorial est atteint sous le roi Salomon,
quand les Carolingiens lui cèdent une partie du Maine (868), puis le Cotentin. C’est
aussi l’époque où les abbayes bretonnes
connaissent leur plus grand rayonnement
culturel, dont nous sont parvenus de magnifiques manuscrits, évangéliaires et vies de
saints réalisés à Landévennec, ou bien encore
le cartulaire de l’abbaye de Redon, l’un des
plus remarquables documents sur la société et
l’économie de l’Europe carolingienne. Les dissensions internes à la Bretagne et, surtout, la
très forte pression des Normands mettent un
terme à cet essor : les frontières orientales sont
établies définitivement au début du Xe siècle à
leur emplacement actuel, et c’est seulement
en 939 qu’Alain Barbetorte parvient à chasser
les Normands.
• Le duché de Bretagne. Contestés par
l’aristocratie, soumis aux pressions de leurs
puissants voisins anglo-normands et français,
les nouveaux ducs peinent à faire reconnaître
leur autorité : en 1234, Pierre Mauclerc se
soumet au roi de France, mais c’est seulement
en 1297 que Philippe le Bel reconnaît le titre
ducal. Les abus des féodaux et l’ambition des
clercs - qui explique la popularité du « bon »
prêtre trégorois Yves Hélori (saint Yves) - ne
doivent pas masquer un essentiel affermissement de l’autorité du duc. Les neuf évêchés
installés au Xe siècle constituent désormais un
découpage territorial stable jusqu’à la Révolution, et identifient des « pays » comme le
Trégor ou le Léon. La pratique du breton, à
l’ouest d’une ligne menant de Saint-Brieuc à
Saint-Nazaire, se stabilise presque définitivement et identifie la basse Bretagne. L’essor
démographique se traduit par de nouvelles
implantations humaines, que désignent par
exemple les noms en ker, ou leur équivalent
en haute Bretagne (la Ville-). Parallèlement,
commence à se développer le commerce du
vin, importé, ou l’exportation du sel des marais salants de Guérande et de Bourgneuf. Au
début du XIVe siècle est mise en forme la Très
Ancienne Coutume de Bretagne, recueil des
règles fixées par le droit coutumier.
L’absence d’héritier direct à la mort de
Jean III, en 1341, dans le contexte du grand
affrontement franco-anglais naissant, entraîne
cependant la Bretagne dans une guerre de
succession entre, d’une part, Charles de Blois
- soutenu par son oncle, le roi de France, et le
clan de sa femme, les Penthièvre - et, d’autre
part, Jean de Montfort, soutenu par l’Angleterre. La captivité de Charles de Blois en Angleterre pendant neuf ans, le célèbre combat
des Trente entre Anglais et Bretons partisans
de Blois, les premiers exploits de du Guesclin,
marquent très durablement les mémoires,
chansons et exploits légendaires à l’appui.
Mais le duché sort très affaibli de vingttrois ans de luttes. Avec la mort de Charles de
Blois à la bataille d’Auray, en 1364, s’achève
une guerre dont les soubresauts se font sentir
jusqu’à la fin du siècle.
Le règne de Jean V (1399/1442) apporte
un retour à la paix, d’autant plus apprécié
que sévit alors la guerre de Cent Ans, qui
s’étend parfois, il est vrai, jusqu’à Nantes ou
Rennes. La Bretagne continue à se dépeupler, mais elle souffre infiniment moins que
le reste du royaume. En outre, Jean V mène
une politique d’indépendance, grâce à la
création d’institutions étatiques solides, à un
mécénat munificent (Notre-Dame du Folgoët,
par exemple) et à une neutralité diplomatique
qui permet de nouer des relations avec la plupart des souverains d’Europe occidentale. La
création de l’université de Nantes, en 1460,
renforce encore ce qui n’est pourtant que rêve
d’indépendance.
La disparition du duc de Bourgogne,
Charles le Téméraire, en 1477, fait en effet
basculer définitivement le rapport de forces
en faveur du roi de France. Le coût de la politique d’indépendance, la résistance d’aristocrates qui ont déjà des intérêts auprès du puissant souverain, la faiblesse du duc François II,
font le reste. En 1485, le trésorier du duché,
Pierre Landais, symbole de la volonté d’indépendance, est abandonné à son sort par le
duc : les injures dont le couvrent les Nantais,
et sa pendaison au terme d’un procès inique,
marquent tout autant la fin du duché que les
défaites militaires subies devant les troupes
royales en 1488 (Saint-Aubin-du-Cormier)
et en 1491. Anne, héritière du duché, doit
épouser le roi Charles VIII, puis Louis XII, et
sa fille Claude se marie avec François Ier. En
1532, la Bretagne est définitivement réunie
à la France. Le titre ducal disparaît en 1547,
lorsque le dauphin Henri, duc de Bretagne,
accède au trône de France.
• De l’âge d’or au déclin ? L’intégration au
royaume se déroule relativement bien, grâce
à l’exceptionnelle prospérité que connaît la
Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. Cet âge d’or
est celui d’une agriculture remarquablement
diversifiée, d’une industrie métallurgique
puissante pour l’époque et, surtout, d’une
industrie toilière qui exporte partout en Europe occidentale et en Amérique ses « crées »
et « bretagnes » de lin fin, et ses toiles de
chanvre pour les voiles et les emballages. Le
XVIe siècle voit l’apogée des rouliers des mers
bretons, qui font vivre une centaine de ports
dans la province. Cette fortune permet un
épanouissement artistique, dont témoignent
les admirables enclos paroissiaux, les centaines de retables baroques, les milliers de
manoirs et quelques grands monuments tel le
Palais du parlement à Rennes.
À la fin du XVIIe siècle, la Bretagne totalise
presque 10 % de la population du royaume,
mais la dispersion de la production et du
capital, la politique guerrière de Louis XIV,
préjudiciable au commerce, affectent profondément l’économie : c’est cette crise que traduisent la grande révolte des Bonnets rouges
et les émeutes urbaines du Papier timbré
(1675). La fortune se concentre désormais de
plus en plus dans les mains de la noblesse et
des bourgeoisies marchandes - à Saint-Malo,
à Nantes, voire à Lorient, grâce à la CompadownloadModeText.vue.download 115 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
104
gnie des Indes. C’est l’époque du commerce
antillais et de la traite négrière, qui assurent
la richesse de Nantes au XVIIIe siècle ; l’époque
aussi du « désert » de campagnes devenues
souvent misérables ; de conflits aigus entre les
privilégiés du parlement, soutenus par la noblesse - parfois bien maladroitement, comme
dans le cas du complot de Pontcallec (1718) -,
et unpouvoir royal affaibli. Des bourgeois plus
sûrs d’eux-mêmes, des nobles plus attachés
que jamais à leurs privilèges, une paysannerie
en grande difficulté : tels sont, à grands traits,
les caractéristiques de la Bretagne à la veille de
la Révolution.
• Une identité menacée mais préservée. Les bourgeois savent utiliser en 1789
la concordance partielle des aspirations paysannes avec les leurs, mais les nobles et une
très large part du clergé mobilisent assez
facilement ces paysans, les mêmes parfois,
autour de la question religieuse. La force de la
chouannerie procède de cet enjeu et du refus
d’une conscription perçue, ici plus qu’ailleurs,
comme un arrachement à sa terre pour aller
défendre de trop lointaines frontières.
Les violences de 1793-1794 - du massacre des républicains par les vendéens à
Machecoul aux fameuses noyades de Carrier
à Nantes -, l’empreinte qu’elles laissent dans
la mémoire collective (chansons, monuments, lieux de culte populaires aussi) font
trop oublier cependant l’expansion réelle du
XIXe siècle. Il est vrai que le commerce maritime décline, que l’effondrement de l’industrie textile entraîne de terribles conséquences
dans les campagnes, et que 500 000 Bretons
quittent la région dans la seconde moitié du
XIXe siècle. Pourtant, la population augmente
sensiblement, grâce à la modernisation de
l’agriculture, fruit de la lente diffusion de multiples progrès techniques, et au développement d’industries comme la conserverie nan-
taise ou les chantiers navals de Saint-Nazaire,
où les frères Pereire implantent la Compagnie
générale transatlantique en 1861.
Ces particularités locales de la croissance
au XIXe siècle doivent être soulignées, car
l’image de la Bretagne d’alors est celle d’une
province exotique et d’une culture en voie de
marginalisation. L’extraordinaire « reconstruction » cléricale, qui marque de son empreinte tous les aspects de la vie, au moins
dans les campagnes, n’est pas étrangère à
cette originalité, qui s’accompagne d’un
début de folklorisation : vogue du voyage en
Bretagne, installation plus ou moins durable
d’artistes, notamment à Pont-Aven, où Gauguin arrive en 1886, recueil savant de chansons populaires menacées de disparition
par La Villemarqué (Barzaz Breiz, 1839),
puis Luzel. C’est alors aussi que le français
commence à être perçu comme le moyen
indispensable de la promotion sociale, aux
dépens du breton.
L’autre grande phase de modernisation,
entre 1945 et 1975, résout cet apparent
contraste entre réalités matérielles et culture.
Le dynamisme agricole, fortement porté par
les coopératives, la création d’une industrie
de pointe (électronique, espace), l’influence
croissante d’Ouest-France, devenu dans les
années soixante-dix le premier quotidien
français par sa diffusion, le renouveau d’un
mouvement culturel breton qu’avait fortement affecté la dérive collaborationniste entre
1940 et 1944 : tous ces facteurs transforment
profondément la Bretagne. La vogue de la musique bretonne, à partir des années soixantedix, les grandes luttes écologiques (le procès
qui suit la marée noire de l’Amoco Cadiz, en
1978, mobilise l’opinion jusqu’en 1992),
l’engouement nouveau pour la mer et le patrimoine maritime, l’évolution simultanée des
comportements électoraux, rapprochent la
Bretagne du reste de la France, tout en affirmant une identité originale, fortement ressentie et assumée par ses habitants.
Brétigny-Calais (traité de), traité conclu
entre le roi de France Jean II le Bon et le roi
d’Angleterre Édouard III (8 mai-24 octobre
1360).
Les négociations de 1360 s’inscrivent dans
des temporalités multiples : vieille rivalité franco-anglaise, rôle pacificateur de la
papauté, temps court de la crise des années
1356-1358...
Depuis sa défaite à Poitiers (19 septembre
1356), le roi Jean II, prisonnier des Anglais,
cherche à obtenir sa libération : pourparlers et
accords avec Édouard III se succèdent, tandis
que le dauphin Charles (futur Charles V), qui
a pris le titre de régent du royaume, affronte
des crises politiques. Dans ces tentatives de
paix, la papauté adopte sa posture traditionnelle de médiateur : ses légats ménagent les
rencontres qui aboutissent aux préliminaires
de paix de Brétigny (8 mai), confirmés par les
deux rois à Calais (24 octobre).
Le traité de Brétigny-Calais reprend des
points déjà discutés, même si la position
d’Édouard III est en retrait par rapport à ses
revendications antérieures, à cause, principalement, des difficultés de son expédition
militaire en France lancée à l’automne 1359.
Depuis les débuts de la guerre de Cent Ans,
opérations militaires et négociations s’entremêlent ainsi.
Tandis que le roi d’Angleterre renonce à
la couronne de France et s’engage à évacuer
les forteresses qu’il tient sur le territoire du
roi de France, ce dernier lui cède, en pleine
souveraineté, une grande Aquitaine (de la
Loire aux Pyrénées), les comtés de Guînes
et de Ponthieu, ainsi que Calais, et se soumet au paiement d’une rançon de 3 millions
d’écus en versements échelonnés. À Calais,
les articles relatifs aux renonciations des deux
rois (à la couronne, d’une part ; à la souveraineté sur les territoires cédés, d’autre part)
sont insérés dans un accord séparé qui prévoit
l’échange de ces renonciations au plus tard
en novembre 1361 après les transferts des
terres ; des otages garantissent le paiement de
la rançon.
L’application des accords, complétés par
un traité d’alliance, doit transformer une relation féodale en un voisinage d’alliés, mais
elle reste un outil politique des deux côtés,
où se mélangent « zèle et lenteurs, bonne volonté et nonchalance » (Édouard Perroy pour
Charles V), selon les moments et les enjeux.
Les renonciations ne sont jamais échangées, et
Charles V, en usant de son droit de souveraineté, relance le conflit en 1368-1369. Le traité
reste pour autant une référence discursive, de
part et d’autre. Il ne clôt pas « les malheurs de
la guerre », déversant sur le pays des bandes
de soldats sans emploi.
Breuil (Henri, abbé), ecclésiastique et
préhistorien (Mortain, Manche, 1877 - L’IsleAdam, Val-d’Oise, 1961).
Fils d’un magistrat, Henri Breuil, ordonné
prêtre en 1900, a mené des travaux importants dans le domaine de la préhistoire et, plus
particulièrement, de l’art préhistorique. Après
avoir enseigné à Fribourg, en Suisse (19051910), puis à l’Institut de paléontologie humaine, à Paris (à partir de 1910), il est élu à
la chaire de préhistoire du Collège de France
en 1929, puis à l’Académie des inscriptions
et belles-lettres en 1938. Il a consacré ses
recherches aux plus anciennes industries
humaines du nord de la France et de Belgique
(clactonien, acheuléen, tayacien) et au paléolithique supérieur du Périgord. Mais ses travaux les plus connus portent sur le relevé, le
classement et la datation de l’art rupestre du
paléolithique supérieur, par l’étude de nombreuses grottes peintes (il a découvert celles
des Combarelles). Il s’est intéressé également
à l’art des monuments mégalithiques et à l’art
rupestre d’Éthiopie et d’Afrique du Sud.
Briand (Aristide), homme politique (Nantes
1862 - Paris 1932).
Onze fois président du Conseil, poste qu’il
cumule le plus souvent avec celui de ministre
des Affaires étrangères (dont il est chargé
également dans plusieurs cabinets), Aristide
Briand est une figure centrale de la IIIe République, de 1906 à 1932. Ses idées ont marqué ses contemporains qui, à l’image de Jean
Jaurès, ont apprécié ou critiqué le « briandisme ».
• Un socialiste fervent. Issu d’un milieu
provincial modeste, Aristide Briand monte
à Paris en 1883. Jeune avocat, socialiste de
tendance anarchiste, il échoue une première
fois aux élections législatives de 1889, sous
l’étiquette radical révisionniste. Proche de
Fernand Pelloutier en 1890-1892, il anime
le journal la Démocratie de l’Ouest et milite en
faveur de la grève générale. Il en fait adopter le
principe par la Fédération nationale des syndicats en 1894, à Nantes. Opposant au Parti
socialiste de France dominé par Jules Guesde,
il contribue à fonder, sous l’impulsion de Jaurès, le Parti socialiste français en 1902. Député
de Saint-Étienne de 1902 à 1919, il s’éloigne
de la SFIO, créée en 1905, et devient, dès
1910, une figure de proue du groupe des
socialistes indépendants, véritable « pépinière
de ministres ». Rapporteur de la loi de séparation des Églises et de l’État, votée en juillet
1905, il est bientôt chargé de son application.
Ministre de l’Instruction publique, des BeauxArts et des Cultes de 1906 à 1909, il préconise vis-à-vis des catholiques une « politique
d’apaisement », comme il le déclare à Périgueux en 1909. Remarquable orateur, habile
à se constituer des clientèles parlementaires,
Briand anime, en 1909-1910, un « courant
réformiste laïque » de centre gauche, qui vise
à restaurer la paix sociale.
De juillet 1909 à la guerre, onze gouvernements se succcèdent, dont les quatre predownloadModeText.vue.download 116 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
105
miers cabinets Briand. Adversaire déclaré de
la SFIO depuis qu’il a réprimé durement une
grève de cheminots en octobre 1910, Briand
dépose un projet de loi qui porte le service
militaire à trois ans, en janvier 1913. Fondateur du groupe de la Fédération des gauches,
ministre de la Justice en 1914, il redevient
président du Conseil d’octobre 1915 à mars
1917, avec, pour la première fois, le portefeuille des Affaires étrangères. Le retour aux
affaires de Clemenceau le tient écarté du pouvoir jusqu’en 1921. Élu député de la LoireInférieure en 1919, il le reste jusqu’en 1932.
Le 16 janvier 1921, il forme un nouveau gouvernement, de centre gauche, et reprend les
Affaires étrangères.
• L’apôtre de la paix. C’est en septembre
1921 que Briand, confronté à la question des
réparations dues par l’Allemagne au titre du
traité de Versailles, abandonne la politique de
fermeté et opte pour la négociation. Lors de la
conférence de Cannes de janvier 1922, cette
attitude, approuvée par les gauches radicale
et socialiste, suscite une levée de boucliers à
droite, qui contraint Briand à la démission.
Son retour aux Affaires étrangères dans le
cabinet Painlevé en avril 1925 s’avère décisif.
Briand se maintient au Quai d’Orsay jusqu’en
janvier 1932 (à l’exception de brèves interruptions), en tant que président du Conseil
ou dans différents ministères, dont ceux de
Raymond Poincaré (juillet 1926-juillet 1929).
Il mène une politique extérieure fondée sur
trois principes : détente internationale, sécurité collective et rapprochement franco-allemand. Après les accords de Locarno de 1925,
des négociations entre Briand et Gustav Stresemann aboutissent à l’entrée de l’Allemagne
à la Société des nations (SDN), le 4 septembre
1926. En 1928, ayant lancé un appel à l’opinion publique américaine en faveur de la paix,
Briand est l’initiateur d’un pacte qui met la
guerre « hors la loi ». Le pacte Briand-Kellogg
marque le triomphe de celui qui, après avoir
reçu le prix Nobel en 1926, est surnommé
« l’apôtre de la paix ». En septembre 1929,
à la tribune de la SDN à Genève, Briand propose de créer « une sorte de lien fédéral »
entre pays d’Europe. Ce projet est vite abandonné. Après son échec à l’élection présidentielle en mai 1931, Aristide Briand se retire
de la vie politique en janvier 1932 et meurt
quelques mois plus tard (7 mars).
Briçonnet (Guillaume), évêque de Meaux
(Paris, vers 1470 - Château d’Esmans, Seineet-Marne, 1534).
Fils de Guillaume Briçonnet, homme de
confiance de Louis XI, et de Raoulette de
Beaune, soeur du financier Jacques de Beaune
de Semblançay, Guillaume Briçonnet naît
dans le milieu des financiers au service du
roi de France. Après des études au collège
de Navarre, où il a pour professeur Jacques
Lefèvre d’Étaples, maître de la Renaissance
humaniste, il devient président de la Chambre
des comptes en 1495, puis abbé de Saint-Germain-des-Prés en 1507. C’est là qu’il accueille
Lefèvre d’Étaples et ses disciples, qui prônent
la réforme de l’Église romaine. Lorsqu’il
est nommé évêque de Meaux en 1516, ce
petit groupe le suit et forme le « cénacle de
Meaux ». Sous l’inspiration de ses compagnons, Guillaume Briçonnet diffuse dans son
diocèse des traductions de la Bible en français, permet aux laïcs de prêcher et se montre
partisan d’une pratique spirituelle plus libre,
proche d’un mysticisme personnel. C’est en
tout cas ce qui transparaît de sa correspondance avec la soeur du roi François Ier, Marguerite de Navarre, dont il est le directeur de
conscience. Mais, à partir de 1525, le cénacle
de Meaux se désagrège. Dépassé par l’ampleur
d’un mouvement dont il a permis le développement, Guillaume Briçonnet se rallie en
1528 aux thèses de l’Église établie, mettant fin
à tout espoir de réforme interne à l’Église catholique, ses protégés trouvant refuge auprès
de la cour de Marguerite de Navarre.
Brigades internationales, unités de
volontaires organisées par l’Internationale
communiste pour aider la République espagnole contre l’insurrection franquiste, de 1936
à 1938.
En règle générale, les combattants rejoignent
l’Espagne par le Roussillon, seule frontière
libre. Leur nombre est évalué entre 30 000
et 40 000 hommes, sans compter les étrangers déjà présents en Espagne, ceux qui sont
arrivés alors que les partis communistes affirmaient encore que l’Espagne n’avait besoin
que de matériel et de spécialistes, ou ceux
qui, après la création des brigades en octobre,
choisissent des unités proches des anarchistes
ou de l’extrême gauche : le total peut s’élever
à 75 000 hommes, dont 8 500 à 15 400 Français. En 1936, ceux-ci représentent entre le
tiers et la moitié des brigades elles-mêmes, puis
baissent jusqu’à 15 % après l’arrivée d’autres
volontaires. Une brigade reçoit le nom de « La
Marseillaise », et l’on trouve des bataillons
appelés « Commune de Paris », « 6 Février »
ou « Henri Barbusse ». S’y ajoutent, venus de
France, des réfugiés allemands, des émigrés
d’Europe centrale et plus de la moitié des
5 000 Italiens recensés. Les délégués de l’Internationale, tel Josip Broz (Tito), centralisent
les volontaires à Paris, malgré les protestations
de la droite et l’embarras du gouvernement.
Enfin, la ligne politique est supervisée par des
Français, François Billoux, Lucien Geumann
et André Marty, lequel dirige la formation et
l’entraînement avec une dureté qui lui vaut
le surnom de « boucher d’Albacete » ; les
brigadistes sont soumis à une discipline très
dure par leur commandement, dominé par
les communistes (il y a d’assez nombreux cas
d’exécution). Même si l’on ne compte jamais
plus de 15 000 « Internationaux » au combat
simultanément, leur rôle est capital : soutien
moral, apport de troupes de choc dès 1936
pour défendre Madrid, et modèle pour l’armée espagnole, d’autant que les cinq brigades
comportent une moitié d’autochtones. Leur
épopée est célébrée en particulier par André
Malraux, organisateur de l’escadrille España,
dans l’Espoir, roman (1937) et film (1938).
Après la dissolution des Brigades internationales en octobre 1938, censée inciter au
retrait des Italiens et des Allemands combattant pour Franco, nombre d’étrangers ne
peuvent quitter l’Espagne, faute de papiers.
Repliés en France en 1939, lors de la victoire
franquiste, ils y sont internés avec les républicains espagnols réfugiés dans des camps
de concentration (Gurs ou Argelès-sur-Mer).
Français ou étrangers, maints volontaires
se retrouvent dans la Résistance, tels Pierre
Georges (le futur colonel Fabien) ou Rol-Tanguy, les deux engagements marquant la même
volonté de lutte, même si l’expérience espagnole, relevant de la guerre conventionnelle,
n’a pas directement préparé à la guérilla et à
la clandestinité.
Brisson (Henri), homme politique
(Bourges, Cher, 1835 - Paris 1912).
Candidat malheureux à l’élection présidentielle, battu par Jean Casimir-Perier en 1894,
puis par Félix Faure en 1895, brièvement
président du Conseil en 1885 et en 1898 où
il se montre conciliant envers les antidreyfusards, Brisson n’a guère impulsé de réformes,
sinon le passage de l’indemnité parlementaire
à 15 000 francs, mesure qui eut pour effet
non recherché d’alimenter l’antiparlementarisme. Pourtant, il ne mérite pas le mot de
Clemenceau, qui voit en lui un « faux col et
rien dedans ». Radical, il prône la prudence
dans l’application du programme républicain
et se rapproche des « opportunistes », mais
lance le slogan « Pas d’ennemi à gauche »
et demande, dès 1871, l’amnistie des communards. Député de la Seine, du Cher, puis
des Bouches-du-Rhône, de 1871 à sa mort, il
préside la Chambre à quatre reprises - treize
ans et neuf mois en tout - à partir de 1881.
Antiboulangiste résolu, très impartial et très
intègre président de la commission d’enquête
sur le scandale de Panamá, il se rallie au
dreyfusisme ; il sauve, en 1899, le cabinet
Waldeck-Rousseau lors de sa formation en
faisant à la tribune, dit-on, le signe maçonnique de détresse, ralliant ainsi maints députés issus des loges dont il est un haut dignitaire. Anticlérical, ennemi des congrégations,
précurseur du combisme, il préside avec Léon
Bourgeois et René Goblet le congrès de fondation du Parti radical en 1901. C’est dire que,
s’il ne marque pas vraiment la IIIe République
d’avant 1914, il en est une incarnation et un
symbole.
Brissot de Warville (Jacques Pierre
Brissot, dit), journaliste et homme politique
(Chartres, Eure-et-Loir, 1754 - Paris 1793).
Chef le plus en vue des girondins pendant la
Révolution et principal rival de Robespierre
dans les premiers mois de la Convention.
Brissot est en 1789 un homme de lettres
raté doté d’une mauvaise réputation. Personnage double, à la fois vertueux et intrigant,
d’un caractère léger et confus donnant prise à
ses adversaires politiques, ce fils d’un traiteur
de Chartres connaît en effet des débuts peu
brillants. En 1774, il abandonne le droit pour
s’installer à Paris et satisfaire ses ambitions
littéraires, ajoutant à son nom celui « de Warville » par anglomanie ; mais il ne parvient
qu’à se compromettre dans la « Librairie clandestine ». Il fait cependant deux expériences
journalistiques : il collabore de 1778 à 1783
au Courrier de l’Europe, journal franco-anglais, et fonde à Londres le Journal du lycée de
Londres (1784-1785), qui est un échec. Défenseur de la liberté, il prend parti pour l’indownloadModeText.vue.download 117 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
106
dépendance américaine, puis, en 1782, pour
la révolution genevoise, rencontre en Suisse
Mirabeau et, surtout, le banquier genevois
Clavière, dont il devient l’ami. Si, en 1784,
il est emprisonné pour dettes à Londres, puis
embastillé à Paris pour des pamphlets contre
la reine, et rapidement libéré en échange de
renseignements sur les bas-fonds littéraires,
son sort s’améliore dès sa sortie de prison :
il participe alors aux affaires financières de
Clavière, avec lequel il rédige un ouvrage sur
les États-Unis, fonde une éphémère société
gallo-américaine, puis, en 1788, la Société des
amis des Noirs, qui combat l’esclavage dans
les colonies, et se lie avec Sieyès, Condorcet
ou encore La Fayette.
• L’engagement révolutionnaire. Au cours
d’un voyage aux États-Unis, il apprend la
convocation des États généraux et rentre en
France, mais ne peut se faire élire député.
Cependant, le 6 mai 1789, il lance le Patriote
français, journal bravant la censure, aussitôt
interdit, puis relancé le 28 juillet, qui fait de
lui un précurseur de la presse libre. Sa feuille,
qui connaît un grand succès jusqu’au 2 juin
1793, défend l’égalité civique et la prépondérance du pouvoir législatif tout en s’opposant
aux excès populaires. Membre de la Commune de Paris en juillet 1789 et du Comité
de législation, il ne s’impose sur la scène politique qu’à l’été 1791, jouant après Varennes
un rôle de premier plan dans le mouvement
républicain ainsi qu’au Club des jacobins. Élu
député, membre du Comité diplomatique, il
dirige la politique étrangère de la Législative,
dont il devient le leader de l’automne 1791
au printemps 1792, ses partisans étant alors
dénommés « brissotins ». Sa politique belliciste fait l’unanimité, à l’exception de Robespierre. La guerre, qui doit selon Brissot affermir la Révolution en opposant le principe de
la liberté universelle à celui du despotisme, est
aussi une arme politique censée lui permettre
de l’emporter sur ses adversaires royalistes et
feuillants, et forcer le roi à prendre parti. Cette
période, durant laquelle il apparaît comme
le chef du parti girondin, marque son apogée, mais son étoile décline avec les premières
défaites militaires, tandis que, soucieux de
maintenir le ministère girondin, il se met en
retrait du mouvement républicain et ne joue
aucun rôle dans la chute de la monarchie le
10 août 1792. Réélu à la Convention, il s’y
montre farouchement hostile à la démocratie
directe et au mouvement populaire, dénonce
avec virulence le pouvoir de la Commune et
des sections de Paris. Il est exclu du Club des
jacobins le 12 octobre 1792. Lors du procès
du roi, il vote pour le sursis. Discrédité aux
yeux d’une partie de l’opinion et compromis
par la retentissante trahison de Dumouriez,
avec lequel il est lié, il perd le long duel qui
l’oppose à Robespierre, de l’automne 1792
au printemps 1793, pour le contrôle de la
Convention. Décrété d’arrestation avec les
principaux chefs girondins à la suite des journées des 31 mai et 2 juin 1793, il attire sur lui
la vindicte du Tribunal révolutionnaire, qui
l’accuse d’avoir voulu rétablir la monarchie, et
meurt guillotiné le 31 octobre.
Broglie (Albert, duc de), homme politique
(Paris 1821 - id. 1901).
Descendant de Necker par Mme de Staël, fils
d’un ministre de Louis-Philippe, incarnant un
libéralisme aristocratique et catholique moins
attaché aux Orléans qu’à la prépondérance
des notables, il quitte la diplomatie pour ne
pas servir Napoléon III, anime l’Union libérale avec Thiers, est député de l’Eure en 1871.
Chef de la coalition conservatrice qui écarte
Thiers en 1873, vice-président du Conseil de
Mac-Mahon, il mène la politique de l’Ordre
moral, pourchassant presse républicaine
et enterrements civils, nommant tous les
maires... Sachant une restauration légimitiste
impossible, il veut proroger les pouvoirs de
Mac-Mahon dans l’espoir de permettre le
retour des Orléans après la mort du comte
de Chambord, prétendant au trône. Pour y
parvenir, il négocie avec les républicains et
obtient une prolongation du mandat présidentiel pour sept ans (au lieu de dix, comme
il espérait). Les légitimistes, trahis, se joignent
aux républicains et aux bonapartistes pour le
renverser en 1874. En 1875, il se prononce
en faveur d’un Sénat représentant les notables
mais doit encore négocier avec les républicains, qui s’allient ensuite aux légitimistes, et
l’empêchent d’être sénateur inamovible. Élu
sénateur de l’Eure, rappelé à la tête du gouvernement par Mac-Mahon après le 16 mai
1877, il ne peut empêcher les républicains
de rester majoritaires malgré les mesures de
répression.
Cet échec met fin à sa carrière politique.
Son orléanisme, qui ne bénéficiait pas de
vraies racines dans le pays, trop libéral pour
les légitimistes, était trop violemment conservateur pour les républicains.
Broglie (Louis, prince, puis duc de), physicien (Dieppe 1892 - Paris 1987).
Il est issu d’une illustre famille du Piémont
établie en France depuis le XVIIe siècle. Après
des études d’histoire, Louis de Broglie se
tourne vers la physique, suivant l’exemple
de son frère aîné, Maurice, secrétaire de la
première conférence internationale de physique (Bruxelles, 1911). Le physicien Anatole Abragam a résumé, non sans humour,
la découverte de Louis de Broglie : « On sait
que le photon, qui est une onde, est aussi une
particule ; pourquoi l’électron, qui est une
particule, ne serait-il pas aussi une onde ? »
La question de la nature corpusculaire - selon
Newton - ou ondulatoire - selon Huygens et
Maxwell - de la lumière constitue, en effet,
l’un des problèmes essentiels de la physique
à l’aube du XXe siècle. Einstein vient de démontrer la double nature - matière et rayonnement - de la lumière. En 1924, Louis de
Broglie étend ce principe au domaine des particules matérielles. Son raisonnement est validé expérimentalement en 1927. Pour ces travaux, Louis de Broglie reçoit, en 1929, le prix
Nobel de physique. Titulaire de la chaire de
physique théorique de l’Institut Henri-Poincaré, membre de l’Académie des sciences en
1933, puis de l’Académie française en 1944,
il poursuit ses études sur la mécanique ondulatoire, cherchant à concilier les implications
probabilistes de ses découvertes et une théorie causale du comportement des particules.
Avec Heisenberg, Pauli, Dirac, Schrödinger,
etc., Louis de Broglie a permis grâce à une
série d’observations et d’intuitions, l’élaboration d’une théorie solide et vérifiée : la mécanique quantique.
bronze (âge du) ! âge du bronze
Brossolette (Pierre), résistant (Paris
1903 - id. 1944).
Issu d’une famille qui doit son ascension sociale au mérite scolaire, Pierre Brossolette est
reçu premier à l’École normale supérieure en
1922 et n’est devancé à l’agrégation d’histoire
que par Georges Bidault. Mais l’enseignement
l’intéresse moins que le journalisme et l’action
politique. Militant de la fédération socialiste
de l’Aube, dont il devient le secrétaire général en 1935, il collabore à plusieurs revues et
journaux de gauche, dont Marianne, de 1932
à 1936. Pendant le Front populaire, Léon
Blum lui confie une rubrique quotidienne
de politique étrangère à la Radio nationale.
Conscient de la montée des périls, il abandonne le pacifisme dès 1933, et s’oppose aux
accords de Munich en 1938. Son engagement dans la Résistance intervient au lendemain même de la défaite, en liaison avec le
réseau du Musée de l’homme. En novembre
1941, il entre au service du colonel Passy à
Londres et se consacre alors à l’unification de
la Résistance, sous la direction du général de
Gaulle, avec l’espoir de contribuer au renouvellement de la vie politique française après la
guerre. Il est ainsi à l’origine de la création du
Conseil national de la Résistance. Arrêté par la
Gestapo le 3 février 1944, Pierre Brossolette
meurt le 22 mars, après s’être défenestré pour
éviter de parler sous la torture.
Broussais (François Joseph), médecin et
physiologiste (Saint-Malo 1772 - Paris 1838).
Chantre de la « médecine physiologique »,
Broussais a davantage marqué son temps par
ses positions politiques que par son apport
scientifique. Fils d’un officier de santé, il
commence ses études à Dinan avant d’être
réquisitionné dans l’armée en 1793. Sa carrière de médecin militaire l’occupe pendant
plus de vingt années, au cours desquelles il
poursuit sa formation, sert comme chirurgien
et suit la Grande Armée en Europe centrale et
en Espagne. En 1814, il est nommé au Valde-Grâce, puis, malgré son attachement à
l’héritage de 1789, il occupe à partir de 1820
la chaire de pathologie à la faculté de médecine de Paris et entre à l’Académie de médecine en 1823. Fidèle à la leçon de Bichat, il
développe une théorie médicale fondée sur
l’irritabilité des tissus. Sa pensée n’est alors
ni originale ni marginale. Mais son influence
s’exerce ailleurs : il incarne, dans le milieu
médical, l’opposition libérale à la monarchie
restaurée. Ancré dans la tradition matérialiste, son enseignement est perçu comme une
résistance au spiritualisme clérical. Coqueluche des carabins, médecin des chefs libéraux (Benjamin Constant ou Casimir Perier),
il s’impose comme une figure emblématique.
La monarchie de Juillet ne s’y trompe pas, qui
le fait élire à l’Académie des sciences morales
downloadModeText.vue.download 118 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
107
et politiques. Son enterrement donne lieu à
un immense défilé public du Val-de-Grâce
au Père-Lachaise. En 1883, la IIIe République
triomphante donne son nom à un hôpital
parisien.
Brousse (Paul), militant anarchiste puis
socialiste, et théoricien du réformisme (Montpellier 1844 - Paris 1912).
Fils d’un médecin de Montpellier, il se destine d’abord à la carrière médicale. Membre
de l’Association internationale des travailleurs
(AIT), il doit se réfugier à Barcelone, où il dirige une feuille d’agitation, la Solidarité révolutionnaire. En 1873, au congrès de Genève de
l’AIT, il prend parti pour Bakounine contre
Marx. Resté en Suisse, il entre à la Fédération
jurassienne (de tendance anarchiste). La diffusion de son journal l’Avant-garde et l’organisation d’une manifestation de l’AIT le 18 mars
1877 à Berne (pour laquelle il écrit son célèbre chant le Drapeau rouge) lui valent d’être
expulsé. Il gagne Londres en 1879. Amnistié
avec les communards, il revient à Paris l’année
suivante, représentant désormais l’aile modérée du mouvement ouvrier. Il rompt en 1882
avec les guesdistes, puis en 1890 avec les allemanistes (anti-électoralistes). Sa Fédération
des travailleurs socialistes de France s’affirme
« possibiliste », c’est-à-dire partisane d’une
ligne gradualiste, justifiée dans la Propriété
collective et les services publics (1883). Élu en
1887 au conseil municipal de Paris, il collabore avec les radicaux et soutient Alexandre
Millerand lorsqu’il devient ministre. Il adhère
néanmoins en 1902 au Parti socialiste français
de Jean Jaurès, puis, en 1905, à la SFIO, dont
il devient député en 1906.
brumaire an VIII (coup d’État des 18
et 19), coup de force des 9 et 10 novembre
1799 renversant le Directoire et inaugurant
le Consulat.
Devant l’instabilité politique du Directoire
et l’impossibilité de modifier légalement la
Constitution, les « révisionnistes », républicains conservateurs hostiles aux jacobins
et partisans d’un pouvoir exécutif renforcé,
organisent un coup d’État. Exploitant les
menaces d’invasion et entretenant la peur auprès des nantis, leur propagande n’a aucune
peine à dresser contre le Directoire une opinion publique lasse du régime et de la guerre.
Pour les conjurés, soucieux de préserver une
apparence de légalité, il s’agit, en inventant un
« complot anarchiste » contre le Conseil des
Anciens et le Conseil des Cinq-Cents, de réunir ceux-ci hors de Paris, faire démissionner
les directeurs, puis, devant le vide, d’amener
les députés à accepter une nouvelle Constitution. Ils bénéficient du soutien des milieux
d’affaires, et s’assurent, avec le général Joubert, de celui de l’armée. À leur tête, chacun
espérant manipuler l’autre, il y a Sieyès, l’un
des cinq directeurs et l’âme de la conjuration,
et Napoléon Bonaparte, rentré d’Égypte auréolé de gloire le 9 octobre, auquel est confié
le rôle de Joubert, mort le 15 août.
Le 18 brumaire, les Anciens, puis les CinqCents - présidés par Lucien Bonaparte depuis
le 1er brumaire (23 octobre) -, acceptent leur
transfert à Saint-Cloud ; les directeurs démissionnent ou sont neutralisés, tandis que Bonaparte est nommé commandant des forces
militaires de Paris. Mais, le 19 brumaire, la manoeuvre parlementaire tourne mal et s’achève
sur une action militaire. Demeurant attachés
à la Constitution de l’an III, les Cinq-Cents
accueillent Bonaparte au cri de « À bas la dictature ! » et menacent de le mettre hors la loi.
Bousculé, déconcerté, le général doit quitter la
salle. Puis, haranguées par Lucien, qui accuse
les députés d’avoir voulu tuer son frère, les
troupes, conduites par Murat, dispersent les
Cinq-Cents. En fin de journée, une cinquantaine de députés des Anciens et des Cinq-Cents
réunis par les conjurés nomment une commission exécutive provisoire de trois consuls (Bonaparte, Sieyès et Ducos), ainsi que deux commissions parlementaires chargées d’établir une
nouvelle Constitution. La population ne réagit
pas, le coup d’État étant approuvé d’avance.
Dès le 20 brumaire, Bonaparte se pose en sauveur, soldat de la liberté et citoyen républicain
au-dessus des partis, promettant la paix et la fin
de la Révolution. Évinçant Sieyès, il est le grand
bénéficiaire de l’opération.
Un mois plus tard, la Constitution de
l’an VIII, rédigée sous ses ordres, représente
à la fois la conclusion de la Révolution et le
préambule de la dictature napoléonienne.
Brune (Guillaume Marie Anne), maréchal d’Empire (Brive-la-Gaillarde, Corrèze,
1763 - Avignon, Vaucluse, 1815).
C’est la Révolution qui transforme en soldat ce
fils d’avocat monté à Paris par ambition artistique. Militant cordelier, volontaire national
en 1791, il devient général en 1793. Sous les
ordres de Bonaparte, il participe en 1795 à la
répression de la journée du 13 vendémiaire,
puis rejoint l’armée d’Italie en 1797. Dès lors,
ses qualités militaires et diplomatiques lui
valent de nombreuses missions, qu’il remplit
brillamment. Mais ses convictions républicaines et jacobines dérangent le pouvoir politique. Commandant l’armée d’Italie en 1798,
il est rappelé par le Directoire pour avoir soutenu les jacobins italiens. Cependant, à la tête
de l’armée de Hollande l’année suivante, il
met à mal la seconde coalition en remportant
la victoire de Bergen. Hostile au coup d’État
du 18 brumaire, il est envoyé en Vendée, où il
parvient à convaincre les chouans de déposer
les armes, puis en Italie, où il est à nouveau
victorieux à Vérone (3 janvier 1801). Nommé
au Conseil d’État en 1801, il doit quitter Paris
pour prendre un poste d’ambassadeur en Turquie (1802-1804). Même s’il est fait maréchal
d’Empire en 1804, il demeure le seul, avec
Jourdan, à ne recevoir aucun titre de noblesse.
En 1807, il s’empare de Stralsund, sur la Baltique, mais Napoléon use du prétexte de la
signature d’une convention dont les termes lui
déplaisent pour le relever de ses fonctions et
le mettre en disponibilité jusqu’en 1814. Pendant les Cent-Jours, il est rappelé par l’Empereur, et tient Toulon jusqu’au 31 juillet 1815.
Cherchant à rejoindre Paris, il est assassiné le
2 août par une bande royaliste.
Brunehaut, reine mérovingienne d’Austrasie (Espagne 543 - Renève, près de Dijon,
612).
Fille du roi des Wisigoths d’Espagne Athanagilde, Brunehaut épouse, vers 566, Sigebert, roi d’Austrasie, petit-fils de Clovis et
frère du roi de Neustrie, Chilpéric. Sa beauté
et son origine wisigothique lui confèrent un
prestige dont elle sait user. Lorsque sa soeur
Galeswinthe, épouse de Chilpéric, est assassinée par Frédégonde, maîtresse de ce dernier, Brunehaut incite son époux à la venger.
L’opposition entre la Neustrie et l’Austrasie
devient alors une guerre ouverte, tandis que
les grands des deux royaumes cherchent
à s’émanciper en soutenant le roi adverse.
Brunehaut, veuve de Sigebert (assassiné par
Frédégonde en 575), se heurte ainsi à un
parti de grands austrasiens. Elle parvient à
faire reconnaître son fils Childebert II comme
roi d’Austrasie, puis conforte sa position en
s’alliant avec le roi de Bourgogne, Gontran.
Confrontée au parti des grands propriétaires
fonciers, Brunehaut peut s’assurer de la loyauté
d’un parti royaliste soucieux de développer une
autorité monarchique solide, groupé autour de
Gogon, gouverneur de Childebert II. Ce parti
se montre favorable à l’alliance avec la Bourgogne, dont le roi Gontran choisit Childebert II
pour héritier. En 592, à la mort de Gontran,
Childebert II devient donc roi de Bourgogne.
Mais il meurt peu de temps après, en 595, laissant pour héritiers deux fils : Thierry II, à qui
échoit la Bourgogne, et Théodebert II, qui re-
çoit l’Austrasie. Brunehaut administre les deux
royaumes, tout en luttant contre Frédégonde et
son fils Clotaire II, d’une part, les aristocraties
austrasienne et bourguignonne, d’autre part.
En 597, Clotaire II, seul maître de la Neustrie,
suscite la guerre entre Thierry II et Théodebert II, qui expulse sa grand-mère d’Austrasie. Cette dernière se réfugie en Bourgogne, où
elle s’appuie sur le maire du palais, Protadius ;
mais, quand celui-ci meurt en 605, elle perd
son dernier soutien. En 613, Clotaire II fait
capturer Brunehaut, qu’il met à mort, la faisant tirer (selon le récit de Grégoire de Tours)
par un cheval dont on a tressé la crinière à ses
cheveux. Au prix du massacre du reste de la famille austrasienne, Clotaire II parvient à refaire
momentanément l’unité du royaume franc.
Longtemps maudite par les chroniqueurs,
Brunehaut a été réhabilitée par l’historiographie allemande, pour laquelle elle incarne le
sens de l’État.
Brunswick (manifeste de), « déclaration » du 25 juillet 1792 adressée aux Français
et signée par le duc de Brunswick, commandant en chef des armées autrichiennes et
prussiennes.
Depuis la déclaration de guerre du 20 avril
1792, Louis XVI, qui espère recouvrer son
ancien pouvoir, veut obtenir des puissances
coalisées la publication d’un manifeste menaçant les jacobins et les autorités révolutionnaires, et privilégiant sa personne dans les
traités à venir. Tel est le sens d’un premier
texte modéré proposé en juin aux souverains
autrichien et prussien. Mais, à la suite de la
journée révolutionnaire du 20 juin, la reine
désire en imposer par une déclaration plus
vigoureuse. Aussi, Brunswick signe-t-il un
texte rédigé par le marquis de Limon, l’un des
émigrés royalistes hostiles à tout compromis.
Publié au début du mois d’août, alors que
downloadModeText.vue.download 119 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
108
Brunswick vient de pénétrer en Lorraine, le
manifeste est une grave faute psychologique :
il exige la liberté du roi et la soumission de
tous les Français, sommés de ne pas résister
aux armées coalisées, et menace, assurant
que, en cas d’atteinte à la sûreté de Louis XVI,
l’empereur germanique et le roi de Prusse
« en tireront une vengeance exemplaire et à
jamais mémorable, en livrant la ville de Paris
à une exécution militaire et à une subversion
totale ». Alors que le sentiment national est
déjà très exalté et que l’agitation républicaine
est à son comble, le manifeste compromet
gravement Louis XVI en prouvant sa collusion avec l’étranger, ainsi que l’existence d’un
complot aristocratique. Loin de terroriser, il
indigne, rallie les hésitants à la cause républicaine, et donne l’impulsion finale à la journée
du 10 août, qui voit la chute de la monarchie.
Buchez (Philippe), philosophe et homme
politique (Matagne-la-Petite, Ardennes
belges, 1796 - Rodez 1865).
Après des études de médecine, Buchez adhère aux théories de Saint-Simon en 1825,
collabore au Producteur, revue du saint-simonisme, avant de rompre avec le mouvement
en 1829. Dès lors, il consacre tous ses efforts
à la recherche d’une synthèse entre les idéaux
de la Révolution française, les préceptes de
l’Évangile et le socialisme. Sa grandiose Histoire parlementaire de la Révolution française
(1834-1838), écrite en collaboration, est suivie quelques années plus tard de l’Essai d’un
traité complet de philosophie au point de vue
du catholicisme et du progrès (1839-1840).
Buchez propage ses idées, à partir de 1840,
dans le journal l’Atelier : il y prône le système
de l’« association ouvrière », coopérative de
production possédant un capital inaliénable
augmenté par les bénéfices des participants.
Adjoint au maire de Paris en février 1848, il
est élu à la Constituante, dont il devient le
premier président (5 mai-6 juin). Au mois
de décembre, il soutient la candidature du
général Cavaignac contre Louis Napoléon
Bonaparte. Son échec à l’élection législative
de mai 1849 met un terme à sa brève carrière
politique. Il se consacre alors à la rédaction
d’un Traité de politique et science sociale. De
son vivant, ses idées n’auront guère connu
que des applications très restreintes. Buchez
appartient à cette mouvance du socialisme
que Marx qualifiera d’« utopique ».
Budé (Guillaume), humaniste et helléniste
(Paris 1467 - id. 1540).
Figure emblématique de la première Renaissance, Guillaume Budé joue un rôle éminent
dans le développement de l’humanisme français.
Après une formation juridique négligée
- l’Université parisienne de la fin du XVe siècle
manque de maîtres qualifiés - , Budé se remet
à étudier à l’âge de 24 ans. Faute d’avoir trouvé
un pédagogue capable de lui enseigner le grec,
il se lance seul dans l’étude de cette langue, et
devient rapidement le plus remarquable helléniste de sa génération. Son extraordinaire appétit de savoir embrasse, dès lors, les disciplines
les plus diverses : philologie, histoire, droit,
mathématiques, sciences naturelles, médecine.
En 1508, il publie ses annotations latines aux
pandectes (compilations des jurisconsultes romains) ; débarrassant le texte original de ses
innombrables gloses médiévales, et cherchant
à restituer l’esprit des institutions antiques,
il ouvre la voie aux nouvelles méthodes juridiques. Six ans plus tard, le traité De asse (De
la monnaie) confirme cette orientation : déchiffrant les monnaies antiques avec autant de zèle
philologique que de passion archéologique,
Budé a l’opportunité de dresser un tableau singulièrement riche et vivant du monde romain.
Salué comme le « prince des hellénistes » par
les érudits de son temps, l’auteur des Commentaires sur la langue grecque (1529) n’est pas seulement un savant de cabinet. Chargé de plusieurs missions diplomatiques, il accompagne
François Ier au camp du Drap d’or. Maître de la
Librairie royale de Fontainebleau, il obtient du
souverain la nomination des lecteurs royaux
(1530), dont le groupe prend le nom de Collège des Trois-Langues en 1534 (futur Collège
de France).
Par les relations épistolaires qu’il entretient
avec les plus grands esprits de son temps
- Rabelais, Érasme, More -, il participe à l’édification d’une Europe du savoir qui transcende les clivages nationaux. Si la génération
de Rabelais s’est senti une telle dette envers
lui, c’est parce qu’il a libéré l’étude des textes
anciens du carcan scolastique et ouvert la voie
à une compréhension féconde de l’Antiquité.
Mais la vénération de ses pairs et héritiers tint
également, en ces temps d’aggravation des
troubles, à la capacité profondément conciliatrice de Budé : jamais le philologue, attaché
à la foi catholique, ne douta de la possibilité
d’harmoniser hellénisme et christianisme,
sagesse païenne et Révélation.
Buffon (Georges Louis Leclerc, comte de),
naturaliste (Montbard, Côte-d’Or, 1707 - Paris
1788).
Auteur prolifique, admiré de ses contemporains, Buffon offre l’image d’un savant original
dont les travaux ont modifié les perspectives
traditionnelles de l’histoire naturelle.
Fils aîné d’un conseiller au parlement de
Bourgogne anobli en 1717, il mène des études
de droit à Dijon, puis s’initie aux mathéma-
tiques, à la médecine et à la botanique. À la
suite d’un duel, il effectue un long voyage
en Provence et en Italie. Rentré en France en
1732, il se fait remarquer par une étude sur
les probabilités et devient, en 1734, adjointmécanicien à l’Académie des sciences. Au
cours des années suivantes, il rédige plusieurs
mémoires de botanique et de mathématiques,
et traduit la Méthode des fluxions de Newton,
dont il est l’un des premiers disciples français.
Sa carrière prend un tour nouveau en 1739
lorsqu’il est nommé intendant du Jardin du roi.
Il concentre alors son travail sur l’étude de la
vie et entreprend la rédaction de son Histoire
naturelle (trente-six volumes,1749-1788), dont
l’écriture élégante lui ouvre, en 1753, les portes
de l’Académie française, devant laquelle il prononce son célèbre Discours sur le style.
Admirateur de Locke, esprit éclairé, Buffon construit une oeuvre scientifique fondée
sur l’observation, l’expérience et une critique
rationnelle débarrassée de toute considération religieuse. Associant la minéralogie, la
géologie, la paléontologie, la zoologie, la physiologie, il compose un tableau du développement de la vie depuis l’origine de la Terre
et affirme la prédominance de l’homme, doué
de raison, sur l’ordre naturel. Si la qualité de
ses travaux réside essentiellement dans sa
description minutieuse des animaux (Histoire
naturelle des quadrupèdes, en douze volumes,
1753-1767 ; Histoire naturelle des oiseaux, en
neuf volumes, 1770-1783), ses réflexions sur
la notion d’espèce ont ouvert la voie de l’évolutionnisme. Certes, Buffon n’a jamais admis
le passage d’une espèce à une autre, condition
du transformisme ; mais, en rejetant l’idée de
la préexistence originelle des formes vivantes,
en situant leurs modifications dans la très
longue durée, en insistant sur la variabilité des
espèces soumises aux influences du milieu, il
est à l’origine du processus intellectuel qui a
conduit aux théories évolutionnistes de Lamarck et de Darwin. L’influence de Buffon a
cependant souffert de son opposition à Linné,
dont il jugeait la classification arbitraire et
inopérante, ainsi que de la complexité d’une
pensée très mobile.
Bugeaud (Thomas Robert), marquis de la
Piconnerie, duc d’Isly, maréchal de France
(Limoges 1784 - Paris 1849).
Issu d’une famille de hobereaux du Limousin,
ce noble devient soldat à 20 ans en s’engageant dans les armées napoléoniennes. Mis
en congé sous la Restauration, il retourne
dans son domaine natal, où il expérimente de
nouvelles techniques d’exploitation agricole,
et prépare son élection à la députation. Il est
rappelé par Louis-Philippe, qui lui confie la
garde de la duchesse de Berry en 1832, puis
le charge de réprimer l’insurrection républicaine de Paris en avril 1834, ce qui lui vaut
une grande impopularité.
C’est en 1836 que Bugeaud est envoyé
pour la première fois en Algérie. Sa mission
consiste à protéger l’installation de l’armée
française sur les côtes algériennes, contre les
tribus insoumises menées par Abd el-Kader.
Bugeaud est alors hostile à l’idée d’une colonisation de l’Algérie, qu’il estime dangereuse
et chimérique. Aussi, après une première victoire à la Sikkah, négocie-t-il avec son adversaire la convention de la Tafna (mai 1837),
qui fait de larges concessions à l’émir. Mais,
en 1840, la trêve est rompue : Abd el-Kader
lance ses troupes sur la plaine de la Mitidja
et déclare la guerre sainte aux Français. Le
maréchal Bugeaud est alors envoyé une seconde fois en Algérie avec le titre de gouverneur général. Rallié dès lors à une politique de
conquête totale du territoire algérien, il réorganise l’armée d’Afrique : augmentation des
effectifs, création de colonnes mobiles, amélioration de l’ordinaire des soldats. La « méthode Bugeaud », conduite avec opiniâtreté et
une certaine cruauté, qui privilégie la guerre
d’embuscade et les razzias, finit par porter ses
fruits. Après la victoire d’Isly (août 1844) sur
les armées marocaines alliées à Abd el-Kader,
Bugeaud traque sans répit l’émir, qui se rend
en décembre 1847. Dans le même temps, sa
conquête se double d’un effort de colonisation agricole et d’une politique arabe originale
(administration indirecte, bureaux arabes),
qui oppose Bugeaud à la hiérarchie civile et
downloadModeText.vue.download 120 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
109
militaire d’Algérie. Démissionnaire en 1847,
il regagne la France, où il meurt du choléra
après un éphémère retour à la vie politique.
Ce personnage, qui fait partie intégrante
de la légende de la colonisation, se distingue
par son énergie et son imagination, par son
autoritarisme allié à une certaine ampleur de
vue. Il peut être considéré comme le précurseur des grands conquérants coloniaux tels
Gallieni ou Lyautey.
Buisson (Ferdinand), pédagogue et
homme politique (Paris 1841 - Thieuloy-SaintAntoine, Oise, 1932).
Issu d’une famille protestante, Ferdinand Buisson, agrégé de philosophie en 1868, a refusé
de prêter serment à l’Empire. Exilé volontaire à
Neuchâtel, il exprime avec éclat, aux premiers
Congrès de la paix - Genève (1867), Lausanne
(1869) -, son souhait de voir un jour « l’abolition de la guerre par l’instruction ». Rentré
en France après Sedan, il est le chargé de mission du ministère de l’Instruction publique aux
Expositions universelles de Vienne (1873),
de Philadelphie (1876) et de Paris (1878). Le
10 février 1879, Jules Ferry le nomme directeur de l’enseignement primaire, fonction qu’il
remplira jusqu’en 1896 : sa longévité à ce poste
clé justifie que Charles Péguy ait vu en lui « le
principal organisateur de l’enseignement primaire en France ». Son Dictionnaire de pédagogie, publié de 1882 à 1886, puis mis à jour en
1911, reste l’un des monuments les plus représentatifs de l’oeuvre accomplie en ce domaine
par la IIIe République. Titulaire de la chaire de
pédagogie à la Sorbonne de 1896 à 1902, il
la cède à Émile Durkheim, après avoir été élu
député radical-socialiste de Paris. Dreyfusard,
membre fondateur de la Ligue des droits de
l’homme, il demeure après la guerre, en dépit
de sa défaite électorale de 1924, l’un des inspirateurs de la politique radicale. En 1927, il
partage avec l’Allemand Ludwig Quidde le prix
Nobel de la paix.
bureaux arabes, organismes coloniaux
créés en Algérie par le général Lamoricière
et officiellement mis en place par Bugeaud en
1844, dans les territoires sous autorité militaire.
D’abord conçus comme une structure de renseignement et de contact avec les indigènes, ils
deviennent un véritable organe administratif
décentralisé. On en dénombre une cinquantaine. Chaque bureau contrôle une vaste subdivision et se compose de quelques officiers, d’un
interprète, d’un médecin, de deux secrétaires
(arabe et français) et de quelques troupes. Ces
hommes sont tout à la fois soldats, administrateurs, informateurs, juges et conseillers d’une
communauté dont ils apprennent la langue et
partagent parfois le mode de vie, s’imposant
comme les interlocuteurs naturels des musulmans. Si certains d’entre eux abusent de leur
pouvoir, d’autres font preuve d’un réel souci
d’améliorer le sort des indigènes. Affaiblissement de l’aristocratie locale, éclatement et sédentarisation des tribus, progrès agricole et sanitaire : tels sont les résultats contrastés d’une
politique souvent jugée paternaliste. Dans le
même temps, les bureaux arabes s’attachent
à défendre les droits des indigènes contre les
spoliations territoriales des colons, ce qui leur
vaut l’hostilité de l’administration civile. À la
suite du rétablissement d’un régime civil en
Algérie, en 1870, ils disparaissent progressivement. Les bureaux arabes ont représenté la
tentative de mener une politique mixte fondée
à la fois sur le protectorat et la domination,
politique qui cède finalement la place à une
pratique plus assimilationniste.
Burgondes, peuple ostique (proche des
Goths) sans doute venu de l’île danoise de
Bornholm, et qui, au début du Ve siècle, s’installe dans l’ancienne province de Germanie et
en Gaule du Nord, puis, en 443, obtient un statut de fédéré en Sapaudia (ouest de la Suisse,
nord de la Savoie, sud du Jura).
Au début du VIe siècle, le royaume burgonde
s’étend de la Champagne méridionale à la
Durance, et des Cévennes à la Suisse centrale.
L’archéologie et la toponymie (noms en -ens)
attestent une forte présence des Burgondes
dans le sud de la Bourgogne (qui leur doit
son nom). Le roi Gondebaud (vers 480/516)
a su réaliser l’unité du royaume et créer des
alliances par une habile politique matrimoniale : en 494, son fils Sigismond épouse une
fille de Théodoric, roi des Wisigoths ; en 493,
sa nièce Clotilde se marie avec Clovis. Son
principal souci a été de trouver un débouché
en Méditerranée.
Les Burgondes se caractérisent par une
grande fidélité à Rome, attestée par l’aide militaire qu’ils apportent aux troupes romaines
contre Attila (451) ou les Suèves (456), par
la rédaction en latin de la loi Gombette (502),
et par l’utilisation des noms des consuls pour
dater les actes officiels. S’ils sont ariens, ils se
montrent cependant très tolérants vis-à-vis
des catholiques : le roi Sigismond (514/523)
se convertit même au catholicisme, mais son
successeur, Godomer III (524/534), renoue
avec l’arianisme. À partir de 522, les Burgondes subissent des incursions franques de
plus en plus nombreuses, et, en 534, leur
territoire est pris puis partagé par les Mérovingiens.
downloadModeText.vue.download 121 sur 975
downloadModeText.vue.download 122 sur 975
C
Cabanis (Pierre Jean Georges), médecin et
philosophe (Brive 1757 - Rueil 1808).
Ce fils de bourgeois des Lumières qui fréquente le salon de Mme Hélvétius et du baron
d’Holbach choisit de se consacrer à la médecine plutôt que de suivre un parcours littéraire. Il ne cesse cependant d’associer les préoccupations scientifiques et philosophiques
en réfléchissant sur les fonctions sociales du
savoir médical et sur ses fondements épistémologiques. Partisan de la Révolution, il est
élu en 1795 à l’Institut mais ne s’engage dans
une véritable carrière politique qu’à partir
de 1798, date de son entrée au Conseil des
Cinq-Cents. Il commence alors à rédiger
son oeuvre majeure, les Rapports du physique
et du moral de l’homme (1802), dont il présente des extraits à ses collègues idéologues
à l’Institut. Cabanis milite pour la fondation
d’une science de l’homme, établissant ainsi un
pont entre le matérialisme du XVIIIe siècle et la
quête moderne de données positives visant
à la compréhension de l’existence humaine,
caractéristique du XIXe siècle. Il rejette ainsi
tout point de vue spiritualiste, toute modélisation a priori. Persuadé, avec ses amis du
groupe des Idéologues, que Bonaparte est la
meilleure garantie pour la République, il soutient le coup d’État du 18 brumaire. Il devient
sénateur et membre de la Légion d’honneur
tout en se désolidarisant de l’autoritarisme
du nouveau régime. Cependant, son anthropologie sert de référence à l’élaboration du
Code civil. Lorsqu’il meurt, en 1808, l’Empire
lui fait l’honneur du Panthéon et d’un titre
de comte.
Cabarrus (Jeanne Marie Ignacia Thérésa), épouse en deuxièmes noces de Jean
Tallien, connue sous le nom de Mme Tallien, figure thermidorienne (Carabanchel Alto, près
de Madrid, 1773 - Chimay 1835).
Fille du financier et ministre espagnol François de Cabarrus, elle regagne l’Espagne
après avoir divorcé du marquis de Fontenay
en 1793 ; elle est arrêtée à Bordeaux comme
suspecte, puis libérée par Tallien, dont elle
devient la maîtresse et l’épouse (décembre
1794). Idole des « incroyables » et des
« merveilleuses », la Tallien incarne, sous la
Convention thermidorienne et le Directoire,
la rupture engagée après la chute de Robespierre. Célèbre pour ses tenues diaphanes
« richement déshabillées » (Talleyrand),
Mme Tallien donne le ton de la mode. Elle
incarne ainsi un archétype féminin, femme
corruptrice et légère, ou beauté généreuse.
Dans son milieu, elle est « la Notre-Dame
de Thermidor », qui incite les politiques à
adopter des mesures de clémence, l’inverse
des « tricoteuses », censées se délecter du
spectacle de la guillotine, mais, pour les
sans-culottes, elle est, selon un pamphlet
anonyme de 1802, « la plus grande putain
de Paris ». C’est en effet une époque où,
écrit Babeuf, par « une rétrogradation déplorable qui tue votre Révolution », les députés
« décident du destin des humains, couchés
mollement sur l’édredon et les roses à côté de
princesses ». À la Convention, on dénonce
l’influence politique des salons thermidoriens, les attaques contre le Club des jacobins
« combinées dans les boudoirs de Mme Cabarrus » (Duhem). Sa carrière « publique »
prend fin après le coup d’État du 18 brumaire. En 1802, elle divorce de Tallien et,
en 1805, épouse le comte de Caraman, qui
deviendra prince de Chimay.
Cabet (Étienne), penseur socialiste (Dijon
1788 - Saint Louis, États-Unis, 1856).
Fils d’un maître tonnelier, avocat, Étienne
Cabet est gagné aux idéaux républicains dès
les Cent-Jours. Après avoir été carbonaro
sous la Restauration, magistrat vite destitué, puis député sous Louis-Philippe, il met
sa plume au service de ses idées à partir de
1832 et fonde le Populaire, journal républicain en 1833. Contraint de s’exiler quelque
temps à Londres en 1835, il y théorise un
communisme démocratique et pacifique, qu’il
expose, de retour en France, dans un roman
- Voyage en Icarie (1840) -, propage par un
journal, le Populaire de 1841, et confirme dans
des Mémoires au titre révélateur : Mon credo
communiste (1845).
Dans la Fraternité icarienne, la propriété
privée est abolie, les biens sont mis en commun, et tout s’ordonne autour de l’éducation et du travail ; chacun est rémunéré en
nature selon ses besoins. Le peuple, souverain dans tous les domaines, s’exprime par
référendum. Pour parvenir progressivement
à cette société idéale et gagner en influence
dans l’opinion publique, Cabet propose des
réformes immédiates, telles que l’institution
d’un impôt progressif, d’un salaire minimum et du droit au travail. Mais, en dépit
de ses activités militantes en France, en particulier au début de la révolution de 1848,
il veut surtout réaliser son utopie dans un
cadre réduit ; il crée donc des communautés au Texas et en Illinois, qui échouent à
cause de leur isolement, de l’autoritarisme
de Cabet lui-même, et de l’absence de pen-
sée concrète de la vie communautaire.
Cabinet noir, officine secrète chargée,
sous le premier Empire, de décacheter les
correspondances privées.
Sous l’Ancien Régime, le surintendant général des Postes étant aussi secrétaire d’État
aux Affaires étrangères, l’ouverture de
lettres est une pratique gouvernementale
fréquente, dont on se plaint dans les cahiers
de doléances de 1789. Après la Révolution,
qui protège par décret le secret des lettres, le
viol du courrier est perfectionné et systématisé en 1808, sur ordre de Napoléon Ier, pour
surveiller ses proches et l’opinion publique,
et dans le cadre de la police politique et de
l’espionnage. Dirigé par le dévoué comte
de Lavalette, directeur général des Postes,
le Cabinet noir communique par une porte
dérobée avec l’Hôtel des postes à Paris. Doté
d’un gros budget, il emploie des agents bien
formés, qui recopient si nécessaire, avant de
les remettre en circulation, les lettres ouvertes, déchiffrent, révèlent l’encre sympathique, et reproduisent les cachets scellant
le courrier. Jusqu’en 1815, les fruits de ces
downloadModeText.vue.download 123 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
112
travaux sont remis chaque jour à Napoléon,
qui les détruit après en avoir pris connaissance.
cabochienne (révolte), soulèvement
parisien contre l’administration et la fiscalité
royales, qui se déroule entre avril et août 1413
et qui tient son nom d’un de ses principaux
meneurs, le boucher Simon Caboche.
La révolte cabochienne s’inscrit dans un
contexte de guerre civile qui oppose les partisans de Jean sans Peur, duc de Bourgogne,
et ceux de la famille d’Orléans-Armagnac.
Profitant de la folie du roi Charles VI, les
deux partis s’affrontent pour le contrôle du
Conseil royal et des finances royales. Depuis
1408, Jean sans Peur domine Paris, où se
tient la cour ; pour ce faire, il s’appuie sur
le parlement et l’Université, favorables à une
réforme de l’administration royale, ainsi que
sur le puissant réseau des bouchers parisiens, qui cherchent à s’intégrer à la haute
bourgeoisie de la capitale. Au début de l’année 1413, la crise financière est telle que le
Conseil royal se résout à convoquer les états
généraux de langue d’oïl afin d’obtenir leur
consentement à la levée d’un nouvel impôt.
Mais ses membres exigent préalablement la
réforme de l’administration et de la fiscalité royales. Favorable à une telle réforme,
Jean sans Peur soutient l’agitation antifiscale
menée par les riches bouchers. En avril et
en mai, manifestations et émeutes se succèdent ; la population parisienne s’en prend
violemment aux officiers royaux et aux
hôtels de la reine et du dauphin, Louis de
Guyenne. Du 26 au 29 mai, les représentants
des états généraux présentent enfin au roi
une grande ordonnance de réforme de l’État.
Il s’agit en fait d’un programme modéré, essentiellement administratif, qui ne témoigne
d’aucune velléité de contrôle du pouvoir par
les états. Mais cette ordonnance demeure
lettre morte, car, dans les rues de la capitale, le mouvement populaire se radicalise et
échappe au contrôle du duc de Bourgogne.
Le 1er juillet, le prévôt de Paris, Pierre des
Essarts, est exécuté et un impôt forcé sur les
riches, exigé. Ces excès finissent toutefois
par inquiéter les réformateurs modérés et la
bourgeoisie parisienne, qui se rapprochent
alors du dauphin. Le 4 août, avec l’aide de la
milice bourgeoise, celui-ci parvient à s’imposer lors d’un rassemblement populaire. Les
cabochiens sont aussitôt dispersés ; certains
parviennent à s’exiler en terre bourguignonne.
Le 23 août, Jean sans Peur préfère à son tour
fuir Paris. Le 31 août, le dauphin autorise les
chefs de la fraction des Armagnacs à entrer
dans la capitale. L’échec de la révolte cabochienne est alors consommé.
Le premier effet de cette défaite est de discréditer le duc de Bourgogne au profit des
Armagnacs. À plus long terme, la révolte
compromet durablement le programme de
réforme modérée proposé par les états généraux : le 5 septembre, l’ordonnance de mai,
dite « cabochienne », est ainsi solennellement
déchirée, et, à la fin du mois, l’administration est sévèrement épurée de ses éléments
réformateurs et favorables aux Bourguignons.
En définitive, la révolte cabochienne apparaît
comme l’une de ces nombreuses protestations
antifiscales qui témoignent de la difficile naissance de la fiscalité royale à la fin du Moyen
Âge.
Cachin (Marcel), homme politique (Paimpol, Côtes-du-Nord, 1869 - Choisy-le-Roi,
Seine, 1958).
Fils de gendarme, élève brillant, boursier,
licencié de philosophie, Cachin milite très tôt
dans le mouvement socialiste : adhérant dès
1892 au Parti ouvrier français de Jules Guesde,
il met tout son talent d’orateur et de publiciste au service de cette formation, puis de
la SFIO (Section française de l’Internationale
ouvrière, qui unifie les différents partis socialistes). Durant la Grande Guerre, il se montre
d’abord partisan résolu du soutien à l’« union
sacrée », puis adhère au courant « centriste »
- pacifiste modéré - du parti, majoritaire en
1918, et prend la direction de l’Humanité.
En 1920, Cachin devient le chef de file, avec
Frossard, des « reconstructeurs », et joue un
rôle majeur, lors du congrès de Tours, dans
la fondation du Parti communiste, dont il sera
un dirigeant inamovible (comité directeur,
1920-1924 ; bureau politique, 1923-1958).
Cette surprenante longévité ne s’explique
pas seulement par la souplesse tactique de
l’homme : Cachin symbolise la continuité du
mouvement révolutionnaire, et son réseau de
relations dans la classe politique - il fut député de 1914 à 1932, puis de 1944 à 1958,
sénateur de 1935 à 1940 - représente pour
le mouvement communiste un atout précieux. Fidèle à ses options, il refuse en 1939
de désavouer son parti, qui appuie le pacte
germano-soviétique, et témoigne en faveur
des députés communistes jugés au printemps
1940. En août 1941, il est arrêté par les Allemands, qui le contraignent d’émettre, dans un
long document, des réserves sur la pratique
des attentats individuels prônée par le PCF.
Néanmoins, Cachin reprend à la Libération
son rôle à l’Humanité, au Parlement et au sein
des instances dirigeantes de son parti, qui lui
voue jusqu’à sa mort un véritable culte.
cadastre, terme générique désignant les
documents qui sont à la base du calcul et de
la perception de l’impôt foncier, c’est aussi un
précieux outil pour l’histoire des structures
agraires et du paysage.
Avant le cadastre dit « napoléonien », élaboré
de 1807 à 1850, il n’existe pas de cadastre général couvrant l’étendue du territoire. Cependant l’entreprise cadastrale se développe dès
le XVIIe siècle et prend de l’ampleur au siècle
suivant. Elle a pour but de rendre homogène
une emprise, qu’elle soit royale ou seigneuriale. Elle procède aussi d’un impératif de
rationalisation de l’espace et de l’impôt. Elle
participe enfin à l’apparition de l’« individualisme possessif ».
Au XVIIe siècle, quelques provinces, tel le
Languedoc, sont déjà pourvues de cadastres
qui servent au calcul de la taille réelle (cet
impôt est assis à partir des biens roturiers et
non des personnes). Des essais de cadastration sont par ailleurs tentés, comme en 1621
dans l’élection d’Agenais. Ils s’appuient sur le
modèle seigneurial du « livre-terrier ». Le terrier (ou censier) est formé de l’ensemble des
documents fonciers dans lesquels les biens
possédés sous forme de tenures sont sommairement dénombrés (nom du tenancier, nature
du bien, redevance). Au cours du XVIIe siècle,
ces documents deviennent plus précis (description du bien, qualité du tenancier) et sont
de plus en plus fréquemment accompagnés
d’un levé des plans. À cet égard, le domaine
royal et l’administration donnent l’exemple
aux seigneuries laïques ou ecclésiastiques. Le
terrier du roi, dressé vers 1700-1705 à Paris,
sert de modèle aux grandes censives ecclésiastiques de la capitale telle celle de SainteGeneviève. Parallèlement, une importante infrastructure administrative est mise en place,
constituée des arpenteurs-géographes du roi
et des agents des maîtrises des Eaux et forêts.
Au service de la seigneurie et des agents de
la « réaction féodale », les arpenteurs, les
leveurs de terriers et de plans et les feudistes
forment la base du nouvel ensemble des professionnels de la cartographie. Cette dernière
joue son rôle dans la montée de l’« individualisme possessif », car « la carte fixe le rapport
des individus à l’espace par la possession et le
droit » (Daniel Roche). Toutes ces entreprises
participent donc à la réflexion sur l’impôt qui
conduit, après l’échec de diverses tentatives
de déterminer l’assiette de la contribution foncière (de 1790 à 1802), à l’établissement, par
la loi de finances du 15 septembre 1807, du
cadastre parcellaire.
Cadoudal (Georges), chef vendéen (Kerléano, près d’Auray, Morbihan, 1771 - Paris
1804).
Ce fils de paysans aisés poursuit des études
qui lui permettent de devenir clerc de notaire.
Même si, en 1789, il prend parti pour les
« patriotes », il s’oppose peu après à la politique religieuse de la Révolution, avant d’être
incarcéré en 1793 par les autorités révolutionnaires. Une fois libéré, il gagne la Vendée, où
il participe aux combats, y compris pendant
la « virée de Galerne », ville qu’il quitte pour
la Bretagne après les batailles du Mans et de
Savenay. De nouveau emprisonné à Brest avec
sa famille, il ne doit la vie sauve qu’à la chute
de Robespierre. Il s’échappe et entre dans la
lutte contre les représentants de l’État.
Il s’agrège peu à peu au réseau de la chouannerie, que tentent d’unifier Puisaye et son ad-
joint Cormatin. Mais il s’en distingue en 1795
par son refus de toute pacification, et joue un
rôle essentiel lors du débarquement de Quiberon en tant que commandant des chouans du
Morbihan. Malgré les 15 000 hommes qui sont
sous ses ordres, il est considéré avec mépris par
les émigrés. Pourtant, tandis que ceux-ci sont
enfermés dans la presqu’île de Quiberon par les
troupes de Hoche, c’est Cadoudal qui, adjoint
de Tinténiac, conduit une colonne chouanne
pour prendre les républicains à revers. L’opération échoue, et l’expédition de Quiberon
tourne au désastre : Cadoudal en rend responsable Puisaye, l’accusant de maladresse. Dès
lors, il dirige la chouannerie morbihannaise,
mais Hoche le contraint à la paix en 1796. Il se
lance alors dans l’action politique, faisant élire
certains de ses hommes, jusqu’au coup d’État
de fructidor (4 septembre 1797) qui relance les
opérations clandestines. Cadoudal, qui commande alors à huit légions, est reconnu par les
downloadModeText.vue.download 124 sur 975
DICTIONNAIRE DE L’HISTOIRE DE FRANCE
113
princes. Il décide la reprise de la guerre, organise avec succès un débarquement d’armes et
d’argent en provenance d’Angleterre, et tient
tête aux forces républicaines dans le Morbihan
en 1799. Mais cette victoire tourne court, car
les chouans du Maine acceptent les propositions de paix de Bonaparte : Cadoudal doit se
soumettre.
Après avoir refusé le grade de général et
une rente de la part du Premier consul, il
retourne à la clandestinité et gagne l’Angleterre, où il est accueilli en héros. Ne pouvant
raviver la chouannerie en Bretagne, il organise
ensuite des attentats contre l’« usurpateur »,
en relation avec Moreau et Pichegru : il est
notamment impliqué dans le complot de la
« machine infernale » du 24 décembre 1800.
Trahi alors qu’il prépare d’autres opérations, il
est arrêté, jugé et guillotiné.
Dans l’histoire très complexe de la chouannerie, qui reste mal connue, la figure de
Cadoudal se distingue par sa longévité dans
la lutte, ses capacités manoeuvrières, sa forte
personnalité. Il donne surtout l’impression
d’une grande conviction royaliste, qui lui fait
refuser toutes les compromissions comme
tous les accommodements, y compris sous
l’Empire, période propice à de nombreux
ralliements. Il incarne ainsi, dans la mémoire
collective, l’un des exemples parfaits de la tra-
dition contre-révolutionnaire.
Cagoule (la), surnom donné par la presse
à une organisation clandestine d’extrême
droite des années trente, dont la véritable dénomination aurait été Comité secret d’action
révolutionnaire (CSAR) ou encore Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale
(OSARN).
Après la victoire du Front populaire, des militants issus de l’Action française, déçus par
l’opposition - qu’ils jugent purement verbale de leurs chefs de file, basculent dans l’activisme. Fondée en juin 1936 et dirigée par un
polytechnicien, Eugène Deloncle, la Cagoule
est rigoureusement hiérarchisée, selon le
modèle militaire. Ses quelque 3 000 militants
armés sont répartis en groupes cloisonnés et
clandestins. Des liens sont noués avec les services secrets de l’Italie fasciste : en juin 1937,
deux émigrés antifascistes, les frères Rosselli,
sont assassinés par des cagoulards, en échange
d’une livraison d’armes. Il semble bien que la
Cagoule, inspirée par l’exemple du général
Franco en Espagne, a envisagé un coup de
force « national » contre la République en
usant de la provocation (le siège de la confédération du patronat français est dynamité
en septembre 1937, et l’attentat est attribué
aux communistes) et du noyautage dans les
forces armées (des contacts sont établis, mais
restent, pour la plupart, sans suite). Cette
absence de soutien militaire explique l’échec
de l’organisation, dont le ministre socialiste de
l’Intérieur Marx Dormoy annonce le démantèlement en novembre 1937. Durant la guerre,
une minorité de cagoulards rejoint la Résistance ; mais la majorité se range aux côtés de
Vichy - dont Joseph Darnand, le futur chef de
la Milice. Deloncle prend place parmi les collaborat